D comme…
… Darwin, Charles (1809-1882) :
Le biologiste et naturaliste anglais a comme chacun sait révolutionné le monde de la science de son époque et mis à mal, bien malgré lui, l’emprise de la religion sur la science, en élaborant à partir de ses travaux les bases de la théorie de l’évolution et de la sélection naturelle. Quand il publie son livre L’ORIGINE DES ESPECES, sorti en 1859, il va créer une vraie « bombe à retardement » parmi ses confrères. Rappelons qu’à cette époque, le poids de la religion était tel que, même parmi les scientifiques, l’on croyait fermement à la Création Divine comme seule explication possible à l’origine de la vie et à l’évolution animale sur Terre, et que Dieu avait créé l’Homme… Homme profondément religieux de par son éducation, Darwin hésita pendant longtemps à faire paraître ses travaux sur l’évolution – la mort de deux de ses enfants l’amènera cependant à douter de l’existence d’un Dieu de bonté régissant toute vie sur Terre. Darwin n’a pas, comme on le croit, affirmé que l’Homme descendait du Singe (on lui prête à tort cette affirmation, venue en fait des travaux du français Lamarck) ; mais il a développé dans des directions nouvelles les théories du transformisme posées par celui-ci, en opposition à la vision créationniste du monde longtemps considérée comme la seule valable. Historiquement, ses travaux côtoient ceux du père fondateur des lois de la génétique, Gregor Mendel, un autre scientifique possiblement « Aspie », qu’il ne rencontra jamais.
Darwin, figure respectée et controversée pour ses travaux, est cité comme une hypothétique personnalité « Asperger »… Cet homme très discret, réservé de nature, souffrit toute sa vie de troubles de la santé et de crises personnelles que bien des médecins échouèrent à diagnostiquer et soigner. Aujourd’hui encore, la « Maladie de Darwin » reste source de spéculations, recoupant plusieurs diagnostics possibles : maladie de Chagas probablement contractée durant son grand voyage à bord du navire Beagle, maladie de Menière, syndrome de fatigue chronique, maladie de Crohn, TOCS… toutes ces hypothèses se joignent à celle du syndrome d’Asperger dont il présentait certains aspects.
Ainsi, dès l’âge de huit ans, il se prit de passion exclusive pour l’histoire naturelle et se spécialiser à l’âge adulte dans les disciplines regroupées dans ce domaine. Même s’il lui faudra pour cela rater ses études médicales à l’Université d’Edimbourg, où il fut un élève médiocre, ainsi qu’à Cambridge où, plutôt que d’étudier pour devenir prêtre anglican, il préfère chasser, faire du cheval, et collectionner les insectes. Et s’opposer ensuite à l’autorité de son père, en acceptant l’offre du capitaine FitzRoy en 1831, comme naturaliste à bord du HMS Beagle. Ce voyage changera sa vie et aboutira, au terme de 28 patientes et discrètes années de recherches, à la parution de son célèbre ouvrage.
Bourreau de travail plongé en permanence dans ses recherches, Darwin souffrait de ce que l’on appellerait aujourd’hui une phobie sociale sévère, survenant souvent avant des réunions et conférences importantes, qu’il se mit à éviter. Tout comme il se mit à éviter les visites sociales de courtoisie à son domicile, préférant la tranquillité d’esprit de ses recherches scientifiques. Pour parer aux visites d’intrus, il se fit installer un miroir signalant l’arrivée de ceux-ci…
Le cinéma s’est rarement intéressé à la postérité de l’histoire de Darwin : quelques tentatives tardives, beaucoup de séries documentaires ou téléfilms, des parodies… A noter quand même : le film CREATION (2009) de Jon Amiel, où Darwin est joué par Paul Bettany (qui avait incarné un médecin « pré-darwinien » aux Galapagos dans MASTER AND COMMANDER…)
Cf. Gregor Mendel
… Data (Brent Spiner), dans la série télévisée et les films STAR TREK NEXT GENERATION.
Attention, entrée imminente dans la zone « Geek » !
Officier scientifique et responsable des manœuvres à bord de l’USS Enterprise, le Lieutenant Commandeur Data est à l’équipage du Capitaine Picard ce que Spock est à celui du Capitaine Kirk dans la série et les films classiques de STAR TREK. Selon son interprète Brent Spiner, inspiré par le jeu de Charles Chaplin, Data est le clown blanc et triste, à bord du vaisseau spatial allant fièrement là où nul n’est jamais allé…
Androïde doté d’un cerveau positronique (hommage évident à Isaac Asimov), Data raisonne et agit en fonction de sa seule logique, et a du mal à comprendre les émotions humaines, ressemblant en cela à Spock. Mais contrairement à celui-ci qui lutte contre sa propre nature humaine, Data va acquérir sa propre humanité. Pour cela, une puce d’émotivité lui permettra de mieux comprendre le langage social de ses collègues à bord de l’Enterprise. Ce qui ne va pas sans difficultés ni malentendus…
Une fois la puce d’émotivité intégrée à sa programmation de base, Data fait des progrès remarquables, mais se montre en même temps instable. Difficile d’assimiler en très peu de temps le langage complexe des émotions… Toujours est-il qu’il développe sa propre imagination, ses routines personnelles, un sens de l’humour, des dons d’acteur et de chanteur… Il devient même romantique, développant quelques brèves liaisons avec des humaines, et se créera une fille androïde adoptive. Dénué de sensibilité aux émotions tactiles, Data aura une initiation à la limite du « bondage », durant les scènes l’opposant à la maléfique Reine Borg dans le film STAR TREK PREMIER CONTACT…
Sa quête personnelle pour devenir plus humain, comprendre les émotions, et quitter son statut de machine en a fait l’un des personnages les plus populaires de tout l’univers «trekkien»… et un modèle pour nombre d’adolescents atteints du syndrome d’Asperger, amateurs de la série qui se reconnaissent en lui.
