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Archives pour septembre 2011

Ô Capitaine, Mon Capitaine !, 2e partie – CAPTAIN AMERICA : FIRST AVENGER

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Il y a une «filiation» évidente entre les univers d’Indiana Jones et de Captain America, par des références très évidentes, et d’autres plus cachées. Johnston, élevé aux serials et aux bandes dessinées, a très certainement, trente ans auparavant, collaboré avec une légende de la bande dessinée américaine, Jim Steranko. Celui-ci, dessinateur de premier ordre, se fit connaître dans les années 60 par ses prouesses graphiques audacieuses sur le comics de Captain America. S’il fut éclipsé par Jack Kirby, Steranko développa un style très personnel, influencé par le Pop Art. Vous pouvez avoir un aperçu de son talent sur cette lithographie ci-dessus. Steranko s’est par la suite tourné vers d’autres supports, à commencer par le dessin de production pour le cinéma. Il créa notamment de superbes planches peintes, destinées à montrer le style visuel du film final, pour un certain… LES AVENTURIERS DE L’ARCHE PERDUE, où Johnston était donc directeur artistique.   

  

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Steranko a créé plusieurs magnifiques dessins mettant Indy en valeur dans les morceaux de bravoure en préparation. Dont ce monumental coup de poing adressé par Indy contre un mécanicien Nazi, qui évoque furieusement le coup de poing de Captain America contre Hitler dans le fameux dessin de Jack Kirby ! On ne serait pas étonné d’apprendre que le futur réalisateur de CAPTAIN AMERICA ait taillé le bout de gras à l’époque avec Steranko, et que ces discussions aient influencé Johnston au moment de réaliser le film…    Le style visuel du film est d’ailleurs un facteur essentiel à la réussite du film. Joliment mis en images par les savants éclairages du chef opérateur Shelly Johnson, CAPTAIN AMERICA permet à Johnston d’accomplir ce qui lui avait manqué sur ROCKETEER vingt ans plus tôt. Un look «pulp» parfaitement de circonstance, rempli d’inventions rétro-futuristes où règne en maître l’esthétique Art Déco. Soit le grand mouvement esthétique, pictural et architectural qui définit dans la réalité le style des années 1930 et 1940 : les immeubles new-yorkais comme le Chrysler Tower, les postes de radio TSF, les véhicules élégamment conçus pour «tailler la route» avec espoir, les affiches peintes, etc. Dans le film, l’équipe de Johnston s’en est donc donnée à cœur joie, l’univers de fantaisie permettant aux décorateurs d’imaginer des véhicules stratosphériques, des ateliers scientifiques élaborés et rutilants, des armes inédites, etc. , toutes imprégnées de cet esprit «Art Déco» auquel vient s’opposer les lignes dures, froides et conquérantes de l’esthétique nazie à la Albert Speer, revisitées ici dans un contexte «serial de science-fiction».   

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Assez classique, dans le bon sens du terme, quand il raconte les exploits de son héros en pleine 2e Guerre Mondiale, CAPTAIN AMERICA ne pouvait pas passer à côté d’adversaires aussi maléfiques que ses premiers ennemis de papier, les Nazis ! Johnston et les auteurs se sont bien entendu amusés à créer des vilains à la hauteur, fidèles à la bande dessinée, tout en restant dans la référence à niveaux multiples. Joe Johnston n’a pas travaillé pour rien sur les premiers exploits du Docteur Jones, et n’oublie pas de saluer son vieux camarade Spielberg à l’occasion. Comme nous sommes dans un contexte de 2e Guerre Mondiale «fantaisiste», il peut se le permettre. Place donc à l’infâme Crâne Rouge, ennemi juré de Cap depuis 70 ans ! 

L’acteur australien Hugo Weaving, avec ses sourcils à la Jack Nicholson et sa voix modulée à la Orson Welles, est le candidat idéal pour jouer l’affreux criminel à tête de mort, grâce à son parcours déjà bien fourni en super-vilains – remember l’Agent Smith de MATRIX, ou la voix du «boss» Megatron dans TRANSFORMERS… En somme, Crâne Rouge est du «tout cuit» pour le comédien, qui va plutôt chercher son inspiration, pour les attitudes et le phrasé du personnage, dans le jeu de Klaus Maria Brandauer (OUT OF AFRICA). L’ambition et la malveillance du personnage permet à Johnston de «réécrire» l’Histoire : puisque cet affreux individu rêve de supplanter Hitler, il n’hésite pas à supprimer ses âmes damnées Goebbels et Himmler dans une séquence ahurissante – et très réjouissante. On n’est pas très loin d’INGLOURIOUS BASTERDS, en moins sanglant toutefois !    

Féru de sciences «surhumaines» et d’occultisme, le personnage permet aussi à Johnston d’évoquer l’attrait réel pour l’occulte de certains milieux initiatiques ayant, dans la réalité, inspiré les pires pensées politiques et raciales du IIIe Reich. Certes, CAPTAIN AMERICA est un «comic book movie» et pas un film historique sérieux sur le sujet, mais l’idée demeure en filigrane. Le souvenir des AVENTURIERS DE L’ARCHE PERDUE refait forcément surface : le film de Spielberg évoquait déjà, sur le mode «bande dessinée fantaisiste», des faits réels. Par intérêt politique, et aussi pour satisfaire ses obsessions nordiques wagnériennes, Hitler avait rejoint une société mystique, le Cercle de Thulé – ainsi nommé en référence à un royaume mythique supposé exister au Pôle Nord… ce n’est sûrement pas un hasard si CAPTAIN AMERICA commence d’ailleurs dans les régions arctiques. Quant à Himmler, le tristement célèbre fondateur de la S.S., véritable fou illuminé, il surveilla de très près les activités du mystérieux Otto Rahn, parti à la recherche du Saint Graal – autre mythe, en corrélation avec la musique de Wagner, qui inspira les milieux occultistes – en pays Cathare avant la 2e Guerre Mondiale.

Ici, la démarche est la même que celle de Spielberg avec Indiana Jones : les recherches occultistes du méchant sont dictées par son obsession pour un mysticisme perverti. La première apparition de Crâne Rouge «démasqué», filmé à contrejour, est évocatrice de ses idées. Il trône dans une base secrète en haute montagne, tel Hitler dans son Nid d’Aigle, et écoute bien évidemment la musique du grand Richard Wagner. Avec une préférence marquée pour LES NIEBELUNGEN, son chef-d’œuvre musical (qui inspira à Tolkien son SEIGNEUR DES ANNEAUX… coïncidence, Hugo Weaving jouait dans son adaptation filmée !), qui dicte ses recherches. Cela permet de rappeler que hélas, les délires de Hitler et ses sbires se construisirent sur les mythes musicaux élaborés par Wagner ; cela permet, plus ludiquement, de faire le lien avec l’univers du film THOR dès les premières minutes, et donc de renforcer la filiation Indiana Jones – Captain America. Comme le savant français chez Indy, Crâne Rouge s’empare d’une «Boîte de Pandore» aux propriétés fantastiques (il se permet même un commentaire très référentiel pour les connaisseurs !), qui lui seront fatales au final. Et Joe Johnston adjoint à Crâne Rouge un second méchant, Arnim Zola, aux allures familières. L’acteur Toby Jones, petit, lunaire, portant chapeau noir et lunettes cerclées, rappelle délibérément le gestapiste ricanant Toht joué par Ronald Lacey chez Steven Spielberg. Les deux avaient d’ailleurs un «ancêtre commun», en termes de cinéma. Un acteur juif hongrois, vedette du cinéma allemand, qui dut fuir le nazisme pour Hollywood, où il incarna ses pires ennemis réels sous l’aspect de savants fous, espions fourbes et lâches ricanants. Peter Lorre ! Comparez cette photo de Lorre en savant démoniaque dans MAD LOVE (LES MAINS D’ORLAC, 1935), avec les photos de Lacey et de Toby Jones… la ressemblance et la «filiation» sont évidentes.    

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Mais derrière ces références très visibles, d’autres plus subtiles inspirent le film. Notamment une qui guide l’esprit du film, et détourne joliment le risque initial de transformer CAPTAIN AMERICA en énième film d’action simpliste. La sensibilité de Joe Johnston a certainement dû jouer dans ce sens : avant d’intéresser le spectateur aux exploits du héros, il faut d’abord l’intéresser à ce qu’il était avant sa transformation. Quand le réalisateur nous présente Steve Rogers, un petit gars de Brooklyn, maladif mais foncièrement honnête et courageux, il en profite pour glisser une référence discrète à un réalisateur que les jeunes fans de comics ne doivent guère connaître : Frank Capra. Ce dernier fut l’un des plus grands cinéastes américains dans les années 1930-1940, en pleine période de la Grande Dépression et du New Deal de Roosevelt ; fils d’immigrants italiens, Capra signa de grandes comédies et des drames touchant le public (tels L’EXTRAVAGANT MR. DEEDS, MR. SMITH AU SENAT, L’HOMME DE LA RUE, LA VIE EST BELLE…), en étant toujours porté par un idéal de croyance en ce que l’être humain, même le plus modeste, même le plus misérable, pouvait faire contre l’injustice de tous bords. Lorsque la 2e Guerre Mondiale éclata, Capra accepta de réaliser des films de «contre-propagande» pour convaincre ses concitoyens hésitants d’entrer en guerre contre l’Axe : ce fut la série des POURQUOI NOUS COMBATTONS, réponse franche et frontale aux films de propagande de l’Allemagne Nazie, à commencer par le plus tristement célèbre d’entre eux, LE TRIOMPHE DE LA VOLONTE de Leni Riefenstahl, et son imagerie «wagnérienne» mise au service de la plus puante des dictatures… Dans la scène de présentation de Steve Rogers, le jeune homme est au cinéma, en train de regarder justement ce qui semble être l’un des premiers épisodes de POURQUOI NOUS COMBATTONS ! Une grosse brute qui se contrefiche des malheurs de l’Europe piétinée est prise à partie par Steve, bien qu’il sache très bien ce qui va lui arriver… Une correction en pleine ruelle, et notre jeune idéaliste se défend comme il peut avec un couvercle de poubelle, premier «signe» caché de son futur destin. Voilà une présentation à la fois référentielle, astucieuse et très humaine d’un personnage qui, traité plus directement comme un «surhomme», n’aurait créé aucune sympathie du spectateur. Une leçon «à la Capra» et «à la Spielberg» (pour le jeu des signes qui va accompagner la métamorphose psychologique de Steve), bien assimilée par Johnston.    

captainamericad.jpg     D’ailleurs, le scénario sait jouer avec beaucoup d’humour, d’honnêteté, et un certain sens du drame, avec les passages obligés du film de super-héros classique. On est certes dans une nouvelle histoire de «l’origine du super-héros», thème désormais connu et archi-rebattu depuis des années… Les scénaristes Christopher Markus et Stephen McFeely (la série du MONDE DE NARNIA) ont bien senti venir l’écueil de l’énième film racontant la transformation et l’entraînement du futur héros, passage inévitable du genre. Plutôt que d’entrer dans le vif du sujet en lâchant Captain America en première ligne dès sa transformation en Super-Soldat, ils vont au contraire l’obliger à se remettre en question de façon très inattendue. 

Donc, Steve est devenu Captain America, un athlète bondissant, à la force et à l’endurance accrue, grâce aux bons soins du sage Docteur Erskine… Un vil saboteur a fait en sorte que Steve soit finalement le «modèle unique» bénéficiaire de ce traitement, là où l’armée US espérait des régiments entiers. Mais là où la b.d. montrait Cap devenir instantanément «le» héros victorieux au combat, le film va en prendre le contrepied. Steve n’est pas plus pris au sérieux, avant comme après sa transformation : le voilà chargé de récolter des bons de guerre, ne jouant les héros de pacotille… dans un serial, justement ! Retour savoureux aux origines filmiques du personnage… Et le voilà ensuite vedette malgré lui de music-hall ! Idée de génie, qui mêle l’humour caustique au spectacle d’une comédie musicale à la Busby Berkeley. Johnston s’inspire de l’esprit de 1941, le film fou de Spielberg, pour créer tout un numéro musical irrésistible, «The Star-Spangled Man», où Captain America balance son poing sur un Hitler de pacotille, double référence – à la fameuse couverture dessinée par Kirby, et au contexte de l’époque : voir, en mode bien plus sérieux, le retour des héros d’Iwo Jima dans MEMOIRES DE NOS PERES de Clint Eastwood, eux aussi forcés de se prêter à la mascarade des numéros de propagande militaire américaine. C’est en tout cas très bien vu de la part de Johnston et des scénaristes, et cela va renforcer la filiation «capraesque» au moment le plus inattendu !   

  

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L’acteur Chris Evans joue d’ailleurs son personnage dans ce sens ; inspiré par les personnages de Gary Cooper et James Stewart chez Capra, Evans a bien saisi l’évolution du personnage, de sa naïveté initiale à son héroïsme accompli, et fait de Cap un personnage lucide et mélancolique. Dans ce passage, le Captain est devenu un symbole vivant de la propagande politico-militaire américaine de l’époque. Héros de fiction, «fantoche» d’opérette, Cap ne convainc guère que les enfants dans le public… quand il vient en tournée remonter le moral des troupes, des soldats qui eux souffrent vraiment sur le front des combats (on a beau être dans un univers super-héroïque, Johnston met un point d’honneur à traiter la situation très sérieusement), Steve/Cap réalise amèrement sa condition… un peu à la façon de Gary Cooper, dans MEET JOHN DOE (L’HOMME DE LA RUE), ou Jimmy Stewart dans Mr. SMITH GOES TO WASHINGTON (Mr. SMITH AU SENAT) découvraient amèrement leur rôle d’ «hommes de paille», au service de politiciens corrompus et populistes. Steve se fait donc conspuer par les soldats qui n’apprécient guère ce guignol en collant venant leur faire la morale héroïque, et encaisse durement le coup : dépressif, il se dessine en singe de cirque ! Bien sûr, le sujet du film l’obligeant à prouver sa valeur, Steve Rogers ne va pas en rester là. Avec quelques alliés fidèles, il va réaliser l’impossible, et transcender le rôle que les autorités voulaient lui faire jouer, en héros à la Capra (avec super-pouvoirs !).   

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 Les exploits de Captain America, aussi spectaculaires et nombreux soient-ils, ne prennent heureusement pas le dessus sur le personnage lui-même. En vétéran des STAR WARS et d’INDIANA JONES, Johnston a bien compris que les meilleurs morceaux de bravoure ne valaient rien si on ne s’intéressait pas d’abord aux personnages. Il dote d’ailleurs son super-héros étoilé d’un trait de caractère particulier. Loin d’être le patriote invincible et sûr de lui-même dans le grand final, Cap demeure un personnage très humain. Avec un aspect éminemment chevaleresque qui fait bien de lui l’équivalent d’un Roi Arthur chez les Chevaliers de la Table Ronde : fédérateur et idéaliste, mais aussi doutant de lui-même, secrètement dépressif, et même suicidaire… La logique «arthurienne» était déjà en quelque sorte installée par les scènes où il rencontre Erskine, le savant fugitif. Ce dernier est une sorte de Merlin «technologique», secondé par un certain Howard Stark (futur papa d’un certain super-héros en armure dorée, et porteur du prénom et des excentricités de Howard Hughes – un personnage qui fascine Johnston depuis ROCKETEER). Un sage, un mentor qui perçoit le potentiel du frêle Steve, sympathise avec lui pour lutter contre la tyrannie nazie et lui fournit le matériel «magique» qui va le transformer en «chevalier»… le bouclier, arme associée à Captain America, étant en quelque sorte son Excalibur, qui lui servira à rassembler ses propres «Chevaliers». 

Captain America connaît aussi des moments de détresse. La mort de ses proches l’affecte énormément, processus hélas inéluctable pour la maturité d’un jeune homme, appelé à devenir un adulte accompli et un «roi» conscient de sa tâche sacrificielle finale. Cette évolution culmine de façon là encore inattendue, et très touchante, dans la séquence finale où Cap fait ses adieux aux commandes d’un bombardier. Il garde le contact radio, jusqu’aux derniers moments, avec la femme de sa vie (Hayley Atwell), sa «reine» de cœur, jusqu’à la rupture de transmission qui laisse cette dernière isolée, désemparée. Très belle scène, simple, émouvante et inattendue dans un film d’action, où Johnston, qui connaît bien ses grands classiques, s’inspire du cinéaste anglais Michael Powell, et des premières minutes de son film UNE QUESTION DE VIE OU DE MORT.    

