J. EDGAR, de Clint EASTWOOD
ALERTE SPOILERS ! Le texte qui suit vous révèle des passages importants du film. Si vous voulez garder l’intérêt intact, lisez ce qui suit après l’avoir vu.
Clint Eastwood ne rend jamais les armes. Toujours aussi régulier, il nous livre son «petit» film annuel : une biographie historique de J. Edgar Hoover, le personnage le plus controversé de l’histoire policière et politique américaine. De 1919 à 1972, J. EDGAR retrace donc l’ascension et la déchéance du fondateur et premier directeur (durant près de 40 ans) du FBI, ni plus ni moins que la police gouvernementale des Etats-Unis.
Un personnage étrange à plus d’un titre, qui se créa l’image d’un «super-flic» en révolutionnant certes le travail de la police aux USA, mais qui s’appropria sans vergogne le travail de ses agents, soigna sa propre publicité avec beaucoup de cynisme et détint illégalement des milliers de dossiers sur la vie privée de personnalités publiques. Ce curieux petit homme pratiqua aussi l’intimidation, le chantage, la calomnie et la corruption, sans jamais vouloir rendre de comptes à quiconque, même pas aux différents présidents américains qui se succédèrent à la Maison Blanche ; et enfin, son obsession à fouiller chez les autres les sales petits secrets, au nom d’une morale très puritaine, cachait le goût du secret sur sa propre vie privée… L’homme le plus puissant des Etats-Unis était un homosexuel refoulé, honteux, et sérieusement névrosé.
Un personnage aussi paradoxal ne pouvait qu’intéresser Eastwood, et le challenge narratif est de taille. Raconter la vie de J. Edgar Hoover, et les origines du FBI, c’est plonger directement dans les heures les plus tumultueuses de l’histoire américaine du 20e Siècle, depuis la «Peur Rouge» de 1919 jusqu’aux années Nixon, en passant par la Grande Dépression, la Guerre Froide et les années Kennedy. «Tailler» dans une page d’histoire aussi riche et complexe sans lasser le spectateur n’est pas chose facile, mais heureusement Eastwood a eu la bonne idée de travailler avec un scénariste talentueux, Dustin Lance Black. Celui-ci, avec HARVEY MILK avait déjà su faire preuve d’une maîtrise de la narration impeccable, liant l’histoire intime d’un homme à son histoire politique. De ce point de vue, J. EDGAR est déjà une réussite : en évitant les pièges habituels de la «biopic» («Epic biography», ou biographie historique, un genre phare du cinéma américain), Black s’est focalisé sur le portrait du personnage Hoover. Bien entendu, des choix dramaturgiques sont nécessaires. Le scénariste a choisi de mettre en avant l’évolution du personnage dans ses jeunes années (de 1919 à 1938) et ses dernières années (de 1960 à 1972). Le rôle de Hoover et du FBI durant la 2e Guerre Mondiale, les années de la Chasse aux Sorcières, ses étranges liens avec la Mafia sont donc mises de côté.
Ce qui n’empêche heureusement pas le film de rester passionnant à regarder de bout en bout, l’histoire alternant entre les époques à travers les mémoires, sujettes à caution, dictées par Hoover lui-même pour sa propre légende. Black se montre aussi assez adroit pour prendre la distance critique nécessaire de façon très astucieuse, en mettant en avant le regard de Clyde Tolson, le bras droit et «ami de longue date» de Hoover. C’est ce dernier, amoureux désespéré, qui viendra le moment venu relativiser les faits évoqués par Hoover.
Incarner J. Edgar Hoover au cinéma n’est pas une chose aisée. Les photos historiques montrent un personnage franchement peu photogénique… Courtaud, dégarni, un pli de bajoues graisseuses s’accentuant avec l’âge, et de gros yeux fixes globuleux lui donnant l’apparence d’un crapaud, le vrai Hoover était franchement disgracieux. Impression forcément renforcée par le portrait psychologique qu’en ont dressé les historiens, biographes et les nombreux auteurs de fiction de toute sorte : celui d’un homme profondément antipathique, par son mélange de puritanisme, d’autoritarisme et de froideur. Difficile de trouver jusqu’ici l’acteur idéal pour l’incarner ; deux exemples au moins peuvent être cités : Bob Hoskins, dans le NIXON d’Oliver Stone (1995), campe un Hoover vieillissant et manipulateur, tandis que Billy Crudup, dans PUBLIC ENEMIES de Michael Mann, se montre plutôt crédible en jeune et ambitieux patron du BOI/FBI traquant Dillinger (Johnny Depp).
