Philip K. Dick rêve-t-il d’adaptations cinématographiques ? – THE ADJUSTMENT BUREAU et SOURCE CODE

Au programme d’aujourd’hui, deux thrillers de science-fiction, aux thèmes apparemment assez similaires…

La paranoïa et manipulations forcées du destin y sont de mise ; les protagonistes y croisent une belle inconnue dont ils tombent amoureux, à leurs risques et périls ; et, surtout, ils doivent énormément à Philip K. Dick. Le défunt auteur de romans et nouvelles hallucinées qui ont donné à l’écran de célèbres adaptations filmées est l’auteur de la nouvelle à l’origine du film ADJUSTMENT BUREAU… et SOURCE CODE, s’il n’est pas adapté d’un de ses textes, lui doit certainement beaucoup par l’esprit. Or, le premier film échoue là où l’autre réussit !    

Mais avant d’aller plus loin, profitons de l’occasion qui nous est offerte de passer en revue les différentes adaptations de l’auteur à l’écran. Philip K. Dick et le cinéma, c’est déjà une longue histoire chaotique, comprenant aussi bien des réussites, des déceptions, des petites pépites et de terribles trahisons ! 

  

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L’auteur vit, peu de temps avant sa mort, la toute première d’entre elles, BLADE RUNNER, basée sur son roman « Les Androïdes Rêvent-ils de Moutons Electriques ? », par Ridley Scott, en 1982. Plutôt hostile à toute tentative d’adaptation hollywoodienne, Dick fut emballé par la projection que lui réserva le futur cinéaste de GLADIATOR. Depuis, BLADE RUNNER est reconnu comme un chef-d’œuvre (presque) indiscutable du genre… du moins en ce qui concerne l’esthétique. De ce côté-là en tout cas, le film est irréprochable, grâce aux magnifiques effets spéciaux de Douglas Trumbull, le magicien des effets de 2001 L’ODYSSEE DE L’ESPACE et RENCONTRES DU TROISIEME TYPE, qui crée une Los Angeles futuriste et tentaculaire. Grâce également à l’ambiance créée par les savants éclairages de Scott et son chef opérateur Jordan Cronenweth, et l’équipe artistique… Ce lointain descendant de METROPOLIS croisé au FAUCON MALTAIS, lorgnant aussi de très près sur les bandes dessinées de Moebius parues dans la revue Métal Hurlant, aux thèmes passionnants (la création d’une forme de vie artificielle, trop semblable à l’Homme), a toutefois souffert pendant longtemps de problèmes de clarté de scénario. Divers remontages portant sur des détails à l’importance variable d’une version à l’autre (la licorne, pour ne citer qu’un exemple) n’ont pas non plus aidé à sa compréhension. L’interprétation est de qualité ; Harrison Ford campe un savoureux Marlowe dépressif du futur… même si l’acteur se sentit vite perdu dans les décors et les gadgets techniques envahissants de Scott, il donne une certaine gravité résignée à son personnage de détective privé. Mais c’est Rutger Hauer, inoubliable androïde en révolte contre son créateur (le comédien « kubrickien » Joe Turkel) qui reste dans les mémoires. Très bon film pour ses qualités techniques et visuelles évidentes (maintes fois imitées dans des dizaines de productions de SF par la suite), quelque peu décevant dans son récit prometteur, BLADE RUNNER reste tout de même dans le haut du panier des adaptations de Dick.    