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Rien à redire par ailleurs du côté de la mise en scène des séquences d’action, nerveuses à souhait. Heureusement, Johnson ne cède pas aux sirènes du montage hystérique, et les péripéties de Cap et ses compagnons, aussi explosives soient-elles, ne cherchent pas à singer les excès des productions «modernes». La lisibilité n’est pas sacrifiée pour l’action, qui reste dans les standards des meilleures productions de Spielberg, Lucas et Robert Zemeckis au meilleur de leur forme. Ce côté «vieille école» contribue aussi à la sympathie générale qui se dégage du film. Quant aux effets spéciaux, ils sont comme toujours impeccables… les meilleurs n’étant pas ceux qui sautent aux yeux : Chris Evans, qui a au naturel un physique de quarterback, se voit ainsi «raboté» numériquement pour devenir le chétif Steve Rogers. Et le résultat est littéralement invisible ! 

Dans tout cela, les acteurs ne sont pas oubliés. Certes, ils sont bien conscients d’incarner des stéréotypes de bande dessinée, et qu’ils ne décrocheront donc pas une nomination aux Oscars pour leurs prestations ; mais ils savent les «habiter» et leur donner une crédibilité. Chris Evans est ici bien plus à l’aise en jeune super-héros qu’il ne le fut dans les catastrophiques QUATRE FANTASTIQUES, où il incarnait la Torche Humaine ; signalons aussi le naturel de la charmante Hayley Atwell, remarquée dans la série télévisée LES PILIERS DE LA TERRE. Hugo Weaving et Toby Jones sont un duo de méchants dissemblables réussi, assez classique. Stanley Tucci nous rappelle qu’il est un remarquable «character actor» capable de nous faire aimer son personnage de savant fatigué et excentrique ; et le grand Tommy Lee Jones, s’il hérite d’un rôle très classique de colonel bourru et buriné, vole à tous la meilleure réplique du film : «Je ne vous embrasse pas !». Rien que pour cette phrase, prononcé d’un ton inimitable, il mérite d’être salué !    

Ultime cerise sur le gâteau concocté par Joe Johnston, le choix de la musique. Jusqu’ici, les films «Vengeurs» de Marvel manquaient cruellement d’unité musicale… Plus portés sur les «badaboums» et les samples de synthétiseurs poussés à fond, les musiques de ces films, gérées pour renforcer l’aspect «surhumain» des exploits décrits, n’avaient pas d’écriture mélodique identifiable. Or, un bon film de super-héros ne saurait exister sans la partition appropriée, marquant la patte d’un John Williams (SUPERMAN) ou d’un Danny Elfman (BATMAN, SPIDER-MAN) pour l’emphase nécessaire au genre. Malin, Johnston s’est tourné vers l’un des meilleurs compositeurs en exercice, Alan Silvestri. Soit le compositeur attitré des grands films de Zemeckis – RETOUR VERS LE FUTUR, FORREST GUMP, ROGER RABBIT, etc. – et de quelques autres pépites (PREDATOR, LA SOURIS…). Compositeur hollywoodien dans la grande tradition, aussi bien à l’aise avec l’«artillerie» symphonique que la mélodie la plus simple et touchante, Silvestri signe LE score super-héroïque par excellence, le plus emballant depuis SUPERMAN, rien de moins. Une marche grandiose, entraînante, à placer aux côtés de LA GRANDE EVASION d’Elmer Bernstein, 1941 de Williams, et L’ETOFFE DES HEROS de Bill Conti… 

A vous maestro Silvestri, faites chauffer l’orchestre ! Image de prévisualisation YouTube    

Voilà qui conclut ce tour d’horizon des aventures du Vengeur à la bannière étoilée. Il s’est donc produit un petit miracle : on attendait un simple film d’été «rince-neurones», et Joe Johnston nous a bien eus. On sort de la salle avec un grand sourire, revigoré par l’enthousiasme juvénile qui se dégage de CAPTAIN AMERICA. Oui, ce film a une âme et un cœur. On croise les doigts pour que le personnage les conserve pour la prochaine «Assemblée» estivale !    

La note :  

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Ludovic Fauchier, Captain Blogueur   

La Fiche Technique :   

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CAPTAIN AMERICA : FIRST AVENGER   

Réalisé par Joe JOHNSTON   Scénario de Christopher MARKUS et Stephen McFEELY, d’après la bande dessinée créée par Joe SIMON & Jack KIRBY (Marvel Comics)     Avec : Chris EVANS (Steve Rogers, alias Captain America), Tommy Lee JONES (Colonel Chester Phillips), Hugo WEAVING (Johann Schmidt, alias Crâne Rouge), Hayley ATWELL (Agent Peggy Carter), Sebastian STAN (James «Bucky» Barnes), Stanley TUCCI (Docteur Abraham Erskine), Toby JONES (Docteur Arnim Zola), Dominic COOPER (Howard Stark), Neal McDONOUGH (Timothy Aloysius «Dum Dum» Duggan), Richard ARMITAGE (Heinz Kruger), Derek LUKE (Gabe Jones), Samuel L. JACKSON (Colonel Nick Fury), et le caméo traditionnel de Stan «The Man» LEE !   

Produit par Kevin FEIGE, Amir MADANI, Victoria ALONSO, Mitchell BELL, Stephen BROUSSARD, Dan MASCIARELLI et Richard WHELAN (Marvel Enterprises / Marvel Entertainment / Marvel Studios)   Producteurs Exécutifs Mike BODKIN, Louis D’ESPOSITO, Alan FINE, Nigel GOSTELOW, Joe JOHNSTON, Stan LEE et David MAISEL    Musique Alan SILVESTRI, «The Star-Spangled Man» écrit et produit par Alan MENKEN   Photo Shelly JOHNSON   Montage Robert DALVA et Jeffrey FORD   Casting Sarah FINN, Randi HILLER et Priscilla JOHN    

Décors Rick HEINRICHS   Direction Artistique John DEXTER, Chris LOWE, Andy NICHOLSON, Dean CLEGG, Phil HARVEY, Paul KIRBY, Jason KNOW-JOHNSTON et Phil SIMS   Costumes Anna B. SHEPPARD     1ers Assistants Réalisateurs Richard WHELAN et Glen TROTINER   Réalisateurs 2e Équipe Doug COLEMAN et Jonathan TAYLOR   Cascades Doug COLEMAN et Steve DENT    

Mixage Son David STEPHENSON   Montage Son Howell GIBBENS   Design Sonore Stephen Hunter FLICK, Jason W. JENNINGS et Shannon MILLS     Effets Spéciaux Visuels Edson WILLIAMS, Craig BARRON, Stéphane CERETTI, Vincent CIRELLI, Sean Andrew FADEN, Richard HIGHAM, Dave MORLEY, Daniel P. ROSEN, Kathy SIEGEL et Christopher TOWNSEND (Double Negative / 4DMAX / Evil Eye Pictures / FB-FX / Framestore / Fuel VFX / Gradient Effects / Hydraulx /  Lola Visual Effects / Luma Pictures / Matte World Digital / Method Studios / RISE Visual Effects Studios / The Senate VFX / Stereo D / The Base Studio / The Third Floor / Trixter Film / Whiskytree)   Effets Spéciaux de Maquillages Josh WESTON et David WHITE   Générique de fin SCARLET LETTERS    

Distribution USA : Paramount Pictures / Distribution INTERNATIONAL : UIP / Paramount Pictures    

Durée : 2 heures 04  Caméras : Arri Alexa, Arriflex 235, Arriflex 435, Canon EOS 5D Mark II, Panavision Genesis HD et Panaflex Millennium XL 

Ô Capitaine, Mon Capitaine !, 1e partie – CAPTAIN AMERICA : FIRST AVENGER

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CAPTAIN AMERICA : FIRST AVENGER, de Joe JOHNSTON    

 

L’Histoire :    

 

l’Arctique. Une équipe du SHIELD, les services secrets américains d’élite, spécialisés dans les récentes affaires surhumaines apparues aux USA, retrouve dans les glaces un objet considéré perdu depuis la Deuxième Guerre Mondiale. Un bouclier orné d’une étoile… et plus important encore, le corps inanimé, parfaitement conservé d’un homme devenu une légende…   

 

Mars 1942, troisième année de la Deuxième Guerre Mondiale. Le monde est à feu et à sang, depuis que les armées d’Hitler ont déclenché les hostilités en envahissant l’Europe au mépris de la liberté des peuples. Un petit village de Norvège est assailli par une section d’élite de l’HYDRA, l’unité secrète de recherches occultes fondée par Hitler et dirigée par un de ses proches, Johann Schmidt. Ce scientifique, dévoyé et ambitieux, met la main sur le Cube Cosmique, un artefact ayant appartenu au Dieu Odin lui-même, et détenteur d’un pouvoir destructeur défiant l’imagination humaine. Schmidt s’en empare, sans remords ni pitié pour les habitants qui gardaient le Cube caché depuis des siècles.    

 

Pendant ce temps aux Etats-Unis, tout le pays est sur le pied de guerre. Comme partout ailleurs, les jeunes hommes de New York se précipitent dans les bureaux de recrutement, pour se battre contre les Nazis. Le jeune Steve Rogers s’est fait refuser cinq fois l’admission dans cinq états différents, les médecins le déclarant inapte au service à cause de sa mauvaise santé. Chétif et souvent malade, Steve s’obstine pourtant à vouloir se battre contre plus fort que lui. Son ami «Bucky» Barnes le sauve à temps d’une nouvelle correction infligée par une brute. Avant son départ en Europe, Bucky l’emmène se changer les idées à la grande Exposition Universelle, où se produit l’ingénieur excentrique Howard Stark. Steve s’obstine une nouvelle fois à tenter sa chance au bureau de recrutement local. Un homme remarque la détermination du jeune homme à vouloir, en dépit de tout se battre, pour la Liberté : un certain Abraham Erskine, un savant qui a dû fuir l’Allemagne quand les Nazis se sont emparés du pouvoir. Erskine l’inscrit au programme spécial de la Section de Recherches Scientifiques, qui, grâce aux efforts communs de Stark et d’Erskine, cherche à créer un sérum capable de transformer un homme ordinaire en «Super Soldat» plus fort, endurant et rapide que la moyenne. Malgré le scepticisme du Colonel Chester Phillips chargé de superviser le programme, Steve est choisi comme premier cobaye de l’expérience par Erskine, devenu l’ami du jeune homme.  

Mais Erskine a été repéré par des agents de l’HYDRA. Et Schmidt a un compte particulier à régler vis-à-vis d’Erskine, tout en préparant son propre plan diabolique pour supplanter Hitler comme seul Maître du Monde…    

 

 

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Impressions :   

 

 

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Résumé des épisodes précédents … Hollywood est devenu le champ de bataille économique et stratégique pour les compagnies éditrices de «comic-books», à commencer par les deux grands rivaux, DC (propriétaire des droits de Superman, Batman, Green Lantern, Wonder Woman, etc.) et Marvel (propriétaire de ceux de Spider-Man, des X-Men, Hulk, 4 Fantastiques, Iron Man, Thor, etc.). Les deux antagonistes se lancent régulièrement à l’assaut du box-office mondial, chacun étant soutenu par un grand studio – Warner pour DC, et Disney qui gère la majeure partie des titres Marvel. Cette «Guerre du Box-Office» des surhommes en costumes bariolés connaît des fortunes variables, selon la qualité des films. 

Cette saison printemps-été a vu pas moins de quatre superproductions au programme ; et les résultats prouvent que la stratégie mise en place par Kevin Feige, grand manitou de la branche cinéma de Marvel, s’est avérée plus rusée que la «machine de guerre» DC/Warner. Les producteurs de ces derniers ont soutenu un seul film, GREEN LANTERN, déboursant un budget astronomique de 230 millions de dollars… pour un résultat final raté, du point de vue financier. Conçu à destination d’un public de fans, LANTERN s’est péniblement «ramassé» au box-office, recouvrant à grand peine son budget démesuré. Effet de lassitude du public envers les films de super-héros ? Ce n’est pas certain, mais c’est un signal notable. 

L’année prochaine, le chouchou de DC/Warner, Christopher Nolan, va connaître une pression énorme avec la sortie, dans la même année, du troisième volet de sa trilogie consacrée à Batman, THE DARK KNIGHT RISES, et la supervision de la production du Superman «new style» de Zack Snyder (300, WATCHMEN), MAN OF STEEL, chargé de faire oublier le décevant SUPERMAN RETURNS sorti en 2006.    

 

 

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Dans le même temps, Marvel, investissant dans des budgets plus «raisonnables» (à l’échelle hollywoodienne), décroche de solides succès avec THOR et X-MEN FIRST CLASS. Et le plan d’attaque «Vengeurs» orchestré par Feige et ses collègues porte ses fruits, financièrement parlant. En 2008, IRON MAN a fait un carton, suivi d’une suite tout aussi rentable l’année dernière ; L’INCROYABLE HULK a bien marché, sans plus, la même année ; et cette année, le puissant THOR a également plu au public. Le but révélé par Feige étant de «paver la voie» à un grand film «choral» de super-héros pour l’an prochain, LES VENGEURS. Conformément à la b.d. d’origine créée par Jack Kirby et Stan Lee, Iron Man, Hulk et Thor vont donc former un escadron de surhommes fin prêts à défendre la Terre contre toute menace surhumaine. Se joignent à eux l’espionne de choc Veuve Noire (présentée dans IRON MAN 2 et incarnée par l’adorable Scarlett Johansson) et l’archer intrépide Œil de Faucon, que les spectateurs de THOR ont pu voir intervenir sous les traits du «Démineur» de choc, Jeremy Renner. Bien entendu, il en manque un dans cette fine équipe… le héros de cette quatrième aventure super-héroïque estivale 2011, une figure «historique» dans tous les sens du terme puisqu’il traverse les âges depuis 70 ans, et depuis une couverture historique le montrant envoyer un monumental coup de poing à Adolf Hitler. Entrée en scène de la Légende Vivante de l’univers Marvel dans l’offensive cinéma de cette dernière : voici Captain America !    

 

 

Il faut bien l’avouer, la stratégie de Marvel est certes jusqu’ici très efficace en termes financiers, mais n’a pas vraiment laissé de traces mémorables en terme de Cinéma… Entreprise évidemment commerciale dans sa démarche, «le plan VENGEURS» est avant tout conçu pour la distraction du jeune public, généralement considéré comme n’étant pas trop regardant sur la qualité des films qui lui sont proposés. Les films consacrés à Iron Man, Hulk et Thor sont donc des «bandes dessinées filmées» habiles et techniquement impeccables, mais où la personnalité des réalisateurs (Jon Favreau, Louis Leterrier, Kenneth Branagh) compte moins que leur compréhension du comics et leur capacité à mener un tournage dans les temps. Agréables, les films n’ont pas cependant la même impression d’émerveillement du SUPERMAN de Richard Donner, leur grand-père à tous, la portée émotionnelle des SPIDER-MAN de Sam Raimi ou la profondeur psychologique des BATMAN de Nolan… Heureusement, ils ne sombraient pas non plus dans l’indigence d’adaptations calamiteuses des exploits de DAREDEVIL, des 4 FANTASTIQUES ou GHOST RIDER… CAPTAIN AMERICA, jusqu’ici, n’avait eu droit qu’à des adaptations assez pitoyables depuis un antique «serial» de la Republic dans les années 1940. Une adaptation en téléfilm et série télévisée franchement ridicule en 1979 – voyez le look du héros ci-dessous… terrible ! et un film de 1990, cherchant à profiter du succès du BATMAN de Tim Burton sans en avoir les ambitions, et qui tomba dans les oubliettes… et c’était tout.    

 

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Confiée aux soins du vétéran Joe Johnston, cette nouvelle aventure ne semblait pas devoir changer la donne instaurée par Marvel avec ses précédents héros… Or, surprise ! Contre toute attente, Johnston a surpassé le travail de ses collègues, et peut-être bien fait de CAPTAIN AMERICA le meilleur film du genre de ces dernières années !    

 

 

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Avant d’étudier le film, il faut revenir dans le passé du personnage pour éclaircir quelques points importants… Son nom et son apparence ont certainement suscité pas mal d’incompréhensions de ce côté-ci de l’Atlantique. 

«Cap», comme on le surnomme affectueusement, se traîne depuis longtemps une image déformée de super-héros «patriotard» dont il serait facile de se moquer. Il faut dire qu’avec son costume portant fièrement les couleurs, les étoiles et les «ailes» sacrées de l’Amérique, Cap tendait malgré lui le bâton pour se faire battre à une époque pas si lointaine… à la façon de son prédécesseur Superman chez DC, Cap a en son temps attiré les foudres idéologiques de tous ceux qui voyaient dans chaque b.d. made in USA un instrument de propagande à l’avantage de l’Amérique forcément impérialiste – spécialement dans les années 60 et 70, où tout et n’importe quoi devait être vu sous un angle politique, en fonction de positions anti-américaines certes légitimes (contre les sales coups internationaux de la CIA, et la Guerre du Viêtnam), mais qui pouvaient servir de prétexte à d’autres positions moins «éclairées»… 

Dans notre bon pays si éclairé, une censure sournoise fut souvent appliquée contre les bandes dessinées, sous De Gaulle, Pompidou et Giscard, afin de «protéger nos enfants» de ces affreux «petits Mickeys» qui corrompaient forcément la fière jeunesse de notre pays ! Et, on s’en doute, les comics de super-héros furent une proie de choix pour la Censure française, avant d’être finalement acceptés au fil des ans. 

