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Archives pour octobre 2011

… pour qu’il ne vit point la Mort… – RESTLESS

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RESTLESS, de Gus VAN SANT    

Impressions :   Gus Van Sant aime toujours prendre des risques, et passer sans difficultés apparentes d’un film au budget modeste à une production plus «classique», pour revenir ensuite à un film artistique quasi expérimental avant d’enchaîner un film de studio… Une tactique qui donne une œuvre passionnante où les œuvres de prestige (WILL HUNTING, A LA RENCONTRE DE FORRESTER…) s’intègrent aux plus modestes DRUGSTORE COWBOY, MY OWN PRIVATE IDAHO, et à la radicale trilogie ELEPHANT / GERRY / LAST DAYS. Et c’est donc tout naturellement, après le triomphe mérité de son HARVEY MILK, que Van Sant revient à un «petit» film, RESTLESS. Une production qui, en termes de logistique et de préparation, se situe donc à l’extrême opposé de la grande histoire du défunt «Maire de Castro Street». Et le réalisateur nous prouve à nouveau que ce n’est jamais la taille d’un film qui fait sa force, mais bien l’émotion qu’elle renferme… 

RESTLESS donne le même sentiment qu’une musique de chambre touchante succédant à une grande symphonie ; en dépit de sa modestie, le film n’a pas à rougir des précédentes réussites de son auteur et s’intègre parfaitement à son univers.  

  

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Sans avoir à subir les pressions d’un grand studio, ou d’un quelconque festival, Van Sant a porté à l’écran le premier scénario de Jason Lew, avec le concours comme producteurs de Ron Howard (APOLLO 13, DA VINCI CODE, FROST/NIXON et bien d’autres), sa fille, la comédienne Bryce Dallas Howard, et de Brian Grazer, l’associé de Howard, co-fondateur d’Imagine Entertainment. Retournant dans sa ville fétiche de Portland en Oregon pour les besoins du tournage, Van Sant met en scène une histoire d’amour qui recèle en elle quelques belles pépites. Le mépris et l’indifférence quasi-unanimes avec lesquels la critique, toujours prompte à brûler un jour ce qu’elle adore la veille, a pu malheureusement contribué à détourner le spectateur d’un sujet délicat : une «love story» entre deux jeunes gens, dont l’un d’eux est condamné par une maladie incurable. Un regard superficiel sur ce résumé laisserait croire que RESTLESS est une «bluette» tire-larmes, mais ce serait une erreur. L’évocation du cancer dans une fiction suffit généralement à provoquer des réactions épidermiques injustifiées de la part de beaucoup, critiques ou spectateurs… Comme si le mot lui-même déclenchait une peur irrationnelle de la maladie. Par ailleurs, on est forcément tenter de faire le rapprochement entre le sujet de RESTLESS et le souvenir d’un film romantique à succès réputé «larmoyant», avec Ryan O’Neal et Ali McGraw… Les clichés sont faciles et ont souvent la vie dure… dommage. Il ne s’agit pas ici d’enfoncer le LOVE STORY d’Arthur Hiller (chose difficile à faire surtout si on ne l’a jamais vu…), mais de souligner que le mauvais accueil fait à RESTLESS sur le seul argument «amour et maladie» est franchement réducteur et mal placé.    

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Gus Van Sant a su sortir du piège des clichés. Certes, il n’élude pas la grande question qui se pose dans ce type de film, où les personnages doivent vivre avec l’inéluctable. La maladie vient faucher une vie dans sa première jeunesse, et tuer un amour naissant entre deux êtres humains. Comment y faire face ? Comment aimer la vie quand l’autre est condamné à très court terme ? Et, pour les auteurs comme pour les personnages, comment évoquer la Mort qui vient sans donner dans la morbidité, la mièvrerie ou le déni ? En grand artiste, Van Sant donne des réponses qui n’iront forcément pas dans le sens du consensus confortable. Il ose même souvent, dans son film, garder un ton parfois joyeux, ludique, loin du pathos annoncé.  De fait, les protagonistes de RESTLESS sont encore des enfants. Enoch et Annabel (et leur congénère fantôme Hiroshi) ont un comportement forcément très juvénile : jouer à la bataille navale (souvenir de la mort d’Hiroshi), imaginer comment sont décédés les locataires d’une morgue (en imaginant la mort la plus comique qui soit) ; interpréter une scène de mort romantique, à la Roméo & Juliette, et se corriger le cas échéant, comme des acteurs en train de travailler leur grande scène… Van Sant capte d’autres petits moments de bonheur entre Annabel et Enoch, comme autant de scènes de joie éphémères avant que la triste réalité ne les rattrape. Jusqu’à la cérémonie finale, un repas de «junk food» en guise de dîner funèbre, est lumineuse, joyeuse, apaisée. L’ambiance ne fait pas oublier la douleur, mais elle aide les proches de la défunte à l’acceptation. C’est simple et touchant, sans être infantile.  Mais ces scènes ne sont pas là pour donner l’impression au spectateur que l’on peut nier la Mort, ou la traiter à la légère. Elles montrent que les personnages ont une façon toute personnelle, intime et unique, de l’«apprivoiser». RESTLESS nous rappelle qu’il faut finalement bien accepter la perte finale… et que le chemin menant à cette acceptation n’est pas toujours heureux. Enoch et Annabel vivent des étapes douloureuses sur le long chemin de l’acceptation ; le jeune homme, surtout, qui fuit, se sent impuissant, développe des obsessions morbides et finit par laisser éclater sa rage, en accomplissant un geste sacrilège : la profanation de la pierre tombale de ses parents. Van Sant ne le juge pas, et nous invite à ne pas en faire autant ; le geste du jeune homme, aussi grave soit-il, est à ce moment du film parfaitement compréhensible et révélateur de sa détresse.    

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Le rôle d’Hiroshi, le fantôme du jeune kamikaze (Ryo Kase - LETTRES D’IWO JIMA), est particulièrement important. Ce n’est pas une «astuce» artificielle de film fantastique à la SIXIEME SENS ; le personnage a un rôle fondamental dans l’histoire des deux amoureux. Tué à la guerre alors qu’il était à peine sorti de l’enfance, Hiroshi est une sorte de guide pour Enoch, un observateur sincère de sa vie et son seul confident. Il l’accompagne dans ses jeux, lointains échos de son passé guerrier (la bataille navale, le «bombardement» du train à coups de cailloux…) ; il lui transmet la culture de ses origines (le salut respectueux à la japonaise, le rituel du seppuku, les costumes d’Halloween des deux amoureux déguisés en kamikaze et geisha)… mais il s’oppose aussi à lui. Lors de la profanation, Hiroshi peut être légitimement choqué de voir un tel manque de respect d’Enoch pour ses ancêtres, ce devoir de respect cimentant la culture nippone d’avant-guerre. Et Hiroshi a son propre secret mélancolique, qu’il révèle à un moment clé de l’histoire : la lecture d’une lettre destinée à celle qu’il n’a pas pu aimer, des années auparavant, alors qu’il allait mourir pour son Empereur… Van Sant fait basculer les scènes avec Hiroshi de l’humour et la fantaisie légère, vers la gravité et la tristesse, avec tact. Jusqu’à ce qu’il montre l’évolution de ce drôle de guide spirituel, symbolisée par un changement de costume. Hiroshi n’est plus ce «fantasme» de la 2e Guerre Mondiale au costume mythique : il revêt un complet de cérémonie, plus mature, et apparaît pour la première et unique fois à Annabel.    

Van Sant et son scénariste procèdent par petites touches discrètes mais bien vues, sans jamais exagérer le trait. Ils savent utiliser à bon escient les symboles cachés dans leur histoire, à commencer par le choix d’un titre énigmatique, et du prénom du jeune héros, campé par Henry Hopper. Pourquoi RESTLESS ? Pourquoi Enoch ? Cela reste lié au thème de la Mort omniprésent dans le film. Le jeune homme a un nom significatif (qui a sans doute donné naissance à «Hanouka», la fête religieuse juive), celui de deux patriarches de la Bible liés à l’Ancien Testament. Le premier, fils de Caïn, est associé à l’espace «physique» (Caïn construit une cité pour lui) ; et l’autre, père de Mathusalem et arrière-grand-père de Noé, est quant à lui associé au décompte des temps. Ce qui fait donc que l’’espace et le temps sont associés pour un même nom, signifiant «Initié»… Le second Enoch fut emmené au Ciel par Dieu sans connaître le trépas, et changé en ange. «C’est par la foi qu’Enoch fut enlevé pour qu’il ne vit point la mort»… Enoch, ce jeune homme marqué par la Mort, mais épargné par elle, va être lentement, sûrement, douloureusement, réveillé à la vie et l’amour par la grâce d’un ange mourant. Une transformation spirituelle énoncée par le titre, RESTLESS, «sans sommeil, sans repos»… et aussi «sans Mort».    

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Prestation remarquable des jeunes comédiens : Henry Hopper, portrait craché de son père Dennis, l’éternel «Easy Rider», à qui le film est dédié. Une prestation très intériorisée, sensible, traversée de subites explosions de violence «hopperienne». Bon sang ne saurait mentir… 

Et la magie de Mia Wasikowska (l’ALICE AU PAYS DES MERVEILLES de Tim Burton), très «Farrow» avec sa coupe de cheveux et son air fragile à la Rosemary’s Baby… La comédienne de 22 ans dégage une douceur et une lumière «angélique» à chacune de ses apparitions, donnant à RESTLESS de vrais instants de grâce.   

La note :    

8content2.jpg   Ludovic Fauchier, Blogless    

La Fiche Technique :    

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Réalisé par Gus VAN SANT   Scénario de Jason LEW    

Avec : Henry HOPPER (Enoch Brae), Mia WASIKOWSKA (Annabel Cotton), Ryo KASE (Hiroshi Takahashi), Schuyler FISK (Elizabeth Cotton), Lusia STRUS (Rachel Cotton), Jane ADAMS (Mabel), Paul PARSON (Edward), Thomas LAUDERDALE (le Pasteur), Chris HAN (le Docteur Lee), Colton LASATER (Ozzie)     Produit par Brian GRAZER, Bryce Dallas HOWARD, Ron HOWARD et Brett CRANFORD (Columbia Pictures / Imagine Entertainment / 360 Pictures)   Producteurs Exécutifs David Allen CRESS, Eric BLACK et Frank MANCUSO Jr.    Musique Danny ELFMAN   Photo Harris SAVIDES  Montage Elliot GRAHAM   Casting Francine MAISLER     Décors Anne ROSS   Direction Artistique Benjamin HAYDEN   Costumes Danny GLICKER     1er Assistant Réalisateur David J. WEBB      Mixage Son Leslie SHATZ et Gabriel J. SERRANO   Montage Son Robert JACKSON    

Distribution USA et INTERNATIONAL : Sony Pictures Classics / Sony Pictures Releasing   Durée : 1 heure 31    

Enoch Brae, un jeune homme solitaire, sèche les cours du lycée. Il dessine sa silhouette à la craie sur le bitume, et parle avec un fantôme, son meilleur ami Hiroshi, pilote kamikaze mort à la fin de la 2e Guerre Mondiale. Enoch passe aussi son temps à fréquenter les services funéraires d’un hôpital de Portland, et s’invite régulièrement aux obsèques. 