Avec J. EDGAR, Leonardo DiCaprio gagne un pari difficile : incarner un parfait repoussoir humain doublé d’un être sérieusement perturbé. La transformation de l’acteur dans le personnage force le respect : il interprète Hoover sur cinquante années, jusqu’à son déclin final.
Un grand acteur se distingue par une appropriation totale du personnage, et à ce niveau-là, DiCaprio, comédien complet, livre une de ses meilleures interprétations. La transformation est évidemment physique, passant par les choix de vêtements et le maquillage élaboré : empâté, transpirant en état de stress, le Hoover de DiCaprio apparaît comme enfermé en permanence dans ce corps qui semble l’embarrasser perpétuellement.
Ecoutez aussi la façon très particulière qu’a le personnage de s’exprimer, une voix désagréable, renfermée, cherchant en permanence à dominer l’autre tout en laissant percevoir un manque… Cette voix se fragilise quand Hoover se retrouve en difficulté dans l’intimité, pour des raisons évidentes. Il cherche à cacher à tout prix son homosexualité en se forçant à la «normalité» de la morale de son époque, celle que lui a enseignée une mère particulièrement étouffante (formidable Judi Dench). Cela se traduit par des bégaiements subits marquant le malaise interne de Hoover, comme dans cette scène savoureuse où sa mère l’oblige à répéter ses exercices de diction… avant de l’obliger à danser et à taire ses préférences !
Et il y a aussi bien sûr le regard. Ce que fait DiCaprio est très subtil en l’occurrence. Au naturel, les beaux yeux intenses de Leo qui font craquer les spectatrices n’ont rien à voir avec le regard globuleux du vrai Hoover… Qu’à cela ne tienne, DiCaprio a saisi l’essence du personnage, aux antipodes de sa propre personnalité ; Hoover est un être fuyant, y compris avec ses quelques proches, et ne les regarde pratiquement jamais dans les yeux. Mais quand il s’agit d’arrêter les criminels, d’intimider les ennemis politiques ou de se présenter devant les caméras, son regard devient dur, fixant son antagoniste. C’est le côté «autoritaire persécuteur» de Hoover qui prend alors le dessus. Un travail remarquable de la part du comédien.
La mise en scène d’Eastwood le sert parfaitement, le cinéaste-comédien ayant toujours traduit dans ses films un intérêt certain pour la transformation «psychologique» du corps ; à ce titre, la métamorphose de DiCaprio en Hoover est à rapprocher de l’autre «biopic» mise en scène par Eastwood, BIRD, avec Forest Whitaker transfiguré par son interprétation de Charlie Parker dans sa déchéance physique.