Concernant Captain America, il faut en fait revenir à l’époque de la création du personnage pour mieux comprendre ce qu’il représente. Cap est en fait apparu avant l’entrée en guerre des USA contre l’Axe durant la 2e Guerre Mondiale. Si l’Amérique s’est lancée dans le conflit après les bombardements de Pearl Harbour en décembre 1941, Cap l’avait précédé de plusieurs mois. Il fit son apparition en mars 1941, giflant Hitler avec le sourire, dans un comics édité par Timely Comics, l’ancêtre de Marvel. Le dessin, entré dans l’Histoire de la bande dessinée, était l’œuvre d’un tout jeune Jack Kirby. Le futur «Roi des Comics», âgé de 23 ans, se nommait en réalité Jacob Kurtzberg. Descendant d’immigrants juifs autrichiens, Kirby créait depuis déjà plusieurs mois, avec son complice Joe Simon, des super-héros «patriotes» fin prêts à botter du fessier nazi pour la bonne cause ! Kirby imitait en cela le parcours de ses collègues Joe Shuster et Jerry Siegel, créateurs trois ans plus tôt de Superman chez DC, eux aussi descendants de familles juives européennes ayant trouvé refuge aux USA. Je ne saurais que trop vous recommander de lire, si vous ne l’avez pas fait, le remarquable roman de Michael Chabon, LES EXTRAORDINAIRES AVENTURES DE KAVALIER & CLAY, qui s’inspire des jeunes années des pères fondateurs des comics en question. On devine alors, en revoyant la couverture du premier numéro de Cap, la jubilation que devait avoir Kirby à ridiculiser le Führer et ses sbires. Juste revanche, symbolique, contre les bourreaux de millions d’innocents déportés et exécutés en raison de leur religion…    

L’histoire de Cap ne s’arrête pas à ce premier coup d’éclat. Elle traverse allègrement les décennies, et permet aussi, indirectement, de «sentir» l’évolution des USA à travers ses comics. C’est beaucoup plus instructif qu’il n’y paraît de premier abord. Cap (et son fidèle acolyte Bucky, l’équivalent de Robin chez Batman) ont donc fièrement combattu pour le bien commun pendant la 2e Guerre Mondiale. Son succès et son histoire se sont poursuivis par la suite, parfois en empruntant des chemins inattendus pour un super-héros généralement moqué pour son patriotisme «stars and stripes forever» !    

 

Bref résumé du parcours de Cap dans les décennies suivantes, en commençant par la plus embarrassante… les années 50. Cap continua à apparaître jusqu’en 1954, année de l’annulation de parution de sa bande dessinée. Nous sommes en pleine ère de la Guerre Froide, et, malheureusement, le maccarthysme se fait présent en filigrane dans les pages de Timely/Marvel. On y voit un Captain America chassant sans remords les «agents ennemis» (comprendre : tout ce qui ressemble, de près ou de loin, à un espion communiste/subversif/stalinien). La b.d. ne fait alors pas dans le détail : Cap se réjouit par exemple de voir une base de «méchants» anéantie par une bombe atomique !… Il faudra bien aux futurs scénaristes de la série trouver une astuce crédible (dans un monde de super-héros) pour justifier ce comportement anti-démocratique au possible de la part du défenseur numéro 1 de la Liberté.   

 

 

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 En reprenant le personnage dix ans plus tard, Stan Lee fait volontairement l’impasse sur ce passé récent. Cap avait en fait disparu dans les glaces de l’Arctique et était considéré mort depuis 1945 ! Ranimé, le héros devient un véritable «hibernatus», mal à l’aise avec cette nouvelle époque, et luttant avec le remords d’avoir perdu au combat son fidèle Bucky… Le retour en grâce de Captain America, assuré par Lee, Jack Kirby et un autre virtuose du pinceau, Jim Steranko, le posera de nouveau en Chevalier du Bien et de la Démocratie. 

A charge ensuite pour le scénariste Steve Englehart, politiquement très marqué à gauche, de signer quelques-unes des meilleures aventures de Cap au cours des plus pessimistes années 70, et de revenir sur ces années 50 qui font tâche. Englehart fait de Cap un fervent défenseur des Droits Civils – il crée un super-héros noir, le Faucon, qui n’est pas le subordonné mais l’égal de Cap -, et le montre sermonner vertement des citoyens de la «majorité silencieuse» de l’époque Nixon ; et Cap, sous la houlette d’Englehart, renoncera volontairement et symboliquement un temps au bouclier et à son identité, réponse symbolique du scénariste aux mensonges du Viêtnam et du Watergate… Le passé gênant de Cap dans les années 50 trouve une explication «comics» appropriée : puisque le héros était porté disparu en 1945, le gouvernement américain, qui n’en est plus à un secret près, «créa» un faux Captain America. Paranoïaque, violent, raciste et détraqué, le «faux Cap» endossera la responsabilité de la Chasse aux Sorcières citée plus haut ! Un retournement de situation finalement adroit, qui permettra au héros de se confronter à son reflet déformé, cet imposteur représentant ce qu’il aurait pu devenir…    

 

Cap a continué à commenter l’actualité politique de son pays, et ce n’est pas à l’avantage de ce dernier… Notamment avec l’administration Bush de sinistre mémoire. Au lieu de se ranger au patriotisme guignolesque de «Junior», Cap va prendre le parti inverse, prenant du coup à contrepied ceux qui l’ont considéré comme l’archétype de la propagande de l’Amérique réactionnaire. On a vu par exemple Cap condamner le traitement indigne des prisonniers à Guantanamo. Et il y eut CIVIL WAR, la fameuse mini-série écrite par Mark Millar. Parabole évidente sur les traumatismes du 11 septembre 2001 et le délire sécuritaire du Patriot Act, CIVIL WAR voyait les héros Marvel se diviser en deux clans politiquement ennemis. A la surprise générale, Cap prenait le parti des insurgés contre l’arbitraire du gouvernement Bush, face à Iron Man se posant en Big Brother sécuritaire ! Toujours porté par ses nobles croyances en la liberté d’expression et la justice, Cap finissait toutefois arrêté, et, horreur suprême, finissait assassiné sur les marches du Palais de Justice avant d’avoir pu se défendre… Depuis, les choses sont certes retournées à la normale dans l’Univers Marvel, et par une de ces pirouettes scénaristiques dont les comics sont coutumiers, Cap est bien vivant, réconcilié avec son ami/ennemi Iron Man. Signe des temps toutefois, il a cédé son bouclier et son identité à Bucky, lui aussi revenu d’entre les morts. Le tout, quand même, dans une ambiance à la Jason Bourne, symbole d’une décennie politiquement trouble, de suspicion généralisée. Et le scénariste de la série, Ed Brubaker, de décortiquer lucidement le désarroi de l’Amérique actuelle complètement fracturée par la crise économique et sociale, via les exploits de Cap. 

Voilà donc un très bref aperçu du parcours de ce super-héros plus démocrate et lucide qu’il n’y paraît à première vue.    

 

La Légende Vivante, comme on le surnomme, a une place bien établie au cœur du monde des super-héros, l’équivalent d’un Roi Arthur (comparaison à laquelle les auteurs ont souvent fait référence) capable de fédérer tous les autres personnages, même les plus fortes têtes. En ceci aussi, on peut voir, au-delà du personnage, une prolongation moderne de mythes très anciens. Il serait intéressant de se plonger dans une relecture «mythologique» des super-héros, et de voir combien ceux-ci, selon une théorie communément admise maintenant, perpétuent des figures plus anciennes. Je ne parle pas seulement de Thor, mais de tous les super-héros en règle générale. A leur façon, ils sont la continuation des Chevaliers de la Table Ronde, des héros antiques (Jason et ses Argonautes : le premier groupe de super-héros jamais créé, deux millénaires avant les comics ?), jusqu’à leur «ancêtre initial», le sumérien Gilgamesh… lui aussi avait un «sidekick», un complice avant l’heure, Enkidou !    

 

Mais revenons (quand même) au film, en tenant compte de ces éléments qui vont compter dans le produit final. 

 

 

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Les producteurs ont eu le nez creux en se tournant vers Joe Johnston. Le réalisateur texan de 61 ans est un «vieux de la vieille» dans le bon sens du terme. Pas un artiste ou un cinéaste à la vision exceptionnelle certes, mais un «filmmaker» solide. Rôdé à la conception des effets spéciaux, Johnston a même ces dernières années révélé un tempérament plus mature, tout en continuant d’assurer la «garantie spectacle». Il faut dire qu’en la matière, son parcours est éloquent : il fit partie, en 1975-1976, de la jeune génération de «bricoleurs d’images» que recherchait un certain George Lucas, en plein travail sur un petit film d’aventures spatiales à base de Chevaliers Jedis… Johnston, à l’époque concepteur visuel des inédits effets visuels de STAR WARS, a longtemps fait partie des fondateurs du studio d’effets visuels ILM, où il œuvra une bonne décennie comme directeur artistique des effets visuels des premiers STAR WARS et des deux premiers INDIANA JONES, L’ARCHE PERDUE et LE TEMPLE MAUDIT. Pour Steven Spielberg, il conçut également les remarquables séquences aériennes d’ALWAYS, perpétuant l’esprit «rétro» des premiers exploits d’Indy. Johnston est passé à la mise en scène, garantissant toujours un esprit bon enfant à des superproductions familiales : notamment CHERIE J’AI RETRECI LES GOSSES et ROCKETEER pour les studios Disney, et JUMANJI. L’influence des films fantastiques à la «Spielberg-Lucas» s’y fait clairement sentir, ainsi qu’un certain esprit nostalgique de bon aloi. Johnston a depuis continué en se lançant dans des projets plus personnels, comme le très touchant OCTOBER SKY, qui lança Jake Gyllenhaal en 1999, en étudiant fils de mineur qui rêve de devenir ingénieur de la NASA au début du programme spatial. Après un JURASSIC PARK III en 2001, divertissant et très «série B», mais sans génie, où il succède à Steven Spielberg, Johnston livrera ensuite un autre très bon film, HIDALGO, avec Viggo Mortensen, en 2004. Un habile mélange de western et de film d’aventures à la LAWRENCE D’ARABIE, avec une forte touche mélancolique. Puis il remplacera au pied levé le réalisateur Mark Romanek, parti en pleine production de WOLFMAN, remake du vieux film de loup-garou d’Universal, avec un grandiose Benicio Del Toro. Un hommage sincère doublé de quelques séquences fantastiques classiques mais inspirées. Johnston est donc un technicien doué et qui ne méprise pas le genre de films auquel il s’attache. 

CAPTAIN AMERICA s’est donc retrouvé entre de bonnes mains. Le film se présente comme un «mixe» réussi entre les vieux serials, les INDIANA JONES, certains des films précédents de Johnston, avec une touche de film de guerre à la QUAND LES AIGLES ATTAQUENT / LES CANONS DE NAVARONE, le tout dans un esprit «rétro» totalement revendiqué par le réalisateur. Le résultat final marche du feu de Dieu. Jadis, Johnston avait quelque peu raté un trop sage ROCKETEER également adapté d’une bande dessinée, hommage aux fondateurs du genre et à l’esprit «pulp novels» des années 30-40… le réalisateur avait dû sans doute se promettre de faire mieux à l’avenir, et CAPTAIN AMERICA était le projet idéal pour cela. Un super-héros né dans une période plus «innocente» que la nôtre, avec une caractérisation forte, et un contexte idéal pour réaliser des scènes trépidantes… et d’autres plus inattendues.    

 

A SUIVRE…

Le Singe d’une Nuit d’Eté, 2e Partie – RISE OF THE PLANET OF THE APES / La Planète des Singes : Le Commencement

2e PARTIE    

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Ce basculement attendu et bien préparé par le réalisateur nous amène forcément à nous intéresser à la vraie star du film : Caesar le chimpanzé ! Sans vouloir médire du talent des vedettes James Franco et Freida Pinto, il faut bien reconnaître qu’ils se font éclipser par leurs partenaires primates. Le film est aussi, avant tout, l’histoire de l’évolution de Caesar, qui embrasse par accident un destin mêlant la prise de conscience de sa propre nature, et l’insurrection politique violente, appliquée pour la première fois par une espèce non-humaine. Caesar, c’est en quelque sorte Spartacus, Jésus et Che Guevara version chimpanzé ! 

En parallèle à l’histoire de Will, Caesar va passer par différents stades. Animal de laboratoire promis à la mort ; puis gentille peluche domestiquée ; puis animal de compagnie ; puis «fils-frère» de substitution aux yeux de Will et de Charles… le jeune chimpanzé découvrira douloureusement sa vraie nature. La mise en scène de Rupert Wyatt le fait passer d’une prison à une autre, jouant sur l’enfermement permanent du personnage. On le découvre ainsi au fond du «clapier» où sa mère l’a mis au monde ; on le suit, enfant, puis adolescent, évoluant dans la paisible maison des Rodman, de la cave au grenier où il est «assigné à résidence» ; même les ballades bucoliques dans la grande forêt de séquoias de Muir Woods (familière aux cinéphiles depuis VERTIGO), qui offrent à Caesar enfin un peu de liberté, seront aussi un rappel de sa condition d’«esclave» animal destiné à être remis en cage : le collier et la laisse, la réaction apeurée des passants… Le coup de grâce de cet état d’enfermement étant l’humiliante «détention» finale au refuge pour grands singes, où Caesar comprend enfin la vérité sur sa propre nature, avec amertume et colère. Il est frappé par la brutalité de ses congénères d’infortune, mais plus encore bouleversé par la découverte de la duplicité humaine – représentée par l’abandon de Will à ses nouveaux geôliers. Désemparé, il se heurte à un faux horizon ensoleillé (la Nature asservie et «truquée» par l’Homme), et dessine dans sa cage la fenêtre de sa maison d’enfance. Un dessin qu’il effacera, geste radical exprimant son acceptation définitive de singe doué de conscience… Quand la révolte a bien lieu, l’évasion de Caesar et ses alliés est une véritable libération, physique et spirituelle, du joug de l’Homme. La dernière image, assez poétique, montrant les Singes dominer San Francisco depuis les arbres de Muir Woods, sonne comme la conclusion logique du parcours de notre chimpanzé «mutant». 

