« Une époque vient de se terminer. Paul Newman était un géant grand et humble. Il disait qu’il devait tout à la chance, mais le reste d’entre nous sait que c’étaient son talent, son intelligence et son cœur généreux qui en ont fait la star qu’il fut. Il devrait être un exemple pour le métier d’acteur parce qu’il semblait s’être fait retirer son ego chirurgicalement . » – Kevin Spacey
Triste mois de septembre. Si la météo nous garantit un bel été indien, il ne semble pleuvoir que des mauvaises nouvelles sur notre monde. Les attentats continuent, les marchés boursiers s’effondrent. Sur une note plus personnelle, je note que les nouveaux films sortis durant ce fichu mois semblent respirer l’ennui poli (merci le Festival de Cannes) et me découragent d’aller au cinéma. Histoire de déprimer encore plus, j’apprends que Scarlett Johansson vient de se marier… et pour couronner le tout, qu’un grand homme nous a quitté après plus de cinquante années d’une carrière bien remplie.
Paul Newman s’est éteint à l’âge de 83 ans, ce 26 septembre dernier, des suites d’un cancer du poumon, dans son domicile de Westport, Connecticut. Newman, ce n’était pas juste un acteur talentueux, célèbre pour ses succès qui culminèrent surtout dans les années 1960-70, ni ce sex symbol aux yeux bleus acier qui firent craquer tant de spectatrices – un cliché qui l’agaçait au plus haut point. Pour ceux qui le connaissaient bien, Paul Newman était un homme foncièrement bon, intelligent et au triomphe modeste. Sa carrière ne se cantonna pas au seul métier de comédien, où il imprima de sa forte personnalité nombre de personnages mémorables et de grands films, mais aussi dans d’autres domaines où il s’impliquait totalement et généreusement.
Paul Leonard Newman est né le 26 janvier 1925 à Sharer Heights, dans l’Ohio, d’un couple de commerçant Juifs, Arthur et Theresa Newman. Dès l’enfance, Paul Newman s’intéressa au théâtre, encouragé en cela par sa mère. Il fit ainsi ses débuts sur scène à l’âge de 7 ans, jouant le bouffon de la cour dans Robin des Bois au théâtre de l’école locale. Diplômé en 1943, il entre brièvement à l’Université de l’Ohio, mais la 2e Guerre Mondiale le pousse à rejoindre l’U.S. Navy. Il s’y engagea dans l’espoir de devenir pilote de chasse, mais ses espoirs furent déçus quand on s’aperçut qu’il était daltonien ! Hé oui, les futurs yeux bleus les plus célèbres du cinéma américain ne percevaient pas les couleurs…
Mais déjà, le jeune Newman montre qu’il n’est pas du genre à renoncer au premier obstacle. Il devient officier radio et canonnier pour avions bombardiers lance-torpilles dans le Pacifique, servant notamment à bord du bombardier Avenger. Il servit aussi à bord de l’USS Bunker Hill durant la terrible Bataille d’Okinawa, au printemps 1945. Il ne participa pas au combat, retenu en arrière parce que son pilote avait eu une infection à l’oreille. Tout ses équipiers partirent en première ligne et moururent… Après la guerre, Paul Newman termine ses études et obtient le diplôme au Kenyon College en 1949. Il épouse Jackie Witte cette année-là, et ils auront un fils, Scott, en 1950, et deux filles, Susan Kendall (née en 1953) et Stephanie. Paul et Jackie se sépareront en 1958.
Ci-dessus : le screen-test historique de Paul Newman et James Dean pour A L’EST D’EDEN.
