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Archives pour février 2009

Enfant des Vieux Jours – L’ETRANGE HISTOIRE DE BENJAMIN BUTTON

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L’ÉTRANGE HISTOIRE DE BENJAMIN BUTTON, de David Fincher  

L’Histoire :    

 

la Nouvelle-Orléans, fin du mois d‘août 2005. Alors que l‘ouragan Katrina s‘approche des côtes, une vieille femme, Daisy Fuller, se meurt dans son lit d’hôpital. Elle raconte à sa fille Caroline l‘histoire d‘un horloger aveugle, Gateau, qui fabriqua en 1918 la grande horloge de la gare centrale de la ville. Fou de chagrin d’avoir perdu son fils dans la Grande Guerre, Gateau conçut exprès l‘horloge de façon à ce qu‘elle tourne à l‘envers, en souvenir de tous les jeunes soldats morts au combat. Daisy demande à Caroline de lui lire un journal rempli de cartes postales et de photographies, ayant appartenus à un certain Benjamin Button…  

 

Celui-ci naquit la nuit de l‘Armistice, le 11 novembre 1918, dans la capitale de la Louisiane. Malheureusement, sa mère mourut en couches. Le père, Thomas, découvrit que le bébé était atteint d‘une étrange maladie : son aspect et sa condition physique étaient celles d‘un vieillard de 80 ans. Brisé par le chagrin, il faillit jeter le bébé dans le fleuve, avant de s‘enfuir devant un policier, et déposa finalement le nouveau-né sur le porche d‘un foyer pour personnes âgées. Un couple de domestiques Noirs, Queenie et Tizzy, le recueillirent. Stérile, Queenie décida de garder et d‘élever le bébé, qu‘elle nomma Benjamin, comme son propre fils, malgré le désaccord de Tizzy…  

Au fil des années, le petit Benjamin vit dans le paisible hospice, élevé avec tendresse par Queenie. En grandissant, il garde son aspect et ses déficiences de vieillard, mais se rend compte peu à peu qu’il rajeunit ! Curieux du monde extérieur, Benjamin fait une série de rencontres qui vont bouleverser sa vie. Il fait la connaissance de Daisy, une fillette de son âge, qui devient sa meilleure amie. À 15 ans, il rencontre Ngunda Oti, un Pygmée, jadis vedette d’un zoo humain, dont les récits de voyage enflamment son imagination. Benjamin rencontre aussi « Captain Mike » Clarke, un marin pilote de remorqueur, qui devient son ami et l’entraîne dans les quartiers chauds de la Nouvelle-Orléans. Thomas, son père qu’il n’a jamais connu, le retrouve et sympathise avec lui – sans lui dire qui il est. En 1936, Benjamin, qui continue à rajeunir d’année en année, décide de quitter l’hospice, et part sur le remorqueur de Mike, le Chelsea, pour voir le monde…  

la Critique :  

La messe est dite. Bien que la cérémonie des Oscars n’ait lieu que dimanche, les pronostiqueurs autodésignés « experts » du Net annoncent déjà la victoire de SLUMDOG MILLIONNAIRE comme meilleur film et de Mickey Rourke comme meilleur acteur. N’ayant toujours pas vu le premier, sorti depuis plusieurs semaines, ni THE WRESTLER, je me garderai de tout commentaire à leur sujet. Il me semble cependant que le nouveau film de David Fincher, L’ÉTRANGE HISTOIRE DE BENJAMIN BUTTON conserve toutes ses chances, mais la vox populi a parlé… un peu hâtivement. Pensez donc, avec ses 150 millions de dollars de budget, son casting en or et son cachet de superproduction hollywoodienne, BENJAMIN BUTTON devient paradoxalement le « vilain petit canard » par rapport à ses principaux concurrents, plébiscités pour le simple fait qu’ils représentent le Cinéma Indépendant dans toute sa gloire. Un cinéma forcément inattaquable et intouchable, car tellement dans l’air du temps (comprendre : à la mode, hype, comme on dit maintenant pour faire branché), et pas du tout manipulateur comme ces grosses machines indécentes en pleine crise financière mondiale, ma bonne dame…. Les coups de cœur du public et de la presse officielle mènent cependant régulièrement à de grosses erreurs de jugement. BENJAMIN BUTTON, derrière son apparence de film de studio, appartient totalement à son créateur David Fincher. Celui-ci a pris un gros risque en changeant de registre, quittant ses thrillers aux ambiances poisseuses pour un film inclassable, et passionnant à plus d’un titre.  

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Ci-dessus : la bande-annonce en VF de BENJAMIN BUTTON.    

À l’origine de BENJAMIN BUTTON, il y a une nouvelle de 11 pages signée du grand écrivain F. Scott Fitzgerald. Concise, pleine de la mélancolie typique de l’auteur de GATSBY LE MAGNIFIQUE, elle fait ici l’objet d’une adaptation fleuve, œuvre du talentueux scénariste oscarisé de FORREST GUMP, Eric Roth, à qui l’on doit aussi les scripts complexes de THE INSIDER/Révélations et ALI de Michael Mann et MUNICH de Steven Spielberg. Lequel Spielberg fut d’ailleurs longtemps intéressé par le scénario de Roth, avant de passer la main pour d’autres projets. Ses amis et collaborateurs de longue date, les producteurs Kathleen Kennedy et Frank Marshall, se sont tourné vers un autre virtuose de la caméra, David Fincher. En l’espace de 6 longs-métrages remarquables, le réalisateur de 47 ans s’est forgé une brillante réputation qui n’a rien d’usurpée. Voyez plutôt : ALIEN 3, brillante et funèbre conclusion de la trilogie horrifique spatiale (on oubliera les suites et fausses séquelles qui ont suivi) ; SEVEN, terrifiante descente aux Enfers, succès mondial qui a propulsé son réalisateur et son acteur vedette Brad Pitt au sommet ; THE GAME, thriller énigmatique, glaçant et intrigant, malgré une conclusion peu crédible ; le virulent, caustique et politiquement incorrect FIGHT CLUB, digne héritier de l’ORANGE MÉCANIQUE de Stanley Kubrick ; PANIC ROOM, thriller claustrophobe plus classique, solidement mené, malgré une débauche de prouesses visuelles superflues ; et le magistral ZODIAC sorti l’an dernier, reconstitution angoissante et palpitante d’une vraie chasse au tueur en série dans la Californie des années 70. Une filmographie très riche donc, où Fincher excelle à créer des atmosphères inquiétantes, un style exigeant propice aux expérimentations cinématographiques les plus poussées, et tire généralement le meilleur de ses acteurs. BENJAMIN BUTTON lui permet de sortir de ses univers de thrillers, tout en lui offrant, à travers un scénario complexe, un nouveau jeu de signes et d’indices cachés des plus habiles. Le tout dissimulé dans un film atypique, à la fois drame intimiste, épopée, romance mélancolique, comédie et fantaisie.  

 

BENJAMIN BUTTON, c’est d’abord une histoire où le Temps règne en maître. Sur la vie et la mort de Benjamin Button et Daisy Fuller, mais aussi sur l’histoire d’une ville, La Nouvelle-Orléans, et sur la grande Histoire elle-même. Dès les premières minutes, et l’étrange récit fait par une vieille femme mourante, Fincher et Roth nous emmènent dans leur univers et leurs obsessions. À la fin de la Grande Guerre, l’horloger aveugle Gateau, accablé par le chagrin d’avoir perdu son fils au combat, fabrique une horloge pour la gare de la Nouvelle-Orléans. Celle-ci tourne à l’envers, exprimant la douleur inconsolable de Gateau, personnage mystérieux dont l’œuvre influera sur le cours de la vie du héros… Durant ses 85 années d‘existence, Benjamin Button (dont la propre horloge interne, biologique, est inversée) va traverser les périodes historiques ; né la nuit de l’Armistice du 11 novembre 1918, il va connaître la Grande Dépression, la 2e Guerre Mondiale, les années de liberté des sixties… jusqu’à son récit posthume, partagé par Daisy et sa fille Caroline alors que l’Ouragan Katrina s’apprête à dévaster La Nouvelle-Orléans, ce 29 août 2005.  

 

Le Temps rassemble Benjamin et Daisy, depuis l’enfance, où leur affection réciproque naît autour d’un conte où une horloge joue un grand rôle, jusqu’à l’âge adulte, où il goûteront quelques années d’un bonheur conjugal bien bref, avant la vieillesse inéluctable qui va rendre leur relation encore plus bouleversante.