Cf. Spock ; Isaac Asimov
… David (Haley Joel Osment) dans A.I. INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
Coïncidence, ce blog nous permet de passer maintenant en revue plusieurs « robots humains », androïdes ou autres, qui ont tous en commun des caractéristiques du syndrome d’Asperger… Les personnes « Aspergers », dans la réalité, sont parfois elles-mêmes qualifiées d’ »extra-terrestres », d’ »ordinateurs vivants » ou de « robots » – tout un vocabulaire science-fictionnel auquel elles sont susceptibles – seraient-elles vouées à devenir une nouvelle « espèce » ? Certes, l’hypothèse est complètement folle, mais pourquoi limiter notre imagination à ce sujet… : l’humanité serait-elle en train de muter vers une nouvelle phase ?
A.I. INTELLIGENCE ARTIFICIELLE est le résultat de la rencontre des univers de deux cinéastes d’exception, souvent présents dans cet abécédaire : Stanley Kubrick et Steven Spielberg. A l’origine d’A.I., il y a une nouvelle écrite par Brian W. Aldiss, LES SUPERJOUETS DURENT TOUT L’ETE, l’étrange conflit se jouant entre David, un robot (ou « Mécha ») à l’apparence d’un enfant, et sa mère adoptive, nouvelle qui inspira un projet de film à Stanley Kubrick. Cela aurait été son très grand retour à la science-fiction après le monument 2001 : L’ODYSSEE DE L’ESPACE, où, déjà, il abordait brillamment le thème de l’intelligence artificielle, tout en tordant le cou aux lois robotiques d’Asimov, avec l’ordinateur paranoïaque HAL 9000… Finalement, Kubrick confia A.I. INTELLIGENCE ARTIFICIELLE à Steven Spielberg, le cinéaste idéal pour le film, finalement sorti en… 2001, deux ans après le décès de Kubrick.
David n’est jamais né, n’a jamais eu d’anniversaire. S’il ressemble à un petit garçon, il n’en est pas un. Dans un proche futur où la science robotique s’est développée, David est le premier robot humain à être conçu pour éprouver et recevoir de l’amour de parents en manque d’enfants. Mais la création du Professeur Allen Hobby (William Hurt), trop parfaite et trop faillible, va surpasser les espoirs les plus fous de son créateur.
S’il n’était pas imaginé et présenté comme un robot, David serait un jeune garçon clairement atteint du syndrome d’Asperger, au vu de son comportement déroutant provoquant l’affection, la curiosité, l’hostilité et l’incompréhension. Les scènes du premier acte du film, chez la famille Swinton, sont très révélatrices en ce sens. Trait typiquement « Aspie », ici inhérent à sa programmation de base, David interprète littéralement tout ce qu’on lui montre et dit – voir le gag de la fausse partie de cache-cache où il surprend sa mère adoptive aux toilettes. Tout aussi littérale chez lui est sa fascination pour PINOCCHIO, le conte de Collodi. Cela deviendra chez lui une idée folle, fixe, qu’il poursuivra envers et contre tout, quitte à en mourir. Comme souvent chez les « Aspies », David comprend très mal les émotions humaines ; il ne sait pas par exemple interpréter correctement l’hostilité de Martin, le vrai fils biologique des Swinton, et se laisse manipuler par ce faux frère. Cette incapacité à comprendre la complexité des sentiments humains va mener à son abandon dans les bois, scène terrible et hautement symbolique d’un film qui puise dans les thèmes les plus sombres des contes de fées…
Difficile aussi, à cause de sa condition de robot, de se lier avec des humains… ses seuls amis, David les trouvera parmi les robots : Teddy, l’ours en peluche électronique, faisant office de conscience, et Gigolo Joe (Jude Law), « Mécha » jouisseur qui va le suivre dans sa quête. Généralement calme et craintif, David peut aussi connaître des crises de violence et de dépression terribles – une étape dramatique dans ce monde où les « Méchas » ne connaissent ni émotions ni conscience de soi. L’anormalité de David le rend donc doublement unique, à la fois chez les humains et chez les « Méchas ». Aux uns comme aux autres, il prouve qu’une machine est capable de développer un mode de pensée original, et donc de surpasser sa programmation de base pour accéder à un univers d’abstractions, d’imagination et d’interprétation symboliques. Et devenir le « chaînon manquant » entre deux formes de vie qui se sont ignorées pendant des siècles.
Pour mener à bien ce film étrange mêlant quête mythologique, drame familial, éléments science-fictionnels et questionnements philosophiques, il fallait bien l’âme de deux cinéastes eux-mêmes sortis des normes imposées de leur art, et très probablement eux-mêmes « Aspies »… nous reviendrons plus tard sur les cas de Kubrick et Spielberg.
