Elizabeth Taylor (1932-2011)
Que sont les Stars devenues ?
Petit à petit, les étoiles de l’Âge d’Or de Hollywood s’éteignent… Ils se comptent désormais sur les doigts des deux mains, les derniers géants de l’écran lancés sous l’égide des grands studios. Kirk Douglas, Olivia De Havilland, Joan Fontaine, Maureen O’Hara, Lauren Bacall et quelques autres comptent désormais parmi les derniers témoins de cette époque révolue. Le terme inepte de «people» n‘était pas encore utilisé à tort et à travers pour désigner la petite gloire du premier imbécile venu de la télé-réalité. Être célèbre à Hollywood, durant la grande époque des studios, avait un autre sens, une autre valeur, même si bien sûr tout était loin d’être aussi rose que l’on pouvait le croire. Être une Star de cinéma correspondait, si on peut dire, à une certaine attitude, un état d’esprit. Cela supposait d’être «bigger than life» aussi bien dans un travail harassant, dans les triomphes publics, mais aussi dans les excès et les failles bien humaines… Et qui représenta mieux l’archétype de la Star de Hollywood qu‘Elizabeth Taylor ?
À l’annonce de son décès ce 23 mars 2011, et de ses funérailles en grande pompe à Los Angeles, l’encre a de nouveau coulé, comme durant toute la vie de cette très grande actrice. Et les inévitables commères «people» sont hélas revenues à la charge, dégoisant à loisir sur les amours tumultueuses, les robes en vison et les parures de diamants, les ennuis de santé récurrents et les innombrables mariages de la star… en oubliant de parler de l’essentiel : son travail de comédienne.
Raconter en détail la vie d’Elizabeth Taylor est une tâche évidemment épuisante ; si cette facette-là de l’actrice vous intéresse, je ne saurais que trop vous conseiller de vous procurer l’un des nombreux livres qui lui ont été consacrés, ses propres mémoires, des biographies à la pelle… voir de retrouver d’anciens numéros de Paris Match rangés au fond du grenier ! Pour ma part, j’essaierai d’être aussi succinct que possible sur ce sujet, qui certes a nourri la légende de l’actrice mais ne m’intéresse pas vraiment. Ce qui me touche plus – en dehors bien sûr de l’extraordinaire beauté de l’actrice dans ses plus grands rôles – est avant tout de parler de Cinéma. Quitte à faire quelques raccourcis rapides dans l’évocation d’une vie des plus agitées, je vais tenter un nouveau voyage temporel et cinéphile, en évoquant ses rôles les plus célèbres, ceux qui nous renvoient dans les dernières grandes années de Hollywood.
Mais on a beau être cinéphile, on a toujours des lacunes à combler… Vous remarquerez sûrement que je m’étends plus sur certains films marquants de Miss Taylor par rapport à d’autres. À ce jour, je n’ai toujours pas vu SOUDAIN L’ETE DERNIER, CLEOPÂTRE, LE CHEVALIER DES SABLES ou les films qu’elle a tourné avec Joseph Losey.
Comme de bien entendu, les éléments biographiques évoqués ici viennent des informations relevées sur les sites de Wikipédia et ImdB – avec le risque d’erreur que cela comporte. Personne n’est parfait !
Francis Lenn Taylor, un américain, marchand d’art, épousa en 1926 Sara Viola Warmbrodt. Tous deux étaient natifs du Kansas. Actrice de théâtre sous le nom de Sara Sothern, Sara arrêta sa carrière pour se consacrer à sa famille. Après un séjour à Saint-Louis, dans le Missouri (cadre d‘un chef-d‘œuvre de la comédie musicale mis en scène par un certain Vincente Minnelli, qui dirigera Elizabeth Taylor par la suite…), les Taylor s’installèrent en Angleterre. La petite Elizabeth Rosemond Taylor naquit à Hampstead, dans la banlieue de Londres, le 27 février 1932, détentrice de la double nationalité anglaise et américaine. Maman Sara a sans aucun doute beaucoup pesé sur la vie de sa fille, reportant sur elle ses rêves d’ancienne actrice. Dès l’âge de trois ans, la fillette se «prépare», si l’on peut dire, au dur monde des arts et du spectacle, en apprenant le ballet, entre autres.
