G, comme…

… Gandhi, Mohandas Karamchand (1869-1948) :
Les recherches effectuées depuis le début de cet abécédaire sur les personnalités historiques supposées avoir eu le syndrome d’Asperger mènent décidément à des surprises de taille… Le nom du Mahâtma Gandhi, le Père de la Nation Indienne, apparaît ainsi dans quelques publications sur Internet comme un possible Asperger. Mais comme de bien entendu, il ne s’agit que d’hypothèses, les indices biographiques étant très « dispersés » et parfois sujets à controverse. On ne peut que constater, cependant, certaines ressemblances de parcours avec un Saint François d’Assise, autre figure spirituelle pacifique, qui renonça aux bienfaits matériels pour se consacrer exclusivement à la défense des plus miséreux, et qu’on a déjà cité comme éventuel Asperger.
Impossible ici de raconter en détail l’extraordinaire parcours de Mohandas Karamchand Gandhi : fils d’une famille aisée du Gujarat promis à une carrière d’avocat, il prit peu à peu conscience des souffrances de ses compatriotes colonisés par le Royaume-Uni. Après avoir réussi à obtenir la reconnaissance des droits civiques des hindous émigrés en Afrique du Sud, Gandhi revint dans son pays natal pour combattre par la non-violence (« ahimsa »), la désobéissance civique et « l’étreinte de la vérité » (« satyagraha ») les injustices commises par les autorités britanniques sur la population hindoue. Trente ans de lutte, de prières, de marches à travers le pays (dont la célèbre Marche du Sel de 1930), de jeûnes forcés, de critiques permanentes du colonialisme et de la mondialisation économique, d’emprisonnements, et aussi de lutte contre l’intolérance religieuse et les discriminations de caste à l’égard des miséreux, discriminations hélas toujours présentes en Inde de nos jours. L’Indépendance de l’Inde obtenue par Gandhi et ses alliés politiques en 1947 entraînera contre ses souhaits la partition du pays avec le Pakistan, et un climat d’hostilité religieuse permanente entre les communautés. Ses actions de conciliation avec les musulmans entraîneront son assassinat en 1948 par un nationaliste hindou. Entré dans la légende des grandes figures pacifistes, Gandhi inspirera par son action et sa vision du monde des figures telles que Martin Luther King, Nelson Mandela, le Dalaï Lama, Aun San Suu Kyi, pour ne citer que ceux-là…
Ce résumé très sommaire de la vie de Gandhi ne saurait nous éclaircir sur sa personnalité, et il faut fouiller dans les détails biographiques pour déterminer si, oui ou non, le Mahâtma était un Aspie. De sa jeunesse, on sait que Gandhi, enfant très timide et sensible, avait été très influencé par les croyances de sa mère adepte du Jaïnisme (religion hindoue prônant la non-violence envers toutes les formes de vie). Le jeune Gandhi était un élève médiocre – un rapport de lycée évoquait à son égard »une mauvaise écriture », signe souvent constaté du syndrome d’Asperger. Très courtois, le jeune Gandhi se distinguait aussi par un autre handicap qui le gênera durant sa carrière d’avocat : une extrême timidité qui l’empêchait de s’exprimer correctement en public… Timidité qui ne l’empêchera pourtant pas plus tard de prendre la parole devant des milliers d’auditeurs. Quant à une éventuelle maladresse sociale, propre aux Aspies, elle semble difficile à trouver, si ce n’est peut-être dans les années « formatrices » en Angleterre où il fit ses études, et en Afrique du Sud.