Le curieux manège d’Enoch lui vaut d’être remarqué par l’organisateur des funérailles à l’hôpital ; mais une jeune fille, Annabel, prend sa défense. Travaillant au service des enfants malades du cancer, elle l’a remarqué alors qu’elle assistait aux précédentes cérémonies. Férue d’ornithologie et d’entomologie, Annabel est fantasque, imaginative, et ils se lient d’amitié. Puis ils deviennent amoureux. Enoch apprend qu’Annabel n’est pas employée par l’hôpital, mais une patiente atteinte d’une tumeur au cerveau. Après une période de rémission, la maladie se développe à nouveau, ne lui laissant que trois mois à vivre…    

Quelque Chose en toi… – THE THING (1982), 2e partie

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Revenons au fond des choses… 

Pour la première fois de sa carrière, John Carpenter ne signe pas comme à son habitude la musique originale de son film. Production de grand studio oblige, il se voit adjoindre un compositeur familier du public, et pas des moindres : le maestro Ennio Morricone en personne. Un choix approuvé par le réalisateur, que l’on sait grand amateur de westerns, et donc des films de Sergio Leone et Clint Eastwood. Morricone apprécie de son côté le travail de Carpenter, et, s’il ne le rencontre pas directement, il accepte de signer et diriger une musique «carpenterienne» en diable, correspondant à sa sensibilité. Morricone envoie ses compositions depuis Rome jusqu’à Los Angeles, où Carpenter sélectionne ensuite les morceaux qui le marquent. Le résultat est à la fois passionnant… et déconcertant.     Pour ses compositions orchestrales, Morricone puise son inspiration dans le répertoire de Krszystof Penderecki, le compositeur polonais, célèbre pour ses œuvres consacrées à la mémoire des victimes des crimes de guerre d’Auschwitz ou Hiroshima… Le ton lugubre, glacial, littéralement «venu d’ailleurs» des musiques de Penderecki inspirèrent d’ailleurs les bandes-son de L’EXORCISTE et SHINING, qui utilisaient abondamment plusieurs de ses compositions ; et Jerry Goldsmith, pour la musique d’ALIEN, s’en inspira également. 

La musique de Morricone pour THE THING est d’une écoute difficile, mais prenante sur le long terme. Mêlant des compositions synthétiques «à la Carpenter» (dont le fameux thème final à deux notes, répété à l’infini) à des compositions orchestrales d’une très grande force évocatrice, elle provoque aussi un indéniable sentiment de malaise, d’attente et de désespérance qui convient bien au film. Beaucoup de morceaux, cependant, n’ont pas survécu au montage final. Notamment la piste intitulée «Bestiality», étrange et fascinante sarabande « désarticulée », accompagnant probablement la séquence du chenil : 

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Et, plus classique mais encore plus angoissante, la piste sobrement intitulée «Despair» (Désespoir), présente dans le film durant la scène de découverte du vaisseau spatial. L’orchestre de Morricone et ses violons pincés en notes suraiguës nous annoncent la couleur : venue du fond des âges, une horreur sans nom va nous emporter tous. Bonne écoute…   

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Le film de Carpenter marqua cependant pour lui un échec public douloureux à sa sortie en 1982… Ce fut le début d’une coopération chaotique avec le système hollywoodien, où Carpenter livra ensuite d’honorables réussites (CHRISTINE en 1983 et STARMAN en 1984) avant de connaître un nouvel échec cinglant avec son pourtant réjouissant BIG TROUBLE IN LITTLE CHINA (LES AVENTURES DE JACK BURTON, 1986), avec Kurt Russell en camionneur crétin égaré dans le monde des légendes chinoises. L’échec de ce dernier film poussera Carpenter à revenir à des films à petits budgets, plus personnels et où la lourde patte des exécutifs des studios ne pourra plus l’atteindre. Sur THE THING, ceux-ci lui laissaient alors les coudées franches, un privilège rare, mais qui ne connut pas la récompense escomptée. Il faut bien dire ce qui est, John Carpenter n’a jamais été le genre de cinéaste à caresser le public dans le sens du poil… par exemple, la séquence du chien, l’animal généralement épargné dans tous les films américains, a dû cueillir à froid plus d’un spectateur à l’époque. Et le ton général du film, désabusé et désespéré, n’a certes pas joué en sa faveur. Même ALIEN offrait un rétablissement (relativement) final positif pour le spectateur… THE THING va jusqu’au bout du cauchemar, sans échappatoire rassurant pour ce dernier, et c’est sans doute cet aspect très pessimiste qui a coûté son succès au film à l’époque. Paradoxalement, ce refus du compromis a finalement aussi contribué à son succès et son statut ultérieur. THE THING demeure un des films fantastiques les plus glaçants (sans mauvais jeu de mots) des années 1980.    

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Carpenter soulignera lui-même que sa réappropriation personnelle de l’histoire de Campbell fut le premier volet de sa «Trilogie Apocalyptique». THE THING, comme plus tard PRINCE DES TENEBRES (1987) et L’ANTRE DE LA FOLIE (1994), nous plonge droit dans l’univers dément d’un des écrivains favoris de Carpenter, H.P. Lovecraft. Auteur occupant une place unique dans la littérature fantastique américaine, Lovecraft ne connut qu’un succès d’estime de son vivant, et, à l’instar d’un Edgar Poe qu’il admirait, rejoignit la légende de l’écrivain maudit, reclus et psychologiquement perturbé, pour dire les choses poliment. Surtout, il entra dans la mémoire collective des amateurs de littérature fantastique pour sa création d’une mythologie unique. Ses nouvelles tournaient invariablement autour d’une idée similaire : la Réalité que nous connaissons, notre paisible monde matériel, n’est qu’une anomalie passagère dans un univers régi par des divinités millénaires monstrueuses, les Grands Anciens. Des horreurs grouillantes aux formes indéfinissables, dont la plus connue est Cthulhu, dieu à tête de pieuvre gisant endormi au fond de sa tombe dans l’île engloutie de R’lyeh, dans le Pacifique… Quand Cthulhu et ses joyeux camarades parviendront à s’immiscer dans notre monde, l’Humanité ne sera bientôt plus qu’un lointain souvenir…

La prose et le style narratif très particuliers de Lovecraft, leur puissance d’évocation, ont particulièrement marqué ses lecteurs, parmi lesquels John Carpenter, qui n’oubliera pas de donner à THE THING une touche très «lovecraftienne», comme dans les deux films suivants de sa trilogie (L’ANTRE DE LA FOLIE étant un régal destiné aux connaisseurs). Les apparitions de la Chose, ses mutations incessantes, ses origines mystérieuses, sont tout à fait dans l’esprit de Lovecraft, l’auteur fou de Providence. Il est tout à fait possible de faire le rapprochement, précédemment cité, entre le film de Carpenter, la nouvelle de Campbell et LES MONTAGNES HALLUCINEES, un bijou sorti de la plume de Lovecraft. Une histoire écrite en 1931 comme une suite aux AVENTURES D’ARTHUR GORDON PYM de Poe, dans laquelle un groupe d’explorateurs de l’Antarctique découvre des créatures extra-terrestres conservées dans la glace depuis des millénaires… et doit échapper aux attaques d’un «Shoggoth», une horreur sans nom dont la description évoque bien avant l’heure les attaques de la Chose.    

Dans THE THING, les manifestations de la Chose forment le clou du spectacle. Idée maîtresse de ces séquences : la créature n’a pas de forme distincte, comme la plupart de ses congénères d’autres films… elle change et se multiplie à l’infini, et par simple contact peut prendre l’aspect et la conscience de ses victimes… Quand elle est démasquée, la créature se défend, s’échappe et altère le corps de ses «hôtes» jusqu’à former des magmas de chair gluante et grouillante, impossible à «saisir» visuellement pour le spectateur qui revit donc en même temps que les personnages les descriptions écrites par Lovecraft.   

Les locataires de la base 31 découvrent donc les capacités spéciales de l’intrus, ce qui les amène à se suspecter les uns les autres… quitte à se tromper de coupable. Avec sa maîtrise des cadrages en Cinémascope, Carpenter prend le spectateur à la gorge, ne le lâche jamais et l’amène à se poser en permanence la question durant tout le film : sitôt qu’un personnage sort du champ et réapparaît quelques instants plus tard, est-il encore lui-même ou une «Chose» ? Même le héros, le pilote McReady (Kurt Russell, excellent en meneur résigné), n’échappe pas à la suspicion… Ce qui nous amène à un second extrait, la scène la plus folle du film, et son sommet horrifique : les survivants de la base, persuadés que McReady est la Chose, ont tenté de le faire mourir de froid. «Mac» revient donc de très mauvaise humeur, et tient tout le monde en joue… la tension est à son comble alors que le placide Norris (Charles Hallahan) s’effondre, victime d’un malaise cardiaque. Le docteur Copper (Richard Dysart) tente de le ranimer…    

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Argh. Imaginez la réaction des spectateurs qui découvraient le film pour la première fois à sa sortie… S’ils pensaient avoir tout vu avec le dernier repas de John Hurt dans ALIEN, Carpenter leur fit un bel électrochoc ! L’extrait limite forcément un peu la perception de la scène, surtout les minutes précédentes, violentes, entre Mac et ses adversaires… en particulier le maître-chien Clark. Regardez bien le début de la scène : Carpenter focalise l’attention du spectateur sur la lame qu’il garde dans sa main, hors de vue de Mac, masqué par le cuisinier Naul (T.K. Carter). La tension de la séquence est donc focalisée sur le «duel» qui s’annonce entre Mac et Clark. Et en même temps, Carpenter va focaliser l’attention inconsciente du spectateur sur la réanimation, grâce à la lueur blafarde du bloc opératoire, dirigeant les regards sur le torse de Norris… Le reste de la séquence devient de la folie furieuse ! 

Ce n’est pas une, mais quatre métamorphoses que va subir le pauvre Norris : le ventre-bouche, vrai piège vivant fatal au docteur ; le «rejeton» jaillissant au plafond ; la tête qui se détache ; et celle-ci qui se transforme en «araignée de mer» à l’insu des personnages… Carpenter ose même l’humour noir en montrant la «chose-tête» attendant prudemment que la voie soit dégagée, pour filer en douce !   

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Mais ces séquences, aux effets magistralement exécutés, ne seraient pas aussi efficaces s’il n’y avait pas, tout d’abord, une histoire solide, et des personnages bien campés. Un bon casting de «gueules» aux traits distinctifs simples mais justes, qui fait que personne ne vole jamais vraiment la vedette aux autres comédiens. A commencer par Kurt Russell, qui se distingue en faisant de R.J. MacReady un héros intègre mais faillible s’intégrant sans difficulté aux autres personnages. Ceux-ci sont caractérisés impeccablement par Carpenter, qui s’attarde pour la première fois dans sa filmographie sur des gros plans insistants de chacun d’entre eux, captant la réaction significative de chaque individu face au danger. Incompréhension, colère, méfiance, doute, peur… Les acteurs jouent le jeu à fond pour nous donner le petit indice révélateur de leurs conflits – voir par exemple la réaction de Norris, désigné comme successeur du chef de mission Garry : «Je vous remercie beaucoup, mais… c’est pas dans mes cordes.» Le regard inquiet de Norris laisse deviner que celui-ci se sait contaminé… Une façon de jouer toute en retenue encouragée par Carpenter, qui par ailleurs développe durant tout le film une sorte d’humour à froid typique de sa personnalité. 

Entre leurs missions d’exploration et avant le déluge d’horreurs qui s’abattent sur eux, les hommes de la Base 31 vivent une situation passablement absurde. Une situation à la Samuel Beckett, où, à la façon des astronautes clochards de DARK STAR auxquels ils font inévitablement penser, les hommes trompent leur ennui profond en attendant que quelque chose arrive enfin. Jouer au ping-pong, au billard, dormir en écoutant, fumer un joint en regardant des vidéos de jeux télévisés… ils attendent Godot qui ne viendra jamais. En lieu et place, ils n’auront eu qu’un chien de traineau. «Dogot» !     