Cf. HAL 9000 ; Isaac Asimov, Stanley Kubrick, Steven Spielberg
… David (Michael Fassbender), dans PROMETHEUS.
Un autre David, robot humain comme son jeune prédécesseur, mais nettement plus inquiétant… Celui-là est le personnage vedette du film PROMETHEUS de Ridley Scott. Sa fonction est d’assurer les travaux subalternes durant les deux ans de voyage du vaisseau spatial Prometheus, avant sa destination finale : maintenance, réparations techniques, surveillance de l’état de santé de l’équipage humain en sommeil artificiel. David est donc à bord un véritable majordome et homme à tout faire. Il s’acquitte avec le plus grand sérieux de ses routines de travail, montrant ainsi un premier trait typique du syndrome d’Asperger, dont il présente certaines facettes… à défaut d’en incarner le côté le plus positif.
Sa programmation le limite en ce sens. Raide et manquant d’expressivité - marque de fabrique propre à tous les robots humanoïdes de la science-fiction - il se montre souvent évitant, évasif, provoquant la colère de Meredith Vickers (Charlize Theron), la chargée de supervision de la mission. Il se distingue aussi par une excentricité programmée, une véritable obsession pour le film LAWRENCE D’ARABIE, si poussée qu’il imite l’acteur Peter O’Toole à la perfection ; ses citations des répliques rendent même perplexes les membres du Prometheus tout à leur mission… Hasard ? Le vrai Lawrence d’Arabie, de son vrai nom Thomas Edward Lawrence, était peut-être atteint du syndrome d’Asperger. Enfin, David fait preuve d’une curiosité scientifique intarissable qui le rendrait sympathique, si celle-ci ne s’accompagnait pas d’un total manque d’empathie et d’éthique.
Comme les Réplicants de BLADE RUNNER, autre classique de la science-fiction signé Ridley Scott, David cherche à dépasser sa programmation initiale. Mais, à l’inverse de son jeune homonyme d’A.I. INTELLIGENCE ARTIFICIELLE, il reste profondément incapable de comprendre des notions comme l’espoir ou l’amour. Impossible aussi pour lui de comprendre qu’il n’a pas le droit d’espionner les rêves de la scientifique Elizabeth Shaw (Noomi Rapace) durant son sommeil artificiel. Et, comme HAL 9000 dans 2001 L’ODYSSEE DE L’ESPACE, il développe un ressentiment grandissant envers les humains.
Utilisant sa curiosité scientifique pour répondre à une discrète insulte, David contaminera Charlie (Logan Marshall-Green) par un échantillon d’ADN extra-terrestre mutagène. Les conséquences seront atroces. Ce comportement criminel (heureusement inexistant à ce jour chez les Aspies réels…) sera sa réponse au mépris des humains à son égard… On peut même le soupçonner de provoquer la mort de Weyland face au titanesque « Ingénieur » extra-terrestre. David n’en ressort pas lui-même indemne, et c’est assez logiquement que l’androïde finit à l’état de simple tête parlante, comme symbole de son incapacité à ne pas avoir su dépasser son statut initial.
Dans le rôle de David, Michael Fassbender réussit une remarquable prestation. En supprimant de son jeu toute trace d’affects, effaçant en quelque sorte l’humain en lui, Fassbender crée un personnage ambigu à souhait. A signaler que le comédien venait de se distinguer peu avant dans le rôle du docteur Carl Gustav Jung dans le film A DANGEROUS METHOD. Autre possible personnalité Asperger, le psychiatre Jung élabora sa célèbre théorie de l’Inconscient Collectif, qui est illustrée par le mystère à l’origine du voyage du Prometheus…
Cf. HAL 9000, les Réplicants de BLADE RUNNER ; Carl Gustav Jung, Thomas Edward Lawrence
… Denver, John (1943-1997) :
Sous les cieux de Roswell, au Nouveau-Mexique, on trouve de tout. Des restes d’OVNI, un autrichien volant… et même la naissance d’un musicien/chanteur/compositeur qui figure aussi sur les listes de personnalités ayant peut-être eu le syndrome d’Asperger. John Denver, peu connu de notre côté de l’Atlantique, fut un extra-terrestre de la chanson country folk américaine. Une figure souriante, optimiste, avec un je ne sais quoi d’étrangeté dans le regard, et une face sombre guère associée au registre « feel good » de ses chansons immensément populaires des années 1970.
De son vrai nom Henry John Deutschendorf, John Denver était le fils d’un sévère officier instructeur de l’US Air Force. Suivant son père à chacun de ses déménagements dans les bases militaires de l’Ouest américain, Denver était un enfant timide, peu aimé de ce père autoritaire, et ne se faisait guère d’amis, se sentant en permanence « étranger » à ses camarades. Il développa très vite une passion pour l’aviation qui ne le quittera jamais. Son autre grande passion lui viendra par le cadeau de sa grand-mère maternelle pour ses 12 ans : une guitare acoustique. La musique deviendra son moyen de communication au monde, et Denver pourra combiner ses deux passions en une seule célèbre chanson, LEAVING ON A JET PLANE, au titre prophétique de son propre destin.
