L’été est arrivé ! … Enfin… «météorologiquement» parlant, il semble même être arrivé trop tôt, avant de repartir bien avant son début officiel sur le calendrier, mais là n’est pas le sujet… Comme vous le savez, la saison estivale est le terrain de jeu des superproductions américaines, qui comme chaque année, nous offrent le pire et le meilleur en matière de grands spectacles fracassants, truffés de cascades et d’effets spéciaux à foison. Déjà bien avancée aux States (où les grands studios lancent leurs «formules 1» dès le mois d’avril), la cuvée 2011 nous présente deux mastodontes en la matière. Dans le coin gauche du ring, le pirate le plus «rock’n roll» de tous les temps, trois films et trois victoires au box-office. Dans le coin droit du ring, une bande de mutants aux pouvoirs surhumains, également trois films et trois victoires au box-office. Deux franchises extrêmement populaires, évidemment destinées en priorité au jeune public, cœur de cible privilégié des films en question. Ne cherchons pas trop la petite bête envers ces films, il faut les apprécier comme ils sont, des «pop-corn movies» conçus pour le seul divertissement. Ils sont aussi conçus pour relancer une nouvelle série de films, démarche évidemment commerciale compréhensible vu leur succès. Et si le marketing cherche à nous convaincre d’aller plutôt voguer en haute mer, le vainqueur en qualité n’est pas forcément celui annoncé…
PIRATES OF THE CARIBBEAN : ON STRANGER TIDES / Pirates des Caraïbes – La Fontaine de Jouvence, de Rob MARSHALL
L’Histoire :
Cadix, Espagne. Deux pêcheurs ramènent dans leurs filets un vieil homme, vivant, répétant sans cesse le nom de Ponce de Leon, un explorateur disparu depuis deux siècles. La découverte parvient jusqu’aux oreilles des officiers de la marine royale du Roi d’Espagne…
Pendant ce temps, à Londres, la population attend le procès et la pendaison imminente de Jack Sparrow, enfin capturé et qui doit répondre de ses actes de piraterie contre la Couronne. Mais le procès n’est qu’une nouvelle ruse de Jack pour sauver la vie de son second, Joshamee Gibbs, avant de reprendre un équipage, un bateau et l’océan… Ruse qui tourne court : capturé, il est amené devant le Roi George, tandis que Gibbs est enfermé dans la Tour de Londres. Quelle n’est pas la surprise de Jack de voir son vieux rival et néanmoins ennemi, Hector Barbossa, muni d’une jambe de bois… et surtout, nommé Corsaire officiel de Sa Majesté ! Barbossa a perdu corps et bien le Black Pearl et son équipage, et propose à Jack d’être son second sur son navire de guerre impérial, le Providence. Jack refuse net et s’enfuit. Après une course-poursuite endiablée dans les rues de Londres, notre filou de pirate se cache dans la taverne de la Fille du Capitaine, où il apprend qu’un imposteur recrute un équipage en son nom. Jack tombe nez à nez avec l’imposteur, une séduisante jeune femme, Angelica Malon, qu’il a jadis séduite et abandonnée.
Après des retrouvailles agitées, Angelica entraîne Jack en sécurité loin des soldats du Roi, pour mieux le piéger. Elle est en effet la «rabatteuse» attitrée, et l’officier en second, du plus cruel et sanguinaire pirate ayant jamais existé, Edward Teach dit Barbe Noire… Jack se retrouve bientôt prisonnier, comme l’équipage du galion Queen Anne’s Revenge, dont un jeune missionnaire, Philip. Barbe-Noire règne d’une main impitoyable sur son navire, qui lui obéit littéralement au doigt et à l’œil, et oblige Jack à le mener en un territoire périlleux, qu’il connaît sans avoir osé s’y rendre. La mythique Fontaine de Jouvence, qui fut jadis recherchée par Ponce de Leon. La Fontaine aux pouvoirs miraculeux attire également la cupidité des Rois Anglais et Espagnols ; une course contre la montre s’engage entre les équipages de Barbe Noire, de Barbossa et des Espagnols…
Impressions :
They yarrrh back !
