A CHRISTMAS CAROL / Le Drôle de Noël de Scrooge, de Robert ZEMECKIS
L’Histoire :
Ebenezer Scrooge est un individu détestable ; ce vieillard, terriblement avare, froid, et aigri contre le monde entier, dirige seul son établissement de prêts financiers, depuis le décès de son associé Jacob Marley sept ans auparavant. Alors que tout Londres s‘apprête à célébrer Noël en cette fin d‘année 1843, le vieux Scrooge épuise à la tâche son unique employé, Bob Cratchit, qu‘il paie mal, refuse l‘invitation à dîner de son neveu Fred, l’unique parent qui veuille bien encore le voir, et refuse absolument de financer des établissements publics de charité…
Ce soir-là, le vieux Scrooge rentre tard chez lui après avoir accordé de mauvaise grâce une unique journée de congé à Cratchit. Mais cette nuit-là, dans la vieille et triste demeure, le vieil homme au cœur sec est dérangé au coin du feu par l‘arrivée d‘un visiteur inattendu : le fantôme de Jacob Marley, lié à de lourdes chaînes, vient avertir Scrooge que trois fantômes viendront à Scrooge terrifié cette même nuit. S‘il refuse de changer, ce sera pour lui la damnation éternelle…
La Critique :
dernière réalisation en date de Robert Zemeckis, A CHRISTMAS CAROL («subtilement» retitré chez nous «Le Drôle de Noël de Scrooge») adapte une nouvelle fois le célèbre roman UN CHANT DE NOËL de Charles Dickens, le père littéraire d’OLIVER TWIST, DAVID COPPERFIELD et autres GRANDES ESPERANCES. Désormais propriété légale de Walt Disney Studios, le récit de Dickens, maintes fois adapté au cinéma et à la télévision, se rappelle donc à notre bon souvenir. Les grands enfants que nous sommes se souviendront sans doute que le studio à la petite souris avait déjà produit deux autres versions de la même histoire : une première datant de 1983, en animation classique, avec l’Oncle Picsou en Scrooge acariâtre (c’était après tout couru d‘avance – Carl Barks, le génial dessinateur et véritable créateur de Picsou, avait reconnu sa dette envers Dickens en baptisant son personnage du nom de «Uncle Scrooge McDuck» en VO), et une seconde, savoureuse, interprétée en chair et en os en 1993 par Michael Caine et la bande du Muppets Show !
Amoureux de longue date de l’histoire de Dickens, Robert Zemeckis s’est donc plié à l’exercice délicat de l’adaptation du CHANT DE NOËL, avec le concours du grand Jim Carrey, en un film entièrement réalisé en «MoCap». Une parenthèse technique est ici nécessaire, pour se poser la question : mais enfin Jamy, c’est quoi le «MoCap» ? Suivez-moi, c’est pas sorcier !
Ci-dessus : une interview de Robert Zemeckis, où le cinéaste exprime ses vues sur le procédé « Motion Capture », la 3D et le Cinéma du Futur. En VO uniquement !
«MoCap» est le diminutif employé en anglais pour désigner le procédé «Motion Capture», pour «Capture de Mouvement». Depuis les triomphes au cinéma de TERMINATOR 2 et JURASSIC PARK il y a maintenant plus de quinze ans, l’animation en images de synthèse a connu un développement technique phénoménal. L’industrie des effets spéciaux et du cinéma d’animation américain a multiplié les trouvailles techniques, pour imaginer des univers et des créatures qui auraient été difficiles ou impossibles à réaliser auparavant, la technologie des effets spéciaux n‘étant pas assez développée pour coucher sur pellicule les visions les plus incroyables des cinéastes. Parmi ces innovations, le procédé «MoCap» est l’une des plus significatives. Pour faire simple, ce procédé consiste à filmer les acteurs, dans un décor réduit à sa plus simple expression : une immense «grille» couverte de lignes et de points de repère, des capteurs numériques, dépourvue d’accessoires et d’objets comme on en trouve sur les plateaux de tournage ordinaires. Les acteurs ne portent pas les costumes et maquillages traditionnels, ils sont revêtus des pieds jusqu’à la tête d’une combinaison elle-même couverte de capteurs numériques. Même leur visage est recouvert de ces drôles de points métalliques, sur chacun de leurs muscles. Cette tenue, soit dit en passant, donne au comédien l’allure d’un scaphandrier échappé d‘un spectacle d‘avant-garde. Même des acteurs aussi respectés qu’Anthony Hopkins ou John Malkovich les ont un jour revêtus, donnant aux reportages de tournage une allure assez savoureuse !
