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Archives pour novembre 2011

L’ORDRE ET LA MORALE – 1e partie : POUR KASSOVITZ

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L’ORDRE ET LA MORALE, de Mathieu KASSOVITZ

  

1ère PARTIE : POUR KASSOVITZ 

 

L'ORDRE ET LA MORALE - 1e partie : POUR KASSOVITZ dans Fiche et critique du film LOrdre-et-la-Morale-09 

Quelle claque ! Bon sang, quelle claque !…

 

Avec L’ORDRE ET LA MORALE, Mathieu Kassovitz s’est lancé là où le petit monde du cinéma français a généralement évité de s’aventurer ces derniers temps : celui d’un cinéma au discours critique fort et clair, adressé au monde politique. La prise de risque est immense ; et il faut bien le dire, depuis la grande époque des films de Costa-Gavras ou Yves Boisset, rares sont les réalisateurs français de ces dernières décennies à avoir abordé les sujets qui fâchent dans notre récente Histoire.

Sur ce point, je ne saurais trop vous recommander de vous procurer l’excellent numéro 11 du magazine IMPACT. Outre deux interviews de Boisset et Kassovitz très instructives, on y rappelle avec à-propos que les récents films «polémiques» hexagonaux traitent plus souvent de sujets de plus en plus éloignés de nous dans le Temps : l’Occupation et la collaboration, et (très timidement…) la Guerre d’Algérie ; ceci alors que l’Histoire de notre cher pays, ces dernières décennies, regorge d’évènements suspects qui pourraient très bien se prêter à des films engagés… du moins si le système de production national n’était pas fermement centralisé, verrouillé économiquement par les différents gouvernements, qui n’ont bien sûr aucun intérêt à voir sortir des films dérangeant leur vision des faits ; ils gardent donc un œil sévère sur les chaînes de télévision nationales, désormais productrices des films hexagonaux… d’où une absence flagrante d’audace dans lesdits films, en général.  

En reconstituant l’affaire des otages de la Grotte d’Ouvéa en Nouvelle-Calédonie, survenue au printemps 1988, Mathieu Kassovitz a mené un combat artistique et personnel très périlleux. Projet de longue date qu’il développe depuis 10 ans, L’ORDRE ET LA MORALE arrive à point nommé pour secouer les consciences sur un évènement que beaucoup, spécialement les continuateurs du RPR alors au pouvoir, aimeraient bien voir enterré… De la part du cinéaste de LA HAINE, on n’en attendait pas moins, et son retour à la mise en scène, après des expériences plus décevantes, fait un bien fou dans un cinéma français béatement endormi dans la complaisance et l’autocongratulation.

 

Avant d’aborder le film lui-même, et d’évoquer son indiscutable portée politique, rappelons les grandes étapes du parcours de Mathieu Kassovitz lui-même. Consacré «Wonder Boy» du cinéma français après le triomphe public de LA HAINE en 1995, «Kasso», à la fois acteur, réalisateur, scénariste et monteur, est une personnalité attachante, en dépit des controverses médiatiques auxquelles on veut le réduire sans vouloir voir plus loin.

 

Le parcours et la personnalité de Mathieu Kassovitz sont intimement liées à ses propres racines, et à un sentiment de révolte permanent que suscitent les injustices de l’Histoire la plus sombre. Je ne peux que supposer que tout cela doit beaucoup au passé de son père, Peter Kassovitz. Il est né à Budapest, en Hongrie, en 1938. Avec l’Anschluss (l’annexion suspecte de l’Autriche par Hitler) et les honteux accords de Munich livrant la Tchécoslovaquie aux nazis, les ruines de l’ancien empire austro-hongrois se retrouvent ainsi rattachées de force au IIIe Reich en quelques mois. Pour des millions de juifs d’Europe Centrale, le cauchemar commençait… La Hongrie se rallia au nazisme, et un ghetto fut construit à Budapest pour les juifs. Nul doute que Peter Kassovitz, encore enfant, aura connu des années d’enfance douloureuses, puisqu’appartenant à la communauté juive, objet de toute la haine du nazisme. Ce ghetto fut le théâtre d’atrocités commises dans les derniers mois de la 2e Guerre Mondiale, par le Parti des Croix Fléchées, mouvement politique hongrois fasciste, antisémite et collaborationniste d’Hitler. Affreuse époque pour les juifs de Hongrie, ce qu’évoque d’ailleurs le film MUSIC BOX sorti en 1989. C’est l’un des meilleurs films de Costa-Gavras, que Mathieu Kassovitz connaît bien et apprécie à juste raison.

Ayant survécu au nazisme, le jeune Peter Kassovitz fuira sa Hongrie natale, écrasée par une autre tyrannie, celle de l’URSS et des chars soviétiques envahissant Budapest en octobre 1956. Le jeune expatrié rejoint Paris, où il travaillera sur les plateaux de tournage, amorçant ainsi sa future carrière de réalisateur de cinéma et télévision ; et en 1967, il devient l’heureux papa d’un petit Mathieu, alors que la France bouillonne sous la fin de règne du Général de Gaulle. La contestation de mai 1968, les barricades et les pavés lancés sur les CRS arrivent alors que notre futur cinéaste est encore en barboteuse.

«Papa Peter» a bien évidemment joué un rôle important dans la vie de Mathieu Kassovitz, que ce soit pour lui donner l’amour du 7e Art ou pour contribuer à sa prise de conscience de ses racines, et des injustices du monde. C’est particulièrement révélateur dans leurs films respectifs.

 

LOrdre-et-la-Morale-Papa-Peter-et-Robin-Williams-tournent-Jakob-le-Menteur dans Fiche et critique du film

Peter Kassovitz a fait tourner son fils à 12 ans, dans l’autobiographique AU BOUT DU BOUT DU BANC en 1979, signant ainsi ses débuts d’acteur. Des années plus tard, en 1998, Peter Kassovitz signera aussi le méconnu et intéressant JAKOB LE MENTEUR avec Robin Williams. Malheureusement pour lui, le surestimé film de Roberto Benigni, LA VIE EST BELLE, triomphait sur les écrans quand JAKOB LE MENTEUR fut distribué… La presse ne lui fit donc pas de cadeau, considérant qu’il s’agissait d’un simple copié-collé du Benigni, et faisant aussi peut-être perfidement payer à Papa Peter le succès grandissant de son fils… A y regarder de près, le sujet de JAKOB LE MENTEUR est typiquement «kassovitzien» : il raconte l’histoire de Jakob (Williams), un habitant du ghetto de Varsovie qui, par hasard, entend ce qu’il ne devait pas entendre… à savoir les revers de l’Armée allemande sur le front russe. Pour se disculper du soupçon d’être un traître, Jakob invente une fantastique histoire pleine d’espoirs de libération aux habitants du Ghetto. Espoirs malheureusement déçus, et pour cause, la Bête Immonde continua jusqu’au bout sa logique assassine envers ses prisonniers… Une histoire paradoxale, donc, entre drame et humour yiddish, loin du consensus du film de Benigni. Et un film assez révélateur, je pense, de la sensibilité des Kassovitz père et fils, à rapprocher aussi sans doute de l’esprit du TRAIN DE VIE de Radu Mihaileanu, autre grand cinéaste immigré dont le père souffrit aussi du nazisme et du communisme…

Cela amène à faire un constat : les cinéastes français «immigrants» actuels sont moins complexés que ceux «du terroir» (pour reprendre l’expression tendancieuse d’un autre «Jacob le menteur», venu de l’UMP…) pour s’attaquer aux sujets sensibles de l’Histoire française. Outre les Kassovitz père et fils, et Mihaileanu, pensez à Costa-Gavras, Guédiguian, Gatlif et bien d’autres que j’oublie ici… ceux sont eux qui font le cinéma français qu’on est fier de défendre. A méditer. 

 

 

Mais revenons au parcours de Mathieu Kassovitz. Impulsif parfois, énergique, inventif et enthousiaste toujours, le drôle de loustic se fait connaître en 1993 avec la comédie METISSE. Une comédie vive et speedée, au message antiraciste dont l’humour tranchant désamorce toute moralisation pesante. Ce film, le très bon accueil fait à «Kasso» acteur dans REGARDE LES HOMMES TOMBER de Jacques Audiard, et le triomphe de LA HAINE en 1995 lancent sa carrière sur les chapeaux de roue. Il obtient un concert de louanges, mais son exposition médiatique après LA HAINE provoque déjà jalousies et critiques, surtout venues du monde politique. Si seulement ces derniers avaient compris le film… le message d’alarme de ce dernier serait hélas prémonitoire de ce qui surviendrait dix ans plus tard, à cause d’une déclaration démagogue, imbécile et incendiaire du Ministre de l’Intérieur de l’époque, un petit méchant agité de l’épaule et à talonnettes nommé Yzokras Sacolin (un indice : ce nom est une anagramme soigneusement cryptée et indéchiffrable. Je dirais même plus…).

 

Kassovitz, à l’époque, n’apprécie déjà pas du tout l’image simpliste dressée par les médias télévisés (d’ailleurs savoureusement égratignés dans le film) à son encontre, celle d’un rebelle sympa à la dernière mode. Et, s’opposant au ton compassé des habituels discours promotionnels des gens du métier, le jeune réalisateur ne garde pas la langue dans sa poche. Quand il n’aime pas le cirque médiatique dressé autour de lui, il ose le dire franchement… une attitude que les faiseurs d’opinion de tout bord ne vont pas lui pardonner par la suite. 

Excellent comédien en plus d’être un cinéaste accompli, Mathieu Kassovitz aime jouer, dans les films des autres, des personnages «poil à gratter» des bonnes et les mauvaises consciences. Certes, il sait faire craquer les foules par sa gentillesse spontanée et son sourire dans AMELIE POULAIN, mais le comédien ne se limite pas à ce seul registre. Trois exemples sont parlants dans sa filmographie. 

A commencer par UN HEROS TRES DISCRET (1996) de Jacques Audiard, d’après le roman de Jean-François Deniaud : il joue Albert Dehousse, un jeune homme qui, faute de pouvoir entrer en Résistance malgré ses rêves, se forge à la Libération un passé mythomane de héros de la France Libre… Manière adroite pour l’acteur de rappeler la mauvaise conscience et les contradictions de notre cher pays passé en quatre ans de Pétain à de Gaulle !

 

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 Revoyez ensuite AMEN (2002), le film de Costa-Gavras adapté de la pièce LE VICAIRE ; Mathieu Kassovitz y joue Ricardo Fontana, un prêtre jésuite qui, en pleine 2e Guerre Mondiale, croise le destin de Kurt Gerstein (Ulrich Tukur), allemand, chrétien fervent, engagé par la SS pour ses travaux de chimiste. Gerstein a découvert, horrifié, l’utilisation faite de ses travaux par ses employeurs… la Solution Finale.

 

LOrdre-et-la-Morale-tournage-dAmen-Costa-Gavras-et-Kasso-300x200

 

Un film immense, qui dérange les consciences par le paradoxe représenté par le réalisateur. Fontana appelle à l’aide sa hiérarchie au Vatican, ainsi que les ambassadeurs Alliés. Face au silence assourdissant de ceux-ci, Fontana finit par porter l’étoile jaune, et se joindre aux déportés vers l’extermination… Evidemment concerné par le sujet qui touche à ses propres racines, Kassovitz soutient à fond la démarche Costa-Gavras, et livre une performance mémorable.

 

LOrdre-et-la-Morale-Mathieu-Kassovitz-dans-MunichRevoyez enfin MUNICH (2005), où Kassovitz peut réaliser LE rêve de tout gamin fou de Cinéma : jouer dans un film de son autre maître à filmer, Steven Spielberg ! Dans ce chef-d’œuvre de noirceur abyssale qui vaut au cinéaste de LA LISTE DE SCHINDLER ses attaques les plus polémiques (venues surtout d’officiels israéliens !), Kassovitz joue Robert, artificier bricoleur d’un commando du Mossad lancé dans des meurtres politiques d’officiels palestiniens – représailles sanglantes, absurdes et contestables, de la tristement célèbre prise d’otages de Munich en 1972. Un personnage attachant, peu à peu dégoûté par la violence d’Etat dont il est complice («Ce n’est pas ça, être Juif !»), qui finit par quitter l’équipe… et qui mourra dans des circonstances inexpliquées.  

 

A cette série de choix toujours pleinement justifiés, on rajoutera les rôles que Kassovitz interprète dans ses propres films. Après son caméo ironique dans LA HAINE (il est le minable skinhead menacé par Vinz, son «alter ego» du film, joué par son ami Vincent Cassel), rajoutons Max, le personnage «border line» d’ASSASSIN(S), et donc son interprétation du Capitaine Legorjus dans L’ORDRE ET LA MORALE. Pour compléter le tableau, on le retrouvera bientôt dans LE GUETTEUR de Michele Placido (gigantesque chasse à l’homme entre la police et un gang parisien… les films policiers italiens de Placido étant féroces envers les politiques transalpins, on anticipe déjà les grincements de dents de Claude Guéant…) et LE CAPITAL de Costa-Gavras, dont le titre est tout un programme.

 

LOrdre-et-la-Morale-Assassins-avec-Michel-Serrault 

La carrière de Mathieu Kassovitz cinéaste, après LA HAINE, a été quant à elle pour le moins chaotique après ces débuts fulgurants… ASSASSIN(S), en 1997, a vraiment cimenté le grand clash de «Kasso» avec beaucoup de médias français. Vu la noirceur du propos du film (racontant les hésitations d’un jeune homme, apprenti tueur «instruit» en pratique par un vétéran professionnel… et finalement dépassé par un autre disciple, un petit ado des cités sans états d’âme), et vu ses piques envoyées à la société du spectacle télévisuel vide-neurones, la virulence desdits médias était prévisible : la téléréalité n’a pas encore débarqué, mais Kassovitz a déjà bien ciblé le pouvoir débilitant des jeux télévisés et des informations aseptisées, stigmatisant sans nuances les «Jeunes» des cités… C’est son film le plus personnel, celui auquel il tient le plus. Et sans doute aussi le plus difficile à apprécier ; après le triomphe de LA HAINE, l’acteur-réalisateur choisit de ne pas se répéter, signalant par la même occasion son refus de «faire le beau» pour ceux qui ont cru le consacrer deux ans auparavant. Cela se paie cher, par un accueil glacial à Cannes et une conférence de presse qui tourne au vinaigre, entre Kassovitz furieux de la «réception» tenant du traquenard, et les journalistes tirant sur le film à boulets rouges. 

 

LOrdre-et-la-Morale-tournage-des-Rivières-Pourpres-avec-Jean-Reno Avec LES RIVIERES POURPRES en 2000, il se lance dans le thriller horrifique, pour une production de grand standing : deux stars du cinéma français, son vieil ami Vincent Cassel associé à Jean Reno, des décors alpins spectaculaires, des cascades et des poursuites, et une enquête aux rebondissements saignants. Adapté du best-seller de Jean-Christophe Grangé, le film est un grand succès public, servi par sa mise en scène impeccablement pensée et exécutée. Certaines scènes valent bien les meilleurs «giallos» italiens, voir égalent la maîtrise technique du SEVEN de David Fincher, la référence absolue en la matière… Et surtout, le sujet du film interpelle Kassovitz, mettant en garde les spectateurs, par le biais du polar, contre le danger d‘idéologies sectaires et nazifiantes cherchant à infiltrer le milieu des grandes universités. Dommage que la résolution de l’histoire (une histoire de jumelle maléfique, terriblement cliché) ne soit pas à la hauteur du reste du film et laisse du coup un sérieux sentiment d’inachevé…

  

LOrdre-et-la-Morale-Kasso-et-Vin-Diesel-Babylon-AD Quatre ans plus tard, Mathieu Kassovitz se lance dans l’aventure américaine avec le film fantastique GOTHIKA, avec Halle Berry, Robert Downey Jr. et Penélope Cruz. Malheureusement, ce n’est pas une réussite… la virtuosité technique indéniable de Kassovitz ne s’accorde pas vraiment à une banale histoire de fantômes. Le film, coproduit par Robert Zemeckis et Joel Silver, n’était en fin de compte pour le réalisateur qu’un passage obligé pour se former à la réalisation «à l’américaine». Condition indispensable pour porter à l’écran son rêve de grand film d’anticipation, BABYLON A.D., d’après le roman BABYLON BABIES de Maurice Dantec.

Tourné en 2007 et sorti en 2008, BABYLON A.D. , traversée apocalyptique d’un Monde sombrant dans le chaos absolu, devait être une apothéose, un rêve de SF épique digne d’un MAD MAX 2, un BLADE RUNNER ou d’un TERMINATOR… bref un film «100% Métal Hurlant» comme le réalisateur les adorait dans sa jeunesse, doublé d’une mise en garde de l’effondrement des civilisations actuelles, thème hélas bien d’actualité… Avec un casting de stars internationales (Vin Diesel, Michelle Yeoh) à l’affiche, Kassovitz voulait faire un film-somme de ses obsessions et un sacré grand spectacle… hélas, le tournage devint un cauchemar éveillé. Conflits incessants avec la production, avec les cadres du studio 20th Century Fox, avec Vin Diesel, incidents techniques sérieux, décors non finalisés à temps, blessure de Diesel, dépassement de budget et arrêt de tournage… Mathieu Kassovitz a connu toutes les galères que ne veut pas vivre un cinéaste, culminant avec une «mise à l’écart» par la production américaine, l’épreuve la plus douloureuse qui soit pour un réalisateur confirmé. Kassovitz dut même regarder le tournage de la grande séquence d’action finale sur ses moniteurs, sans pouvoir intervenir, les financiers ayant confié le tout à une seconde équipe totalement américaine, «parachutée» en cours de tournage.

