2) le Martyre
au calvaire émotionnel, s’ajoute maintenant le supplice physique et moral pour la malheureuse Christine. De façon tout à fait arbitraire, la voilà jetée à l’asile psychiatrique, sur décision officielle du Capitaine Jones. La jeune mère se retrouve dénuée de tout moyen de défense, dans un milieu hospitalier entièrement soumis à la botte du pouvoir en place… Les traitements qu’elle subit de la part du personnel sont autant d’actes de torture, d’humiliation et d’enfermement. Certes, le spectateur qui a vu VOL AU-DESSUS D’UN NID DE COUCOU ou GIRL, INTERRUPTED (Une Vie Volée) peut s’attendre à ce moment-là du récit à des conventions familières aux récits sur les asiles – d’autant plus qu’il se rappelle peut-être qu’Angelina Jolie jouait dans GIRL, INTERRUPTED un rôle mémorable, qui lui valut l’Oscar du Second Rôle, soit dit en passant… Mais il ne faut pas oublier que ces conventions apparentes reposent hélas sur la triste réalité des hôpitaux psychiatriques. Et nous sommes ici en 1928, à une époque où les termes « droit des malades », « respect de la personne » étaient encore étrangers à la plupart des hôpitaux psychiatriques américains… Christine Collins est donc soumise à une batterie de « remèdes » aux forts relents de torture médiévale : enfermement dans une pièce en compagnie d’une folle qui pourrait l’agresser à tout moment (« c’est ma chambre ! »), douches glacées, électrochocs, passages à tabac par le personnel infirmier, mené par une chef infirmière blonde, muette et impavide qui suit le martyre de la jeune femme avec une effrayante absence de réaction humaine.
Eastwood évite les pièges du manichéisme dans ces séquences, en ne perdant pas de vue son sujet : même enfermée, Christine continue à représenter une gêne pour le LAPD – il faut dire qu’à l’extérieur, le Révérend ne reste pas inactif et encourage sa communauté à protester contre les méthodes infâmes des policiers aux ordres de la Mairie. L’hôpital devient du coup le cadre d’un duel psychologique fort entre Christine et le bien nommé Docteur Steele. Froid comme l’acier, celui-ci poursuit les pressions entamées par Jones contre la jeune femme dans le premier acte, usant de son pouvoir de médecin respecté pour multiplier les brutalités à l’encontre de sa victime non consentante. Il arriverait presque à ses fins et briserait sûrement Christine si celle-ci ne trouvait pas une alliée inespérée en ce lieu. Une compagne de détention nommée Carol Dexter, ex-prostituée à la vie misérable, mais qui refuse de se laisser traiter en victime par ses géoliers. Sous son apparence grossière, et son langage ordurier qui trahit son origine sociale, Carol est une femme lucide et une battante. Elle révèle à Christine l’étendue de la corruption, en lui montrant leurs malheureuses codétenues : toutes ont été jetées dans ce néant parce qu’elles se sont révoltées contre un ordre policier qui les traitaient comme des moins que rien. Carol a souffert de deux avortements, et des mauvais traitements infligés par les policiers de Los Angeles, et, pour avoir contesté un jour le fait d’être un « défouloir » pour ceux-ci, s’est retrouvée internée… C’est elle aussi qui révèle à Christine l’absurdité du système de l’asile de Steele, qui dénie tout droit aux internées : « Tu protestes, tu cries et tu te fâches : hystérie féminine. Tu restes calme : catatonie. Tu craques et tu pleures : dépression grave ! ». Mais ce faisant, elle pousse aussi sa nouvelle amie à ne rien céder à l’infâme médecin, qui tente toujours de blanchir le LAPD via une signature sur un papier officiel. Christine trouve, avec le soutien de Carol, une force d’âme exceptionnelle, et se transforme psychologiquement sous les yeux du spectateur. La craintive jeune femme du début surprend ses adversaires, en s’obstinant à ne pas se courber devant la sacro-sainte Autorité masculine représentée par Steel. Elle, si sage et polie jusqu’ici, va même jusqu’à reprendre le langage ordurier de Carol en une insulte »eastwoodienne » bien sentie : « Je te baise, toi et ton bourrin ! ». Résistance qui s’avèrera payante pour sa remise en liberté. Hélas, celle-ci est aussi la conséquence d’une dramatique découverte qui va marquer le spectateur au fer rouge.
ci-dessus : la « Ferme de l’Horreur », photographiée lors de l’enquête sur les meurtres d’enfants de Wineville.