Retour en 1949. Le jeune Paul Newman étudie l’art dramatique à Yale, puis rejoint l’école de Lee Strasberg à New York, un certain Actor’s Studio qui va révéler tant de talents durant les décennies suivantes… Newman fait ses débuts à Broadway au début des années 1950, dans la première production de la pièce de William Inge, PICNIC, dont Joshua Logan tirera plus tard un film avec William Holden et Kim Novak. Il retient vite l’attention du public et des critiques, jouant notamment DOUX OISEAU DE JEUNESSE de Tennessee Williams, avec Geraldine Page. Il sera d’ailleurs en 1962 la vedette, toujours avec Geraldine Page, de l’adaptation filmée homonyme, signée Richard Brooks. Entre 1952 et 1954, Paul Newman fait aussi plusieurs apparitions dans des pièces filmées à la télévision. Le jeune comédien passe bien à l’image, et se fait vite remarquer par Hollywood. Le moins que l’on puisse dire est qu’il n’est pas très enthousiaste de venir à Los Angeles… Il y tourne en 1954 son premier film, LE CALICE D’ARGENT, un péplum de Victor Saville avec Virginia Mayo, Pier Angeli et Jack Palance. S’il reçoit des critiques positives pour ses débuts, Newman déclarera clairement détester ce film, ne supportant pas de se voir en tunique ! Avec les années, il continuera à rire de ses débuts mal engagés à Hollywood… En 1955, il auditionne pour le rôle d’Aron Trask dans un screen-test d’A L’EST D’EDEN, en compagnie de James Dean. La bobine deviendra un véritable objet de collection par la suite. Newman ne sera pourtant pas choisi par le réalisateur Elia Kazan, qui lui préfère Richard Davalos. Cette même année, Newman jouera aussi une pièce de théâtre télévisée, filmée en couleur et en direct, OUR TOWN de Thornton Wilder, avec Eva Marie Saint et Frank Sinatra en personne.
Les choses vont vite s’arranger au cinéma pour l’acteur. En 1956, il est à l’affiche de SOMEBODY UP THERE LIKES ME / Marqué par la Haine, magnifique film de Robert Wise sur la vie du boxeur Rocky Graziano. Le talent de Newman peut enfin s’exprimer dans un rôle adéquat. Newman ne joue pas, il est Graziano, littéralement. Un petit voyou de New York, violent, solitaire, rebelle à tout et à tous, qui devient dans l’épreuve un véritable être humain en pleine rédemption. Et le premier d’une série de personnages de révoltés mémorables que Newman saura par la suite incarner à la perfection. Soit dit en passant, la diction, la gestuelle et les choix vestimentaires de Newman pour ce rôle inspireront délibérément, vingt ans après, un Sylvester Stallone qui y trouvera certainement l’inspiration de son ROCKY… Newman va enchaîner les films : THE RACK avec Lee Marvin, toujours en 1956 ; l’année suivante, THE HELEN MORGAN STORY / Pour elle un seul homme, du vétéran Michael Curtiz, avec Ann Blyth ; puis UNTIL THEY SAIL avec Jean Simmons, Joan Fontaine, Piper Laurie et Sandra Dee, film signé par son réalisateur de SOMEBODY UP THERE…, Robert Wise. Notons d’ailleurs que Newman travaillera souvent plusieurs fois avec les mêmes réalisateurs et comédiens, signe que l’homme était apprécié pour son professionnalisme et son sens de l’amitié.
Ci-dessus : la bande-annonce d’époque de THE LONG, HOT SUMMER / Les Feux de l’été.
1958 marque une nouvelle étape dans sa vie et dans sa carrière, avec pas moins de trois grands films qui lui valent de nouvelles louanges. Newman obtient le Prix du Meilleur Acteur au Festival de Cannes pour le rôle de Ben Quick dans THE LONG, HOT SUMMER / Les Feux de l’été, une adaptation des nouvelles de William Faulkner signée Martin Ritt, son réalisateur préféré. Il y joue aux côtés d’Orson Welles et d’une charmante comédienne avec qui il s’entend à merveille. Elle s’appelle Joanne Woodward. Paul et Joanne se sont mariés le 29 janvier 1958, marquant ainsi le début d’une solide histoire commune ; chose exceptionnelle dans un milieu où les divorces de célébrités sont légion, ils resteront mariés plus de cinquante ans, jusqu’à son décès. Ils ont eu trois filles : Elinor dite « Nell », née en 1959, Melissa dite « Lissy », née en 1961, et Claire dite « Clea », née en 1965.