  

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A partir du thème classique de l’invasion extra-terrestre, THE THING a donné lieu à de multiples interprétations, validées par le comportement imprévisible de son monstre vedette. Carpenter avait une idée bien précise quand il a commencé à travailler sur le scénario avec Bill Lancaster. THE THING est une allégorie à plusieurs niveaux. L’insistance prononcée sur les scènes de chirurgie et d’autopsie, et celle apportée au développement de la créature qui peut affecter les cellules sanguines de ses victimes, ne laisse pas de place au doute. La paranoïa du film naît de la peur de la contagion. En 1981, au moment du tournage, on commence tout juste à découvrir l’existence d’une maladie mortelle, transmissible par l’échange de fluides corporels… Réalité et fiction se rejoignent donc pour parler en filigrane de la peur naissante du SIDA. Les grands films fantastiques de cette décennie, nés de «remakes» d’histoires classiques de science-fiction, traiteront à leur manière de cette maladie, et du thème plus général de la contagion ; d’ALIEN, en passant par THE THING, jusqu’à LA MOUCHE de David Cronenberg, ces films seront le reflet des peurs de l’époque. 

Chez Carpenter, la peur passe par l’insistance sur des détails apparemment insignifiants, comme par exemple un chien effleurant les hommes de la base à leur insu. Ou une colère de Nauls, le cuisinier, qui n’apprécie pas qu’on dépose du linge de corps dans ses poubelles… Des plans répétés sur les répugnants «fluides» émis par le monstre, même mort, ne laissent pas de place au doute. Pas plus que les images répétées de transfusions, de piqûres et de procédures médicales omniprésentes dans le film. Le malaise est renforcé par le choix de Carpenter de rester fidèle à la nouvelle de Campbell, et d’exclure les femmes de ce petit groupe. A la fois pour se différencier du film de Hawks et d’ALIEN alors encore dans toutes les mémoires, Carpenter enlève l’élément féminin. Il n’y a que de pauvres substituts à cette absence de personnel féminin : l’ordinateur à voix féminine que «grille» Mac en début de film, quelques photos sur les murs et les magazines, et c’est tout… Carpenter préfère faire naître la tension des relations entre les hommes, où s’instaure forcément un rapport de force et d’autorité virile entre chaque membre de la base : d’où les multiples conflits qui vont éclater entre les autorités désignées (Garry, le commandant de la base, vite dépassé, ou les médecins), les individualités fortes (MacReady, Childs, le maître-chien Clark) et les autres, plus «suiveurs» dans l’âme. La menace du monstre permet de porter ces conflits à leur intensité maximale dans la fameuse scène du test sanguin, qui fait le lien avec la peur de la contamination évoquée plus haut. La preuve par l’image !   

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Sans cette séquence, Carpenter ne faisait pas le film. Le suspense et le conflit y sont intelligemment gérés, jusqu’au «démasquage» du monstre. L’insistance des gros plans permet à la fois de comprendre la rivalité d’autorité entre Mac et les survivants, et l’angoisse de ne pas savoir qui est la Chose à ce moment du récit (encore qu’un plan révélateur soit notable avant la transformation de Palmer… regardez sa réaction quand Mac lui dit «à toi maintenant»). Plus un détail révélateur qui rajoute à l’angoisse de la scène : et si Mac se trompait quand il procède au test ? Quand il plonge l’aiguille dans le sang de Clark, qu’il a dû tuer, il n’y a aucune réaction… Childs lui fait remarquer qu’il vient donc d’assassiner un homme ordinaire. Impitoyable, Carpenter nous rappelle que dans ces relations de rivalité entre hommes, la peur pousse les protagonistes à accomplir un acte immoral, «mécanique». Tuer, ou être tué… Tant pis pour le pauvre Windows, double victime finale de la scène. Incapable d’agir, fasciné par la métamorphose de Palmer, il finit croqué et contaminé à son tour. Mac doit le tuer sans remords…    

  

D’autres thèmes viennent se mêler à ceux-ci durant le film. Celui de la répétition, de la duplication, qui est la nature de THE THING, le monstre et le film se mêlant l’un à l’autre. C’est un «faux remake» de LA CHOSE D’UN AUTRE MONDE, dont il se démarque assez vite, on l’a dit. Du film de Hawks, il ne demeure que quelques références d’ordre visuel : la vidéo des Norvégiens découvrant le vaisseau, le cercueil de glace découvert dans la base abandonnée… Les personnages du film de Carpenter découvrent en quelque sorte qu’ils sont les «doubles» malgré eux d’un autre film qui a déjà eu lieu, des années auparavant. Impression de dédoublement renforcée par les indices qu’ils découvrent dans la base norvégienne : une hache plantée dans une porte. Plus tard, Childs (Keith David), en pleine crise de paranoïa, va également défoncer une porte à coups de hache. Le cadavre d’un homme suicidé : Blair va nourrir des pensées suicidaires par la suite. Le sang gelé de cet homme, «muté» sous une forme étrange : il annonce le funeste moment du test sanguin. La découverte du vaisseau enfoui dans la glace : les survivants vont découvrir un autre vaisseau inachevé par le «traître» de l’expédition. Le tombeau de glace : les deux survivants, Mac et Childs, vont mourir de froid… La duplication de la Chose a donc fini par gagner le film lui-même.   

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Une autre allégorie possible est quasiment plus «blasphématoire», pour reprendre un adjectif cher à H.P. Lovecraft : THE THING est une relecture «inversée» des symboles religieux chrétiens. Peut-être faut-il y voir une forme d’humour très sardonique de John Carpenter vis-à-vis de la religion en général. On le serait à moins quand on a pour initiales «JC», et que votre nom de famille signifie «Charpentier»… Quoiqu’il en soit, le cinéaste ne se prive pas d’épingler souvent les faiblesses du pouvoir religieux dans ses films, et principalement le christianisme (voir les prêtres dépassés de FOG et PRINCE DES TENEBRES, l’église suspecte de L’ANTRE DE LA FOLIE, le rôle trouble du cardinal dans VAMPIRES).  Dans THE THING, Carpenter joue sur des symboles forts. Il y est question de douze hommes rassemblés pour rencontrer un «visiteur» venu des cieux. Une entité, peut-être une divinité (pour rester dans l’optique «lovecraftienne») capable de ressusciter à volonté. Comme les Apôtres, les douze hommes de la base se déplacent souvent par binômes, se réunissent autour des tables, tiennent des conciles réguliers et se rassemblent en cercle, comme pour communier. Il y a même un «Judas» dans l’équipe : le docteur Blair Wilford Brimley), mis à l’écart après son coup de folie. Mac le retrouve ensuite, isolé, un nœud coulant posé à côté de lui… C’est à la fois un signe évident des idées noires de Blair, mais aussi un signal adressé au spectateur par Carpenter. Selon les Evangiles, Judas, décrit comme l’apôtre marginal et dissident, se suicida par pendaison après avoir trahi Jésus. Blair comprend le premier la vraie nature du danger, mais son attitude le marginalise en conséquence : il pousse les autres à la méfiance paranoïaque («Surveillez Clark», «Fuchs n’est pas Fuchs»), devient violent avant tout le monde… avant de trahir ses congénères. 

Tout est à l’envers dans ce film fou… La «communion» que nous connaissons est née du partage symbolique de la chair et du sang divin sous forme de pain et de vin consommés par les Apôtres. Une sorte de «cannibalisme» rituel, symbolique et spirituel. S’il y a communion dans THE THING, elle est forcée et contrainte, et décrite sous son aspect le plus répulsif : la chair de la Chose, véritable tumeur vivante, absorbe la chair et l’esprit des hommes (voir le regard horrifié du premier contaminé, Benings, à la fois lui-même et un autre…). L’apparition de la créature finale est en quelque sorte le summum de cette communion dénaturée.    

On peut regretter par ailleurs que cet affrontement final entre Mac et la Chose soit quelque peu «expédié» en deux coups de cuillère à pot par Carpenter. Il n’a pas la force imaginative des scènes précédentes. Une explication simple : le réalisateur a dû faire un choix de montage drastique. La créature devait être montrée en détail par des plans larges, réalisés en stop-motion (la bonne vieille méthode du KING KONG original et des films de Ray Harryhausen), mais Carpenter jugeait que ces images saccadées ne s’intégraient pas aux mouvements plus fluides de la créature fabriquée et animée par Rob Bottin sur les plans rapprochés. Il a donc fallu alléger le film de ces images-là. Ce combat final devient du coup très abstrait, et intéresse moins Carpenter que la magnifique scène de conclusion entre Childs et Mac.   

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Pour le cinéaste, le constat sur la nature humaine est désabusé : il y a en chacun de nous une «Chose» potentielle, une part de Mal, et nous refusons de l’admettre… il est donc toujours plus facile de le voir chez l’Autre qu’en soi-même. Childs et McReady se jugent, attendent que l’autre devienne la Chose, tout en mourant de froid à petit feu… Pas de rétablissement salvateur, juste un final terriblement nihiliste, doté de répliques aux sous-entendus plein d’humour résigné. Il ne reste plus au spectateur embarqué dans le cauchemar qu’à espérer que l’expédition de secours ne retrouve jamais les deux hommes… autrement nous serons tous bientôt «amenés» à devenir une part de la Chose.    

THE THING a laissé des traces considérables dans l’esprit de ses spectateurs, en dépit de son accueil initial mitigé. Et il a inspiré quelques aspirants réalisateurs, dont deux célèbres réalisateurs, véritables encyclopédies cinéphiles vivantes. Quentin Tarantino ne s’est pas privé de glisser dans ses films les répliques cinglantes de R.J. MacReady, dont son fameux «Cut the bullshit». Il a même convaincu Kurt Russell de jouer les cascadeurs psychopathes dans son DEATH PROOF / BOULEVARD DE LA MORT, où l’acteur menaçait une bande de ravissantes jeunes femmes, parmi lesquelles Mary Elizabeth Winstead… Le héros du THING de 1982 s’en prend donc à l’héroïne du THING de 2011. 

Quant au mexicain Guillermo Del Toro, grand adorateur de films de monstres et de créatures à la Lovecraft, il a bien tenté de rendre hommage au film de Carpenter à plusieurs reprises ; notamment son film fantastique de 1997 MIMIC ; et le projet longtemps espéré d’adapter Lovecraft et ses MONTAGNES HALLUCINEES. Projet alléchant, hélas apparemment abandonné aux dernières nouvelles, la faute à la frilosité financière des studios… 

  

La fiche technique :    

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THE THING    

Réalisé par John CARPENTER   Scénario de Bill LANCASTER, d’après la nouvelle « Qui Va Là ? »  » de John W. CAMPBELL Jr.    