Au début de ce second acte, le scénario alterne en fait deux histoires liées à la disparition de Walter Collins. En alternant avec les épreuves subies par Christine à l’asile, Clint Eastwood nous entraîne aussi dans une enquête policière authentique, débouchant sur l’arrestation d’un criminel particulièrement atroce, Gordon Northcott, et à la révélation de l’imposture du LAPD dans l’affaire Collins. Ironie du destin, le Capitaine Jones ignore qu’il prépare sa propre chute en envoyant un subalterne, l’Inspecteur Lester Ybarra, sur ce qui semble être une banale histoire de fugue – juste après avoir jeté Christine à l’asile. Un certain Sanford Clark, 14 ans, a quitté son domicile familiale et franchi la frontière canadienne, et a été signalé vivant chez son cousin Gordon Northcott, dans une ferme de Wineville, en plein désert californien. Ybarra doit retrouver l’adolescent et le renvoyer immédiatement au Canada. Ce policier, un peu plus consciencieux que son supérieur, mais respectueux du règlement, part donc s’acquitter de sa tâche. Il est loin de se douter – et le spectateur avec lui – qu’il va mettre le pied dans une affaire abominable.
Par touches progressives, par une succession de détails de plus en plus inquiétants, Eastwood va nous entraîner dans ce qui constitue sans doute l’une des premières grandes enquêtes sur un tueur en série aux Etats-Unis, et nous confronter à ce qui peut se faire de plus horrible dans ce domaine. Tout en gardant une grande sobriété, de rigueur par rapport à ce qui est évoqué, le cinéaste ne va pas pour autant se détourner de l’Horreur qui envahit peu à peu CHANGELING. Il commence par une rencontre a priori banale entre Ybarra et un homme bloqué par une panne de voiture en plein soleil, à quelques kilomètres de la ferme. L’inconnu (Northcott) semble aimable et disposé à aider le policier, mais Eastwood révèle en gros plan l’étrange rictus qui tient lieu de sourire à l’homme, et surtout le fusil rangé derrière lui, dont il est presque prêt à se servir… Le malaise grandit lors de l’arrivée de l’inspecteur à la ferme Northcott. Un no man’s land baigné de poussière, comme enveloppé d’une atmosphère misérable… la vision d’une hache couverte de croutes noirâtres, et un poulailler à l’aspect singulier renforcent l’inquiétude du spectateur. Même la tentative de fuite du jeune Sanford, finalement attrapé par Ybarra, contribue à l’ambiance perturbante de la séquence. Ce qui suit dans l’enquête constitue une série de scènes parmi les plus perturbantes jamais filmées par Eastwood. Quand Sanford Clark attend au poste en compagnie d’autres enfants fugitifs, son visage est inexplicablement bouleversé. Surtout devant l’un des gosses, qui joue avec une règle. De brefs flashes nous font alors entrer littéralement dans la tête de Sanford : la vision insoutenable de Northcott, couvert de sang, une hache dégoulinante à la main, hurlant comme un possédé alors que retentissent de nulle part des cris d’enfants. Cadré en gros plan, le visage de Sanford Clark devient flou, comme s’il ne supportait plus physiquement cette vision. En quelques secondes, Clint Eastwood effectue un véritable électrochoc sur le spectateur, qui ressent alors totalement la profondeur du traumatisme qu’a dû subir Sanford…
En pressant l’Inspecteur Ybarra de l’écouter, Sanford dévoile à ce dernier la monstruosité de son cousin*, meurtrier pédophile qui l’a entraîné à participer aux enlèvements, la séquestration dans le poulailler, les tortures et les meurtres de dizaines d’enfants. Le récit glace le sang de l’officier, pourtant un dur à cuire, et bouleverse le spectateur devant les larmes du témoin. Sans jamais verser dans le gore, en se reposant sur la force de suggestion de ses comédiens et du récit, Eastwood décrit sans concession les méthodes répugnantes de »l’ogre » Northcott, sonnant comme un lointain écho des pervers pédophiles montrés par Eastwood dans UN MONDE PARFAIT et MYSTIC RIVER. Et le spectateur ne peut qu’être profondément perturbé par le fait que Sanford désigne, parmi toutes les photos