Ci-dessus : Paul Newman dans la bande-annonce de THE LEFT HANDED GUN / Le Gaucher.
En cette année 1958, Newman est également applaudi pour sa prestation dans THE LEFT HANDED GUN / Le Gaucher, western atypique d’Arthur Penn, où il joue un Billy The Kid torturé par ses démons intérieurs. Et il décroche sa première nomination à l’Oscar du Meilleur Acteur pour le rôle de Brick Pollitt dans LA CHATTE SUR UN TOIT BRÛLANT, adaptation de la pièce de Tennessee Williams par Richard Brooks, où il forme un couple mémorable avec Elizabeth Taylor. Plus anodin, RALLYE ‘ROUND THE FLAG, BOYS !, comédie de Leo McCarey, lui permet de jouer pour la seconde fois avec Joanne Woodward, et Joan Collins.
Après THE YOUNG PHILADELPHIANS de Vincent Sherman en 1959, Paul Newman joue dans deux films en 1960. DU HAUT DE LA TERRASSE, de Mark Robson, son troisième film avec Joanne Woodward, et le célèbre EXODUS d’Otto Preminger, avec Eva Marie Saint et Ralph Richardson. Dans ce grand drame épique et controversé sur la naissance difficile de l’état d’Israël, Newman tient le rôle d’Ari Ben Canaan, un membre de la Hagana qui ne s’en laisse pas compter, ni par les militaires Britanniques ni par les extrémistes Palestiniens, pour emmener des milliers de rescapés de la Shoah vivre dans la paix en Terre Promise.
La décennie cinématographique des années 60 sera faste. En 1961, il joue « Fast Eddie » Felson, dans THE HUSTLER / L’Arnaqueur de Robert Rossen, avec Jackie Gleason, Piper Laurie et George C. Scott. Interprétation magistrale d’un virtuose du billard dont le talent excite la convoitise des bookmakers, mais dont le caractère ingérable finit par détruire son amour naissant pour la jeune femme écrivain alcoolique campée par Laurie. Le rôle d’Eddie lui vaut une seconde nomination à l’Oscar, ainsi qu’au Golden Globe du Meilleur Acteur. Il retrouve Joanne Woodward sur le plateau de PARIS BLUES de Martin Ritt, dont ils partagent l’affiche avec Sidney Poitier et la légende du jazz, Louis Armstrong en personne.
Ci-dessus : un extrait de HUD / Le Plus Sauvage d’Entre Tous. Hud (Newman) n’aime ni les vautours, ni la Loi…
L’année suivante, Newman retrouve donc l’univers de Tennessee Williams, Richard Brooks et Geraldine Page pour DOUX OISEAU DE JEUNESSE. Le rôle de Chance Wayne pour ce film lui vaut une seconde nomination au Golden Globe du Meilleur Acteur. Martin Ritt le retrouve pour un second rôle, dans HEMINGWAY’S ADVENTURES OF A YOUNG MAN qui lui vaut une nomination simultanée, cette fois-ci en tant que Meilleur Acteur dans un Second Rôle ! Mais toujours pas de récompense suprême… 1963 le voit briller de nouveau devant les caméras de Martin Ritt. Il est HUD / Le Plus Sauvage d’Entre Tous – face à Melvyn Douglas et Patricia Neal. Ce drame un peu pesant (l’atmosphère étouffante du Texas y est sûrement pour quelque chose) lui permet d’incarner Hud Bannon, un cow-boy paumé, alcoolique, indiscipliné et violent. Un personnage détestable certes, mais le talent de Newman le rend presque sympathique, et lui vaut deux nouvelles nominations comme Meilleur Acteur, pour l’Oscar et le Golden Globe.