Avec : Kurt RUSSELL (R.J. MacReady), Wilford BRIMLEY (le Docteur Blair), T.K. CARTER (Nauls), David CLENNON (Palmer), Keith DAVID (Childs), Richard A. DYSART (le Docteur Copper), Charles HALLAHAN (Vance Norris), Peter MALONEY (George Bennings), Richard MASUR (Clark), Donald MOFFAT (Garry), Joel POLIS (Fuchs), Thomas G. WAITES (Windows)    

Produit par Stuart COHEN, David FOSTER, Larry J. FRANCO et Lawrence TURMAN (David Foster Productions / Turman-Foster Company / Universal Pictures)   Producteur Exécutif Wilbur STARK    

Musique Ennio MORRICONE   Photo Dean CUNDEY   Montage Todd C. RAMSAY   Casting Anita DANN    

Décors John J. LLOYD  Direction Artistique Henry LARRECQ   Costumes Ronald I. CAPLAN, Trish KEATING et Gilbert LOE    

1er Assistant Réalisateur Larry J. FRANCO 

Son Thomas CAUSEY, Gregg LANDAKER, Steve MASLOW et Bill VARNEY   Montage Son Colin C. MOUAT   Effets Spéciaux Sonores (NC) Alan HOWARTH 

Effets Spéciaux Visuels Randall William COOK, Peter KURAN, Susan TURNER et Albert WHITLOCK (Dreamstate Effects / Motion Graphics / Universal Title / VCE)   Effets Spéciaux de Maquillages et Animatroniques Rob BOTTIN ; Lance ANDERSON, Rob BURMAN et Stan WINSTON (Stan Winston Studio)   Effets Spéciaux de Plateau Roy ARBOGAST     Distribution USA : Universal Pictures / Distribution FRANCE : CIC   Durée : 1 heure 49  Sortie USA : 25 juin 1982 / Sortie France : 3 novembre 1982 

Quelque Chose en toi… – THE THING (1982), 1e partie

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    THE THING, de John CARPENTER (1982)    

Avant toute chose… «ALERTE SPOILERS» ! Si vous n’avez jamais vu THE THING, «la» version de 1982, et que vous souhaitez le découvrir au cours d’une prochaine soirée (après tout, Halloween approchant, c’est toujours une bon prétexte de se faire peur grâce au DVD), je vous déconseille de regarder les extraits présentés dans ce texte, qui révèlent des moments choc du film. Ne lisez pas non plus ce qui suit, puisque là aussi, certaines scènes seront évoquées en détail. Et, en règle générale, si vous êtes un esprit sensible… si vous adorez les chiens… et si vous n’aimez pas les films d’horreur, NE REGARDEZ PAS CE QUI VA SUIVRE, VOUS ÊTES PREVENUS !!      Souvenez-vous… : l’Antarctique, au début de l’hiver austral. Le survol de la base de recherches numéro 31 par un hélicoptère norvégien vient tirer les douze hommes, américains, de leurs occupations quotidiennes. Le passager de l’hélicoptère tente d’abattre à coups de fusil le chien de traîneau qui se précipite vers eux… Les deux norvégiens affolés, hurlent des cris incompréhensibles aux membres de la base. Ils sont vite tués – le tireur étant abattu sans sommation par Garry (Donald Moffat), le commandant de la base. Le chien est aussitôt recueilli, et l’on décide d’enquêter sur le coup de folie inexplicable, survenu dans la base norvégienne voisine. Le pilote R.J. MacReady (Kurt Russell) et le docteur Copper (Richard Dysart) découvrent celle-ci déserte, entièrement détruite… Parmi de macabres indices, ils trouvent un cadavre calciné, aux formes humaines démentes, fusionnées, impossibles à saisir d’un seul coup d’œil… MacReady et Copper ramènent le cadavre à leur base, ainsi que le journal vidéo des Norvégiens, espérant comprendre la raison cachée derrière ces inquiétants évènements. Sans se douter que le cauchemar se trouve déjà caché parmi eux…   

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Comme cela a souvent été le cas dans la filmographie de John Carpenter, le statut de film «culte» de THE THING s’est souvent développé sur le long terme. Le cinéaste américain, maître du film de terreur, n’a jamais connu de véritable triomphe grand public, mais certains de ses films comme HALLOWEEN (1978), pionnier ingénieux du «slasher movie», ont connu un succès foudroyant comparé à la maigreur initiale de leur budget. D’autres ont eu des fortunes moins heureuses, mais il ne fait aucun doute que, pour les connaisseurs de son œuvre, il y a une «patte» totalement identifiable, qui fait de Carpenter un auteur unique dans le cinéma fantastique américain trop souvent stéréotypé. Au point que des producteurs opportunistes ont souvent tenté de s’approprier ses films pour exploiter leur titre et les assimiler aux nouvelles modes. Les amateurs préfèrent à raison oublier les remakes d’autres films du grand John : THE FOG, ou ASSAUT (devenu ASSAUT SUR LE CENTRAL 13)… en attendant une nouvelle version d’ESCAPE FROM NEW YORK (NEW YORK 1997) qui devrait bientôt apparaître. Le principal intéressé, avec son sens de l’humour très laconique, préfère généralement éluder le sujet quand on lui demande ce qu’il pense de ces nouvelles versions… THE THING vient donc, après de longues années de «development hell» (encore un terme barbare désignant à Hollywood le très long processus de développement d’un scénario en film prêt à être tourné…), de vivre un traitement similaire. Au vu des premières images diffusées sur la bande-annonce, et des avis d’internautes ayant vu le film, THE THING cuvée 2011 serait finalement très respectueuse du film de Carpenter : non pas une suite mais une «préquelle», prélude montrant ce qui s’est passé dans certaine base antarctique norvégienne avant le début du film de Carpenter. On veut bien accorder le bénéfice du doute au réalisateur Mathijs van Heijningen Jr. et à ses acteurs vedettes Mary Elisabeth Winstead et Adewale Akinnuoye-Agbaje pour avoir fait un film de bonne facture. En tous les cas, pour la prononciation des noms des vedettes, le film en impose… Essayez de dire les trois en une seule phrase, vos amis vont être admiratifs. Plus sérieusement, la bande-annonce donne justement l’impression d’avoir affaire à un «copié-collé» du style cinématographique de Carpenter, adapté à l’imagerie numérique contemporaine. Ce qui est assez savoureux par ailleurs, c’est que ce THING 2011 s’est développé à partir du film de 1982, lui-même étant une adaptation «libre» d’un vieux classique de la science-fiction des années 1950, LA CHOSE D’UN AUTRE MONDE, lui-même adapté d’une nouvelle de 1938, intitulée QUI VA LA ? La fameuse «Chose», créature extra-terrestre décrite dans ces histoires ayant pour particularité de se développer dans un organisme vivant pour le dupliquer (le «remaker» en quelque sorte), on se demande si elle n’a pas fini par s’emparer de sa propre histoire, pour se reproduire à l’infini d’un film à l’autre, et assurer ainsi sa survie…

   

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QUI VA LA ? est une nouvelle de science-fiction et de suspense, due à John W. Campbell, qui la publia en août 1938, dans la revue Astounding Science Fiction (précédemment Astounding Stories) dont il était le rédacteur en chef. C’était alors la grande vague des magazines «pulps» où, pour quelques cents, le jeune lecteur américain pouvait lire histoires policières, récits d’aventures et de science-fiction, alléché par des couvertures peintes, pleines de charmantes pinups légèrement vêtues, de héros virils et de monstres tentaculaires, peintures faisant maintenant le bonheur des collectionneurs. Peu importait la qualité des illustrations intérieures, du papier du magazine ou des récits, l’évasion était garantie à peu de frais ! Et de temps en temps, le lecteur pouvait tomber sur de vraies pépites. Homme pratique, Campbell dénicha d’ailleurs pas mal de futurs grands talents littéraires et les lancer dans les pages de sa revue : Alfred Van Vogt, Theodore Sturgeon, Robert Heinlein, Clifford Simak et consorts, piliers d’une nouvelle science-fiction qui connut son apogée dans les décennies suivantes, firent ainsi leurs premiers pas en écrivant des nouvelles «au kilomètre» dans la revue de Campbell. Celui-ci fut bien moins inspiré par la suite, quand il se laissera séduire par l’abracadabrante «dianétique» de L. Ron Hubbard, écrivaillon de SF devenu fondateur d’une pseudo-religion d’escrocs hélas bien développée de nos jours, la scientologie…  S’il n’était pas un grand écrivain, Campbell savait reconnaître une bonne histoire et savait aussi en raconter, dans le style sec et concis propre aux «pulps». QUI VA LA est un petit classique du genre, une histoire d’une efficacité imparable : un groupe d’explorateurs de l’Antarctique découvre un vaisseau spatial enfoui dans les glaces, mais a la mauvaise idée de ramener à leur base son occupant apparemment mort… une créature sanguinaire qui peut prendre l’aspect de n’importe qui. Voilà une idée simple, qui fournit un récit solide, devant quand même beaucoup aux idées d’un certain H.P. Lovecraft et notamment sa nouvelle LES MONTAGNES HALLUCINEES, écrite en 1931 et publiée en 1936… dans les pages de la revue de Campbell, Astounding Stories ! L’influence «lovecraftienne» rejaillira d’ailleurs plus tard dans le film de John Carpenter, nous y reviendrons.    

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La nouvelle de Campbell obtient un certain succès, au point d’attirer l’attention du grand cinéaste Howard Hawks (l’original SCARFACE, L’IMPOSSIBLE MONSIEUR BEBE, LE GRAND SOMMEIL, LA RIVIERE ROUGE) au début des années 1950. Le cinéma américain s’intéresse tout juste alors à la science-fiction dans un contexte propice, le début de la Guerre Froide ; un récit comme celui de Campbell, parlant de suspicion généralisée et de menaces venues du Ciel, permet à Hawks et ses amis scénaristes Charles Lederer et Ben Hecht de l’adapter à l’ambiance de l’époque. 

Sortie en 1951, LA CHOSE D’UN AUTRE MONDE, produite et supervisée par Hawks, voit sa mise en scène confiée à Christian Nyby, son habituel chef monteur. Cette adaptation très libre de la nouvelle de John W. Campbell Jr. est restée un classique du récit d’invasion extra-terrestre, se reposant sur un cadre original propice à la claustrophobie (assurée par les éclairages inquiétants du chef opérateur Russell Harlan), et sur l’angoissante partition signée de Dimitri Tiomkin. Cependant, le film a plutôt mal passé le cap des années, baignant dans une atmosphère «patriotique» assez balourde, une allégorie anti-Communiste pesante, typique de l’époque de paranoïa et de chasse aux sorcières maccarthyste qui régnait alors. Les scientifiques trop curieux (des intellectuels trop «ouverts d’esprit» aux yeux de Hawks ?) veulent protéger et étudier la créature (au look plus proche du Monstre de Frankenstein que de l’entité changeante du récit de Campbell), tandis que les militaires, forcément courageux, ne s’embarrassent pas de principes pour décider son extermination. Le reporter invité sur place, aux ordres de ces derniers, conclut le film d’un «Watch the Skies» très patriotique : il ne faudrait quand même pas que les concitoyens américains s’alarment de l’apparition dans le ciel d’autres visiteurs des cieux, probablement «satellisés» par Moscou ! Malgré ses défauts et son ton grandiloquent, le film de Hawks a une influence notable sur nombre de jeunes spectateurs amoureux du genre, et pour qui la métaphore anticommuniste n’a sans doute alors que peu d’intérêt. Deux d’entre eux se nomment John Carpenter et Dan O’Bannon. Fervent admirateur du cinéma de Howard Hawks, Carpenter, adulte, ne se privera pas de citer LA CHOSE dans ses premières œuvres : notamment ASSAUT, qui en reprend certains thèmes (l’enfermement progressif des personnages, la présence d’une femme qui vient perturber un milieu très viril…), et HALLOWEEN, où la télévision montre la scène la plus identifiée au film de Hawks : les scientifiques formant un cercle autour du vaisseau enfoui dans les glaces. Camarade de Carpenter, Dan O’Bannon a travaillé avec ce dernier sur son premier film, DARK STAR, en 1974. A la même époque, O’Bannon travaille à l’adaptation avortée de DUNE, puis bricolera des effets visuels sur un certain STAR WARS de George Lucas, tout en s’attelant à l’écriture d’un scénario mêlant science-fiction et terreur, scénario délibérément inspiré par la nouvelle de Campbell et le film de Hawks, cette fois transposés à bord d’un vaisseau spatial. Un certain ALIEN…    