de petits disparus, celle de Walter Collins. La découverte par les policiers d’une petite chaussure enfouie sous la terre de la ferme, au milieu d’ossements, ponctue, si l’on ose dire, le voyage au bout de l’Horreur, et établit la Vérité qui manquait tant au LAPD… La capture du tueur en série entraînera d’ailleurs une cascade d’évènements mettant en lumière l’incompétence, l’imposture et la crapulerie des méthodes des pontes du LAPD. D’abord parce que Northcott, en fuite, leur échappe et tente de se réfugier au Canada. La réaction de sa soeur devant son apparition ne laisse aucun doute sur la terreur qu’il inspirait aux siens, fruit d’une enfance lourdement chargée (on y reviendra plus tard). C’est sur dénonciation que la police canadienne arrête finalement Northcott. Renvoyé à Los Angeles, le meurtrier ose même fanfaronner contre l’incapacité du LAPD à l’arrêter. Il le fait face à la presse, dans la même gare où le Capitaine Jones avait mis en scène les retrouvailles de Christine et du faux Walter ! La jeune mère, soutenue par une mobilisation populaire sans précédent, est enfin libérée. Mais l’épreuve ne s’arrête pas là…
* sans doute pour ne pas en rajouter dans l’horreur d’un récit déjà bien éprouvant, Straczynski et Eastwood ont changé légèrement le lien de parenté de Northcott et Sanford Clark. L’adolescent était en fait le neveu du tueur, et subit plusieurs fois les sévices sexuels de ce dernier. Ils enlèvent aussi, pour des raisons dramaturgiques, la présence de la grand-mère de Northcott, qui vivait à la ferme à l’époque des crimes et s’accusa même de ces derniers durant la fuite du tueur.
3 ) le Deuil impossible
Dans la tradition dramaturgique, le troisième acte d’un récit est celui qui vient résoudre les conflits. Si, en surface, CHANGELING respecte cette tradition, son scénario va nous mener une fois de plus hors des sentiers battus. Nous retrouvons une Christine Collins métamorphosée par son séjour forcé à l’asile. Elle n’est plus la victime passive des évènements, mais une femme profondément transformée par une succession de drames, et qui a su trouver la force d’y faire face. Soutenue par le Révérend Briegleb et l’avocat S.S. Hahn, Christine devient le fer de lance d’une population en colère contre les puissants sensés la protéger. Elle le souligne bien, le LAPD a « déclenché une bagarre » qu’elle est décidée à mettre fin, reprenant les mots qu’elle disait à son fils avant sa disparition. Deux procès livrés en parallèle vont clairement démasquer l’imposture des chefs du LAPD, et lier inextricablement les destins de Christine et de Gordon Northcott.
Les procès filmés par Eastwood sont source, une fois de plus, de scènes trés fortes. Dans la grande salle du Palais de Justice, Maître S.S. Hahn enfonce magistralement Jones et ses supérieurs, bien empêtrés dans leurs mensonges et leurs jeux sur les mots, et fait éclater la Vérité sur leurs méthodes honteuses. On est bien loin du savoureux procès filmé par Clint Eastwood dans MINUIT DANS LE JARDIN DU BIEN ET DU MAL, où tout le monde semblait bien arranger la Vérité à sa façon ! Toutefois, ce grand procès a alors moins d’importance que celui qui a lieu dans une salle annexe, où Christine et les parents des petites victimes assistent au procès de Gordon Northcott. Se noue alors sous nos yeux stupéfaits un lien étrange entre la jeune femme et le bourreau probable de son enfant, qui n’a pas été identifié parmi les restes des victimes. Northcott se pose en victime, défie les autorités et le public… mais désigne Christine Collins en disant : « la seule belle âme dans cette salle, c’est elle. » Incroyable déclaration, qui semble tout à fait sincère, de la part du tueur – à moins qu’il ne s’agisse de sa part d’une tentative de manipulation en sa faveur ? Les dernières déclarations de Northcott après l’énoncé de sa condamnation à mort jettent aussi le trouble : « Walter était un ange. Je ne l’ai jamais touché. » Est-il alors possible qu’il ait épargné l’enfant de Christine, ou bien s’agit-il d’un nouveau mensonge de sa part ?