Denver vivra une scolarité difficile, marquée par une fugue en Californie à l’âge du lycée, et se verra forcé de finir ses études, sans enthousiasme. C’est finalement au tournant des années 1960 qu’il pourra enfin devenir musicien et chanteur, en Californie. Après le succès de LEAVING ON A JET PLANE, il entamera une fructueuse carrière de chanteur en solo, avec succès. Le look de Denver, reconnaissable à ses longs cheveux blonds au bol, ses chemises brodées et ses lunettes de grand-mère nous montrent un vrai e.t. de la chanson. Toute l’insouciance vestimentaire des seventies !… En coulisses, pourtant, John Denver n’était pas un tendre et refusait de se laisser dicter sa conduite, comme en témoignera la rupture professionnelle violente avec son producteur Jerry Weintraub.
Denver continuera à oeuvrer dans le registre folk/country qui lui est cher, mais à partir de la fin des années 1970, son engagement dans de nombreuses activités politiques humanitaires prendra le dessus sur son activité musicale. Fervent démocrate, il s’opposera à la politique de Reagan, la NRA, la corruption politique, la censure dans la musique… Au fil du temps, par ailleurs, le chanteur-compositeur développera d’autres centres d’intérêt : la peinture, la photographie, le ski et le golf. Un doux rêveur ? Cela reste à voir… Denver publiera en 1994 son autobiographie, révélant au public un visage bien moins souriant : il y parle franchement de ses addictions à la drogue, son alcoolisme, ses infidélités, ses violences conjugales, et une tentative de suicide…
Chanteur inclassable et en même temps familier dans le paysage musical américain, John Denver trouvera une fin tragique en 1997, dans un crash aux commandes de son avion expérimental. « Cause I’m leaving on a Jet Plane »…
… Descartes, René (1596-1650) :
Il cogite, donc il est…
Mathématicien, physicien et philosophe, à une époque où les scientifiques libres penseurs, pour leurs écrits menaçant les vérités officielles et les dogmes religieux, risquaient la censure, la torture (Galilée) ou le bûcher (Giordano Bruno), Descartes a contribué par ses travaux à changer la vision du monde de son époque… même s’il a commis des erreurs. Résultat de ses recherches infatigables, ses idées métaphysiques, parfois contestables et datées, ont néanmoins changé les certitudes de son époque. Et on a déduit que cet esprit curieux de tout, inlassable chercheur et voyageur, a été peut-être un Asperger. Cela reste cependant à prouver.
Orphelin de sa mère, élevé par son père (conseiller au parlement de Bretagne), sa grand-mère et sa nourrice, l’enfant Descartes, remarquablement précoce, pose sans cesse des questions sur tous les sujets qui l’intéressent et révèle très tôt un esprit avide de logique et de raison, passionné par les mathématiques. Décrit comme un homme susceptible et exigeant, René Descartes fut aussi connu pour éviter la société de son temps, préférant écrire et étudier chez lui. Une habitude qui le fera « avancer masqué » dans une époque troublée, refuser les honneurs, et entretenir des relations épistolaires avec ses amis (notamment Elisabeth de Bohême). Le jeune Descartes va voyager à travers l’Europe, se fixant pendant l’essentiel de sa vie en Hollande, où il sera le disciple brillant du physicien Beeckman. C’est d’ailleurs là-bas qu’il fera trois songes, la nuit du 10 novembre 1619, véritable expérience mystique qui lui inspira les bases de sa future méthode scientifique.
Recherchant toujours la compagnie des savants, Descartes subordonne ces rencontres à sa passion de la recherche : mathématiques, géométrie analytique, optique, étude des êtres vivants, musique, chimie, alchimie… La parution du « Discours de la Méthode » va faire sa célébrité, et déclencher les foudres des prédicateurs catholiques, durant la querelle d’Utrecht dans laquelle il risqua la condamnation à mort. Foudres qui se sont peut-être abattues sur lui dans sa dernière année, 1650, alors qu’il venait d’être le tuteur de la Reine Christine… A-t-il été empoisonné par l’aumônier catholique Viogué, qui craignait son influence sur la reine ? Les péripéties du rapatriement du cadavre de Descartes en France seront aussi une véritable énigme, liée à la disparition / réapparition de son crâne et l’impossibilité d’identifier clairement ses restes. Mais ceci est une autre histoire…
… Dick, Philip K. (1928-1982) :
Un intrus dans cette liste ? Sans doute. Philip K. Dick, auteur immense inspirateur de toute la science-fiction moderne et grand paranoïaque notoire, n’a jamais été diagnostiqué autiste ou Aspie. Et pourtant… En revoyant dans les grandes lignes les biographies trouvées à son sujet, souvent contradictoires tant l’écrivain fut difficile à cerner, cette idée peut faire son chemin. Souvent reclus, terriblement anxieux, remarquablement cultivé et intelligent, socialement très maladroit, Dick semble avoir présenté une forme légère potentielle du syndrome. Ceci reste cependant une supposition personnelle, non un diagnostic officiel.
Marqué par le décès de sa soeur jumelle à l’âge de six semaines, Philip Kindred (« esprit jumeau », « âme soeur »…) Dick fut élevé par une mère des plus perturbantes, adepte de méthodes éducatives expérimentales radicales qui l’ont certainement fragilisé. Le jeune Dick se prit de passion pour la musique et la littérature classiques. Sa mémoire et ses connaissances musicales furent remarquables ; il pouvait ainsi, à 12 ans, reconnaître opéras, concertos, symphonies, etc. dès les premières notes. Provocateur précoce, il étudia la grande culture allemande (Beethoven, Wagner, Goethe, Kant…) alors que son pays entra en guerre contre l’Allemagne nazie.