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Plus en tout cas que le film suivant, tout aussi célèbre pourtant, TOTAL RECALL, réalisé par Paul Verhoeven en 1990. Le cinéaste hollandais, fou génial, auteur virulent de SOLDIER OF ORANGE et ROBOCOP, poursuivait son aventure hollywoodienne avec un Arnold Schwarzenegger alors au sommet de sa forme et de sa gloire au box-office mondial. Une association explosive pour l’adaptation de « Souvenirs à Vendre » de Dick, histoire azimutée de manipulation mentale cachant un obscur secret situé sur Mars, planète de toute les obsessions de l’auteur… Gros succès, TOTAL RECALL déçut tout de même les admirateurs de Verhoeven et irrita les amateurs de Dick. Seuls les fans moins exigeants de « Schwarzy » y trouvèrent leur compte, le film étant une version futuriste ultra-violente de LA MORT AUX TROUSSES, un blockbuster d’action pétaradante centré autour de sa méga-star, plus prompt à castagner et mitrailler ses ennemis qu’à se poser des questions métaphysiques («si che suis pas moi, qui che suis, portel ?»). La dimension « dickienne » est rapidement évacuée au profit des effets spéciaux, des explosions et de l’action non-stop… de facture assez correcte pour l’époque (notamment les métamorphoses animatroniques assurées par Rob Bottin, l’artiste fou de THE THING et HURLEMENTS), les truquages ont cependant pris depuis un sérieux coup de vieux.  Quelques points positifs… outre la relance de la carrière de Sharon Stone (parfaite dans le registre mi-ange mi-démon. Les castagnettes du Chêne Autrichien en gardent un souvenir douloureux !), Verhoeven a tout de même tenté de « subvertir » l’image de Schwarzenegger, n’hésitant pas à le tourner plus d’une fois à l’écran en dérision : gentil mari effacé, Quaid (Schwarzenegger) subit toutes sortes de déguisements et métamorphoses grotesques – déformations « cartoonesques » à foison, serviette-turban sur la tête et travestissement en grosse femme… Plus sérieux, le film redevient « dickien » quelques instants, lors de la séquence de l’hôtel martien. Qui est ce curieux docteur surgi de nulle part qui vient avertir Quaid qu’il est toujours en plein délire psychotique, que ce qu’il vit n’est pas réel ? Pendant quelques minutes, TOTAL RECALL vacille un peu sur ses fondations, on se prend à espérer que Verhoeven va reprendre la situation en main pour orienter le film dans la paranoïa complète… mais les lois du box-office reviennent reprendre leur droit, enchaînant bagarres et fusillades sanglantes jusqu’au générique de fin. Une bonne occasion ratée, donc.    

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L’adaptation suivante de Dick date de 1990. Cocorico, elle est française ! CONFESSIONS D’UN BARJO est signée d’un certain Jérôme Boivin, réalisateur atypique d’un BAXTER dont le héros est un chien méchant et pensant… Comédie grinçante interprétée par Hippolyte Girardot, Anne Brochet et Richard Bohringer, le film est depuis tombé dans l’oubli. En 1995, le Canada se distingue à son tour avec une bonne petite surprise, SCREAMERS (PLANETE HURLANTE), basée sur la nouvelle « Second Variety ». Un script adapté par Dan O’Bannon – déjà co-auteur de TOTAL RECALL – qui tombe entre les mains du réalisateur Christian Duguay. Sous l’apparence d’un récit d’action futuriste, c’est une excellente série B bien menée. Un groupe de soldats – menés par Peter Weller, le ROBOCOP de Verhoeven – embarqués dans une guerre interminable se retrouve piégé sur une planète où des machines intelligentes, les « screamers » créés pour mettre fin au conflit, ont évolué. Elles imitent si bien les formes de vie les plus complexes qu’elles finissent par se croire réelles… La suspicion gagne les rangs du commando dès lors que tous croient que les redoutables « screamers » se cachent parmi eux… Une ambiance de décrépitude, quelque part entre Tchernobyl et la guerre civile yougoslave, donne à ce film un cachet particulier et tout à fait appréciable.    

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Dans un registre assez proche, l’américain Gary Fleder signe en 2002 une nouvelle adaptation, IMPOSTOR, assez fidèle à l’esprit du romancier. Dans un proche futur où l’Humanité est en guerre contre les extra-terrestres Centauriens, le directeur de l’armement à la solde d’un gouvernement fasciste, Spencer Olham (Gary Sinise), se retrouve suspecté d’être un « faux humain » par les services secrets de son camp ;  fabriqué par l’ennemi, il aurait été manipulé et rendu volontairement amnésique, porteur d’une bombe vivante… Le sujet est intéressant, le film correctement interprété par de solides professionnels (Sinise, Madeleine Stowe, Vincent D’Onofrio)… seul bémol, la limitation de son budget oblige le réalisateur à caviarder son film d’inserts d’effets visuels d’autres films – notamment STARSHIP TROOPERS et ARMAGEDDON.    