L’élément Temps est lié à la Mort, omniprésente dans ce récit où Benjamin passe ses jeunes années dans une maison de retraite paisible, où la vie est comme suspendue entre deux décès des locataires, visités dans leur sommeil par la « Vieille Amie » faucheuse de vies. C’est aussi le Temps suspendu dans les rencontres nocturnes entre Benjamin et Elizabeth Abbott, la distinguée britannique avec qui il a une liaison à Mourmansk, en URSS, à la fin des années 30. Une liaison qui n’existe que durant les longues heures nocturnes partagées dans les couloirs d’un hôtel fantomatique… C’est aussi le Temps passé, évoqué par Thomas, le père de Benjamin, inconsolable de la mort de son épouse et hanté par son passé. Il est aussi énormément question de Destin et d’immortalité, notions évoqués par le personnage du marin alcoolique, « Captain Mike », obnubilé par les battements d’ailes du colibri (qui forment le parfait symbole de l’Infini) et les références mythologiques aux Parques (lorsqu’il meurt dans les bras de Benjamin après l’attaque de l’U-Boot). Les apparitions du colibri, en deux moments-clés du récit, symbolisent ici la libération de l’âme, l’achèvement d’un cycle inéluctable représenté par l’Horloge de Mr. Gateau. On notera au passage une possible référence faite par Fincher à un de ses films favoris, BLADE RUNNER de Ridley Scott, où l’envol final d’une colombe évoquait la même idée. De même, la très belle scène du décès de Benjamin n’est pas sans évoquer un autre de ses films favoris, 2001 : L’ODYSSÉE DE L’ESPACE de Stanley Kubrick. Benjamin vieillit en redevenant un nourrisson, dont l’ultime regard plein de douceur et d’interrogation à Daisy renvoie à celui que nous adressait l’astronaute Bowman devenu Enfant des Étoiles à la fin du chef-d’œuvre de Kubrick. L’idée étant la même, à savoir que le héros, au terme de son voyage, a réussi à fermer le cycle du Destin et connaît une renaissance symbolique.  

 

Le récit du film est aussi un véritable jeu de piste et de signes à décoder pour le spectateur. Le titre original, THE CURIOUS CASE OF BENJAMIN BUTTON, est déjà une énigme en soi. David Fincher aime les titres « cryptés » (voir plus haut), et celui-ci n’y fait pas exception. Le « curious case » du titre original peut se traduire à la fois comme « le cas curieux » médical de Benjamin, né avec les déficiences d’un vieillard (on pense à la terrible maladie du Progéria, bien que le scénario évite tout pathos ou référence appuyée). Il peut aussi être traduit comme « l’affaire juridique curieuse » évoquant peut-être la question de l’héritage financier légué par le père de Benjamin, et l’héritage spirituel que celui-ci laisse à Caroline. Mais « case » en anglais désigne aussi une valise, une mallette ou une sacoche… comme celle que Daisy garde à l’hôpital, remplie des souvenirs de son défunt amour !  

Le nom du héros aussi est un véritable « code » que Fincher et Roth affichent sous nos yeux. Le nom de famille, « Button », évoque le métier de Thomas, le père de Benjamin. Il dirige une fabrique de boutons, ironiquement nommée « les Boutons Button » ! Manière de suggérer la dualité de ce père qui le rejette puis l’aime, ou d’évoquer les répétitions qui jalonnent la vie de Benjamin. Fincher s’amuse d’ailleurs avec les boutons, en refaisant les logos des studios ouvrant le film… Benjamin possèdera plus tard un yacht, le « Button Up » (en anglais, « buttoned up » signifie à la fois « boutonné jusqu’au cou » et « silencieux, renfermé », ce qui correspond bien au caractère du personnage). Ces boutons, omniprésents dans le film, symbolisent les choses les plus anodines du quotidien, peut-être représentent-ils l’aspect apparemment insignifiant du petit Benjamin, nouveau-né difforme que tout le monde croit condamné à mourir vite. Mais ils ont aussi une valeur historique forte. Les plus anciens boutons auraient été fabriqués deux millénaires avant notre ère, dans la Vallée de l’Indus. À la fin de son odyssée, Benjamin va justement passer ses dernières années de voyage en Inde, aux origines de l’Histoire Humaine…  

Le prénom du héros est lui aussi fortement symbolique. Sa mère adoptive, Queenie (formidable Taraji P. Henson), fervente chrétienne, lui choisit celui de Benjamin. Ce n’est pas par hasard. Dans l’Ancien Testament, Benjamin est le dernier-né de Jacob et Rachel, les parents fondateurs d’Israël. Celle-ci mourut en couches après l’avoir engendré. Comme Mrs. Button, la mère biologique, dans le film ! Benjamin est essentiellement évoqué enfant dans l’Ancien Testament, restant aux côtés de son père jusqu’à sa mort – à l’instar de Benjamin qui veille sur son père mourant dans le film. Le prénom Benjamin signifie plusieurs choses : « fils de la droite » (comprendre : le côté favorable, sans connotation politique !), mais aussi « enfant de la souffrance », ou « fils des vieux jours »… Une définition profondément mélancolique, qui va parfaitement à Benjamin Button, hanté par les figures maternelles : sa vraie mère, morte à sa naissance ; Queenie, qui est stérile pendant des années avant de donner naissance à une fille ; et Daisy, qui manque de perdre leur bébé à la naissance (reflet de la mort de la mère de Benjamin) avant de finir par materner Benjamin dans ses derniers mois, comme une figure inversée de la Nativité…  

D’autres symboles forts traversent le film : telle la répétition des personnages handicapés par une blessure à la jambe. Enfant, Benjamin est paralysé, puis apprend à marcher avec des béquilles avant d’arriver à être autonome (cela n’est pas sans rappeler le scénario de FORREST GUMP, où le jeune héros se libère symboliquement de ses entraves aux jambes) ; il retrouvera après la guerre son père devenu boiteux et incapable de marcher seul ; et Daisy voit sa carrière de danseuse brisée par un accident qui lui laisse une jambe en miettes.  

 

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Ci-dessus : pas d’extrait de film, mais un aperçu de la très belle musique de BENJAMIN BUTTON, signée du compositeur français Alexandre Desplat. Il s’agit de la piste 2 du CD, intitulée « Mr Gateau ».  

 

Autre élément omniprésent au récit, l’Eau, qui manifestement obsède Fincher dans ses films. Petit rappel dans ses autres films : l’eau est fatale à l’Alien ; le taxi qui entraîne Michael Douglas dans les eaux de la Baie de San Francisco dans THE GAME ; l’accident automobile fatidique, sous la pluie battante, de FIGHT CLUB ; la pluie incessante qui tombe dans SEVEN et PANIC ROOM ; et les meurtres du Zodiaque, survenant auprès d’un point d’eau (la terrifiante scène du Lac Berryessa)… Le cadre de la Nouvelle-Orléans se prête admirablement bien à cet élément naturel si important. L’horloger disparaît sur une barque dans les flots ; Thomas songe à noyer Benjamin nouveau-né dans le fleuve ; Benjamin découvre ses changements physiques dans la salle de bain ; il s’émancipe en travaillant sur l’eau, à bord du remorqueur de Mike, puis voyage sur les océans avec lui (jusqu’à l’affrontement épique avec un sous-marin allemand entouré de cadavres) ; Thomas meurt au bord du Lac Pontchartrain ; Daisy se livre à une danse séductrice sous une pluie nocturne… jusqu’au grand finale du film, situé sous le déchaînement de l’Ouragan Katrina, et ce magnifique dernier plan de l’horloge engloutie dans les eaux…  

On s’amusera aussi des clins d’œil que Fincher adresse à ses connaisseurs. Septième long-métrage du cinéaste, BENJAMIN BUTTON ne peut pas manquer d’évoquer le premier succès de Fincher et son acteur favori, Brad Pitt, parfait de bout en bout. Dans la savoureuse séquence du Guérisseur de la Foi, le petit Benjamin donne son âge au prêtre. « Seven, I think » en VO ! Un leitmotiv qui revient dans les moments humoristiques, amenés par le retraité Mr. Dawes, l’homme qui a été frappé sept fois par la foudre ! L’occasion pour Fincher de créer d’hilarantes petites saynètes en noir et blanc, montrant les mésaventures « électrisantes » de Mr. Dawes, à la façon de Buster Keaton. Rires garantis à chaque fois !  