Le parcours de Caesar est aussi messianique, de façon parfois évidente, et parfois dissimulée, avec assez d’intelligence de la part du réalisateur pour faire passer l’idée, sur le papier absurde, d’un «Messie» libérateur du Peuple Singe ! Les aspects messianiques sont clairement émis dès le départ, avec l’idée de cette maman guenon, défendant son nouveau-né jusqu’à la mort. On ne saura jamais qui est le père de Caesar, et seul compte l’amour maternel, une sorte de «Nativité» à l’état primitif, qui se termine tragiquement pour «Beaux Yeux». Caesar n’est donc pas élevé par ses vrais géniteurs, mais par une famille inattendue, le recueillant à la façon d’un Moïse sauvé des eaux… Pour souligner un peu plus l’aspect «prophétique messianique» de Caesar, rappelons que Will sauve ce dernier d’un véritable «Massacre des Innocents» décrété par la firme pharmaceutique. Rappel grinçant et bien vu des origines d’un Moïse ou d’un Jésus, qui faillirent être tués dès leurs naissances, sur ordre de Pharaon ou d’Hérode ! Durant son évolution, Caesar aura donc découvert le double visage de l’espèce humaine, Jekyll (l’homme civil, courtois, éduqué, mais réprimé) séparé de Hyde (le double bestial, sauvage et incontrôlé… le «Singe» qui vit caché en l’Homme). Elevé avec affection et tendresse, le jeune singe éprouve un amour filial sincère pour Charles, au point de le défendre violemment contre l’irascible voisin qui ne comprend pas la maladie du vieil homme. Caesar comprend aussi la notion d’amour, jouant les «Cupidons» dans l’idylle entre Will et la jolie vétérinaire Carlie. Mais, élevé parmi les hommes, il est donc porté à croire naturellement qu’il est comme eux, et ne comprend pas les réactions de peur et d’hostilité instinctive à son égard, pas plus chez l’Homme que chez le Singe… 

Caesar fait l’apprentissage, malgré lui, de cette violence innée chez l’Homme. En sous-main, je pense que les scénaristes et le réalisateur en ont profité pour livrer un message grinçant sur la part animale qui demeure en nous, malgré des millénaires d’évolution et de civilisation. Nous nous considérons toujours comme le summum de l’évolution, l’espèce «supérieure» habilitée par un supposé don divin à régner sur l’ensemble des animaux… ceci alors même que la science nous montre un peu plus chaque année que nous sommes beaucoup plus proches des grands primates que nous le croyons. L’humain est une espèce animale terriblement orgueilleuse, et n’a absolument pas envie – pour le moment du moins – de renoncer à son «privilège» de dominant… et elle n’en est sans doute que plus névrosée ! Rupert Wyatt brocarde ici cette attitude typique de l’homme moderne, spécialement celui des sociétés occidentales ; on s’imagine intelligent, sociable, maître de ses émotions en toute circonstance… mais il suffit qu’un petit rien se produise – comme la présence d’un singe apprivoisé dans les parages – pour que nos vieux instincts agressifs, profondément enfouis, surgissent et nous fassent agir de façon totalement irrationnelle ! Dans le film, c’est l’attitude du voisin des Rodman : un pilote de ligne, américain moyen bien tranquille, père de famille confortablement installé dans sa routine quotidienne, qui «disjoncte» dès lors que Caesar s’aventure à l’extérieur, ou que Charles, malade, s’empare de sa voiture. «Monsieur Tout-le-Monde» cède à la panique, à la colère excessive et animale, pour des motifs absurdes – sans doute un réflexe conditionné par la pensée sécuritaire du «Pensez à nos enfants», induit par les médias ou les politiciens de son époque. Et malheureusement, les lois de la société lui donnent raison sur le Singe, qui, lui, n’est qu’«animalité» et ne s’en porte pas plus mal ! Autre personnage peu reluisant décrit dans le film : le fils du gardien du refuge, un petit chefaillon qui déteste son boulot ; véritable gardien de camp de concentration, il profite de son petit pouvoir sur les pensionnaires pour les humilier et les brutaliser. Tout est bon pour lui, même pour se valoriser de façon minable devant des petites amies potentielles… Mal lui en prendra de «défouler» ses instincts primaires sur le mauvais singe, au mauvais endroit et au mauvais moment. Quoi qu’il en soit, Caesar, en découvrant l’intolérance chevillée à l’âme et au corps des humains, réalisera ainsi toute l’ambiguïté du caractère de l’Homo Occidentalis Paranoïdus, une espèce pas aussi «Sapiens» qu’elle ne veut le croire ! 

Ces mauvais traitements répétés le poussent donc à la révolte. Mais pour arriver à cela, Caesar doit aussi apprendre un fait inédit pour lui : l’usage du pouvoir et de la politique. Les scénaristes posent d’emblée le nouvel enjeu pour notre singe vedette, lorsqu’il se retrouve enfermé avec ceux de son espèce. L’éducation «humaine» de Caesar le marginalise : trop «singe» pour être traité dignement parmi les hommes, il est aussi trop «homme» pour être accepté par ses nouveaux congénères ! En tête desquels un chimpanzé «Mâle Alpha», Rocket, qui voit en lui un rival à éliminer. Caesar doit donc lutter pour s’imposer comme le nouveau caïd de la prison… situation faisant écho, ironiquement, au destin de l’astronaute Taylor (Charlton Heston), qui devait aussi se faire respecter dans la cage de ses congénères humains «animalisés», dans le film original ! 

L’intelligence de Caesar, transmise génétiquement par sa mère via le fameux virus/sérum, le sauve. Grâce à elle, il met en place toute une tactique de stratégie politique au sein même du refuge. Dans la cage, il n’y a pas d’élections primates ; c’est le plus malin et le plus fort qui l’emporte ! Le langage des gestes, enseigné par les humains (comme dans le cas historique de la guenon Washoe, capable d’utiliser un langage élaboré et intelligent, dans les années 1970), permet à Caesar de se trouver un premier allié dans la place : Maurice, un orang-outang aussi intelligent que faussement débonnaire, ancienne «star» du cirque (comme Clyde, l’orang mal élevé qui suivait Clint Eastwood dans les DOUX, DUR ET DINGUE !) et qui maîtrise ce langage. Maurice devient ainsi l’allié et le conseiller politique attitré de Caesar. Ce dernier met à profit son intelligence accrue pour s’assurer d’un second allié, de poids, le gorille Buck. Un colosse peu commode dont Caesar s’assure l’aide pour prendre le dessus sur Rocket. Une démonstration de ruse politico-militaire où Caesar mérite bien son nom, assurant son autorité grâce à la présence «répressive» de Buck. Et voilà comment les scénaristes recréent finement le rapport des forces politiques décrites dans le film original : Caesar comprend l’utilité du fameux sérum et le distribue aux autres singes, devenant du coup le premier chimpanzé scientifique (comme Cornelius et Zira dans le film de Schaffner), le gorille représentant la future force militaro-policière et l’orang-outang le politicien plein de ruse ! Wyatt et ses scénaristes poussent le bouchon jusqu’à montrer une scène de discussion politique entre Caesar et Maurice, le premier montrant au second la nécessité pour les singes de s’unir face à leurs oppresseurs, en se servant de brindilles. Une seule peut casser, mais un assemblage de brindilles est indestructible… Caesar vient de recréer la politique de son homonyme humain, s’appuyant sur un système similaire à base de «faisceaux», politiques comme militaires. Il a réinventé le fascisme ! Ce qui, soit dit en passant, ne rassure pas quant à l’évolution future de la société des singes (telle qu’elle est d’ailleurs décrite chez Schaffner comme chez Burton). Et les humains pourront légitimement craindre le pire pour leur avenir, quand, à la faveur d’une nuit estivale*, Caesar libère ses «camarades» opprimés…    

* rien ne prouve que l’action se déroule en été. C’était seulement pour justifier le jeu de mots shakespearien, au début de cet article !    

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Le dernier acte du film, qui voit la «lutte finale» monter en puissance jusqu’à son paroxysme, déçoit quelque peu en comparaison des thèmes passionnants évoqués en amont. Il va sans dire que Rupert Wyatt a dû se plier aux exigences des producteurs de la Fox, et livrer des scènes plus conventionnelles de destructions massives et d’effets visuels spectaculaires. On peut aussi s’étonner de voir soudainement le nombre de protagonistes simiesques décupler soudainement, sans raison (d’où sortent ces nouveaux orangs et gorilles ?). Sans doute le jeune réalisateur a-t-il dû accepter des réécritures de dernière minute l’obligeant à limiter le côté provocateur de son propos, au détriment du grand spectacle «badaboum». Cela étant dit, ces séquences restent assez réussies ; elles nous rappellent que les chimpanzés, par exemple, ne sont pas d’espiègles boules de poils à l’état naturel… nos proches cousins ont une très grande part de violence innée qui peut «exploser» à l’occasion, et explique sans doute l’effroi qu’ils provoquent chez certaines personnes : morsures, coups violents qui peuvent briser un crâne humain… à l’état sauvage, ils font preuve d’une intelligence tactique digne des loups, et peuvent tuer sans remords d’autres singes, même ceux de leurs espèce, pour les manger à l’occasion. Le mythe du «gentil» chimpanzé en prend un coup dans la réalité, et RISE… ne fait finalement que renchérir, par la fiction, sur ce fait. 

En exagérant un peu, et en restant dans la lecture «sociale» de l’univers de LA PLANETE DES SINGES, on peut voir dans ces scènes de combat une forme d’expression de révolte contre le pouvoir en place, qu’il soit celui des forces de police ou des grandes compagnies néolibérales. Le choc de l’instinct «sauvage», primal, réprimé, contre les détenteurs du pouvoir d’une «civilisation» oppressive en train de s’effondrer. Ou bien, si l’on préfère ne pas aller dans des raisonnements politico-sociaux trop pointus, on peut légitimement se réjouir de la «punition des méchants» propre à toute fable (ce que sont aussi les films de cette saga), et applaudir la bravoure et la ruse tactique des troupes de Caesar contre leurs ennemis : allez les singes, «Let’s Go Ape» ! Un retournement de situation assez bien mené par Wyatt, qui trouve son apogée inquiétante avec les scènes finales : notre irascible voisin pilote de ligne, part malade au travail, répandant sans le savoir le virus qui va causer la perte de l’Humanité. C’est à la fois une référence aux cas d’épidémies de type SRAS et grippe aviaire, et un clin d’œil à un autre film de science-fiction : un virus artificiel est créé, il se répand depuis un aéroport… et douze singes ont été tués au début de l’histoire. Cela ne vous rappelle pas certain film avec Bruce Willis et Brad Pitt ?   

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Terminons en saluant le solide travail de mise en scène soigné par Rupert Wyatt. Il est encore difficile de dire si le réalisateur anglais est un auteur à part entière ; il faudrait découvrir THE ESCAPIST, pour l’instant invisible en France, il me semble, avant d’émettre un jugement définitif. Wyatt trouve cependant de bonnes idées et ne sacrifie pas son récit aux profits des seuls effets. Il «domestique» ceux-ci au profit du film, délivrant des moments inspirés (les scènes à Muir Woods), nerveux (les orangs outangs se propulsant sous le Golden Gate, tels des «gibbons dans la brume»), inventifs (le plan-séquence de Caesar voltigeant dans la maison jusqu’à sa fenêtre, les arbres agités par la «vague» de singes…). Wyatt s’est bien amusé, par ailleurs, à glisser dans cette Planète des Singes version 2011, une ribambelle de petits cadeaux cachés à l’intention des nostalgiques de la saga. Le grand Charlton Heston n’est ainsi pas oublié, faisant une apparition dans une scène de L’EXTASE ET L’AGONIE diffusé sur un écran de télé ; les noms de plusieurs personnages sont autant de clins d’œil adressés aux connaisseurs (tels Jacobs, supérieur de Will, ainsi nommé en référence au producteur Arthur Jacobs ; Maurice l’orang-outang, qui doit le sien à Maurice Evans, alias le «bon» Docteur Zaius qui s’en prenait à Charlton ; ou encore Cornelia, «fusion» des chimpanzés Cornelius et Zira… c’est aussi le nom de la deuxième épouse de Jules César !) ; les références à une mission spatiale portée disparue dans l’espace ; et d’autres allusions déguisées aux différents films : la scène d’ouverture, reprenant en sens inverse la célèbre scène de chasse à l’homme du film de Schaffner ; les cages et les expériences médicales ; l’image de Caesar utilisant un cheval et une arme à feu ; et les répliques cultes astucieusement placées ; tout y est ou presque… y compris une Statue de la Liberté en miniature !   

Wyatt est par contre moins heureux dans le choix de sa musique ; si Jerry Goldsmith avait trouvé un ton surprenant en 1968 pour le film de Schaffner, à base de percussions tribales et atonales, et si Danny Elfman avait su trouver le son épique à souhait pour son ami Burton dans la version de 2001, Wyatt a moins de chance avec son compositeur… Patrick Doyle est un musicien habituellement doué, auteur de partitions élégantes pour les films shakespeariens de Kenneth Branagh (HENRY V, BEAUCOUP DE BRUIT POUR RIEN…), et a signé de superbes musiques de film noir pour les classiques CARLITO’S WAY (L’IMPASSE) et DONNIE BRASCO avec Al Pacino ; il est moins à son aise dans les superproductions récentes, sacrifiant tout à des partitions aux synthétiseurs «à la Hans Zimmer» se contentant de souligner l’action, déjà très chargée en effets sonores… plus embarrassant ici, Doyle «recycle» des pans de sa propre partition précédente, la musique du film THOR, sans y apporter une mélodie identifiable et adaptée.    

Image de prévisualisation YouTube 

Bien sûr, l’atout numéro 1 de RISE OF THE PLANET OF THE APES reste les singes eux-mêmes. Les temps ont changé depuis les maquillages, simples mais efficaces, de John Chambers sur le film original, et depuis ceux, plus élaborés (et discrètement renforcés d’effets numériques), du maître Rick Baker pour le film de Tim Burton. Les progrès réalisés en numérique, via la «motion capture» et la «performance capture» nous offrent désormais des singes plus réalistes dans leur aspect et leurs actions. Les acteurs humains ne sont cependant pas oubliés, puisqu’ils fournissent la «matière première» : leur jeu, leur regard et leur présence physique, avant que les informaticiens de Weta Digital (la firme créée par Peter Jackson, celle du SEIGNEUR DES ANNEAUX, KING KONG version 2005, AVATAR et bientôt TINTIN) ne prennent le relais. Le résultat final est bluffant : il suffit de quelques secondes d’adaptation avant de «croire» en la réalité de Caesar, Maurice, Buck et tous les autres. Saluons au passage l’étonnante performance «capturée» de l’acteur Andy Serkis, véritable pionnier de cette nouvelle technique. On peut certes apprécier Serkis, excellent acteur «au naturel» évoquant Peter Lorre, dans la scène d’ouverture du troisième SEIGNEUR DES ANNEAUX, en cuistot grincheux dans KING KONG ou en doucereux homme de main dans LE PRESTIGE ; mais ce sont ses performances «numériques» habitées par son jeu qui ont fait sa célébrité. Après avoir été Gollum dans LE SEIGNEUR…, puis être entré par la grande porte du monde des primates au cinéma, en incarnant le Roi Kong en personne, Serkis campe ici un Caesar nuancé, tour à tout émouvant ou inquiétant. Et il ne s’arrêtera pas là, incarnant pour très bientôt le Capitaine Haddock du TINTIN de Spielberg qui arrive à l’horizon. Ceci étant bien sûr une autre histoire, sur laquelle nous reviendrons fin octobre.     

Bien écrit, pas totalement maîtrisé mais solidement réalisé, RISE OF THE PLANET OF THE APES est une bonne surprise estivale. On s’amuserait presque à deviner, dans le générique final, que Caesar ne va pas en rester là, et que, d’ici le prochain film, il va rassembler toutes les espèces simiesques opprimées à travers le monde : des bonobos bonasses, de gibbeux gibbons, des babouins babillards, de mégoteurs magots, des saïmiris samouraïs, de langoureux langurs, des vervets véloces et autres mandrills mandarins appelés à renforcer ses légions contre ces SALES MAUDITS HUMAINS !    

(featurette / making of) 

La note : 

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… (Bruit de fusil chargé. Edgar Allan Pongo est revenu.)    

… Je change ma note, de mon plein gré et sans la moindre contrainte :    

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Ludovic Fauchier, inscrit à l’UMP (Union du Mouvement Primate)…   

La Fiche Technique :  

  

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RISE OF THE PLANET OF THE APES / La Planète des Singes : Les Origines    

Réalisé par Rupert WYATT   Scénario de Rick JAFFA & Amanda SILVER, inspiré du roman « La Planète des Singes » de Pierre BOULLE    

Avec : James FRANCO (Will Rodman), Freida PINTO (Caroline «Carlie» Aranha), John LITHGOW (Charles Rodman), Brian COX (John Landon), Tom FELTON (Dodge Landon), David OYELOWO (Steven Jacobs), Tyler LABINE (Robert Franklin), Jamie HARRIS (Rodney), David HEWLETT (Hunsiker), Ty OLSSON (Chef John Hamil)    

Les Singes : Andy SERKIS (Caesar), Karin KONOVAL (Maurice), Terry NOTARY (Rocket / Bright Eyes – VF : Beaux Yeux), Richard RIDINGS (Buck), Christopher GORDON (Koba), Devyn DALTON (Cornelia), Jay CAPUTO (Alpha), Richard DARWIN (Bébé Caesar)       Produit par Peter CHERNIN, Dylan CLARK, Rick JAFFA, Amanda SILVER et Kurt WILLIAMS (Chernin Entertainment / Dune Entertainment / 20th Century Fox Film Corporation)   Producteur Exécutif Thomas M. HAMMEL    

Musique Patrick DOYLE  Photo Andrew LESNIE   Montage Conrad BUFF IV et Mark GOLDBLATT  Casting Heike BRANDSTATTER, Coreen MAYRS et Debra ZANE    

Décors Claude PARE  Direction Artistique Helen JARVIS, Dan HERMANSEN et Grant VAN DER SLAGT  Costumes Renée APRIL    

1ers Assistants Réalisateurs Pete WHYTE et Matthew DUNNE   Réalisateur 2e Équipe Mark VARGO   Cascades Terry NOTARY     Mixage Son David HUSBY   Design Sonore et Montage Son Chuck MICHAEL    

Effets Spéciaux Visuels Joe LETTERI, Dan LEMMON et R. Christopher WHITE (Weta Digital / Atomic Arts / Halon Entertainment / Pixel Liberation Front / Soho VFX)   Effets Spéciaux de Maquillages Bill TEREZAKIS (WCT Productions)  Création Générique THE PICTURE MILL / SCARLET LETTERS    

Distribution USA et INTERNATIONAL : 20th Century Fox Film Corporation    Durée : 1 heure 45  

Caméras : Arricam LT et Arriflex 435 

Le Singe d’une Nuit d’Eté, 1e Partie – RISE OF THE PLANET OF THE APES / La Planète des Singes : Le Commencement

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RISE OF THE PLANET OF THE APES / La Planète des Singes : Les Origines, de Rupert WYATT   

L’Histoire :    

Quelque part en Afrique… Des chimpanzés sauvages sont pourchassés par des braconniers. Capturée, une guenon est envoyée à l’autre bout du monde, à San Francisco, où elle fait partie d’un groupe de chimpanzés soumis à des tests scientifiques dans les laboratoires de la société de thérapie génique, Sys-Gen. Le jeune docteur Will Rodman injecte à la femelle, surnommée «Bright Eyes» («Beaux Yeux»), un virus expérimental, l’ALZ-112, destiné au traitement de la Maladie d’Alzheimer. Le résultat enthousiasme Will : l’intelligence et les facultés cognitives de Bright Eyes sont démultipliées, ouvrant ainsi le champ à la commercialisation d’un futur médicament contre la terrible maladie qui frappe des millions d’humains, dont Charles, le propre père de Will. Mais le jour de la présentation des résultats du test, la femelle agresse et blesse plusieurs personnes avant d’être abattue. Sur ordre du comité exécutif, le supérieur de Will, Steven Jacobs, ordonne que les chimpanzés soumis au même traitement doivent être tous tués immédiatement. Will découvre que Bright Eyes avait caché la naissance de son bébé, et ne faisait que le protéger. Il recueille le chimpanzé orphelin et le garde chez lui, comme animal de compagnie pour son père.    