Le réalisateur admet lui-même ce cuisant échec dans un documentaire intitulé FUCKING KASSOVITZ, que vous pouvez voir ici.

 

http://www.dailymotion.com/video/xm7nlr

  

Et puis arriva l’escalade ultime du conflit entre Mathieu Kassovitz et le monde médiatique… Il osa émettre des réserves justifiées sur la version officielle de l’enquête des attentats terroristes du 11 septembre 2001, lors d’un débat de l’émission CE SOIR OU JAMAIS en septembre 2009… L’ineffable Marin Karmitz osa ce soir-là l’impensable, une accusation totalement scandaleuse : assimiler Kassovitz à un négationniste, semblable à ceux qui nient l’existence des chambres à gaz. Qu’on prenne le temps de réfléchir une seconde, enfin… Qu’un homme comme Karmitz, supposé cultivé et intelligent, ait pu tenir dans une émission publique des propos aussi hypocrites envers un homme fier à raison de sa judéité, et dont la propre famille a survécu aux crimes du IIIe Reich, c’est absolument impensable. Et pourtant, Karmitz l’a fait, avec une totale indécence.

L’argument de ce dernier est hélas bien typique de la confusion générale volontairement entretenue par les grands médias depuis le jour de l’attentat du World Trade Center. Toute pensée critique a été à jamais bannie du discours et de la pensée des personnalités soutenant sans faille le rapport d’enquête annoncé alors par le gouvernement Bush. Rapport qui fut le prélude à une propagande savamment organisée en faveur de l’invasion américaine de l’Afghanistan et de l’Irak, avec les conséquences que nous vivons tous maintenant.

 

Oser contester la parole des gouvernements d’alors, parole relayée et amplifiée par tous les médias officiels, émettre des doutes et vouloir simplement exiger la vérité sur les attentats, c’est littéralement marcher dans un terrain miné en subissant une pluie de grenades dégoupillées.

C’est s’exposer à un sordide mélange d’amalgames faciles, d’accusations non étayées, de martèlement médiatique, d’anathèmes et d’insultes lancées par des «professionnels» desdits médias, qui ont manifestement perdu tout sens de la mesure, d’esprit critique objectif et toute dignité personnelle au passage. Essayez de suivre l’exemple de Mathieu Kassovitz, et de poser des questions sur ce qui s’est réellement passé ce jour-là. Une meute hallucinée déferlera à l’unisson en hurlant : hou, sale Déviant ! Au bûcher, l’Hérétique ! Criminel ! Révisionniste ! Antisémite ! J’en passe et des pires…

Et voilà comment quelques «plumiteux» professionnels ne se sont pas gênés pour assimiler Mathieu Kassovitz à Goebbels et Faurisson… C’est absolument répugnant. On peut légitimement être en désaccord avec Kassovitz dans un débat adulte sur le 11 septembre ; mais où est donc passé le débat démocratique dans ces insultes ? Où sont les arguments intelligents dans ces réactions haineuses ? Celles-ci ne révèlent que le fond de pensée de petits inquisiteurs refusant tout débat, certainement pas celui de gens capables d’une réflexion dépassionnée.

 

Heureusement, «Kasso» répond intelligemment à cette bassesse généralisée. Tout récemment, Mathieu Kassovitz a sélectionné sur DailyMotion plusieurs films et documents fort réussis, dont un passionnant et édifiant documentaire sur le traitement du 11 septembre 2001 par les médias officiels depuis dix ans. Ce film belge, mûrement construit et réfléchi, s’intitule EPOUVANTAILS, AUTRUCHES ET PERROQUETS ! 

 

http://www.dailymotion.com/video/xlh1tp

 

 

En ce qui me concerne, étant un simple citoyen entraîné malgré lui, comme vous tous, dans un monde de peur et de méfiance depuis ce triste jour de septembre, je ne peux que sympathiser totalement avec l’attitude de Mathieu Kassovitz vis-à-vis de tout abus de pouvoir, qu’il soit médiatique, économique, religieux, politique, militaire… Ce qui, pour les deux derniers adjectifs, nous amène donc à L’ORDRE ET LA MORALE.

(la suite dans la 2e Partie : ENTRE DEUX FEUX)

LES AVENTURES DE TINTIN : LE SECRET DE LA LICORNE – Fiche technique et résumé

LES AVENTURES DE TINTIN : LE SECRET DE LA LICORNE - Fiche technique et résumé dans Fiche et critique du film Les-Aventures-de-Tintin-Milou 

THE ADVENTURES OF TINTIN : THE SECRET OF THE UNICORN / LES AVENTURES DE TINTIN : LE SECRET DE LA LICORNE  

Réalisé par Steven SPIELBERG  

Scénario de Joe CORNISH & Edgar WRIGHT et Steven MOFFAT, d’après la bande dessinée de HERGE – albums «Le Crabe aux Pinces d’Or», «Le Secret de la Licorne» et «Le Trésor de Rackham le Rouge»

 

Avec : Jamie BELL (Tintin), Andy SERKIS (le Capitaine Haddock / Chevalier François de Hadoque), Daniel CRAIG (Ivan Ivanovich Sakharine / Rackham le Rouge), Simon PEGG et Nick FROST (les Inspecteurs Dupont et Dupond), Toby JONES (Mr. Filoselle), Daniel MAYS (Allan Thompson), Mackenzie CROOK (Ernie), Gad ELMALEH (Omar Ben Salaad), Cary ELWES (le Pilote), Kim STENGEL (Bianca Castafiore), Enn REITEL (Nestor), Joe STARR (Barnabé), Tony CURRAN (le Lieutenant Delcourt) 

 

Produit par Peter JACKSON, Kathleen KENNEDY, Steven SPIELBERG et Jason D. McGATLIN (Columbia Pictures / Paramount Pictures / Amblin Entertainment / WingNut Films / The Kennedy/Marshall Company / Hemisphre Media Capital / Nickelodeon Movies)   Producteurs Exécutifs Ken KAMINS, Nick RODWELL et Stéphane SPERRY   

Musique John WILLIAMS   Photo Janusz KAMINSKI  Montage Michael KAHN   Casting Scot BOLAND, Victoria BURROWS et Jina JAY  Direction Artistique Andrew L. JONES et Jeff WISNIEWSKI   Costumes Lesley BURKES-HARDING   

1er Assistant Réalisateur Adam SOMNER   Réalisateur 2e Équipe Peter JACKSON   Cascades Garrett WARREN   Mixage Son Christopher BOYES, Michael HEDGES et Andy NELSON   Montage Son Brent BURGE et Chris WARD   Effets Spéciaux Sonores Dave WHITEHEAD   Effets Spéciaux Visuels Scott E. ANDERSON, Joe LETTERI et Keith MILLER (Weta Digital)   Réalisation Technique de l’Animation Regina CACHUELA et Tom MEADE  

Distribution USA et GRANDE-BRETAGNE : Paramount Pictures / Distribution BELGIQUE, FRANCE et INTERNATIONAL: Sony Pictures Releasing   

Durée : 1 heure 47 Caméras : Canon 5D H4.1 et Panavision 

 

Les-Aventures-de-Tintin-Haddock-fatal-bazooka dans Fiche et critique du film L’Histoire : intrépide reporter au journal «Le Petit Vingtième», toujours accompagné de son fidèle petit chien Milou, le jeune Tintin a déjà derrière lui une belle réputation d’enquêteur et de voyageur déchiffreur de mystères.

Un jour de promenade au marché aux puces, Tintin remarque une superbe maquette d’un galion du 17e Siècle, la Licorne. Mais la maquette attire bien des convoitises : celles d’un certain Barnabé, qui l’avertit de graves dangers s’il décide de la garder, et d’Ivan Ivanovich Sakharine, collectionneur fortuné, qui offre une belle somme encore au jeune journaliste. Tintin refuse son offre et emporte la maquette chez lui, que Milou casse par accident. Tintin n’a pas remarqué un petit tube de métal tombé du mât central, et qui a roulé sous un meuble…

Etudiant l’histoire de la Licorne, Tintin apprend qu’elle sombra en 1676, en plein océan Atlantique. Le capitaine du navire, François de Hadoque, fut le seul survivant ; la perte de la Licorne signa sa malédiction et celle de de ses héritiers. Revenu chez lui, Tintin découvre que sa maquette a été volée. Son enquête le mène à découvrir un second modèle de la Licorne, identique au premier, propriété de Sakharine. Peu après, Tintin trouve enfin le tube métallique, contenant un parchemin énigmatique, parlant de «Trois Frères Unis», descendants de Hadoque, et du fabuleux trésor que cacherait la Licorne au fond de sa cale. Venu parler à Tintin, Barnabé est abattu de plusieurs coups de feu, et n’a que le temps d’écrire un nom : «Karaboudjan».

Prévenus, les inspecteurs de police Dupond et Dupont, amis de Tintin et éternels gaffeurs, ont quant à eux à faire avec un mystérieux pickpocket qui sévit dans le quartier… pickpocket qui vole à Tintin son portefeuille contenant le précieux parchemin. Kidnappé, le petit reporter se retrouve bientôt à bord d’un cargo parti sur l’Atlantique : le Karaboudjan, dont Sakharine a pris le commandement. Détenteur d’un second parchemin trouvé par ses soins dans sa maquette, Sakharine veut celui de Tintin pour trouver le trésor englouti.

Evadé, Tintin tombe sur le vrai capitaine du Karaboudjan enfermé à fond de cale parmi les bouteilles de whisky. Un sympathique vieux loup de mer aux insultes colorées : le Capitaine Haddock, l’unique descendant du chevalier déchu, et l’héritier légitime de son fabuleux trésor…  

LES AVENTURES DE TINTIN : LE SECRET DE LA LICORNE – 6e Partie : Tout est bien qui finit bien, mille sabords !

LES AVENTURES DE TINTIN : LE SECRET DE LA LICORNE - 6e Partie : Tout est bien qui finit bien, mille sabords ! dans Fiche et critique du film Les-Aventures-de-Tintin-de-leau-

6e PARTIE : TOUT EST BIEN QUI FINIT BIEN, MILLE SABORDS !

 

Pour conclure ce volumineux dossier, parlons un peu de la mise en scène de Steven Spielberg. Les critiques ont salué dans l’ensemble la virtuosité des scènes d’action ; procédé facile, car depuis le temps, cela tient de l’enfonçage de portes ouvertes… Depuis ses débuts, Spielberg est devenu un maître incontestable en la matière, bien au-dessus des trépidations à la mode d’un Michael Bay (avec qui il s’est malheureusement associé, mais ceci est un autre sujet). On s’esbaudit un peu trop là-dessus au détriment du reste. Spielberg, comme tout autre cinéaste exigeant vis-à-vis de son métier, ne déploie pas d’effets gratuits pour impressionner le spectateur. Un paradoxe, pour un film dont la promotion repose sur les attraits de l’animation numérique et la 3D. 

 

 Les-Aventures-de-Tintin-La-Mort-aux-Trousses- dans Fiche et critique du film

Peu importent les effets 3D, desservis par des salles mal préparées à ce jouet technologique qui plaît tant aux enfants (et aux producteurs et distributeurs nécessiteux !). Spielberg n’abuse pas d’effets tape-à-l’œil, préférant jouer sur la profondeur de champ, les enchaînements fluides de prises de vues mobiles, affranchies des contraintes techniques habituelles aux tournages ordinaires. Il invite le spectateur à participer et rester vigilant aux actions en cours, par exemple en glissant simultanément des scènes parallèles à l’action principale, placées en avant-plan ou arrière-plan. Tout cela culmine avec la grande scène de poursuite dans les rues de la ville marocaine, ahurissant enchaînement de plans-séquences accompagnant le trio terrible à la poursuite des méchants, et du précieux parchemin : en quelques minutes, Spielberg entraîne le spectateur aux côtés des poursuivants, depuis les hauteurs du palais du Sultan jusqu’au port de la ville, en contrebas. La caméra passe sans arrêt en relais, de Tintin à Haddock, de Haddock à Milou, de Milou aux vilains, etc. en survol, en plongée, traversant les bâtiments et les fenêtres sans jamais lâcher de vue les protagonistes. Et le tout passe comme une lettre à la poste, sans que le spectateur cherche à déceler le «truc» au détriment de l’action.

 

Les complices habituels de Spielberg déploient leur talent en donnant presque l’impression de jouer sur du velours. A commencer par John Williams qui s’amuse à délivrer une musique plutôt légère, une sorte de contrepoint astucieux aux habituelles marches symphoniques qui ont fait sa renommée. Williams signe un score entraînant mais relativement sans risques : une entrée «jazzy» pour le générique intronisant le thème de Tintin, une marche guillerette pour Milou, des accordéons et hautbois pour les Dupondt, et une marche «imbibée» pour Haddock, qui n’est pas sans rappeler l’air «Spanish Ladies» que chantait Robert Shaw dans JAWS…

Plus inspiré, Williams compose un joli thème épique pour la Licorne, aux accents wagnériens du VAISSEAU FANTÔME ; il adapte avec humour Rossini et Gounod pour la séquence de la Castafiore, et revisite le grand Erich Wolfgang Korngold, compositeur classique devenu un des pères fondateurs de la musique syphonique de film après avoir fui l’Anschluss, pour le duel Hadoque-Rackham, repris au générique final sous le titre «The Adventure Continues». Un morceau trépidant, très éloigné des modes musicales synthétiques actuelles, délicieusement «rétro».

 

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Mention spéciale par ailleurs au chef-opérateur Janusz Kaminski qui a la lourde tâche de régler jeux de lumière, de couleurs, et éclairages numériques en post-production. Kaminski en joue à merveille, appliquant à la lettre la phrase mystère du parchemin de la Licorne («Car c’est de la Lumière que jaillira la Lumière») à des moments clés de l’aventure. Tintin, véritable «porteur de lumière» dans les ténèbres, est ainsi illuminé à plusieurs reprises dans un univers de Film Noir par ailleurs très atmosphérique. Grâce au travail de Kaminski, Tintin devient ainsi lui-même une métaphore du Cinéma, à la fois Mouvement et Lumière «développante» du film, donc de l’intrigue en plein déroulement progressif.

 

Les-Aventures-de-Tintin-le-secret-dans-la-Lumière  

Peut-être les nostalgiques de la Ligne Claire n’y retrouveront pas totalement leur compte. Cette technique d’illustration mise au point parfaitement par Hergé, Jacobs, leurs collègues et héritiers, repose sur un usage habile de l’à-plat et des jeux de couleur très difficile à traduire en film. L’enchaînement, le découpage très cinématographique des meilleures planches des grands maîtres sont si «scientifiquement» dessinés que cette précision graphique s’accorde paradoxalement assez mal en général au cinéma…

La virtuosité technique de Spielberg, déployée pour mettre en dimension un style visuel très rigoureux, est parfois déstabilisante ; surtout lorsque l’usage de la performance capture et de la 3D créent un «mur psychologique» pour le spectateur… du moins pour les plus matures. Les enfants, peut-être moins sensibilisés aux heures de lecture de Tintin par rapport à leurs aînés, acceptent le film sans la moindre difficulté. Les spectateurs adultes, (souvent tristement rationnels, il faut bien le dire !), auront peut-être plus de difficultés à accepter le film et ses prouesses. Pour parfaire la métaphore, ce nouveau type de cinéma est le mur ou le portail devant lesquels bute Tintin lui-même en cours d’histoire… et que Milou «l’enfant libre» franchit sans se poser de questions !

 

Les-Aventures-de-Tintin-Concept-art-1Les-Aventures-de-Tintin-Concept-art-10Les-Aventures-de-Tintin-Concept-art-7On peut par ailleurs trouver à redire sur l’aspect de certains personnages ; l’animation numérique basée sur la performance capture donne vie et chair aux personnages d’Hergé, mais garde aussi les caractéristiques physiques des visages des comédiens. D’où ce côté «hybride» qui ne fonctionne pas totalement convaincant sur des personnages comme les Dupondt qui semblent porter un masque en plastique… A voir si, dans les années qui vont suivre, les animateurs vont résoudre ce problème.   

 

Reconnaissons quand même à Steven Spielberg, Peter Jackson et leurs complices d’avoir livré un film bien plus réussi et respectueux de la bande dessinée d’origine qu’un nombre considérable d’horreurs filmées récentes. Les adaptations «live» de classiques de la b.d . franco-belge ont généré une impressionnante moisson de navets : ASTERIX AUX JEUX OLYMPIQUES, LUCKY LUKE (deux fois martyrisé, avec LES DALTON d’Eric & Ramzy et la version Jean Dujardin…), IZNOGOUD avec Michaël Youn… sans oublier LES SCHTROUMPFS honteusement américanisés cet été… Autant dire qu’en comparaison, on se satisfera largement du TINTIN version Spielberg-Jackson, qui prouve malgré ses imperfections que l’on peut livrer une adaptation décente, honnête, inventive et respectueuse d’un classique de la bande dessinée franco-belge. Le succès du film lancé en Europe avec deux mois d’avance sur les USA entérine sa réussite, marquant le second meilleur démarrage au box-office de tous les temps derrière le chapitre final d’HARRY POTTER. Et n’oublions pas que c’est un film 100 % européen dans l’esprit ! Quant à savoir s’il plaira au public américain, qui ignore complètement la b.d. européenne ou traite comme une curiosité «artistique exotique», c’est une autre histoire… Quoiqu’il en soit, le film remporte déjà un succès honnêtement mérité.