Le réalisateur peut filmer en un temps record leur interprétation, sans perdre de temps à régler les éclairages, le déplacement de la caméra ou la mise au point d’un accessoire particulier (les objets tenus par les acteurs sont comme de simples assemblages de fil de fer). Tout est filmé dans des caméras numériques spéciales, qui vont enregistrer, grâce aux capteurs, les moindres mouvements du visage et du corps des comédiens, et les déplacements des objets virtuels. Par la suite, le réalisateur va pouvoir déterminer sa mise en scène, avec l’aide des informaticiens. Les acteurs auront ainsi fourni la «matière brute» (gestuelle, expressions du visage, déplacement du corps) numérisée, sur laquelle les animateurs vont peu à peu créer leurs personnages : costumes, texture de la peau, effets de lumière, création du regard, etc. À la différence des films d’animation en image de synthèse, le rôle du comédien ne se limite donc pas au doublage vocal, c’est sa présence physique qui «incarne» son double virtuel. Et un même acteur peut aussi jouer plusieurs rôles dans le même film, les personnages créés pouvant être filmés séparément puis intégrés à la même scène. C’est ainsi par cette technique que des êtres fantastiques, parfaitement crédibles, ont pu ainsi sortir et marquer la mémoire des spectateurs : l’androïde T-1000 sous sa forme argentée dans TERMINATOR 2 de James Cameron, Gollum et Kong (incarnés par le même acteur, Andy Serkis) dans LE SEIGNEUR DES ANNEAUX et KING KONG de Peter Jackson… même les dinosaures de JURASSIC PARK de Steven Spielberg ont été créés sur ce même principe, étant à l’origine des «squelettes» robotiques pourvus de capteurs numériques similaires. Ce procédé a connu un véritable boom, enclenché par les derniers films de Robert Zemeckis. Le cinéaste de RETOUR VERS LE FUTUR et FORREST GUMP ne s’est pas contenté d’insérer des personnages virtuels dans un vrai décor filmé ; par ce procédé, il crée par informatique dans ses films des environnements totalement crédibles, où sa mise en scène «explose» littéralement le champ de ce qui est possible de faire. À ceci, s’ajoute également un complexe procédé de création de l’image en 3 dimensions «stéréoscopiques», qui permet de renforcer la profondeur de champ de l’image, ou la présence «physique» des personnages numériques, pour un résultat final tout simplement hallucinant. En produisant MONSTER HOUSE avec Steven Spielberg, en réalisant LE PÔLE EXPRESS très «disneyien», LA LEGENDE DE BEOWULF (superbe épopée viking, fantastique et paillarde à souhait) et maintenant cette adaptation du récit de Dickens, Robert Zemeckis a considérablement affiné ces techniques à un niveau inédit.
Le public, d’abord désarçonné par ce grand changement (plus perceptible sur LE PÔLE EXPRESS, où les personnages étaient encore figés dans leurs expressions), répond peu à peu présent. Il faut dire que depuis la sortie de CHRISTMAS CAROL, un certain AVATAR a changé radicalement la donne. Mais ceci est une autre histoire, et sera le sujet d‘un prochain article !…
Ci-dessus : l’une des illustrations originales de John Leech pour UN CHANT DE NOËL, qui ont servi de base artistique au film de Zemeckis.