  

Trois ans passent, et le petit chimpanzé, baptisé Caesar, développe un peu plus chaque jour d’étonnantes facultés prouvant son intelligence, sa mémoire et sa sensibilité accrue. Will comprend que l’ALZ-112 a été génétiquement transmis par Bright Eyes à Caesar, quand elle était enceinte, et cache sa découverte à Jacobs. Il vole aussi des échantillons du médicament pour les administrer à son père, qui retrouve sa pleine mémoire et ses facultés intellectuelles. Et, suite à un incident sans conséquences pour Caesar, Will rencontre la jolie vétérinaire Caroline Aranha. Les deux jeunes gens tombent amoureux. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes…  Mais cinq ans plus tard, une série d’incidents liés à la rechute de Walter, malgré son traitement, va bouleverser à jamais la vie de Caesar, et l’avenir de l’espèce humaine…    

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Impressions :    

Dans un souci de fraternité et d’équité entre toutes les espèces primates, dont nous faisons partie, j’ai décidé de laisser la place à un jeune confrère plein de talent et promis à un radieux avenir : Edgar Allan Pongo, dont voici la photo…

  

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C’est à lui de nous parler du film RISE OF THE PLANET OF THE APES, LA PLANETE DES SINGES : LES ORIGINES. Vas-y mon grand, nous sommes prêts à te lire !   

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ENLEVE TES SALES PATTES DE MON CLAVIER, MAUDIT SALE SINGE !!! 

(coups de feu, bruits de lutte, mobilier renversé)    

… Ah je vous jure, les singes… on leur donne la main, et voilà à quoi on a droit en retour. Sales bêtes. … Je reprends les choses en main pour vous parler de cette nouvelle mouture de LA PLANETE DES SINGES.    

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Replaçons d’abord les choses dans leur contexte. Les droits du roman original de Pierre Boulle, l’auteur français du PONT DE LA RIVIERE KWAÏ, sont depuis longtemps déjà la propriété exclusive de la 20th Century Fox. Bien avant les STAR WARS et autres films de science-fiction ultérieurs, le succès de LA PLANETE DES SINGES, signée par Franklin J. Schaffner en 1968, a engendré de profitables revenus pour le studio, entraînant une flopée de suites (de qualité souvent assez faible, il faut bien l’avouer, malgré la sympathie que l’on peut avoir pour elles), une série télévisée assez gratinée et une foule de produits dérivés tout au long des années 1970. Restée propriété de la Fox au fil des décennies, la saga a, par son statut «culte», donné forcément envie aux détenteurs de ses droits légaux de renouveler l’histoire originale à l’ère du cinéma numérique. Au terme d’un «development hell» typique, et après avoir épuisé l’intérêt d’une bonne dizaine de réalisateurs «bankables» (de James Cameron à Oliver Stone, en passant par Robert Rodriguez ou Michael Bay…), c’est finalement Tim Burton qui a hérité du bébé pour mener le projet à terme en 2001, sous forme d’un nouveau film qui, s’il portait le titre du film original de Schaffner, s’en éloignait beaucoup dans la forme, ne gardant que l’idée maîtresse de l’astronaute échoué sur une planète où les primates forment la civilisation dominante, réduisant les humains au rang d’animaux dénués de raison. Le film de Burton fut un grand succès public, mais reçut un accueil mitigé. Il a des qualités personnelles, typiquement «burtoniennes» : un sens de l’imagination visuelle qui n’appartient qu’à son auteur ; les maquillages élaborés du grand Rick Baker, plus sophistiqués que ceux, récompensés en leur temps, de son prédécesseur John Chambers ; et des scènes pleines de bizarrerie, entre la drôlerie grinçante et l’effroi provoqué par les primates, durant les séquences situées dans la cité des singes où échoue le héros. Mais Burton lui-même avouait qu’il ne s’était pas senti très à l’aise avec les obligations du «blockbuster» que la Fox lui imposait… d’où ce sentiment mitigé qui ressortait durant le film. Le poids du film original se faisait ressentir, en défaveur de Burton. L’astronaute héroïque campé par Mark Wahlberg semblait bien falot, comparé à la mélancolique gravité du grand Charlton Heston dans le film d’origine… le personnage était même bien moins intéressant que les personnages simiesques campés par Helena Bonham Carter et le terrifiant Tim Roth. Et les scènes d’action, poursuites et batailles, passage obligatoire des superproductions, n’étaient clairement pas ce qui motivait Burton. La plus grande controverse était celle de la scène finale, tirée du roman original de Boulle. Très «burtonienne» par son ton mi-sérieux mi-halluciné, elle semblait cependant sortir de nulle part, comme imposée là par le scénario cherchant à trouver un «twist» final aussi renversant que la célèbre scène finale du film d’origine : l’image emblématique d’un Charlton accablé aux pieds d’une Statue de la Liberté, engloutie dans les sables de la Planète des Singes…   

Bref, se frotter à la «mythologie» instaurée par le film original et ses suites n’était pas un exercice facile, même pour un cinéaste imaginatif et confirmé comme l’est Burton, qui est passé depuis à des projets plus personnels. Le succès de LA PLANETE DES SINGES version 2001, par contre, laissait la Fox avec un encombrant «bébé» sur les bras… Il est évident qu’une nouvelle mouture allait voir le jour pour une stricte raison commerciale, mais comment faire pour intéresser le public sans «saborder» le produit final ? La réponse est finalement assez simple : le «reboot», terme barbare à la mode, qui a donné des résultats efficaces par le passé. On applique à la Planète des Singes le même traitement qu’ont pu subir les films les plus récents de Batman ou James Bond : on reprend tout à zéro ! Voici donc RISE OF THE PLANET OF THE APES, l’Emergence de la Planète des Singes, ou LA PLANETE DES SINGES : LES ORIGINES, signé d’un nouveau venu, Rupert Wyatt.    

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Âgé de 39 ans, inconnu du grand public, ce jeune réalisateur anglais ancien du Winchester College, vient du milieu du documentaire, où il a fait ses preuves en tant que producteur, s’intéressant à des thèmes sociaux très marqués. Il est ainsi le co-fondateur de la société The Picture Farm, qui a notamment produit DARK DAYS, film sur la vie de SDF réfugiés dans le «Freedom Tunnel», une voie souterraine de métro désaffectée au-delà de Harlem. Wyatt signe là son second long-métrage après THE ESCAPIST (2008), un drame et un film d’évasion carcérale avec Brian Cox et Joseph Fiennes. Un film récompensé dans de nombreux festivals internationaux, et remarqués au prestigieux Festival de Sundance. Ce film et le succès des documentaires de The Picture Farm ont suscité l’intérêt de la Fox et lui ont permis d’obtenir les rênes de la production de cette nouvelle PLANETE DES SINGES. Un choix risqué mais payant au final, puisque Wyatt, fort d’une part de ses acquis en matière de cinéma «social», aidé par la logistique d’une superproduction américaine, réussit à «rénover» intelligemment la saga originale. Deux scénaristes vétérans, Rick Jaffa et Amanda Silver (LA MAIN SUR LE BERCEAU, RELIC), se sont vus chargés de renouveler l’univers des singes révoltés en élaborant une histoire classique, bien structurée, et puisant nombre d’idées dans les indices semés par le film de Schaffner et ses suites. Pour résumer, le film est l’histoire du moment où tout a basculé : l’Humanité, persuadée d’être l’espèce dominante et toute-puissante sur la planète, commet une cascade d’erreurs et se voit renversée au sommet de la pyramide par ses proches cousins chimpanzés, gorilles et orang-outangs, bénéficiaires par accident des expériences scientifiques menées par des savants inconscients. Au lieu de nous projeter dans le futur où des astronautes découvrent, choqués, le fait accompli d’une «civilisation inversée», RISE OF THE PLANET OF THE APES nous montre donc comment le rapport entre l’Homme et l’Animal s’est renversé au profit de ce dernier. Le scénario s’inspire particulièrement de LA CONQUÊTE DE LA PLANETE DES SINGES (1972), le quatrième film réalisé par J. Lee Thompson ; kitsch en surface, le film de Thompson s’inspirait cependant de l’actualité la plus brûlante (les émeutes raciales du quartier de Watts, à Los Angeles), et délivrait finalement une parabole sur le racisme et le fascisme, thème récurrent sur l’ensemble des films, porté ici à son paroxysme malgré la maigreur des moyens de la production. RISE… développe des idées intéressantes, en tenant compte d’une part de thèmes propres au 21e Siècle et d’autre part en glissant aux nostalgiques de la saga une série de petites «surprises» bienvenues !   

Le point fort de ce film n’est donc pas une simple affaire d’effets spéciaux – remarquablement utilisés, cela dit. Le point fort de RISE… est une chose de plus en plus inattendue, quand on parle d’un blockbuster américain estival : une histoire SOLIDE !! Derrière les prouesses techniques attendues, on découvre, ô surprise, des personnages simples en surface mais attachants et plus complexes qu’il n’y paraît de prime abord ; un crescendo narratif solidement mené (malgré quelques réserves pour le dernier acte, on y reviendra) ; et une empathie réelle pour le camarade Caesar, libérateur malgré lui de primates très remontés, à juste titre, contre les abus de pouvoir de l’Homo Sapiens…    

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A contrario du film de Burton, qui donnait parfois l’impression de se perdre en route sans dégager un thème narratif particulier, cette nouvelle mouture pose d’emblée le sien. Wyatt, formé donc au documentaire et au film social, renoue d’une certaine façon avec l’esprit de la saga originale. Derrière le grand spectacle et l’exotisme, celle-ci avait le mérite de développer des thèmes prédominants en 1968 et dans les années suivantes. Le film de Schaffner, notamment, écrit par deux scénaristes socialement très impliqués : Michael Wilson, dramaturge «blacklisté», victime de l’intolérance du Maccarthysme, et Rod Serling, l’immortel «père» de LA QUATRIEME DIMENSION, doublé d’un critique politique terriblement lucide sur les excès de son pays (voir son scénario pour le film de John Frankenheimer, SEPT JOURS EN MAI, sur un putsch de généraux, écrit et réalisé à l’époque de la Crise Cubaine et l’assassinat de John Kennedy). Wilson et Serling y attaquaient avec une intelligence et un humour acéré – le «procès des singes» arbitraire mené contre Charlton Heston – les travers de la société américaine de l’époque. Les autres films tenteront maladroitement de poursuivre dans la même veine : on y verra notamment des chimpanzés manifester contre une offensive militaire menant à la destruction nucléaire (on est en pleine Guerre du Viêtnam et les manifestations étudiantes anti-guerre sont légion), ou des singes et des hommes unis pacifiquement tenter de lutter contre le racisme des clans plus extrémistes des deux bords. RISE OF THE PLANET OF THE APES renoue avec la tradition «simiesque sociale» en ce chaotique 21e Siècle. Principale cible du scénario : la mainmise des grands laboratoires pharmaceutiques privés. Voilà un sujet intéressant, traité par le prisme de la science-fiction : l’un des aspects les plus pervers du néolibéralisme qui sévit maintenant depuis des décennies est l’«invasion» du secteur médical par ce dernier. Les grands groupes de la recherche médicale multiplient depuis des années les effets d’annonce de produits miracles guérissant les pires maladies qui frappent l’humanité : cancer, SIDA, maladie d’Alzheimer… Les profits sont énormes et les résultats sur l’efficacité des produits commercialisés, contestables pour ne pas dire pire. Et il faut bien, si l’on ose dire, que ces remèdes soient expérimentés avant d’être validés… Comme l’expérimentation humaine est supposée proscrite, pour des raisons éthiques et historiques évidentes, les laboratoires se tournent vers les espèces animales les plus «compatibles». Et c’est ainsi que nos chers cousins génétiques, les grands singes, ont payé malgré eux un très lourd tribut à la recherche scientifique. 

Cela entraîne, comme on le voit dès les premières minutes du film, un autre effet pervers : la décimation progressive d’espèces animales entières, éliminées ou capturées par des braconniers n’ayant pas d’autre choix que de «grappiller» l’argent que les sociétés privées veulent bien leur donner… Quant aux primates, traités comme des objets de laboratoire à qui on dénie toute intelligence ou sensibilité, ils vivent des traitements indignes, décrits par exemple dans un film oublié aujourd’hui, PROJET X (1987) avec Matthew Broderick, qui traitait d’expérimentations à but militaire pratiquées sur des chimpanzés. Dans la même veine, on pourrait aussi rappeler que ce sont des multinationales, peu regardantes sur l’éthique et le respect de l’environnement, qui ont engendré de récentes catastrophes. Des compagnies pétrolières ou minières, par exemple, pratiquant la déforestation intensive, ont ainsi «libéré» des virus dormant à l’état naturel, dans les jungles ; ces virus, contre lesquels de nombreuses espèces de singes sont naturellement immunisés depuis des siècles, se sont ensuite transmis à l’espèce humaine et ont provoqué des millions de morts. Voyez le SIDA, ou l’Ebola – comme dans le médiocre film ALERTE ! (1995), qui gâchait un passionnant sujet : un petit singe y provoquait malgré lui une terrifiante épidémie. Les auteurs de RISE… ont certainement gardé des informations précieuses à ce sujet, pour rendre crédible l’hypothèse d’une fin de la civilisation humaine provoquée par un virus incontrôlable… et contre lequel les Singes sont non seulement immunisés, mais grâce auquel ils évoluent ! Plutôt bien vue et préparée par les scénaristes et le réalisateur, la fin de RISE OF THE PLANET OF THE APES permet au film d’actualiser la saga tout en respectant ses principes fondamentaux. Quelques astronautes signalés disparus en plein vol spatial durant le film vont sûrement avoir une drôle de surprise à leur retour, le générique de fin appelant clairement à une suite imminente ! Mais en attendant que ces braves voyageurs de l’espace découvrent, horrifiés, la vérité sur la fin de leur propre espèce en s’écriant «Damn You All To Hell !!!», il nous faut bien rester sur Terre… 

Le film s’intéresse particulièrement à l’évolution de la relation entre le jeune chercheur Will Rodman (James Franco) et le chimpanzé évolué Caesar (Andy Serkis). Will travaille donc pour une de ces compagnies pharmaceutiques financièrement toutes-puissantes, et se trouve pris dans une situation contraignante, et paradoxale : sincèrement désireux d’aider les gens à guérir de l’incurable maladie d’Alzheimer, il profite pourtant des largesses de la société Sys-Gen, et de son employeur Jacobs, sans partager leur point de vue cynique sur la rentabilité et le profit à tout prix. Dans le plan «business» de Sys-Gen, froidement planifié et immédiatement applicable, l’imprévu, l’animal, n’a pas sa place. Lorsque la femelle «Beaux Yeux» vient briser symboliquement leur mur de verre avant d’être abattue, les employeurs décident tout aussi froidement de mettre fin au projet qui devait les rendre encore plus riches. Will se voit chargé d’exécuter les singes de laboratoire, mais épargne le petit Caesar… Un geste apparemment altruiste, courageux et touchant, mais pas «innocent» pour autant. Will est certes un scientifique brillant qui a remarqué le comportement exceptionnel du petit singe, et veut donc l’étudier de près. Mais il est aussi personnellement affecté par le drame de la maladie d’Alzheimer, qui frappe son propre père (John Lithgow, excellent de bout en bout). Caesar vit donc avec ce dernier, l’aidant à accomplir les tâches quotidiennes simples. Il est vrai que, dans la réalité, on peut dresser des singes capucins à aider des personnes malades, ou gravement handicapées. Un autre film oublié, signé de George A/ Romero, MONKEY SHINES (INCIDENTS DE PARCOURS, 1988), traitait de ce sujet et de ses conséquences horrifiques inattendues. RISE… applique somme toute la même idée, mais avec les grands singes.    Le geste altruiste de Will est plus douteux qu’il n’y paraît : il veut certes sauver Caesar, guérir son père et le monde entier ; mais il veut aussi se revaloriser après avoir été «grillé» par l’incident initial… et il vole en toute illégalité le médicament miracle, sans connaître ses effets secondaires, pour améliorer l’état de santé de son père. Ce talentueux jeune homme entretient finalement sa propre vanité, son égoïsme, au nom de bonnes intentions. Et ce faisant, il déclenche involontairement tout le processus de la catastrophe finale ! Donc, le drame personnel, familial, décrit en touches justes par Wyatt et ses scénaristes, va avoir une portée dévastatrice à l’échelle mondiale… c’est le mythe de Prométhée et la Boîte de Pandore, revisité à l’époque des thérapies géniques et des virus.    