Jerry Bruckheimer est un producteur pragmatique. On peut critiquer le producteur californien à juste titre, lui qui, de TOP GUN à ARMAGEDDON, n’a cessé de soutenir des films portés sur l’esthétique «clip» et les effets de style à la mode plutôt que sur un travail cinématographique rigoureux. Mais il ne faut pas nier l’évidence, sa formule marche, et ses films «cartonnent» régulièrement. La trilogie des PIRATES DES CARAÏBES, autrement plus sympathique que les navets patriotards précédemment cités, est là pour le prouver. Trois films qui ont rapporté plus de 3 milliards de dollars de recettes en salles donnent forcément à Bruckheimer l’envie de continuer à donner au grand public ce qu’il attend : de nouvelles aventures du Capitaine Jack Sparrow, le pirate filou, rock et «folle» incarné par Johnny Depp. Ce quatrième volet, toujours écrit par les scénaristes de la série, Ted Elliott et Terry Rossio, est l’occasion d’un nouveau départ pour le Capitaine Jack. Le troisième film, JUSQU’AU BOUT DU MONDE, bouclait la boucle de l’histoire d’Elizabeth Swann et Will Turner (Keira Knightley et Orlando Bloom), et se concluait sur une ultime pirouette de Jack, une nouvelle fois roulé par ce vieux forban de Barbossa (Geoffrey Rush), qui lui volait de nouveau son cher navire… Jack roulant en retour Barbossa en gardant la carte d’un nouveau trésor mythique, la Fontaine de Jouvence.
Ce gag final sert donc de point de départ à une nouvelle aventure, centrée sur les deux frères ennemis de la côte. L’objectif déclaré étant de revenir à la «simplicité» narrative du premier film, et d’amorcer ainsi une nouvelle trilogie. On peut certes grincer un peu des dents devant la démarche délibérément commerciale de l’entreprise, mais il faut rappeler l’évidence : le Cinéma mélange l’art et l’argent, et le cinéma américain de pur divertissement n’a certes pas en la matière nos pudeurs hexagonales de vieille fille. Et, reconnaissons qu’en matière d’aventures et de spectacles, les PIRATES ont jusqu’ici tenu leurs promesses. Nuançons tout de même le propos, la trilogie originale, réalisée par Gore Verbinski, aussi sympathique soit-elle, a aussi des défauts de conception sans doute liées à la personnalité écrasante de son producteur en chef. C’était assez flagrant dans les deux suites, tournées à la suite l’une de l’autre, alourdies par une multitude de sous-intrigues rendant les films assez pesants.
Gore Verbinski, étant parti sous d’autres cieux s’occuper de son caméléon RANGO (toujours avec Johnny Depp), cède la place de réalisateur à Rob Marshall (CHICAGO, MEMOIRES D’UNE GEISHA, NINE) sans que l’on note de gros changements dans la direction de la série ; la «patte» de Bruckheimer et des studios Disney demeurant la même que sur la trilogie originale, tandis que l’on retrouve le gros de l’équipe créatrice des précédents films. Réalisateur compétent, Rob Marshall est en fait plus chargé de lier tous les éléments du film, à défaut d’y apporter une vraie touche personnelle. Tout juste apporte-t-il quelques «touches» de comédie musicale à un bref passage, une scène de défi romantique entre Jack et la belle traîtresse Angelica, femme pirate campée par la charmante Penélope Cruz. Le reste dépend du savoir-faire indéniable de l’équipe des PIRATES, notamment dans deux morceaux de bravoure : la fuite de Jack qui traverse tout Londres, sans toucher le sol une seule fois, et l’attaque des Sirènes… sublimes, mais mortelles ! Rajoutez à cela quelques instants de cruauté, assurés par l’infâme Barbe Noire (Ian McShane, le vilain Swearengen de la série western DEADWOOD, une gueule inoubliable) défoulant sa colère sur un pauvre mutin… Bref, le spectacle est assuré et plaisant… à défaut de retrouver la fraîcheur et les surprises du premier film.