Mais l’imminence de la 2e Guerre Mondiale oblige les Taylor à rentrer aux States en avril 1939. La petite famille emménage à Los Angeles, chez les Warmbrodt, la famille maternelle. Los Angeles, où se trouve bien évidemment le gratin du Cinéma américain alors en plein boom. Sara, l’ancienne comédienne, est dans son élément. Amie de la célèbre chroniqueuse Hedda Hopper, Sara emmène et présente sa fille par l’entremise de Hopper aux directeurs de casting des studios. Il faut dire qu’avec sa bouille espiègle, ses longs cheveux noirs, ses sourcils expressifs surlignant de grands yeux bleus tirant sur le mauve (à moins qu’ils ne soient mauves tirant sur le bleu, ou pourpres, ou turquoise… Les biographes se disputent à ce sujet depuis longtemps…), la jolie petite fille est incroyablement photogénique. Hedda Hopper présente les Taylor au président d’Universal Pictures, Cheever Cowden. Et Universal engage la jeune Elizabeth dans son «stock» d’enfants acteurs. À l’âge de 10 ans, Elizabeth Taylor fait ses premiers pas au cinéma dans THERE’S ONE BORN EVERY MINUTE, une comédie de Devin Grady, où elle a un petit rôle. Ce sera son seul film en tant que «mini-actrice» sous l’égide d’Universal. En coulisses, cela se passe mal : «Elle ne sait pas chanter, ne sait pas danser, ne sait pas jouer», affirme Edward Muhl, chef de production d‘Universal, contre l‘avis de Cowden et de l’agent de l’enfant, Myron Selznick (frère de David O. Selznick, le producteur nabab d‘AUTANT EN EMPORTE LE VENT). Muhl, une vraie tête, est surtout agacé par la présence… disons, envahissante… de la mère d’Elizabeth ! Le contrat est résilié, et Elizabeth rejoint la MGM, pour un contrat de sept ans, tout en poursuivant ses études.
En 1943, elle tourne dans LASSIE COME HOME (FIDELE LASSIE), avec le jeune Roddy McDowall en vedette, qui restera un de ses fidèles amis. On peut aussi la voir, non créditée au générique dans JANE EYRE, grande adaptation classique du roman de Charlotte Brontë par Robert Stevenson, avec Orson Welles et Joan Fontaine. 1944 est la bonne année pour la jeune fille que l‘on surnomme sur les plateaux «One Shot Liz». La petite actrice prodige sait son texte par cœur, joue bien et juste, et n’a besoin que d’une seule prise pour que ses scènes soient dans la boîte ! Clarence Brown, le réalisateur des grands films de Greta Garbo, l’engage pour un petit rôle dans son film romantique LES BLANCHES FALAISES DE DOUVRES, avec Irene Dunne en vedette, et Roddy McDowall. Le réalisateur perçoit le talent de la petite comédienne, et lui donne le rôle vedette de son prochain film : NATIONAL VELVET / LE GRAND NATIONAL, avec Mickey Rooney et Angela Lansbury. Elizabeth illumine l’écran dans le rôle de Velvet Brown, la petite cavalière qui rêve de concourir au prestigieux Grand National. Parfaitement à l’aise dans les scènes d’équitation (Elizabeth sera d’ailleurs à l’écran une cavalière accomplie – voir GEANT et REFLETS DANS UN ŒIL D’OR), Elizabeth Taylor séduit le public, qui fait un triomphe au film… et influence sans doute les rêves de milliers de fillettes de devenir un jour d’émérites championnes équestres !
Moins réjouissante est la blessure au dos que la jeune comédienne se fait durant le tournage, conséquence d’une chute de cheval. Cet incident sera le premier de ses nombreux ennuis de santé, qui la poursuivront toute sa vie.
«Baby star» consacrée à 12 ans, la jeune fille tourne, entre 1946 et 1949, d’innocentes bluettes capitalisant sur le succès de NATIONAL VELVET, faisant d’elle la nouvelle «petite fiancée de l’Amérique», l’adolescente romantique charmante par excellence. Cette période se clôt en quelque sorte en 1949, par le premier tournant de sa jeune carrière. Elizabeth Taylor joue son dernier rôle d’adolescente dans une nouvelle adaptation de LITTLE WOMEN (LES QUATRE FILLES DU DOCTEUR MARCH), le célèbre roman de Louisa May Alcott, réalisée par Mervyn LeRoy, avec June Allyson et Janet Leigh. Elle s’y illustre dans le rôle d’Amy.
L’adolescente souriante devient une ravissante jeune femme, qui va faire tourner bien des têtes masculines. Il faut dire que Miss Elizabeth est devenue bien gironde à l’âge adulte ! Un corps pulpeux à souhait, un grain de beauté coquin sur la joue droite, des longs cheveux noirs de jais qui tombent en cascade… Et ces yeux… qui vont être une des meilleurs atouts pour attirer le public des années cinquante vers le flamboyant cinéma en Technicolor ! Heureusement, le talent de la jeune actrice ne se limite pas à ce physique de rêve, mais aussi à un jeu intelligent et naturel, qui plaît instinctivement au public. Les pontes de la MGM peuvent se frotter les mains.