à suivre…  

Heureux Accidents…, 2e partie – SUPER 8

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Tous les conflits et les relations se développent et culminent autour de trois scènes de projection de films en super 8, l’épine dorsale du récit. Derrière l’amour inconditionnel du «cinoche» que ces scènes décrivent, il se cache une vraie démarche cathartique pour les protagonistes. Dans tous les cas de figure, la projection filmique sert aussi de «projection» émotionnelle.  La première scène rassemble Joe et Alice autour des films familiaux du jeune garçon. Ce sont des scènes heureuses de l’enfance de ce dernier, avec sa mère. Un refuge idéalisé par le gamin, qui s’accroche au souvenir de celle-ci (voir aussi le pendentif, véritable talisman auquel il se raccroche en pleine détresse), disparue dans un accident qui, lui, n’a rien eu d’heureux. Bouleversé après une houleuse confrontation avec son père, Joe reçoit la visite surprise d’Alice, qui prend donc l’initiative d’une liaison, forcément maladroite mais sincère et affective, entre eux deux. Le drame qui a touché la famille de Joe a aussi affecté celle d’Alice, et les deux adolescents peuvent, devant le «fantôme» de la mère projeté à l’écran, ouvrir leur cœur. Ironie discrètement placée par Abrams, on ne voit pas le caméraman amateur de ces films de famille, mais on devine facilement qu’il s’agit de Jackson, le père de Joe – celui-là même qui vient de priver son fils de caméra et de sortie, et qui s’est brouillé avec le père d’Alice. Ce père «metteur en scène» par accident pousse finalement son fils à ne pas respecter ses propres interdictions !     

La seconde scène de projection intervient après le développement de la pellicule «gâchée» durant l’accident du train. Charles et Joe sont en plein conflit de pouvoir sur le film, et de rivalité amoureuse auprès d’Alice. Cette fois, les rôles sont inversés : Joe le «fidèle second» a pris le dessus, psychologiquement, sur Charles le «chef». La confrontation entre les deux gosses est tendue, douloureuse, et cette fois-ci la catharsis qui se manifeste est celle de Charles. Celui-ci prend amèrement conscience de n’être, aux yeux des autres, que le «bon gros» cible des moqueries sur son surpoids. Et c’est précisément au moment où il arrive à ce constat amer que le film, projeté sur lui, montre la furtive image de la créature causant la panique en ville. Une occasion en or pour Charles de regagner sa propre estime de soi, en acceptant de «lâcher prise» sur son film et de traiter Joe sur un pied d’égalité, dans l’aventure réelle qui les attend.    

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La troisième scène va quant à elle à l’essentiel, concernant les origines du monstre. Joe, Charles et leur petite bande réunie décident de percer à jour le mystère entretenu par Woodward, l’ancien professeur qui a causé l’accident de train. Ils passent outre les contrôles d’une armée débordée, et mettent la main sur le «butin» accumulé par leur professeur, qui a un lourd passé. Via des enregistrements au magnétophone et des archives de films militaires, les gamins ont droit à la vérité : la description précise d’un extra-terrestre bien vivant, et, si monstrueux soit-il d’apparence, sympathique car souffrant des mauvais traitements répétés par les militaires. La vision des archives est pour les gamins un bien meilleur film de «trouille» que tout ce qu’ils ont pu rêver à ce moment-là. La scène permet aussi de clarifier le lien qui a pu se former entre la créature et le professeur (incarné par un récidiviste, l’acteur Glynn Turman ; 27 ans auparavant, celui-ci incarnait déjà un professeur de sciences victime d’une créature revancharde, départ d’une autre sérieuse catastrophe sur une petite ville… c’était dans GREMLINS !). Elle permet aussi à Joe d’avoir une intuition bien sentie sur l’activité réelle du «monstre» : celui-ci a une âme d’artiste, comme lui.    

Concernant cette créature – surnommée pendant le tournage «Cooper» -, Abrams a somme toute bien retenu les leçons de son mentor. A contrario des excès de CGI contemporains, qui prennent un malin plaisir à montrer – et à gâcher – tout de leurs monstres dès leur entrée en scène, Abrams privilégie la suggestion, selon les modèles des DENTS DE LA MER et de JURASSIC PARK (où les dinosaures étaient dans un premier temps finalement assez peu montrés en «intégral»). Suivant les autres modèles de suggestion que nécessite le genre – ALIEN, pour n’en citer qu’un -, «Cooper» est le plus souvent dissimulé par le décor et les cadrages, dans chacune de ses attaques. Quand la situation nécessite d’en montrer un peu plus (comme celle de l’éprouvante attaque du bus), Abrams «morcelle» sa créature de façon à ce qu’elle ne soit jamais entièrement visible, ni assemblée d’un bloc par l’esprit du spectateur. Même dans le grand finale du film, la caméra ne s’appesantit jamais sur le monstre. Une démarche stimulant l’imagination du spectateur, démarche assez courageuse quand la tendance actuelle du cinéma américain est de laisser tout montrer et tout voir, sans effort de mise en scène, dans la quasi-totalité des films fantastiques.   

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«Cooper», aussi féroce soit-il dans ses manifestations, provoque finalement la sympathie instinctive du spectateur. Sans aucun doute, pour définir son «caractère», Abrams et Spielberg se sont référés à des films qu’ils apprécient en commun. «Cooper» est à sa façon le continuateur du «cinoche» de science-fiction des années cinquante. Il évoque Ymir, le monstre extra-terrestre animé par le génie de la stop-motion, Ray Harryhausen, dans 20 MILLIONS MILES TO EARTH / A des Millions de Kilomètres de la Terre, réalisé par Nathan Juran en 1957. Une créature extra-terrestre qui ne faisait que répondre à la brutalité des hommes (particulièrement des militaires américains…) en cassant tout sur son passage dans cette petite pépite oubliée !

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Autre influence certaine, dans le même registre, du cinéma de l’époque sur SUPER 8 : celle de Jack Arnold, l’un des premiers petits maîtres de la science-fiction dans le cinéma américain, qui signa notamment un chef-d’œuvre d’angoisse, L’HOMME QUI RETRECIT d’après Richard Matheson, et un savoureux TARANTULA où débutait Clint Eastwood en pilote de chasse ! Prenant le genre très au sérieux malgré des budgets souvent réduits, Arnold (un nom qui a certainement marqué Spielberg ; c’est aussi celui de Kenneth Arnold, premier témoin officiel des «Soucoupes Volantes» en 1947, juste avant Roswell ; et bien sûr, c’est aussi le prénom de son propre père !) livrait efficacement un message plus nuancé que nombre des autres productions de l’époque, souvent plus belliqueuses ou plus «américanistes» en pleine Guerre Froide. Arnold créa ainsi LA CREATURE DU LAC NOIR, archétype du monstre persécuté «pour le bien de la science» comme l’est ici «Cooper» ; il réalisa en 1953 aussi un intéressant IT CAME FROM OUTER SPACE / LE METEORE DE LA NUIT, co-écrit par Ray Bradbury, où une petite ville américaine était attaquée par des visiteurs extra-terrestres… du moins avant que le héros ne réalise que ceux-ci étaient bienveillants. Tombés sur Terre par accident, ils échappaient de justesse au courroux du shérif local adepte de la manière forte plutôt que de la réflexion – un prédécesseur possible de Jackson dans SUPER 8. Signalons aussi qu’Arnold a réalisé par la suite un SPACE CHILDREN moins réussi, préfigurant tout de même certains thèmes «spielbergiens» avant l’heure : un extra-terrestre bienveillant communique par télépathie avec des enfants, afin que ceux-ci empêchent les autorités de déclencher une guerre nucléaire. L’idée du lien télépathique demeure, succinctement citée dans SUPER 8, via la «connection» établie entre Woodward et le monstre («Il est dans ma tête, et je suis dans la sienne…»). 

«Connection» reprise entre le monstre et Joe, lors de leur face-à-face. Le garçon a finalement compris, mieux que quiconque, la vérité sur la créature : il est comme lui, un artiste marginal incapable de communiquer avec des autorités froides et incompétentes. Poussé à bout par les tortures des militaires, «Cooper» est devenu un «aveugle» mental, submergé par la colère. Regardez bien sa réaction quand il entre en contact avec Joe : ses yeux prennent vie, littéralement. Face au seul être humain qui surmonte sa peur, le monstre choisit de baisser les armes.   

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La présence d’une créature extra-terrestre dans un film estampillé Spielberg va dorénavant de soi. SUPER 8 s’inscrit dans la continuité du «patchwork» d’une véritable mythologie «ufologique» mise en place par Steven Spielberg lui-même. Il y eut d’abord FIRELIGHT, son «prototype» de jeunesse des films à venir, à commencer par RENCONTRES DU TROISIEME TYPE, l’incontournable chef-d’œuvre du genre, dont l’esthétique de la bande-annonce «teaser» de SUPER 8 s’inspirait, à travers ces plans larges de la campagne américaine nocturne, sous un ciel étoilé démesuré. Il y eut ensuite bien sûr E.T., né d’une idée de suite «sombre» à RENCONTRES, intitulée NIGHT SKIES, avant que Spielberg ne remanie entièrement le sujet pour en faire le contrepoint intimiste de l’épique RENCONTRES. Des productions Amblin ont ensuite pris le relais, avec plus ou moins de bonheur, comme l’oublié BATTERIES NOT INCLUDED / Miracle sur la 8e Rue, de Matthew Robbins (1987), variation sur le conte du cordonnier avec des OVNIS minuscules jouant le rôle des lutins ; puis le drolatique MEN IN BLACK de Barry Sonnenfeld (1997), suivi d’une séquelle ratée en 2002. Spielberg s’impliqua dans la production de la magistrale mini-série TAKEN (DISPARITIONS) en 2001, que l’on peut voir comme une relecture historique et plus «sombre» que RENCONTRES, auquel la série est intimement liée. Plus récemment, LA GUERRE DES MONDES, s’il n’est pas à proprement parler un film «ufologique», s’inscrivait dans la continuité de la mythologie, offrant une vision apocalyptique de l’Amérique en pleine déroute morale derrière les apparences traditionnelles du film d’invasion alien. Indiana Jones se confrontait enfin à son tour à la mythologie «ovniesque» et ses ramifications dans l’archéologie, dans le controversé (et sous-estimé) ROYAUME DU CRÂNE DE CRISTAL… L’ufologie, vue selon Spielberg, aborde donc des thèmes passionnants sous le voile du divertissement… bien que des productions récentes montrent les limites du genre, et trahissent un certain malaise de la part du réalisateur-producteur – voir les TRANSFORMERS et COWBOYS & ALIENS. On reviendra bientôt sur le cas de ce dernier…  

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Concernant SUPER 8, Abrams manie le mystère en semant les indices au fur et à mesure. Les attaques du monstre et l’opération de couverture militaire, «Walking Distance», décrite du point de vue des gamins, est en réalité le McGuffin, le prétexte à l’aventure et à la révélation des caractères, que le noyau du film lui-même. Le film d’archives militaires situe l’origine de l’opération dans les hangars secrets de la Base de l’Air Force de Nellis, dans le Nevada. Cette base existe réellement, et elle appartient à la Nellis Air Force Range, zone d’opérations militaires s’étendant sur 12 140 kilomètres de désert. Parmi les autres bases situées dans cette région à l’écart de tout, on retrouve… Area 51, la Zone 51 si familière aux amateurs d’énigmes ufologiques ! Et la base voisine de Nellis a peut-être eu son propre OVNI, filmé en 1995 sur des vidéos, d’assez mauvaise qualité et donc douteuses, il faut bien le dire… Sans aller jusqu’à verser directement dans l’hypothèse extra-terrestre, il est tout à fait possible d’envisager que l’US Air Force a supervisé à Nellis des tests de vol d’appareils à la technologie difficile à identifier pour le commun des mortels. Noter d’ailleurs, dans le film d’Abrams, le curieux logo de l’unité spéciale «Walking Distance» : trois cercles blancs, disposés en triangle sur fond rouge. Un rappel des «lueurs mystérieuses», généralement associées aux supposées apparitions d’OVNIS au-dessus du ciel du Nevada, ou de la Belgique, entre 1989 et 1991… probablement des tests d’appareils américains du type «bombardier furtif», à l’approche de la Guerre du Golfe.      

  

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   Des lueurs nocturnes mystérieuses au travail sur la lumière de SUPER 8, il ne nous reste plus qu’un pas à franchir. Adroite, la mise en scène d’Abrams, repose sur une ingénieuse maîtrise des cadrages et lumières, effectués par le chef-opérateur Larry Fong (300, WATCHMEN). Abrams et Fong se sont amusés comme des petits fous à créer les scènes de «The Case», en appliquant à la lettre les maladresses techniques des réalisateurs débutants : mouvements de caméras brusques, décadrages «rattrapés» de justesse, pellicule rayée ou mal exposée, zooms intempestifs… tout y est, plus vrai que nature. 

Quand il s’éloigne des effets spéciaux (impressionnants et impeccablement maîtrisés par le vétéran d’ILM, Dennis Muren), Abrams est aussi capable de placer des scènes plus inattendues, très cinématographiques par leur stricte expression visuelle. Un exemple : la scène d’ouverture du film, tout en suggestion. Un plan large sur l’usine de Lillian, qui se resserre sur le panneau de l’usine annonçant «aucun incident depuis X jours». Un ouvrier monte et remplace le panneau du nombre de jours, déposant le chiffre «1» synonyme de mauvaise nouvelle. Cut. Joe, solitaire, traîne tristement sur sa balançoire, en plein hiver. Chez lui, ses amis et voisins sont en pleine veillée funèbre. Entrée en matière impeccable, mélancolique et sans excès, pour évoquer l’accident de la mère et le désarroi du gamin. Drôle, effrayant, dramatique et haletant, SUPER 8 marque un véritable «adoubement» de J.J. Abrams par Spielberg. Ce qui serait parfait, si dans la dernière ligne droite, un bémol ne venait quand même pas tempérer la réception du film. Le grand finale, cherchant à cumuler le spectaculaire et l’émotionnel, «coince». C’est un fait, Abrams adore RENCONTRES DU TROISIEME TYPE et E.T. L’EXTRA-TERRESTRE, et on ne peut certes pas lui reprocher d’avoir mauvais goût en l’occurence. Pas plus que l’on ne peut lui reprocher de glisser un peu du joyeux chaos de 1941 (les tanks pris de folie et «chahutés» dans les airs), charge hilarante contre la bêtise militaire, tournée par Spielberg et sortie en 1979, l’année où se situe donc SUPER 8… 

Mais, tout à son enthousiasme de travailler pour le «Maître», Abrams ne peut s’empêcher d’aller trop loin dans l’hommage : les personnages sont rassemblés en cercle, les yeux levés vers le ciel, dans des jeux de lumière à la RENCONTRES / E.T. (et on peut rajouter ceux du finale, très similaire, de la série TAKEN / DISPARITIONS)… Jusqu’au surlignage du plan emblématique des mains jointes, signature de toutes les réalisations de Spielberg. Qui trop embrasse, mal étreint… Dommage, car la séquence reposait sur une idée maîtresse, toute simple : celle de Joe lâchant prise, symboliquement, du médaillon maternel qui était son talisman. Abrams aurait dû développer sa séquence autour de cette idée plutôt que de vouloir imiter, même avec les meilleures intentions du monde, le cinéma de son mentor…    

Faut-il forcément y voir une raison de l’accueil partagé du public envers le film ? Celui-ci, nanti d’un budget étonnamment modeste (pour une production de cette ampleur) de 50 millions de dollars – une somme presque ridicule en comparaison de celui, astronomique, d’un PIRATES DES CARAÏBES 4 par exemple -, en a obtenu 250 millions de par le monde, uniquement en salles. C’est un très bon score pour un film sans superstars, et qui ne répond pas aux critères à la mode – ce n’est ni une suite, ni une adaptation de comics, de série télé ou d’un roman de fantasy, mais un scénario original -, et qui n’a pas de superstars en tête d’affiche. Un succès, certes, mais le finale du film, trop «télécommandé», laisse un curieux goût d’inachevé… avant l’éclat de rire du générique de fin.  