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Si, jusqu’ici, BLADE RUNNER était généralement considéré comme la seule et unique adaptation valable de l’univers de Philip K. Dick, un autre film va lui tenir la dragée haute vingt ans plus tard. Et quel film ! Steven Spielberg signe avec MINORITY REPORT un bijou de « SF Noire » qui transcende la nouvelle originale de Dick, « Rapport Minoritaire ». D’abord conçu comme une préquelle à TOTAL RECALL, le scénario subit, entre les mains du cinéaste de LA LISTE DE SCHINDLER, une révision complète. Le résultat en vaut la chandelle. Sous son aspect séduisant de film d’action à suspense, MINORITY REPORT pose d’importantes questions éthiques sur une société sécuritaire qui n’est que le reflet à peine déformé de notre propre monde. Grâce aux mutants Précogs, une « parapolice » hi-tech, PréCrime, peut désormais empêcher tout crime en arrêtant le criminel… avant son passage à l’acte annoncé par les visions des Précogs. Une police préventive donc, pour le bien de la société, terriblement efficace grâce aux talents qu’a son chef d’équipe, John Anderton (Tom Cruise, grandiose dans une performance sur le fil du rasoir), pour « décoder » les visions des trois Précogs. Mais un tel pouvoir exercé sur le citoyen lambda débouche sur une dérive totalitaire qui ne dit pas son nom… Arrêter et emprisonner sans procès un homme qui n’a pas encore commis de crime, est-ce encore de la Justice, ou un simulacre ? Ce n’est que l’une des nombreuses questions que Spielberg nous pousse à nous poser dans ce film fou. Il est aussi question de trafics d’organes et de drogues dévastatrices pour l’esprit, de manipulations génétiques arbitraires, d’alliances louches entre le gouvernement américain et les sociétés de sécurité privées, de disparition totale de la vie privée…  La maîtrise des scènes d’action trépidantes fait « passer la pilule » de la noirceur du message que le cinéaste nous adresse alors aux premières heures de l’ère Bush, annonciatrice d’autres arrestations « préventives » et détentions arbitraires, celles de Guantanamo.    

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Le studio DreamWorks enchaînera sur une autre adaptation de Dick en 2004, PAYCHECK. Malheureusement, en cherchant à « surfer » sur le succès de MINORITY REPORT, dont il copie le look et certains thèmes, le réalisateur John Woo n’en retrouve pas l’inspiration. Il est fortement question de manipulations gouvernementales et de guerres « préventives », mais le traitement, orienté comme un film d’action hollywoodien de plus, ne convainc pas. Encore moins heureux, Lee Tamahori, réalisateur néo-zélandais jadis inspiré (L’ÂME DES GUERRIERS), devenu depuis un simple exécutant de Hollywood, réalise un « véhicule » pour Nicolas Cage en 2007, NEXT, d’après « L’Homme Doré », angoissante nouvelle de Dick sur un mutant sociopathe doté de pouvoirs prémonitoires. Du texte de ce dernier, il ne reste pratiquement rien, le gimmick des visions prémonitoires servant juste de prétexte à un étalage d’effets spéciaux pour une énième traque au complot terroriste. Comble de la trahison, le FBI, bête noire de l’écrivain, devient ici sympathique ! Et Cage (le comédien de plus en plus « plastifié », ces dernières années, semble prendre plaisir à enchaîner les navets et saboter ainsi sa carrière) et Tamahori plagient au passage une scène marquante de MINORITY REPORT, la « torture oculaire » héritée d’ORANGE MECANIQUE… Julianne Moore est dramatiquement sous-employée, et on se console devant la plastique irréprochable de Jessica Biel. C’est peu… La trahison est totale. Le résultat est sans appel, NEXT est une catastrophe filmique et la pire des adaptations dickiennes.    