 

On l’aura compris, le scénario d’Eric Roth est particulièrement dense, intelligent et bien conçu. Il y a certes une ressemblance déjà évoquée avec certains éléments narratifs de FORREST GUMP. Le chef-d’œuvre de Robert Zemeckis et BENJAMIN BUTTON partagent bien des points communs : on y suit le voyage d’une vie fait par un homme « anormal », orphelin et innocent, qui va rencontrer dès l’enfance son grand amour. Les deux histoires se passent en grande partie dans le Vieux Sud des USA (Alabama chez GUMP, Louisiane chez BUTTON), le héros y perd son meilleur ami durant la guerre (mort de Bubba au Viêtnam ; mort de Mike durant la 2e Guerre Mondiale) et traverse l’Histoire de son pays…

Il ne faut cependant pas y voir un plagiat, plutôt un lien de parenté scénaristique – et le traitement par les cinéastes fait la différence. Robert Zemeckis a une sensibilité humoristique très forte, lumineuse, qui fait « passer la pilule » des moments plus tristes, tandis que Fincher se montre plus mélancolique, « obscur ».  

 

S’il fallait adresser un réel reproche à BENJAMIN BUTTON, ce serait plutôt sur sa partie « romantique ». Après le premier acte impeccablement mené et raconté, riches en péripéties et surprises, l’histoire d’amour de Benjamin et Daisy, paraît fade en comparaison. On sent que Fincher n’est pas autant à l’aise qu’avec son premier acte, les « love stories » n’étant pas ce qui l’intéresse dans son univers cinématographique. Elles ne sont pas bien brillantes, et ne finissent pas par des happy ends : la liaison de Ripley et Clemens, dans ALIEN 3, est brutalement écourtée par le monstre ; les Mills, dans SEVEN, sont un jeune couple pas si heureux que ça, et connaissent une fin horrible ; les Graysmith verront leur histoire rompue par l’obsession du mari pour les meurtres du ZODIAC. Les réconciliations dans FIGHT CLUB et PANIC ROOM sont pour le moins sanglantes. Nicholas Van Orton, le protagoniste de THE GAME, a bien une attirance pour la jolie fausse serveuse Christine, mais le réalisateur nous laisse dans l’incertitude…

On le voit, le bilan des couples « finchériens » n’est pas joyeux ! La donne change quelque peu avec BENJAMIN BUTTON, où l’histoire d’amour est le noyau central du récit. Mais le pessimisme est une nouvelle fois présent, malgré la douceur apparente. Fincher tente des « trucs » et astuces narratives pour faire passer la sauce – comme de décrire l’enchaînement d’incidents qui va mener à l’accident de Daisy à Paris. Une séquence réussie mais qui, curieusement, fait plus penser alors à AMÉLIE POULAIN qu’autre chose… Heureusement, ces trouvailles, qui traduisent peut-être le malaise du réalisateur à raconter une simple histoire d’amour, passent, grâce à l’alchimie et la présence du couple Brad Pitt – Cate Blanchett. Aussi bancal soit-il, ce deuxième acte est en tout cas nécessaire pour nous amener à une conclusion émouvante, d’une grande tristesse poétique, où Fincher ne joue plus « à l’épate » et touche au cœur même de son sujet : Daisy, vieille femme, sacrifie son amour pour Benjamin, devenant sous nos yeux ce nourrisson de 85 ans, et veille sur lui dans ses derniers instants. Image sublime où le dernier regard de Benjamin est pour cette vieille dame qu’il continue à aimer et reconnaître, malgré la détérioration de sa mémoire…  

 

 

Ce tour d’horizon de BENJAMIN BUTTON ne serait pas complet sans évoquer ses personnages secondaires. Nous en avons cité quelques-uns (Queenie, Thomas, Mr. Dawes), mais il faudrait en citer d’autres, tout aussi importants. Tel Oti, le Pygmée, qui a fait partie d’un Zoo Humain (ces spectacles étaient hélas monnaie courante il y a encore un siècle) et entraîne Benjamin hors de la maison de retraite pour découvrir la ville. Benjamin l’accompagne même sur les sièges du tramway réservé aux Noirs (la ségrégation fonctionne encore à ce moment du récit) sans ressentir la moindre gêne : né d’une riche famille Blanche mais élevé par une domestique Noire, il est membre à part entière de la communauté de sa mère adoptive ! On citera aussi le compagnon de Queenie, Tizzy, domestique lui aussi, mais passionné de théâtre et de poésie (il joue Shakespeare à merveille, devant un Benjamin stupéfait !) ; Elizabeth, la « Dame Fantôme » de Mourmansk, à qui Tilda Swinton prête ses traits aristocratiques (et dont la distinction et le physique androgyne la fait ressembler à Cate Blanchett, ce qui est sans doute délibéré de la part du réalisateur – toujours cette obsession pour la dualité et les effets de miroir…) ; le marin Captain Mike, personnage truculent « à l’Irlandaise », joué par l’excellent Jared Harris, a des allures de Michel Simon dans L’ATALANTE avec ses tatouages. Bien d’autres personnages, apparemment mineurs, ont aussi leur importance. Comme la prostituée qui déniaise Benjamin, mais, se trompant sur son âge, est épuisée par ce dernier ! Ou ce canonnier Cherokee, si fier d’être le plus patriote à bord du remorqueur de Captain Mike… Ou encore le Guérisseur de la Foi, à qui Fincher et Roth réservent une « chute » des plus caustiques…  

Si les acteurs des seconds rôles sont tous excellents, bien entendu, ce sont Brad Pitt et Cate Blanchett qui attirent les regards. Déjà très bons ensemble dans BABEL d’Alejandro Gonzalez Inarritu (où jouait la petite Elle Fanning, leur fille dans ce film, et qui interprète ici le rôle de Daisy enfant), les deux comédiens s’entendent visiblement à merveille. Ils sont tous deux extraordinaires ici ; la performance technique et les maquillages « vieillissants » sont vite oubliés, et, en quelques secondes, Brad Pitt nous convainc d’être cet « enfant vieillard » sans donner l’impression de forcer son talent. Il a trouvé le ton juste pour camper un personnage sensible, contemplatif, triste mais jamais mièvre. Cate Blanchett, elle, dégage à chaque scène une grâce surnaturelle, digne d‘une Greta Garbo… par une intonation, un geste, un regard, elle peut nous fait ressentir la douceur ou la douleur de Daisy. Immense actrice, dont le jeu subtil surprend à chaque nouveau rôle.  

 

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Ci-dessus : comment Brad Pitt réussit-il à incarner un enfant au corps de vieillard ? Ce petit reportage tv (en VO non sous-titré) vous donne la réponse. Les effets spéciaux du film combinent des acteurs-doublures, et des répliques digitales du visage de l’acteur maquillé par procédé numérique. Un résultat final absolument bluffant !  

 

Du côte de la mise en scène de Fincher, rien à redire non plus. BENJAMIN BUTTON confirme une nouvelle fois l’immense talent de metteur en images du cinéaste de FIGHT CLUB. L’expérimentation technique est toujours poussée et fascinante chez lui ; heureusement, au contraire d’un PANIC ROOM parasité par ses prouesses visuelles excessives, Fincher a su ici trouver le bon dosage. Les effets ne prennent pas ici le pas sur la dramaturgie et les personnages. Leur force vient de leur « invisibilité » : on se doute bien que Brad Pitt n’a pas vieilli et rapetissé prématurément pour les besoins du rôle, on devine qu’il y a bien des effets spéciaux très complexes (le fin du fin en matière de maquillages, d‘animatronique et de motion capture), mais on les oublie aussitôt. C’est tout simplement bluffant, tout comme la reconstitution d’une Nouvelle-Orléans des années 20 à nos jours, qui semble des plus naturelles. Le talent de Fincher éclate aussi dans l’ambiance nocturne hivernale de Mourmansk ; ainsi que dans la gestion d’un spectaculaire combat marin contre un U-Boot, séquence particulièrement intense. Saluons aussi enfin la maîtrise au millimètre de l’espace par Fincher, dans les séquences closes de la maison de retraite (son utilisation de la scénographie mériterait un livre entier), et le superbe travail du chef-opérateur Claudio Miranda, qui nous livre des scènes en clair-obscur absolument superbes.  