 

 

Si LE SECRET DE LA LICORNE n’est pas le plus personnel des films du Boss, peut-être cède-t-il parfois à la démonstration évidente du talent de conteur et réalisateur de ce dernier, il n’en demeure pas moins une joyeuse aventure, idéale pour rassembler les spectateurs de 7 à 77 ans en ces temps de déprime généralisée. De ce côté-là, le pari est gagné.

 

Il n’y aura plus qu’à passer bientôt du Secret de la Licorne au Cheval de Guerre. Je dirais même plus : nous passerons bientôt du Secral de la Liquerre au Chevet de Gorne !  

 

9-Ranko-est-content- 

Ranko est content !

 

Ludovic Fauchier, Tonnerre de Blog

LES AVENTURES DE TINTIN : LE SECRET DE LA LICORNE – 5e partie : « Et Resplendira la Croix de l’Aigle… » et autres symboles

LES AVENTURES DE TINTIN : LE SECRET DE LA LICORNE - 5e partie :

PARTIE 5 : « ET RESPLENDIRA LA CROIX DE L’AIGLE… », ET AUTRES SYMBOLES 

 

Spielberg et ses scénaristes ont su concocter un véritable jeu sémantique sur les signes et symboles, un domaine où le cinéaste est insurpassable, rejoignant en cela l’œuvre d’Hergé qui, près de 30 ans après son décès, continue d’intriguer les sémiologues et chercheurs d’indices cachés. 

Avec Tintin, le personnage comme son univers, le cinéaste est particulièrement bien servi. On peut même dire qu’il s’attaque à un véritable archétype en la personne du petit reporter lui-même. Ce dernier n’est pas sans rappeler Peter Pan par certains aspects. Rappelons que le héros du conte de J.M. Barrie était déjà cité dans E.T. avant d’apparaître, adulte, dans HOOK. Nous l’avons dit plus haut, l’univers de la piraterie rapproche ces deux films de Spielberg, et TINTIN offre sans doute au réalisateur l’occasion d’une revanche personnelle sur le mauvais sort, HOOK ayant été un échec artistique sévère et un souvenir amer pour lui.

  

Quels points communs relient donc les deux personnages ? D’abord, leur intemporalité. Peter Pan, on l’a dit, est l’Eternel Enfant qui refuse de grandir et vieillir, vivant des aventures fantastiques mais se montrant aussi (dans les écrits de J.M. Barrie, tout du moins) profondément égoïste et blessant envers son entourage. Tintin, éternel adolescent à l’âge indéterminé, a traversé le 20e Siècle sans vieillir dans les récits d’Hergé. Le physique de Jamie Bell et le look du personnage choisi par Spielberg entérinent cet aspect éternellement juvénile. Tout comme Peter Pan, Tintin est aussi un Enfant Perdu, un orphelin sans père ni mère, qui se compose peu à peu une famille de substitution idéale (Milou, les Dupondt, Haddock, etc.). Autonome (au point de vivre de son métier de reporter sans jamais être vu en train de travailler pour son journal !), Tintin est aussi en mouvement permanent, motivé par le voyage et l’enquête. Il est donc aussi «instable» que Peter Pan, qui, lui, préfère voler… La ressemblance «dans le mouvement» entre les deux personnages saute aux yeux dans la scène où Tintin rencontre Haddock : il surgit par le hublot, en bondissant, tout comme Peter surgissait chez Wendy en sautant par la fenêtre. Et, à l’instar de Peter Pan, Tintin est aussi un personnage égocentrique ; il blesse même psychologiquement le pauvre Haddock en le traitant par le mépris, quand il croit que ce dernier a bu dans son dos. N’oublions pas que les deux personnages ont aussi un compagnon espiègle, symbolisant le côté «libre» de leur conscience : Clochette chez Peter Pan, Milou chez Tintin.

 

Le Capitaine Haddock est pour sa part le personnage central de l’énigme du film. Spielberg et ses scénaristes ont su développer de brillantes idées à son sujet. Haddock n’est pas en effet que le sempiternel faire-valoir comique et alcoolique de Tintin, il est aussi son complément indispensable. Surtout, il est détenteur d’un lourd secret… un thème bien présent au cœur des albums d’Hergé, et sur lequel des psychiatres comme Serge Tisseron ont développé d’audacieuses théories. Tisseron avait en tout cas bien remarqué que les secrets de famille sont au cœur de l’album LE SECRET DE LA LICORNE, et les avait rattaché à la propre histoire d’Hergé. L’auteur belge était lui-même le descendant d’un «enfant perdu», son père (qui avait un frère jumeau, tous deux lui ayant inspiré les Dupondt !). Le père d’Hergé était né d’une liaison adultérine de sa grand-mère, domestique, avec un inconnu. L’héritage caché d’Haddock faisait donc écho au secret des origines de son créateur. Le thème du secret de famille pèse sur celui de la Licorne, dans sa version dessinée comme sa version filmée. 

Le vieux marin est comme celui du poème de Coleridge, auquel film et bande allusion font référence : «De l’eau, de l’eau, de l’eau, partout de l’eau !», auquel Hergé et Spielberg répondront «Le pays de la soif, le pays de la soif…»). Haddock entre littéralement en scène au fond du trou, celui d’une bouteille de whisky bien descendue… Conformément à ses débuts dans LE CRABE AUX PINCES D’OR, il n’est plus qu’une épave quand Tintin le rencontre. S’il ne pleure plus sa maman comme chez Hergé, l’idée demeure : Haddock est un homme dépressif, hanté par un lourd secret de famille qui l’a réduit à néant. Symboliquement, il n’est plus le maître de son navire, jeté à fond de cale par le perfide Sakharine. Et il faut toute l’aide et la patience de Tintin pour aider ce drôle de personnage à remonter la pente. Il faudra pour cela toute une série d’obstacles et une épreuve «mystique» pour que le Capitaine récupère enfin son précieux héritage et se débarrasse du secret de famille, la seule vraie «malédiction» pesant sur lui. Cela culminera avec le discours plein de noblesse émis par le Capitaine à Tintin, sur le poids d’un échec ancestral auquel il aura accordé trop d’importance. Une fois arrivé à la fin de l’aventure, Haddock va redevenir le Roi qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être.

Il se pare du chapeau et de l’épée de corsaire de son aïeul comme s’il s’agissait d’attributs royaux, illuminé par une lumière divine. Et, cerise sur le gâteau, il verse le contenu du trésor dans une coupe d’argent évoquant furieusement le Graal ! Derrière le clin d’œil aux aventures d’Indiana Jones, Spielberg a parfaitement intégré la référence à la légende du Graal dans la relation de Haddock et Tintin. Haddock, c’est Amfortas, le Roi Pêcheur, réduit à l’impuissance, que sa rencontre avec Perceval, le chevalier pur et naïf, va ramener au réveil de sa conscience et de sa royauté. Le couronnement d’Haddock prend donc tout son sens, d’autant plus qu’il a lieu dans un château, don du Roi à son ancêtre.

Les-Aventures-de-Tintin-larrestation-de-Mr.-Filoselle dans Fiche et critique du film

Le fameux château de Moulinsart nous amène quant à lui à un puissant symbole. Il est intéressant de noter que la version originale du film adapte et transforme le nom en «Marlinspike», «le rostre du Marlin»… la référence au monde marin est évidente, et parfaitement en accord avec le Capitaine Haddock, lui-même un beau poisson (ou un vieux cachalot, selon son traître de second). Les armoiries repérées par Tintin renforcent l’allusion aux origines royales de son futur ami, avec humour : un haddock couronné !

Mais «Marlinspike» a un double sens caché. En pratiquant la Langue des Oiseaux, l’association d’idées et de mots cachés, on transforme le marlin, poisson pourvu d’une «épée» cher à Hemingway, en narval, mammifère cétacé lui-même pourvu d’une corne, une dent de la mer. Le narval est surnommé depuis des siècles «Licorne de mer», ce qui nous ramène au fameux secret… Donc, le château de «Marlinspike» est en réalité «le château de la Licorne», détenteur du secret de la lignée des Haddock. Le scénario rejoint astucieusement le propos d’Hergé et le final du TRESOR DE RACKHAM LE ROUGE : il rappelle qu’il n’est pas nécessairement besoin de partir très loin à l’aventure pour trouver ce qui est caché sous ses yeux !

La licorne, rassemblant à la fois Haddock, le navire disparu et le château de Moulinsart / Marlinspike, est un symbole des plus intéressants. Cet animal fabuleux aux vertus guérisseuses représente la pureté et la force ; il symbolise aussi, dans le monde chrétien, l’illumination divine et est souvent associé au Christ lui-même. Spielberg suggère cet aspect plus qu’il ne l’explicite, dans le parcours de Tintin et d’Haddock : ce dernier guérit spirituellement grâce à la pureté d’âme de Tintin (souvenez-vous de TINTIN AU TIBET, où le héros est baptisé «Cœur Pur») pour être finalement couronné Roi.

Notons par ailleurs que, dans le Talmud, une licorne a survécu au Déluge en restant hors de l’Arche… pas celle de l’Alliance, mais son ancêtre maritime, celle de Noé ! Cela expliquerait peut-être le choix de Spielberg de montrer la bataille épique et le naufrage du navire sous un déluge biblique, loin des images ensoleillées de l’album  d’Hergé. Par ailleurs, on trouve aussi une licorne chinoise, «Ki Lin», symbole tout aussi positif qui représente aussi le Yin et le Yang – nous renvoyant du même coup à la complémentarité de Tintin et d’Haddock.

On trouve aussi, sur des sculptures et peintures, une thématique de la Licorne plus violente : deux Licornes s’affrontent, entrecroisant leurs cornes comme des épées. Un conflit représentant les valeurs antagonistes de l’animal mythique – Pureté contre Brutalité, Virginité contre Virilité, etc. Une image forte, en tout cas, qui ressurgit dans le film de Spielberg. Grand manieur de symboles, le cinéaste a parfaitement su représenter la malédiction opposant les Hadoque/Haddock et les Rackham/Sakharine. Les cornes entrecroisées des Licornes nous renvoient à l’image du duel (faut-il rappeler certain film du jeune Spielberg…) : celui que se livrent donc les deux familles ennemies depuis des siècles. Les cornes deviennent épées, celle du duel opposant le Chevalier François de Hadoque à Rackham le Rouge. Spielberg rajoute à cela l’image spectaculaire des mâts des deux navires entremêlés en pleine bataille ; il complètera la métaphore dans le duel final, réglé à coups de grue de chantier entre Haddock et Sakharine. L’idée est la même durant tout le film : les destins de Haddock et Sakharine ne cessent de s’entrecroiser, de «s’emmêler», jusqu’à ce que le bon Capitaine décide enfin de mettre un terme au conflit en jetant à Sakharine «l’arme» de sa déchéance pratiquée à son encontre par le méchant : les bouteilles de whisky !

 

LE SECRET DE LA LICORNE, enfin, ne serait pas complet si Spielberg n’offrait pas à ses spectateurs l’occasion d’un nouveau voyage à travers le Cinéma. Le réalisateur s’amuse à revisiter à sa façon de nombreux classiques mal connus du jeune public, et à leur offrir une nouvelle jeunesse.

Le film baigne dans une grande partie dans une atmosphère de Film Noir opportune dans un récit datant de 1940, spécialement dans les séquences à bord du cargo Karaboudjan. LE FAUCON MALTAIS, pierre fondatrice du film noir et classique de John Huston adapté de Dashiell Hammett, y est donc fréquemment cité. Outre la citation d’Haddock évoquée plus haut, nous trouvons un vilain faucon en chair et en plumes, l’oiseau dressé de Sakharine qui lui sert à accomplir ses méfaits. Et en opposition à ce maléfique rapace, un bon rapace, l’Aigle sculpté de Saint Jean l’Evangéliste, montrera à nos héros l’emplacement exact du trésor tant recherché. Plus drôle, et bien digne de la Langue des Oiseaux, l’allusion au film de Huston passe aussi par le surnom gracieux de la Castafiore : le Rossignol Milanais, contrepoint du Faucon Maltais !

 

Les-Aventures-de-Tintin-Calico-Jack-Rackham-le-vrai-Rackham-le-Rouge

Bien sûr, les grands films de pirates et les classiques du genre «Swashbuckler», le film de cape et d’épées, ne sont pas oubliés par Spielberg. Depuis HOOK, on devinait que le réalisateur brûlait d’envie de réaliser un vrai film de pirates marchant sur les traces des œuvres de Michael Curtiz, William Dieterle ou Rouben Mamoulian. C’est chose faite avec le combat épique opposant le Chevalier à Rackham le Rouge. En quelques minutes étourdissantes, Spielberg condense les scènes mémorables du genre, envoyant par le fond les quatre PIRATES DES CARAÏBES rondement menés, mais si fantaisistes… à noter que Rackham le Rouge, au look tenant du Capitaine Crochet et de Basil Rathbone (l’éternel méchant des films de Flynn), s’inspire d’un vrai pirate, Calico Jack Rackham, amant des femmes pirates Mary Read et Anne Bonny.

Autre inspirateur classique de Spielberg, Alfred Hitchcock n’est pas oublié – l’attaque de l’hydravion renvoie bien évidemment à NORTH BY NORTHWEST (LA MORT AUX TROUSSES). Rendons cependant à César ce qui lui appartient : Hergé est l’inventeur de cette séquence, dans LE CRABE AUX PINCES D’OR, écrit vingt ans avant la sortie sur les écrans du chef-d’œuvre d’Hitchcock en 1960. Plus amusant, on ne peut s’empêcher de noter une certaine ressemblance entre le visage du Maître du Suspense et celui du flegmatique Nestor !

Et, nous renvoyant au début de ce texte, LE SECRET DE LA LICORNE ne serait pas complet sans le goût de l’humour burlesque qui caractérisait autant Hergé que Spielberg. Ce dernier n’oublie pas de citer Charles Chaplin ; la relation Tintin-Haddock, ce dernier étant un allié souvent difficile pour le jeune homme, nous renvoie donc à celles de «Charlot» et ses compagnons d’infortune. Tels Big Jim (Mack Swain) dans LA RUEE VERS L’OR, aux «écarts de conduite» dangereux pour le héros ; et le Milliardaire ivre (Harry Myers) des LUMIERES DE LA VILLE. Comme lui, Haddock est totalement amnésique une fois devenu sobre ! La grande scène de la fuite en hydravion nous rappelle quant à elle les gags de la fuite en avion au début du DICTATEUR.

Une série de gags en avion, nous en trouvons d’ailleurs aussi dans un classique de 1939 des inénarrables Laurel et Hardy, FLYING DEUCES (LES CONSCRITS), aussi hilarante que les acrobaties du Capitaine et de Milou à bord de l’hydravion. LES CONSCRITS nous emmenait d’ailleurs dans une relecture parodique des films de la Légion Etrangère qui fleurissaient dans les années 1930 (LA BANDERA avec Jean Gabin, MOROCCO / CŒURS BRULES et BEAU GESTE avec Gary Cooper), Légion Etrangère présente chez Hergé et qui fait une brève apparition chez Spielberg. Toujours dans l’esprit de Laurel et Hardy, la séquence du canot se conclut chez Tintin par la réplique la plus célèbre du duo : «this is a fine mess…» qui concluait chacune de leur catastrophe !

 

Les-Aventures-de-Tintin-Side-car-

Rajoutons les Marx Brothers et leur side-car fou, dans LA SOUPE AU CANARD, chef-d’œuvre de Leo McCarey, dans la grande course poursuite dans les rues marocaines. Même si, en l’occurrence, Spielberg est dans l’autocitation, le side-car étant déjà présent dans les poursuites comiques de 1941 et LA DERNIERE CROISADE.

Spielberg conclut ce tour d’horizon burlesque en saluant la mémoire du regretté Blake Edwards parti en début d’année. Impossible de ne pas rapprocher la bêtise légendaire des Inspecteurs Dupondt avec celle de l’irremplaçable Jacques Clouseau, alias Peter Sellers. A se demander d’ailleurs si Edwards n’avait pas lu quelques albums d’Hergé au moment d’inventer son célèbre inspecteur gaffeur, lui aussi se mélangeant souvent les pinceaux, verbalement parlant, et pratiquant l’art du déguisement «discret» avec bonheur pour le spectateur… La scène des portefeuilles retrouvés par les Dupondt est du pur Edwards : les deux inspecteurs ne reconnaissent pas leur seul et unique suspect, le raccompagnent aimablement chez lui, ne réalisent pas qu’ils tiennent leur voleur et ne reconnaissent pas plus leurs propres portefeuilles ! On rajoutera une touche «edwardsienne» supplémentaire chez Spielberg avec l’apparition de la Castafiore, dont les vocalises explosent les verres, comme le faisait Julie Andrews dans VICTOR/VICTORIA ! De là à dire, comme certains le pensent, que la Castafiore serait un travesti…

 

Scénaristes et réalisateurs s’amusent bien à ajouter plusieurs gags de leur cru, dans le même esprit – obligeant souvent le spectateur à redoubler de vigilance pour ne pas manquer une scène en arrière-plan (par exemple lors de l’arrestation de Filoselle, une courte scène entre les voisins de ce dernier devant la boutique d’animaux) ; d’autres sont beaucoup plus évidents, comme le rallumage très spécial du moteur de l’hydravion par Haddock !