Autres signes possibles : une soif de culture et un goût prononcé pour la lecture, qui lui fera aborder aussi bien les écrits de Léon Tolstoï (c’est d’ailleurs en s’inspirant de ce dernier qu’il créa la « Ferme Tolstoï » en Afrique du Sud, précurseur de son Ashram de Sabarmati), la philosophie de l’ascèse de Henry David Thoreau que les grands textes sacrés, avec une préférence pour la Bhagavad Gita. Son végétarisme et végétalisme, provenant de ses croyances jaïnistes, peuvent aussi être vus comme un indice supplémentaire – le refus de la violence envers les animaux. L’exigence de rigueur morale absolue qu’il s’imposait ainsi qu’à ses proches, et qui fut souvent mal reçue par eux, peut aussi aller dans le sens d’un syndrome d’Asperger. Tout comme a pu l’être son sens de l’amitié exclusif, encore qu’il faille être prudent dans ce terrain-là. La parution en 2011 du livre de Joseph Lelyveld GREAT SOUL a révélé la correspondance privée de Gandhi et de son ami l’architecte Hermann Kallenbach, semant la confusion dans les médias et la colère des autorités hindoues.
La vie de Mohandas Karamchand Gandhi a bien sûr inspiré le Cinéma ; une pluie d’Oscars a récompensé le film GANDHI de Richard Attenborough (1982), reconstitution fidèle des grandes heures du Mahâtma, incarné par Ben Kingsley (Oscar du Meilleur Acteur), originaire de la même province du Gujarat. Gandhi est depuis apparu dans deux films hindous très intéressants : WATER (2005) de Deepa Mehta, drame sur la condition des veuves hindoues prisonnières de coutumes ancestrales, et GANDHI MY FATHER (2007) de Feroz Abbas Khan, racontant la relation difficile entre le grand homme et son fils Harilal.
Cf. Saint François d’Assise, Henry David Thoreau

… Gardner, Chauncey (Peter Sellers), dans BEING THERE (BIENVENUE MONSIEUR CHANCE).
Employé de maison d’un vieil homme pendant toute sa vie, le jardinier Chance n’a reçu aucune éducation particulière et ne connaît le monde extérieur que par la télévision… Il n’a pas de nom de famille, pas d’ami ni de compagne, et aucun trait psychologique distinctif, en dehors d’une innocence totale. A la mort du vieil homme, le voilà bientôt obligé de quitter sa maison de Washington, et il est recueilli par Ben et Eve Rand (Melvyn Douglas et Shirley MacLaine), un couple appartenant à la plus haute sphère politique américaine. Rebaptisé « Chauncey Gardner » suite à un quiproquo, ses aphorismes jardiniers vont faire de lui une star des médias et le conseiller personnel du Président… Le principal intéressé observe ce cirque à son égard avec une candeur et un détachement absolus. Et pour cause, il est bel et bien autiste.
BEING THERE, remarquable satire écrite par Jerzy Kosinski (publiée d’abord en France sous le titre « La Présence »), devint en 1979 une comédie subtile et tout aussi réussie signée de Hal Ashby. Le petit monde médiatico-politique américain y est adroitement croqué, dans une variation sur le thème du conte d’Andersen LES HABITS NEUFS DE L’EMPEREUR où tout le monde est ici suspendu aux lèvres d’un petit homme pris pour l’Evangile. Pour le regretté Peter Sellers, ce fut le rôle d’une vie, son avant-dernier avant son décès. L’acteur anglais tenait plus que tout à incarner Chance, affirmant que, de toutes ses créations, il était celui qui lui ressemblait le plus. Déclaration troublante à plus d’un titre puisque Chance, tel un personnage des peintures de Magritte, n’a pas d’existence concrète ; c’est un personnage « en creux », loin de l’exhubérance comique des rôles les plus célèbres de son interprète. Ses traits « autistes Aspies », très mal connus à l’époque du film, étant une source d’humour décalé, de malentendus permanents, cela supposerait donc que Sellers, personnage insaisissable dans la vraie vie, était peut-être bien lui-même atteint du syndrome. Cela fera l’objet d’un autre chapitre.