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Pour voir une adaptation réussie de Dick en 2007, il faudra se tourner vers un cinéma affranchi des règles du blockbuster standardisé. La très bonne surprise vient de Richard Linklater, réalisateur de SCANNER DARKLY, d’après SUBSTANCE MORT. Une réussite qui doit son caractère hallucinatoire à une technique originale, le rotoscoping, les prises de vues réelles, en « live », étant ensuite retravaillées en animation traditionnelle. Cela donne au film, plongée dans le quotidien d’une pitoyable bande de drogués (en tête d’affiche, Keanu Reeves et de beaux disjonctés : Winona Ryder, Robert Downey Jr. et Woody Harrelson) subissant les effets dévastateurs d’une drogue qui rend schizophrène, un aspect familier et perturbant au possible.  De nouvelles adaptations « dickiennes » sont annoncées, et devraient apparaître sur le grand et le petit écran dans les années à venir. La plus avancée n’est pas la plus rassurante. TOTAL RECALL va connaître une nouvelle mouture. Difficile de dire, à ce stade de la production, si le film sera une répétition de la version Schwarzenegger-Verhoeven, ou une relecture plus fidèle au texte de Dick. Un a priori rassurant, Colin Farrell en sera la vedette ; après avoir été remarqué en agent du FBI tenace dans MINORITY REPORT, le bouillant acteur irlandais retrouve donc un univers familier, aux côtés de la charmante Kate Beckinsale chargée de succéder à Sharon Stone dans le rôle de la gentille/méchante épouse du héros. Moins rassurant, le choix du réalisateur, Len Wiseman, « auteur » des UNDERWORLD et DIE HARD numéro 4 laisse craindre que le film sera plutôt un « blockbuster pétaradant » de plus, au lieu d’une œuvre de science-fiction « dickienne » pure. On guettera avec plus d’intérêt la mise en chantier de deux autres projets nettement plus intéressants : à la télévision tout d’abord, où Ridley Scott produirait une mini-série ambitieuse, LE MAÎTRE DU HAUT CHÂTEAU. Un des romans les plus célèbres de Dick, maintes fois récompensé pour cette uchronie, description terrifiante d’une Amérique vaincue par l’Axe pendant la 2e Guerre Mondiale, et morcelée entre ses conquérants – le Japon impérial et l’Allemagne nazie ! Du tout bon pour le cinéaste de BLADE RUNNER, qui retourne à ses amours sciences-fictionnelles en ce moment même, avec PROMETHEUS, situé dans l’univers d’ALIEN avant les évènements de ce film… L’autre projet, tout aussi alléchant, et tout aussi difficile à adapter, est la mise en chantier d’UBIK par Michel Gondry. Histoire difficilement racontable où un petit groupe d’enquêteurs se retrouve pris au piège de l’esprit d’un mort en animation suspendue, et « enfermé » dans les souvenirs de ce dernier… Le cinéaste français va pouvoir donner libre cours à ses expérimentations visuelles les plus folles, et revenir à un univers finalement assez proche de son magnifique ETERNAL SUNSHINE OF THE SPOTLESS MIND.    

Il est maintenant temps de revenir à notre «comparatif» du jour, opposant une mystérieuse agence de redresseurs de destin et un curieux voyageur temporel quelque peu angoissé !  

  

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THE ADJUSTMENT BUREAU / L’Agence, de George NOLFI    

 

L’Histoire :    David Norris est un jeune politicien ambitieux, charismatique et populaire. Député natif de Brooklyn, il brigue le poste de Sénateur de l‘État de New York. La voie vers le succès électoral est toute tracée, mais la publication dans la presse d‘une photo gênante lui coûte la victoire au dernier moment. Déprimé, David tente de rédiger sans conviction un discours de défaite. S‘absentant quelques instants aux toilettes de l‘Hôtel Waldorf, il rencontre par hasard une magnifique jeune femme, venue s‘incruster à la fête électorale. Une brève conversation, et c‘est le coup de foudre. La belle inconnue s’éclipse, sans avoir dit son nom à David. Sous le charme, le jeune politicien improvise un discours qui remotive magistralement ses supporteurs.     Quelque temps plus tard, il retrouve par hasard la jeune femme dans le bus. Elle se nomme Elise, danseuse ballerine professionnelle. Une rencontre amoureuse idéale… sauf pour les inquiétants hommes en complet gris, imperméables et chapeaux mous qui suivent David à son insu. Ceux-là cherchent à empêcher toute romance entre David et Elise, dans un but précis… En pleine préparation de sa future campagne électorale, David trouve ces inquiétants personnages dans les bureaux de son équipe, en train de «réinitialiser» ses collègues et son personnel, paralysés.      Cherchant à leur échapper, il est capturé. Le chef de l’équipe de ces étranges intrus, Richardson, et son adjoint, Harry Mitchell, lui expliquent qu’ils ont été chargés de veiller sur sa destinée, suivant les ordres venus d’en haut, du Bureau des Ajustements… Il n’arrivera rien à David, à part des bonnes choses pour sa carrière politique, à la seule condition qu’il ne revoit jamais Elise. Autrement, sa mémoire sera effacée de force…    Image de prévisualisation YouTube 