ci-dessus : le meurtrier de Wineville – en haut, le véritable Gordon Northcott, photographié en 1930 ; en bas : Jason Butler Harner interprète Northcott dans CHANGELING.
Il faut dire qu’avec les cas de tueurs en série, rien n’est jamais simple. Les faits le rappellent hélas constamment, ils ont tous été des enfants martyrs. L’enfance de Gordon Northcott, hélas, ne déroge pas à la règle : né d’un viol incestueux commis par son grand-père sur sa mère, Northcott subit mauvais traitements et viols au sein de sa propre famille durant son enfance. Avec un tel handicap de départ, il n’est malheureusement pas étonnant qu’il soit devenu un psychopathe meurtrier. Clint Eastwood n’évoque pas l’enfance dramatique de Northcott, ce qui pourrait être perçu comme une excuse à ses actes, mais cultive néanmoins l’ambiguïté. Le tueur provoque certes une répugnance légitime, mais aussi une curieuse empathie à certains moments. Northcott n’est pas un « super-vilain » suprêmement habile et intelligent, à la Hannibal Lecter, mais un pauvre type, que sa famille a peu à peu transformé en monstre, à force de sévices répétés.
Cette ambiguïté, Eastwood va la cultiver jusqu’au bout, via le face-à-face final de Christine avec Northcott. Ce dernier, à la veille de son exécution à San Quentin, demande subitement à la voir. Elle en est sûre, il est prêt à lui dire ce qu’il a fait de Walter, s’il est vivant ou non. Mais Northcott demeure insaisissable jusqu’au bout : veut-il réellement lui faire des aveux, ou se jouer d’elle ? Il prétend n’avoir rien à dire, se contredit… et provoque la colère de sa visiteuse, au point qu’elle lui saute dessus et le terrorise ! La scène, tendue, laisse deviner une faille chez Christine, qui n’est sans doute pas ressortie psychologiquement indemne de ses épreuves. Eastwood conclut même la scène en l’enfermant, folle furieuse, derrière la porte grillagée de la salle d’interrogatoire. Comme si la démence avait fini par la posséder…
Puis vient la pendaison du tueur, une séquence blafarde et atroce. Ce n’est pas la première fois, certes, que la question de la peine de mort se pose dans l’oeuvre du cinéaste. Souvenons-nous : après avoir échappé avec humour à la potence dans LE BON, LA BRUTE ET LE TRUAND, Clint fut le producteur et interprète de PENDEZ-LES HAUT ET COURT, tout premier film créé par sa compagnie Malpaso. Il y renvoyait déjà dos à dos les lynchages et la justice d’Etat expéditive, envoyant de pauvres types comme de dangereux criminels à la potence. Et dans TRUE CRIME / Jugé Coupable, il sauvait in extremis un innocent condamné à mort, victime du racisme (le condamné est Noir) et des circonstances. Dans CHANGELING, Clint Eastwood va jusqu’au bout de son propos, quitte à déranger beaucoup de spectateurs. Gordon Northcott est pendu pour ses crimes, sous les yeux des parents et de Christine. La punition est juste, et pourtant… la « Bête » monte à l’échafaud, narquois et insultant tout le monde. Puis, sous nos yeux, le monstre redevient un petit enfant, d’abord inquiet (« ça fait mal ? » demande-t-il naïvement, alors qu’on lui passe la corde au cou) puis terrorisé, se mettant à chantonner « Sainte Nuit… » à l’instant fatal. L’exécution, vue à travers les yeux d’une Christine émue, ne laisse au spectateur aucun sentiment de satisfaction. Les derniers spasmes de Northcott mettent fin au supplice.
