THE FIGHTER, de David O. RUSSELL
l’Histoire :
Une histoire vraie, celle de Dicky Eklund et Micky Ward. Demi-frères élevés par leur mère Alice, Dicky et Micky ont grandi ensemble à Lowell, petite ville du Massachusetts. Dicky a été un boxeur prometteur jadis ; il a connu son heure de gloire en 1978, après avoir affronté et vaincu, par k.o., en championnat des poids welters, le légendaire Sugar Ray Leonard. Mais quinze ans ont passé depuis ce soir glorieux, et Dicky, qui a raccroché les gants, est devenu dépendant au crack. Quand il ne traîne pas avec ses amis junkies, Dicky entraîne Micky, qui, à trente ans, n‘a jamais su faire décoller une carrière de boxeur de second plan, gérée par sa mère et son frère.
Micky rencontre et tombe amoureux d’une jeune femme au caractère bien trempé, Charlene, barmaid qui a quitté l‘université. Un combat facile de plus à Atlantic City, contre un adversaire à la portée de Dicky, tourne au fiasco. Le boxeur adverse, malade, est remplacé à la dernière minute par Mike «Machine Gun» Mungin, un poids moyen beaucoup plus lourd et puissant que Micky, poids welter. Se sentant obligé d’accepter pour pouvoir gagner l’argent prévu pour le combat initial, Micky subit une défaite humiliante. Il n’ose plus se montrer pendant des semaines. Charlene l’aide à reprendre confiance en lui. Et à ouvrir les yeux sur son étouffante famille, qui veut le retenir, alors qu’il reçoit enfin une offre sérieuse pour un combat à Las Vegas…
Impressions :
Appartenant à cette nouvelle et talentueuse génération de jeunes cinéastes américains comptant également Sofia Coppola, Spike Jonze et autres Wes Anderson, David O. Russell a lancé la carrière de Ben Stiller avec la comédie de 1996 FLIRTER AVEC LES EMBROUILLES, sur les déboires conjugaux et familiaux d’un futur papa stressé, avant de triompher en 1999 avec l’emblématique THREE KINGS / LES ROIS DU DESERT. Comédie décapante, film d’action trépidant et satire politique bien sentie sur la Guerre du Golfe, THREE KINGS suivait les mésaventures d’un quarteron de soldats américains cherchant à s’emparer du trésor de guerre de Saddam Hussein pour finir sauveurs malgré eux de familles de civils irakiens… Russell offrait des rôles en or à George Clooney, Cuba Gooding Jr., Spike Jonze (grandiose en troufion «redneck» ahuri) et Mark Wahlberg. Ce film marquait la première des collaborations entre l’acteur et David O. Russell ; ils se retrouveraient pour le film suivant de Russell, J’ADORE HUCKABEES, une comédie existentialiste rassemblant Jude Law, Naomi Watts, Dustin Hoffman, Isabelle Huppert, Jason Schwartzman, Lily Tomlin, etc. Ce film déconcertant, controversé, fut boudé par la critique et le public et éloigna Russell des plateaux de tournage pendant six longues années, avant qu’il ne signe un come-back en très grande forme, THE FIGHTER.
THE FIGHTER est un projet de longue date de Mark Wahlberg, qui cherchait depuis plusieurs années à monter le film consacré aux frères boxeurs Dicky Eklund et Micky Ward. Au fil des tentatives de mise en route du projet (d’abord confié à Darren Aronofsky, le réalisateur de BLACK SWAN), Wahlberg s’est adjoint les services de trois scénaristes différents – Scott Silver, auteur du scénario de 8MILE (le drame-biopic consacré au rappeur Eminem), ayant sans doute apporté une contribution essentielle à l’esprit «rue» de l’histoire des frères rivaux ; également crédités, deux relatifs inconnus, Eric Johnson, un petit nouveau, et Paul Tamasy, jusqu’ici cantonné à l’écriture… de films de chiens ! Le trio livre ici un travail solidement charpenté sur la déchéance et la remontée des frères boxeurs.
Les auteurs savent qu’ils s’aventurent dans un terrain connu des cinéphiles, la boxe ayant toujours bénéficié d’un traitement royal sur le grand écran. Inutile, je pense, de faire un tour d’horizon exhaustif d’un genre qui compte un nombre incalculable de classiques et de réussites. Citons juste quelques titres ayant franchi les âges : BODY AND SOUL (SANG ET OR) de Robert Rossen avec John Garfield, THE SET-UP (NOUS AVONS GAGNE CE SOIR) et SOMEBODY UP THERE LIKES ME (MARQUE PAR LA HAINE) de Robert Wise, FAT CITY de John Huston, RAGING BULL de Scorsese, la saga des ROCKY de «Sly» Stallone… jusqu’aux plus récents ALI de Michael Mann avec Will Smith ou CINDERELLA MAN (DE L’OMBRE A LA LUMIERE) de Ron Howard avec Russell Crowe.