On a souvent parlé du personnage comme d’un « simplet », un idiot, ce qui est à mon avis un contresens. En fait, toute la farce de BEING THERE repose sur le manque d’éducation de Chance. Sans raison, sans explication, ce brave garçon sans âge ni identité affirmée a été laissé dans l’ignorance du monde. Personne ne s’est occupé de l’aider, de l’éduquer. De ce fait, il est resté dans sa « bulle » d’autiste, comme un enfant qui ne serait jamais sorti de sa chambre… mais dans le monde de faux-semblants des médias et des hautes sphères de Washington, personne ne l’a remarqué. Mis à part l’ancienne domestique qui a travaillé avec lui, tout le monde est dupe ou projette sur lui des idées, des fantasmes, des frustrations qui n’ont rien à voir avec la personne réelle de Chance. Ce décalage permanent est source de quiproquos permanents et savoureux, lorsque le personnage répond « à côté de la plaque » aux avances d’un homosexuel, ou à celles d’Eve Rand.
Pour l’anecdote, on remarquera les « correspondances Aspies » qui émaillent le film, notamment la reprise funky de la célèbre musique d’AINSI PARLAIT ZARATHOUSTRA de Richard Strauss. Musique inspirée par le livre de Friedrich Nietzsche, et qui demeure à jamais associée au film 2001 : L’ODYSSEE DE L’ESPACE de Stanley Kubrick. Lequel fit justement jouer Peter Sellers à deux reprises (dans LOLITA et DOCTEUR FOLAMOUR). Comme par hasard, Strauss, Nietzsche et Kubrick étaient, à des degrés divers, des Aspies supposés… Par ailleurs, Chance le jardinier / Chauncey Gardner a très certainement une discrète influence sur un autre célèbre « Candide » du cinéma américain : Forrest Gump (Tom Hanks), dont nous parlerons plus loin. « Bienheureux les pauvres en esprit… »
Cf. Stanley Kubrick, Friedrich Nietzsche, Peter Sellers, Richard Strauss ; Hrundi V. Bakshi, Forrest Gump

… Gates, Bill :
Un QI de 160. Milliardaire à 31 ans. Fortune personnelle en 2011 : estimée à 56 milliards de dollars. Homme le plus riche du monde de 1996 à 2007, en 2009 et en 2012. Informaticien depuis l’adolescence, entrepreneur et homme d’affaires admiré et décrié, philanthrope. Signe très particulier : diagnostiqué du syndrome d’Asperger, sans le moindre doute possible. Bill Gates, le fondateur de Microsoft, a changé le monde en rendant l’informatique accessible à tous. Une science jadis réservée aux simples « nerds » dispense désormais tous ses bienfaits (et ses inconvénients…) dans les foyers de la Terre, cela grace en partie au redoutable sens des affaires de cet homme qui intrigue et irrite en même temps, représentant sans doute l’un des « Aspies » des plus accomplis. Il suffit de voir n’importe quel documentaire, interview, livre ou article à son sujet pour comprendre que Bill Gates vit dans une autre sphère… et pas uniquement celle de l’économie de marché.
Fils d’un père avocat d’affaires et d’une mère professeur et présidente de la direction de plusieurs entreprises et banques, Bill Gates, on le devine, a su bénéficier des connaissances et du soutien parental. Enfant réfléchi, poussé par l’esprit de compétition, curieux de tout, il a rejoint à l’adolescence l’école préparatoire de Lakeside, étudiant tout particulièrement les mathématiques, les sciences, la littérature anglaise (la passion de la lecture ne l’a jamais quitté) et l’art dramatique. C’est à Lakeside qu’il s’est découvert la passion de l’informatique, y créant son premier programme. Une passion exclusive dont il admit lui-même qu’il lui était impossible de se détacher. Lui et trois autres élèves (dont Paul Allen, futur co-fondateur de Microsoft, et Steve Ballmer) se découvrirent vite un talent commun certain pour exploiter, les étés entre les cours, les failles dans le système des ordinateurs de l’époque, ce qui leur valut quelques ennuis… Difficile pour un jeune « nerd » d’exercer ses nouvelles compétences et d’approcher le sexe opposé ? Pas pour Gates qui écrivit le programme des cours et de la répartition des étudiants en classe sur les ordinateurs de Lakeside… il modifia le programme du code pour être placé à côté des étudiantes !