Dans sa longue carrière riche en films policiers, Clint Eastwood a forcément déjà évoqué ou mis en scène le FBI. Il est d’ailleurs assez intéressent de signaler qu’Eastwood, longtemps catalogué comme un affreux réactionnaire de droite (ceci alors même qu’il s’épanouissait grâce à son travail avec Don Siegel, cinéaste aux convictions de gauche…), souffle le chaud et le froid sur le Bureau et les policiers. On connaît bien sûr l’imagerie héroïque incarnée par Clint en Inspecteur Harry, mais son regard s’est nuancé. Certes, l’excellent DANS LA LIGNE DE MIRE de Wolfgang Petersen (1993) nous présente les agents du FBI, ceux chargés de la protection présidentielle, avec sympathie, tout comme BLOOD WORK (CREANCE DE SANG, 2002) avec Clint en profiler retraité (brocardant quand même l’incompétence de ses jeunes collègues…) ; mais Eastwood a aussi filmé, dans LES PLEINS POUVOIRS, d’autres agents comme des hommes dangereux, capables de commettre bavure et tentatives de meurtre, pour couvrir les frasques sexuelles de leur président. N’oublions pas non plus le «sniper» du Bureau qui abat le fugitif joué par Kevin Costner dans UN MONDE PARFAIT, un parfait sale type que Clint se fait un plaisir de cogner ! Ajoutons aussi les bavures, les ambiguïtés incessantes et les vilains petits secrets de la police américaine exposés dans sa filmographie : MAGNUM FORCE, THE GAUNTLET (L’EPREUVE DE FORCE), LA CORDE RAIDE… le summum étant atteint avec CHANGELING (L’ECHANGE), critique cinglante des erreurs de la police américaine dans une histoire sordide de kidnapping et meurtres d’enfants. On ne sera pas trop surpris de voir d’ailleurs Clint Eastwood, dans J. EDGAR, revenir sur la triste affaire du bébé de Charles Lindbergh. Sordide histoire, théâtre d’une détestable lutte d’influence entre Hoover et son Bureau et la police chargée de l’enquête. La découverte du petit corps supplicié du bébé nous rappelle d’ailleurs une terrible scène similaire de CHANGELING, où l’inspecteur découvrait les restes des jeunes victimes… L’émotion soulevée dans l’affaire Lindbergh servit les ambitions politiques de Hoover pour faire la publicité du FBI, culminant avec l’arrestation, le procès et l’exécution du coupable présumé, Bruno Hauptmann. Le scénario a l’intelligence de nous rappeler qu’Hauptmann ne fut jugé que sur des preuves indirectes, et nia jusqu’au bout avoir tué l’enfant. Complice probable, mais pas le coupable idéal, nécessaire à l’envie de gloire de Hoover, et celle de justice du public…
Il est aussi assez intéressant de noter les liens qu’entretient Leonardo DiCaprio avec le FBI – sur le grand écran, bien sûr. Fils d’artistes underground très actifs durant les années 1960 et 1970, DiCaprio a souvent eu dans ses films des ennuis répétés avec le Bureau : dans CATCH ME IF YOU CAN (ARRÊTE-MOI SI TU PEUX, 2002) de Steven Spielberg, il fait tourner en bourrique les agents gouvernementaux lancés à ses trousses ; dans SHUTTER ISLAND de Scorsese, il est un agent du Bureau gravement perturbé menant une enquête impossible à résoudre ; et dans INCEPTION de Christopher Nolan, il est interdit de séjour dans son propre pays, le FBI l’accusant d’avoir incité sa femme à se tuer… Parmi la douzaine de projets qu’il a en cours, DiCaprio devrait poursuivre la série dans l’un de ceux-ci : LEGACY OF SECRECY, dans lequel il jouera le rôle de Jack Van Laningham, un informateur du FBI, devenu proche d’un mafioso impliqué dans l’assassinat de Kennedy fomenté par la Mafia et de la CIA ! Rajoutons, par ailleurs, que l’interprète de Clyde Tolson, Armie Hammer, eut un grand-père directement fiché par Hoover…
A l’annonce du tournage du film, le Bureau a officiellement exprimé ses réserves, gêné à l’idée de voir révélée l’homosexualité de son père fondateur, entre autres choses. Si, après tout cela, il y a encore des gens pour croire Eastwood réactionnaire…

J. EDGAR, par son propos, revient sur le thème de l’homosexualité qui est souvent présent dans les films d’Eastwood. Là encore, il faut se méfier des interprétations caricaturales. On peut cependant souligner que, dans certains de ses films, le thème revient fréquemment, oscillant entre l’attitude moqueuse et la justesse de ton. PLAY MISTY FOR ME (UN FRISSON DANS LA NUIT) présente un homosexuel exubérant, Jay Jay, proche du héros campé par Clint, qui ne se gêne pas pourtant pour le remettre à sa place ; dans DIRTY HARRY (L’INSPECTEUR HARRY), les homosexuels de San Francisco sont l’objet de la haine du tueur en série, qui s’amuse par ailleurs à «balader» Harry dans un parc nocturne où il croise «Alice», un prostitué craintif ; dans THE EIGER SANCTION (LA SANCTION), le fourbe Miles Mellough (Jack Cassidy) est une «folle», vite humilié par Clint (qui l’envoie mourir à petit feu dans le désert !) ; dans L’EVADE D’ALCATRAZ, Frank Morris (Clint) échappe de justesse aux avances viriles de la brute Wolf (encore qu’il ne s’agit pas ici de sexualité mais bien de violence… gare aux douches !) ; SUDDEN IMPACT, le quatrième Dirty Harry mis en scène par Eastwood, nous présente un personnage des plus odieux, la répugnante lesbienne Ray, à la tête de la meute des violeurs.