Après toutes ces souffrances, CHANGELING se clôt d’une façon inattendue. Eastwood aime toujours prendre le spectateur à contrepied. Il le laisse d’abord se détendre un peu, via la scène où le « faux Walter », Arthur Hutchins, est renvoyé à sa vraie famille – pitoyable mise en scène organisée par le Chef Davis, faisant écho aux fausses retrouvailles du début. Le gamin a prétendu être Walter, juste pour voir le cow-boy Tom Mix à Hollywood… à moins qu’il ne voulait échapper à sa famille qu’on devine peu chaleureuse. Le spectateur rit jaune quand Arthur, en quelques mots bien sentis, ridiculise Davis devant les photographes. La vérité sort de la bouche des enfants…
Ci-dessus : trouvé sur le Net, ce montage de photos d’époque montrant quelques-uns des acteurs du drame : la vraie Christine Collins, son fils Walter, Arthur Hutchins, Sanford Clark, le tueur Gordon Northcott… Ce document évoque aussi le rôle de la mère de Northcott, absente du film. Il affirme aussi que le Capitaine J.J. Jones n’a jamais payé à Christine Collins l’amende qu’il devait légalement lui verser après son procès.
L’épilogue de CHANGELING, situé en 1935, vient une nouvelle fois semer le Grand Doute dans l’esprit du spectateur. Un enfant, David Clay, a survécu à son kidnapping par Northcott, et revient à ses parents. Devenu adolescent, David raconte la conduite héroïque du petit Walter, qui l’a aidé à s’échapper et s’est lui-même enfui de la ferme maudite. Pour les parents Clay, c’est indiscutablement un happy end. Pour Christine Collins, la renaissance d’un espoir. Mais les faits sont là : elle ne reverra jamais son fils. La dernière scène laisse songeur : Christine Collins a-t-elle retrouvé la paix de l’esprit, ou bien est-elle folle ? Folle d’attendre un signe, un espoir, le retour de son petit garçon disparu…Se pose alors LA question : Walter Collins a-t-il survécu ? La première réaction, dictée par la froide logique, est de se dire qu’il est hélas sans doute mort, tué par Northcott. Oui, mais certaines paroles prononcés par le tueur dans la scène du procès reviennent alors en mémoire. Souvenez-vous : « Walter était un ange. Je ne l’ai jamais touché. » Les fouilles établies par la police n’ont jamais pu établir que Walter était l’une des victimes. Reste le témoignage du survivant, David Clay. Quatre gamins s’échappent de l’enclos où Northcott les enfermait. Deux d’entre eux, les frères Winslow, ont hélas été retrouvés et assassinés par le tueur. David Clay, sauvé par Walter, disparaît dans la nature ; il sera recueilli par une autre famille, et, par peur et honte, attendra sept années avant de revenir à ses parents. Si Walter s’est lui aussi caché et a trouvé refuge ailleurs, pourquoi n’a-t-il jamais cherché à retrouver sa mère ? On reviendra alors aux premières scènes du film : une fugue pour retrouver son père, dont nous ignorons tout ? Veut-il ne pas retrouver Christine ?… A-t-il été tué par Northcott, comme les frères Winslow, ou bien a-t-il trouvé la mort dans d’autres circonstances ? Le mystère ne sera jamais résolu. Insupportable, cette ambiguïté, pour certains spectateurs, qui faute de se voir offrir une réponse facile sur un plateau, ont reproché au film un happy end de façade qui n’existe pas.
ci-dessus : Clint Eastwood et Angelina Jolie répondent à une interview (non sous-titrée) sur l’histoire de Christine Collins. Avec deux brefs extraits du film où Christine (Angelina Jolie) se confronte au Capitaine Jones (Jeffrey Donovan), et où elle trouve le soutien du Révérend Briegleb (John Malkovich).