 

Même s’il souffre d’un défaut de longueur (vous êtes prévenus, trouvez-vous une salle confortable, sinon le « Syndrome du Mal aux Fesses » risque de frapper en cours de route !), BENJAMIN BUTTON est une expérience vraiment fascinante. Pour ses acteurs, son ambiance unique et sa grande force symbolique, le film mérite mieux que son étiquette hâtive de « Film à Oscars ». Fusion réussie entre le grand spectacle et les obsessions de son maître d’œuvre, il vous invite à un voyage inhabituel. Intemporel.  

 

ma note :  

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Ocivodul fo Esac Suoiruc Eht  

la Fiche Technique :  

 

THE CURIOUS CASE OF BENJAMIN BUTTON / L’Étrange Histoire de Benjamin Button  

Réalisé par David FINCHER   Scénario d’Eric ROTH, d’après la nouvelle de F. Scott FITZGERALD  

Avec : Brad PITT (Benjamin Button), Cate BLANCHETT (Daisy Fuller), Jared HARRIS (« Captain Mike » Clarke), Taraji P. HENSON (Queenie), Julia ORMOND (Caroline), Tilda SWINTON (Elizabeth Abbott), Mahershalalhashbaz ALI (Tizzy), Jason FLEMYNG (Thomas Button), Elias KOTEAS (Monsieur Gateau), Rampai MOHADI (Ngunda Oti), Elle FANNING (Daisy à 7 ans), Fiona HALE (Mrs. Hollister), Madisen BEATY (Daisy à 10 ans), Ted MANSON (Mr. Daws)  

Produit par Cean CHAFFIN, Kathleen KENNEDY, Frank MARSHALL, Jim DAVIDSON et Marykay POWELL (The Kennedy/Marshall Company / Paramount Pictures / Sessions Payroll Management / Warner Bros. Pictures)   

Musique Alexandre DESPLAT   Photo Claudio MIRANDA   Montage Kirk BAXTER et Angus WALL   Casting Laray MAYFIELD  

Décors Donald Graham BURT   Direction Artistique Tom RETA et Kelly CURLEY   Costumes Jacqueline WEST  

1er Assistant Réalisateur Bob WAGNER   Réalisateur 2e Équipe Tarsem SINGH (Inde)  

Mixage Son Ren KLYCE, David PARKER et Michael SEMANICK   Montage Son et Effets Spéciaux Sonores Ren KLYCE   Effets Spéciaux Visuels Eric BARBA, Craig BARRON, Charlie ITURRIAGA, Matt McDONALD, Daniel P. ROSEN et Edson WILLIAMS (Digital Domain / Matte World Digital / Asylum VFX / Eden FX / Evil Eye Pictures / Gentle Giant Studios / Hydraulx / Lola Visual Effects / Mova / Ollin Studio / Savage Visual Effects / Special Effects Atlantic)   Effets Spéciaux de Maquillages Greg CANNOM et Brian SIPE (Drac Studios)   Effets Spéciaux de Plateau Burt DALTON et Ryal COSGROVE   Effets Spéciaux Animatroniques Jim KUNDIG  

Distribution USA : Paramount Pictures / Distribution INTERNATIONAL : Warner Bros. Pictures  

Durée : 2 heures 46

La Morsure de Fenris – WALKYRIE

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WALKYRIE, de Bryan Singer  

L’Histoire :  

 

reconstitution de l’histoire vraie de l‘Opération Valkyrie, connue sous les noms de « Complot des Généraux » ou « Complot du 20 Juillet 1944 ».

 

1943, la 2e Guerre Mondiale bat son plein. Le Lieutenant-colonel Klaus Schenk von Stauffenberg, jeune officier aristocrate allemand prussien, a été transféré du front russe vers l’Afrique du Nord, pour avoir osé critiquer la politique guerrière de Hitler. Comme de nombreux officiers hauts placés dans la Wehrmacht, patriotes conservateurs mais non inscrits au Parti Nazi, et hostiles comme lui à la S.S., Stauffenberg estime que la politique raciste et meurtrière du IIIe Reich est une honte et une souillure pour l’Allemagne. Le 7 avril 1943 à Mezzouna en Tunisie, une attaque aérienne des Britanniques contre sa division le laisse vivant, mais gravement blessé et mutilé. Rapatrié dans un hôpital militaire en Allemagne, il retrouve son épouse Nina, et leurs enfants. Durant ses combats en Russie et en Afrique du Nord, il a pu aussi constater les terribles dégâts humains engendrés par la folie guerrière de Hitler et ses complices : les massacres de population civiles, le génocide des Juifs d’Europe centrale, des milliers de jeunes soldats allemands gravement blessés ou mutilés, et d’innombrables morts au combat dans chaque camp. Les bombardements Alliés ravagent les villes allemandes, entraînant aussi des milliers de morts parmi la population civile. 

 

Une connaissance de Stauffenberg, le Général Henning von Tresckow, de la Wehrmacht, est lui aussi révolté par la folie meurtrière du règne de Hitler. Le 13 mars 1943, il tente de le tuer en plaçant une bombe dans son avion, mais échoue dans son action. Se sachant fortement suspecté après cet échec, von Tresckow rencontre en grand secret plusieurs officiels allemands ; notamment le Général Friedrich Olbricht, l’ancien général Ludwig Beck, retraité de la Wehrmacht, et le Docteur Carl Goerdeler, maire de Leipzig. Ces hommes sont prêts à aller jusqu’au bout pour sauver l’Allemagne du dictateur, et éliminer celui-ci. Mais il leur faut un plan solide pour déjouer l’implacable appareil d’Etat du IIIe Reich et sauver leur patrie. Von Tresckow contacte Stauffenberg, qui accepte de se joindre à eux. Le jeune officier est décidé à tuer non seulement Hitler, mais aussi à mettre le IIIe Reich hors d’état de nuire. Autrement dit, il leur faudra arrêter ou éliminer coûte que coûte les principaux alliés de Hitler – Goebbels, Himmler et Goering, neutraliser la redoutable Gestapo et discréditer le corps meurtrier et fanatique des S.S.  

 

L’Opération Valkyrie, ainsi nommée d’après un plan d’urgence civile supposé au départ protéger Hitler, est lancée…  

la Critique :  

Marre. J’en ai tout simplement marre de lire, voir et entendre les mêmes inepties satisfaites ressurgir automatiquement, dès lors qu’il s’agit d’évoquer la sortie de chaque nouveau film ayant Tom Cruise pour vedette… A chaque fois, les pisse-copies professionnels de la presse française nous sortent le refrain traditionnel : Tom Cruise est le porte-parole de la Scientologie, Tom Cruise gagne des millions de dollars, Tom Cruise est adoré des foules, donc forcément Tom Cruise vide le cerveau de ses fans et de ses spectateurs depuis deux décennies pour enrichir sa secte, et gnagnagni et gnagnagna… Tom Cruise faux gentil, Tom Cruise manipulateur, Tom Cruise maléfique… à chaque fois, les mêmes articles haineux et bien rances, dissimulés derrière un voile de prétendue intelligence critique, cachent en fait des torrents de venin faciles à déverser sur la star et son « culte » certes dangereux…  

Comprenons-nous bien, il ne s’agit pas du tout ici de présenter Tom Cruise comme un saint homme, tout comme il n’est absolument pas question de défendre la Scientologie. Comme toutes les sectes, cette pseudo-religion, redoutable parce que financièrement puissante, et hélas admise aux USA comme une « vraie » religion, est néfaste parce qu’elle exploite des personnes influençables et s’enrichit au dépens de leur santé mentale. D’autant plus dangereuse qu’elle se sert d’acteurs prestigieux comme porte-paroles « cleans », rassurants et appréciés du grand public, tels Cruise ou John Travolta. Tout ceci est une évidence admise. Il ne s’agit pas non plus, on l’a dit, de chanter aveuglément les louanges de Tom Cruise, de décréter que tout ce qu’il a fait ou dit est forcément parfait et inattaquable. L’acteur-producteur n’a pas fait toujours des choix artistiques heureux - personnellement, je me passerais volontiers de ses productions Bruckheimer (TOP GUN et JOURS DE TONNERRE), de MISSION : IMPOSSIBLE 2 ou de VANILLA SKY… On peut aussi comprendre l’irritation de certains envers le besoin, presque obsessionnel, que semble éprouver Cruise à contrôler sa propre image de méga-star irréprochable. Mais il ne faut pas oublier que dans l’univers impitoyable du show-business, tous les collègues de Cruise procèdent de la sorte. On ne leur pardonne pas le moindre écart de conduite – voir les réactions disproportionnées qu’a déclenché le comédien en 2006 lorsqu’il a eu l’idée de sauter de joie sur le canapé de l’émission d’Oprah Winfrey…  