Viennent ensuite A NEW KIND OF LOVE, une comédie de Melville Shavelson, avec Joanne Woodward (5e film ensemble) et le thriller THE PRIZE / Pas de Lauriers pour les Tueurs avec Elke Sommer et Edward G. Robinson sous les caméras de Mark Robson. Il enchaînera les années suivantes WHAT A WAY TO GO ! de J. Lee Thompson, comédie musicale avec Shirley MacLaine, Robert Mitchum, Dean Martin et Gene Kelly ; L’OUTRAGE, de l’ami Martin Ritt, remake « western mexicain » de RASHÔMON, avec Laurence Harvey, Claire Bloom et Edward G. Robinson ; et LADY L de Peter Ustinov, avec Sophia Loren et David Niven. En 1966, Paul Newman remporte un grand succès avec HARPER / Détective Privé de Jack Smight, avec Lauren Bacall, Janet Leigh et Robert Wagner.
Puis il tourne avec Julie Andrews dans LE RIDEAU DÉCHIRÉ du Maître du Suspense Alfred Hitchcock. Malheureusement, le style de jeu très intense de Newman, avec ses techniques héritées de l’enseignement de l’Actor’s Studio, ne se lie pas très bien avec les exigences de mise en scène de Hitchcock, qui privilégiait les « plans neutres » de la part de ses acteurs-vedettes. Le film, distrayant mais bancal, n’emporte pas l’adhésion totale du spectateur. Reste toutefois une séquence-choc mémorable, où Paul Newman doit réduire coûte que coûte au silence un sinistre agent de la Stasi dans une ferme est-allemande… Une des scènes hitchcockiennes de meurtre les plus impressionnantes qui soit, par sa longueur, sa brutalité (pour l’époque) et les différentes « armes » employées par Newman et sa complice pour éliminer l’espion ! Voir la séquence ci-dessus, avec la musique de Bernard Herrmann, rejetée par Hitchcock.
Dans le western HOMBRE, où il tient le rôle de John Russell, un « Indien Blanc », Newman retrouve son réalisateur fétiche Martin Ritt, qui l’oppose au médecin véreux Fredric March et à un affreux desperado campé par Richard Boone. Et l’acteur triompe avec l’un des meilleurs « films de prison », LUKE LA MAIN FROIDE, où il joue avec George Kennedy sous la direction de Stuart Rosenberg. Une nouvelle fois nominé à l’Oscar et au Golden Globe, Newman campe un de ses meilleurs rôles de rebelles avec le personnage de Luke. Les moments d’anthologie sont nombreux dans ce classique qui ne vieillit pas – notamment la séquence où Luke parie qu’il peut engloutir cinquante œufs durs en une heure. L’acteur releva réellement le défi, à s’en distordre l’estomac, comme vous pouvez le voir ci-dessus !
En dehors des écrans, Paul Newman est aussi présent dans les combats politiques. Fervent démocrate, il soutient activement la campagne d’Eugene McCarthy en 1968… et se retrouve du coup sur la liste des ennemis politiques de Richard Nixon ! Signalons par ailleurs que Newman maintiendra jusqu’au bout ses convictions démocratiques, et fut aussi un défenseur des droits des homosexuels.
Toujours en 1968, après avoir joué dans une comédie militaire de Jack Smight, THE SECRET WAR OF HARRY FRIGG / Évasion sur Commande, Newman passe à la réalisation, signant le joli drame RACHEL, RACHEL, avec sa chère Joanne Woodward. Cela lui vaut de décrocher enfin le Golden Globe… du Meilleur Réalisateur ! Plus une nomination à l’Oscar du Meilleur Réalisateur. Ensuite, Newman retrouve Joanne Woodward et Robert Wagner pour jouer dans WINNING / Virages, de James Goldstone. C’est en préparant le tournage de ce film axé sur les sports automobiles que Paul Newman s’enthousiasmera pour les courses d’endurance, et deviendra un véritable pilote professionnel en 1972. Il finira second aux 24 Heures du Mans en 1979, et, à l’âge de 70 ans, sera le plus vieux vainqueur d’une course automobile aux 24 Heures de Daytona, en 1995 !