Philip K. Dick vit ses études perturbées par ses problèmes de santé : crises d’asthme et agoraphobie. Il ne finira pas ses études en philosophie à Berkeley, continuant cependant à fréquenter le milieu du campus universitaire. En thérapie, Dick sera diagnostiqué schizophrène semble-t-il à tort, dès ses 15 ans, et se fera prescrire des médicaments, début d’une dépendance qui le poursuivra toute sa vie. Il était particulièrement timide avec la gent féminine ; il évite même un temps leur compagnie, fréquentant un temps le milieu estudiantin homosexuel, plus par besoin de « protection » que par préférence sexuelle. Plus tard, Dick vivra des histoires difficiles avec les femmes ; cinq mariages et autant de séparations, sa dépendance aggravant ses problèmes relationnels.
Au fil des années 1950 et 1960, le talent littéraire de Dick émergea, montrant une écriture mordante, ironique et philosophique ; contournant les clichés du genre pour questionner la Réalité, Dick crée des mondes inquiétants : uchronie, emprise totalitaire des grandes corporations, personnages piégés dans des hallucinations dont ils ne peuvent sortir… Malheureusement, la santé mentale de l’écrivain, fragilisée au fil du temps, s’effondra au cours des années 60-70 : paranoïa grandissante, hallucinations, réclusion, dépressions à répétition et tentatives de suicide. Dans ses dernières années, les phobies se multiplièrent – notamment les foules, les voyages, l’obligation de parler en public… Des phobies que l’on retrouve fréquemment chez les Aspies. L’écrivain donna dans cet état d’esprit une mémorable conférence à Metz, en 1977, devant un parterre d’invités pour le moins perplexes devant ses déclarations et son comportement.
Ce qui mène donc à l’hypothèse posée au début de ce paragraphe. Si rien ne prouve définitivement que Dick ait été un autiste ou un Aspie léger, rien ne vient démentir non plus cette théorie. Quoiqu’il en soit, l’auteur connaissait certainement les travaux sur l’autisme en cours à son époque. En lisant entre les lignes de ses nouvelles et romans (GLISSEMENT DE TEMPS SUR MARS, L’HOMME DORE, LES ANDROÏDES RÊVENT-ILS …?), on peut être tenté de faire des rapprochements entre les « mutants », « Réplicants », « Précogs » et autres, et les personnes atteintes d’autisme à des degrés divers.
Dick décèda quelques semaines avant la sortie du film BLADE RUNNER de Ridley Scott, adapté de sa nouvelle LES ANDROÏDES RÊVENT-ILS DE MOUTONS ELECTRIQUES ? La réputation du film va assurer une nouvelle vie à l’oeuvre de Dick, sous formes d’adaptations cinématographiques de qualité variable. Dans le haut du panier, on trouvera MINORITY REPORT de Spielberg, l’inégal TOTAL RECALL avec Schwarzenegger, SCANNER DARKLY… L’esprit de Dick se retrouve aussi ailleurs, dans toute la production SF contemporaine, de TRUMAN SHOW en passant par MATRIX jusqu’à ETERNAL SUNSHINE OF THE SPOTLESS MIND ou INCEPTION.
– cf. Joel Barish, les Réplicants de BLADE RUNNER ; Steven Spielberg
… Dickens, Charles (1812-1870) :
Au fil des recherches sur les personnes Asperger, on tombe assez souvent sur des informations contradictoires. D’une page Web à une autre, on découvre ainsi que Charles Dickens, l’écrivain anglais le plus populaire du 19ème Siècle, conteur de génie et critique des pires injustices sociales de l’ère victorienne (OLIVER TWIST, DE GRANDES ESPERANCES, UN CHANT DE NOËL…), avait le syndrome d’Asperger… ou bien qu’il ne l’avait pas. Au gré des informations trouvées ça et là, apparaît une personnalité bien plus complexe que sa légende. Dickens était un homme plein d’humour, philanthrope, révolté par toutes les misères du monde, et passionné par son métier d’écrivain, mais il était aussi décrit comme carriériste, obsessionnel, mélancolique, doublé d’un mari tyrannique et cruel. Etrange monsieur Dickens… ce portrait sommaire ne suffit pas à prouver qu’il était Aspie, bien que quelques indices possibles existent.
Dickens eut une enfance modeste, heureuse, celle d’un « garçon auquel on ne prête pas particulièrement attention« . Ceci avant que sa scolarité soit interrompue, à cause des ennuis financiers de son père. Dickens, âgé de 12 ans, verra celui-ci emprisonné parce qu’il ne peut rembourser 40 livres de dettes. Et selon la loi de l’époque, sa femme et ses plus jeunes enfants le rejoignent en prison… Dickens, recueilli chez une amie de la famille, arrête l’école et travaille très dur à coller des pièces de chaussures dans une usine. Expérience éprouvante dont Dickens s’inspirera pour écrire DAVID COPPERFIELD. Après avoir repris et fini ses études, et travaillé comme clerc d’avoué, reporter sténographe et reporter parlementaire, Dickens adulte développa un talent vite remarqué pour l’écriture. Passionné par le théâtre, Dickens manque de peu une carrière d’acteur, mais continuera toute sa vie à fréquenter le milieu théâtral et écrire des pièces.