La performance technique d’A CHRISTMAS CAROL est incontestablement son point fort. On n’en attendait pas moins de la part de Robert Zemeckis, le visuel de son film, avec ou sans vision en relief, est extraordinaire. Les dessins de John Leech, illustrateur célèbre des récits de Charles Dickens, prennent littéralement vie sous nos yeux – à commencer par le personnage de Scrooge, fidèle à l‘imagerie du romancier, et qui est l‘occasion pour Jim Carrey de se livrer à une nouvelle métamorphose mémorable. La mise en scène est toujours travaillée à l’extrême détail, en profondeur. Loin de se limiter à multiplier des effets «dans ta face», Zemeckis réussit à immerger le spectateur dans son univers. La caméra libre absolue, rêvée par Zemeckis, livre ainsi des séquences «impossibles» (tels d’impressionnants travellings «à vol d’oiseau» au-dessus de Londres), et peut saisir toute la profondeur de champ d’un Londres de 1843 à la fois réaliste et surréel. On peut même surprendre, cachées derrière les vitres d’époque, des scènes quotidiennes – un véritable voyage dans le Temps ! Quant au dynamisme des poursuites propres aux films de Zemeckis, il se déchaîne dans un dernier acte cauchemardesque – bien plus «survolté» que dans le roman original, assez contemplatif -, avec un Scrooge tourmenté par des chevaux spectraux. Dans ces séquences, le réalisateur de ROGER RABBIT démontre une fois de plus sa maîtrise d’un montage nerveux, jamais morcelé, et toujours lisible. Dans toutes ces prouesses, on retrouve forcément un parfum d‘autocitation «zemeckienne» : les plans-séquences aériens ont un lien de parenté évident avec FORREST GUMP (le générique à la plume), ou BEOWULF (le combat final contre le Dragon volant). Et l’esprit de CONTACT est aussi présent, lors des scènes du Fantôme du Présent, qui fait voyager Scrooge chez les Cratchit à travers des déformations rappelant le voyage d’Ellie (Jodie Foster) dans sa sphère spatio-temporelle.
S’il faut cependant mettre un bémol aux louanges sur ce film, il concerne avant tout son scénario. Il faut bien avouer, Zemeckis, brillant scénariste, part ici avec deux handicaps de poids. Tout d’abord, la structure du scénario : tout se base sur un récit très linéaire, forcément prévisible. Certes, tous les spectateurs n’ont pas lu Dickens, et personne ne contestera le talent de l’écrivain anglais à imaginer des histoires fortes. L’ennui, c’est qu’UN CHANT DE NOËL, maintes fois adapté, imité et parodié depuis 150 ans, est une histoire que tout spectateur connaît, au moins de réputation. Et le fait que le film soit produit et présenté par les studios Walt Disney met inconsciemment la puce à l’oreille du spectateur – même si l’histoire est assez sombre, mélancolique, voir macabre, on devine qu’un happy end est forcément de rigueur. Cela gâche un peu le plaisir de la projection que d’en deviner le dénouement bien à l’avance.Le second handicap du scénario est un problème de perception commun jusqu’ici à tous les films en «MoCap». Neil Gaiman, talentueux écrivain co-auteur du scénario de BEOWULF, a pointé ce problème dans des interviews récentes : ces films attirent tellement l’attention du spectateur sur la technique du film que ce dernier, obnubilé pendant la projection par des questions du type «mais comment ont-ils fait ces superbes effets spéciaux ?», va forcément moins prêter attention à l’histoire qu’on lui montre. Peut-être faut-il voir là un simple manque d’habitude à une forme d’expression cinématographique encre débutante.Le déséquilibre était par exemple évident en 2004 quand LE PÔLE EXPRESS est sorti – mise en scène exceptionnelle de Zemeckis pour un scénario, il faut bien l’avouer, très faible ! Heureusement, le cinéaste a su depuis corriger le tir avec BEOWULF ; et après AVATAR, les ALICE AU PAYS DES MERVEILLES de Tim Burton, TINTIN de Steven Spielberg et Peter Jackson, et tous ceux qui suivront dans la décennie, devront nous rappeler que la grande force du cinéma américain demeure le «storytelling», l’art de la narration. Impliquer le spectateur dans son univers, d’accord, mais ne pas oublier que cela passe d’abord par une histoire et des personnages forts !