Mais, objectivement, est-ce que vous pensez qu’un acteur puisse se maintenir au sommet de sa profession pendant plus de 25 années, uniquement parce qu’il a le soutien d’une secte ? Quand on étudie la liste des cinéastes avec qui Cruise a travaillé, on ne trouve pratiquement que des personnalités fortes, pas des yes men sans âme et aux ordres. Tom Cruise sait prendre des risques, et se confronter à des metteurs en scène exigeants n’hésitant pas à souvent casser son image immaculée. Voyez plutôt : Francis Ford Coppola, Ridley Scott, Martin Scorsese, Oliver Stone, Barry Levinson, Ron Howard, Brian De Palma, Stanley Kubrick, Steven Spielberg, et bien d’autres… ces hommes-là ne travaillent pas avec Cruise pour servir la soupe à la Scientologie. Ces cinéastes connaissent les qualités de l’acteur, et ont un réel désir de travailler avec lui pour livrer la meilleure oeuvre possible. A savoir, faire du vrai Cinéma ! Ce que les plumitifs de service semblent incapables de comprendre, focalisés sur leur seul envie de vomir leur mauvaise foi et leur cynisme de pacotille, dissimulé sous l’apparence de la vertu. Au moins, s’ils faisaient leur travail sérieusement, ils oseraient peut-être s’attaquer de front au système Scientologue, à son fondateur (le médiocre écrivain L. Ron Hubbard) et aux mécanismes de ses dangereux procédés. Mais non, il est tellement plus facile de s’en prendre à Tom Cruise… Les petits journalistes se rendent-ils compte au moins qu’en procédant de la sorte, ils ne font qu’alimenter la paranoïa et le sentiment de persécution de la secte, lui font de la publicité, et causent du tort à ses victimes ? Qu’on donne les moyens aux spécialistes de la lutte contre les sectes de combattre celle-ci efficacement, avec intelligence et humanité. Tout, sauf cette médiocrité crasse dans les attaques. Si Tom Cruise considère qu’il adhère à une religion, non à une secte, tant pis (répétons-le, les chefs de la Scientologie ont hélas le droit américain pour eux). Qu’on n’en déduise pas hâtivement que tous ses admirateurs soient des lobotomisés volontaires, se prosternant devant chacune de ses apparitions. Un peu de respect, messieurs les plumitifs, pour ceux qui aiment simplement ses films et apprécient son travail !  

… Ouf, ça fait du bien parfois de pousser un coup de gueule. Pardonnez-moi cette entrée en matière un poil trop longue, mais il fallait bien que je commence de cette façon, vu l’hostilité malhonnête avec laquelle certains ont accueilli le nouveau film de l’ami Tom, WALKYRIE, mis en scène par Bryan Singer. Dans ce blog, j’essaie de mon mieux de parler de Cinéma, mais vu l’imbécillité de certaines critiques officielles publiées au sujet de ce film comme de tant d’autres, je me sens l’envie de ne pas braire avec les ânes…  

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Ci-dessus : la bande-annonce de VALKYRIE en VOST. 

Parlons de WALKYRIE, donc. L’annonce de la production du film de Bryan Singer allait déjà, on s’en doutait, provoquer polémique et suspicion. Des voix se sont élevées pour protester en Allemagne, d’une part parce que le sujet touchait à une période historique, le IIIe Reich, toujours délicate à traiter outre-Rhin, et d’autre part parce que Tom Cruise, en sa position de porte-parole scientologue, est régulièrement critiqué et menacé de boycott en Allemagne – inefficacement d’ailleurs, vu le succès du film au box-office national ! Vous pouviez être sûrs qu’à l’idée de voir Tom revêtir l’uniforme de la Wehrmacht sous la 2e Guerre Mondiale, les esprits chagrins étaient prêts à brandir l’artillerie de la FLAK contre leur bouc émissaire préféré… De même, les difficultés connues par Singer durant le tournage (la réticence des autorités à laisser tourner l’équipe dans le Bendlerblock - mémorial des officiers qui tentèrent de tuer Hitler et furent exécutés – ; l’accident suspect d’un groupe de figurants tombés d’un camion, et qui portèrent plainte contre la production ; la pellicule du film inexplicablement gâchée au développement dans un laboratoire allemand, obligeant Singer à effectuer des reshoots coûteux ; l’annonce du report de la date de sortie par le studio MGM) laissaient craindre la naissance d’un film « maudit » synonyme d’échec au box-office et de coup d’arrêt pour Tom Cruise. Mais c’était bien mal estimer la force d’un film remarquable, maîtrisé de bout en bout, et bien accueilli partout dans le monde – sauf par certains « professionnels » de la critique, sans doute bien plus borgnes que le Colonel Klaus Schenk von Stauffenberg, héros réel de cette tragique affaire.  

Encore jeune (44 ans), le réalisateur Bryan Singer n’est plus un inconnu du public. Son second long-métrage et film le plus célébré, USUAL SUSPECTS (1995), avait révélé son talent évident après un premier, PUBLIC ACCESS (Ennemi Public, 1993) passé inaperçu. USUAL SUSPECTS, mélange adroit de film noir et de thriller « déconstruit » avait gagné un statut de film « culte » pas immérité, en dépit d’un script à la conclusion roublarde quelque peu surestimée. Au moins, il fallait reconnaître à Singer un évident talent pour composer des ambiances tendues, et développer des personnages complexes évoluant en groupe – un futur point commun que le film partagerait avec WALKYRIE. Le film suivant, UN ELEVE DOUE (1998), tomba hélas quelque peu aux oubliettes, le sujet du film (un adolescent fasciné par le nazisme joue au maître-chanteur avec un vieillard, ancien criminel de guerre SS réfugié aux USA) ayant sans doute rebuté le public. Dominé par la prestation terrifiante de Ian McKellen, UN ELEVE DOUE évoquait pour la première fois l’univers sinistre du IIIe Reich dans le cinéma de Singer, réalisateur Juif ouvertement homosexuel, forcément hostile aux théories ignobles développées par les Nazis. Et qui pose aussi comme thème dans ses films la question de la résistance au Mal absolu. La folie homicide du Nazisme reviendra également dans son film suivant, X-MEN (2000). Une adaptation réussie et plutôt sombre du célèbre comic-book coloré de Marvel, débutant de façon inattendue par une séquence mémorable située au coeur de la Shoah. Renversant les principes manichéens des b.d. de super-héros, Singer n’hésitait pas à montrer les origines du super-vilain du film, Magnéto, et la naissance de ses pouvoirs, dans une scène dramatique où il assiste, enfant, à l’extermination de ses parents dans un camp de concentration. Si le reste du film et sa suite de 2003 se montraient plus conventionnels (action, effets spéciaux et explosions), le savoir-faire technique de Singer et son sens du casting (c’est lui qui a lancé Hugh Jackman !) faisaient la différence. Singer est devenu une valeur sûre du box-office et des blockbusters, quitte à s’enfermer dans un SUPERMAN RETURNS (2006) décevant. La réalisation de WALKYRIE venait à point nommé pour que Singer puisse sortir des « films comic-books » et reconstituer un contexte historique qui visiblement l’obsède.  

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une scène supprimée du montage final : le Maréchal Keitel (Kenneth Cranham) évacue Hitler (David Bamber) blessé après l’attentat.    