Les gags classiques d’Hergé ne sont pas oubliés, les auteurs truffant à l’intention des amateurs plusieurs «Œufs de Pâques» : notamment la fameuse bulle d’alcool en apesanteur, transposée depuis ON A MARCHE SUR LA LUNE, prétexte à un concours de boisson hilarant entre Milou et Haddock en pleine panique aérienne ! Là encore, 1941 n’est pas loin… Les tintinophiles reconnaîtront par ailleurs des images familières : des articles placardés chez Tintin, faisant référence à ses précédentes aventures ; la Jeep rouge de Sakharine (sortie d’AU PAYS DE L’OR NOIR) ; ou les apparitions du Crabe au Pince d’Or, aussi bien en boîtes de conserve qu’en ornement de fontaine. Autant de petits cadeaux bienvenus, contribuant à la bonne humeur générale.  

 

La vision spielbergienne s’est donc très bien adaptée à l’univers d’Hergé, culminant dans une scène finale qui cimente définitivement l’Amitié et l’Aventure. Avec une ultime pirouette annonçant le début d’une future suite… que peut bien être ce mystérieux «second trésor» enfoui dans l’épave de la Licorne au fond de l’océan ? Déjà, les internautes spéculent à qui mieux mieux… Et si une réplique du Capitaine, dans cette dernière scène, parlant de l’Amérique du Sud, nous donnait un indice ? Pourquoi pas, alors, un cercueil en or renfermant certaine momie inca… Cela nous mènerait alors aux 7 BOULES DE CRISTAL et au TEMPLE DU SOLEIL, et à l’entrée en scène d’un professeur un peu dur d’oreille.

 

Les-Aventures-de-Tintin-Tryphon-a-le-dernier-mot-

… Euh, hé bien, merci Professeur pour cette réponse que nous transmettrons à Peter Jackson, qui finalise de son côté le tournage de BILBO LE HOBBIT. Il décidera si la seconde aventure de Tintin sur grand écran, filmée par ses soins, sera bien son odyssée péruvienne, ou une autre aventure. Wait and see.  

 

(Prochain épisode : TOUT EST BIEN QUI FINIT BIEN, MILLE SABORDS !)

LES AVENTURES DE TINTIN : LE SECRET DE LA LICORNE – 4e Partie : Dans ce Rêve qui m’enivre…

LES AVENTURES DE TINTIN : LE SECRET DE LA LICORNE - 4e Partie : Dans ce Rêve qui m'enivre... dans Fiche et critique du film Les-Aventures-de-Tintin-présentations-officielles 

PARTIE 4 : DANS CE RÊVE QUI M’ENIVRE…

 

Parmi les nombreuses embûches qui guettaient TINTIN, l’adaptation des albums en scénario cohérent n’était pas la moindre… Les scénaristes, sous la bonne influence de Spielberg et Jackson, ont su faire preuve de beaucoup d’astuce, quitte à prendre le risque de faire grincer les dents des puristes. LE SECRET DE LA LICORNE est en tout cas tout à fait fidèle en tous cas à l’esprit d’Hergé, tout en sachant prendre des libertés avec les récits d’origine. C’est la dure loi de l’adaptation cinématographique d’une œuvre connue et appréciée depuis des générations : il faut savoir faire des choix dramaturgiques drastiques et s’y tenir !  

Steven Moffat, Edgar Wright et Joe Cornish n’ont pas forcément eu la partie facile : à eux la lourde tâche de livrer un récit combinant le doublon LICORNE/RACKHAM au CRABE AUX PINCES D’OR, qui marque la rencontre historique de Tintin et du Capitaine Haddock… et le début chaotique de leur grande amitié ! Une adaptation littérale de l’une ou l’autre histoire n’aurait tout simplement pas fonctionné : malgré tout l’amour que l’on porte aux histoires écrites par Hergé, il faut bien reconnaître que la LICORNE et le CRABE ont des intrigues trop linéaires. Tintin découvre un crime, trouve des indices, poursuit les méchants et finit comme il se doit par l’emporter… très sommairement dit, tel est le résumé des albums en question. Et quant au TRESOR DE RACKHAM LE ROUGE, il n’aurait certainement pas mené le spectateur bien loin… malgré l’entrée en scène du Professeur Tournesol et son Requin submersible, grands absents du film. On ne peut pas tout avoir.

 

Pour retourner ces problèmes à l’avantage du film, les scénaristes ont non seulement dû décortiquer l’univers de Tintin, rester fidèles à l’esprit des albums, mais aussi su étoffer les histoires en réservant de nombreuses surprises en cours de route. Une décision cohérente, justifiée par la minceur des rebondissements du TRESOR… et qui permet à Spielberg d’apporter sa vision de Tintin, de modifier le déroulement des grandes scènes attendues et d’inventer des scènes originales qui n’ont pas à rougir de celles imaginées par Hergé. On peut aussi y deviner la contribution spéciale de Peter Jackson, habitué à ces problèmes d’adaptation ; avec ses coscénaristes du SEIGNEUR DES ANNEAUX, Jackson s’était retrouvé dans la situation opposée : faire d’une œuvre universellement connue, celle de Tolkien, impossible à retranscrire telle quelle à l’écran (trois tomes de près de 1500 pages au total), une œuvre cinématographique viable, en élaguant pour la bonne cause dans le récit d’origine. Ensuite, Jackson, avec KING KONG, dut procéder dans le sens inverse en étoffant l’histoire originale du film de 1933. Le principe est le même, ici, avec les albums de Tintin, à la fois transposés et développés à partir des idées d’Hergé.

Somme toute très fidèle aux récits originaux de ce dernier, le film de Spielberg bifurque ainsi ensuite de l’œuvre originale, éliminant complètement l’intrigue de l’album LE TRESOR DE RACKHAM LE ROUGE, avant le rétablissement final sorti de cette histoire.

 

Les-Aventures-de-Tintin-restez-couchés- dans Fiche et critique du film

  

Steven Spielberg s’amuse avec assez de malice pour garantir au spectateur de passer un bon moment dans un univers familier. Et il n’oublie pas de rendre l’hommage approprié à Hergé dès les premières minutes du film. Un générique astucieux, assez similaire à celui d’ARRÊTE-MOI, est un plaisant hommage à l’esthétique Ligne Claire, et un voyage référentiel dans les symboles les plus marquants des aventures de Tintin : au détour d’un plan, vous reconnaîtrez sans peine le fétiche de L’OREILLE CASSEE, la fusée lunaire rouge et blanche, ou la statue de «l’Astronaute» de VOL 714 POUR SIDNEY. Idée supplémentaire durant ce générique résumant la carrière de détective de Tintin, à la poursuite d’un voleur, le jeune héros apporte la lumière dans les ténèbres. Le réalisateur fait sien la phrase mystérieuse du parchemin de la Licorne : «…car c’est de la Lumière que jaillira la Lumière.», une idée qui reviendra constamment dans le film où Tintin sera comme il se doit le découvreur de mystères, le «décodeur» d’énigmes, bref celui qui «éclaire nos lanternes» et fait triompher le Bien. Et Spielberg de conclure malicieusement son générique en mettant les points sur les i, le sien en l’occurrence. LE SECRET DE LA LICORNE sera bien SON film !

 

Le cinéaste a l’idée de génie, pour ouvrir son film, de faire apparaître Hergé lui-même, en peintre amateur, souriant maître de cérémonie, qui dessine le portrait de Tintin façon Ligne Claire ! Bien vu, cela permet aux scénaristes et au réalisateur d’amorcer le délicat passage de la b.d. à leur propre film, en signifiant au spectateur qu’ils n’ont pas oublié de respecter l’esprit du père de Tintin.

De fait, Spielberg et ses scénaristes réussissent le pari de l’adaptation. Même les scènes les plus attendues par ceux qui connaissent par cœur la bande dessinée offrent à ces derniers de bonnes surprises : la rencontre de Tintin et Haddock, leur cohabitation difficile dans un canot à la dérive, les Dupondt à la poursuite du kleptomane Filoselle, l’histoire de la Licorne et du Chevalier de Hadoque, etc. sont à la fois semblables et différentes de leur version dessinée.

Le point fort de l’album de LA LICORNE, le récit de la Licorne par le Capitaine Haddock, vécu intensément par ce dernier au point qu’il s’identifie totalement à son ancêtre, est habilement déplacé dans le film. En pleine traversée du désert, «le Pays de la Soif», le Capitaine en proie aux affres du sevrage a des hallucinations très réelles… il revit littéralement la fameuse bataille opposant son ancêtre aux pirates de Rackham le Rouge. Visions, identification délirante… l’esprit tourmenté du pauvre Haddock vit dans ces scènes une véritable illumination mystique, une révélation au sens biblique du terme. Il plonge dans l’Histoire, et nous fait découvrir l’origine du drame qui a marqué sa famille pour des siècles. Un vrai morceau de bravoure, tant à l’écriture qu’à la mise en scène.

 

Les-Aventures-de-Tintin-Tintin-retrouve-Sakharine

 

Il est intéressant de noter aussi comment le récit s’articule en fait autour de l’évolution de Tintin. LE SECRET DE LA LICORNE nous montre donc le jeune reporter enquêter très classiquement en solitaire, avec tout de même Milou, avant de faire la connaissance de Haddock dans l’hostilité réciproque ; le scénario suit intelligemment en cela l’évolution du personnage au travers de ses albums, tout d’abord héros solitaire et raisonneur qui trouvera ensuite son parfait complément en la personne du vieux capitaine. Et du coup, le film s’en trouve bonifié ; la chasse au trésor des deux albums devient le simple prétexte, le «McGuffin» nécessaire pour cimenter le vrai trésor : l’Amitié née entre ces deux personnages antagonistes et profondément isolés.

A côté des scènes attendues, les scénaristes libèrent leur créativité dans des scènes plus originales. Le dortoir des marins, par exemple, mêle les gags visuels digne des meilleures comédies «slapsticks» et un certain sentiment d’angoisse… la résolution de la scène est merveilleusement absurde : que de risques pris pour un trousseau de clés, garantissant à Haddock un moyen d’évasion très personnel… l’ouverture de la réserve d’alcool ! Les gags et rebondissements s’enchaînent vite, sans confusion. Ils culminent dans une scène grandiose, totalement inventée pour les besoins de l’histoire : le récital donné par LA diva, Bianca Castafiore, guest star de poids de ce film ! Complice malgré elle des plans crapuleux de Sakharine et ses sbires, le Rossignol Milanais interprète non pas l’Air des Bijoux de Faust, mais un autre classique du répertoire de Charles Gounod : «Je Veux Vivre», la chanson de Juliette dans ROMEO & JULIETTE.

 

Les paroles sont tout un programme :  

«Ah! Je veux vivre / Dans ce rêve qui m’enivre ; Ce jour encore, / Douce flamme, / Je te garde dans mon âme / Comme un trésor !
Cette ivresse / De jeunesse / Ne dure, hélas ! qu’un jour ! / Puis vient l’heure / Où l’on pleure, / Le cœur cède à l’amour, / Et le bonheur fuit sans retour.
Je veux vivre, / Dans ce rêve qui m’enivre ; / Ce jour encore, / Douce flamme, / Je te garde dans mon âme / Comme un trésor !
Loin de l’hiver morose / Laisse-moi sommeiller / Et respirer la rose / Avant de l’effeuiller.

Ah ! / Douce flamme, / Reste dans mon âme / Comme un doux trésor / Longtemps encore !»

Au narcissisme triomphant de l’Air des Bijoux, que l’on attendait tous, Spielberg préfère un chant plus symbolique pour célébrer la rencontre de la Castafiore avec le Capitaine Hoddack…. Haddada… Haddock. Ce dernier bat prudemment en retraite ; est-ce pour fuir le supplice des vocalises enflammées, ou parce qu’il est plus touché qu’il n’y paraît par les paroles de la chanson ? Celles-ci le renvoient directement à ses problèmes : l’alcoolisme, la mélancolie, et un trésor perdu… Peu habitué à être l’objet d’une déclaration d’amour très féminine et intuitive, le Capitaine prend peur !  

 

L’astuce du scénario passe aussi par des références très subtiles, d’ordre littéraire et théâtral. Tintin cite Rimbaud (l’éternel jeune poète lui-même parti jadis à l’aventure sur les mers…) : «Il faut s’enfuir de ce bateau ivre !». Haddock, quant à lui, interrogé par son nouvel ami sur le trésor de la Licorne, fera référence à Shakespeare : «c’est l’étoffe dont les rêves sont faits». C’est une réplique de Prospero («Such stuff as dreams are made on»), figure centrale de LA TEMPÊTE (comme celle qui malmène nos héros à bord de l’hydravion)… Ce qui nous ramène incidemment au Cinéma, et à une réplique mythique de Bogart du FAUCON MALTAIS.

Spielberg a aussi fait directement référence, à travers TINTIN, au Théâtre de Bertolt Brecht. Le grand dramaturge allemand créa pour ses pièces contemporaines des débuts d’Hergé un procédé alors inédit : la distanciation. Les personnages de Brecht pouvaient ainsi interrompre le déroulement de la pièce pour prendre directement à partie le spectateur. Le but cherché par l’auteur était de provoquer la réflexion de ce dernier, plutôt que l’identification aveugle aux personnages. Chez Spielberg, ce procédé est pour la première fois mis en avant. Il y avait bien eu quelques tentatives précédentes, de plus en plus élaborées : notamment dans JURASSIC PARK, où Ian Malcolm (Jeff Golblum) s’adressait directement au public («vous entendez ça ? Ce pas qui fait trembler la terre ?… Je commence à être vraiment inquiet.») ; et dans MINORITY REPORT, le débat éthique opposant Anderton et Witwer (Tom Cruise et Colin Farrell) au sujet des Précogs était aussi l’occasion pour Spielberg de prendre à partie le spectateur au sujet des mesures liberticides montrées dans le film (tourné au moment où le gouvernement Bush justifiait la guerre préventive et le Patriot Act).

Avec LE SECRET DE LA LICORNE, Spielberg, respectant autant la dramaturgie d’Hergé que celle de Brecht, procède de même : Tintin y pratique le soliloque, dialoguant avec Milou (qui ne parle plus comme dans la b.d.) pour mieux faire évoluer ses pensées de détective, et fait partager ses déductions au public, aimablement invité à participer à l’enquête. Et c’est aussi une façon cachée de montrer que Tintin, esprit curieux par nature, est d’une certaine façon enfermé dans sa propre bulle. Sa rencontre avec Haddock l’oblige donc à évoluer, à lui faire part de ses réflexions et à s’ouvrir à l’Autre en le traitant sur le même pied d’égalité.

 

 Les-Aventures-de-Tintin-énigmes-sur-un-canot

Aidé par ce scénario bien agencé, les comédiens ont su habiter les personnages comme il le fallait. En premier lieu, Jamie Bell, le petit danseur de BILLY ELLIOT, remarqué par Spielberg qui le fit jouer dans MEMOIRES DE NOS PERES (produit par ses soins pour Clint Eastwood) et que nous avons pu revoir notamment, outre KING KONG, dans DEFIANCE (LES INSURGES), en frère cadet de Daniel Craig, ici son ennemi. Bell a la lourde tâche d’incarner Tintin, un personnage par définition héroïque, positif, sans faille particulière. Bref, un personnage sans caractérisation forte, bien défini par son nom. Le jeune comédien anglais, avec beaucoup d’intelligence, relève le défi et a su trouver le point fort de sa caractérisation : selon lui, Tintin est un personnage égoïste, motivé par son besoin quasi compulsif de résoudre des énigmes (imitant en cela Sherlock Holmes tel qu’il fut imaginé par Conan Doyle), et finalement assez dur sous son allure irréprochable. Tintin se définit comme un «réaliste», un raisonneur moraliste, émotionnellement renfermé, mais qui va progresser dans le bon sens. D’abord par l’affrontement hostile, ensuite par l’échange et la compréhension. Bell a su parfaitement cerner un personnage plus complexe qu’il n’y paraît, comme le sont tous les protagonistes spielbergiens.

Bien sûr, à ce Tintin fidèle à l’original, il fallait un allié de taille, son parfait contrepoint, source et victime de la majorité des gags du film. Dans le rôle du Capitaine Haddock, Andy Serkis est parfait de bout en bout. L’acteur britannique, quasi sosie de Peter Lorre dans la réalité, est devenu LA star du cinéma en performance capture… un parfait «character actor» connu et apprécié pour ses interprétations numérisées – la dernière en date étant le chimpanzé intelligent Caesar, dans la dernière mouture de LA PLANETE DES SINGES. En incarnant le bon Capitaine, Serkis s’approprie son caractère à merveille, apportant le vent de folie espéré. A la fois clown, pathétique, émouvant et profondément chevaleresque, Serkis EST Haddock. Un savoureux accent celte, en VO, donne de plus au personnage une couleur réjouissante, le faisant tout droit sortir des pièces – très imbibées ! – des grands auteurs irlandais, tels Sean O’Casey.

Daniel Craig retrouve quant à lui Spielberg, six ans après la claque de MUNICH ; suave et intimidant, l’acteur crée un méchant inédit dans l’univers de Tintin. Son Ivan Ivanovich Sakharine est très différent, et pour cause, de celui imaginé par Hergé. De simple faux suspect chez Hergé, Sakharine devient ici une «fusion» de plusieurs vilains de Tintin : les frères Loiseau, antiquaires crapuleux du SECRET DE LA LICORNE (manquant à vrai dire de réelle personnalité pour vraiment intéresser Spielberg), Rastapopoulos (dont il reprend les activités, et son bras droit Allan Thompson), avec une forte touche de Rackham le Rouge, avec qui il partage une certaine ressemblance physique, renforcée ici par une astuce du scénario. Craig s’amuse bien, de toute façon, à composer ce vilain raffiné aux manières de pirate.