Quoiqu’il en soit, CHRISTMAS CAROL s’inscrit dans la lignée des grandes obsessions et thèmes abordés par Zemeckis dans sa filmographie. À commencer d’abord par ces sacrées fêtes de Noël, qui obnubilent le metteur en scène ! Déjà, son scénario de 1941, co-écrit pour Steven Spielberg avec ses amis John Milius et Bob Gale, véritable bombe atomique de charivari burlesque, se situait durant cette sacro-sainte période de supposée paix sur terre aux hommes de bonne volonté. Quand on voit ce qui se passe dans le film de Spielberg (bagarres, fusillades, destruction généralisée, le tout sur fond de paranoïa guerrière surchauffée), on peut se demander si Zemeckis et ses complices n’ont pas vu là l’occasion rêvée d’un vaste défouloir : les réunions familiales obligatoires, la course aux cadeaux, la gentillesse de façade, comme dans les peintures de Norman Rockwell… tout cela vole en éclats dans 1941. Par la suite, Zemeckis, passant lui-même à la mise en scène, va aborder Noël sous des aspects souvent peu flatteurs. Noël et Réveillon du Nouvel An déprimants dans FORREST GUMP, chez le Lieutenant Dan (Gary Sinise) amputé et alcoolique, avec les deux prostituées qui l’insultent, lui et Forrest (Tom Hanks) ; le drame et l’aventure personnelle de Chuck (Hanks), dans CAST AWAY / Seul au Monde, débutent aussi durant les fêtes de Noël. L’homme de la FedEx, toujours pressé et stressé, y compris durant le réveillon familial, quitte précipitamment sa petite amie (Helen Hunt) pour son travail. Décision fatale qui va le mener à s’échouer durant quatre ans sur une île perdue en plein Pacifique. LE PÔLE EXPRESS, bien sûr, joue la carte du Merveilleux enfantin lié à Noël, mais le film garde cependant un aspect assez doux-amer (représenté par le gamin solitaire) ; et le transparent jeune héros, rencontrait une sinistre marionnette, symbole de ses doutes et de son amertume : un pantin à l’effigie… d’Ebenezer Scrooge, le héros du récit de Dickens et du futur film de Zemeckis ! Le Grand Finale de BEOWULF, opposant le vieux guerrier à un terrifiant Dragon, se concluait sur l’expiation du héros et son sacrifice héroïque. Ce combat dantesque avait lieu «le Jour de la Naissance du Christ», autrement dit Noël, encore… On voit, à travers ces exemples, l’importance du contexte de cette fête jadis sacrée (et associée dans les cultures européennes au retour des morts), devenue depuis un triste symbole de la société de consommation, dans les récits de Zemeckis : elle intervient à des moments-clé du parcours personnel de ses personnages. Logique, alors, que le cinéaste ait voulu livrer avec CHRISTMAS CAROL la quintessence de son regard sur cette fête, synonyme autant de joie et d’amour, que de tristesse et de noirceur. La vie du vieux Scrooge est intimement liée à «l’Esprit de Noël», dans ses pôles opposés.
Ci-dessus : la bande-annonce d’A CHRISTMAS CAROL / Le Drôle de Noël de Scrooge, en VO. Ne pas aux apparences !
Ce qui amène aussi Robert Zemeckis à traiter d’un autre de ses sujets favoris : le Temps. Et l’impact que des décisions et des choix peuvent avoir sur la vie et la destinée d’une personne. Sur le mode ludique, c’est le thème fondamental de la trilogie RETOUR VERS LE FUTUR, bien entendu. Mais aussi de pratiquement tous ses autres films : ROGER RABBIT – Eddie hanté par le souvenir de la mort de son frère pour le reste de ses jours ; LA MORT VOUS VA SI BIEN – où les deux divas hollywoodiennes (Meryl Streep et Goldie Hawn), obsédées par la peur de vieillir et de mourir, trichent avec le Temps qui passe inexorablement ; FORREST GUMP, l’histoire d’une vie liée à celle de l’Amérique du 20e Siècle; CONTACT, également l’histoire d’une vie entière pour son héroïne, se conclue sur un paradoxe temporel prouvant la réalité du fameux contact (l’enregistrement du vol «raté» d’Ellie, supposé durer quelques secondes, dure plus de douze heures) ; APPARENCES, où un fantôme venu du Passé (déjà) venait faire voler en éclats le bonheur factice du couple Harrison Ford – Michelle Pfeiffer ; Chuck «hors du temps» sur l’Île de CAST AWAY, le Contrôleur obsédé par le Temps et le retard perpétuel du PÔLE EXPRESS, BEOWULF où le héros vieilli constate les dégâts d’un secret de jeunesse… Le Cinéma de Zemeckis est donc régi par la loi implacable, mais aussi les paradoxes, du Temps, intimement liés aux choix moraux faits par ses personnages. C’est une nouvelle fois le cas dans A CHRISTMAS CAROL. Le réalisateur avait depuis longtemps en tête l’adaptation de l’histoire de Dickens, qualifiée par lui «d’un des tous premiers grands récits de voyage dans le temps». Guidé par les trois fantômes, l’acariâtre Scrooge voyage donc dans son propre Passé, voit le Temps Présent s’écouler en son absence (le jeu des devinettes chez son neveu Fred, le réveillon des Cratchit) et voit le Futur funeste (mort, désolation) qui l’attend s’il persiste dans ses erreurs… Les esprits sont, on le devine, une représentation de Scrooge lui-même, de ses choix de vie qu’il s’est laissé dicter par sa condition sociale. Le Fantôme du Noël Présent a une vie éphémère, ses deux «enfants» hideux, nommés Ignorance et Désir («Want» en VO) grandissent et vieillissent… c’est le Temps atteint de folie qui se détraque sous les yeux du vieillard.