Mais c’est surtout le film suivant qui va demeurer dans les esprits : BUTCH CASSIDY ET LE KID, de George Roy Hill lui permet de jouer avec son jeune collègue Robert Redford. Sans oublier Katharine Ross, qu’il séduit à l’écran à vélo, avec la célèbre chanson de Burt Bacharach, « Raindrops Keep Fallin’On My Head » ! Voir la séquence di-dessus (pardon pour la mauvaise qualité d’image, ravagée par le Pan&Scan…). Newman est un Butch Cassidy malicieux et inconscient, un incorrigible rêveur qui forme avec Sundance Kid (Redford) un duo inoubliable. Truffé de morceaux de bravoure, ce western tragicomique fait de Redford une star et consacre Newman comme l’un des acteurs les plus aimés de l’époque. La décennie se conclut en compagnie de Joanne Woodward dans le drame de Stuart Rosenberg, WUSA, où ils jouent avec Anthony Perkins et Laurence Harvey.
Les années 1970s arrivent, et Paul Newman continue à tourner, devant et derrière la caméra. Il signe en 1971 son second film en tant que réalisateur, le drame d’aventures SOMETIMES A GREAT NOTION / Le Clan des Irréductibles, qui lui permet de jouer avec une légende de l’écran, Henry Fonda. L’année suivante, Stuart Rosenberg le dirige à nouveau dans le western humoristique POCKET MONEY / Les Indésirables, où il retrouve Lee Marvin 16 ans après THE RACK. Paul Newman incarne à merveille cette année-là une autre grande figure du Far-West, Roy Bean dit « le Juge ». THE LIFE AND TIMES OF JUDGE ROY BEAN / Juge et Hors-la-Loi, écrit par John Milius et réalisé par John Huston, le met en valeur dans un western désabusé et comique, où l’acteur s’amuse bien dans le rôle-titre. Enfin, cette même année, Newman signe son troisième film en tant que cinéaste, DE L’INFLUENCE DES RAYONS GAMMA SUR LE COMPORTEMENT DES MARGUERITES, toujours avec Joanne Woodward, et leur fille Nell Potts.
Ci-dessus : la bande-annonce de THE STING / L’Arnaque.
En 1973, Newman retrouve John Huston comme réalisateur pour THE MACKINTOSH MAN / Le Piège, dont il partage l’affiche avec Dominique Sanda et James Mason. Mais il connaît surtout son plus grand succès avec THE STING / L’Arnaque. La belle équipe de BUTCH CASSIDY est de retour – Robert Redford est de l’aventure pour « plumer » un mémorable méchant gangster joué par Robert Shaw, toujours sous les caméras de George Roy Hill. La complicité de Newman et Redford fait toujours plaisir à voir, même s’ils se font quelque peu voler la vedette par Shaw. Le film récolte une pluie d’Oscars… mais Paul Newman n’est même pas nominé !
Ci-dessus : la bande-annonce de SLAP SHOT / La Castagne.
Nouveau grand succès public pour Newman l’année suivante avec LA TOUR INFERNALE. LE film-catastrophe le plus réussi de la décennie, dû au producteur Irwin Allen et au réalisateur John Guillermin, qui place Paul Newman en architecte héroïque, pris au piège du monstrueux incendie qui ravage le gratte-ciel qu’il a construit. En tête d’un casting de superstars, Newman partage la vedette avec son grand rival au box-office, Steve McQueen ! En 1975, Newman interprète à nouveau le détective privé Lew Harper, neuf ans après HARPER. THE DROWNING POOL / La Toile d’Araignée lui fait partager l’affiche pour la huitième fois avec son épouse Joanne Woodward, sous les caméras de Stuart Rosenberg avec qui il travaille pour la quatrième fois. Noter aussi dans le casting la présence d’une petite jeunette avec qui il retravaillera des années après, Melanie Griffith.