Voilà, j’en ai dit beaucoup sur l’histoire de CHANGELING, sans trop me pencher sur toutes les autres qualités du film de Clint Eastwood. Et pourtant, Dieu sait qu’il y a beaucoup à dire ! Je saluerai pour conclure le sens du détail d’époque, toujours bien vu, dont fait preuve le cinéaste : les patins à roulettes de Christine à son travail ; la circulation automobile, limitée (Los Angeles, en 1928, ne connaissait pas encore les monstrueux embouteillages et les autoroutes de notre époque) et les quartiers tranquilles de la Cité des Anges, les motards de la police, un diner portant le nom de Bummy’s (hommage affectueux à Henry Bumstead, grand chef décorateur de cinéma, ami et collaborateur de Clint récemment disparu)… L’atmosphère du film repose également sur l’immense talent du chef opérateur Tom Stern, toujours à l’aise avec les ombres « eastwoodiennes ». La musique, signée de Clint, joue un rôle discret mais important, le cinéaste et compositeur signant un nouveau thème mélancolique entêtant. Les acteurs sont tous prodigieux. John Malkovich livre une superbe prestation, pour ses retrouvailles avec Clint, quinze ans après DANS LA LIGNE DE MIRE. Ici, Malkovich est magistral dans le rôle du Révérend Briegleb, un homme digne et intègre dans une ville corrompue. Tous les seconds rôles, jusqu’à la plus modeste silhouette, sont trés bons : Jeffrey Donovan, détestable à souhait en Capitaine J.J. Jones ; Jason Butler Harner, qui joue le rôle du tueur, est à la fois terrorisant et pathétique ; Amy Ryan est touchante dans le rôle de Carol Dexter. Les gamins sont parfaits de naturel, dans un film difficile. Enfin, Angelina Jolie nous rappelle ici qu’avant d’être une cible à paparazzi, ou la « meuf » caricaturale de films d’action décérébrés, elle est une actrice exceptionnelle. Investie à fond dans le rôle de Christine Collins, Angelina est totalement crédible en petite bonne femme du peuple confrontée aux pires épreuves qu’une mère puisse vivre. On oublie son côté « star » pour ne voir que Christine Collins. Le jury des Golden Globes ne s’y est pas trompé en la nommant pour le titre de Meilleure Actrice, et il n’y a aucun doute que les Oscars feront de même – en la récompensant. Car elle le mérite bien, ce petit bout de femme au coeur de lion !
Ma note :
Ludovicogeling
CHANGELING / L’Echange
Réalisé par Clint EASTWOOD Scénario de J. Michael STRACZYNSKI
Avec : Angelina JOLIE (Christine Collins), John MALKOVICH (Révérend Gustav Briegleb), Jeffrey DONOVAN (Capitaine J.J. Jones), Michael KELLY (Inspecteur Lester Ybarra), Jason BUTLER HARNER (Gordon Northcott), Amy RYAN (Carol Dexter), Geoffrey PIERSON (S.S. Hahn), Colm FEORE (Chef James E. Davis), Eddie ALDERSON (Sanford Clark), Asher AXE (David Clay), Devon CONTI (Arthur Hutchins), Gattlin GRIFFITH (Walter Collins), Lily KNIGHT (Mrs. Leanne Clay), Dennis O’HARE (Docteur Jonathan Steele)
Produit par Clint EASTWOOD, Brian GRAZER, Ron HOWARD et Robert LORENZ (Imagine Entertainment / Malpaso Productions / Relativity Media) Producteurs Exécutifs Geyer KOSINSKI, Tim MOORE et James WHITAKER
Musique Clint EASTWOOD Photo Tom STERN Montage Joel COX et Gary ROACH Casting Ellen CHENOWETH
Décors James J. MURAKAMI Direction Artistique Patrick M. SULLIVAN Jr. Costumes Deborah HOPPER
1er Assistant Réalisateur Donald MURPHY
Mixage Son John T. REITZ et Gregg RUDLOFF Montage Son Bub ASMAN et Alan Robert MURRAY
Distribution USA : Universal Pictures / Universal Studios / Distribution INTERNATIONAL : UIP
Durée : 2 heures 21