 

Impressions : 

 

Mêler des genres aussi disparates que le thriller, la science-fiction à la Dick et la romance, nécessite une certaine dose de courage… autant que d’inconscience.    Le scénariste George Nolfi signe son premier film en adaptant une nouvelle de Dick, titrée chez nous « Rajustement ». Était-ce vraiment une bonne idée ? Quand on examine le CV de Nolfi, collaborateur régulier de Matt Damon, on peut tout de même en douter… On lui doit le scénario de l’épouvantable OCEAN’S 12, le pire de la trilogie réalisée par Steven Soderbergh. Un invraisemblable « film de vacances entre copains » budgété à 120 millions de dollars, où les acteurs en totale roue libre improvisent sans y croire un instant sur un scénario fumeux… Nolfi a également co-signé pour Damon le script de THE BOURNE ULTIMATUM / La Mort dans la Peau, troisième volet de la série « Bourne ». Divertissement d’action rythmé, qui se contente de copier pratiquement à l’identique le récit du film précédent. Autant dire que cela fait un peu « léger » pour un réalisateur débutant qui veut s’attaquer frontalement à une adaptation cinématographique de l’univers tortueux de Dick.  Malheureusement, au terme de la projection, l’a priori se confirme. Nolfi livre un divertissement léger mais sans audace. Comme quoi Matt Damon, plutôt inspiré dans ses précédents choix de films, devrait à l’avenir se méfier de certains « copains » du métier…     Pour la défense de Nolfi, il faut reconnaître qu’il part avec un handicap difficile à gérer. La nouvelle originale de Dick, titrée « Ajustement » et parue en français dans un volumineux recueil de nouvelles chez Denoël (les curieux y trouveront aussi les nouvelles à l’origine de TOTAL RECALL, MINORITY REPORT, PAYCHECK et NEXT), date des premières années du futur grand auteur du MAÎTRE DU HAUT CHÂTEAU. Histoire courte, assez représentative des hésitations du jeune écrivain dans sa période « vaches maigres », elle contient les germes de ses futurs thèmes récurrents – climat de paranoïa, manipulations mentales d’une « agence » nébuleuse – mais reste assez « légère ». La nouvelle contient une bonne dose d’humour « dickien » – un chien parlant et paresseux, employé de l’Agence, joue malgré lui un rôle déterminant dans la découverte de la Vérité par le héros ! Mais, après ces prémices alléchantes, Dick termine sa nouvelle en queue de poisson, une dizaine de pages en tout. Somme toute, c’est plus un « pitch » qu’une histoire complètement développée.  Nolfi a gardé l’idée initiale de l’Agence surveillant les destinées de tout un chacun, et la « gaffe » initiale… mais il n’a pas gardé le « chien-espion » de la CIA céleste ! Malheureusement, en cherchant à s’affranchir de l’ambiance dickienne pour privilégier la romance, il a aussi quelque peu saboté son intrigue.   

 

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Il est regrettable qu’après un début intéressant, le réalisateur semble hésiter… une fois que David Norris, le personnage interprété par Matt Damon, découvre la réalité cachée derrière sa fulgurante ascension politique, Nolfi louvoie entre le thriller paranoïaque et la « love story » contrariée, sans trop savoir où mener son récit. Les « ajusteurs », dont la tenue évoque les agents du FBI des années Kennedy, ont beau répéter au héros qu’il ne doit plus chercher à retrouver la belle Elise, le scénario ne définit qu’assez vaguement la menace vécue par le protagoniste. Il ne doit plus revoir la jolie femme et s’en remettre à cette mystérieuse Agence « qui lui veut du bien », point barre. Une vague réflexion sur le libre-arbitre et les accidents du hasard tient lieu d’alibi intellectuel à un récit assez léger, où il apparaît d’ailleurs que l’Agence, plus indulgente que menaçante, serait aux ordres d’un certain « Grand Patron » qui ne serait autre que le bon Dieu en personne. L’occasion de plonger dans un vertige métaphysique comme les aimait Philip K. Dick est donc ratée, au profit d’une récupération religieuse « gentille » et malvenue. Il ne reste, pour se consoler, que quelques prémices « dickiennes » essentiellement rassemblées dans la séquence où Norris découvre les « Ajusteurs » en plein travail dans ses bureaux… Saluons quand même quelques trouvailles techniques étonnantes, comme ce plan-séquence où le couple poursuivi franchit des kilomètres de ville en quelques ouvertures de portes « téléporteuses ».  Reconnaissons aussi le professionnalisme des comédiens embarqués dans cette décevante aventure : Matt Damon qui hérite d’un rôle sur mesure et sans surprise ; le méconnu et très bon Anthony Mackie (boxeur « caillera » dans MILLION DOLLAR BABY et militaire angoissé dans THE HURT LOCKER / DEMINEURS) en surveillant dévoué ; Terence Stamp, toujours impérial et inquiétant, malgré un rôle trop court ; et la craquante Emily Blunt dont la caméra tombe amoureuse à chaque plan ! Interprétation correcte donc, mais une certaine déception se fait ressentir pour ce qui restera une adaptation divertissante mais tiède, et besogneuse.    