Après avoir reçu son diplôme et passé le test SAT, avec la note de 1590 sur 1600, Gates arriva à Harvard en 1973, sans objectif particulier. Peu motivé pendant ses études, il bricola surtout les ordinateurs du campus. Décrochant peu à peu de Harvard, où il ne finira jamais ses études, Gates retrouva Paul Allen pour fonder leur propre compagnie informatique de software en 1974. La compagnie Microsoft, enregistrée le 26 novembre 1976, naquit de leurs travaux. Le reste, peut-on dire, est histoire, le sens aiguisé des affaires et l’ambition de Gates fera de lui le plus jeune milliardaire au monde en 1987, un record qui sera dépassé par un certain Mark Zuckerberg, inspiré par son oeuvre et que nous retrouverons en toute fin de cet abécédaire. Gates dit parfois regretter sa notoriété, cet homme notoirement timide n’aimant pas attirer l’attention sur lui.
Malheureusement, ce succès financier incontestable se double chez Gates d’une image… quelque peu ambiguë. La personnalité du créateur de Microsoft y est sans doute pour beaucoup, son Asperger prononcé n’ayant certainement pas joué en sa faveur : cinglant, distant, orgueilleux, semblant peu concerné par les états d’âme de ses subordonnés ou de la concurrence (sa rivalité avec feu Steve Jobs, le créateur d’Apple à la philosophie très différente de la sienne… et sans doute Aspie lui-même, est restée célèbre), Bill Gates a présenté les aspects les moins reluisants du syndrome dans les relations humaines – déjà mises à mal dans le monde impitoyable du business à l’américaine. Les années passées comme exécutif chez Microsoft restent un mauvais souvenir pour les professionnels ayant eu à subir ses remarques et sarcasmes. Manifestation de supériorité intellectuelle égocentrique, ou envie de mettre à l’épreuve ses subordonnés pour défendre leurs propositions ? Sans doute un peu des deux. Cette attitude sera préjudiciable à Gates quand il sera accusé d’enfreindre les lois antitrust du gouvernement américain, et sommé de témoigner en 1998 devant le juge examineur du litige, David Boies : Gates, se sentant menacé, répondit « en Aspie » et reconnut plus tard avoir eu tort de se montrer insolent avec le juge, qui statua en sa défaveur.
Gates s’étant depuis lors retiré de Microsoft (dont il reste quand même président exécutif), il consacre désormais son immense fortune dans l’action philanthropique, cherchant à convaincre le monde des affaires, et spécialement les milliardaires, d’aider les pays pauvres à se développer et à innover dans les domaines de la santé et de la science. Vaste et noble programme, qui n’est pas sans rencontrer méfiances et critiques. Saura-t-il « réparer » le Monde comme un programme d’ordinateur défectueux ?