L’année suivante, Paul Newman rajoute un personnage supplémentaire à sa « collection » d’anti-héros de l’Ouest : il est la vedette de BUFFALO BILL ET LES INDIENS de Robert Altman, avec Geraldine Chaplin, Harvey Keitel et Burt Lancaster. Malheureusement, le film, sorti l’année du bicentenaire américain, est très mal reçu, malgré la prestation de l’acteur. Newman retrouve George Roy Hill en 1977, sans Robert Redford, cette fois, pour SLAP SHOT / La Castagne – une sympathique comédie sportive où Newman est le coach désabusé d’une équipe de hockeyeurs bras cassés.
En novembre 1978, Paul Newman connaît une terrible tragédie. Son fils de 28 ans, Scott, meurt d’une overdose accidentelle. En souvenir de son fils, Newman créera le Scott Newman Center, pour aider les victimes de la drogue à s’en sortir. Il retrouve en 1979 les caméras de Robert Altman pour le film de science-fiction QUINTET, au casting international comprenant Vittorio Gassman, Fernando Rey, Bibi Andersson et Brigitte Fossey. On passera poliment sur son film suivant, WHEN THE TIME RAN OUT… / Le Jour de la Fin du Monde, de James Goldstone, avec Jacqueline Bisset et William Holden… un film-catastrophe qui, de l’avis général, mérite bien son nom. Newman signe en tant que réalisateur le téléfilm THE SHADOW BOX, avec Joanne Woodward et Christopher Plummer.
En 1981, Paul Newman reçoit de nouvelles louanges pour ses interprétations dans FORT APACHE THE BRONX / Le Policeman, de Daniel Petrie, et ABSENCE DE MALICE, un drame Sydney Pollack, avec Sally Field, qui lui vaut une nouvelle nomination à l’Oscar. Il fait ensuite une apparition dans un téléfilm, COME ALONG WITH ME, où, cette fois-ci, c’est son épouse qui le dirige ! Surtout, Newman est extraordinaire dans le rôle de Frank Galvin, dans LE VERDICT de Sydney Lumet, avec Charlotte Rampling et James Mason. Deux nouvelles nominations à l’Oscar, et au Golden Globe du Meilleur Acteur, mais toujours pas de récompense…
Ci-dessus : superbe prestation de Paul Newman dans ce court extrait du VERDICT.
Actif sur tous les fronts, Paul Newman fonde en 1982 avec l’écrivain A.E.Hotchner la Newman’s Own, une marque de produits alimentaires naturels, dont tous les profits, après taxes, seront reversés à des œuvres de charité. Un succès immense (plus de 200 millions de dollars en donations au début de l’année 2006), sur lequel il a écrit avec Hotchner un mémore savoureusement intitulé « Exploitation Éhontée en Faveur du Bien Commun » ! Citons aussi ce commentaire très pince-sans-rire de Mr Newman lui-même : « Une fois que vous voyez votre visage sur une bouteille de garniture pour salade, cela devient difficile de se prendre au sérieux. »
Ci-dessus : Eddie Felson (Paul Newman) affronte son ancien poulain Vincent Lauria (Tom Cruise) dans LA COULEUR DE L’ARGENT.