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Cette maladresse finale n’empêche cependant pas la réussite de SUPER 8. La superbe musique de Michael Giacchino va dans le bon sens. Ancien élève de la prestigieuse Ecole Juilliard, le compositeur de 43 ans, en l’espace de moins d’une décennie, voit sa côte monter légitimement en flèche. Giacchino s’impose en continuateur et héritier des plus grands : avec une facilité désarmante, et une énergie créative constante, il revisite les univers musicaux de Lalo Schifrin (aussi bien chez Pixar que dans MI3 !), de John Barry (dans LES INDESTRUCTIBLES et CARS 2), Henry Mancini (RATATOUILLE), Akira Ifukube (la musique du générique final de CLOVERFIELD, sans doute le seul bon moment du film), Jerry Goldsmith (STAR TREK)… et maintenant, ceux de John Williams ! Derrière les hommages, un talent musical exceptionnel est en train de se dégager. Il y a fort à parier qu’il va se sublimer dans les prochaines années. 

   

La note :    

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Ludovic Fauchier, en Super Blogoramavision       

La Fiche Technique :    

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SUPER 8   

Réalisé par J.J. ABRAMS   Scénario de J.J. ABRAMS    

Avec : Joel COURTNEY (Joe Lamb), Elle FANNING (Alice Dainard), Kyle CHANDLER (Jackson Lamb), Riley GRIFFITHS (Charles Kaznyk), Ron ELDARD (Louis Dainard), Ryan LEE (Cary), Noah EMMERICH (Nelec), Zach MILLS (Preston), Glynn TURMAN (le Docteur Woodward), Gabriel BASSO (Martin)    

Produit par Steven SPIELBERG, J.J. ABRAMS, Bryan BURK, Udi NEDIVI, Michelle REJWAN et Ben ROSENBLATT (Amblin Entertainment / Bad Robot / Paramount Pictures)   Producteur Exécutif Guy RIEDEL    

Musique Michael GIACCHINO   Photo Larry FONG   Montage Maryann BRANDON et Mary Jo MARKEY   Casting April WEBSTER et Alyssa WEISBERG     Décors Martin WHIST   Direction Artistique David SCOTT et Domenic SILVESTRI   Costumes Ha NGUYEN    

1er Assistant Réalisateur Tommy GORMLEY   Cascades John A. STONEHAM Jr. 

Mixage Son Mark ULANO  Montage Son Ben BURTT et Matthew WOOD    

Effets Spéciaux Visuels Dennis MUREN, Kim LIBRERI et Russell EARL (ILM)  Effets Spéciaux de Plateau Steve RILEY    

Distribution USA: Paramount Pictures   

Durée : 1 heure 52    

Caméras : Arriflex 16 SR3, Canon 1014XLS et Panavision Panaflex Millennium XL 

Heureux Accidents…, 1e partie – SUPER 8

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SUPER 8, de J.J. ABRAMS   

L’Histoire :    

Lillian, une petite ville ouvrière américaine de l’Ohio, en 1979. Le jeune Joe Lamb, 12 ans, fils du Shérif adjoint Jackson Lamb, pleure le décès de sa mère, tuée dans un accident du travail à l’aciérie locale. Le drame est aussi la cause d’une brouille terrible entre Jackson et son ami, Louis Dainard, collègue de travail de la défunte.    

Quelques mois plus tard, l’été marque la fin de l’année scolaire pour Joe et ses camarades de classe. Son meilleur ami, Charles Kaznyk, va réaliser «The Case», un film de zombies ; fous de cinéma de SF et d’horreur, Charles et Joe entraînent avec eux leurs copains Cary, Preston, et Martin. Objectif: finir le film avant le prochain festival local des court-métrages en Super 8 millimètres. Pour étoffer le scénario, Charles a aussi engagé comme actrice vedette la jolie Alice Dainard, la fille de Louis.   

Venus tourner une scène de nuit dans la petite gare locale, les six ados ignorent qu’ils vont vivre l’aventure de leur vie. Elle commence en plein tournage de leur film, quand, sous leurs yeux, une voiture se jette sur les rails du chemin de fer pour percuter de plein fouet un train de marchandises…    Rescapés, à peine remis de leurs frayeurs, Joe, Charles, Alice et les autres découvrent le responsable de l’accident : Woodward, leur professeur de sciences, très gravement blessé, qui murmure quelques paroles inquiétantes avant que des hommes en armes surgissent à l’horizon. Les gamins s’enfuient avec leur matériel de tournage amateur et Joe ramasse un objet étrange, un cube métallique éjecté d’un wagon, parmi des milliers d’autres. 

Au matin, la ville, patrouillée par des soldats d’une unité spéciale de l’US Air Force, se retrouve au centre des actualités locales. Tout le monde ne parle que de l’accident, sur les raisons duquel les militaires gardent le secret absolu. Un cadre idéal pour la petite bande qui profite du nouveau contexte pour poursuivre le tournage du film… avant que des évènements encore plus inquiétants ne se produisent…    

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Impressions :    

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En 1981, deux gamins de 15 ans présentent leurs films amateurs dans un festival de films super 8 à Los Angeles. Ces deux ados, J.J. Abrams et Matt Reeves, réalisant des petits films d’horreur efficaces, retiennent l’attention du Los Angeles Times qui leur consacre un article, les surnommant les «Beardless Wonders», les «Prodiges Imberbes» – référence malicieuse à la génération des «Movie Brats» barbus, leurs aînés qui viennent de s’installer au sommet de Hollywood en une décennie. Les «Brats» en question sont, principalement, Francis Ford Coppola, John Milius, Martin Scorsese, Brian DePalma, George Lucas et Steven Spielberg, une troupe hétéroclite de jeunes cinéastes adultes qui se croisent souvent, s’entraident régulièrement et triomphent (presque) à chaque fois au box-office. Reconnaissables entre autres choses par une pilosité faciale décontractée, ils vont inspirer une flopée de futurs cinéastes nés dans les années 60 et 70. Dont les deux garnements cités plus haut, particulièrement J.J. Abrams dont le parcours va évoluer au fil des ans : scénariste (A PROPOS D’HENRY de Mike Nichols, FOREVER YOUNG avec Mel Gibson, ARMAGEDDON de Michael Bay, JOY RIDE / Une Virée en Enfer, de John Dahl), producteur inspiré à la télévision (pour mémoire : les «cartons» de FELICITY, ALIAS, LOST, FRINGE) puis au cinéma (CLOVERFIELD, réalisé par Reeves), avant de se «placer» comme réalisateur de blockbusters bien trempés – MISSION IMPOSSIBLE III et le STAR TREK renouvelé de 2009.    

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On imagine sans peine l’enthousiasme d’Abrams et Reeves en 1981, lorsque Steven Spielberg, en plein triomphe des AVENTURIERS DE L’ARCHE PERDUE, les contacte par l’entremise de son associée Kathleen Kennedy . Le «Wonder Boy» a entendu – et peut-être vu – ce dont sont capables ces deux réalisateurs en culottes courtes. Il leur confie le soin de monter et restaurer ses premières œuvres, tournées en 8 millimètres du temps de sa propre adolescence… J.J. Abrams a eu ainsi l’incroyable privilège de découvrir les «brouillons» des futures réussites de Spielberg, dont quelques extraits ont pu être diffusés çà et là lors d’émissions télévisées (telle INSIDE THE ACTORS STUDIO) ou des bonus DVD, avant de filtrer sur le Net.    

La jeunesse et les démarches d’Abrams et Reeves ont dû forcément rappeler à Spielberg ses joyeux débuts de jeune cinéaste amateur. Lorsqu’il n’était lui-même qu’un vrai «brat», Spielberg tournait alors ses petits films maison dans le désert voisin de sa maison familiale de Scottsdale, Arizona… Son tout premier essai filmé fut un crash de train miniature (sans doute inspiré par une scène célèbre du film de Cecil B. DeMille, SOUS LE PLUS GRAND CHAPITEAU DU MONDE ; référence que l’on retrouvera plus tard dans RENCONTRES DU TROISIEME TYPE, LA GUERRE DES MONDES… et SUPER 8). Il y eut ensuite, entre autres, ESCAPE TO NOWHERE, un véritable «prototype» du SOLDAT RYAN tourné avec quelques trucages simples et malins – des soufflets posés dans le sable simulant les tirs de mitrailleuses – , et un casque allemand passé en relais par les copains apprentis figurants pour figurer toute une troupe de soldats de l’Afrika Korps ! Citons aussi FIGHTER SQUAD, un film d’aviation de la 2e Guerre Mondiale (tourné sur l’aérodrome militaire où travaillait son père Arnold, et monté avec des images d’archives de combats aériens ; il s’inspirera de ce petit film pour élaborer la séquence de la bataille aérienne imaginaire au début d’EMPIRE DU SOLEIL), ou encore son fameux FIRELIGHT de 1964, son premier long-métrage de science-fiction, entièrement tourné en amateur (et bénéficiaire à raison d’un dollar pour une seule séance publique payante !), qui préfigure RENCONTRES DU 3e TYPE avec une touche de GUERRE DES MONDES… Pratiquement tous ses films amateurs de jeunesse furent tournés avec des caméras 8 millimètres.    

Toutes ces digressions sont nécessaires pour comprendre les affinités qui ont pu se créer au fil du temps entre Spielberg et son cadet Abrams, déclenchées par des similarités de parcours. Des joyeux débuts filmiques où l’on tente de faire avec les moyens du bord aussi bien que les professionnels du cinéma, en passant par la case «formation sur le tas à la télévision» (rappelons que Spielberg fit ses premières armes professionnelles aux studios télévisés d’Universal, à un âge exceptionnellement jeune pour un réalisateur), jusqu’au statut de «Wonder Boy» dont Abrams a hérité, renforçant un peu plus le sentiment de filiation évidente qui se détache de ce fameux SUPER 8 créé par les deux larrons !       

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«Aujourd’hui les cinéastes en herbe ont une technologie et un matériel que notre génération ne pouvait même pas imaginer. Tout le monde a une caméra numérique de nos jours, mais en 1979, avoir une caméra était une chose exceptionnelle pour un enfant.»  Cette déclaration de J.J. Abrams nous amène donc à nous poser une question importante, avant d’aller plus loin. Qu’est-ce donc que le Super 8, au fait ? Un petit cours accéléré d’histoire s’impose.    

Pendant des décennies, à des époques où les appareils numériques n’existaient pas, les caméras 8 millimètres furent l’occasion pour tout le monde de devenir cinéaste d’un jour. Si vous avez un jour trouvé dans un grenier de vieux films familiaux muets tournés par vos grands-parents, ou vos parents, alors vous connaissez – ou vous redécouvrez – ces fameuses caméras 8 millimètres qui ont immortalisé vos premiers pas de bébé, ou les vacances de vos aïeux.    

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Il y eut d’abord le 8 millimètres standard, lancé par Kodak en 1932. Surnommé «double 8», c’était un film de 16 mm de large, doté de deux rangées de perforation, facilement chargeable dans une petite caméra. Une fois la première moitié du film effectuée, il suffisait de retourner la bobine pour filmer avec la seconde moitié – opération délicate car elle devait être faite à l’abri de la lumière, et plus d’un cinéaste du dimanche a facilement pu voiler ou exposer une fois de trop la pellicule ! Combien de souvenirs familiaux ont-ils été ainsi «gâchés» par maladresse et inexpérience… Au fil des ans, les perfectionnements apportés par Kodak permirent plus de souplesse et de maniabilité : notamment le moteur électrique, l’incorporation de la cellule, de la visée reflex dans l’objectif, le zoom, les variations de vitesse et d’obturateur, les possibilités de réaliser des fondus enchaînés, le passage à la couleur… Des futurs cinéastes de talent ont pu ainsi faire leurs premiers pas, durant leur enfance ou leur adolescence, en apprenant à maîtriser la caméra paternelle. Tel Steven Spielberg, qui adore raconter à l’occasion les premiers films de vacances de son père Arnold : de longs travellings filés, tournés d’une main depuis la voiture familiale en marche… et que le petit Steven jugeait illisibles ! Celui-ci se lança, en «réaction» si l’on peut dire à la créativité paternelle, dans la réalisation de ses propres films amateurs. On connaît la suite de l’histoire.    

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 En 1965, Kodak lança sur le marché du film amateur le Super 8. Format similaire au 8 millimètres standard, il était accessible à tous et peu coûteux. Comme le film d’Abrams le montre, il suffisait pour un gamin réalisateur amateur de rassembler suffisamment d’argent de poche pour se rendre au magasin de photos le plus proche, et d’acheter des chargeurs en plastique, faciles à insérer dans une caméra bon marché, et ce en plein jour, sans risque de ruiner la pellicule ! Ce qui représentait un avantage certain pour les cinéastes amateurs, par rapport au film 8 millimètres standard. C’est avec ce format-là qu’Abrams, comme les gamins de sa génération dépeints dans SUPER 8, a fait ses premiers pas de réalisateur. Si le Super 8 ne pouvait pas, comme son prédécesseur, permettre de réaliser des fondus enchaînés ou de filmer à l’envers, il avait ses propres avantages techniques. Parmi lesquels un objectif zoom permettant des travellings optiques plus «élaborés» que le 8 millimètres, le réglage automatique de l’exposition, une meilleure ouverture et sensibilité permettant le tournage en faible lumière (toujours pratique pour tourner dans le noir des courts-métrages d’horreur !), les effets de ralentis, le fondu au noir… et, dans les années 1970, les premières caméras et cassettes de films sonores permettant la prise de son directe. Un son facilement identifiable ensuite, à la projection, par le «tac-tac» saccadé qui fait aussi le charme des films en super 8.    

La vidéo est ensuite arrivée sur le marché dans les années 1980, avant le passage au tout numérique.  … Parenthèse pour une madeleine proustienne : au même âge que les gamins du film, j’ai fait mes premiers pas de réalisateur avec mes copains de collège. C’était un petit film en vidéo, pour les besoins d’un cours d’initiation audiovisuelle : une fausse publicité inspirée par le conte du Petit Poucet, tournée au Caméscope dans le parc voisin de mon ancien lycée. Je n’ai qu’un souvenir très confus du résultat final, porté disparu et probablement effacé depuis le temps. Ma carrière de cinéaste (ou vidéaste) a donc connu en même temps ses débuts et sa fin prématurée…       

Voilà pour le cours accéléré technico-historique. Il permet de resituer les choses dans leur contexte par rapport à l’époque du film, 1979, époque à laquelle J.J. Abrams signait donc avec des copains des films d’épouvante avec les moyens du bord. Dans SUPER 8, le tournage et le développement progressif du film «The Case» bricolé par la bande des joyeux gamins constitue le «fil rouge» narratif du film. Le scénario va établir assez astucieusement, autour de ce simple tournage, la trame du récit et de l’aventure dans laquelle nos apprentis réalisateurs se retrouvent entraînés. Le résultat final, projeté dans le générique de fin, est un cadeau hilarant offert au spectateur. Rappelez-vous qu’un film ne s’arrête pas nécessairement, dès le début du générique de fin. S’IL VOUS PLAÎT, RESTEZ ASSIS !    