Rien à redire du côté de l’interprétation. Johnny Depp nous gratifie une nouvelle fois d’un show familier, désormais bien rôdé. On retrouve également aux côtés du Capitaine Jack les deux autres vétérans de la saga, ces bonnes vieilles trognes de Geoffrey Rush –Barbossa, poudré et perruqué , très Long John Silver avec sa jambe de bois – et Kevin McNally alias Maître Gibbs, le fidèle second… Les créateurs de la série n’ont d’ailleurs pas oublié de glisser quelques «Œufs de Pâques» à l’intention de leurs fans, ramenant «Papa» Keith Richards pour une courte scène, et le singe capucin du Black Pearl pour un bref caméo ! Du côté des nouvelles têtes, Penélope Cruz apporte son charme ibérique à l’aventurière Angelica, amante et rivale de Jack ; et Ian McShane est fait pour le rôle de Barbe-Noire. La partie «romantique» de la saga est par contre un peu sacrifiée avec le départ définitif de Keira Knightley et Orlando Bloom… Le couple de jeunes premiers, joués par Sam Claflin et Astrid Bergès-Frisbey (jeune comédienne franco-espagnole qu’on a pu voir dans LA PREMIERE ETOILE ou LA FILLE DU PUISATIER), aussi touchants soient-ils, ne peut pas vraiment rivaliser avec le couple de leurs célèbres prédécesseurs. Leur romance à l’écran, évoquant ouvertement LA PETITE SIRENE (le conte d’Andersen plus que le dessin animé Disney), est assez secondaire à l’intrigue.
Cette accumulation d’intrigues est d’ailleurs un problème récurrent dans les films des PIRATES. Coutumier du fait, Jerry Bruckheimer semble souvent pousser ses réalisateurs à rajouter trop d’éléments narratifs à leurs films. C’était assez flagrant dans les précédents épisodes, la longueur est un défaut assez récurrent dans la série. Rob Marshall a fait de son mieux pour revenir à une durée acceptable (137 minutes quand même) mais qui frise souvent le «Syndrome Mal aux Fesses»… L’autre souci du scénario étant un relatif manque d’originalité. Les scénaristes ont beau faire, les péripéties de ce nouveau volet rappellent de façon un peu trop évidente le tout premier film : Jack est poursuivi par les hommes de l’Amirauté Britannique ; il mesure les talents d’un rival pirate lors d’un duel acrobatique ; le méchant pirate de service (Barbe-Noire à la place de Barbossa) apparaît exactement à la fin du premier acte ; le méchant cherche à se défaire d’une malédiction et commande un navire «diabolique» ; Jack se tire d’une situation finale désespérée par une ruse similaire au coup des pièces d’or aztèques, etc. Autant, donc, pour l’originalité.
On se consolera avec, tout de même, quelques éléments intéressants que les scénaristes ont ajouté à leur univers de flibuste fantaisiste : d’abord, un méchant mémorable, Barbe-Noire, pirate emblématique et historique dont le vrai nom était Edward Teach. Il a réellement existé et a gagné une réputation de terreur des mers l’associant pour toujours au Pirate tel que l’imaginaire collectif le représente. Son apparition dans le film est d’ailleurs fidèle à sa légende, le montrant orné d’une barbe enfumée, une coutume du vrai Teach pour effrayer ses ennemis et se doter d’une réputation diabolique. Robert Louis Stevenson, l’immortel écrivain de L’ÎLE AU TRESOR, lui consacra un chapitre dans un de ses grands romans, LE MAÎTRE DE BALLANTRAE. Le cinéma ne fut pas en reste, Jacques Tourneur mit en scène Teach dans le magnifique ANNE OF THE INDIES (LA FLIBUSTIERE DES ANTILLES, 1951), film dans lequel les auteurs ont apparemment puisé beaucoup : Thomas Gomez y jouait le rôle de Barbe-Noire, père adoptif de la femme pirate jouée par Jean Peters. Le personnage de celle-ci se nommait Anne Providence ; Rob Marshall et les scénaristes jouent avec ce nom pour le placer sur les bateaux «stars» de leur film, Queen Anne’s Revenge et Providence. Ils reprennent aussi la scène classique de l’abandon sur l’île déserte, avec un pistolet et une balle, qui était déjà dans le classique de Tourneur. Et Raoul Walsh, vétéran du film d’aventures viril de l’ancien Hollywood, consacra au pirate un méconnu BARBE-NOIRE LE PIRATE (1952), avec la belle Linda Darnell et un familier des rôles de corsaires dans le rôle-titre, Robert Newton. Celui-ci joua également Long John Silver de L’ÎLE AU TRESOR 1950 de Byron Haskin pour les studios Walt Disney ! Toujours pour Disney, Peter Ustinov campa quant à lui un débonnaire FANTÔME DE BARBE NOIRE en 1968… Un film réalisé par Robert Stevenson, quasi homonyme de l’écrivain !!