La grande force du scénario de WALKYRIE, co-écrit par Christopher McQuarrie, l’auteur d’USUAL SUSPECTS, c’est son souci d’authenticité absolue, et le respect des faits. L’attentat manqué du 20 juillet 1944 contre Adolf Hitler, fomenté par des officiers de la Wehrmacht opposés politiquement à ce dernier, est connu du grand public, sans qu’il en sache forcément les détail. Le scénario rappelle un état de fait qui n’est pas inventé : durant cette triste époque, beaucoup d’Allemands n’étaient pas Nazis… et, au sein de la Wehrmacht, nombre d’officiers étaient hostiles au Führer et à ses complices. Il ne faudrait certes pas cependant « blanchir » toute la Wehrmacht des nombreux crimes de guerre auxquels elle a participé (du moins, ses officiers les moins scrupuleux), mais Singer et McQuarrie choisissent de suivre avant tout un cercle d’officiers n’adhérant pas au Parti Nazi… tout en pointant du doigt la situation contradictoire qu’ils pouvaient ressentir en prononçant le serment d’allégeance à Hitler, évoqué en ouverture. Ceux qui vont organiser l’Opération Walkyrie sont des patriotes mûs par le sens du devoir, mais pas des fanatiques ; ils proviennent, comme Klaus Schenk von Stauffenberg, de lignées de fiers officiers prussiens aristocrates, plus proches du Kaiser Guillaume II que de Hitler. Ennemis du régime obligés de cacher leur opposition à Hitler et les bouchers de la S.S., Stauffenberg, l’ex-général Ludwig Beck, le maire de Leipzig Carl Goerdeler (ces deux hommes constituant les leaders de la résistance civile et militaire au IIIe Reich), les Généraux von Tresckow, Olbricht, von Witzleben et tous leurs alliés sont les témoins lucides de la déliquescence du Reich, engagé dans une guerre sur plusieurs fronts qui saigne à blanc l’Allemagne. Dégoûtés des mensonges de Hitler et de la violence meurtrière des SS, ces hommes-là sont parfaitement conscients des actes à accomplir pour renverser la dictature et mettre fin au carnage. Tout ceci est dramatisé bien évidemment pour les besoins du film - car il faut bien que les créateurs du film expriment leur point de vue -, mais rien n’est inventé par les scénaristes. La seule modification majeure de WALKYRIE, par rapport aux faits, est effectuée dès le début du film : la blessure de Stauffenberg en Tunisie a eu lieu en fait le 7 avril 1943, trois semaines après l’attentat manqué du Général von Tresckow contre Hitler à Smolensk (13 mars 1943). Singer inverse délibérément la chronologie des deux évènements pour donner à son film une structure cyclique, qui concordera avec les dernières scènes. Nous allons y revenir, car ce choix de construction touche à un aspect essentiel du film : l’importance accordée à la mythologie nordique.  

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Ci-dessus : une photo historique montrant le Colonel Klaus Schenk von Stauffenberg et l’un de ses complices, le Colonel Albrecht Mertz von Quirnheim.  

Le titre du film renvoie certes au nom de l’opération secrète qui devait abattre Hitler, ce 20 juillet 1944. Mais au fait, qu’est-ce qu’une Walkyrie ? Dans les légendes nordiques, elles sont les écuyères du dieu Odin, et conduisent les guerriers morts bravement au combat, les Einherjar, au Walhalla. Elles sont aussi des Dises – comme leurs soeurs, les Nornes, qui tissent la vie et le destin de chaque homme à l’instar des Parques dans la mythologie Grecque. On touche là une notion fondamentale au récit de WALKYRIE : l’importance du Destin. Un thème prisé du grand compositeur allemand Richard Wagner, qui livra une magnifique Tétralogie illustrant la destinée des Dieux germanisés (Odin devenant Wotan), dont le plus célèbre morceau, la Chevauchée des Walkyries, titille nos mémoires de cinéphiles (allez, souvenez-vous : l’attaque des hélicoptères d’APOCALYPSE NOW !), et est repris ici pour une scène fondamentale : la famille Stauffenberg, brièvement réunie, doit se réfugier dans la cave, car des bombardements éclatent. Férus de musique, les Stauffenbergs ont laissé le gramophone en marche jouer la célèbre Chevauchée. En voyant ses enfants déguisés en héros légendaires, le Colonel a une idée de génie… On sait hélas que l’oeuvre de Wagner est abusivement liée dans la mémoire collective à l’histoire du Nazisme. Certes pangermanique dans sa pensée, le grand compositeur se serait certainement retourné dans sa tombe en voyant comment sa musique fut dévoyée par Hitler, et associée aux funestes images de parades aux flambeaux et au pas de l’oie… Le dictateur était obsédé par la puissance symbolique émanant tant de la mythologie nordique que de la musique de Wagner, qu’il admirait. Dans le film, l’idée est brillamment traduite par Singer dans la scène de la rencontre au Berghof entre Stauffenberg et Hitler. Ce dernier signe le décret « Walkyrie » qui va manquer de causer sa perte, touché par l’allusion délibérée de l’officier aux mythes pangermanistes évoqués par l’oeuvre de Wagner. « Comprendre Wagner, c’est comprendre le National-socialisme », déclare Hitler, tout fier de sa « philosophie »…  

Mais comprendre l’opéra de Wagner, c’est aussi comprendre la force des thèmes abordés dans la mythologie originelle. Notamment l’idée d’un destin cyclique, que les Walkyries représentent. De même que le souverain des Dieux, Odin/Wotan, qui a perdu l’oeil gauche pour avoir voulu connaître le secret de son futur… Grièvement blessé en Tunisie, Stauffenberg perd l’usage de ce même oeil. Un plan marquant filmé par Singer filme le jeune officier étendu, face sanglante contre terre, le sang de sa blessure imprégnant le sable… à l’identique, en toute fin de film, Singer répètera la même séquence. Dès la scène d’ouverture, Stauffenberg a un « aperçu » de son propre destin tragique, et de la chute inévitable de son « Allemagne Sacrée ». Entre ces deux séquences, le comte colonel est un « mort en sursis », conscient de l’inéluctabilité de son action, et de l’échec de celle-ci. La référence à la légende d’Odin et des Walkyries est de plus enrichie d’une troisième, aussi importante : celle de Tyr, personnage moins connu mais tout aussi intéressant. Tyr est le dieu nordique de la Guerre. Pas un dieu sanguinaire, bien au contraire, il est celui qui veille à ce que les serments soient respectés, le maître de la stratégie, et le dieu de la guerre « juste » ! Tyr a aussi le sens du sacrifice : pour empêcher Ragnarok (le Crépuscule des Dieux, prélude à la chute et la mort de ceux-ci), il plonge volontairement sa main droite dans la gueule du terrifiant Loup Fenris (ou Fenrir). Celui-ci la lui arrache, laissant Tyr mutilé. Or, Stauffenberg est non seulement rendu borgne lors de l’attaque en Tunisie, il est aussi amputé du bras droit. Nous le voyons une seule fois faire le salut hitlérien dans le film, par provocation envers le peureux Général Fromm : il tend le moignon du bras que son allégeance passée au dictateur lui a coûté ! Stauffenberg est aussi un excellent stratège, qui tient à faire respecter par tous le serment d’aller jusqu’au bout dans l’Opération Walkyrie… et qui accepte de son plein gré de se sacrifier en allant tuer Hitler à son q.g. de Rastenburg. Le q.g. en question se nomme la « Wolfsschanze » : en français, cela se traduit par la « Tanière du Loup » ! A ce stade-là, on ne peut plus voir de simples coïncidences. Bryan Singer et Tom Cruise ont clairement choisi de mettre en valeur l’héroïsme sacrificiel de Klaus von Stauffenberg, parti tenter le tout pour le tout en affrontant « Fenris » dans son antre. Hélas, l’Histoire n’a pas récompensé l’incroyable courage de cet homme et de ses alliés. Pourtant, le coup passa si près… mais le Loup a refermé ses crocs.  

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Ci-dessus : lorsque cette photo fut prise le 15 juillet 1944 à Rastenburg, l’Opération Walkyrie était dans son ultime phase. Le Colonel von Stauffenberg est à l’extrême gauche sur la photo, retrouvant Hitler accompagné du Maréchal Keitel (à droite).    

L’Opération Walkyrie a été l’apothéose, si l’on ose dire, d’une série d’attentats manqués contre Hitler. Sur les quinze évoqués par le film, certains ont été tout près de réussir : l’attaché militaire britannique Noel McFarlane proposa le 20 avril 1939 d’abattre le tyran avec un fusil à lunettes, lors d’une parade, mais Londres ne lui donna pas l’ordre de passer à l’action (pourtant, on dit bien : Messieurs les Anglais, tirez les premiers…?) ; un menuisier, Georg Elser, fit sauter une bombe dans une brasserie de Munich où Hitler venait de faire un discours, le 8 novembre 1939 ; l’Opération Foxley, imaginée au sein du SOE britannique, visant à abattre Hitler au Berghof par un sniper, fut abandonnée – alors qu’elle devait avoir lieu le 13 juillet 1944, une semaine avant l’attentat de l’Opération Walkyrie ; et il y a la tentative, montrée dans le film, du Général Henning von Tresckow (superbe Kenneth Branagh), qui parvint à déposer une bombe cachée dans une caisse de Cointreau dans l’avion du Führer. Malheureusement, celle-ci ne sauta pas… Comme si un destin malin empêchait l’assassinat de l’incarnation du Mal absolu… L’Opération Walkyrie, dont les préparatifs sont méticuleusement illustrés dans le film de Singer, devait enfin abattre l’hydre nazie (rappelons que Stauffenberg et ses complices projetaient aussi d’éliminer les autres « têtes » de la Bête – Himmler, Goebbels et Goering, présents dans la scène du Berghof avec Albert Speer et le Maréchal Keitel…).