La note : 

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La fiche technique : 

THE ADJUSTMENT BUREAU / L’Agence 

Réalisé par George NOLFI    Scénario de George NOLFI, d’après la nouvelle « Adjustment Team / Rajustement » de Philip K. DICK   

 

Avec : Matt DAMON (David Norris), Emily BLUNT (Elise Sellas), Anthony MACKIE (Harry Mitchell), Terence STAMP (Thompson), Michael KELLY (Charlie Traynor), John SLATTERY (Richardson), Donnie KESHAWARZ (Donaldson), Anthony RUVIVAR (McCrady), Christine LUCAS (Christine), Shane McRAE (Adrian Troussant), et les apparitions NC de Jon STEWART et Michael BLOOMBERG (eux-mêmes)     Produit par Bill CARRARO, Michael HACKETT, Chris MOORE, George NOLFI, Michael BEDERMAN, Eric KRIPKE et Joel VIERTEL (Universal Pictures / Media Rights Capital / Gambit Pictures / Electric Shepherd Productions)   Producteurs Exécutifs Isa DICK HACKETT et Jonathan GORDON     Musique Thomas NEWMAN   Photo John TOLL   Montage Jay RABINOWITZ   Casting Cathy SANDRICH    Décors Kevin THOMPSON   Direction Artistique Stephen H. CARTER   Costumes Kalisa WALICKA-MAIMONE   1ers Assistants Réalisateurs Steve APICELLA, Peter SOLDO et H.H. COOPER   Cascades et Réalisateur 2e Équipe G.A. AGUILAR    Mixage Son Danny MICHAEL    Effets Spéciaux Visuels John BAIR, Jim RIDER, Mark RUSSELL, Justin BALL et Randall BALSMEYER (Big Film Design / RhinoFX / Brainstorm Digital / Wildfire VFX / Proof / Phosphene / HPI / Realscan 3D)     Distribution USA : Universal Pictures / Distribution INTERNATIONAL : UIP   Durée : 1 heure 46     Caméras : PanArri 435, Panaflex Millennium XL et Platinum    

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SOURCE CODE, de Duncan JONES 

L’Histoire : 

un homme se réveille subitement, dans un train à destination de Chicago, face à une jeune femme qui lui fait la conversation. Désorienté, l’homme ignore comment il s’est retrouvé à bord du train, ni pourquoi la jeune femme qui lui fait face le connaît, et l’appelle « Sean »… alors qu’il est persuadé de se nommer Colter Stevens, militaire en mission en Afghanistan. Très perturbé, Colter se rend aux toilettes du train pour reprendre ses esprits… et réalise que son reflet est celui d’un autre homme. La jeune femme le rejoint, lui demandant des explications sur son comportement. Il a à peine le temps de lui répondre que le train est détruit par une terrible explosion. Tout le monde est tué…    

Et pourtant, Colter Stevens se réveille, vivant, sanglé dans une capsule hermétiquement fermée. Sur un moniteur, une femme officier, Colleen Goodwin, tente de le calmer et de le raisonner. Après une période de panique, Colter comprend qu’il s’est porté volontaire pour une mission très particulière. Ce matin même, un train à destination de Chicago a été détruit par un attentat terroriste. Embarqué dans une étrange machine à la conception révolutionnaire, le « Source Code », Colter se retrouve à vivre en temps réel les dernières minutes avant l’explosion fatidique. Il doit absolument trouver la bombe, et l’auteur de l’attentat, qui se trouvait à bord du train. Colter se retrouve une nouvelle fois «projeté» à bord du train, revivant les mêmes évènements en compagnie de la jeune femme, Christina… 