Les autres personnages sont plus classiques : la Castafiore, Nestor… et les Dupondt, auxquels les duettistes de SHAUN OF THE DEAD et HOT FUZZ Simon Pegg et Nick Frost donnent une bêtise policière adéquate. Ils emportent d’ailleurs le morceau lors d’une grande scène de «non-arrestation» du kleptomane Filoselle. D’une grande drôlerie, la prestation de Pegg et Frost ne parvient pas pourtant à convaincre totalement : les deux meilleurs acteurs de comédie au monde ne peuvent peut-être pas totalement reproduire la gestuelle irrésistiblement symétrique de leurs modèles de papier.

Et n’oublions pas Milou, le toutou tout numérique ! Un véritable acteur, complément indispensable de Tintin puis de leur trio formé avec Haddock. Gourmand, curieux, maladroit, fanfaron, joueur… et aussi alcoolique… le petit chien représente toujours le côté «clown», enfant libre du si raisonneur Tintin ! Spielberg ne l’a pas oublié et a bien saisi son rôle fondamental dans l’aventure. S’il est désormais muet, il a gardé tout le côté instinctif de la personnalité de Tintin. Quand ce dernier se heurte à des portes fermées, des cryptes emmurées… bref, au mur froid de la Raison, Milou, le roi du faufilage, contourne les obstacles pour montrer le bon chemin caché.   

 

(Prochain épisode : ET RESPLENDIRA LA CROIX DE L’AIGLE… et autres symboles)

LES AVENTURES DE TINTIN : LE SECRET DE LA LICORNE – 3e Partie : « C’est à la fois très simple et très compliqué… »

LES AVENTURES DE TINTIN : LE SECRET DE LA LICORNE - 3e Partie :

3e PARTIE  : «C’EST A LA FOIS TRES SIMPLE ET TRES COMPLIQUE…»

 

C’est finalement au terme d’une série de rencontres déterminantes que le projet longtemps espéré de TINTIN par Spielberg vit le jour. Il réacquit les droits de production par son studio DreamWorks en 2002. En 2004, Spielberg remit à son confrère néo-zélandais l’Oscar du Meilleur Réalisateur pour le chapitre final du SEIGNEUR DES ANNEAUX, LE RETOUR DU ROI. Ce fut la première rencontre entre les deux hommes… 

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Peter Jackson, lecteur passionné des albums d’Hergé durant son enfance, apprit par la suite Spielberg cherche à produire «son» film de Tintin en chair et en os. Jackson milite, si l’on peut dire, pour convaincre Spielberg de se tourner vers un film d’animation totalement numérique. Pour ce faire, il se filme dans un film-test en novembre 2006, grimé en Capitaine Haddock aux côtés d’un Milou animé en images de synthèse ! La scène est tournée sur les plateaux de Weta Digital, la société d’effets spéciaux fondée par Jackson , la société préparant alors le tournage d’AVATAR. Jackson joue son film-test sous les yeux des réalisateurs James Cameron et Robert Zemeckis. Spielberg est convaincu par le film que lui montre Jackson (et franchement hilare quant à la prestation de son collègue !). Il se décide donc, pour la première fois de sa carrière, à réaliser un film d’animation.

Après diverses tractations et l’écriture d’un scénario approuvé, signé de Steven Moffat (auteur de l’excellente mini-série britannique JEKYLL basée sur le roman classique de Robert Louis Stevenson) puis remanié par Edgar Wright et Joe Cornish (deux jeunes anglais qui ont fait mouche avec les comédies SHAUN OF THE DEAD et HOT FUZZ, avec les futurs Dupont et Dupond, Simon Pegg et Nick Frost), Spielberg tourne en 2009 LES AVENTURES DE TINTIN : LE SECRET DE LA LICORNE, premier opus annoncé d’une série de films consacrés à Tintin, Milou et Haddock. Le tournage avec les acteurs ne dure que 35 jours, mais c’est une post-production marathon de près de 18 mois qui s’ensuit, laissant à Spielberg le temps de tourner entretemps LE CHEVAL DE GUERRE et d’entamer le tournage de LINCOLN.

 

Les-Aventures-de-Tintin-tournage-numérique dans Fiche et critique du film  

Pour Spielberg, TINTIN est une série de paris délicats accomplir. Il refusa pendant longtemps de passer au cinéma tout numérique, malgré les pressions amicales de son allié et collègue George Lucas. Un paradoxe pour le réalisateur qui ouvra la brèche numérique avec JURASSIC PARK… Spielberg voulait en fait rester fidèle, par tradition, au cinéma tourné sur pellicule argentique et au montage à la classique Moviola. On peut être à la fois à la pointe du progrès cinématographique et rester respectueux des bonnes vieilles habitudes de son métier ; ce n’est pas par passéisme, mais plutôt pour ne pas céder aux sirènes du modernisme technologique à tout va. Une question de philosophie de vie, avant d’être une volonté de se plier aux modes. Ses dernières prouesses, d’A.I. au ROYAUME DU CRANE en passant par MINORITY REPORT ou LA GUERRE DES MONDES, sont là pour prouver qu’il sait utiliser le meilleur des deux mondes cinématographiques, l’analogique (le tournage classique, l’utilisation du support argentique ou le montage à la main) et le numérique (l’insertion d’effets absolument crédibles et indétectables). Comme il le répète lui-même, dans son domaine, le meilleur «jouet» hyper-technologique ne vaut rien s’il n’y a pas au demeurant une base humaine solide, une âme dans le projet qui l’intéresse…

Cette attitude, mal comprise dans les médias, a parfois donné l’impression qu’il se faisait tirer l’oreille avant d’accepter de se lancer enfin dans le cinéma 100 % numérique : TINTIN marque pour lui l’occasion de réaliser enfin un pur film d’animation, un de ses rêves de longue date, tout en utilisant à son avantage le meilleur de la technologie numérique moderne. Son TINTIN lui donne par ailleurs l’occasion de changer d’autres habitudes, ne serait-ce qu’en se tournant non plus vers George Lucas et ILM, les complices de longue date, et de s’associer cette fois à Peter Jackson et son studio d’effets spéciaux et d’animation numériques, Weta Digital.

Spielberg s’attaque donc aussi pour la toute première fois à un tournage en «performance capture». Rappelons l’impact du travail réalisé par Peter Jackson en la matière, avec les créations d’un Gollum dans LE SEIGNEUR DES ANNEAUX, et d’un KING KONG, tous deux d’un réalisme incroyable, et incarné par l’acteur expert du «support» numérique : Andy Serkis, devenu ici un Capitaine Haddock en chair et en os ! Serkis qui apparaissait en cuistot dégoutant du cargo «Venture» de KING KONG, déjà aux côtés d’un jeune matelot joué par Jamie Bell… Peter Jackson avait déjà une idée sur la suite à donner à l’interprétation de TINTIN et tendait la perche à Spielberg par film interposé.

Avec le tournage de TINTIN en performance capture, une nouvelle étape est franchie. Certes, Spielberg n’a pas été le premier cinéaste à employer cette technique. Qu’est-ce donc que la performance capture, Auguste ? … Au juste ? Comme dirait le Capitaine Haddock dans TINTIN AU PAYS DE L’OR NOIR : «hé bien, c’est à la fois très simple et très compliqué !» 

 

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Tout s’est joué par étapes progressives …

On connaissait la «motion capture», enregistrement informatique des gestes répétés par un acteur scanné et numérisé. Exemple connu : Robert Patrick, interprète du cyborg T-1000 dans TERMINATOR 2 en 1991. L’acteur, vêtu d’un justaucorps couvert de quelques capteurs placés aux points stratégiques de son anatomie (coudes, genoux, cou…) était filmé devant une «grille» informatique. Les ordinateurs d’ILM enregistraient sa gestuelle et son déplacement pour les reproduire, dans les scènes où le T-1000 se déplaçait sous sa forme robotique. Animation efficace pour l’époque où ces quelques plans de quelques secondes ébahirent le public et la profession. La «motion capture» se généralisa dans la décennie qui a suivi ; notamment dans les jeux vidéo, où des sportifs ou des comédiens se faisaient enregistrer de la même façon. Puis, la «motion capture» a cédé la place à la «performance capture» , l’étape suivante.

Jackson a fait le premier pas avec LE SEIGNEUR DES ANNEAUX et Gollum, filmant Serkis évoluant en décors naturels aux côtés des autres comédiens, avant de le faire «remplacer» par son alter ego numérique conservant ses expressions et ses mouvements. Avec KING KONG, situation légèrement différente : le comédien britannique devait évoluer dans un décor sur fond vert, portant un très seyant costume couverts de minuscules capteurs informatiques, répartis absolument partout, y compris sur son visage. Les moindres expressions, froncements de nez, sourcils, etc. furent à leur tour enregistrées sur ordinateur et appliquées ensuite au grand singe numérique.

Dans le même temps, d’autres cinéastes réputés se sont lancés dans l’aventure, avec des réussites variées : Robert Zemeckis, l’homme de RETOUR VERS LE FUTUR, ROGER RABBIT et FORREST GUMP, réalisa les tous premiers films entièrement réalisés selon le nouveau procédé : LE PÔLE EXPRESS (2004), BEOWULF (2007) et CHRISTMAS CAROL (LE DRÔLE DE NOËL DE SCROOGE, 2009). Rajoutons-y MONSTER HOUSE, co-produit par Zemeckis et Spielberg et réalisé également en performance capture en 2006. Zemeckis popularisa auprès de ses confrères tout l’intérêt de cette technique : le tournage n’est plus du tout soumis aux contraintes habituelles : construction des décors, réglage des éclairages, préparation des costumes et maquillages, météo aléatoire… Evoluant dans un décor minimaliste autour de quelques objets élaborés en «fil de fer», les comédiens jouent librement leurs rôles sans avoir à tenir compte de leur placement face à la caméra : leur jeu est soigneusement enregistré par informatique. Ils peuvent même incarner plusieurs personnages de taille et d’allure totalement différente, sans passer d’interminables heures à changer de maquillages et de costumes ; par exemple, Jim Carrey, dans CHRISTMAS CAROL, incarne Scrooge à tous les âges de sa vie depuis la petite enfance, et les trois spectres venus le visiter.

Avec la «performance capture», le réalisateur se réserve désormais le soin de faire sa mise en scène APRES le tournage… Il lui suffit pour cela de déplacer une caméra totalement virtuelle dans la scène enregistrée, et de décider du meilleur angle de prises de vues, des mouvements de caméra, etc. La caméra peut ainsi littéralement se déplacer à l’intérieur de la scène finale sans contrainte d’espace, elle peut «traverser» le décor et être déplacée avec une fluidité impossible à créer dans la réalité.

De leurs côtés, les animateurs vont donner au film sa chair numérique, créer les décors, les objets, les paysages, les effets de lumières… et les personnages animés vont garder au final le jeu des comédiens, véritable «matière première» de leur répliques numériques. L’impression finale est autant fascinante que perturbante, quand le film est réussi : l’âme du comédien habite son «double» animé… L’accueil fut en tous les cas partagé, pour Zemeckis. L’effet «œil mort» inexpressif des personnages du PÔLE EXPRESS était encore trop visible… Les films suivants de Zemeckis corrigèrent peu à peu ce défaut, la technologie s’améliorant, mais ils ne connurent pas un franc succès. Le réalisateur a dû finalement choisir de revenir aux tournages traditionnels. Un signe, peut-être…

Plus heureux auprès du public, James Cameron et David Fincher ont contribué à leur façon à populariser l’usage de la performance capture. Avec AVATAR, Cameron a combiné les prises de vues réelles et des séquences en performance capture pour les apparitions des indigènes Na’Vis. David Fincher a fait encore plus fort avec BENJAMIN BUTTON, numérisant le visage de son acteur vedette Brad Pitt pour le superposer numériquement sur le corps d’un acteur de petite taille, pour les scènes d’enfance du héros… L’effet combine donc la performance capture du visage de Pitt à des prises de vues normales, pour un résultat final bluffant de réalisme.  

 

Les-Aventures-de-Tintin-Jackson-et-Spielberg-Dupondt-  

Selon Spielberg, TINTIN ne pouvait pas se faire en prises de vues réelles ou en animation traditionnelle. Sans doute la vision des précédentes adaptations l’avait convaincu pour de bon de ne pas suivre cette voie. Le voilà donc, à bientôt 65 ans, se lançant donc dans une nouvelle aventure filmique bien plus risquée qu’il n’y paraît. Toujours pas blasé par son métier, Steven Spielberg se fixe de nouveaux objectifs avec LE SECRET DE LA LICORNE.

C’est le film des nouvelles premières pour lui. Outre ses débuts comme réalisateur de film d’animation, un rêve de longue date, et sa première incursion dans le cinéma totalement numérique, LE SECRET… marque d’autres premières.

La «rupture» momentanée avec Lucas et ILM lui a peut-être bien été bénéfique ! Ce changement d’habitude entraîne aussi un ton différent de ce que certains pouvaient craindre, à tort. En s’associant à d’originaux membres du «Commonwealth» britannique, il marque aussi son refus d’américaniser l’univers de TINTIN. Plus connaisseurs des bandes dessinées d’Hergé, les «Kiwis» de Peter Jackson ont certainement conforté Spielberg dans son approche de faire un film très européen dans l’âme, en gardant les moyens techniques d’une superproduction américaine. Devant LE SECRET DE LA LICORNE, on traverse le miroir, comme chez Lewis Carroll, et on se retrouve dans un univers très familier, où les repères traditionnels du film d’animation sont transformés. Les personnages d’Hergé, entre réalisme et caricature, prennent littéralement vie sous nos yeux. Le résultat final est à la hauteur des attentes, malgré quelques réserves.

L’initiative fait en tout cas des émules parmi la nouvelle génération de «Wonder Boys» à la quarantaine bien sonnée ; plusieurs d’entre eux sont venus rendre visite à Spielberg en plein tournage, et y ont peut-être trouvé des idées pour leurs propres futurs films. Guillermo Del Toro, le mexicain à l’imagination encyclopédique ; Stephen Daldry, l’homme qui découvrit Jamie Bell dans BILLY ELLIOT (facétieux, le cinéaste anglais glissait une savoureuse référence à l’univers d’Hergé dans son remarquable THE READER !) ; et David Fincher, venu probablement trouver quelques idées pour la réalisation de prometteurs projets, tels 20 000 LIEUES SOUS LES MERS ou RENDEZ-VOUS AVEC RAMA…  

 

 

(Prochain épisode : DANS CE RÊVE QUI M’ENIVRE…)

LES AVENTURES DE TINTIN : LE SECRET DE LA LICORNE – 2e Partie : Steven Spielberg au Pays de la Ligne Claire

LES AVENTURES DE TINTIN : LE SECRET DE LA LICORNE - 2e Partie : Steven Spielberg au Pays de la Ligne Claire dans Fiche et critique du film Les-Aventures-de-Tintin-Dupond-et-Dupont

PARTIE 2 : STEVEN SPIELBERG AU PAYS DE LA LIGNE CLAIRE

 

En attendant cette adaptation qui ne semblait jamais vouloir voir le jour, les amateurs de Spielberg et d’Hergé relevèrent les similarités évidentes entre l’univers de Tintin et la série des INDIANA JONES de Spielberg. Certains journalistes assez vigilants n’ont pas manqué d’ailleurs de relever les ressemblances entre les deux œuvres, à l’occasion de la sortie du film LE SECRET DE LA LICORNE, en se focalisant évidemment sur la scène du side-car. C’est bien mais un peu court, messieurs !… car il y avait d’autres indices…

La «connection» Spielberg-Hergé est en réalité assez troublante… puisqu’elle semble avoir commencé avant même que les deux hommes ne découvrent chacun le travail de l’autre et se contactent finalement. En regardant bien la filmographie de Spielberg d’avant L’ARCHE PERDUE, déjà, quelques signes, des coïncidences, des thèmes similaires apparaissaient… Comme si un synchronisme créateur s’était mis en place entre les esprits du dessinateur belge et du cinéaste américain. Sans doute faut-il y voir plus simplement un goût commun pour les mêmes récits, écrits ou filmés, qui les a finalement amenés à se rencontrer : les livres de Jules Verne (relisez LES ENFANTS DU CAPITAINE GRANT et faire le rapprochement avec LE TEMPLE DU SOLEIL et JURASSIC PARK !), Robert Louis Stevenson, Conan Doyle, les westerns, les thrillers d’Hitchcock et les films de pirates… En fins conteurs, Hergé et Spielberg ont su trouver l’imagination chez les mêmes auteurs, et les assimiler à leurs visions. Et il n’est pas interdit de penser que Spielberg, une fois «mordu» des albums de Tintin, a glissé des allusions et des clins d’œil au maître belge.

Jugez-en plutôt au vu de la filmographie (ici incomplète) de Steven Spielberg, et de la façon dont on peut la relier à l’univers d’Hergé… J’y ai rajouté ici le complice des débuts, coloriste et décorateur de plusieurs de ses albums, le non moins génial Edgar P. Jacobs, l’homme de BLAKE ET MORTIMER ; immense conteur et dessinateur à redécouvrir, Jacobs futaussi un grand chanteur d’opéra, baryton ayant peut-être inspiré pour rire Bianca Castafiore à Hergé! Puisant lui aussi pour ses propres récits aux mêmes auteurs qui inspirèrent Hergé et Spielberg, Jacobs partage aussi des points communs avec l’univers spielbergien. Qui sait si, en se procurant les albums d’Hergé, Spielberg n’a pas aussi lu quelques aventures de Blake & Mortimer. En tout cas, les continuateurs de Jacobs (Jean Van Hamme, Yves Sente, André Juillard…) ont bien compris le lien tissé entre le cinéaste américain et les dessinateurs belges au point de placer quelques allusions directes au cinéma de Spielberg.  