A posteriori, l’avarice pathologique de Scrooge se comprend par la peur du personnage envers ce satané Temps, impossible à posséder matériellement, et qui lui file entre les doigts. Le temps, c’est de l’argent, comme on dit dans les affaires : la première scène, brillante, voit Scrooge payer les funérailles de Marley en prélevant sur les yeux de ce dernier les deux pièces qui y sont posées ! Derrière l’humour grinçant de la séquence, Zemeckis livre sa morale : en refusant à Marley un repos éternel paisible (le rituel des deux pièces est une vieille croyance, peut-être héritée de la légende de Charon, le Passeur des Morts, qui doit être payé par le défunt pour une garantie d‘«après-vie» paisible), Scrooge, effrayé par la Mort, condamne ce dernier à l’errance éternelle… et déclenche malgré lui la série d‘évènements qui va l‘obliger à revoir sa vie, et à évoluer spirituellement.
Tout ceci se déroule dans une ambiance visuelle totalement respectueuse de l’œuvre de Dickens : un univers mêlant le réalisme victorien d’OLIVER TWIST à une fantaisie finalement assez macabre, familière à Zemeckis. Ce qui rend le film finalement assez contradictoire avec son estampille «Disney», affiche et bande-annonces insistant sur un univers familial féerique qui n’est pas celui que propose le réalisateur ! Sombre et triste, malgré le happy end chaleureux attendu, CHRISTMAS CAROL est aussi un festival de visions spectrales peu recommandables aux tout-petits : les apparitions du fantôme de Marley, la vision des fantômes des damnés aperçus par Scrooge, l‘apparition des affreux «enfants» du Noël Présent, sont autant de visions volontairement cauchemardesques et grotesques, traduisant la patte de Dickens, grand spécialiste des récits de revenants – comme l‘excellente et classique nouvelle LE SIGNALEUR. Les moments les plus oppressants étant assurés par les manifestations du Fantôme des Noëls Futurs, ombre gigantesque, sinistre et muette harcelant Scrooge dans Londres… Dans cette ambiance inquiétante et familière, le cinéaste glisse ça et là quelques rares touches de folie – notamment un gag avec Marley qui se décroche la mâchoire (clin d’œil à Peter Jackson et les FRIGHTENERS / Fantômes Contre Fantômes, petit bijou de comédie horrifique justement produite par Zemeckis ?), une envolée de Scrooge dans le ciel, façon PETER PAN et E.T., et sa «miniaturisation» délirante… sans oublier quelques fantaisies finales de Jim Carrey.