SUPER 8 est l’occasion d’un voyage dans le temps, pas si éloigné de notre époque, en 1979. Il faut noter qu’après deux longs-métrages «blockbusters» fracassants, conçus pour le simple divertissement à grand spectacle (MISSION : IMPOSSIBLE III et le STAR TREK rajeuni), mais ne révélant pas vraiment un caractère très personnel de la part de J.J. Abrams, ce dernier change son fusil d’épaule et, s’il demeure très spectaculaire, SUPER 8 montre une volonté de la part du créateur de LOST de se livrer un petit peu plus.    Il commence en recréant le contexte typique d’une petite ville industrielle américaine semblable à celle dans laquelle il a pu grandir. Sans insister lourdement sur le contexte historique de l’époque, il recrée celui-ci par petites touches, en arrière-plan. L’histoire étant vécue du point de vue des gamins, qui n’ont forcément qu’une vision assez «vierge» du monde extérieur, les références sont avant tout centrées sur ce qu’ils savent et réinterprètent à leur façon. Pour le spectateur qui a vécu cette époque, c’est un «retour vers le passé» familier. Outre la caméra super 8 de Charles, on aperçoit des éléments familiers typiques de l’époque : l’arrivée du walkman (l’employé de la station-service écoute à fond Blondie), les tous premiers jeux électroniques, le succès (et le déclin imminent) de la musique disco (dont raffole la sœur aînée de Charles)… et les vélos BMX tout-terrains indispensables aux jeunes américains, entrés dans l’iconographie d’un certain E.T. et du studio Amblin Entertainment fondé par Steven Spielberg à cette même période ! L’effet nostalgique fonctionne à plein régime quand on découvre les chambres de Joe et Charles. Comme tous les «kids» de leur époque découvrant les merveilles du Cinéma, ils s’inspirent de ce qu’ils ont vu au cinéma, ainsi que ce que leurs parents leur interdisent sûrement de voir. STAR WARS premier du nom, les films de monstres classiques, les Morts-Vivants de George A. Romero (évidemment cité pour les besoins de «The Case»)… On devine les gamins grands amateurs de la revue «Famous Monsters of Filmland», célèbre revue fondée par Forrest J. Ackerman, toute vouée au culte naissant du Cinéma Fantastique ; et pour ses propres effets de maquillages, Joe se réfère sérieusement au livre de Dick Smith, le père des effets spéciaux de maquillages modernes (L’EXORCISTE) et mentor des maîtres ès métamorphoses tels que Rick Baker.    

Plus distancié, mais néanmoins présent, le contexte social et historique de l’époque est toujours interprété du point de vue des jeunes héros du film. La ville fictive de Lillian est une petite communauté ouvrière typique de l’époque, où l’on panse probablement quelques blessures psychologiques récentes. Telle la Guerre du Viêtnam, encore dans les esprits. Les gosses devinent plus qu’ils ne savent ce qui a pu se passer là-bas et marquer leurs pères. Ils jouent une scène «entre vétérans» de leur film, au beau milieu du chaos géré par les vrais militaires en arrière-plan, juste avant que le père de Joe, shérif adjoint, ne débarque et ne confisque leur caméra. On peut d’ailleurs deviner que ce dernier a sans doute vécu une partie de «l’Enfer» Vietnamien, tout comme le père alcoolique d’Alice, et en est revenu affecté au point de se montrer «bloqué», incapable de communiquer avec son fils… et sans doute aussi de reporter pas mal de colères refoulées sur le père d’Alice, bouc émissaire désigné de ses propres peines. Ces deux hommes-là ont probablement été les meilleurs amis avant que les aléas de la vie ne les séparent, jusqu’au malentendu menant à la mort de la mère de Joe. L’influence du Viêtnam demeure présente, en filigrane pesant, y compris par le choix conscient que fait Abrams de tourner dans une ville familière aux cinéphiles : Weirton, en Virginie Occidentale, ville industrielle qui servit de toile de fond pour plusieurs scènes du DEER HUNTER (VOYAGE AU BOUT DE L’ENFER) de Michael Cimino. C’est là que déambulèrent Robert De Niro, Christopher Walken et leurs amis dans ce chef-d’œuvre, avant que leurs personnages ne partent au Viêtnam d’où ils rentreraient marqués à jamais… ou pas du tout.    

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Autre élément déterminant de l’ambiance du film : l’incident de Three Miles Island, survenu le 28 mars 1979. En Pennsylvanie (non loin de Harrisburg, la ville d’où est originaire le père d’Abrams), la centrale de Three Miles Island a connu une série de défaillances sévères, ayant entraîné l’incident nucléaire le plus grave de l’histoire, avant Tchernobyl et Fukushima. Le pire a été évité de justesse à l’époque, mais les images d’évacuation forcée de la population – surtout les femmes enceintes et des enfants -, et le climat de nervosité et de panique montré par les reportages d’époque ont marqué les esprits. Sentiment renforcé par la sortie quasi simultanée sur les écrans américains, treize jours avant l’incident, du film à succès LE SYNDROME CHINOIS avec Jane Fonda, Jack Lemmon et Michael Douglas, qui parle d’un incident nucléaire similaire. Dans SUPER 8, le souvenir de Three Miles Island reste présent dans les esprits, évoqué à la télévision après l’accident ferroviaire qui déclenche le climat de psychose sur la petite ville de Lillian, dans l’état voisin de l’Ohio. Silence assourdissant des autorités, présence des militaires, ambiance de peur et suspicion généralisée parmi la population, jusqu’à l’évacuation forcée de celle-ci (rappelant aussi les scènes similaires de RENCONTRES DU TROISIEME TYPE, en 1977), rien n’y manque. La communauté locale a beau vouloir rester soudée dans le drame, rien n’y fait : la peur s’empare des esprits, et on accuse les Soviétiques ; réflexe courant de l’époque : on est encore en pleine Guerre Froide, les adultes ont déjà connu la suspicion du maccarthysme et la Crise des Missiles Cubains, et dans quelques mois, cette même communauté allait sûrement voter massivement pour Ronald Reagan… Ce climat de «fin du monde», vécu à l’échelle locale, enrichit le film et l’aventure des gamins cinéastes, tout heureux (dans un premier temps !) de disposer «à domicile» de l’atmosphère appropriée à leur petit film de morts-vivants !    

Les séquences du tournage du film «The Case» sont de loin les plus marquantes de SUPER 8. Alice, Joe, Charles et tous les autres, artistes et techniciens en herbe vivent leurs conflits tout autour de la réalisation de leur petit film. L’occasion pour Abrams pour brosser des portraits d’adolescents crédibles, moins hystériques que leurs illustres aînés des GOONIES, et finalement plus proches d’un autre film, STAND BY ME, un petit bijou de 1987 de Rob Reiner avec le prodige trop tôt disparu, River Phoenix. Un film dans lequel d’ailleurs un train inquiétant avait la vedette d’une scène mémorable, et où un acteur «spielbergien» célèbre, Richard Dreyfuss, faisait un bref caméo mélancolique…     

Abrams se focalise davantage sur la relation entre les deux copains, Joe et Charles, et la jolie Alice, laissant aux trois autres comparses (dont l’hypocondriaque Preston, un véritable jeune sosie de Steven Spielberg adolescent) le soin d’être le contrepoint comique. La relation entre Charles et Joe est justement décrite ; une amitié sincère, liée par une envie réelle de faire du Cinéma non pas par caprice infantile, mais par désir de créer quelques chose et se préparer à la future vie professionnelle, la vie d’adulte. Charles est clairement le meneur passionné, déterminé à finir son film coûte que coûte, et Joe le «suiveur» imaginatif mais timide. Et l’arrivée de la seule vedette féminine de leur film vient inévitablement perturber leur relation initiale, pour créer du conflit. 

Il est assez touchant de voir comment les trois personnages principaux prennent finalement prétexte du tournage pour changer le cours de leurs vies toutes tracées, et pas bien reluisantes. Alice veut quitter un foyer complètement détruit par l’alcoolisme paternel ; Charles veut sortir du cocon familial, chaleureux mais envahissant ; Joe ne veut pas suivre le programme fixé par son père en pleine déprime de veuf, le séjour au camp de base-ball. Quoi de mieux dans ce cas que de partir à l’aventure tourner un film dans les environs… et d’engager une actrice qui sait conduire une voiture, synonyme d’indépendance précoce ! Voilà donc posés adroitement l’envie d’indépendance des trois personnages, cherchant à s’affranchir de leur enfance.   

Plus encore que les scènes d’angoisse et de dévastation, rondement menées, le cœur de SUPER 8 se trouve dans ces séquences faussement anodines, où le cinéma sert de révélateur des sentiments de chacun. Pour Charles (Riley Griffiths), l’apprenti réalisateur, déjà très sûr de son rôle de meneur motivé, le tournage de ce dernier est une source de problèmes à gérer et régler au plus vite. Comme il ne tarde pas à le découvrir, être cinéaste, c’est avant tout avoir réponse à tout, et gérer tous les problèmes d’un tournage, aussi dérisoires soient-ils ! Le principal problème, pour lui, est de devoir être pris au sérieux par ses copains… Pour la bande, tourner ce mini-film est avant tout un moyen de s’amuser ; Charles, lui, veut déjà que les choses soient faites avec un esprit professionnel. D’où cette attitude nécessaire de «petit chef» à poigne nécessaire pour finir le tournage à temps, et sans le désordre inévitable que ne manquent pas de causer ses copains. Charles doit aussi se débattre avec le B.A. BA du métier de réalisateur : obtenir le meilleur de ses «acteurs» inexpérimentés (dont la vedette, Martin, censé incarner un viril inspecteur, et qui n’est en réalité qu’une poule mouillée !) ; négocier l’achat de pellicules et d’une seconde caméra ; bien exploiter les lieux de tournage en extérieur tout en rusant pour éviter l’irruption des autorités locales (Shérif adjoint ou militaires nerveux)… Conscient que son film se limite à une série d’attaques de zombie (toujours le même, incarné par Cary l’artificier. Budget limité oblige !), Charles décide donc d’«étoffer» son script en rajoutant des scènes avec la femme du héros – pour lui, c’est bon pour le suspense ! Ces séquences sont autant d’étalages de clichés sirupeux, irrésistibles de drôlerie pour le spectateur qui peut légitimement douter du talent de direction d’acteurs de Charles… Mais qu’importe, il a la foi et l’enthousiasme du débutant qui ne doute de rien ! Surtout, le tournage de «The Case» pose à Charles – et aux éventuels futurs réalisateurs qui regardent le film – LE problème propre à toute production de film : comment réussir à faire «plus» tout en ayant «moins», ou comment donner à un minuscule film de monstres le cachet d’une superproduction. Charles a la réponse : «la valeur ajoutée à la prod’ !» Comprendre qu’il faut saisir toute opportunité d’améliorer le film avec ce que le hasard peut parfois mettre à sa disposition… comme un accident de train grandeur nature, et la présence de militaires dans les environs.    

Le jargon du cinéma américain appelle cela les «Heureux Accidents». Une chose imprévue peut se produire en plein tournage d’une scène, et, si elle ne gâche pas le ton de celle-ci, peut la rendre unique et meilleure. Un exemple célèbre : la scène de promenade-flirt entre Marlon Brando et Eva Marie Saint dans le chef-d’œuvre d’Elia Kazan, SUR LES QUAIS. Durant un long travelling accompagnant la promenade des deux comédiens, alors que Brando parle, Eva Marie Saint laisse tomber son gant. Ce n’était pas écrit dans le scénario du film. Un réalisateur et des acteurs moins sûrs d’eux auraient stoppé la scène et recommencé une nouvelle prise. Pas Brando, qui ramasse le mouchoir et continue la scène. Lui et Eva Marie Saint restent dans leurs personnages, et Kazan garde la scène «ratée» dans le montage final. Cet «accident heureux» devient l’un des moments les plus touchants du film, et l’une des plus grandes scènes de Brando. «The Case» n’est certes pas un film à la Kazan, mais le principe de «l’heureux accident» reste le même : on met à profit un incident totalement inattendu pour améliorer le film final ! 

Encore faut-il que quelqu’un réalise l’opportunité unique de ce décor inattendu, dans l’équipe. Ce n’est pas Charles, mais le timide Joe qui a l’idée de se servir du site de l’accident pour renforcer l’ambiance «fin du monde» de leur film. Joe (excellent Joel Courtney), l’enfant paisible vivant mal le deuil de la mort de sa mère, a une autre «vision» du film en cours de tournage. Si Charles veut en mettre «plein la vue» avec ses modestes moyens, Joe veut, sans oser le dire, résoudre son deuil par l’entremise du film. Charles est un technicien dans l’âme, et un meneur souvent envahissant ; Joe, lui, est un artiste en devenir. Plus sensible, plus intuitif, il adore les monstres du cinéma fantastique classique (l’identification lui permettra d’avoir la vie sauve face à la créature) et se met en quatre pour satisfaire les besoins techniques de Charles en matière d’effets spéciaux bricolés. Quitte à subir en silence les excès d’humeur de ce dernier… et à se mettre à dos son propre père, Jackson, dépassé par des problèmes d’une toute autre nature. 

Celui-ci, figure incarnée par le sympathique Kyle Chandler (la série DEMAIN A LA UNE, KING KONG version 2005), est en pleine «implosion» de veuvage et se donne du mal pour garder une image de paternel viril et autoritaire, le schéma de comportement «standard» de l’Américain rural ordinaire. Une image que Joe met forcément à mal en préférant suivre son propre chemin d’artiste débutant, plutôt que de suivre le mode de vie «baseball, bière et barbecue du dimanche» qu’on attendra de lui dans les années à venir. Le conflit entre Joe et son père pointe à son paroxysme lors de l’arrestation toute symbolique du premier par le second. Il y a une image très forte, et terrible, qui raconte en un plan tout le fossé qui sépare le fils de son père : Joe, assis tristement à l’arrière de la voiture de police, voit le reflet de Jackson discuter avec le chef militaire, le Shérif se plaçant à la hauteur de son interlocuteur, et inconsciemment «dans son camp», celui de la répression, contre son propre fils… Certes, le «happy end» final rattrape bien des choses, mais on peut douter que l’épreuve aura définitivement réconcilié père et fils, malgré tout.  

Pressuré d’une part par Charles, et de l’autre par son propre père, Joe tomberait dans la dépression, s’il n’y avait pas la Femme… enfin, la jeune fille !    

C’est la merveilleuse Elle Fanning, 15 ans, qui interprète la douce Alice. La petite sœur de Dakota (qui échappa elle-même en 2005 à une autre invasion massive venue d’ailleurs, LA GUERRE DES MONDES !) s’avère une comédienne aussi surdouée que sa sœur aînée. Après avoir justement débuté toute petite en jouant les «doublures» de celle-ci (dans la remarquable mini-série «Ufo-Historique’» TAKEN / DISPARITIONS, produite par… Spielberg, et dans SAM JE SUIS SAM avec Sean Penn), la jeune Elle peut déjà être fière d’un CV regroupant des films d’Alejandro Gonzalez Inarritu (BABEL, en fille de Brad Pitt et Cate Blanchett), de David Fincher (L’ETRANGE HISTOIRE DE BENJAMIN BUTTON, où elle joue le personnage ensuite interprété par Cate Blanchett, face à… Brad Pitt !), de Sofia Coppola (SOMEWHERE), en attendant sa prochaine prestation devant les caméras de papa Francis Ford Coppola, avec le film d’horreur gothique TWIXT. Dans SUPER 8, Elle Fanning réussit l’exploit de voler non seulement la vedette à ses collègues acteurs en herbe (tous excellents), mais aussi au monstre et aux effets spectaculaires. Avec un naturel désarmant, elle réussit d’emblée une savoureuse scène d’émotion improvisée sur le quai de la gare, laissant pantois ses nouveaux copains, juste avant le fameux accident. Tout en «underplaying», la jeune actrice donne l’épaisseur émotionnelle voulue à Alice Dainard. Parmi les autres scènes qui constituent le cœur du film, et de la relation entre les trois jeunes gens, il y a une scène a priori anodine (par rapport au reste du film, ses attaques de monstre et son ambiance de fin du monde) qui est très touchante. C’est celle du test du maquillage de zombie, que Joe applique à Alice. Le maquillage est le prétexte pour un début de relation amoureuse entre les deux adolescents, la jeune fille improvisant une «morsure» qui cache un affectueux baiser. Joe est aux anges, mais Charles, qui a assisté au flirt, est mortifié. L’apprenti réalisateur, embarrassé par son physique rondouillard, se montrera ensuite amer et agressif envers son meilleur copain. Conflit «en miniature» typique de ce qui a pu arriver des milliers de fois sur des tournages professionnels entre le réalisateur, son actrice vedette et le rival du premier, qu’il soit acteur ou simple caméraman ! Incidemment, Alice a bien compris que Joe était introverti, et subissait les excès directoriaux de Charles. Elle le dit elle-même : «c’est ton meilleur ami, mais ne le laisse pas prendre l’ascendant sur toi». Alice joue en quelque sorte le rôle d’arbitre affectif dans les conflits entre Joe et Charles. 

D’ailleurs, ce dernier, derrière une façade tantôt comique tantôt antipathique, se montre aussi touchant, autant dans ses efforts de metteur en scène que dans ses relations aux autres. Gêné par sa famille, chaleureuse mais envahissante au possible, et bien conscient que son aspect physique est une gêne pour approcher les filles, il «compense» tout naturellement sa frustration en devenant le patron, quitte à exagérer sa position pour se valoriser. Alors pourquoi ne pas convaincre la fille dont il est secrètement amoureux de jouer dans son film de monstres ? C’est pour lui la seule façon d’exister…   

(à suivre dans la 2e partie !) 



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