 

Avant le «contact Hergé-Spielberg», nous trouvons :

- LES DENTS DE LA MER (1975) et les requins… Des décennies après Jules Verne et des décennies avant Steven Spielberg, Hergé contribua à la terreur universelle des grands squales dans ses récits. Revoir LES CIGARES DU PHARAON, et bien sûr LE TRESOR DE RACKHAM LE ROUGE – où Haddock se paie une frayeur digne du Shérif Brody (Roy Scheider).

 

 Les-Aventures-de-Tintin-Capitaine-Haddock-Lamartine-et-Jaws- dans Fiche et critique du film

Attention la main, Capitaine ! Heureusement, le Professeur Tournesol et son sous-marin sont là pour tirer d’affaire nos héros.

Notons aussi que chez Spielberg, nous trouvons déjà un vieux loup de mer alcoolique, colérique et au vocabulaire fleuri, le Capitaine Quint incarné par l’inoubliable Robert Shaw. Et un requin connaissait déjà un gros souci de digestion «explosive» dans COKE EN STOCK !

- RENCONTRES DU TROISIEME TYPE (1977) : le thème des OVNIS, déjà présents dans le grand finale de VOL 714 POUR SIDNEY. Et chez Jacobs, nous les retrouvons au centre de L’ENIGME DE L’ATLANTIDE.

 

Deux-Blues-Brothers-en-side-car-

- 1941 (1979) : des scènes de L’AFFAIRE TOURNESOL et COKE EN STOCK n’avaient rien à envier aux gags explosifs de Spielberg ridiculisant la bêtise militaire. Dans le premier, le tank volé par Tintin et Haddock démolissait tout sur son passage, l’Armée Bordurienne se signalant quant à elle par son incompétence et un matériel défaillant. Et dans le second album, l’aviation militaire du Khemed, mal informée, bombarde par erreur ses «collègues» tankistes ! Ajoutez-y aussi un sous-marin aussi dangereux que mal guidé, et un side-car déjà bien malmené…

- LES AVENTURIERS DE L’ARCHE PERDUE (1981) : le prologue avec l’idole, et les indiens d’Amazonie, évoquant le fétiche et les Arumbayas de L’OREILLE CASSEE. Rajoutez-y aussi une forte ambiance générale à la Edgar P. Jacobs : particulièrement LE MYSTERE DE LA GRANDE PYRAMIDE, avec le cobra menaçant et la punition divine du méchant profanateur, que ce soit Belloq ou Olrik… Tintin eut également affaire à des cobras dans LES CIGARES DU PHARAON (dans la version noir et blanc d’origine), et aux serpents, objets de la phobie d’Indiana Jones, dans LE TEMPLE DU SOLEIL et TINTIN ET LES PICAROS.

 

Et après la rencontre Hergé-Spielberg, nous trouvons :

- E.T. (1982) : a priori, pas de lien évident avec l’œuvre d’Hergé, mais… la relation spirituelle qui unit contre vents et marées Elliott et E.T. n’a rien à envier à celle de Tintin et Tchang dans TINTIN AU TIBET : échange de visions «télépathiques» entre eux deux… et n’oublions pas le moine bouddhiste entrant en lévitation. E.T., lui aussi un «Cœur Pur», pratique cet art ancestral. Quant à la séparation finale de Tchang et du Yéti, elle est aussi émouvante que celle d’Elliott et d’E.T.

- POLTERGEIST (1982). S’il n’y eut jamais de fantômes chez Hergé (si ce n’est pour rire dans OBJECTIF LUNE, le Capitaine Haddock déguisé pour soigner Tournesol de son amnésie !), il y eut des scènes de cauchemars surnaturels… Faites le lien avec LES SEPT BOULES DE CRISTAL, et l’affreux Rascar Capac. Tryphon Tournesol est littéralement soulevé de terre par un «poltergeist» burlesque : la boule d’électricité, signe de la colère des Dieux Incas…

- TWILIGHT ZONE (LA QUATRIEME DIMENSION, 1983), segment UN COUP DE PIED DANS LA BOÎTE : un vieillard aime «vivre» les récits de pirates, tel Haddock dans LE SECRET DE LA LICORNE, au point de se transformer en «Peter Pan» refusant de grandir. Ce qui nous amènera à HOOK, plus bas, et au SECRET DE LA LICORNE filmé par Spielberg…

- INDIANA JONES ET LE TEMPLE MAUDIT (1984) : on a déjà évoqué Short Round et Chang. On y trouve aussi une poursuite dans les rues de Shanghai (comme dans LE LOTUS BLEU), un détour express par l’Himalaya, avec crash d’avion (TINTIN AU TIBET), un voyage en Inde avec des éléphants facétieux et un kidnapping de jeune mahrajah (LES CIGARES DU PHARAON) et une secte souterraine pratiquant les sacrifices humains (comme les Incas dans LE TEMPLE DU SOLEIL) !

- EMPIRE DU SOLEIL (1987) : le très sérieux film de Spielberg qui révéla Christian Bale (quasi homonyme de Jamie Bell, l’interprète de Tintin) nous plonge dans la Chine des années 1930-1940, la colonisation britannique et l’invasion japonaise amorcée en 1931, montrée telle quelle dans LE LOTUS BLEU.

 

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- INDIANA JONES ET LA DERNIERE CROISADE (1989) : le film le plus explicitement «hergéen» de Spielberg, avec le fabuleux site archéologique de Pétra, en Jordanie, qui sert aussi de refuge à l’Emir Ben Kalish Ezab dans COKE EN STOCK ! Spielberg nous montre par ailleurs le passé scout d’Indy, en clin d’œil à Hergé et son «prototype» de Tintin, TOTOR C.P. DES HANNETONS. On y retrouve également un professeur prisonnier d’une puissance totalitaire : Henry Jones captif des Nazis, comme Tournesol enlevé et détenu par les Bordures dans L’AFFAIRE TOURNESOL … où nous retrouvons donc une grande poursuite en tank. Les alliés d’Indy semblent d’ailleurs tous sortis d’un album d’Hergé : outre Papa Jones, nous avons Marcus Brody (aussi distrait que Tournesol, la marque des grandes intelligences !), et l’ami Sallah qui ressemble ici au Senor Oliveira da Figueira. Et donc, le side-car des Jones qui annonce celui de Tintin et Haddock dans leur film.

BLAKE ET MORTIMER n’ont pas été oubliés, par ailleurs… relisez LE SECRET DE L’ESPADON : vous trouverez la même scène de l’embuscade du tank ennemi dans une vallée aride. Au plan près, page 43 et planche de la page 173, c’est la même scène !

- HOOK (1991) : le Capitaine Crochet et ses pirates nous renvoient bien sûr à l’imaginaire «Stevensonien» du SECRET DE LA LICORNE et du TRESOR DE RACKHAM LE ROUGE.

Plus étonnant : revoyez la scène de flashback où Peter Banning (Robin Williams) se souvient de son enfance. Spielberg s’attarde sur un gros plan de Peter bébé : il porte la houppe de Tintin !! Encore plus perturbant, le visuel de la scène en question s’inspire des dessins originaux qu’un génie de l’illustration britannique créa pour PETER PAN IN KENSINGTON GARDENS, première version du conte écrite par J.M. Barrie. Cet illustrateur s’appelait Arthur… Rackham.

Et si Tintin est pour toujours un éternel jeune homme, traversant l’Histoire sans vieillir, Peter Pan est quant à lui un «éternel enfant», sur qui le Temps n’a pas prise. Nous retrouvons aussi dans HOOK un autre vieux loup de mer maniaco-dépressif : le Capitaine Crochet, qui ressemble fortement à Rackham le Rouge tel qu’il est dessiné par Hergé. Nous reviendrons sur la filiation évidente qui existe entre HOOK et LE SECRET DE LA LICORNE version Spielberg.

- JURASSIC PARK (1993) et LE MONDE PERDU (1997) : certes pas de dinosaures chez Tintin, tout au plus une injure appropriée d’Haddock à un varan géant dans VOL 714 POUR SIDNEY («…cette espèce de Diplodocus sorti de sa Préhistoire !»). L’action des deux films se déroule sur une île perdue : voir aussi L’ÎLE NOIRE (et King Kong, donc), L’ETOILE MYSTERIEUSE et LE TRESOR DE RACKHAM LE ROUGE. Du côté de Jacobs : les ptérosaures de L’ENIGME DE L’ATLANTIDE, et les dinosaures du PIEGE DIABOLIQUE.

- AMISTAD (1997) : le sujet, l’esclavagisme et la traite négrière, parle de lui-même : COKE EN STOCK.

- MINORITY REPORT (2002) : nous voici plutôt du côté d’Edgar P. Jacobs, avec les policiers en jet-pack antigravité et les plantes infernales vues dans L’ENIGME DE L’ATLANTIDE… Par ailleurs, le trio de Précogs maintenu en «sommeil» permanent est disposé en triangle au fond de son bassin, comme les kidnappés du Professeur Septimus dans LA MARQUE JAUNE.

- CATCH ME IF YOU CAN / ARRÊTE-MOI SI TU PEUX (2002) : vous ne pouvez pas manquer les deux agents du FBI accompagnant Hanratty (Tom Hanks), deux vrais Dupond et Dupont ! Et l’on ne peut s’empêcher de penser que Leonardo DiCaprio, dans ses jeunes années, aurait fait un excellent Tintin… Comme ce dernier, Frank Abagnale Jr. change d’identité en permanence, bluffe à merveille et échappe (presque) toujours à ses poursuivants policiers.

- LE TERMINAL (2004) : le pays fictif de Viktor (Tom Hanks) porte un nom familier, la Krakozie… nous renvoyant bien sûr à la Syldavie et la Bordurie chez Tintin (LE SCEPTRE D’OTTOKAR, OBJECTIF LUNE et L’AFFAIRE TOURNESOL), annonçant en permanence les tensions et les crises toujours d’actualité dans les Balkans, présentes dans le film de Spielberg. Et n’oublions pas les savoureux dialogues de sourds «à la Tournesol» entre Tom Hanks et Stanley Tucci.

Coïncidence ? Hergé imagina une histoire de Tintin restée lettre morte : UN JOUR D’HIVER, DANS UN AEROPORT. Il l’annonçait dans ses entretiens avec Numa Sadoul, en 1976 : «…j’ai un lieu, un décor : j’aimerais que tout se passe dans un aéroport, du début à la fin. L’aéroport est un centre riche de possibilités humaines, un point de convergence de diverses nationalités : le monde entier se trouve en réduction, dans un aéroport ! Là, tout peut arriver, des tragédies, des gags, de l’exotisme, de l’aventure…». Propos qui semblent parfaitement convenir au film de Spielberg.

- LA GUERRE DES MONDES (2005) : les premières minutes d’angoisse dans le film de Spielberg, avant la première attaque, ont un équivalent dans les premières pages de L’ETOILE MYSTERIEUSE : les gens dans la rue, levant les yeux au ciel, déconcertés par un phénomène céleste…. Rappelons qu’Edgar P. Jacobs a jadis illustré le roman homonyme d’H.G. Wells, père fondateur de la Science-Fiction, pour le Petit Vingtième. L’atmosphère générale du film s’accorde d’ailleurs très bien avec les récits les plus «apocalyptiques» de BLAKE & MORTIMER, S.O.S. METEORES et LE PIEGE DIABOLIQUE.

- INDIANA JONES ET LE ROYAUME DU CRÂNE DE CRISTAL (2008) : on retrouve dans la quête du Crâne de Cristal le thème des «Anciens Astronautes», venus de l’Espace sur Terre il y a des millénaires, que l’on retrouve dans VOL 714 POUR SIDNEY. Les grands finales du ROYAUME DU CRANE et de L’ENIGME DE L’ATLANTIDE se renvoient l’un à l’autre…

Et rappelons la présence du sympathique John Hurt, professeur lunatique comme Tournesol, victime d’un «sortilège» comme ceux de l’expédition des 7 BOULES DE CRISTAL, et dont le look échevelé rappelle celui de Ridgewell, l’explorateur caché en Amazonie dans L’OREILLE CASSEE et LES PICAROS.

Ouf ! Après ces deux chapitres, il est enfin maintenant temps de parler du film : LES AVENTURES DE TINTIN – LE SECRET DE LA LICORNE !  

 

 

(Prochain épisode : C’EST A LA FOIS TRES SIMPLE ET TRES COMPLIQUE…)

LES AVENTURES DE TINTIN : LE SECRET DE LA LICORNE – 1e Partie : Tintin et le 7e Art

LES AVENTURES DE TINTIN : LE SECRET DE LA LICORNE - 1e Partie : Tintin et le 7e Art dans Fiche et critique du film Les-Aventures-de-Tintin-La-grande-évasion

1e PARTIE : TINTIN ET LE 7e ART

 

Avant d’entrer plus en détail dans le film proprement dit, titré donc LES AVENTURES DE TINTIN : LE SECRET DE LA LICORNE, revenons dans l’univers de Tintin. Depuis TINTIN AU PAYS DES SOVIETS (1929) jusqu’à l’inachevé TINTIN ET L’ALPH-ART (sortie posthume en 1986), Hergé a fait parcourir le 20e Siècle à son intrépide héros, créant pour le bonheur de générations de lecteurs et lectrices une galerie de personnages inoubliables, des aventures trépidantes et remarquablement documentées, et faisant entrer dans la mémoire collective des expressions désormais partie intégrante de notre vocabulaire.

Florilège de ces expressions dont je vous laisse le soin de vous rappeler qui les prononce, et dans quel album : «Sapristi, c’est extraordinaire !», «Je dirais même plus…», «Zouave, moi ?!», «Ciel ! Mes bijoux !», «Quand lama fâché, lui toujours faire ainsi», «Avez-vous trouvé la Voie ?», etc. Sans oublier le fabuleux inventaire d’interversions, contrepèteries et lapsus verbaux mis en place par Hergé, et dont les Dupondt ou le Capitaine Haddock sont coutumiers : «Alors squelette, c’était vous le Wolff ?», «la barbe à rabord !» ou «le Yéto là-hi !»… Et, hors concours, les chapelets d’insultes du Capitaine Haddock méritaient quant à eux un dictionnaire à part, ce qui fut fait par des tintinophiles distingués (en l’occurrence Albert Algoud, auteur du PETIT HADDOCK ILLUSTRE recensant toutes les injures en question), amateurs de bachi-bouzouks, ectoplasmes, tchouk-tchouk-nougats, petits ornithorynques, mérinos mal peignés et autres ravachols explosifs…  

Certes, la joie et la nostalgie de ces lectures passées doivent quand même être aussi revues avec un regard plus adulte ; on ne peut certes pas passer sous silence les erreurs et les zones d’ombres d’Hergé, discernables aux travers des pages de sa création… encore faut-il garder le sens de la nuance.

Une lecture critique est nécessaire sur certains albums «embarrassants», principalement ceux des débuts – TINTIN AU PAYS DES SOVIETS et TINTIN AU CONGO en tête, cibles favorites des censeurs de tout poil et antiracistes de la 25e heure. Impossible aussi de ne pas voir les relents d’antisémitisme présents dans L’ETOILE MYSTERIEUSE via les apparitions du méchant banquier, Blumenstein (ensuite renommé Bohlwinkel). Bien sûr, le racisme, le colonialisme et l’antisémitisme sont choses hautement condamnables, d’autant plus lorsqu’ils surgissent sous la plume de brillants auteurs et artistes… Mais faudrait-il alors censurer tout Shakespeare, Charles Dickens, Eugène Sue, Jules Verne, Céline, Richard Wagner et tant d’autres, parce qu’ils ont malheureusement véhiculé les préjugés raciaux de leur époque, au nom de la bonne conscience ?

Avant de sortir fourches et torches, il faut garder la tête froide et rappeler qu’Hergé, né dans un milieu bourgeois catholique très fermé, était forcément influencé dans son éducation par la mentalité conservatrice de son milieu familial. Et se rappeler aussi qu’Hergé dut se défaire de l’influence d’un encombrant mentor, l’abbé Norbert Wallez, qui le chapeautait à ses débuts au Petit Vingtième et lui «souffla» ses très catholiques préjugés vis-à-vis des Soviétiques, des Noirs et des Juifs…

Certes, il ne faut pas oublier non plus qu’Hergé fut le rédacteur en chef du supplément jeunesse du Soir, passé sous contrôle allemand entre 1940 et 1944, et qu’il connut pour cela des moments difficiles après la libération de la Belgique, comme certains de ses collègues. Tout à sa tâche d’écrire et dessiner des histoires universelles, Hergé avait sans doute sous-estimé le risque d’une collaboration passive avec l’occupant. De là à le ranger sans nuances aux côtés d’un Léon Degrelle ou d’un Maurice Papon, il y a quand même un pas à ne pas franchir…

Personne n’est parfait. Rappelons cependant qu’Hergé, une fois libéré de l’influence du pesant Abbé Wallez, sut peu à peu évoluer et défendre dans les pages de Tintin une conception du monde bien moins étriquée. Tour à tour témoin de l’expropriation forcée des Amérindiens dans TINTIN EN AMERIQUE, défenseur d’un chinois victime d’un affreux raciste dans LE LOTUS BLEU, puis du petit indien péruvien Zorrino contre deux «beaufs» blancs dans LE TEMPLE DU SOLEIL, des Africains réduits en esclavage dans COKE EN STOCK, Tintin s’éloignera de plus en plus de l’esprit du temps soi-disant béni des colonies grâce à son créateur. Jusqu’au magnifique TINTIN AU TIBET, véritable hymne à l’Amitié entre les peuples et les cultures… Et n’oublions pas enfin la condamnation des préjugés contre les Tziganes, coupables idéaux dans LES BIJOUX DE LA CASTAFIORE, ce qui équilibre donc largement le bilan des accusations des défenseurs du Politiquement Correct à tout prix.  