Plus intéressants dans leur propos, les deux films suivants éliminent l’imagerie caricaturale qu’on a parfois collée à Eastwood dans ce domaine ; LA CORDE RAIDE (1984) est une sorte «d’anti Dirty Harry», où Eastwood incarne l’inspecteur Wes Block, enquêteur accro au sexe masochiste. Abordé par un homme dans un bar, Block révèle, dans une scène étonnante, qu’il a peut-être déjà eu des relations homosexuelles «hard»… à moins qu’il ne fantasme l’acte. Et enfin,
Il y a MINUIT DANS LE JARDIN DU BIEN ET DU MAL (1997), où le conflit tourne autour du meurtre d’un prostitué bisexuel (Jude Law) par son riche amant joué par Kevin Spacey. Eastwood filme des séquences savoureuses où son alter ego, joué par John Cusack, rencontre l’extravagant travesti Lady Chablis, dans son propre rôle, qui vient perturber les bals des débutants et le procès criminel en cours.
Voilà qui nous menait donc au portrait de J. EDGAR, l’homme le plus craint d’Amérique, qui est donc aussi celui d’un refoulé total. Dominé par sa mère (son père n’est qu’une loque épuisée par la maladie), le jeune Hoover se conformera au moralisme intransigeant de cette dernière : pas question d’être une «jonquille» ! Le jeune Hoover prendra au pied de la lettre la réputation de séducteur que lui collent, pour rire, les secrétaires du Département de Justice. Et il ratera en beauté sa tentative de demande en mariage à Helen Gandy (Naomi Watts, toute en discrétion lucide), qui sera sa secrétaire personnelle pour le reste de sa vie. La jeune femme, en le repoussant, a certainement eu l’intuition que ce jeune homme «joue» un personnage qu’il n’est pas. Leur relation restera strictement professionnelle.
Avec Clyde Tolson (un acteur prometteur : Armie Hammer, le «jumeau» rameur du SOCIAL NETWORK), la relation est toute autre, mais toute aussi difficile… Les obsessions morales de Hoover le portent à choisir pour le FBI des hommes stricts, à la forme physique impeccable (savoureuses scènes de recrutement où, inconsciemment, Hoover apprécie le physique en question …) et dévoués à leur métier. Or, l’entrée de Tolson au sein du FBI, où il fut le fidèle numéro 2, ne se fait pas sur ces critères… Le beau jeune homme, élégant, cultivé et spirituel, a tapé dans l’œil d’Hoover. Son recrutement est particulièrement évocateur de sous-entendus : Hoover essaie d’être au mieux de sa forme physique (pour l’impressionner ? le dominer ?), et Clyde Tolson, qui n’a pas spécialement envie de faire carrière au FBI, va néanmoins se mettre à son service pour lui faciliter l’existence (l’ouverture de la fenêtre, le choix de nouveaux vêtements). De cette rencontre va naître la plus étrange histoire d’amour contraint entre deux hommes, sur des décennies. Le film décrit, avec finesse et un certain humour à froid, la curieuse relation de ces deux hommes clairement attirés l’un par l’autre, qui dînent et déjeunent ensemble… mais que le puritanisme de Hoover va pourtant mettre à mal : aucune démonstration de tendresse, d’affection, ni de relation physique explicite. Hoover met un point d’honneur à faire chambre séparée avec Tolson, alors même qu’ils dorment sous le même toit, et met ce dernier au supplice en parlant d’une liaison (réelle ou fantasmée ?) avec l’actrice Dorothy Lamour… Une forme de cruauté psychologique qui pousse Tolson à réagir dans une scène de dispute, tournant au pugilat, puis à l’étreinte contrariée.