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Impressions :    

Et si, tout compte fait, il fallait chercher l’esprit « dickien » dans un film original ? L’auteur a profondément influencé nombre de films de science-fiction dont les thèmes favoris se retrouvent dans nombre de films. Pêle-mêle, on peut citer TWELVE MONKEYS / L’ARMEE DES DOUZE SINGES de Terry Gilliam, THE TRUMAN SHOW de Peter Weir, GATTACA d’Andrew Niccol (également auteur du scénario du TRUMAN SHOW, et qui va rempiler en fin d’année avec un nouveau film, NOW, dans le ton de ses premières œuvres), DARK CITY d’Alex Proyas, MATRIX des Wachowski (du moins ses prémices, avant que le film ne tourne au fourre-tout « kung fu et fusillades »), ETERNAL SUNSHINE OF THE SPOTLESS MIND, donc, ou encore le monumental INCEPTION de Christopher Nolan. Toutes ces productions sont, à des degrés divers, redevables à Philip K. Dick de l’originalité de leurs sujets. Et, à sa façon, SOURCE CODE s’inscrit dans cette lignée d’un cinéma de science-fiction novateur, tout en assurant haut la main sa garantie de divertissement.    

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Qui est donc le réalisateur de SOURCE CODE, Duncan Jones ? Un jeune quadragénaire, sujet britannique, d’abord connu pour ses illustres géniteurs. Il est en effet le fils de David Bowie et de son ex-épouse Angela, son égérie des années « glam rock » des années 70, celle-là qui inspira à Mick Jagger la célèbre chanson « Angie » ! Le petit Duncan naquit en plein dans les années où son célèbre papa s’incarnait sur scène en « Ziggy Stardust », extra-terrestre androgyne et chantait « Ground Control to Major Tom » (« Ground Control to Major Tom / Take your protein pills and put your helmet on… »). Chanson « planante » qui fut inspirée à Bowie par la vision du chef-d’œuvre des chefs-d’œuvre de la grande science-fiction, 2001 : L’ODYSSEE DE L’ESPACE de Stanley Kubrick ! Un Papa très marqué par la SF, puisqu’il tourna aussi dans le remarquable et déroutant HOMME QUI VENAIT D’AILLEURS en 1976, et apparut au fil des ans dans divers films fantastiques, notamment une prestation mémorable en Nikola Tesla dans LE PRESTIGE de Nolan… Avec un héritage pareil, il n’est pas étonnant de voir que le petit Duncan adore tout autant la science-fiction, « biberonné » à STAR WARS comme à l’œuvre de Kubrick ! Pas plus que de le voir signer un premier long-métrage, MOON, avec Sam Rockwell, qui puise directement son inspiration visuelle et narrative dans 2001, avec une touche de SILENT RUNNING, le beau film moins connu de Douglas Trumbull (qui se trouvait être le cocréateur des effets visuels de 2001 !). Un premier film, récit d’un homme solitaire employé sur une base lunaire, qui tourne le dos aux clichés de la SF « blockbuster », et qui fut salué pour sa maîtrise et l’interprétation intense de Rockwell.    Jones poursuit dans la même veine avec ce SOURCE CODE, écrit par un jeune scénariste, Ben Ripley, lui aussi féru de SF, qui s’est fait les dents sur quelques commandes de films « direct-to-video » sans grand intérêt. Amusante coïncidence, ou synchronisme jungien, l’association de Jones et Ripley évoque deux noms bien « marqués » par un classique du genre qui nous intéresse ici : respectivement les noms du chat et de l’héroïne, les deux survivants du Nostromo dans ALIEN !    