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En 1979, ALIEN, réalisé par Ridley Scott, arrive sur les écrans et terrorise toute une génération de spectateurs. L’histoire est d’une simplicité absolue, et très familière aux amateurs du genre qui y reconnaissent l’influence du récit de Campbell : une expédition ramène dans son vaisseau une créature protéiforme, insaisissable et meurtrière ; en proie à la peur, le petit groupe se voit éliminé les uns après les autres, à la façon des 10 PETITS NEGRES d’Agatha Christie… Le talent de Scott, en terme d’ambiance, de montage, de direction artistique (la contribution du peintre suisse surréaliste H.R. Giger pour les créatures) et de travail sur le son fait la différence, et transforme ce qui s’annonçait comme une modeste série B sans prétention en chef-d’œuvre d’angoisse. Le film fait une forte impression sur John Carpenter, qui y reconnaît sans doute aussi quelques éléments provenant de DARK STAR (surtout les scènes où Dan O’Bannon, justement, est persécuté par un alien burlesque en forme de ballon de plage !). Carpenter a le vent en poupe après ses premiers succès, et prépare alors sa propre version de QUI VA LA ? avec le scénariste Bill Lancaster, le fils de Burt Lancaster, et les producteurs David Foster et Lawrence Turman qui avaient d’abord envisagé Tobe Hooper, l’homme de MASSACRE A LA TRONCONNEUSE. L’objectif de Carpenter n’est pas uniquement d’égaler ALIEN, mais surtout de réinterpréter un vieux classique qu’il adore, à condition toutefois de s’en éloigner pour y glisser ses propres obsessions, sa propre vision. Carpenter et Lancaster s’inspirent donc plus du récit original de Campbell que du film de Hawks. Pour faire aussi bien que Ridley Scott sans l’imiter, Carpenter va notamment prendre la décision de «tout montrer» en ce qui concerne son monstre vedette : si Scott jouait la carte de la suggestion (le monstre reste finalement très fugace, et seuls les derniers plans trahissent le comédien dans le costume), Carpenter va prendre le pari de « débusquer » son monstre vedette en pleine lumière, et de le rendre crédible. Pour cela, il se tourne vers un jeune artiste d’effets spéciaux surdoué, Rob Bottin, pour offrir au public les visions d’horreur «en live», scènes apparemment impossibles à réaliser avant l’ère des effets numériques ! 

Le studio Universal donne le feu vert à Carpenter en 1981. Pour son premier film produit par une «major», Carpenter rassemble autour de lui de vieux complices comme le chef-opérateur Dean Cundey (futur collaborateur de Robert Zemeckis et de Steven Spielberg), et son comédien vedette d’ESCAPE FROM NEW YORK, Kurt Russell. Ce dernier est assez vite choisi par Carpenter pour le rôle principal de R.J. McReady, pilote d’hélicoptère de la Base 31, un rôle un temps imaginé pour Clint Eastwood (les storyboards du film prêtent d’ailleurs à McReady les traits de Clint). Mais ce dernier ne donnera pas suite, sans doute en raison de son association de longue date avec le studio rival de la Warner. Pour l’anecdote, Clint se souviendra sans doute du cinéma de Carpenter, engageant par exemple deux des acteurs de THE THING, Charles Hallahan et Richard Dysart, pour jouer les méchants de PALE RIDER ; et des années plus tard, un extrait d’un film de Carpenter, VAMPIRES, apparaîtra à la télévision dans une des meilleures scènes de MYSTIC RIVER…

  

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Quoiqu’il en soit, Carpenter se tourne sans difficultés vers son copain Kurt Russell ; ancien enfant acteur des films de Disney devenu un solide comédien, Russell travaille pour la troisième fois avec Carpenter après le téléfilm ELVIS et ESCAPE… qui l’a consacré dans le rôle du mercenaire borgne Snake Plissken. Avec les onze autres comédiens du film, Carpenter, Russell et toute l’équipe de tournage se rendent à Stewart, en Colombie Britannique Canadienne, pour tourner les extérieurs en conditions réelles… En soi, ce début de tournage est une sacrée aventure : entre le bus des acteurs qui dérape sur les routes verglacées et manque de précipiter tout le monde dans un ravin, et le matériel technique mis à mal par le froid et la neige, le tournage de THE THING se déroule dans des conditions difficiles… Mais heureusement, tout ce petit monde garde la tête froide et boucle le tournage dans les temps.    L’équipe se retrouve ensuite en huis clos dans les studios d’Universal pour tourner les scènes d’intérieur. Comme il faut bien maintenir l’ambiance «polaire» nécessaire au récit, acteurs et techniciens passent de longues heures dans des températures hivernales contrastant avec le brûlant soleil californien au dehors… Rhumes et grippes frappent donc presque tout le monde en conséquence de ce «chaud et froid» permanent dès que chacun sort après une journée de travail… Les acteurs garderont un souvenir amusé, par ailleurs, des réactions horrifiées à la cantine d’Universal dès qu’ils venaient prendre leur repas, portant les maquillages sanglants que leur a concocté Rob Bottin !    

Impossible de parler de THE THING sans parler de ce sacré personnage qu’est Rob Bottin… Le cinéma fantastique des années 1980 a vu émerger une génération de génies des effets spéciaux de maquillages, grands spécialistes ès créatures monstrueuses devenues légendaires ; et, aux côtés d’un Rick Baker et d’un Stan Winston, Bottin s’est vite imposé comme un artiste brillant et passablement barré. Découvert par Baker, Bottin n’a que 22 ans lorsqu’il embarque dans l’aventure de THE THING. Géant barbu perpétuellement hilare dans ses interviews, le gaillard a déjà travaillé pour John Carpenter, créant les spectres vengeurs de FOG ; mais surtout, il vient d’affoler et d’enthousiasmer les amateurs de fantastique en créant des séquences de métamorphoses «en chair et en os» pour les loups-garous de HURLEMENTS de Joe Dante, en 1981. John Carpenter, déjà convaincu du talent du lascar, l’engage sans hésiter pour créer des scènes encore plus démentielles pour THE THING. Sur les recommandations de ce dernier, Bottin prépare en amont du tournage les scènes de mutations avec un dessinateur-illustrateur surdoué venu de la bande dessinée, Mike Ploog (créateur du Ghost Rider), et ils mettent «au propre» les abominations qui vont frapper les hommes de la Base 31… Les dessins en question sont détaillés, beaucoup ne seront pas finalisés compte tenu des limitations techniques de l’époque, mais ne laissent aucun doute sur le côté inédit, graphique et organique des manifestations de la Chose protéiforme. 

  

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Elaborant une technique d’effets spéciaux mêlant les maquillages traditionnels, les effets mécaniques et l’animation commandée à distance, Bottin se pose en pionnier de l’animatronique, technique désormais reconnue qui a permis de donner vie aux créatures fantastiques pour le grand écran. Le jeune homme est si passionné par sa tâche qu’il se démène pendant des mois pour créer des transformations jamais vues : le cadavre «fusionné» découvert dans la base norvégienne, les métamorphoses des victimes du monstre, l’ «assemblage» final contre-nature qu’affronte McReady (Kurt Russell)… La technique inédite étant ce qu’elle est, il y a parfois des plantages fâcheux en cours de route (telle «l’explosion» du faux torse de l’acteur Charles Hallahan… une journée de travail fichue en l’air) mais Bottin ne s’avoue pas vaincu… au point de passer ses nuits dans le studio, de passer ses jours à malaxer des produits pas très sains (dont des composants chimiques de gélatine et de chewing-gum !), et de s’épuiser au travail. Victime d’un sévère «burn-out», Bottin doit être emmené à l’hôpital. Pour une scène cruciale, la première attaque du monstre, Carpenter doit appeler à la rescousse Stan Winston, chargé de fabriquer et animer le monstre selon les préparatifs de Bottin.   

Voici l’extrait en question – une scène de cauchemar qui commence dans un chenil glacial. Clark (Richard Masur) y enferme l’unique survivant de la base norvégienne, un chien trop calme… qui va révéler sa vraie nature aux malheureux toutous et à leurs maîtres horrifiés.    

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Pauvres chiens… Et ce n’est que le début du film, c’est encore plus horrible après ! Une leçon de mise en scène à suivre en tout cas pour tout amateur de film de terreur. Le spectateur est déjà bien mis en condition avant l’attaque proprement dite ; Clark (Richard Masur) est séparé des autres, prenant donc le risque traditionnel d’être la première victime dans tout film d’horreur. Mais Carpenter sait retarder le moment attendu. Il provoque le malaise du spectateur en insistant sur l’immobilité absolue du chien, et son regard vide. Une attitude familière aux films de Carpenter, qui aime faire grimper la tension en montrant des «menaces immobiles». Voir par exemple les inquiétants clochards de PRINCE DES TENEBRES, tout aussi immobiles et dénués de vie avant l’attaque. Les protagonistes de ce film les croient schizophrènes… on peut en dire autant de la part du chien ici. A la première vision de la scène, le spectateur non préparé peut croire que le toutou a été traumatisé par les évènements antérieurs survenus chez les norvégiens…  La «mise en condition» du spectateur se fait par petites touches adroites :  - les cadrages : Carpenter prend d’abord une légère distance par rapport à l’entrée du chien dans le chenil, action vue du point de vue de Clark. Puis il «enferme» le spectateur dans le chenil, mettant celui-ci à la même place que les infortunées victimes canines… 

- la lumière : Clark éteint le chenil, rajoutant encore à la claustrophobie de la scène. Une basse lumière, très froide, de Dean Cundey, qui enlève toute «vie» à la scène et ne laisse aucun doute sur le sort des malheureux chiens, tout en laissant juste ce qu’il faut de lumière pour apercevoir les détails de l’horrible transformation. - et le son : les gémissements des chiens à moitié assoupis, le bruit du vent glacial… et ce son d’outre-tombe qui semble littéralement sortir du ventre de l’intrus… Tout le reste de la séquence découle de cette mise en condition impeccablement menée. Un montage et un découpage adroit, avec un usage bien géré de la profondeur de champ quand les membres de la base arrivent dans le couloir, et des angles de caméra placés au meilleur endroit pour nous faire partager l’horreur ressentie par McReady et ses alliés.  

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Influencé par des artistes comme Salvador Dali, Edvard Munch ou Francis Bacon, Bottin déchaine son imagination pour créer des corps éclatés, disloqués, fondus… un fantastique catalogue d’horreurs sorties des cauchemars de H.P. Lovecraft, impeccablement mises en valeur par Carpenter et Dean Cundey. Le travail de Bottin est unanimement salué, et va propulser en avant le jeune maître ès métamorphoses. Sous d’autres latitudes et à une autre époque, ses créations auraient sans doute fait de lui un authentique Surréaliste. Sa carrière cinématographique va en tous les cas s’envoler pendant deux décennies, et le faire travailler avec des pointures. Jugez donc : Joe Dante (le segment «toonesque»du film TWILIGHT ZONE / LA QUATRIEME DIMENSION de 1983, EXPLORERS en 1985 et INNERSPACE / L’AVENTURE INTERIEURE en 1987) ; Ridley Scott (LEGEND et son magnifique Prince des Ténèbres, en 1985) ; George Miller (LES SORCIERES D’EASTWICK, 1987), en 1987 ; trois films pour le hollandais fou Paul Verhoeven, ROBOCOP en 1987, TOTAL RECALL en 1990 et BASIC INSTINCT en 1992 ; deux films pour David Fincher – SEVEN en 1995 et FIGHT CLUB en 1999. Citons aussi ses collaborations avec Barry Levinson (TOYS), Brian DePalma (MISSION IMPOSSIBLE – avec les tous premiers maquillages numériques), Terry Gilliam (LAS VEGAS PARANO), Stephen Sommers (DEEP RISING / UN CRI DANS L’OCEAN)…    

Une carrière incroyablement créative, mais aussi terriblement courte ; après deux décennies fructueuses, et tandis que ses congénères Rick Baker et Stan Winston s’adaptent sans difficultés au passage aux effets numériques tout en conservant leur savoir-faire initial, l’inclassable Bottin va disparaître inexplicablement du milieu du cinéma… Plus rien depuis 2002 et une modeste contribution à une comédie d’Adam Sandler. Depuis, les «geeks» nostalgiques de THE THING, LEGEND et autres HURLEMENTS recherchent désespérément sa trace… Mais où est donc passé le météore Rob Bottin ?  