Le plan n’était pas improvisé à la hâte. Et le plus triste, c’est qu’il allait réussir… Si un enchaînement d’obstacles imprévus, de détails infimes et d’incidents malencontreux n’avait pas finalement fait basculer l’opération de la victoire au désastre, la fin de la 2e Guerre Mondiale aurait pu être écourtée. Cet échec, plus celui, stratégique, des Alliés lors de l’Opération Market Garden de septembre 1944, allait hélas accorder un sursis au IIIe Reich, et des millions de vies en furent détruites… Tout cela n’aurait pas eu lieu, si donc la série suivante d’incidents ne s’était déclenchée : 1) la réunion, avancée de 30 minutes à cause de l’arrivée de Mussolini, oblige Stauffenberg et son aide de camp Werner von Haeften (déjà retardés d’une heure, le matin, leur avion ayant été bloqué par le brouillard) à précipiter l’amorçage de la bombe ; 2) une canicule étouffante (représentée à l’image par un moustique qu’une sentinelle brûle d’une cigarette…) entraîne le déplacement de la réunion d’état-major dans une cabane aux fenêtres ouvertes, et non pas dans le bunker initialement prévu (les dégâts causés par l’explosion devaient y être dévastateurs) ; 3) dans sa hâte, et la présence génante du commandant von Freyend, Stauffenberg n’a pas le temps d’amorcer la seconde bombe et de la placer dans la sacoche (l’explosion de la première bombe aurait provoqué celle de la seconde) ; 4) le Colonel Brandt, gêné par la sacoche, la déplace de quelques centimètres vers sa droite, derrière le pied de la table en chêne… ce geste suffira hélas à sauver la vie de Hitler ; 5) Stauffenberg, dans la précipitation du départ, oublie sa casquette – un détail qui intrigue le Maréchal Keitel ; et le chauffeur, qui aperçoit Stauffenberg et von Haeften en train de se débarrasser des charges et pain de plastic inutilisés après l’explosion. Ces preuves suffiront à accuser les deux hommes dans les heures suivantes. 7) les hésitations d’Olbricht, attendant du Général Fellgiebel la confirmation de la mort de Hitler, causeront un retard dramatique de 3 heures. Le coup d’Etat salvateur ne sera pas donné avant que Stauffenberg et von Haeften arrivent à Berlin. Pourtant, cette période de flottement n’aurait pas suffit à entraîner l’échec de l’Opération. Comme il est montré dans le film, les alliés de Stauffenberg procèdent à des arrestations massives, celles des troupes de la SS et de la SD, non seulement à Berlin mais aussi à Paris et en Europe. Même Goebbels, le grand ordonnateur de la propagande Nazie, allait être arrêté…  

Malheureusement, deux hommes ont contribué à tout faire s’écrouler. Le colonel Otto-Ernst Remer, chargé de diriger sur le terrain les troupes réservistes de la Wehrmacht à Berlin. Campé par l’excellent comédien allemand Thomas Kretschmann (bien plus sympathique dans LE PIANISTE : l’officier qui sauvait la vie de Wladyszlaw Szpilman, c’était lui !), Remer n’est pas un homme fiable dans l’opération – dont il ignore tout. Promu au rang de Colonel par Hitler lui-même, Remer est un Nazi convaincu. Quand il entend la voix maudite au téléphone que lui tend Goebbels, le serment d’obéissance aveugle est le plus fort. Il obtient donc le commandement des troupes de Berlin, et l’ordre d’arrêter les insurgés. Ce personnage détestable fera quelques années de prison, et, après sa sortie, tentera de rassembler les nostalgiques du nazisme dans l’Allemagne des années 50. Adepte des théories négationnistes, violemment antisémite, Remer quittera l’Allemagne pour finir ses vieux jours en Espagne, sans être inquiété, ni avoir évoqué le moindre regret… Enfin, le Général Friedrich Fromm (Tom Wilkinson, excellent de veulerie opportuniste), pourtant complice des préparatifs de l’opération, trahit ses collègues. Carriériste, adepte du « attendre et voir » d’où vient le vent, Fromm préfère se faire passer pour l’homme « héroïque » qui va arrêter les conjurés, et croit ainsi s’assurer une position intouchable. Il fait exécuter les meneurs quelques heures plus tard, dans la cour du Bendlerblock – sans procès, pour éviter de se voir lui-même accusé par les juges du Reich… Mauvais calcul : Fromm sera jugé, condamné à mort pour « lâcheté » et exécuté le 12 mars 1945 dans la prison de Brandenburg !     

 

Mentionnons aussi le travail de mise en scène effectué par Singer. Sans effets de style démesurés, le réalisateur s’attache avant tout à reconstituer une atmosphère d’inquiétude et de tension tout à fait crédible. Il parvient à supplanter sans difficultés les précédents films consacrés à l’Opération Walkyrie. Notamment le très bon et classique LA NUIT DES GENERAUX d’Anatole Litvak (1967), où l’attentat n’était en fait qu’une toile de fond pour une autre histoire, fictive celle-là, qui voyait se défier les deux héros de LAWRENCE D’ARABIE – Omar Sharif enquêtant au prix de sa vie sur un Peter O’Toole, terrifiant général doublé d’un meurtrier psychopathe ! Le film de Litvak accréditait la thèse que le Maréchal Erwin Rommel participait à l’Opération Walkyrie. Ce n’est pas tout à fait exact, Rommel s’étant contenté de la soutenir en secret. Blessé au combat, il ne prit pas une part active au putsch, mais sa sympathie pour les insurgés lui coûtera très cher. Ses ennemis politiques au sein du IIIe Reich se sont certainement servi de l’Opération Walkyrie comme prétexte pour le discréditer auprès de Hitler, l’accuser et le pousser à se suicider un mois après… Pour continuer avec les évocations de l’attentat du 20 Juillet, on pourra citer aussi le téléfilm allemand de 2004, STAUFFENBERG avec l’excellent Sebastian Koch – qu’on a pu apprécier dans LA VIE DES AUTRES de Florian Henkel von Donnersmark, et BLACK BOOK de Paul Verhoeven. Sa compagne à la ville comme dans ce dernier film, la belle hollandaise Carice Van Houten, joue justement dans WALKYRIE le rôle de Nina, l’épouse de Stauffenberg !Dans ce film au climat forcément angoissant, Carice/Nina von Stauffenberg joue un rôle apparemment mineur, néanmoins elle constitue un personnage fondamental. Elle assure quelques moments de tendresse, d’amour et de soutien indéfectible au combat de son mari. La présence lumineuse de la comédienne, mise en valeur par les savants éclairages de Newton Thomas Sigel, nous vaut une trés belle scène de séparation finale. Dans une brume nocturne, Nina embrasse son mari avant de partir en sécurité avec les enfants. Elle part, devenant floue, dans le lointain, et seul l’éclat rouge grenat de sa robe rejaillit dans la séquence. Ce sera leur dernier moment ensemble. Ce sera également le dernier souvenir qu’aura Stauffenberg mourant, fusillé dans le Bendlerblock…  

 

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Ci-dessus : un extrait du film. Le moment fatidique où Stauffenberg (Tom Cruise), avec l’aide de Fellgiebel (Eddie Izzard) et von Haeften (Jamie Parker), place la bombe sous la table pour tuer Hitler. Tout se joue à quelques détails imprévus…  

 