En 1950, on remarque surtout Elizabeth Taylor dans le grand succès de Vincente Minnelli, LE PERE DE LA MARIEE, sympathique comédie avec Spencer Tracy et Joan Bennett. Elle joue avec humour et tendresse la fille de Spencer Tracy, la vraie vedette du film – irrésistible en paternel ronchon qui découvre, horreur, que sa petite fille chérie, devenue femme, va se marier et quitter pour toujours la maison de son enfance…
Le succès du film au box-office entraînera une suite l’année suivante, FATHER’S LITTLE DIVIDEND (ALLONS DONC, PAPA !), toujours réalisé par Minnelli, et avec les mêmes acteurs. Peu de choses à dire sur cette comédie du grand Minnelli qui se contente de poursuivre sur le ton du premier film.
1950 est aussi l’année de son premier mariage, avec Conrad «Nicky» Hilton, héritier de la célèbre chaîne d‘hôtels et directeur de la TWA… un mariage malheureux dont elle divorce l’année suivante.
En 1951, Elizabeth Taylor illumine de sa présence le magnifique UNE PLACE AU SOLEIL de George Stevens, avec Montgomery Clift et Shelley Winters, adapté du roman de Theodore Dreiser, UNE TRAGEDIE AMERICAINE. Dans le rôle d’Angela Vickers, la belle, douce et riche héritière semblant sortie d‘un rêve (impression renforcée par une partition romantique sublime de Franz Waxman), elle charme George Eastman (Clift), modeste fils de missionnaires et employé manutentionnaire. Fou de désir pour elle, il cause la détresse de sa petite amie Alice (Winters), enceinte de lui, et qui a le malheur d’être née pauvre…
Il ne faut pas se fier à l’apparente frivolité du personnage d’Angela, tel que le résumé le laisserait croire ; la performance de l’actrice est d’une grande subtilité, et unanimement saluée par les critiques de l’époque. À seulement 19 ans, l’actrice prouve qu’elle est parfaitement capable d’endosser des rôles dramatiques, et se sort définitivement de l’ornière habituelle des ex-enfants stars, avec une aisance stupéfiante.
UNE PLACE AU SOLEIL est un film très représentatif du «nouvel Hollywood» des années 1950 ; la vague de jeunes acteurs, dont Elizabeth Taylor ou Montgomery Clift sont parmi les nouveaux fers de lance, permet aux cinéastes, relativement plus libérés des contraintes des grands studios, de signer des récits plus complexes, plus matures, derrière le grand spectacle. De forts éléments psychanalytiques sont délibérément abordés, avec une grande franchise de ton qui met peu à peu à mal le Code Hays toujours en place. Elizabeth Taylor privilégiera, au fil des années, des films de cet acabit, aux côtés d’acteurs comme Clift, Rock Hudson ou, plus tard, Marlon Brando, tous porteurs de cette même «ambiguïté» tue officiellement, mais si perceptible…
Cependant, le succès d’UNE PLACE AU SOLEIL ne convainc pas les dirigeants de la MGM de lui confier des rôles de même consistance. Elizabeth Taylor voulait jouer les rôles principaux d’ILL CRY TOMORROW (UNE FEMME EN ENFER) ou LA COMTESSE AUX PIEDS NUS, mais ronge son frein en enchaînant les rôles légers, comme dans le classique IVANHOE (1952) de Richard Thorpe, film de chevalerie en Technicolor, avec Robert Taylor, Joan Fontaine et George Sanders. Elle y tient le rôle de Rebecca, la jeune Juive protégée des persécutions par le valeureux Ivanhoé, dans cette adaptation plaisante du roman de Walter Scott.
Elizabeth Taylor épouse l’acteur britannique Michael Wilding, son aîné de vingt ans, en secondes noces. Elle enchaîne les films, LA FILLE QUI AVAIT TOUT de Richard Thorpe, ELEPHANT WALK (LA PISTE DES ELEPHANTS) de William Dieterle, RHAPSODIE, romance de Charles Vidor avec Vittorio Gassman en latin lover, LE BEAU BRUMMEL de Curtis Bernhardt, avec Stewart Granger et Peter Ustinov et l’intéressant LA DERNIERE FOIS QUE J’AI VU PARIS, de Richard Brooks, avec Van Johnson, Walter Pidgeon et Donna Reed. Dans ce film adapté d’un roman de F. Scott Fitzgerald, son personnage s’inspire largement de Zelda, l’épouse du célèbre écrivain.