Une liste déjà bien remplie, à laquelle on peut rajouter une tirade légendaire de Marlon Brando, ex-boxeur déchu dans le sublime SUR LES QUAIS d’Elia Kazan, adressée à Rod Steiger… Le «It was you, Charly» amer de Brando à son frère aîné qui ne l’a pas aidé à s’en sortir trouverait presque un écho ici, dans la description des relations conflictuelles de Micky et Dicky… «It was you, Dicky»…
Les scénaristes ont su adroitement déjouer le piège du déjà-vu, pour nous présenter les personnages et leurs drames. S’inspirant d’un documentaire réellement tourné par HBO, tourné en 1993, les auteurs nous présentent les frères terribles en brouillant astucieusement les pistes. On croit assister à un documentaire classique sur la carrière de Dicky, prétexte idéal pour nous présenter ce dernier avec sa famille, dans sa ville natale dont il fit la fierté. Les réalisateurs du documentaire servent de lien entre le spectateur et le clan Eklund-Ward, pour nous transmettre les informations nécessaires sur le passé sportif de Dicky, et la composition de cette sacrée famille maintes fois recomposée autour de la matriarche Alice. Russell et ses scénaristes ne nous dévoilent qu’à contrecoup la nature réelle du documentaire : ce n’est pas une biographie sportive, mais un reportage très dur sur la déchéance de Dicky et ses copains accros au crack, dans une petite ville «naufragée» par la précarité. En «show» permanent, plongé dans ses souvenirs de gloire passée, Dicky n’en a pas conscience. Le retour à la réalité est brutal quand le documentaire est diffusé à la télévision. Expérience d’autant plus humiliante pour Dicky qui est alors en prison et frime devant ses congénères détenus… Dicky a «atterri» là au terme d’une descente aux enfers qui l’a vu prêt à utiliser les pires moyens pour se procurer l’argent nécessaire à se payer ses doses – jusqu’au vol, aux agressions et au proxénétisme de sa compagne… La diffusion du documentaire va sonner comme le déclic nécessaire. Le «moment de clarté» d’un toxicomane qui va alors s’acharner à remonter la pente. Ce n’est pas sans difficultés ni douleur, sortir de cette spirale infernale n’est pas pour l’ex-boxeur un chemin bordé de roses…
Le tournage du documentaire révèle aussi la position difficile de Micky au sein de la «tribu»… Micky est autant écrasé par l’autorité maternelle et l’attitude de «star» de Dicky. Une scène de tournage, qui lance le conflit à venir, est révélatrice. Elle caractérise bien les deux frères, et est mise intelligemment en scène par Russell. La caméra à l’épaule suit Micky, dans son travail quotidien de cantonnier, raclant le sol d’une rue avec son râteau. Micky lâche à peine quelques mots timides que, tout à coup, Dicky entre dans le champ, boxant le vide avec ses poings. Début d’un nouveau «show» du grand frère qui attire l’attention du caméraman sur lui plutôt que sur son frangin effacé… lequel accepte de rejouer, pour rire, le combat glorieux livré par Dicky contre Sugar Ray Leonard quinze ans plus tôt. Tout est dit : Dicky n’a jamais «atterri» de ce match, et craint finalement de se voir supplanté par son frère ; Micky, lui, subit en silence ce grand frère envahissant qu’il adore, mais qui l’empêche de s’accomplir.
Micky a placé la barre tellement haut dans la vénération de ce fraternel exubérant, et dans ses responsabilités filiales, qu’il est littéralement pris au piège… Le talent du sportif est bien là, mais la volonté de s’accomplir est sapée – autant par la pression familiale que par le manque de confiance en soi. La passivité paisible de Micky le met en porte-à-faux vis-à-vis des siens, et même de sa chère Charlene… Dans une ultime scène de confrontation entre les deux frères, la compagne et la mère, Micky doit faire face sur plusieurs fronts en même temps. Pas évident de ne froisser personne tout en se faisant respecter !
Il est intéressant de voir comment les deux frères mènent leur vie à la façon de leurs combats sur le ring. Dicky évite les scènes maternelles, en sautant hors de la maison de ses amis camés pour tomber dans les poubelles ! Artiste de l’esquive sur le ring, il fuit les ennuis du quotidien de la même façon. Plus posé en apparence, Micky fonce dans le tas, se fait frapper… puis riposte furieusement. Le « petit frère » trouve ainsi son exutoire. De la même façon qu’il subit d’abord les pressions et les tracas familiaux, avant d’oser s’affirmer et de devenir indépendant.
Il faut dire par ailleurs que la famille Ward est une drôle de tribu, guère propice à l’accomplissement des deux frères terribles. Tous sont sous la domination d’une mère toute-puissante, Alice (formidable Melissa Leo), plusieurs fois mariée et divorcée et qui écrase de son autorité son dernier époux, une bonne pâte résignée à subir ses colères ! Pour tempérer un peu la charge, Russell nuance quand même le portrait d’Alice. Loin d’être une virago ou une mégère, Alice reste un personnage profondément humain. On la devine meurtrie par ses précédentes déceptions conjugales, et désemparée par la fuite en avant de Dicky dans les drogues. La scène où elle réalise enfin que ce dernier s’est depuis longtemps perdu dans les paradis artificiels est très révélatrice de sa détresse.