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L’anecdote mise à part, les deux hommes ont dû s’amuser à concocter une intrigue certes très référentielle mais aussi très astucieuse, et solidement construite. En se basant sur le récit à suspense le plus basique qui soit (la sempiternelle bombe à retardement), Jones et Ripley se servent de l’argument science-fictionnel pour réussir un joli tour de force technique et émotionnel. Ils auraient pu rebaptiser leur film «Je suis vivant et vous êtes morts», pour rester dans l’esprit de l’univers de Dick. Les révélations et retournements de situation sont suffisamment bien dosés pour maintenir le spectateur en haleine, sans le faire décrocher. Et ceci avec des éléments référentiels somme toute assez clairs (manipulations gouvernementales, thriller, réalité altérée, et love story contrariée) ; les auteurs ont su doser les ingrédients narratifs tout en construisant une intrigue ingénieuse. C’est une sorte de mélange entre DEJA VU (le thriller de Tony Scott avec Denzel Washington remontant le temps pour déjouer un attentat) et UN JOUR SANS FIN (pour l’aspect «variations sur une même situation»)… avec une pointe de la fameuse série CODE QUANTUM, ouvertement citée par la brève participation vocale de Scott Bakula.    Le thème archi-rebattu du voyage temporel est ici transformé en « voyage quantique ». Jones et Ripley choisissent de ne pas s’attarder sur les détails techniques de la mission de Colter Stevens (Jake Gyllenhaal, investi à fond dans son rôle), pour mieux s’intéresser à son évolution durant les fameuses 8 minutes fatidiques. Ce dernier passe de l’incrédulité à la peur, puis à la suspicion, la colère, le détachement, ou l’empathie, selon le degré d’informations qui lui sont peu à peu délivrées par sa superviseuse, Goodwin (Vera Farmiga, intrigante). L’histoire d’amour naissante entre Colter et Christina (l’attachante brunette Michelle Monaghan) est touchante, bien menée, sans paraître «téléguidée» par les auteurs. Tout ceci nous mène petit à petit à un joli climax, émouvant sans être excessif, et à un ultime rebondissement qu’aurait sans doute apprécié Dick.    

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Ajoutons à tout cela que Jones, à la mise en scène, fait preuve d’une maîtrise technique digne de ses prestigieux aînés. Les cadrages, mouvements de caméras et enchaînements de montage sont impeccablement pensés et adaptés au récit. Avec des spécialistes comme Don Burgess, l’ancien chef opérateur de Zemeckis, période FORREST GUMP / CONTACT, et Paul Hirsch, ancien monteur de George Lucas et Brian De Palma, Duncan Jones avait peu de chance de saboter son propre travail. Et les effets spéciaux ne prennent jamais le dessus sur le film lui-même ; ils ne servent pas à une démonstration de savoir-faire excessif, mais sont utilisés uniquement quand la nécessité technique l’impose.    Une très bonne surprise, et un réalisateur à suivre. 

La note : 

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Ludovic Fauchier, ajusté et codé. 

La fiche technique :  

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SOURCE CODE    

Réalisé par Duncan JONES   Scénario de Ben RIPLEY    

Avec : Jake GYLLENHAAL (Colter Stevens), Michelle MONAGHAN (Christina Warren), Vera FARMIGA (Colleen Goodwin), Jeffrey WRIGHT (le Docteur Rutledge), Michael ARDEN (Derek Frost), Cas ANVAR (Hazmi), Russell PETERS (Max Denoff ), Brent SKAGFORD (George Troxel), Craig THOMAS (l’Homme d’Affaires à la Montre Dorée), et la voix de Scott BAKULA (le Père de Colter)     Produit par Mark GORDON, Philippe ROUSSELET, Jordan WYNN, Stuart FENEGAN, Sarah PLATT et Tracy UNDERWOOD (The Mark Gordon Company / Vendome Pictures / Vendôme Productions)   Producteurs Exécutifs Jeb BRODY, Fabrice GIANFERMI et Hawk KOCH    

Musique Chris BACON   Photo Don BURGESS   Montage Paul HIRSCH    

Décors Barry CHUSID   Direction Artistique Pierre PERRAULT   Costumes Renée APRIL    

1ers Assistants Réalisateurs Buck DEACHMAN et W. Michael PHILLIPS   Réalisateur 2e Équipe Raymond PRADO    

Mixage Son Marc FISHMAN et Scott MILLAN   Montage Son Tom BELLFORT et Branden SPENCER   Effets Spéciaux Sonores Tom BELLFORT    

Effets Spéciaux Visuels Wayne BRINTON, Sébastien MOREAU et Louis MORIN (Modus Fx / MPC / Mr. X / Oblique FX / Rodeo FX)   Effets Spéciaux de Plateau Ryal COSGROVE    

Distribution CANADA : E1 Entertainment / Distribution FRANCE : SND / Distribution USA : Summit Entertainment   Durée : 1 heure 33    

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