Le contrat de la MGM prend fin, heureusement pour l’actrice qui veut enfin des rôles à la vraie mesure de son talent. Quoi de mieux que de retrouver son réalisateur d’UNE PLACE AU SOLEIL, George Stevens, pour y parvenir ?
George Stevens adapte le roman d’Edna Ferber, GEANT, en 1956. Un titre qui convient bien à ce classique flamboyant, où Elizabeth Taylor a le premier rôle féminin d’un casting bien fourni : Rock Hudson, James Dean, Carroll Baker, Mercedes McCambridge, Dennis Hopper et Rod Taylor, le tout mis magistralement en musique par Dimitri Tiomkin. Taylor interprète Leslie Benedict, une jeune patricienne de la Côte Est, «déracinée» par son mariage avec le rancher texan Bick (Hudson). La jeune femme au cœur généreux défend la dignité des employés mexicains de son mari… et a bien du mal à s’adapter à sa nouvelle vie, dominée par la mentalité machiste texane, l’hostilité de sa belle-sœur (excellente Mercedes McCambridge) et un début de liaison amoureuse avec Jett, le marginal du domaine.
Le décès accidentel de James Dean et la légende qui en est née a malheureusement éclipsé dans la mémoire collective la remarquable prestation de Taylor et Rock Hudson, couple vedette sur qui le film repose entièrement. Avec beaucoup de finesse, Stevens suit les étapes de la vie de ces mariés qui apprennent à se découvrir sur le tard ; et la complicité évidente entre les deux comédiens est la véritable force motrice du récit, bien plus que les airs boudeurs de Dean.
Un élément récurrent dans la filmographie d’Elizabeth Taylor se met aussi en place : au-delà du seul glamour et de la séduction, l’actrice privilégiera des films où ses personnages mettront à rude épreuve la définition de la virilité conquérante, tel que le cinéma américain des années cinquante le définit… Les personnages campés par Taylor ne sont pas des potiches écervelées attendant d’être séduites par le héros, ce sont des femmes décidées, à la sexualité bien affirmée, qui ne s’en laissent pas compter facilement. L’ironie vient de ce que ses partenaires à l’écran les plus mémorables, que ce soit Montgomery Clift ou Rock Hudson, aient été obligés dans la réalité de taire leur homosexualité ! A contrario de l’intolérance alors de mise, Elizabeth Taylor aura toujours compté parmi ses proches amis des artistes homosexuels, de Roddy McDowall à Freddie Mercury, le chanteur de Queen, en passant par les acteurs mentionnés ci-dessus, le grand dramaturge Tennessee Williams, ou Michael Jackson. Une franchise de cœur qui comptera quand, des années plus tard, l’actrice se lancera dans la lutte caritative contre les ravages du SIDA.
En 1957, Elizabeth Taylor joue dans le drame flamboyant RAINTREE COUNTRY (L’ARBRE DE VIE) d’Edward Dmytryk, avec Montgomery Clift, Eva Marie Saint, Rod Taylor et Lee Marvin. Dans le rôle de la belle sudiste Susanna Drake, elle séduit de nouveau le personnage de Montgomery Clift, partagé entre la belle brune et la blonde Eva Marie Saint. Elle obtient sa première citation à l’Oscar de la Meilleure Actrice.
Après avoir divorcé de Michael Wilding, Elizabeth Taylor épouse son premier véritable grand amour, le producteur Mike Todd, l‘homme derrière le procédé Todd-AO qui allait amener les somptueux films à très grand spectacle en 70 millimètres. Bonheur de courte durée pour l’actrice, Mike Todd décèdera dans un accident d’avion (le mal nommé « Lucky Liz »…) l’année suivante.
1958 voit Elizabeth Taylor illuminer l’écran dans LA CHATTE SUR UN TOIT BRÛLANT (pas de jeux de mots grivois SVP), de Richard Brooks, avec Paul Newman et Burl Ives. Une adaptation célèbre de la pièce de Tennessee Williams, où elle tient le rôle de Maggie Pollitt. Une Belle du Sud brûlante, mal mariée à Brick (Newman), l’athlète déchu et alcoolique, perturbé par le suicide de son meilleur ami… Tensions familiales autour du patriarche magistralement campé par Burl Ives, et atmosphère lourde typique des pièces de Williams, où la sensualité de Taylor est parfaitement valorisée par Brooks. Le Technicolor sied à merveille à l’actrice, dont la combinaison blanche et moulante, et les poses alanguies dans la chambre à coucher affolent la libido du spectateur !