 

 Les-Aventures-de-Tintin-Le-7e-Art-et-le-réalisateur-Jacques-Cogniaux dans Fiche et critique du film

Mais revenons au Cinéma. Hergé, Tintin et le grand écran, c’est déjà une très longue histoire… Tintin est littéralement né avec le Cinéma ; celui-ci vivait déjà sa grande transition du muet au parlant, quand Hergé écrivait et dessinait TINTIN AU PAYS DES SOVIETS. Et durant le demi-siècle qui s’ensuivit, il n’était pas rare de voir Tintin flirter avec le 7e Art à travers ses aventures. Hergé n’hésitait pas à illustrer fréquemment des scènes liées au Cinéma, toujours en y incluant humour et distance. Ainsi, Tintin perturbe-t-il le tournage d’un film «à la Rudolf Valentino», HAINE D’ARABE, sans voir que le vrai méchant n’est autre que le producteur : le bien nommé Rastapopoulos, «Maître du Monde» et des faux-semblants ! Tintin et Milou sont des spectateurs très turbulents dans LE LOTUS BLEU, quittant une séance dès les actualités (qui leur annoncent l’existence d’un sage professeur créateur du remède contre le Poison-Qui-Rend-Fou) ; n’oublions pas LES 7 BOULES DE CRISTAL, où la première victime de la malédiction Inca est… un cinéaste ; la scène d’anthologie du sacrifice du TEMPLE DU SOLEIL, où le cher Tryphon Tournesol se croit en plein tournage de film ; le début de COKE EN STOCK où Haddock et Tintin, sortant d’une salle de cinéma (on y passe un western !), critiquent les coïncidences du film trop évidentes à leurs yeux… juste avant de percuter eux-mêmes «par hasard» le Général Alcazar, déclencheur de leur nouvelle aventure ! Et on conclut en beauté par LES BIJOUX DE LA CASTAFIORE : le tournage à Moulinsart (pour la télévision, certes, mais l’idée demeure) d’un concert du Rossignol Milanais perturbé tour à tour par Tournesol, les Dupondt et le perroquet Coco, déposé là par un Haddock farceur…

 

Les-Aventures-de-Tintin-inspiration-pour-Tintin-et-Haddock-Charlie-Chaplin-et-Mack-Swain-dans-La-Ruée-vers-lOr 

Les-Aventures-de-Tintin-inspiration-pour-Tintin-et-Haddock-2-Chaplin-et-Harry-Myers-dans-Les-Lumières-de-la-Ville

A de nombreuses reprises, Hergé aura aussi puisé ses morceaux de bravoure dans le cinéma de son époque. Il ne s’en cachait pas, Hergé aimait fréquenter les salles obscures et trouva en conséquence l’inspiration dans les classiques de son époque. A commencer par les maîtres du cinéma burlesque, et le premier d’entre eux, l’universel Charles Chaplin. A ses débuts, Tintin aura toujours un petit quelque chose de «Charlot» dans ses mésaventures – comme lui, Tintin le «freluquet» sera souvent malmené à ses débuts par des policiers obtus, dont les Dupondt seront la quintessence ; Milou devait sans doute une bonne partie de son caractère original à l’adorable toutou Scamp d’UNE VIE DE CHIEN ; et dans sa toute première apparition du CRABE AUX PINCES D’OR, le Capitaine Haddock nous rappelle au bon souvenir des comparses comiques de «Charlot» : barbu, costaud, jovial mais dangereux comme Big Jim dans LA RUEE VERS L’OR (travaillé par la faim au point d’halluciner sur son compagnon d’infortune pour le manger… Haddock dans le désert fera de même en voyant Tintin comme une bouteille de champagne), et aussi imbibé que le Milliardaire des LUMIERES DE LA VILLE, lui aussi flanqué d’un «Nestor» plutôt hostile au héros ! De Buster Keaton, Hergé gardera le remarquable sens du timing et du découpage dynamique des poursuites truffées de gags. Quant aux Dupondt, leur bêtise cosmique, leurs perpétuelles disputes enfantines, leurs chapeaux melon en feront les parfaits héritiers de Laurel et Hardy…

 

N’oublions pas l’influence des films fantastiques des années 30 sur certaines aventures : notamment LA MOMIE avec Boris Karloff, et son ambiance d’égyptologie macabre que l’on retrouve dans LES CIGARES DU PHARAON, ainsi que dans cette scène des 7 BOULES DE CRISTAL qui fit cauchemarder des millions d’enfants, quand la momie de Rascar Capac rend visite à Tintin endormi…

KING KONG, l’original de 1933, inspira à Hergé de colossaux membres de l’univers «bonzoïdien» : Ranko, le gorille de L’ÎLE NOIRE, et le Yéti de TINTIN AU TIBET. Fine mouche, Hergé fit de ces deux colosses à la réputation de monstre sanguinaire des personnages très touchants : Ranko n’est en fin de compte qu’un gros bébé pleurnichard et froussard (merci Milou) ; quant au Yéti, s’il menace la vie de Tintin, ce n’est que pour protéger le petit Tchang, dont il saluera le départ en pleurant. Vivent donc les grands singes au grand cœur, monstres d’innocence…

Le dessinateur puisera enfin dans son diptyque LICORNE / RACKHAM l’imagerie héroïque des films de pirates d’Errol Flynn dans les épopées de Michael Curtiz : CAPITAINE BLOOD et L’AIGLE DES MERS. Hergé trouva plus tard une partie de l’inspiration des aventures lunaires de Tintin dans un film d’anticipation américain oublié de nos jours, DESTINATION LUNE d’Irving Pichel et George Pal, premier film américain à aborder la conquête spatiale, en 1950. Enfin, ce tour d’horizon «tintino-cinéphilique» se conclut par l’influence probable des films de poursuite d’Alfred Hitchcock dans sa période anglaise, comme LES 39 MARCHES ou UNE FEMME DISPARAÎT. Des années plus tard, certains passages de L’AFFAIRE TOURNESOL ou COKE EN STOCK, n’auraient pas déplu au Maître du Suspense. Et comme on le verra plus bas, ces références n’auront pas échappé à l’œil aiguisé de Steven Spielberg.  

 

Les-Aventures-de-Tintin-Le-Crabe-aux-pinces-dor-1947 

Voilà donc quelques-unes des influences filmiques d’Hergé, dont la remarquable mémoire visuelle, imprégnée de ces classiques, alimentera des histoires toujours aussi passionnantes à lire et à relire. Il était somme toute normal qu’en retour, le Cinéma s’intéresse à l’œuvre d’Hergé et chercha à l’adapter sur grand écran… mais jusqu’ici, il faut bien l’avouer, les exploits de Tintin n’ont jamais été à la hauteur du travail d’Hergé.

La toute première tentative remonte en 1947. Steven Spielberg n’était alors qu’un bébé… et déjà, Tintin rencontrait le Capitaine Haddock, dans LE CRABE AUX PINCES D’OR, un film belge en noir et blanc d’une heure, réalisé par un certain Claude Misonne en animation «stop-motion» avec des poupées de chiffon. Le film fut projeté deux fois seulement sur les écrans avant que le producteur Wilfried Bouchery ne déclare la faillite. Sans argent et sûrement sans os, Bouchery laissa le film être saisi, pour s’enfuir au San Theodoros… pardon, en Argentine. Une curiosité dont il subsiste une copie à la Cinémathèque Royale de Belgique. Premier passage raté sur le grand écran, donc.

Hergé prendra les choses en main en surveillant de plus près la prochaine tentative d’adaptation de TINTIN en film. Le géant du cinéma d’animation, Walt Disney lui-même, rencontra paraît-il le maître belge, dans le courant des années 50. Sans plus de succès, hélas… le style «Ligne Claire» pouvait-il s’accorder avec l’animation pratiquée chez Disney ? Les documentaires évoquent la réaction effarée d’Hergé devant un film-test : les animateurs américains avaient transformé Tintin en athlète au physique de quarterback, doté d’une voix virile sans doute plus proche de John Wayne que du jeune garçon ! L’affaire en resta là, pas de TINTIN par Disney…

 

Les années 60 virent les choses bouger apparemment dans le bon sens. La France voulut relever le défi d’une adaptation réussie, en chair et en os, des exploits de Tintin… ce ne fut pas vraiment une réussite, malgré le succès obtenu à l’époque par TINTIN ET LE MYSTERE DE LA TOISON D’OR (1961) de Jean-Jacques Vierne en 1961, et TINTIN ET LES ORANGES BLEUES (1964), de Philippe Condroyer. Dans le rôle de Tintin, un jeune maître-nageur, Jean-Pierre Talbot, entouré de Georges Wilson puis Jean Bouise en Capitaine Haddock, devint la vedette de deux films sympathiques, destinés à occuper les dimanches pluvieux des écoliers. Mais l’inventivité de la «touche Hergé» manquait cruellement à ces productions. Ce dernier, d’ailleurs, fut le premier déçu par ces deux films basés sur des scénarii originaux qui ne reposaient pas sur ses histoires.

A la même époque, un jeune réalisateur français multiplia les appels du pied en direction d’Hergé : en 1964, Philippe de Broca signa un très réussi L’HOMME DE RIO avec Jean-Paul Belmondo et Françoise Dorléac, savoureuse comédie d’aventures dont le ton très alerte et le scénario s’inspirent de L’OREILLE CASSEE et du TEMPLE DU SOLEIL. Encouragé par le succès du film, De Broca rempila aussitôt en combinant l’univers d’Hergé à un roman de Jules Verne, LES TRIBULATIONS D’UN CHINOIS EN CHINE. Les allusions sont claires : la houppe rebelle de «Bébel», les deux policiers gaffeurs en costume noir et chapeau melon, Jean Rochefort en «Nestor» dévoué, la traversée de la Chine et du Tibet… Mais la sauce ne prend pas, cette fois. La faute à un film qui enchaîne des gags bien pesants (Belmondo en travesti, façon ROCKY HORROR PICTURE SHOW avant l’heure…) sans trouver la touche de magie nécessaire à l’aventure.

Suivront enfin deux adaptations en cinéma d’animation classique, produits par Belvision : LE TEMPLE DU SOLEIL (1969) et TINTIN ET LE LAC AUX REQUINS (1972), ce dernier reposant sur un scénario original de Michel Greg, le créateur d’ACHILLE TALON et scénariste des SPIROU période Franquin ayant débuté au Studio Hergé. Pas forcément plus heureuses que leurs prédécesseurs, ces œuvres ont été souvent diffusées à la télévision ; difficile cependant d’y retrouver l’inspiration des récits d’Hergé, malgré la bonne volonté évidente des auteurs de respecter l’esprit de ce dernier. D’autres adaptations, en série animée à la télévision, conserveront bien mal le charme des intrigues écrites par Hergé. Difficile de reproduire son génie narratif et visuel !

 

Puis, au cinéma, plus rien pendant des décennies… de temps à autre, l’annonce d’une potentielle adaptation devint un véritable serpent de mer (ou un Yéti) pour journalistes. En secret donc, Spielberg tenta donc de trouver l’approche originale pour enfin tenir sa promesse vis-à-vis d’Hergé. Il envisagea un film en chair et en os, avec Jack Nicholson en Capitaine Haddock. Mais l’esprit Ligne Claire étant déjà présent dans les INDIANA JONES et certaines de ses productions (LES GOONIES, LE SECRET DE LA PYRAMIDE), Spielberg devinait sans doute alors qu’il ne pouvait pas faire de TINTIN sans empiéter sur ses propres plates-bandes. Le projet fut donc repoussé… Parfois aussi, d’autres réalisateurs furent cités : Roman Polanski (qui commettra un PIRATES bien poussif, même si Walter Matthau aurait pu faire un parfait Capitaine Haddock), et Claude Berri qui se rabattra plus tard sur ASTERIX…   

 

(Prochain épisode : STEVEN SPIELBERG AU PAYS DE LA LIGNE CLAIRE)

LES AVENTURES DE TINTIN : LE SECRET DE LA LICORNE – Introduction

Dédié à Jean-François Tarnowski,

Grand découvreur de secrets mélancoliques, hélas trop tôt parti… 

 

 

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THE ADVENTURES OF TINTIN : THE SECRET OF THE UNICORN / LES AVENTURS DE TINTIN : LE SECRET DE LA LICORNE, de Steven SPIELBERG 

 

La sortie du TINTIN de Steven Spielberg est l’occasion d’un véritable plongeon dans mes souvenirs… En 1995, je planchais sur un mémoire consacré au réalisateur, essayant de trouver une approche différente des formules habituelles qui lui étaient consacrées. Mon professeur de cinéma à l’ESRA, Jean-François Tarnowski, un «spielbergophile» enthousiaste et passionnant, m’avait donné la clé : aborder l’obsession du cinéaste pour l’aviation, à travers plusieurs extraits de ses films, et de là trouver le moyen de comprendre sa vision du Cinéma. Durant ses cours, «Tarno», ainsi que nous l’appelions entre étudiants, avait mentionné certaine ressemblance entre INDIANA JONES ET LE TEMPLE MAUDIT et l’univers de Tintin. Spécialement le passage où l’avion d’Indy et ses amis s’écrase dans l’Himalaya, scène faisant écho par l’humour et l’action à un passage tragique de TINTIN AU TIBET.

 LES AVENTURES DE TINTIN : LE SECRET DE LA LICORNE - Introduction dans Fiche et critique du film Les-Aventures-de-Tintin-Image-teaser2

Coïncidence (ou plutôt synchronisme jungien), Arte avait consacré une soirée complète de l’automne 1995 à la vie et l’œuvre d’Hergé, le créateur de Tintin et grand fondateur de la Ligne Claire, ce style de bande dessinée qu’il sut faire découvrir et aimer avec ses collègues et complices, Edgar P. Jacobs (BLAKE ET MORTIMER), Bob De Moor (CORI LE MOUSSAILLON) Jacques Martin (LEFRANC, ALIX) et tant d’autres… Cette émission racontait entre autres la difficulté des tentatives d’adaptation de Tintin au cinéma, que ce soit en chair et en os ou en dessin animé. Un passage avait attiré mon attention : le secrétaire d’Hergé racontait que Steven Spielberg, à l’époque de la sortie d’INDIANA JONES ET LE TEMPLE MAUDIT, avait reconnu une ressemblance de caractère entre Short Round (Demi-Lune), le petit chinois orphelin complice d’Indiana Jones, et Tchang, l’ami chinois que Tintin rencontra dans LE LOTUS BLEU et sauva de la mort dans TINTIN AU TIBET. Spielberg avait contacté Hergé peu de temps avant sa mort en 1983. Le maître belge, si réticent d’habitude à accepter de voir son héros adapté au cinéma, avait donné son plein accord, enthousiasmé par la vision des AVENTURIERS DE L’ARCHE PERDUE en 1981. «Seul Steven Spielberg peut rendre justice à Tintin» furent ses propres mots.

 

Les-Aventures-de-Tintin-Concept-art-4 dans Fiche et critique du film

Interviewé pour la promotion de son film de TINTIN, Spielberg reconnait n’avoir jamais entendu parler de Tintin lorsqu’il tournait L’ARCHE PERDUE, sorti en 1981. Suite aux remarques d’un journaliste français, à la sortie du film, Spielberg intrigué lut les albums et, emballé, obtint les droits d’adaptation cinématographique de la part d’Hergé et de la redoutable société Moulinsart. Il confia à Melissa Mathison, sa scénariste d’E.T. et alors compagne de l’ami Harrison Ford, le soin d’écrire un scénario. Mathison écrivit une aventure originale du petit reporter, mais le film ne fut jamais tourné.

Aiguillé par cette information, je me lançai dans la rédaction de mon mémoire qui commençait par l’image de l’avion de Tchang, écrasé dans les neiges de l’Himalaya, dans la fameuse aventure tibétaine du jeune reporter à la houppette. Quelques mois plus tard, mon mémoire achevé me valut de chaleureuses félicitations écrites de la part de Jean-François Tarnowski. Il est toujours là, dans mes documents, et de temps en temps, je relis sa lettre. S’il y a un paradis pour les cinéphiles, j’espère qu’il s’y trouve et qu’il accueillera avec bienveillance le nouveau film du «Boss», qui a enfin tenu sa promesse d’adapter l’œuvre d’Hergé sur grand écran, après 28 années d’attente.  

 

(Prochain épisode : TINTIN ET LE 7e ART)

La nature du Scorpion – DRIVE

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DRIVE, de Nicolas WINDING REFN 

Les bandes-annonces sont souvent trompeuses… Celle de DRIVE en est un bel exemple. Celle que vous avez peut-être vu en salles, a été remontée pour être plus nerveuse, orientée «action», une pratique courante outre-Atlantique où elles sont même réduites à des spots télévisés de 30 secondes… ces versions tronquées, rassemblant un maximum de plans choc, ont fait croire à un simili-FAST&FURIOUS ou 60 SECONDES CHRONO… des superproductions aussi rutilantes que futiles, et balourdes au possible, ce que DRIVE n’est pas du tout. Manifestement mal informée, une américaine de Novi, petite ville du Michigan, a piqué une grosse colère contre la chaîne de cinéma locale, responsable à ses yeux de l’avoir induite en erreur en diffusant la bande-annonce «action» de DRIVE. La brave femme pensait sérieusement aller voir un film d’action standard, avec cascades et fusillades, une «beauferie» à la Joel Silver / Jerry Bruckheimer… fort mécontente, la spectatrice a annoncé vouloir faire un procès au distributeur du film pour «tromperie sur la marchandise» !   