L’acteur aux mille visages réussit d’ailleurs une performance «numérisée» remarquable. Il campe Ebenezer Scrooge à tous les âges de sa vie, du petit garçon timide au vieil Harpagon décati. Parfait dans la gestuelle, les changements de voix, et le regard amer de son personnage, Carrey réussit l’exploit de faire oublier la technique informatique et investit Scrooge corps et âme. C’en est presque effrayant, d’autant plus qu’il joue aussi les trois fantômes du récit – le Passé androgyne et gracile, le Présent géant dionysiaque, le Futur muet et effrayant… Les autres acteurs numérisés sont du coup quelque peu éclipsés par sa prestation. Gary Oldman joue à la fois le brave Cratchit et le fantôme de Marley, et s‘en sort plutôt bien. Son talent à incarner des personnages monstrueux sert à merveille les scènes où il incarne le spectre de Marley. Colin Firth est un Fred fidèle à la vision de Dickens, affable et bon bourgeois. Dommage que les autres comédiens, des familiers de l’univers Zemeckis (la gracieuse Robin Wright Penn et ce bon vieux Bob Hoskins) soient quant à eux de simples «silhouettes» passagères dans la vie de Scrooge, mais le récit l‘impose, et ils livrent le travail attendu.
Film inégal, techniquement remarquable, et riche donc en éléments typiques à Robert Zemeckis, A CHRISTMAS CAROL / Le Drôle de Noël de Scrooge repose donc sur l’impressionnante maîtrise technique de ce dernier, l’art du récit de Dickens, et sur le jeu d’un acteur véritablement extra-terrestre. Pour ceux qui n’ont jamais osé se frotter au récit original, ou même n’en ont jamais entendu parler, c’est une bonne occasion de le découvrir ; pour ceux qui le connaissent, l’expérience risque de les décontenancer. C’est tout le paradoxe de ce film totalement lié aux obsessions de son réalisateur, et à une histoire sans doute trop connue pour totalement convaincre. Mais le spectacle vaut le détour.
Joyeux Noël à tous !
… avec un mois de retard… ou un an d’avance !
Ebenezer Ludovicrooge
La Fiche Technique :
A CHRISTMAS CAROL / Le Drôle de Noël de Scrooge
Réalisé par Robert ZEMECKIS Scénario de Robert ZEMECKIS, d’après le roman «Un Chant de Noël» de Charles DICKENS
Avec : Jim CARREY (Ebenezer Scrooge, à tous les âges de sa vie / le Fantôme des Noëls Passés / le Fantôme du Noël Présent / le Fantôme des Noëls Futurs), Gary OLDMAN (Bob Cratchit / Jacob Marley / le Petit Tim), Colin FIRTH (Fred), Robin WRIGHT PENN (Fan / Belle), Bob HOSKINS (Mr. Fezziwig / le Vieux Joe), Cary ELWES (Dick Wilkins / le Gentleman Corpulent n°1 / le Violoniste Fou / l’Invité n°2 / l’Homme d’Affaires n°1), Fionnula FLANAGAN (Mrs. Dilber), Fay MASTERSON (Martha Cratchit / l’Invitée n°1 / Caroline), Daryl SABARA (Peter Cratchit / l’Apprenti Croquemort / un Chanteur de Noël en haillons / le Jeune Mendiant / un Chanteur de Noël bien vêtu), Molly C. QUINN (Belinda Cratchit)
Produit par Jack RAPKE, Steve STARKEY, Robert ZEMECKIS, Katherine C. CONCEPCION, Heather SMITH et Peter M. TOBYANSEN (Walt Disney Pictures / ImageMovers)
Musique Alan SILVESTRI Photo Robert PRESLEY Montage Jeremiah O’DRISCOLL Casting Scot BOLAND, Victoria BURROWS et Nina GOLD
Décors Doug CHIANG Direction Artistique Marc GABBANA, Norman NEWBERRY et Mike STASSI Costumes Anthony ALMARAZ Conception des Personnages et Costumes Dermot POWER
1er Assistant Réalisateur David H. VENGHAUS Jr. Animation Jimmy ALMEIDA, Michael CORCORAN, Brett SCHROEDER et David SHIRK
Mixage Son William B. KAPLAN et James M. TANENBAUM Montage Son Dennis LEONARD Effets Spéciaux Sonores Randy THOM Effets Spéciaux Visuels George MURPHY et Kevin BAILLIE (Gentle Giant Studios / Plowman Craven & Associates / The Third Floor) Effets Spéciaux de Plateau Michael LANTIERI
Distribution USA et INTERNATIONAL : Walt Disney Studio Motion Pictures
Durée : 1 heure 36