L’autre élément intéressant du film est à la fois d’ordre historique et mythologique. La fameuse Fontaine de Jouvence, objet de toutes les convoitises dans le film, fut un de ces trésors légendaires entrés dans la légende du Nouveau Monde, au même titre que l’El Dorado et les cités perdues. Les scénaristes jouent avec l’Histoire d’un vrai conquistador espagnol, Juan Ponce de Leon, mort en 1521 des suites d’une attaque indienne lors d’une expédition en Floride, empoisonné par leurs flèches. Il décéda à Cuba, et son tombeau se trouve à Porto Rico, dans le Vieux San Juan. Ce n’est que bien après sa mort que la légende l’associera à la quête de la Fontaine de Jouvence. Ponce de Leon recherchait en fait une source d’eau curative du côté de Bimini, pour soigner les effets inévitables du vieillissement – notamment les défaillances sexuelles ! La Fontaine de Jouvence est quant à elle un mythe très ancien, qui fut «réactualisé» par les récits de conquête du Nouveau Monde. On la situe tantôt en Floride, tantôt au Honduras. On trouve des fontaines de vie similaires dans des légendes et des textes anciens : germaniques, celtiques, perses, etc. Assimilée au mythe de la quête du Graal, la précieuse Fontaine a aussi inspiré de grands peintres tels que Lucas Cranach et Jérôme Bosch. Il est sans doute certain que les créateurs du film ont fait des recherches du côté du JARDIN DES DELICES, le panneau central du triptyque de Bosch montrant de gracieuses Sirènes se baigner dans les eaux pures de la fontaine miraculeuse… L’ambiance esthétique du film puise donc directement aux sources du mythe.
Voilà pour les principales touches d’inventivité d’un PIRATES DES CARAÏBES de bonne facture, mais sans grande surprise. On apprécie le spectacle, les clowneries de Johnny et la grande aventure, tout en constatant que la formule ne change pas trop… En attendant le prochain épisode, annoncé par la désormais traditionnelle scène d’après la fin du générique.
La note :
Ludovic Fauchier, On Stranger Blogs
PIRATES OF THE CARIBBEAN : ON STRANGER TIDES / Pirates des Caraïbes – La Fontaine de Jouvence
Réalisé par Rob MARSHALL Scénario de Ted ELLIOTT & Terry ROSSIO, d’après l’attraction des parcs Disneyland, et inspiré par le roman « On Stranger Tides » de Tim POWERS
Avec : Johnny DEPP (Capitaine Jack Sparrow), Penélope CRUZ (Angelica Malon), Geoffrey RUSH (Capitaine Hector Barbossa), Ian McSHANE (Capitaine Edward Teach dit «Barbe Noire»), Kevin R. McNALLY (Joshamee Gibbs), Sam CLAFLIN (Philip), Astrid BERGES-FRISBEY (Syrena), Stephen GRAHAM (Scrum), Keith RICHARDS (le Capitaine Teague, «Papa»), Richard GRIFFITHS (le Roi George II), Greg ELLIS (Groves) et Judi DENCH (la Dame de la Haute Société)
Produit par Jerry BRUCKHEIMER, Melissa REID et Pat SANDSTON (Jerry Bruckheimer Films / MPC / Translux / Walt Disney Pictures) Producteurs Exécutifs John DeLUCA, Ted ELLIOTT, Chad OMAN, Terry ROSSIO, Mike STENSON et Barry H. WALDMAN
Musique Hans ZIMMER Photo Dariusz WOLSKI Montage David BRENNER, Michael KAHN et Wyatt SMITH Casting Lucy BEVAN
Décors John MYHRE Direction Artistique Drew BROUGHTON, John CHICHESTER, Robert COWPER, Zack GROBLER et Tomas VOTH Costumes Penny ROSE
1er Assistant Réalisateur Peter KOHN Réalisateur 2e Équipe George Marshall RUGE Cascades Greg POWELL et George Marshall RUGE
Mixage Son Ivan SHARROCK Montage Son et Effets Spéciaux Sonores Shannon MILLS
Effets Spéciaux Visuels Ben SNOW, Gary BROZENICH, Tony CLARK, Ian HUNTER, Charlie ITURRIAGA, Gregory OEHLER, David SANGER et Simon STANLEY-CLAMP (ILM / BlueBolt / Cinesite / HPI / Hydraulx / Kerner Optical / Mova / MPC / Pixel Liberation Front / Rising Sun Pictures) Effets Spéciaux de Plateau Neil CORBOULD et John FRAZIER
Distribution USA et INTERNATIONAL : Walt Disney Studios Motion Pictures Durée : 2 heures 17
Caméras : Red Epic et Red One
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