Les connaisseurs noteront également, dans WALKYRIE, une indiscutable influence et un hommage rendu par Singer à Steven Spielberg. Etonnante coïncidence, mais, en l’espace de quelques semaines, deux films sur la 2e Guerre Mondiale, basés sur des faits réels, auront affirmé leur filiation avec le cinéaste de LA LISTE DE SCHINDLER : tout comme Edward Zwick l’avait fait avec DEFIANCE (Les Insurgés), Bryan Singer, grand fan de Spielberg (il a baptisé sa société de production Bad Hat Harry en hommage à une réplique de JAWS/Les Dents de la Mer !), affirme sans rougir son admiration pour le maître. Dans ce jeu des références, on remarquera certains détails révélateurs : tout comme Daniel Craig/Tuvia, Tom Cruise/Stauffenberg est frappé de surdité après un bombardement. On pense bien sûr à Tom Hanks dans LE SOLDAT RYAN, mais n’oublions pas que la surdité au combat n’est pas un simple cliché… Malins, Singer et ses scénaristes s’en servent même comme élément de la stratégie de Stauffenberg : le jour fatidique, celui-ci convainc le Commandant von Freyend de le placer près de Hitler, à cause de son problème d’audition. Autre point commun, musical celui-là, avec DEFIANCE, la musique de WALKYRIE signée John Ottman, très réussie, cite volontairement les « rythmes de mort » composés par John Williams pour MUNICH. Regardez les trois films et ouvrez grandes les oreilles, la ressemblance est flagrante ! Enfin, la citation « spielbergienne » la plus importante et intéressante concerne MINORITY REPORT. Rappelons que dans le film noir d’anticipation signé par Spielberg, Tom Cruise jouait un homme, John Anderton, profondément paranoïaque et surtout persuadé de la justesse des visions du Futur que lui livraient trois mutants. Les Précogs, équivalents dans cet étrange futur des Parques et des Nornes, lui montraient son propre futur – Anderton se découvre meurtrier d’un complet inconnu, et, persuadé qu’un complot cherche à le faire plonger, déclenche une série d’évènements qui vont bouleverser l’état policier en qui il croyait. Dans son inquiétante odyssée, Anderton cherchait à connaître le véritable secret derrière ce Destin inévitable, répétant sans le savoir le parcours mythique d’un Oedipe ou d’Odin… Il subit même une opération chirurgicale des yeux, véritable scène de torture à la ORANGE MECANIQUE, qui le laisse temporairement aveugle, puis borgne, comme le Dieu nordique ! Normal que dans WALKYRIE, film regorgeant là aussi de symboles renvoyant à la mythologie scandinave, le même Tom Cruise campe un officier devenu borgne. Et comme on l’a évoqué plus haut, le Destin implacable joue ici aussi un rôle majeur… notons au passage une belle idée de Cinéma utilisée par Singer : l’oeil de verre de Stauffenberg, qu’il porte quand il rencontre Hitler, lui sert aussi de signal de reconnaissance. En le plongeant dans le verre de whisky de son collègue Fellgiebel, il convie ce dernier à participer au coup d’Etat !

Indéniablement inspiré par son sujet, Singer réussit plusieurs autres scènes fortes, où un détail toujours juste donne tout son poids à des scènes faussement anodines. Comme la scène de la rencontre Stauffenberg-Olbricht dans une église, devant une statue du Christ entouré de crânes de morts… La discussion se clôt, la caméra de Singer recule et s’élève pour révéler que l’église est en ruines. Inutile d’en dire plus sur les pensées de Stauffenberg à cet instant-là… On évoquera aussi l’entrevue de von Tresckow avec le suspicieux Colonel Brand, à propos de la caisse de Cointreau piégée ; la réunion nocturne de Stauffenberg et von Tresckow, avec la secrétaire dévouée, pour élaborer le plan de l’opération ; un gros plan sur l’assiette de légumes que mange Hitler (qui était un végétarien obsessionnel !) ; la caractérisation immédiate de Remer, présenté nageant dans une piscine ornée d’une immense swastika ; ou encore la capsule de cyanure de Goebbels, révélatrice du destin funeste qui l’attend quelques mois plus tard… Sans en faire des tonnes, Singer sème ainsi des indices bien préparés, en bon storyteller.  

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une ressemblance étonnante : à gauche, le vrai Colonel Klaus Schenk von Stauffenberg ; à droite, Tom Cruise.

Les acteurs tirent tous leur épingle du jeu. Il n’y a pas une seule erreur de casting. En tête de liste, bien sûr, notre cher Tom, n’en déplaise à ses détracteurs, ne tire pas la couverture à lui, mais sait parfaitement transmettre la force d’âme et les doutes de Klaus Schenk von Stauffenberg. Il met dans le personnage une énergie, une force de concentration et de self-control appropriés. Il sait aussi comme jamais faire passer en un regard toute la peur d’échouer, et le désespoir final de ce héros peu commun. A ses côtés, une fantastique brochette de comédiens : les acteurs britanniques sont décidément les maîtres de l’underplaying, et campent ces personnages réels avec un grand souci de vérité. Outre Kenneth Branagh, excellent en Général von Tresckow, et le toujours bon Tom Wilkinson, il faut aussi saluer la performance du grand Terence Stamp, qui prête sa classe royale au Général Ludwig Beck. Rien que par sa présence, il donne à ce personnage toute la noblesse d’âme requise - du grand art ! Saluons aussi le toujours juste Bill Nighy (on est loin du « poulpe » des PIRATES DES CARAÏBES !) dans le rôle d’Olbricht, le jeune Jamie Foster trés bien aussi en von Haeften… David Bamber et Harvey Friedman campent aussi un Hitler et un Goebbels convaincants. Même si leur performance est éclipsée par le souvenir de Bruno Ganz et Ullrich Matthes, terrifiants de ressemblance dans les mêmes rôles dans LA CHUTE, ces comédiens inconnus du grand public s’en sortent très bien. De même que les acteurs allemands – on a déjà cité Thomas Kretschmann, saluons aussi Christian Berkel, qui joue le Colonel Mertz von Quirnheim, autre organisateur du complot pour tuer Hitler. Impressionnant casting d’ensemble. 

J’oubliais : puisqu’on parle ici beaucoup de mythologie nordique, sachez que Kenneth Branagh va bientôt réaliser THOR, d’après la célèbre b.d. Marvel. On parie qu’Odin et les Walkyries seront présents ?  

En conclusion : oubliez USUAL SUSPECTS. WALKYRIE est le meilleur film de Bryan Singer réalisé à ce jour ! Et on peut l’apprécier sans chercher à se donner mauvaise conscience.  

ma note :  

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Général Ludwig von Achtung-Deflakrazion  

la Fiche Technique :  

VALKYRIE / WALKYRIE  

Réalisé par Bryan SINGER   Scénario de Christopher McQUARRIE & Nathan ALEXANDER  

Avec : Tom CRUISE (Colonel Claus Schenk von Stauffenberg), Kenneth BRANAGH (Général d’État-major Henning von Tresckow), Bill NIGHY (Général Friedrich Olbricht), Tom WILKINSON (Général Friedrich Fromm), Carice Van HOUTEN (Nina von Stauffenberg), Thomas KRETSCHMANN (Major Otto-Ernst Remer), Terence STAMP (Général Ludwig Beck), Eddie IZZARD (Général Erich Fellgiebel), Kevin McNALLY (Docteur Carl Goerdeler), Christian BERKEL (Colonel Albrecht Mertz von Quirnheim), Jamie PARKER (Lieutenant Werner von Haeften), David BAMBER (Adolf Hitler), David SCHOFIELD (Feld-maréchal Erwin von Witzleben), Harvey FRIEDMAN (Joseph Goebbels), Kenneth CRANHAM (Feld-maréchal Wilhelm Keitel), Bernard HILL (le Général confiant – scène dans le désert tunisien)  

Produit par Gilbert ADLER, Christopher McQUARRIE, Bryan SINGER, Nathan ALEXANDER, Lee CLEARY, Henning MOLFENTER, Jeffrey WETZEL, Charlies WOEBCKEN, Chris BROCK, Oliver LÜER et Robert F. PHILLIPS (United Artists / Achte Babelsberg Film / Bad Hat Harry Productions)   Producteurs Exécutifs Tom CRUISE, Ken KAMINS et Paula WAGNER  

Musique et Montage John OTTMAN   Photo Newton Thomas SIGEL   Casting Roger MUSSENDEN  

Décors Lily KILVERT et Patrick LUMB   Direction Artistique Keith PAIN, Ralf SCHRECK, Jan JERICHO, John B. JOSSELYN, Cornelia OTT, John WARNKE et Su WHITAKER   Costumes Joanna JOHNSTON  

1ers Assistants Réalisateurs Lee CLEARY et Jeffrey WETZEL   Réalisateur 2e Équipe Eric SCHWAB  

Mixage Son Chris MUNRO   Montage Son Erik AADAHL et Craig HENIGHAN   Effets Spéciaux Sonores Erik AADAHL  

Effets Spéciaux de Maquillages Sarah MONZANI  

Distribution USA : MGM / Distribution FRANCE : TFM Distribution  

Durée : 2 heures 01



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