En 1984, Paul Newman se dirige lui-même dans le drame HARRY & SON / L’Affrontement, avec Joanne Woodward, Ellen Barkin et Morgan Freeman. Centré sur les difficiles relations entre un père et son fils, le film compte beaucoup pour Newman, qui y voit là l’occasion d’évoquer en filigrane la perte de son fils survenue six ans plus tôt. 1986 marque enfin la consécration professionnelle de Paul Newman. Lauréat d’un Oscar Honoraire, il tourne cette année-là LA COULEUR DE L’ARGENT de Martin Scorsese. 25 ans après L‘ARNAQUEUR, Newman retrouve le rôle de « Fast Eddie » Felson, vieilli et mûri, et qui replonge pour protéger un jeune virtuose du billard en qui il se reconnaît. L’occasion pour Newman d’être ici le mentor-rival d’une jeune star montante, Tom Cruise, lui-même un grand amoureux des courses automobiles. Nominé au Golden Globe, Newman décroche enfin le fameux Oscar du Meilleur Acteur. Sans vouloir méjuger la prestation du comédien, toujours aussi intense, on ne peut toutefois s’empêcher de penser qu’il s’agit là d’un Oscar « de compensation » permettant à l’Académie de corriger les oublis passés. Newman n’en a cure, toutefois, et continue de travailler, la soixantaine passée. L’année suivante, il réalise LA MÉNAGERIE DE VERRE ( revoilà l’univers de Tennessee Williams ), dirigeant Joanne Woodward, John Malkovich et Karen Allen.
En 1988, Paul Newman fonde le Hole in the Wall Gang Camp, un camp d’été résidentiel pour enfants malades, nommé d’après le gang de BUTCH CASSIDY & LE KID. La réussite de ce nouveau projet se traduit par la fondation d’autres camps « Hole in the Wall » aux USA, en Irlande, en France et en Israël, au service de milliers de petits malades, accueillis gratuitement. Parmi ses activités humanitaires suivantes, signalons que Paul Newman donnera 250 000 $ en Juin 1999 pour aider des réfugiés au Kosovo, et qu’il donnera 10 millions de dollars à son ancien lycée, le Kenyon College, afin d’établir un fond de bourse d’études suffisant.
Ci-dessus : la bande-annonce de FAT MAN AND LITTLE BOY / Les Maîtres de l’Ombre.
Paul Newman est excellent dans deux films un peu oubliés, datant de 1989 : FAT MAN AND LITTLE BOY / Les Maîtres de l’Ombre, de Roland Joffé, avec John Cusack et Laura Dern, où il campe le Général Leslie R. Groves, chargé de diriger le Projet Manhattan menant à la création de la Bombe Atomique durant la 2e Guerre Mondiale. Et il est le truculent Gouverneur Earl K. Long dans BLAZE, de Ron Shelton, avec la pulpeuse Lolita Davidovich. Puis il retrouve, pour la 10e fois à l’écran, sa chère Joanne Woodward, dans le drame Mr. & Mrs. BRIDGE de James Ivory, avec Joanne Woodward.
Dans les années 1990 et 2000, Paul Newman va raréfier ses apparitions à l’écran, mais saura toujours prouver qu’il reste un acteur de premier plan. Il revient au cinéma en 1994 avec la comédie des frères Coen THE HUDSUCKER PROXY / Le Grand Saut, avec Tim Robbins et Jennifer Jason-Leigh. Dans cette farce démesurée directement inspirée des classiques de Frank Capra, Newman met toute sa malice à jouer un vieux grigou de la finance au nom improbable, Sidney J. Mussburger ! Ses plans machiavéliques pour récupérer l’entreprise de son défunt associé se voient déjoués par la naïveté d’un grand benêt joué par Robbins, et son invention révolutionnaire, le houla-hop… Cette même année, Newman est brillant en vieux retraité escroc irresponsable, dans NOBODY’S FOOL / Un Homme Presque Parfait de Robert Benton, avec Jessica Tandy, Melanie Griffith, Bruce Willis et Philip Seymour Hoffman.
Deux nouvelles nominations à l’Oscar et au Golden Globe du Meilleur Acteur. Il jouera à nouveau sous la direction de Benton en 1998, dans le thriller TWILIGHT / L’Heure Magique, avec Susan Sarandon, Gene Hackman, Reese Witherspoon et James Garner. En 1999, on le retrouve avec Kevin Costner et Robin Wright Penn dans UNE BOUTEILLE A LA MER de Luis Mandoki, puis l’année suivante, bon pied bon œil dans WHERE THE MONEY IS / En Toute Complicité de Marek Kanievska, avec la belle Linda Fiorentino.