  

A suivre tout de suite dans la 2e Partie !

Nouvelle rubrique « Retour sur… »

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Plus de trois ans d’existence pour ce blog qui a dépassé les 100 000 visiteurs depuis plusieurs mois déjà !  

L’occasion pour moi d’adresser un grand merci affectueux à tous ceux, ma famille, mes amis, mes proches et tous ceux qui sont venus lire des textes de plus en plus copieux au fil du temps, et qui ne cessent de m’encourager dans cette voie. Un énorme merci également adressé à tous les internautes qui auront jeté un œil sur ces pages, j’espère que vous continuerez à visiter celles-ci. N’hésitez pas à écrire, remarques, louanges ou critiques (constructives, cela va de soi) sont toujours les bienvenues.    

Constatant que depuis ce temps, les seuls films passés au crible étaient les sorties récentes, il me semblait dommage de passer à côté de l’occasion de revisiter des films plus anciens. Difficile de trouver un angle d’approche solide pour parler de films des années 1960, 1950, etc. … ou relativement plus récents, comme ceux des années 1970 et 1980 qui font maintenant partie des «grands anciens» aux yeux du jeune public. Finalement, la profusion des remakes, «préquelles», et autres «spin-offs», bref de tous ces barbarismes à l’anglaise fleurissant dans le langage courant, m’a donné une idée pour une nouvelle rubrique : faire un retour sur un classique, un «film culte» qui est entré dans les mémoires cinéphiles au fil des ans, au point qu’une nouvelle version sort sur les écrans.    

«Les remakes, c’est nul…»

On connaît la chanson depuis longtemps, mais le but de cette rubrique n’est pas de commenter si cela se confirme à tout bout de champ… Certes, le procédé provoque souvent la colère justifiée des amoureux du film original «copié» avec plus ou moins d’inspiration… Mais il en existe par ailleurs d’autres totalement défendables (comme LES SEPT MERCENAIRES, par exemple, qui n’a pas à rougir par rapport à son illustre modèle, LES SEPT SAMOURAIS). Là n’est pas le sujet de ce texte. 

Il s’agit de revenir en détail sur l’œuvre originale, d’essayer de comprendre ce qui fait sa réussite, que ce soit son travail de mise en scène ou bien son rapport avec son époque. C’est aussi l’occasion de faire découvrir le film original à ceux qui l’auraient manqué, et de revenir sur des films parfois très mal accueillis à leur sortie, mais que le temps et la mémoire collective ont finalement rétablis à leur juste valeur.    

Le film inaugurant cette rubrique a justement eu droit à un accueil semblable en 1982, année bénie du Fantastique, avant d’avoir de nos jours droit à une «préquelle» que vous pouvez voir en ce moment sur les écrans. Enfilez vos parkas, équipez-vous d’un lance-flammes, méfiez-vous des chiens de traineau trop calmes comme de vos coéquipiers… Et mettez le cap sur une base scientifique au fin fond de l’Antarctique, dans un enfer concocté par un maître en la matière. On s’y sent… tout chose !   

Ludovic Fauchier

La Grande Désillusion – HABEMUS PAPAM

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HABEMUS PAPAM, de Nanni MORETTI  

Après avoir intelligemment «taclé» Silvio Berlusconi avec LE CAÏMAN, le réalisateur et comédien Nanni Moretti persiste dans la relecture humoristique de la toute-puissance religieuse catholique, si profondément mêlée à la culture italienne. Le réalisateur, héritier de la grande comédie de son pays natal, livre ici une œuvre d’une grande finesse. 

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Avec HABEMUS PAPAM comme ses précédents films, Moretti se pose comme l’héritier et continuateur de la grande comédie à l’italienne, celle qui fit le bonheur des réalisateurs tels que Dino Risi, Ettore Scola, Mario Monicelli, Luigi Comencini, et garantit le succès du cinéma italien des années 1950 à 1980… soit à peu près au moment où Sardanapale Bungasconi arriva au pouvoir, soutenu par le succès populaire de la télévision la plus rince-neurones qui soit. L’Italie en perdit presque totalement son cinéma, et quelques braves comme Moretti continuèrent le combat, bien isolés face à la machine berlusconienne. 

La comédie à l’italienne méritant bien à elle seule un long ouvrage, vouloir la définir en une phrase est impossible… surtout quand l’auteur de ces lignes, véritable cuistre à la Achille Talon, n’a dû voir en tout et pour tout qu’un seul film. C’est un mélange délicat entre le rire franc (à ne pas confondre avec la gaudriole ou la parodie), la satire grinçante et la tristesse… Autant dire que nous sommes servis avec HABEMUS PAPAM, qui prend pour cible le Vatican et ses affaires internes. Avec un sujet pareil, Moretti prenait tout de même des risques évidents, le catholicisme incitant rarement à rire… Le comédien-réalisateur est heureusement assez intelligent pour éviter la charge anticléricale balourde, incitant plutôt le spectateur à sourire des défauts bien humains de ses cardinaux affolés par une situation inattendue.    

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De ce point de vue, le film est une réussite incontestable. Moretti dépeint ses saints hommes comme de grands enfants, qui, malgré le poids des responsabilités, n’en continuent pas moins d’être de grands enfants. Plusieurs scènes «croquant» les cardinaux sont irrésistibles : le vote du Conclave, empreint de sérieux et de solennité, est décrit comme un véritable «bachotage», où l’on n’hésite pas à regarder par-dessus l’épaule du voisin, comme à l’école ! Forcés de rester dans les murs du Vatican, certains voudraient bien pourtant prendre la poudre d’escampette et faire du tourisme ; d’autres, la nuit, pleurent leur chère maman… Et ainsi de suite jusqu’à ce que le psychiatre (Moretti, très drôle dans un rôle à la Vittorio Gassman) décide de prendre les choses en main en organisant un tournoi international de volley-ball !  Compétition hautement libératrice pour ces nobles vieillards qui, petit à petit, se prennent au jeu, s’enguirlandent et se réjouissent comme des mômes en cour de récréation. Même le très sérieux psychiatre se laisse entraîner par l’enthousiasme général, tout en débattant avec un cardinal du bien-fondé du darwinisme, qui ne passe toujours pas dans certains milieux religieux… En attendant, qu’il est bon pour les saints hommes de «lâcher prise» de temps en temps et de retrouver un peu de spontanéité enfantine disparue sous le poids des ans et le devoir religieux ! Du moins jusqu’à ce que la réalité vienne sonner la fin de la récréation et ramener ces bons cardinaux à leurs obligations. Seul le psy, dans la cour, crie sa frustration de ne pas pouvoir arbitrer les phases finales du premier tournoi de volley jamais effectué au Vatican ! La comédie est finie…     

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Au-delà de ces savoureuses scènes de volley pontifical, HABEMUS PAPAM développe un scénario très habile. Un thème se dégage : l’illusion, les faux-semblants et le spectacle remis en question par Moretti et ses coscénaristes. Tout est devenu spectacle dans l’Italie berlusconienne, et même le très sérieux Vatican n’échappe pas à cette redoutable «médiacratie». Sur la Place Saint-Pierre, des milliers de fidèles attendent la grande nouvelle, comme autant de spectateurs attendant impatiemment le début d’un «show» savamment organisé, avec son suspens imprévu (les tours de vote puis l’absence du Pape qu’il faut bien commenter et «combler» à outrance…). Les reporters et commentateurs, chœurs antiques contemporains, participent au spectacle et à sa mise en abîme. Envahissants au possible, ils surlignent le passage des cardinaux en route vers le vote, les apostrophant pour leur demander leurs chances comme à des footballeurs avant le coup d’envoi d’un match ! Et comme la télévision a horreur du vide, ils commentent, ils commentent, ils commentent… pour «meubler» l’embarrassant silence du nouveau Pape, pour le bien de l’audimat… Et comme il faut bien se faire aider – ou se faire mousser – de temps en temps, on convoque un expert chargé de «décrypter» l’absence papale à coups de formules savantes… Le dit expert finit par craquer et avouer en direct son incompétence totale à comprendre ce qui se passe derrière les murs du Vatican ! Encore un beau coup de griffe de Moretti à l’égard des «baudruches» télévisuelles de Berlusconi et consorts… 

Le spectacle est aussi à l’intérieur du Vatican ; d’abord avec cette hilarante consultation «privée» entre le Pape et le psychiatre… règlement religieux oblige, la consultation a lieu sous l’œil des membres du Conclave, spectateurs de ce curieux spectacle qui indispose médecin et patient. Le Porte-Parole, savoureux personnage très slave dans l’âme (excellent Jerzy Stuhr), déploie quant à lui des trésors de langue de bois pour amadouer la presse télévisée, avant d’improviser une autre mise en scène destinée à calmer les cardinaux : il «engage» en secret un débonnaire Garde Suisse pour faire croire à la présence du Pape dans ses appartements. Le Garde, devenu donc la doublure de la «star», improvise des petites saynètes derrière les rideaux pour rassurer le public du Conclave… et profiter au passage des avantages matériels de son poste de «Saint Père» de substitution !  Et pendant ce temps, le vrai Pape, prenant la poudre d’escampette, a une révélation : «je suis un acteur !». Il revient à ses premières amours, tente d’auditionner, croise un comédien qui finit aux urgences psychiatriques, et retrouve celui-ci à la première de LA MOUETTE, la célèbre pièce de Tchekhov, chassé-croisé d’artistes et d’acteurs… Moretti boucle la boucle en montrant les cardinaux envahir la salle de théâtre, à la recherche de leur guide spirituel… l’acteur «perturbé» croit qu’ils viennent l’applaudir ! C’est le triomphe de la grande (dés)illusion du spectacle.    

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Par-delà ces critiques menées avec humour sur les excès de la société du spectacle permanent, Moretti, en bon héritier de la comédie italienne, raconte aussi la tristesse, la détresse profonde d’un vieil homme, vivant à la fois le sommet de son existence et le bilan de celle-ci. Le rire cède la place à l’émotion pure, aidé en cela par le jeu parfait de Michel Piccoli. L’acteur du MEPRIS conserve à 86 ans une intelligence de jeu exceptionnelle. Un regard, une intonation, un geste… Piccoli, tout en retenue, réussit à émouvoir et à faire partager au spectateur la tragédie de son personnage.  Ce vieux cardinal devenu Pape «par accident» porte un nom évocateur : Melville. Plus que la référence cinéphilique au pseudonyme adopté par un très grand cinéaste français, il faut sans doute remonter à la source et se rappeler d’Herman Melville, le grand écrivain universellement connu pour MOBY DICK. L’œuvre littéraire de Melville, immense, ne se réduisait pas certes à ce seul titre ; elle en fit un précurseur de l’existentialisme et de l’absurde, un thème qui somme toute s’accorde tout à fait à l’esprit de HABEMUS PAPAM. Le Saint Père pousse un cri au moment de son intronisation officielle, un cri qui trahit son désarroi. Il va confier bien après la raison de ce cri : un terrible sentiment de perte qui le travaillait depuis longtemps et qui «éclate» au moment fatidique. Comment peut-on guider les âmes de millions de fervents croyants dans le monde, quand on doute tellement de soi ? Et pire encore, que l’on se sent enserré par un terrible sentiment de vacuité, de vide intérieur ?