On peut facilement ironiser sur cette attitude qu’ont les américains de vouloir intenter un procès sur tout et n’importe quoi… cela dit, la réaction de cette femme est peut-être révélatrice d’une certaine déculturation générale. Qui sait ? L’habitante de Novi aurait-elle une vision assez basique de ce que doit être le cinéma : un gros truc qui distrait, qui fait du bruit, et qui s’oublie aussi vite. Evitons quand même la caricature ; après tout, il existe bien des films d’action qui sont de vraies expériences cinématographiques tout en assurant le spectacle… mais il faut avouer que la réaction épidermique de cette spectatrice laisse songeur.     DRIVE, le film de Nicolas Winding Refn, n’a donc que les apparences d’un film d’action… mais c’est avant tout un vrai film d’artiste qui ne caresse pas le spectateur dans le sens du poil.   

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Nicolas Winding Refn, donc… ce réalisateur danois continue, film après film, de se bâtir une réputation non usurpée de cinéaste de premier plan. Révélé par sa trilogie noire PUSHER qui a aussi lancé la carrière internationale de l’impressionnant Mads Mikkelsen (celui-là même qui malmenait la virilité de James Bond, dans CASINO ROYALE…), Refn a ouvert son cinéma par-delà les frontières dans ses films suivants. Deux expériences magistrales et profondément déroutantes : BRONSON, qui a révélé Tom Hardy (l’homme aux mille visages d’INCEPTION, et futur ennemi de Batman dans DARK KNIGHT RISES) en détenu ultra-violent, et VALHALLA RISING, odyssée Viking quasi muette, un film déroutant s’aventurant dans le domaine du 2001 : L’ODYSSEE DE L’ESPACE de Stanley Kubrick. Les films de Refn explorent des thèmes récurrents et des univers mentaux qui n’ont d’ailleurs rien à envier au grand maître d’ORANGE MECANIQUE et EYES WIDE SHUT.

A l’instar de Kubrick, Refn a pris l’habitude de s’emparer de genres cinématographiques très codifiés (Film Noir, film de prison, aventures médiévales) pour les «subvertir» à sa vision. Le réalisateur n’hésite pas à filmer des scènes très crues, et à développer des thèmes très obsessionnels, chacun de ses films, plein de violence rentrée, garantissent toujours le détournement des conventions habituelles des genres qu’il aborde. DRIVE n’échappe pas à la règle, avec ses atours trompeurs de polar des années 1980 et son pitch simplissime, tout droit sorti d’un thriller brut des années 1970. Le cinéaste quitte ici le continent européen pour s’attaquer frontalement au cinéma de genre américain, sans complexes pour ce nouveau défi. Autre première, il n’en écrit pas le scénario lui-même, adapté d’un roman récent. Loin de se plier à un quelconque système hollywoodien, Refn continue à filmer «en indépendant», refusant les compromis habituels, notamment dans le traitement frontal des scènes de violence dont il est coutumier. Le réalisateur ne se laisse pas absorber par le redoutable système de production à l’américaine, qui a «englouti bien des réalisateurs expatriés par le passé (pour n’en citer qu’un par exemple, le néo-zélandais Lee Tamahori, auteur du magnifique L’ÂME DES GUERRIERS dans son pays natal, et devenu depuis un «yes man» ordinaire…) ; Refn parvient à tourner celui-ci à son avantage. DRIVE devient par la même une œuvre forte, profondément personnelle, et une leçon de cinéma total.   

 

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S’il existait d’ailleurs le moindre doute au sujet de l’aventure américaine de Refn, celui-ci répond par l’humour grinçant via son film. Le personnage de Bernie Rose (Albert Brooks, parfait) est savoureux : producteur de films d’action «branchés» dans les années 80, il s’est reconverti en caïd de la pègre californienne ! Parlant au Pilote (Ryan Gosling) de sa carrière passée, il balaie celle-ci d’un ton cinglant : «les critiques trouvaient ça «européen», moi je dis juste que c’était de la merde !». Manière de la part de Refn de nous rassurer quant à son passage en Amérique : il ne va pas chercher à imiter les sempiternels «blockbusters» pétaradants…De film en film, Nicolas Winding Refn dresse une véritable exploration de ses obsessions. Il est le premier à reconnaître que son cinéma est une démarche totalement cathartique, l’occasion de maîtriser ses démons intérieurs. Ses films traitent de l’enfermement, physique et psychologique. Ses protagonistes, des forces de la Nature, travaillés par leur violence intérieure, ne cherchent pas à «s’insérer» socialement, ou à s’ouvrir au monde en s’améliorant… Prisonniers de leurs pulsions, ils prennent un malin plaisir à se couper des autres jusqu’à l’absurde – l’exemple extrême étant le protagoniste de BRONSON, montré comme le seul détenu d’Angleterre préférant la réclusion totale à l’évasion !  

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Le Pilote, campé par un Ryan Gosling impressionnant de self-control, connaît un problème similaire. Il ne s’implique en rien dans les braquages auxquels il participe : son «travail» se limite aux quelques minutes où il doit échapper aux policiers sans se faire repérer. Le sale boulot est celui des braqueurs… lui est un «artiste» marginal, à sa façon, qui propose un service sur mesure à ses clients. Mais le début d’une histoire d’amour, et d’une relation d’amitié, vient fausser la donne «mécanique» de son existence… il pourrait s’humaniser, il en a la chance éventuelle, mais ce n’est pas dans sa nature. L’implication personnelle nécessite de prendre des risques, en amour comme en crime. A partir de là, tout dérape pour lui, et sa violence jusqu’ici contenue, éclate au grand jour. Tout est dans le symbole qu’il porte durant le film, son totem : le scorpion emblématique tissé sur son blouson en soie. Refn l’a dit lui-même, en prenant pour inspiration du Pilote les personnages taciturnes à la Steve McQueen période BULLITT ou GUET-APENS, il a eu l’idée de faire de son héros mutique une figure de chevalier solitaire, un «pale rider» qui s’exprime en semant la Mort, une figure masochiste qui s’interdit de vivre un grand amour tout en rendant la Justice… Le scorpion est ici le blason du Pilote, équivalent contemporain d’un Homme Sans Nom ; il renseigne sur sa nature profondément asociale (explicitée par la célèbre fable, citée dans le film) ainsi que sur son caractère de «surhomme» motorisé… Le Pilote est un personnage passionnant par de nombreux aspects, et son caractère ambivalent. Capable de sentiments profondément humains (impossible de ne pas être touché par son attitude envers Irene et son petit garçon, ou son sens aigu de la loyauté), il est aussi un tueur vicieux, totalement impitoyable.  Refn est d’ailleurs fasciné par l’univers des super-héros et des surhommes, au sens nietzschéen du terme. Il répète souvent qu’il envisage de faire un WONDER WOMAN avec la plantureuse Christina Hendricks (MAD MEN). Vu les séquences «sexe et violence» gratinées de sa filmographie, cela promettrait d’un film hors normes pour le genre ! En attendant, le cinéaste devrait se «contenter» d’un remake de LOGAN’S RUN (L’ÂGE DE CRISTAL), classique de la science-fiction de Michael Anderson daté de 1976. Un film au visuel incroyablement kitsch, mais dont les thèmes abordés correspondraient tout à fait à la vision de Refn.    

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La violence de la nature humaine est le leitmotiv de l’œuvre de Refn. Une constante depuis PUSHER, et cela s’est développé avec les films suivants : BRONSON parlait crûment de la brutalité du système carcéral (en évitant toutefois les clichés habituels du film de prison) et de la «ritualisation» des combats clandestins auxquels s’adonnait un temps le protagoniste (un artiste qui apprend  d’abord à exprimer sa rage à coups de poing, puis qui passe à la peinture avant de connaître sa «consécration» ultime en prenant en otage son professeur d’art !). VALHALLA RISING faisait de même en montrant le protagoniste muet évoluer du statut de «bête de combat» avilie, jusqu’à devenir une figure paternelle «transfigurée» à la Ulysse… Il croisait le chemin d’une bande de Vikings christianisés, imposant leur nouvelle religion dans le sang avant de s’entre-tuer.  La violence est tout autant présente dans DRIVE. Faisant le lien avec ses films précédents, Refn nous raconte la douloureuse évolution d’un homme dont le «don» est lié à sa propre violence…

Le Pilote est au début du film un homme détaché de tout, un professionnel complice de criminels, une figure voisine du Samouraï de Melville ou des anti-héros urbains de Michael Mann – tels James Caan, perceur de coffres dans THIEF (LE SOLITAIRE). Son intelligence tactique maîtrise sa brutalité (voir son sang-froid à toute épreuve dans la première séquence) lors de ses activités nocturnes. Le jour, il se consacre à la seule discipline qu’il connaisse : la mécanique, dans le garage de son ami Shannon (Bryan Cranston, BREAKING BAD). Le reste de ses journées, il les passe en tant que cascadeur sur des tournages où la violence n’est qu’un simulacre. Quand il s’implique dans une relation avec Irene, son fils et son compagnon, les choses vont mal tourner, dans la tradition des films noirs. Il va dévoiler sa nature… et tuer net son histoire d’amour naissante avec la jeune femme (Carey Mulligan, touchante).  

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Les acteurs sont tous parfaits : à commencer donc par Ryan Gosling qui enflamme littéralement la pellicule à chaque séquence. Gosling s’affirme comme l’un des meilleurs jeunes acteurs américains ; une gueule d’ange dissimulant un bouillonnement intérieur, et qui confirme de film en film tout le bien que l’on pense de lui, depuis STAY jusqu’aux IDES OF MARCH (LES MARCHES DE POUVOIR) de et avec George Clooney. Carey Mulligan est une jeune comédienne talentueuse, au naturel éloigné des fantasmes ambulants, capable de créer un personnage totalement réaliste et profondément empathique. Autour d’eux, une belle brochette de gueules mémorables : Ron Perlman, Bryan Cranston, Christina Hendricks, Oscar Isaac… et Albert Brooks, saisissant, très éloigné des rôles légers et comiques qui ont fait sa réputation.    

Le réalisateur danois n’a pas volé son prix de la mise en scène au dernier Festival de Cannes. Le film est «carré» dans son approche, très esthétique tout en détournant l’aspect tapageur habituel du cinéma d’action.  Les scènes de poursuite, par exemple, omniprésentes dans les films de studios, sont ici élaguées au maximum. Elles sont essentiellement vues à travers le regard du Pilote et de ses passagers. La première séquence, à ce titre, est une démonstration magistrale du talent de metteur en scène de Winding Refn. Muette, soutenue par des échanges à la radio (le Pilote s’est branché sur la fréquence des policiers pour anticiper leurs actions), elle «colle» au regard de ce dernier. Le braquage n’est jamais montré, à part sa conséquence (la fuite des malfrats qui embarquent dans la voiture) ; et la poursuite avec les forces de police gagne en intensité en respectant le point de vue du Pilote, point de vue fusionné avec celui de la voiture. On ne retrouvera pas ici les sempiternels plans de seconde équipe s’étalant sur les hélicoptères de patrouille, volant à la poursuite des criminels… Winding Refn suggère plutôt leur présence par l’emploi des faisceaux lumineux qui fouillent la nuit. Obstacles visuels que le Pilote contourne et évite habilement, en maître tacticien. Les variations de rythme, les angles de prises de vue, tout est architecturalement pensé, filmé et monté. Et la bande son fournit le dialogue intérieur du Pilote, jusqu’au coup du parking du stade de basket. De bout en bout, c’est parfait. Et les autres scènes choc sont élaborées de la même façon, que ce soit le braquage en plein jour, le gunfight dans le motel, les règlements de compte brutaux… et la mémorable scène de l’ascenseur, qui passe en quelques secondes de l’amour à l’horreur totale, scellant le destin des deux personnages centraux.    

Une séquence vient parfaitement représenter l’enfermement mental dans lequel vit le personnage : la fête de retour de Gabriel (Oscar Isaac), le compagnon ex-détenu d’Irene. Voisine de palier du Pilote, elle donne une fête à laquelle sont invités tous les proches de l’homme libéré de prison. Winding Refn sépare spatialement Irene (avec Gabriel, son fils et ses amis) et le Pilote (seul chez lui, absorbé par son travail de mécanicien)… La fête est lumineuse, colorée, mais cache mal le malaise de la jeune femme. Celui-ci, littéralement enfermé en lui-même, dans les ténèbres, entend les bruits de la fête sans vouloir la rejoindre. Là encore, en travaillant sa scène de façon purement cinématographique (contraste des éclairages, profondeur de champ, bande son), le cinéaste réussit à transmettre le lien affectif des deux amoureux potentiels qui ne peuvent se retrouver – respect des conventions sociales chez Irene, repli narcissique, autodestructeur, chez le Pilote. La discussion dans le couloir qui s’ensuit, perturbée par l’arrivée de Gabriel, renforce l’isolement des deux personnages.        

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DRIVE doit beaucoup au travail sur la lumière et les cadrages élaborés par Winding Refn et le chef-opérateur Newton Thomas Sigel, collaborateur attitré des films de Bryan Singer (USUAL SUSPECTS, X-MEN, VALKYRIE). Les deux hommes ont adroitement rassemblé les influences esthétiques des peintres de la solitude urbaine, à commencer par Edward Hopper, le plus marquant d’entre eux. Rajoutons l’influence indubitable du style de Kenneth Anger, peintre et cinéaste dont les œuvres ont profondément marqué Winding Refn, ou d’Alejandro Jodorowski. DRIVE, de par son titre et son sujet, nous rappelle aussi au bon souvenir d’innombrables polars bruts des années 1970, du GETAWAY (GUET-APENS) de Sam Peckinpah à DRIVER de Walter Hill. On relèvera aussi l’influence picturale des premiers films de Michael Mann, ceux des années 80 (THIEF/LE SOLITAIRE, MANHUNTER/SIXIEME SENS), ou encore celle d’un autre inspirateur du réalisateur, Stanley Kubrick. La scène, déjà classique, où le Pilote déboule dans un strip-club pour malmener une «balance» de façon aussi originale que douloureuse, sous l’œil mort de strip-teaseuses désincarnées, doit certainement beaucoup à l’esprit du cinéaste d’ORANGE MECANIQUE. L’influence kubrickienne réapparaît lorsque le Pilote revêt un masque pour se venger. Masque désincarné évoquant ceux portés par les personnages de THE KILLING (L’ULTIME RAZZIA), ORANGE MECANIQUE encore, ou EYES WIDE SHUT… 

Surpassant son sujet, DRIVE est à la fois un film noir très brutal, doublé d’une touchante histoire d’amour et une véritable oeuvre artistique. « A hell of a movie ! » 

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Ludrivic Fauchier 

La fiche technique : 

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DRIVE   

Réalisé par Nicolas WINDING REFN   Scénario de Hossein AMINI, d’après le roman de James SALLIS    

Avec : Ryan GOSLING (le Pilote), Carey MULLIGAN (Irene), Bryan CRANSTON (Shannon), Albert BROOKS (Bernie Rose), Oscar ISAAC (Standard Gabriel), Christina HENDRICKS (Blanche), Ron PERLMAN (Nino), Kaden LEOS (Benicio), James BIBERI (Cook), Russ TAMBLYN (Doc)    

Produit par Michel LITVAK, John PALERMO, Marc PLATT, Gigi PRITZKER, Adam SIEGEL, Frank CAPRA III, Garrick DION et James SMITH (Bold Films / Odd Lot Entertainment / Drive Film Holdings / Marc Platt Productions / Seed Productions)   Producteurs Exécutifs David LANCASTER, Bill LISCHAK, Linda McDONOUGH, Chris RANTA, Jeffrey STOTT et Gary Michael WALTERS    Musique Cliff MARTINEZ   Photo Newton Thomas SIGEL   Montage Matthew NEWMAN   Casting Mindy MARIN     Décors Beth MICKLE   Direction Artistique Christopher TANDON   Costumes Erin BENACH     1er Assistant Réalisateur Frank CAPRA III  Réalisateur 2e Équipe et Cascades Darrin PRESCOTT    Mixage Son Robert FERNANDEZ et Dave PATTERSON   Montage Son Victor Ray ENNIS   

Distribution USA : FilmDistrict / Distribution FRANCE : Le Pacte   Durée : 1 heure 40      

L’Histoire : Los Angeles. Un homme, pilote cascadeur pour le cinéma, garagiste pour le compte de son vieil ami Shannon, travaille également au noir sur une toute autre activité : aider des braqueurs à échapper aux patrouilles policières en les transportant en voiture, le plus loin possible du lieu du crime vers un endroit sûr, en un minimum de temps. Le Pilote ne s’implique jamais davantage, refusant de participer aux braquages, de porter une arme et de revoir ensuite les criminels qu’il aide de la sorte. 

Il croise le chemin d’une jeune femme, sa voisine de palier : Irene, serveuse et mère d’un petit Benicio, dont le père est en prison. Une idylle se noue entre eux, alors que Shannon fait appel à un ex-producteur de cinéma, Bernie Rose, pour créer une écurie de stock-car avec le Pilote en vedette. Mais le retour du mari d’Irene, Standard Gabriel, débiteur de criminels inflexibles, va briser les rêves de seconde chance du Pilote…    



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