Le drame personnel d’Hoover est de renier ses pulsions, jusqu’à la détestation de soi ; ce qui culmine avec la scène suivant la mort de la mère. Scène blafarde, où Hoover porte la robe et le collier maternels ; Eastwood évite le grotesque et montre la tristesse absolue de la situation. Le patron du FBI lutte en vain contre sa nature, opposée à la morale maternelle, et le fait payer à son cher Clyde. Ce conflit intime, Hoover osera enfin l’exprimer dans une réplique adressée à Helen Gandy, après l’accident cardiaque de son compagnon : «Est-ce que je tue tout ce que j’aime ?». Cette question terrible, sans réponse, résume à elle seule les angoisses du personnage, mais pourrait aussi s’appliquer à un très grand nombre de protagonistes des films d’Eastwood.
Bien entendu, l’histoire de J. Edgar Hoover est indissociable de celle de sa création, le fameux FBI. Là encore, le travail de Dustin Lance Black force le respect : mêler l’histoire personnelle de Hoover à celle de la création et l’évolution du Bureau, sur cinquante années, en un film de deux heures quinze n’était pas évident. Il a fallu sacrifier certains grands moments, on l’a déjà dit, par nécessité dramaturgique.
Dommage que le scénario n’insiste pas sur sa curieuse tolérance envers la Mafia américaine, qui menaçait de révéler ses propres secrets embarrassants pour la morale de l’époque…
Ce qui n’empêche pas J. EDGAR d’évoquer et de montrer les «faits d’armes» de son maître d’œuvre et ses agents, avec clarté et précision. Tout y est, ou presque : on a déjà évoqué le cas de Bruno Hauptmann, mais le film s’intéresse aussi aux premières affaires qui ont établi la réputation et la carrière politique du jeune Hoover, comme les «Palmer Raids», et l’éviction de l’activiste féministe et libertaire Emma Goldman, en pleine période de chasse aux anarchistes. Les braqueurs de banque de la Grande Dépression sont aussi dans son collimateur – revoir donc PUBLIC ENEMIES de Michael Mann -, et où se déploie la mégalomanie grandissante de Hoover. Il ira jusqu’à se débarrasser du plus efficace de ses agents, Melvin Purvis, ses succès lui faisant de l’ombre !
Le film évoque aussi, dans l’histoire de l’évolution du Bureau, un aspect technique intéressant pour qui s’intéresse aux enquêtes policières. On peut reprocher énormément de choses à Hoover, il faut au moins lui accorder le mérite d’avoir su appliquer des techniques policières totalement inédites dans son pays. La délimitation de scènes de crimes, le recours à l’analyse scientifique dans n’importe quel domaine, le traçage de la monnaie destinée aux rançonneurs, etc. sont autant de pratiques familières au spectateur contemporain. Mais jusque dans les années 1930, elles n’étaient pas appliquées, et tournées en dérision ! Hoover a su mettre en valeur leur contribution importante, notamment dans l’affaire Lindbergh-Hauptmann… même si elles ont eu leurs limites dans cette histoire, et ont probablement envoyé un bouc émissaire sur la chaise électrique.
Avec la mégalomanie, le goût d’Hoover pour la publicité, motivé par son besoin de défendre bec et ongles sa création, passe aussi pour une nouveauté dans les années 1930. Il utilisa sciemment le cinéma et la bande dessinée pour populariser l’image du Bureau. Ce n’est pas sans échecs, voir cette scène réjouissante où il est la vedette d’un film d’avertissement au public, vilipendant les Dillinger, Nelson et autres mitrailleurs de banques. Il fait un flop : physique déplaisant, absence de charisme et discours moralisateur ne font pas bon ménage… le public le hue. James Cagney en voyou flamboyant dans L’ENNEMI PUBLIC (film fondateur du genre «Gangsters» dû à William A. Wellmann), a bien plus de succès dans ces années de Dépression ! Hoover saura corriger le tir quelques années après, en se mettant en vedette dans les grandes arrestations. Comme en résultat, James Cagney popularise alors l’image du FBI dans G-MEN (LES HORS-LA-LOI) de William Keighley. Hoover voulait d’ailleurs être une «star», pour le bien du Bureau comme pour son besoin personnel de gloire. Le film «croque» des scènes réjouissantes où Hoover flirte avec Hollywood, que ce soit en posant avec Shirley Temple ou flirtant (en pure perte) avec Ginger Rogers et ses amies !
