PROMETHEUS, de Ridley SCOTT
Dédié aux regrettés Jean Giraud, alias Moebius, et Ray Bradbury.
Certaines citations et références de ce texte proviennent du Dictionnaire des Symboles de Jean Chevallier et Alain Gheerbrant, paru chez Robert Laffont.
ALERTE SPOILERS : il est fortement recommandé de ne pas lire ce qui suit pour préserver le plaisir du visionnage du film !
Bonjour chers amis neurotypiques ! Dites 33…
33 années déjà ont passé depuis que Ridley Scott a traumatisé les spectateurs d’ALIEN, l’un des films phares de la génération «Métal Hurlant». Croisant la science-fiction et l’horreur avec une habileté diabolique pour son second long-métrage, le cinéaste britannique avait initié un cinéma d’anticipation bien plus inquiétant que STAR WARS et RENCONTRES DU TROISIEME TYPE, sortis deux ans plus tôt. ALIEN, comme plus tard BLADE RUNNER du même Scott, initiera tout un courant du cinéma de science-fiction montrant des futurs bien sombres pour l’Humanité, et générer autant d’imitations que de suites. La saga ALIEN se déclinera en tout en quatre longs-métrages d’intérêt et de style variable selon les auteurs (James Cameron, David Fincher et Jean-Pierre Jeunet), avant de sombrer corps et bien dans deux films (plutôt deux catastrophes) l’opposant aux Predators. Entretemps, Scott s’était apparemment détourné de la SF durant trois décennies, même si l’envie d’y revenir le titillait ; d’une mémorable publicité pour Apple Mac en 1984 – coucou George Orwell – à une adaptation avortée de JE SUIS UNE LEGENDE avec Arnold Schwarzenegger, en passant par LA GUERRE ETERNELLE et LE MEILLEUR DES MONDES. L’annonce de la réalisation de PROMETHEUS par le cinéaste de GLADIATOR a donc fait l’effet d’une petite bombe chez les amoureux de la science-fiction. Et causé bien des spéculations, lorsqu’on a appris que l’action du film se situait dans le même univers qu’ALIEN, bien avant les évènements décrits dans celui-ci. Scott a dû mettre les choses au point sans trop en dévoiler : PROMETHEUS n’est pas une suite, ni même exactement une «préquelle» à ALIEN.
En fait, une idée trottait dans la tête du cinéaste depuis longtemps. Aucun des films de la série ne répondait à une question qui restait en suspens depuis trois décennies. Rappelez-vous…
Le «Space Jockey», colosse fossilisé dans son étrange berceau-télescope, demeure la grande énigme du film. Un présage sinistre pour les explorateurs : son thorax perforé, les côtes brisées de l’intérieur, macabre référence à l’histoire de la Genèse et la naissance d’Eve dans le Paradis perdu…
L’origine de cette créature obnubilait le cinéaste, qui choisit donc, avec PROMETHEUS, de laisser de côté tous les clichés hérités des suites de la saga : Ripley n’est plus là, ni les Space Marines «ramboïdes», affrontant les Aliens et les répugnants Face-Huggers. Pour Ridley Scott, tout a déjà été raconté de ce côté-là ; et l’Alien, exposé et pressuré dans les comics, les jeux vidéo, les publicités Pepsi, mis en vitrine à Planet Hollywood et même présent dans les parcs d’attractions pour enfants, a perdu sa capacité à effrayer et inquiéter…
Scott a donc décidé de développer une nouvelle mythologie autour du «Space Jockey». Celui-ci appartient à une autre espèce (baptisée dans le film «Ingénieurs») qui, depuis la nuit des temps, parcourt les planètes pour créer de nouvelles formes de vie. Les Aliens ne sont qu’une de leurs créations, une arme vivante. Ce qui n’est vraiment pas fait pour rassurer quant aux intentions de leurs concepteurs.
En éliminant au maximum les références à ALIEN (tout en gardant quelques «Œufs de Pâques» pour les connaisseurs et les nostalgiques), Scott, dont le style et l’approche thématique ont forcément évolué en 33 ans, renouvelle intelligemment un genre trop souvent phagocyté par les clichés permanents. Film intellectuel sous ses allures de blockbuster, PROMETHEUS délivre au spectateur attentif quelques secrets des plus intrigants, quitte à fâcher certains fans s’attendant à un «actioner» à la ALIENS LE RETOUR transpirant la testostérone.