La franchise et le naturel de l’actrice explosent littéralement à l’écran, tandis qu’elle multiplie les scènes de reconquête érotique de son mari incarné par Newman. Le poids de la censure de l’époque interdit évidemment de parler directement d’homosexualité, mais personne n’est dupe : Brick n’est pas impuissant à «honorer» sa femme, il était réellement amoureux de son ami suicidé ! Brooks et ses acteurs doivent contourner les interdits moraux de l’époque pour faire passer le message, le rendant finalement plus évident qu’il ne devait l’être aux yeux des censeurs de l’époque ! Quoiqu’il en soit, les passes d’armes d’Elizabeth Taylor avec sa belle-famille de l’écran (les américains moyens de l’ère Eisenhower, matérialistes satisfaits dans toute leur horreur) sont savoureuses, et ses tenues suggestives font de l’actrice une icône vivante de la Féminité épanouie. Le rôle de Maggie lui vaut une seconde citation à l’Oscar de la Meilleure Actrice.
Elizabeth Taylor retourne à l’écran en 1959 dans l’adaptation d’une autre pièce de Tennessee Williams, SOUDAIN L’ETE DERNIER, réalisée par Joseph L. Mankiewicz. Elle y retrouve son ami Montgomery Clift et Mercedes McCambridge, auxquels se joint la grande Katharine Hepburn. Taylor est Catherine Holly, jeune femme splendide profondément perturbée par un drame, la mort de son cousin dans des circonstances sordides. Sa tante, Mrs. Venable (Hepburn), veut persuader son médecin (Clift) de la lobotomiser plutôt que de la voir révéler l’atroce vérité sur les circonstances de la mort de son fils chéri… Le tournage de ce film est difficile, le comportement de Montgomery Clift, terriblement marqué par les séquelles de son accident de voiture, causant notamment des tensions sur le plateau, malgré le soutien de Taylor et Hepburn.
SOUDAIN L’ETE DERNIER, à l’instar des nombreuses versions filmées de Williams, est souvent surchargé de pathos et de symboles pesants (les bébés tortues dévorés par des oiseaux de mer), mais Elizabeth Taylor est une nouvelle fois superbe. Et particulièrement touchante avec ce personnage profondément traumatisé, annonçant un nouveau palier dans sa carrière de la prochaine décennie. Et la vision de l’actrice, se baignant en bord de plage dans un maillot blanc une pièce des plus affriolants, est devenue une autre image «iconique» à mettre à son crédit.
Elizabeth Taylor décroche sa troisième citation à l’Oscar, et remporte le Golden Globe de la Meilleure Actrice. Et elle déchaîne les controverses cette même année, s’étant convertie cette année-là au judaïsme, et en épousant le chanteur Eddie Fisher, coureur de jupons notoire fraîchement séparé de Debbie Reynolds. L’actrice obtient enfin en 1960 l’Oscar de la Meilleure Actrice, curieusement pour un drame assez anodin de Daniel Mann, BUTTERFIELD 8 (LA VENUS AU VISON) de Daniel Mann, avec Laurence Harvey. L’Académie se «rattrape», en quelque sorte, après les trois citations précédentes, bien plus mémorables, de la comédienne. Elle est également citée au Golden Globe de la Meilleure Actrice.
Les années 1960 sont celles de la consécration du mythe vivant qu’Elizabeth Taylor est devenue. Au sommet de sa gloire, l’actrice accepte de se lancer dans une invraisemblable aventure, la production par la 20th Century Fox de la vie et des amours de Cléopâtre. Dans un genre déjà bien fourni en superproductions pharaoniques, CLEOPÂTRE est le film de tous les superlatifs. Décors et costumes faramineux, couleurs flamboyantes, musique majestueuse d’Alex North, figurants par milliers… le tout sous les caméras d’un réalisateur expérimenté, Rouben Mamoulian, rassemblant autour d’Elizabeth Taylor des comédiens prestigieux : Rex Harrison en Jules César, Martin Landau, Roddy McDowall… et Richard Burton dans le rôle de Marc Antoine.
La Fox alloue un budget démesuré, jusqu’à 48 millions de dollars (aujourd‘hui, en tenant compte de l‘inflation, CLEOPÂTRE resterait le film le plus cher de tous les temps), et frise la banqueroute totale. Il faut dire que le tournage s’éternise, Mamoulian étant remplacé au pied levé par Joseph L. Mankiewicz appelé à la rescousse. Le cinéaste de SOUDAIN L’ETE DERNIER s’en tire très bien, compte tenu de la galère (romaine) que devient cette superproduction qui fait couler beaucoup d’encre bien avant sa sortie. Et les amours de Cléopâtre et Marc Antoine «déteignent» littéralement sur leurs interprètes : entre Taylor et Burton, tous deux mariés, c’est la passion dévorante. La presse à sandales (à scandales, aussi) en rajoute à foison… fournissant finalement la meilleure publicité possible au film qui est un succès à sa sortie. On se précipite pour voir LE couple qui a fait vaciller Hollywood… mais n’oublions pas que CLEOPÂTRE, film fleuve de quatre heures, est aussi une sacrée leçon de cinéma à grand spectacle.