Le Pape va donc mener une fuite en avant, loin des pressions de la charge pontificale, et revisiter ses souvenirs une dernière fois, en déambulant dans Rome. Revivre quelques instants d’enfance (la dispute des enfants de la psychiatre, faisant écho à ses propres disputes avec sa sœur), ou côtoyer la communauté des acteurs, joyeuse, désordonnée, n’est-ce pas finalement la même chose pour lui ? Le choix de Moretti de montrer une mise en scène de LA MOUETTE n’est pas le fruit du hasard : la pièce de Tchekhov, tragique sous sa fausse apparence de comédie, décrit aussi les chassés-croisés de comédiens passant à côté de l’Amour véritable… peut-être l’histoire d’un «gâchis» spirituel par des personnages masquant le vide de leurs propres existences par de mauvais choix. La pièce reflète donc le drame intérieur vécu par le Pape, la prise de conscience d’un vide spirituel terrible qui rejaillit sur les autres personnages ; tels le Porte-parole qui finit par avouer aux cardinaux les avoir menés en bateau pendant plusieurs jours, ou du prétendu expert télévisé qui craque en direct…. Ce sentiment de vacuité terrible, Moretti va finalement le transmettre dans son ultime séquence. Le Pape accepte donc, apparemment, de se soumettre à ses devoirs de guide spirituel et d’apparaître enfin aux fidèles. Tout va-t-il rentrer dans l’ordre ? … Non. Le Pape décide l’impensable : dire la vérité à son «public» sur sa propre détresse, et refuser définitivement d’être le Saint Père. Consternation chez les cardinaux, qui prennent le Ciel à témoin, sans réponse de sa part. Consternation chez les croyants, qui quittent la Place Saint-Pierre. 

Les cieux sont vides, la place est vide… On a rompu le contact avec Dieu. HABEMUS PAPAM n’est plus une comédie, mais une vraie tragédie. Du grand art de la part de Moretti.  

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Ludovic Fauchier, Habemus Blogam 

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HABEMUS PAPAM   

Réalisé par Nanni MORETTI   Scénario de Nanni MORETTI, Francesco PICCOLO et Federica PONTREMOLI     Avec : Michel PICCOLI (le Cardinal Melville, le Pape), Jerzy STUHR (le Porte-Parole), Renato SCARPA (le Cardinal Gregori), Nanni MORETTI (le Docteur Brezzi, Psychanalyste), Margherita BUY (la Psychanalyste), Franco GRAZIOSI (le Cardinal Bollati), Camillo MILLI (le Cardinal Pescardona), Roberto NOBILE (le Cardinal Cevasco), Ulrich von DOBSCHÜTZ (le Cardinal Brummer), Gianluca GOBBI (le Garde Suisse)    

Produit par Jean LABADIE, Nanni MORETTI et Domenico PROCACCI (Sacher Film / Fandango / Le Pacte / France 3 Cinéma / Rai Cinema / Canal+ / Coficup / Backup Films / France Télévision / Eurimages)      Musique Franco PIERSANTI   Photo Alessandro PESCI   Montage Esmeralda CALABRIA    Décors Paola BIZZARRI   Costumes Lina NERLI TAVIANI    1er Assistant Réalisateur Barbara DANIELE   Son Alessandro ZANON   Distribution ITALIE : 01 Distribution / Distribution FRANCE : Le Pacte     Durée : 1 heure 42    Caméras : Arricam LT, Arriflex 435 et 535B    

 

Le Pape vient de décéder. Le Conclave des Cardinaux se réunit pour voter, dans le plus grand secret, et désigner son successeur. Le vote est serré, difficile, et plusieurs tours ont lieu sans que la fumée blanche, signe de l’élection du nouveau Pape, n’apparaisse dans le ciel aux yeux des fidèles rassemblés sur la Place Saint-Pierre. A la surprise générale, et surtout de la sienne, le Cardinal Melville est finalement choisi pour être le nouveau Pape. La fumée blanche monte dans le ciel, et le saint homme se prépare pour son apparition aux milliers de fidèles et aux spectateurs du monde entier. Et au moment où la formule traditionnelle «Habemus Papam !» («Nous avons un Pape !») est prononcée, le Saint Père, pris d’une terrible crise de panique, refuse d’apparaître en public, au grand embarras général… On fait discrètement venir le Docteur Brezzi, éminent psychanalyste, qui est invité à parler en tête-à-tête avec le Saint Père pour une consultation privée – sous les yeux de tous les membres du Conclave ! Impossible pour le Docteur de diagnostiquer son patient selon les règles, et impossible pour celui-ci de s’expliquer sur la peur qui l’empêche d’assumer sa fonction. Peu de temps après, sorti consulter l’ex-femme du docteur, également psychanalyste, dans le complet anonymat, le Pape prend la poudre d’escampette ! Le Porte-Parole doit improviser un stratagème pour faire croire à tous que le Pape s’est retiré pour prier, avant de se juger digne de servir Dieu et d’apparaître enfin en public…    

Bandido Yanqui – BLACKTHORN

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BLACKTHORN, de Matéo GIL  

L’Histoire :    

Bolivie, 1927. James Blackthorn, un américain, élève des chevaux dans une ferme en montagne. Solitaire, il n’a pour seule compagnie que sa maîtresse Yana, une Indienne. Devant payer ses employés, tous des proches de Yana, Blackthorn se rend à Potosi pour retirer 6000 dollars. Traversant le désert aride de l’Altiplano, Blackthorn découvre un cheval mort d’épuisement, tombé depuis peu. Il suit les traces du cavalier qui a continué à pied et se fait attaquer par ce dernier, qui tente de voler son cheval. Si Blackthorn renverse la situation en sa faveur, le cheval s’enfuit, avec la sacoche contenant les 6000 dollars nécessaires à Blackthorn pour payer les Indiens, et rentrer ensuite aux Etats-Unis. Il épargne la vie de son assaillant, un Espagnol, Eduardo Apodaca. Celui-ci suit Blackthorn à pied, et lui promet de lui rembourser l’argent qu’il lui a fait perdre. Et même plus encore : ingénieur minier, Eduardo a volé 50 000 $ à Patino, son employeur corrompu, l’homme le plus puissant de Bolivie, et a caché le butin au fond d’une mine. Bien que sceptique, Blackthorn accepte de l’aider à se défendre contre douze cavaliers au service de Patino, et déterminés à tuer Eduardo. Pour Blackthorn, c’est l’occasion de vivre une dernière aventure, comme celle du temps où il était l’une des dernières légendes de l’Ouest, le voleur de banques et de trains Butch Cassidy, que tout le monde a cru mort avec son vieil ami le Sundance Kid, officiellement tués par l’Armée Bolivienne en 1908…     

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Impressions :   

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L’occasion de voir sur grand écran un western pur jus étant presque aussi rare que de trouver une lueur de compassion dans les yeux de Claude Guéant, on accueille toujours avec plaisir chaque nouveau film dans ces pages. Le succès d’un TRUE GRIT l’hiver dernier prouve que le bon vieux Western n’est pas mort, qu’il bouge encore… à condition de le traiter avec respect. On passera donc poliment sur le ratage d’un COWBOYS ET ENVAHISSEURS qui, malgré la sympathie que nous inspirent Daniel Craig, Harrison Ford et le producteur Steven Spielberg, osait un mélange contre nature avec le film de science-fiction «à la ALIEN»… Heureusement, un vrai Western est arrivé en septembre sur nos écrans, pour la joie des amateurs du genre. Signé d’un réalisateur espagnol, tourné et situé en Bolivie avec en vedette un vétéran de la scène et de l’écran américain, BLACKTHORN est une jolie réussite. Et, n’en déplaise à un éminent critique, d’habitude mieux inspiré, qui dégaina trop vite cet été, ce Western-là ne véhicule pas un esprit «réactionnaire», cliché que le scénariste réalisateur Matéo Gil a su éviter.   

Celui-ci nous emmène dans une histoire assez classique au premier abord, et familière à tous ceux qui ont vu certain grand classique avec Paul Newman et Robert Redford, mais il emprunte des voies plus inattendues. Coscénariste attitré des films d’Alejandro Amenabar (OUVRE LES YEUX, LES AUTRES, MAR ADENTRO, AGORA), Matéo Gil s’est lancé dans la mise en scène en 1999 avec le thriller espagnol JEU DE RÔLES. Avec BLACKTHORN, il se lance dans un Western, genre américain par excellence, avec un regard original permis par l’époque et la géographie particulière de ce film : nous sommes en Bolivie, cadre inattendu pour le genre situé dans les grands espaces nord-américains, et en 1927, bien des décennies après la fin officielle de la Conquête de l’Ouest. Voilà un cadre déjà très atypique pour le genre, d’habitude «limité» aux immenses territoires s’étendant sur des milliers de kilomètres dans l’hémisphère nord-américain. Le travail du chef-opérateur Juan Ruiz Anchia est d’ailleurs superbe, soit dit en passant ; Gil et Anchia mettent parfaitement en valeur la lumière et la variété des territoires sauvages de la Bolivie, donnant au film une atmosphère familière et étrange. 

On peut ainsi «étendre» le genre géographiquement depuis les forêts glacées du Grand Nord canadien et de l’Alaska, jusqu’aux plaines brûlantes du Mexique, en passant par les innombrables et magnifiques paysages sauvages du Grand Ouest, symbolisés par Monument Valley, le cadre des films légendaires de John Ford. Mais, preuve que le genre ne se limite pas à un pays, une culture ou un emplacement strict, on a bien vu d’autres réalisateurs se frotter au genre par le passé, dans des pays n’ayant a priori rien à voir avec le Western. Les années 1960 ont vu le western s’européaniser (pas seulement en Italie, mais aussi en Allemagne avec les films de Winnetou !) ou plus récemment s’exporter en Asie, par exemple en Corée ou en Thaïlande. L’Espagne, patrie natale de Matéo Gil, s’est finalement retrouvée imprégnée de «culture western», grâce aux réalisateurs italiens des sixties, à commencer par les «trois Sergios» (Leone bien sûr, mais aussi Corbucci et Sollima) qui ont ainsi «latinisé» le genre, ouvrant la voie au Western Italien (terme préférable à la connotation limite insultante de «Western Spaghetti»), qui est associé pour l’éternité aux plaines désertiques d’Almeria. Gil a certainement été marqué par la trilogie des DOLLARS et tous les autres films tournés dans cette région, sur sa terre natale ; mais BLACKTHORN ne se limite pas à être un simple hommage affectueux aux westerns qui ont bercé sa jeunesse. En bon conteur d’histoires, Gil s’est approprié un mythe né autour de l’histoire réelle d’un des derniers bandits historiques du Vieil Ouest, et l’une de ses figures les plus attachantes. A partir de ce mythe, il a créé un film tout à fait personnel, respectueux des codes du genre, tout en apportant un regard neuf.    

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Gil a écrit et réalisé BLACKTHORN autour d’un personnage célèbre, autant pour la légende née autour de sa mort, que pour son caractère sympathique et pour son héritage cinématographique. Butch Cassidy, braqueur de banques et de trains, voleur aimable et joyeux, connut une fin tragique avec son vieux complice et ami, le Sundance Kid, le 3 novembre 1908. Cette fin symbolisa en fin de compte, historiquement parlant, la mort définitive du mythe des «bandits héroïques» tels que Jesse James ou Billy The Kid, apparus durant la Conquête de l’Ouest. Quiconque connaît le grand classique avec Paul Newman et Robert Redford, BUTCH CASSIDY ET LE KID, connaît donc le fin mot de l’histoire, et la scène finale d’anthologie qui voit nos deux camarades se préparer à une sortie «pour l’honneur» sous les balles de l’Armée bolivienne, un jour tragique à San Vicente… BLACKTHORN poursuit l’histoire, sans vouloir faire pour autant une suite au film de George Roy Hill. Matéo Gil s’est suffisamment documenté pour savoir qu’il existe toujours un doute sur la fin funeste des deux «bandidos yanquis» abattus en Bolivie. La mort de Butch et du Kid (de leurs vrais noms : Robert LeRoy Parker et Harry Longabaugh) resta une énigme, une véritable histoire «à la Anastasia» version western. 