«Mais voilà qu’en travers de notre route se dressa un visage humain, de proportions beaucoup plus vastes que celles d’aucun habitant de la terre. Et la couleur de la peau de ce visage était de la blancheur parfaite de la neige…»
- Edgar Allan Poe, LES AVENTURES D’ARTHUR GORDON PYM
Un étrange lien de parenté relie en fait PROMETHEUS à ALIEN… Comme si les thèmes abordés dans le film correspondaient à la propre relation qu’entretiennent les deux films de Scott. ALIEN fit forte impression en son temps, sa très classique histoire de monstre offrait une relecture thématique liée aux travaux de Sigmund Freud, sur l’inconscient, la sexualité, la pulsion de mort, etc. Or, si ALIEN est un film qui accepte une lecture «freudienne», PROMETHEUS s’en écarte pour prendre d’emblée une thématique rivale, celle liée aux travaux de Carl Gustav Jung. Film «jungien» par excellence, PROMETHEUS illustre à sa façon nombre d’idées développées par l’ancien disciple devenu rival en psychanalyse de Freud. Jung développa sa fameuse théorie des archétypes issus de l’Inconscient collectif, liés aux mythes essentiels de l’histoire humaine, et traita des phénomènes OVNIS selon la même approche, dans son livre UN MYTHE MODERNE. PROMETHEUS aborde toute une série de thèmes mythologiques qui, d’une certaine façon, correspondent à la vision de Jung. Et ce n’est certainement pas le fait du hasard si l’on y retrouve le talentueux Michael Fassbender, le comédien venant récemment d’incarner le docteur Jung, s’opposant à Freud dans l’intéressant A DANGEROUS METHOD de David Cronenberg…
Le ton est donné dès la première séquence : le survol majestueux de la surface d’une planète sauvage, littéralement immaculée, dont on découvre peu à peu qu’il s’agit du point de vue d’un gigantesque vaisseau spatial, véritable «Roue Céleste». Cette planète vierge, c’est la Terre, des millions d’années avant notre ère. En quelques images d’une beauté saisissante, Scott crée une ambiance unique pour une séquence sortie d’un autre monde. Un Ingénieur, humanoïde semblant tout droit sorti d’un dessin de Moebius ou Druillet, se livre volontairement à une communion sacrificielle aboutissant à la naissance des premières cellules, de la Vie. Séquence étonnante, dont les plans aériens semblent s’inspirer à la fois de 2001 : L’ODYSSEE DE L’ESPACE (le survol du monde «extradimensionnel» durant l’ultime voyage de l’astronaute) de Stanley Kubrick, et des premières images «célestes» annonçant l’arrivée de Hitler dans LE TRIOMPHE DE LA VOLONTE, le tristement célèbre film de propagande de Leni Riefenstahl.
Une approche volontairement mythologique, annonçant ici le sacrifice volontaire d’un Dieu ambivalent, pour engendrer la Vie sur une Terre déserte. Ce qui constitue un thème omniprésent dans les grands mythes du monde entier. La référence au film de Riefenstahl (qui avait déjà inspiré à Scott la scène du triomphe de Commode dans GLADIATOR) donne à ce visiteur céleste une stature inquiétante : l’extra-terrestre de PROMETHEUS, que sa maîtrise d’une science obscure ne peut que nous faire paraître comme «supérieur», se sacrifie volontairement pour engendrer une espèce faite à son image. Chez ces Ingénieurs, la science, le mythe et le savoir occulte se rejoignent pour un objectif dont la finalité nous échappe. A chacun d’y apporter sa propre interprétation.
Le film va peu à peu développer son approche mythologique à chaque séquence. La découverte faite par le couple d’archéologues dans les cavernes de l’île de Skye («l’île des Cieux» ?) va aller dans ce sens. Elizabeth Shaw (magnifique Noomi Rapace, à fleur de peau) et Charlie Holloway (Logan Marshall-Green) découvrent dans plusieurs sites archéologiques les mêmes peintures, représentant la même carte céleste. Les scénaristes s’inspirent en cela des travaux de Jung sur l’Inconscient collectif.
Certes, on ne trouvera certainement jamais une quelconque preuve concrète que des civilisations anciennes ont reçu la visite d’extra-terrestres, au savoir tellement développé qu’ils auraient été perçus comme des Dieux. Mais il est toujours étonnant de constater que, dans les plus anciennes civilisations humaines (babylonienne, égyptienne, aztèque, inca, etc.), séparées par les continents et apparues à des âges différents, les mêmes fondations mythiques réapparaissent : l’arrivée sur Terre des Dieux fondateurs desdites civilisations, leurs enseignements, le développement de l’astronomie, etc. Très sommairement, je résume ici une idée développée par Jung dans ses écrits. Le développement des mêmes mythes dans différentes civilisations qui n’ont pu entrer en contact les unes avec les autres, est une illustration typique de ce que Jung nomme les synchronismes de l’Inconscient collectif.
Accessoirement, l’idée rejoint le livre (très controversé et critiquable) d’Erich Von Däniken, LES CHARIOTS DES DIEUX, qui soutenait justement cette thèse selon laquelle des extra-terrestres, de passage sur notre planète, ont influencé le développement des civilisations humaines. Pour tout amateur de science-fiction, cette thèse est en tout cas familière, fournissant un sujet en or aux romanciers et scénaristes de tous horizons. PROMETHEUS poursuit une tradition finalement solidement implantée au cinéma, depuis l’apparition sur Terre du Monolithe Noir du chef-d’œuvre de Stanley Kubrick.
A suivre…
0 commentaire à “Lointaine Parenté, 1ere partie – PROMETHEUS”