Dickens et les femmes, c’est une histoire orageuse ou apparaissent des difficultés relationnelles évidentes, compliquées par le poids des conventions strictes de l’époque. Il épousera en 1836 Catherine Hogarth, l’aînée de trois soeurs qui restèrent proches de Dickens toute sa vie. Cela fut un mariage de convenance, où Catherine, douce, aimable, férue de culture, dut subir les exigences sévères de son mari quand à son rôle d’épouse. Un mariage qui, s’il fut heureux dans les premières années, s’écroulera par la suite. Dickens sera bouleversé par le décès de Mary, sa belle-soeur, au point de prolonger son deuil ; les drames d’une fausse couche, de la mort de leur fille Dora aggravent la crise entre les époux. Plus tard, la liaison de Dickens avec Ellen Ternan, 18 ans, poussera le couple au divorce. L’autre soeur de Catherine, Georgina, veillera sur les affaires de Dickens jusqu’à la fin de sa vie. Le visage le moins plaisant, le plus perturbé, de Dickens apparaît dans la triste histoire de son mariage.
Les dernières années de Dickens se teintent de mystère. Il multiplie les tournées de lecture publique à travers l’Angleterre, s’épuisant à la tâche, tout en rédigeant ses derniers chefs-d’oeuvre (HISTOIRE DE DEUX CITES, DE GRANDES ESPERANCES). Une rumeur forcément difficile à vérifier souligne son comportement excentrique : il déployait son parapluie pour se protéger de « pluies d’oursins »… Signe annonciateur de maladie mentale ?
Dickens brûle pratiquement toute sa correspondance en 1860, laissant les spécialistes spéculer sur sa relation continue avec Ellen Ternan. Féru de spiritisme, il rejoint le Ghost Club ; le 9 juin 1865, Dickens et Ternan échappent au dramatique accident de train de Staplehurst, qui lui inspirera son angoissante nouvelle LE SIGNALEUR, histoire de prémonition et de fantôme… Affaibli par ses tournées de lecture, Dickens, épuisé mourra le 9 juin 1870 - cinq ans exactement après l’accident -, laissant inachevé son roman LE MYSTERE D’EDWIN DROOD.
De là à conclure, à partir de ces éléments, que Dickens était un Aspie, il y a beaucoup de pas que l’on hésitera à franchir…
… Dickinson, Emily (1830-1885) :
L’écriture est une activité solitaire, exigeante, et potentiellement aliénante pour une personnalité fragile. L’exemple de la poétesse américaine Emily Dickinson est particulièrement représentatif de cette étrangeté d’attitude. Terriblement introvertie depuis son enfance, elle vécut une grande partie de sa vie en recluse. Le voisinage la considérait comme une excentrique, la surnommant « la Dame Blanche » d’Amherst, sa ville natale du Massachusetts qu’elle quitta rarement. Ses amitiés intenses, exclusives, elle les vivait par la plume, par ses correspondances. Ses poèmes, jamais titrés, ne respectant pas les normes de ponctuation en cours, n’ont pratiquement jamais été publiés de son vivant. Elle les gardait dans une cachette qui fut découverte après sa mort. Il faudra attendre l’année 1955 pour que le talent d’Emily Dickinson soit enfin reconnu comme celui d’une très grande femme de lettres, et une figure majeure de la poésie mondiale.
Tout concorde, dans l’histoire d’Emily Dickinson, pour voir en elle une personne atteinte du syndrome d’Asperger à un degré très élevé. Cette fille d’un homme politique très important du Massachusetts était décrite comme une petite fille très sage, attirée par des passions exclusives : le piano, et surtout la botanique. Les plantes, fleurs et le jardinage n’auront aucun secret pour elle, faisant l’objet de ses premiers poèmes, et sa réputation dans sa communauté. Vivant dans un milieu puritain protestant très strict, Emily Dickinson se rebella discrètement, en n’effectuant pas la déclaration de foi rituelle, et en s’éloignant des offices religieux.
Ses correspondances et amitiés exclusives représentaient un aspect fondamental de sa vie. Elle trouva, à divers âge de son existence, des précepteurs plus âgés qu’elle : son père, puis Leonard Humphrey, Benjamin Franklin Newton… ce dernier déclencha sa passion pour la littérature et l’écriture. Il y eut aussi le pasteur Charles Wadsworth, l’éditeur Samuel Bowles qui publia ses premiers poèmes, corrigés contre son gré, Thomas Wentworth Higginson. La plus exclusive – et la plus violente pour Emily – de ces amitiés est celle qui la lia à sa future belle-soeur Susan Gilbert, qui la soutient professionnellement tout en étant distante à son égard.
La Mort prit une place obsessionnelle dans sa vie et son oeuvre. Emily Dickinson vécut dans une angoisse permanente, causée par la mort d’une amie d’enfance, alors qu’elle avait 14 ans, et cette angoisse entraînera plus tard chez elle de terribles dépressions, comme après la mort de Humphrey. Le comportement de Dickinson changea surtout à partir de 1866, suivant sa période la plus productive. De plus en plus recluse, tout à son jardinage et ses activités domestiques, elle préfèrait parler à ses visiteurs à travers une porte, évitant les invités dans sa demeure, et refusait les voyages. Une fragilité évidente qui s’aggravera dans les dernières années après les décès successifs de proches et d’amis, jusqu’à son propre décès.