Les scènes de séduction entreprises par la souveraine égyptienne sur ses conquérants romains sont de grands moments, tout comme l’arrivée démesurée de Cléopâtre à Rome sur son trône gigantesque, tiré par une centaine d’esclaves… Le récit, avec une certaine dose d’ironie, nous rappelle que le goût du faste et les luttes de séduction sont indissociables des conquêtes politiques des grands de ce monde. Si le succès du film sauve la Fox, Hollywood, perfide, boude symboliquement le couple Taylor-Burton, exclu des citations à l’Oscar que le film obtient pourtant en nombre.
CLEOPÂTRE est aussi le film de la fin d’une époque. Les grands studios rivalisent de projets spectaculaires, mais leur système de production s’essouffle. Les producteurs, cinéastes et comédiens ayant contribué à sa gloire vieillissent, prennent peu à peu leur retraite ou décèdent, tandis que de nouvelles générations turbulentes prennent leur envol, et que les «majors» sont rachetées par des multinationales, devenant les filiales de grands groupes industriels. Les «Taylor-Burton» prendront leur distance vis-à-vis du système hollywoodien classique, en plein crépuscule… tout en alimentant sa propre légende !
Après CLEOPÂTRE, Elizabeth Taylor et Richard Burton se retrouvent dans HÔTEL INTERNATIONAL (ou THE V.I.P.s) d‘Anthony Asquith, avec Richard Burton, Louis Jourdan, Maggie Smith, Orson Welles, Rod Taylor et Elsa Martinelli. Les deux amants divorcent et se marient en 1964. Un couple passionné, bouillonnant, mais qui s’étiolera au fil des années.
Le couple revient en 1965 pour son troisième film, le joli drame romantique de Vincente Minnelli, THE SANDPIPER (LE CHEVALIER DES SABLES), avec également Eva Marie Saint et Charles Bronson. Elizabeth Taylor est remarquable une nouvelle fois, dans le rôle de Laura Reynolds, mère célibataire, artiste et libre penseuse, qui entame une liaison adultère avec le directeur de l’école épiscopale (Burton) chargé de «redresser» son fils… La chanson «The Shadow of Your Smile», mélancolique et émouvante, accompagne la romance du couple contrarié.
Elizabeth Taylor et Richard Burton tournent l’année suivante ce qui est certainement leur meilleur film, l’adaptation de la célèbre pièce d’Edward Albee, QUI A PEUR DE VIRGINIA WOOLF ?. Un jeune metteur en scène, Mike Nichols, fait ses débuts de cinéaste avec ces deux monstres sacrés… et quels débuts !
Le film est un huis clos étouffant, une bataille à couteaux tirés dans la triste vie d’un couple d’universitaires quadragénaires, George et Martha. Un petit couple embourgeoisé, qui, au soir d’une réception fortement arrosée, va se livrer à un terrible déballage de linge sale, sous le regard d’un couple de jeunes collègues, Nick et Honey (George Segal et Sandy Dennis). La mise en scène au cordeau de Nichols ne laisse aucune chance au spectateur de s’échapper de l’affrontement entre George et Martha. De petites phrases acerbes en mesquineries accumulées, le couple se détruit sous nos yeux effarés… Sous la méchanceté apparente des actes et des paroles, un immense chagrin pointe. Le couple vieillissant traîne comme un boulet un douloureux secret de famille… Côté interprétation, c’est un sans faute. Elizabeth Taylor n’a pas volé son second Oscar de la Meilleure Actrice, ainsi qu’un BAFTA Award, et une nouvelle citation au Golden Globe. Elle prend même un risque insensé, à 35 ans et au sommet de sa carrière : l’actrice se laisse filmer en très gros plan, bouffie, mal fagotée, ses beaux yeux gonflés par la détresse… L’antithèse parfaite de la douce et belle jeune femme que nous croyions connaître, qui ici fume comme un pompier, boit comme un trou, jure comme le dernier des charretiers et ose «allumer» le jeune professeur sous le regard dégoûté de son mari… Cela ne rend que plus bouleversantes, et plus crues, les scènes où Martha dévoile sa douleur de mère endeuillée. Un tour de force, et une sacrée «gifle» émotionnelle infligée au spectateur.