J. EDGAR insiste aussi sur un autre aspect des plus déplaisants du personnage : véritable maître chanteur de premier ordre, il pratique les écoutes illégales et le chantage, pour se maintenir dans sa fonction en toute impunité. Les mœurs d’Eleanor Roosevelt comme celles de John F. Kennedy en sont dans le film le parfait exemple. Et il n’hésite pas à monter de toutes pièces une grossière campagne de calomnie contre Martin Luther King, en vain. Le récit est adroit et révèle ses propres surprises ; ainsi la mort de John F. Kennedy abattu à Dallas. Tel que le montre le film, Hoover est en train d’écouter une bande d’écoute du Président américain avec une de ses maîtresses. Il est le premier à prévenir Robert Kennedy, son ennemi du moment, du meurtre de son frère. Puis il téléphone à Helen Gandy… tout en laissant tourner le magnétophone qui émet donc les gémissements de plaisir de la maîtresse du Président. C’est Eros et Thanatos, réunis dans l’esprit obsessionnel du patron du FBI !
La mise en scène d’Eastwood est toujours impeccable, bénéficiant du travail du chef opérateur Tom Stern, expert ès atmosphères «noires», qui transforme peu à peu Hoover et ses proches en êtres désincarnés. Des fantômes typiquement «eastwoodiens». On peut peut-être reprocher au cinéaste un rythme assez lent qui entraîne quelques longueurs au final, mais l’histoire l’autorise. Et de toute façon, Eastwood a depuis longtemps adopté un style de narration qui élimine les effets à la mode de montage et de découpage frénétiques. L’intérêt du film est aussi qu’il sait prendre son temps.
S’appuyant toujours sur l’impeccable scénario de Black, le cinéaste glisse aussi des jeux de signes référentiels habiles. Par exemple, au sortir d’une soirée cinéma sur Times Square avec sa mère et Clyde Tolson, Hoover passe devant une enseigne vantant les «Eltinge Follies», référence aux spectacles de Julian Eltinge, célèbre travesti des années trente, signe renvoyant donc Hoover à ses pulsions.
Eastwood montre Hoover jouer sans arrêt avec un mouchoir blanc, remis par Tolson à leur première rencontre ; signe ambivalent de possession, plus que marque d’amour… Une lettre relue sans cesse par Hoover, adressée à Eleanor Roosevelt par son amante, devient le dérivatif de l’amour qu’il ne peut exprimer à son compagnon.
Plus mystérieux, et surtout destiné aux connaisseurs de l’œuvre de Clint Eastwood, Hoover vit une courte scène étrange au moment de l’arrestation du gangster Alvin Karpis. Au moment d’agir, Hoover est retardé, s’arrêtant pour laisser passer un sinistre cavalier, émacié, juché sur un cheval à la robe pâle… Le cavalier a surgi de nulle part, et disparaît pour ne plus revenir. Il semble tout de même terrifier l’inflexible Hoover. Et pour cause… Le patron du FBI a dû lire et relire dans sa jeunesse chrétienne un passage de l’Apocalypse, concernant le plus terrifiant des cavaliers. Celui qui s’appelle Mort, et que l’Enfer accompagne… Souvenez-vous du début de PALE RIDER !

Encore une réussite pour Clint Eastwood, qui ne va toujours pas prendre de vacances et prépare son retour à 82 ans dans TROUBLE WITH THE CURVE de Robert Lorenz. Son 67e film en tant qu’acteur. On l’avait trop tôt enterré, après sa grande mort à l’écran dans GRAN TORINO. Mais Clint revient toujours de ses propres morts, c’est bien connu !
Agent Spécial Ludovic Fauchier, fermeture du dossier.