Les manuscrits cachés par Emily Dickinson, recueils de ses poèmes méthodiquement révisés et copiés vers 1858, seront un véritable trésor littéraire qui mettra, suite à des dissensions juridiques et familiales, révélé enfin au public en 1955, dans une publication complète respectant son style unique pour la toute première fois.
… Diogène de Sinope (- 413 / – 327 avant J.C.) :
Qui a bien pu être le premier « Aspie » de l’Histoire ? Ou plutôt : le plus ancien jamais répertorié ? Diogène de Sinope, le philosophe qui selon la légende vivait dans un tonneau, rencontra Alexandre le Grand, et se promenait en plein jour une lanterne allumée, serait un candidat idéal… Célèbre pour sa misanthropie, le plus célèbre représentant de l’école cynique influença à des siècles de distance des philosophes tels que Kierkegaard, Nietzsche (qui dans LE GAI SAVOIR déformera l’épisode de la lanterne à sa propre convenance…), Foucault et Onfray.
La légende s’étant emparée depuis des siècles du personnage, les anecdotes et les interprétations rendent impossible l’affirmation d’un éventuel syndrome d’Asperger chez Diogène. Reste qu’il a sérieusement détonné dans la société d’Athènes, de son vivant. Esprit mordant, critique et férocement subversif, il vécut dans la pauvreté totale, allant pieds nus, dormant dans une jarre (et non pas un tonneau), méprisant ouvertement richesses et conventions sociales. Un cynique au sens premier du terme, vivant « comme un chien ». On raconte que Diogène prônait le détachement envers l’amour, la liberté sexuelle totale, qu’il évitait pourtant les rapports sexuels en se masturbant sur la place publique, affirmait l’indifférence à la sépulture, l’égalité entre hommes et femmes, la négation du sacré, la suppression des armes et de la monnaie… autant de sources de scandales aux yeux des Athéniens. L’épisode de la lanterne est quant à lui source d’interprétations très différentes : critiquait-il en pratique les théories de « l’homme idéal » de Platon, plaisantait-il ou le prit-il au pied de la lettre ?
Va-nu-pieds débauché ou figure ascétique héroïque, Diogène présente en tous les cas à sa façon des traits hypothétiques de l’Aspie le plus radical : comportement asocial, exigence morale et logique poussée à l’extrême, raisonnement et idées « détachées » de certaines réalités, misanthropie, esprit observateur aux opinions cinglantes… Ces quelques critères méritent réflexion. Signalons aussi sa postérité médicale très particulière : les médecins ont donné son nom à une maladie de la vieillesse, le «Syndrome de Diogène», un trouble du comportement de la personne âgée menant à des conditions de vie négligées ou insalubres, accumulation d’objets hétéroclites, déni de son état, isolement social, refus de l’aide extérieure, personnalité distante et paranoïaque… Howard Hughes (que nous retrouverons dans cette liste), dans ses années de réclusion, en offre le meilleur exemple.
Diogène n’a pas été oublié par le monde de la fiction. Dans les aventures de Sherlock Holmes, Arthur Conan Doyle donna au club de gentlemen fréquenté par Mycroft Holmes (le frère de Sherlock, l’homme de l’ombre des services secrets de Sa Majesté) le nom de Club Diogène. Hasard, Mycroft et plus encore Sherlock Holmes sont des Aspies fictifs très bien cernés… Plus près de nous, la série télévisée française KAAMELOTT cite Diogène dans l’épisode où le naïf Perceval (que nous retrouverons aussi en détail…), piquant une grosse colère antisociale, se cache dans un tonneau !
– cf. Howard Hughes, Friedrich Nietzsche ; Sherlock Holmes, Perceval (version KAAMELOTT)
… Dylan, Bob
Depuis maintenant plus de cinquante ans, Bob Dylan, a dépassé le simple statut de porte-parole d’une époque en colère pour devenir un artiste total : chanteur, compositeur, poète, écrivain, peintre, et occasionnellement acteur et réalisateur. Ses recherches musicales permanentes, ses changements de registre incessants, sa personnalité exigeante et son refus des étiquettes continuent de surprendre même ceux qui croient le connaître. On ne sera pas trop étonné de voir le nom de l’insaisissable Dylan apparaître dans des listes de personnalités supposées avoir le syndrome d’Asperger. Là encore, la prudence est de mise pour ce qui est une simple hypothèse, mais, au vu du parcours, de l’attitude et de la personnalité de l’intéressé, on peut effectivement se poser des questions.