Ci-dessus : la confrontation entre Michael Sullivan (Tom Hanks) et John Rooney (Paul Newman) dans ROAD TO PERDITION / Les Sentiers de la Perdition.
Puis, en 2002, Paul Newman va livrer sa dernière apparition au cinéma. Et, par la même occasion, sortir par la grande porte ! Il est le parrain de la pègre irlandaise John Rooney dans le superbe ROAD TO PERDITION / Les Sentiers de la Perdition, de Sam Mendes. Un patriarche déchiré par son amour paternel pour ses deux fils – le « vrai » fils biologique, héritier de l’empire criminel des Rooney, un vrai psychopathe joué par Daniel Craig, et le fils « illégitime », Michael Sullivan, joué par Tom Hanks, exécuteur des basses œuvres, tueur professionnel consciencieux, mais qu’un drame pousse à la révolte sanglante. Newman est magistral dans chacune de ses scènes. Qu’il soit un affectueux papy matois jouant aux dés avec les fils de Sullivan, qu’il soit en train de jouer au piano en silence avec Hanks dans une des meilleures scènes du film, ou encore qu’il roue de coups Craig avant de le serrer dans ses bras, Paul Newman apporte une dimension shakespearienne exceptionnelle. Et cela lui vaudra d’être à nouveau nominé à l’Oscar et au Golden Globe du Meilleur Acteur dans un Second Rôle.
Sa dernière scène, celle, splendide, de la fusillade sous la pluie dans …PERDITION, ne marquera pas toutefois la fin de son travail de comédien. Paul Newman continuera jusqu’au bout à travailler. En 2003, il campe le Juge Earl Warren dans la minisérie TV FREEDOM : A HISTORY OF US, où il joue le Juge Earl Warren – parmi une pléiade d’immenses comédiens. À Broadway, il reprend le rôle jadis tenu par Frank Sinatra dans OUR TOWN de Thornton Wilder. La pièce, diffusée ensuite à la télévision, est un grand succès et lui vaut une nomination aux Tony Awards et aux Emmy Awards. En 2005, il partage l’affiche du téléfilm de Fred Schepisi EMPIRE FALLS, avec Ed Harris, Philip Seymour Hoffman, Helen Hunt, Robin Wright Penn… et, bien sûr, Joanne Woodward. Bien qu’ils ne jouent pas dans les mêmes séquences, ils sont ainsi réunis pour la dernière fois dans un générique. Et Newman obtient l’Emmy Award et le Golden Globe du Meilleur Acteur dans un Second Rôle pour un Téléfilm !
Enfin, Paul Newman prêtera sa célèbre voix rocailleuse à plusieurs films : une production IMAX sur la conquête de la Lune, MAGNIFICENT DESOLATION avec Tom Hanks, Matt Damon et Morgan Freeman. Toujours grand amateur de courses automobiles, Newman terminera sa carrière dans deux films liés à sa passion : en 2006, il est la voix de Doc Hudson (surnommé « Hud », clin d’oeil à l’un de ses rôles les plus mémorables), le vieux bolide bourru de CARS, le film Pixar de John Lasseter, où il domine l’ensemble du casting vocal ; et, enfin, il sera le narrateur du film DALE consacré au champion de courses automobiles Dale Earnhardt.
Paul Newman annonce officiellement qu’il prend sa retraite du métier d’acteur le 25 mai 2007. Il devait réaliser pour le théâtre une adaptation du roman de John Steinbeck, DES SOURIS ET DES HOMMES, au Westport Country Playhouse, mais dût y renoncer en mai 2008. Le cancer, hélas, le gagnait.
Les cinéphiles du monde entier auront une pensée affectueuse pour sa femme, Joan Woodward, ses filles et toute sa famille. Pour ma part, je n’arrête pas de siffloter « Raindrops Keep Fallin’On My Head »…
Au revoir, Mr. Paul Newman.