Après deux nouveaux films tournés toujours avec Burton, LA MEGERE APPRIVOISEE de Franco Zeffirelli, avec Richard Burton, et DOCTOR FAUSTUS, co-réalisé par celui-ci, Elizabeth Taylor se joint à un autre monstre sacré de l’écran, Marlon Brando, dans le très beau, très bon, et carrément pervers REFLETS DANS UN ŒIL D’OR de John Huston, d’après le roman de Carson McCullers.
Ce drame aux thèmes familiers aux spectateurs de GEANT et LA CHATTE SUR UN TOIT BRÛLANT est un film vraiment fou, baignant dans une lueur dorée renforçant son caractère halluciné. Elizabeth Taylor est Leonora Penderton, épouse infantile, aguicheuse et frustrée du Major Penderton (Brando). Leonora ne se prive pas de tromper son triste mari avec son voisin et collègue, le Lieutenant Langdon (Brian Keith), lui-même malheureux en mariage. Par sa sensualité affichée, exacerbée, Leonora fascine un jeune soldat (Robert Forster), dont la présence trouble Penderton, homosexuel profondément refoulé…
Fétichisme, sadisme, frustrations et deuil impossible sont au programme de ce film parfaitement maîtrisé, mais qui déconcerte le public. Huston y va quand même très fort pour l’époque, en suggérant que Leonora, en quête d’un amant viril idéal, ne prend finalement «son pied» que lorsqu’elle galope sur son cheval chéri… Le film est d’autant plus transgressif que le choix d’engager Brando, pour remplacer le défunt Montgomery Clift, est des plus pertinents pour jouer le Major perturbé. Bisexuel affirmé dans la réalité, le grand Brando est ici le contrepoint parfait d’Elizabeth Taylor, jouant une sorte de Maggie Pollitt vieillissante et désabusée, qui aurait échoué à reconquérir son mari «impuissant»…
Après ce nouveau coup d’éclat boudé par le public, Elizabeth Taylor retrouve Richard Burton pour LES COMEDIENS de Peter Glenville, avec Peter Ustinov et Alec Guinness. Puis elle est saluée pour son «coup double» de 1968, dans deux films de Joseph Losey, en recluse vieillissante dans BOOM, toujours avec Richard Burton et écrit par Tennessee Williams, et dans CEREMONIE SECRETE, où elle campe une prostituée endeuillée par la mort de sa fille, face à Mia Farrow et Robert Mitchum. Les deux films, malgré l’excellence de l’interprétation de Taylor, et l’admiration excessive que portent les critiques à un cinéaste assez surestimé, ont assez mal vieilli, semble-t-il.
L’échec des films au box-office contribue aussi à l’éloignement progressif des écrans de l’actrice. George Stevens, qui l’avait si bien servie dans UNE PLACE AU SOLEIL et GEANT, est en fin de carrière quand il signe leur troisième et dernière collaboration, THE ONLY GAME IN TOWN (LAS VEGAS, UN COUPLE), avec Warren Beatty. C’est un nouvel échec, tandis qu‘en coulisses, Elizabeth Taylor tente de privilégier son couple avec Richard Burton.
La suite de sa carrière sera moins glorieuse, marquée par les insuccès à l’écran. Rendue malade par l’alcool, le tabac et les barbituriques, Elizabeth Taylor fera alors malheureusement plus souvent parler d’elle par ses déboires. Elle divorce de Burton en 1974, se re-marie avec lui en 75, dernière tentative de «sauver les meubles» avant un rapide divorce l’année suivante.
Citons rapidement quelques titres de cette période chaotique : en 1972, ZEE AND CO (UNE BELLE TIGRESSE) de Brian G. Hutton, avec Michael Caine et Susannah York ; UNDER MILK WOOD, avec Richard Burton et HAMMERSMITH IS OUT, de et avec Peter Ustinov. et toujours avec Burton. Pour ce dernier film, elle obtient l’Ours d’Argent au Festival de Berlin. Un téléfilm de 1973 au titre évocateur, DIVORCE HIS – DIVORCE HERS, une nouvelle fois avec Richard Burton ; et ASH WEDNESDAY (NOCES DE CENDRES) de Larry Peerce, avec Henry Fonda, qui lui vaut une nouvelle citation au Golden Globe de la Meilleure actrice. En 1976, L’OISEAU BLEU, film américano-soviétique de George Cukor, avec Ava Gardner et Jane Fonda, où elle tient plusieurs rôles.
Elizabeth Taylor prend une semi-retraite anticipée du Cinéma en 1980, après être apparue dans le casting du MIROIR SE BRISA, adaptation par Guy Hamilton d’une enquête de Miss Marple, l’héroïne d’Agatha Christie. Elle y joue aux côtés d’Angela Lansbury, Kim Novak, Edward Fox, Tony Curtis, et son vieil ami Rock Hudson. Elle épouse John Warner, dont elle divorcera, en 1982.