Descendant d’immigrés juifs ukrainiens et turcs, le jeune Dylan (de son vrai nom Robert Zimmerman) se passionne très tôt pour un domaine exclusif : la musique. Vers 8/9 ans, il apprend le piano, et plus tard la guitare et l’harmonica ; à l’adolescence, il écoute les bluesmen à la radio, la country de Hank Williams, et les rockers. Les quelques informations disponibles sur sa jeunesse rapportent surtout qu’il fréquente les formations musicales, joue et chante dans des fêtes, des concours de jeunes talents. Diplôme de fin d’études en poche, il va à l’Université du Minnesota en 1959 mais s’y ennuie, et cesse de suivre les cours d’art au bout de quelques mois. Il préfère de loin fréquenter le quartier de Dinkytown, le coin des artistes et marginaux de la génération Beat. C’est là que ce gamin aux allures de lutin vagabond, un brin mythomane sur ses origines, s’invente son nom d’artiste et découvre la musique folk. Le jeune homme marginal part ensuite à New York, à la rencontre de son héros Woody Guthrie. Dylan se voit rejeté par les patrons des clubs musicaux qui ne veulent pas de lui ; il faut dire qu’avec sa voix bizarre – rauque, nasillarde, faussement monotone -, et son regard indiscernable, Dylan n’entre vraiment pas dans les cases…
Cette période de vaches maigres est heureusement formatrice, Dylan fréquentant des personnes décisives qui lui font découvrir les richesses de la littérature mondiale, les grands poètes et les mouvements étudiants contestataires. Dylan découvre ainsi qu’il est capable de participer, par l’écrit et le chant, à l’éveil politique des consciences. Tout cela finira par payer avec les succès de ses albums, THE FREEWHEELIN’ et THE TIMES THEY ARA A-CHANGIN’, symboles de la contestation contre l’ordre établi et l’injustice. Mais il y gagne une image médiatique qui l’agace autant que son nouveau statut de star. Le « vagabond » Dylan n’aime ni l’idolâtrie hystérique, ni la complaisance, pas plus que les règles admises du show-business à l’américaine. Il quitte ainsi le ED SULLIVAN SHOW quand on cherche à lui interdire de chanter TALKIN’ JOHN BIRCH SOCIETY.
Un discours calamiteux au banquet de l’ECLC, où on lui remet en 1964 le prix Tom Paine pour son engagement, est assez symptomatique de ce que peut ressentir le jeune homme, mis subitement sous les feux de la rampe. « Je suis tombé dans un piège quand j’ai accepté le prix Tom Paine […]. Dès que je m’y suis pointé, je me suis senti oppressé. […] Ça m’a vraiment pris à la gorge. Je me suis mis à boire. J’ai… vu un groupe de gens qui n’avaient rien à voir avec mon genre d’idées politiques. J’ai regardé le parterre et j’ai eu la trouille. […] On aurait dit qu’ils donnaient de leur argent parce qu’ils culpabilisaient ». Le commentaire de Dylan est à la fois impitoyablement lucide, mais aussi révélateur de ses difficultés sociales, très familières aux personnes Asperger.
Durant la suite de sa carrière, Dylan n’aura de cesse que de refuser les étiquettes qu’on lui impose, tout en continuant ses explorations musicales et littéraires d’une part, et en cherchant à se protéger d’autre part. Ce qui cause souvent l’incompréhension de ses admirateurs des débuts, comme de ses fans. Comme au milieu des années soixante, où il abandonne folk et chansons protestataires acoustiques pour le rock électrique, provoquant critiques et huées en concert (Newport, 1965). Durant toute la suite de sa carrière musicale, Dylan, sans se soucier du qu’en dira-t-on, multipliera les changements de registre incessants. Folk, rock, blues, country, rockabilly, gospel, jazz… il travaille sur toutes les facettes de l’univers musical américain. Iconoclaste, il se convertit au christianisme à la fin des années 1970… pour revenir finalement à ses racines judaïques en 1983 avec l’album INFIDELS. Côté vie privée, c’est souvent tumultueux : Dylan se protége lorsqu’il épouse en secret Sarah Lowndes en 1965 ; mais leur rupture sera la cause d’une dépression sérieuse. Quelques exemples des hauts et les bas d’une vie bien remplie, avant tout dédiée à la musique et à la poésie.
Au cinéma, Bob Dylan est un « personnage » bien réel qui fascine toujours. Si on laisse de côté son seul film mis en scène par ses soins, RENALDO ET CLARA, on s’intéressera à deux documentaires : DON’T LOOK BACK de D.A. Pennebaker (1967) qui montre l’artiste durant sa tournée anglaise controversée de 1965, et celui de Martin Scorsese, NO DIRECTION HOME (2005), qui nous « éclairent » tous deux sur la personnalité de Dylan. Personnalité qui a aussi inspiré le film I’M NOT THERE. (2007) de Todd Haynes. Les différentes facettes de Dylan y sont incarnés par six comédiens différents – dont une prestation mémorable de Cate Blanchett. Enfin, Bob Dylan, en tant que simple acteur, est entré dans la légende du western avec son rôle de lanceur de couteaux mutique, Alias, dans le chef-d’oeuvre de Sam Peckinpah, PAT GARRETT & BILLY THE KID (1973), où sa personnalité « décalée » trouve un rôle à sa mesure.
à suivre…
Ludovic Fauchier.
C’est vraiment passionnant, Ludovic ! Toutes ces personnalités fascinantes et mystérieuses qui réjouissent nos neurones, artistes, savants, héros ou visionnaires, réunies dans une même famille particulièrement sympathique !
Merci « La Belette » ! Et ce n’est pas fini… je suis sur le prochain chapitre, mais tu vas voir, il n’y a pas que des gens sympas dans cette liste… Personne n’est parfait !