Autour de la matriarche inflexible, une flopée de sœurs, savoureuse galerie de «pouffes» soudées les unes aux autres, et perpétuellement à ses ordres… Les deux garçons d’Alice sont ainsi «surveillés» de près par ce groupe hyperprotecteur jusqu’à la paranoïa… La scène où Charlene est présentée à sa belle-famille est parfaitement mise en scène, comme un combat opposant les deux figures féminines de la mère et de la compagne, bien décidées à ne pas se laisser impressionner par la rivale. Dicky et Micky, dans ce « ring » inattendu, comptent les coups… Charmant tableau de famille à laquelle Charlene (Amy Adams, superbe) doit tenir tête frontalement. Ce «clan» haut en couleur ne dépare pas dans la filmographie de David O. Russell, manifestement obsédé par ce thème récurrent : depuis son court-métrage SPANKING THE MONKEY (sur les liens incestueux entre une mère et son fils…), en passant par les angoisses du jeune couple de FLIRTER…, jusqu’à la «famille» des réfugiés irakiens pris en charge par les «Rois Mages» de la Guerre du Golfe…
Cette fresque sportive atypique repose aussi sur la remarquable alchimie de deux acteurs exceptionnels. Investi à fond dans le film, Mark Wahlberg trouve un de ses meilleurs rôles en Micky Ward. On peut être tenté de faire un parallèle entre la vie du boxeur et celle de Wahlberg, qui connaît parfaitement cette mentalité « de la rue » puisqu’il a lui-même vécu une jeunesse difficile dans un quartier populaire de Boston. Depuis l’époque des New Kids on the Block, Wahlberg s’est peu à peu affirmé, en sortant de l’ombre d’un grand frère, Donnie (excellent comédien relégué aux seconds rôles – voir SIXIEME SENS ou BAND OF BROTHERS), pour devenir un comédien accompli, qui n’est jamais autant à l’aise que dans ce type de films imprégnés de la mentalité urbaine américaine (voir aussi ses remarquables prestations chez James Gray, THE YARDS et LA NUIT NOUS APPARTIENT). Contrastant avec la retenue du jeu de Wahlberg, Christian Bale, récompensé d’un Oscar amplement mérité, nous livre une prestation détonante. L’acteur s’investit dans ses rôles avec une intensité qui fait presque froid dans le dos tant il semble s’oublier dans ses personnages ; coutumier des transformations physiques radicales (il joua dans THE MACHINIST pour lequel il perdit plus de trente kilos, ayant l’apparence maladive d’un déporté, avant de reprendre du poids et des muscales pour devenir Batman chez Nolan), Bale campe un junkie tantôt attachant, tantôt pitoyable. Aussi « explosif » que Wahlberg est « passif », Bale ne vole pas pour autant la vedette à son collègue. Les deux se complètent à merveille, dans des scènes de confrontation mémorables. Jusqu’à un final, dépouillé et profondément émouvant.
En somme, un combat dont tout le monde sort vainqueur – le réalisateur, de retour en grâce après une longue traversée du désert ; les comédiens, tous impeccables ; et le spectateur !
La note :
Ludovic Fauchier, pour vous servir.
La Fiche Technique :
THE FIGHTER
Réalisé par David O. RUSSELL Scénario de Scott SILVER et Paul TAMASY & Eric JOHNSON
Avec : Mark WAHLBERG (Micky Ward), Christian BALE (Dicky Eklund), Amy ADAMS (Charlene Fleming), Melissa LEO (Alice Ward), Mickey O’KEEFE (lui-même), Jack McGEE (George Ward), Melissa McMEEKIN («Little Alice» Eklund), Bianca HUNTER (Cathy «Pork» Eklund), Erica McDERMOTT (Cindy «Tar» Eklund), Jill QUIGG (Donna Eklund Jaynes), Frank RENZULLI (Sal LoNano) et Sugar Ray LEONARD dans son propre rôle
Produit par Dorothy AUFIERO, Mark WAHLBERG, David HOBERMAN, Ryan KAVANAUGH, Todd LIEBERMAN, Paul TAMASY, Jeff G. WAXMAN et Ken HALSBAND (Closest to the Hole Productions / Fighter / Mandeville Films / The Park Entertainment / Relativity Media / The Weinstein Company) Producteurs Exécutifs Leslie VARRELMAN, Bob WEINSTEIN, Harvey WEINSTEIN, Keith DORRINGTON, Eric JOHNSON et Tucker TOOLEY
Musique Michael BROOK Photo Hoyte Van HOYTEMA Montage Pamela MARTIN Casting Sheila JAFFE
Décors Judy BECKER Direction Artistique Laura BALLINGER Costumes Mark BRIDGES
1er Assistant Réalisateur Michele Ziegler Combats de boxe réglés par Ray SIEGLE et Ben BRAY
Mixage Son Myron NETTINGA et John ROSS Montage Son et Design Sonore Odin BENITEZ Distribution USA : Paramount Pictures Durée : 1 heure 55
Caméras : Aaton Penelope, Sony BVP-900 et BVP-950
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