Deux hommes furent bien tués en 1908 à San Vicente par l’Armée bolivienne, et rapidement enterrés. Pays minier où il était difficile de faire respecter une loi stricte, la Bolivie devait attirer nombre d’aventuriers et de criminels aux origines mal définies, un autre «Far West» pour ainsi dire. Des aventuriers comme Butch et le Kid, qui vinrent en Bolivie après un détour par l’Argentine aux environs de 1905, avec leur compagne commune, la belle Ethel «Etta» Place. La police de Tupiza identifia les deux hommes abattus comme les voleurs du transport de fonds de paiement d’Aramayo, mais les autorités ne connaissaient pas leurs noms. Deux «bandidos yanquis» anonymes, donc, furent enterrés à San Vicente. Les procédures d’identification étant alors quasi inexistantes, l’armée eut beau jeu d’affirmer qu’elle avait mis fin à la carrière du duo, mais la légende née de ce «flou» entretint le doute pendant des décennies. Les tombes ne furent pas identifiées pendant des décennies, et même des études plus récentes ne furent jamais concluantes : l’ADN prélevé sur les deux morts ne correspondait pas à celui des proches parents de Butch et du Kid… l’énigme demeure. La sœur de Butch, Lula Parker Betenson, affirma que son frère retourna aux USA et retrouva d’anciennes connaissances, et même des membres de sa famille en 1925. Vers 1974 et 1975, un journaliste du Denver Post affirma que l’ancienne doctoresse de Butch l’avait soigné bien des années après sa «mort» supposée en Bolivie… Le Sundance Kid connut une légende similaire ; lui aussi serait retourné aux USA et serait mort en 1936. Et bien d’autres histoires existent sur la probabilité d’un retour de Robert LeRoy Parker / Butch Cassidy aux USA, au moins jusqu’en 1938. Le destin d’Etta Place, dont la date de décès est inconnue, est tout aussi énigmatique… elle aurait eu un fils du Kid, Robert Harvey Longabaugh (1901-1972), mais cela reste sujet à controverse.  

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Deux «bandidos» qui ont peut-être survécu à leur mort légendaire, un doute sur la paternité du fils d’Etta, un autre sur la longue vie qu’aurait eu Butch et son éventuel retour au pays… voilà quelques éléments qui ont certainement inspiré Matéo Gil. Avec assez de finesse, il va aussi prendre ses distances vis-à-vis du «mythe» généré par le film de Newman et Redford, et s’inspirer plutôt d’un autre grand «westerner» qui enterra magnifiquement le genre, Sam Peckinpah. Gil ne peut pas ignorer le fait que BUTCH CASSIDY et LA HORDE SAUVAGE, le chef-d’œuvre crépusculaire de «Bloody Sam», sortirent la même année sur les écrans, en 1969. Comme il n’ignore sûrement pas le lien existant entre les deux films, aux styles et au ton certes différents, mais qui se concluaient d’une façon similaire pour ses héros, «reliques» quittant la scène du Vieil Ouest sous un déluge de balles tirées par l’armée adverse. Coïncidence, le scénariste de BUTCH CASSIDY…, William Goldman, dut changer le nom du gang de voleurs dirigés par ses duettistes au début du film. Les vrais Butch et Sundance, avant leur virée bolivienne, avaient l’habitude de former et reformer plusieurs gangs, leur donnant des noms aussi «chantants» que le Syndicat des Braqueurs de Train, le Gang du Trou dans le Mur (c’est le nom retenu dans le film de Hill) et… la Horde Sauvage ! Peckinpah avait en quelque sorte coupé l’herbe sous le pied de Goldman et Hill en intitulant son propre film ! Astucieusement, Matéo Gil va ainsi faire «glisser» son propre film de la «fausse suite» de BUTCH CASSIDY vers un western plus mélancolique, désabusé, finalement plus proche de l’univers de Sam Peckinpah. Le réalisateur espagnol joue habilement de la fausse impression de déjà vu, glissant des références au film de Hill : l’Armée bolivienne, la longue traque par monts et par vaux, la présence d’un ancien de l’Agence Pinkerton («ancêtre» historique du FBI, qui ne s’embarrassait pas de méthodes violentes pour éliminer les brigands et leurs complices supposés)… pour montrer finalement que nul ne peut revivre deux fois la même histoire. Ni le protagoniste, ni le spectateur.    

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BLACKTHORN est un film très «peckinpien», moins pour ses références (qui sont cachées au spectateur non initié) que pour son ton et son traitement. N’espérez pas ici de féroces fusillades sanglantes filmées au ralenti, imagerie associée à Peckinpah ; il y a certes des échanges de coups de feu, des cavalcades et de virils coups de poings, mais ce n’est pas le sujet central du film. Le vieux Blackthorn retrouve certes les émotions de sa jeunesse, mais réalisera amèrement que l’on ne revient pas en arrière. Les temps changent, les mentalités aussi, et le Vieil Ouest doit peu à peu laisser sa place à une époque plus moderne et plus cynique. Voir la perplexité de Blackthorn devant une automobile décapotable fait inévitablement penser au destin pathétique de Cable Hogue (Jason Robards), anti-héros de la ballade filmée par Peckinpah. On retrouve dans BLACKTHORN ces touches «Peckinpiennes» discrètement semées par Gil, notamment par la description de sa vie solitaire à la ferme, où seule une maîtresse occasionnelle vient de temps en temps lui rendre visite. Quant à la relation entre le vieil homme et le voleur espagnol Eduardo Apodaca, elle renverra à certaines histoires récurrentes chez Peckinpah, notamment COUPS DE FEU DANS LA SIERRA, PAT GARRETT & BILLY LE KID et bien sûr LA HORDE SAUVAGE. Entre Blackthorn / Butch et Eduardo, se forge une amitié «virile» malgré l’opposition évidente de caractère des deux personnages. En gardant une touche d’ambiguïté très discrète dans la relation des deux hommes, Gil joue avec plus de finesse qu’un Ang Lee et son BROKEBACK MOUNTAIN, plate relecture gay des histoires d’amitié propres au genre. BLACKTHORN n’est pas un manifeste s’attachant à voir dans chaque scène «Western» un sous-texte homosexuel, mais Gil sait décrire avec justesse et humour le curieux duo. Blackthorn est de toute évidence le «dominant», et Eduardo le «dominé»… si celui-ci crève de chaud, Blackthorn l’arrose grâce au tuyau d’une citerne. S’il se retrouve les fesses en sang, suite à une cavalcade effrénée de plusieurs heures, Blackthorn lui passe la pommade ! Il va aussi lui offrir le gîte et le maigre couvert, voyant finalement en lui un écho de son vieux copain Sundance, une amitié exclusive qui allait jusqu’au «partage» amoureux de la même femme, Etta…     

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Blackthorn a un credo simple : la liberté, l’amitié, l’amour de la vie sont plus importants que l’argent gagné ou volé. La simplicité d’âme du Vieil Ouest, en quelque sorte, qui est «réveillée» par des situations familières : vol de cheval, poursuite dans le désert, attaque d’une mine, etc. Blackthorn croit revivre ses années de jeunesse en compagnie d’Eduardo. Celui-ci, ingénieur madrilène paumé (Eduardo Noriega, visage familier des films d’Amenabar et Gil), croit très prosaïquement que l’argent va lui offrir une seconde chance… La fin justifie les moyens, même discutables, à ses yeux. Comme le remarque Blackthorn, Eduardo est un «Conquistador» dans l’âme, venu en Amérique marcher sur les traces d’ancêtres persuadés de leur «supériorité» coloniale de civilisés, et qui méprise forcément les Indiens. Gil place des indices à ce sujet : les poursuivants de Blackthorn et Eduardo, formant une autre «horde sauvage», nous ont été présentés comme des assassins au service d’un patron impitoyable. Or, chacune de leurs apparitions sème le trouble, même lors de l’éprouvant affrontement dans le désert salé ; tous sont des Indiens Boliviens, les descendants des Incas exploités… Même les deux intimidantes «chasseuses de primes», venues chercher des noises à Blackthorn dans sa ferme, laissent la place au doute. La révélation de leurs motivations fera l’effet d’une douche froide au vieil homme, et mettra en plein jour la duplicité de son jeune partenaire. Il y a bien une amitié entre les deux hommes, mais elle est ternie et trahie, loin de la «mythification» positive de celle de Butch et Sundance, évoquée par des flashes-backs.    

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Impossible de ne pas conclure ce texte sans saluer la prestation de Sam Shepard, qui domine BLACKTHORN de sa carrure de «old timer» accompli. Acteur et dramaturge réputé, Shepard est dans la vie réelle un amoureux de la vie au grand air et des balades à cheval, et a forcément flirté souvent avec le Western dans sa filmographie – personne n’a oublié sa prestation de L’ETOFFE DES HEROS, dans le rôle de Chuck Yeager, pilote de légende et cavalier émérite poursuivant sa belle dans le désert. On peut aussi citer rapidement ses rôles dans le film policier CŒUR DE TONNERRE, en plein territoire Indien, ou le film DE SI JOLIS CHEVAUX au titre si évocateur. Shepard a définitivement «sauté le pas» dans L’ASSASSINAT DE JESSE JAMES PAR LE LÂCHE ROBERT FORD, avec Brad Pitt et Casey Affleck. Sa belle gueule burinée par le soleil et son laconisme mélancolique sont donc idéaux pour camper un Butch Cassidy vieillissant.  Il ne reste plus au final qu’à Blackthorn / Butch qu’à quitter la Bolivie par les Andes, là où jadis son meilleur ami a rendu son dernier souffle, et à tenter de rejoindre un mystérieux Ryan, le fils d’Etta Place… Un fils dont on ne saura jamais si il est celui de Butch ou du Kid ; pas plus qu’on ne saura si «Blackthorn» a pu enfin échapper à cette satanée armée bolivienne dans les montagnes andines. Une belle ambiguïté finale de la part de Matéo Gil, qui laisse son anti-héros rejoindre finalement sa légende.   

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Ludovic Fauchier, Blog Cassidy   

La Fiche Technique :   

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BLACKTHORN  

Réalisé par Matéo GIL   Scénario de Miguel BARROS     Avec : Sam SHEPARD (James Blackthorn, alias Butch Cassidy), Eduardo NORIEGA (Eduardo Apodaca), Stephen REA (Mackinley), Nikolaj COSTER-WALDAU (Butch Cassidy jeune), Padraic DELANEY (Sundance Kid), Magaly SOLIER (Yana), Dominique McELLIGOTT (Etta Place), Luis BREDOW (le Docteur), Cristian MERCADO (le Général de l’Armée Bolivienne), Daniel AGUIRRE (Ivan)     Produit par Ibon CORMENZANA, Andrés SANTANA et Paolo AGAZZI (Arcadia Motion Pictures / Aiete-Ariane Films S.A. / Quickfire Films / Pegaso Producciones / Noodles Production / Buena Suerte / Eter Pictures / Nix Pictures)   Producteur Exécutif Jan PACE     Musique Lucio GODOY   Photo Juan Ruiz ANCHIA   Montage David GALLART   Casting Wendy ALCAZAR et Jina JAY    Direction Artistique Juan Pedro De GASPAR   Costumes Clara BILBAO  1er Assistant Réalisateur Guillermo ESCRIBANO    Son Dani FONTRODONA   Montage Son et Design Sonore Fabiola ORDOYO    

Distribution ESPAGNE : Vertice Cine / Distribution FRANCE : Bac Films / Distribution USA : Magnolia Pictures    Durée : 1 heure 35  



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