Les années 80 verront son grand retour, tambour battant sous les feux de la rampe, pour une toute autre cause que le Cinéma. Désintoxiquée plusieurs fois, Elizabeth Taylor revient, plus battante que jamais en dépit d’une santé fragilisée, pour se battre en faveur des malades du SIDA. Le drame de son ami Rock Hudson, emporté par la maladie en 1985, l’a immensément touchée. Alors que l’Amérique de Reagan célèbre le retour en force du conservatisme néo-chrétien et de l‘intolérance, le soutien affiché et affirmé de l’actrice à Hudson et aux malades est un acte courageux, un «baiser du lépreux» qui poussera la société américaine à devoir accepter ses malades… Dieu sait, hélas, que plus d‘un quart de siècle après, le combat est toujours loin d‘être gagné pour changer les mentalités.
Elizabeth Taylor va se battre en première ligne contre les préjugés, fondant plusieurs œuvres caritatives en faveur des victimes du SIDA : AIDS Project Los Angeles en 1984, AMFAR en 1985 et ETAF en 1993.
Elle continuera à travailler en tant qu’actrice, faisant des apparitions dans des séries télévisées, et se produira au théâtre, retrouvant notamment Richard Burton dans une représentation exceptionnelle de la pièce PRIVATE LIVES de Noel Coward, en 1983, peu de temps avant le décès de son ancien époux et partenaire. À la télévision, on la verra notamment en 1985 dans le célèbre NORD ET SUD, et le téléfilm MALICE IN WONDERLAND, où elle campe, ironie de l’Histoire hollywoodienne, Louella Parsons, la grande rivale ès cancans et chroniques de l’Âge d’Or de Hedda Hopper, celle qui l’aida à ses tous débuts ! Pour l’anecdote, la malicieuse Miss Taylor acceptera aussi de venir jouer les guest stars chez les SIMPSONS, à deux reprises. Elle s’y double elle-même en train d’astiquer soigneusement ses Oscars, et prête sa voix à Bébé Maggie pour une seule réplique !
Au cinéma, Elizabeth Taylor fera un avant-dernier retour en 1988 dans l’oubliable TOSCANINI de Franco Zeffirelli… Plus amusante, sa dernière apparition sur grand écran se fera en 1994, dans une production à succès de Steven Spielrock, la version «live» du dessin animé LA FAMILLE PIERRAFEU avec John Goodman. Elle s’amuse bien à tourner sa propre image en dérision dans le rôle de Pearl Slaghoople, belle-mère de Fred Pierrafeu (GOODMAN). Une belle-maman de l‘Âge de Pierre, excentrique et envahissante, et qui, fidèle à l’image de l’actrice, ne sort jamais sans ses diamants et ses robes de fourrure préhistorique ! La pétulance de l’actrice emporte l’adhésion. Et c’est une sorte de juste retour aux sources des productions familiales pour Elizabeth Taylor, cinquante ans après avoir débuté aux côtés de Lassie et de valeureux chevaux de course !
Un huitième et dernier mariage en 1991, avec Larry Fortensky, se conclura par son sixième divorce cinq ans plus tard. Toujours aussi «star» en dépit de tout, Elizabeth Taylor fera ses adieux en tant qu’actrice dans le téléfilm de 2001 THESE OLD BROADS, jouant les agents de trois «vieilles de la vieille» de Hollywood : Shirley MacLaine, Debbie Reynolds et Joan Collins ! Elle fera sa dernière apparition sur scène au théâtre, le 1er décembre 2007, pour une représentation exceptionnelle LOVE LETTERS d’A.R. Gurney, avec James Earl Jones. Les profits allèrent à son association de lutte contre le SIDA.
Battante jusqu’au bout, Elizabeth Taylor fera d’ultimes apparitions toujours mémorables, malgré un épuisement physique de plus en plus aggravé. Elle décèdera finalement d’une défaillance cardiaque, à l’Hôpital Cedars Sinai de Los Angeles, le 23 mars 2011, entourée de sa famille.
Conformément à ses propres souhaits, son enterrement eut lieu en retard sur l’horaire prévu. Quand on est une Star, il faut savoir se faire attendre jusqu’au bout… «That’s Entertainment !»
Liens :
Sa biographie WikiPédia (avec la liste complète de ses citations, récompenses et autres honneurs !) :
http://http://fr.wikipedia.org/wiki/Elizabeth_Taylor
Et sa filmographie complète sur ImdB :