La culture populaire s’est bien entendue emparée de Bill Gates, une cible rêvée pour les satires et les parodies de tout poil. Sa carrière opposée à celle de Steve Jobs ont fait l’objet d’une « biopic » télévisée réussie, PIRATES OF SILICON VALLEY (1999), où il est interprété par Anthony Michael Hall. Le cinéma s’est montré quant à lui plus timide, se limitant à une apparition marquante dans le film THE SOCIAL NETWORK consacré à Mark Zuckerberg. Plus anecdotique, et plus drôle : Bill Gates fit l’acteur dans les pubs tournées avec Jerry Seinfeld pour Microsoft. L’une d’elles montre Gates et Seinfeld tentant de s’intégrer à une famille américaine normale, sous-entendu ironique sur les difficultés « Aspies » de l’homme le plus riche au monde…
cf. Steve Jobs, Mark Zuckerberg

… Glover, Crispin
S’il existait une catégorie »on connait son visage mais on ne sait jamais comment il s’appelle » aux Oscars, l’acteur Crispin Glover y serait certainement nommé. Méconnu du grand public, cet acteur au visage émacié est une figure familière de films célèbres, faisant l’objet d’un certain culte auprès des connaisseurs. La filmographie de Glover est une joyeuse galerie de personnages marginaux, disjonctés, inquiétants… ou de timides pathologiques dont George McFly, le très poltron paternel du héros de RETOUR VERS LE FUTUR, est le plus célèbre représentant. On trouve aussi notamment dans la filmographie de Crispin Glover : le cafardophile cousin Dell, dans SAILOR ET LULA ; Andy Warhol (lui-même Aspie probable) dans une courte scène marquante des DOORS ; l’inquiétant Sac d’Os, fétichiste des cheveux des CHARLIE’S ANGELS ; WILLARD, un gentil garçon introverti passionné par les rats ; le monstre Grendel dans LA LEGENDE DE BEOWULF, qui nous attend plus bas. Ayant joué avec Johnny Depp dans GILBERT GRAPE et DEAD MAN, il parodie son personnage de Willy Wonka (CHARLIE ET LA CHOCOLATERIE de Tim Burton)… Pas rancunier, Tim Burton l’a engagé pour le casting vocal du film d’animation NUMERO 9, avant d’en faire le Valet de Coeur de son ALICE AU PAYS DES MERVEILLES. Et ce n’est qu’une petite partie de sa carrière, riche en personnages du même genre…
Sur la personnalité du comédien, rien ne laisse supposer qu’il soit un Aspie. Un détail curieux, cependant, surgit dans sa biographie : il a été élève à la Mirman School, une école pour enfants surdoués. « Enfant surdoué », voilà un terme flou mais qui laisse la place à un doute minuscule… Quelques anecdotes sur Crispin Glover contribuent à la réputation excentrique de l’acteur. Glover a gagné aussi celle-ci grâce à une apparition mémorable dans le talk-show de David Letterman en 1987. Effectuant un canular digne d’Andy Kaufman, Crispin Glover arriva sur le plateau déguisé dans son personnage du film RUBIN AND ED. Après une fausse dispute avec une spectatrice, Glover se lança dans un combat de bras de fer et de karaté avec l’animateur qui n’était pas prévenu !
Défenseur acharné de la contreculture, Glover est aussi auteur de livres d’art, musicien et réalisateur. Son premier film, WHAT IS IT ? est un film surréaliste avec des acteurs ayant le syndrome de Down (la trisomie 21) ; son second, IT IS FINE ! EVERYTHING IS FINE est écrit par un acteur-écrivain, Steven C. Stewart, atteint de paralysie cérébrale. Glover prépare un troisième film pour clore sa trilogie « IT? ».
Etrange personnage, donc, qui prend un grand plaisir à cultiver son originalité et un sérieux grain de folie dans le monde redoutable du show-business à l’américaine. Crispin Glover mérite bien d’être cité dans ce chapitre, pour recevoir un « Asperger d’Honneur » !
– cf. Grendel, George McFly, Willy Wonka ; Tim Burton, Andy Kaufman, Andy Warhol

… Gore, Al :
Ancien journaliste, député à la Chambre des Représentants de Washington, sénateur, vice-président des USA sous les deux investitures de Bill Clinton, candidat vainqueur au vote populaire mais pourtant battu à l’élection présidentielle américaine de 2000 (dans des conditions franchement douteuses), homme d’affaires fervent défenseur de la cause environnementaliste, et Prix Nobel de la Paix en 2007, Al Gore voit de temps en temps son nom apparaître dans des listes de personnalités supposées avoir le syndrome d’Asperger. A mon humble avis, le principal intéressé n’a jamais été diagnostiqué comme tel, et, s’il était avéré qu’il l’ait eu, il s’en est remarquablement accommodé. Gore, un « Aspie » léger ? Après tout, ça n’est pas impossible, vu que de prestigieux prédécesseurs de l’Histoire politique ont su faire preuve de certaines excentricités… Mais la prudence s’impose, une fois de plus.
Fils d’un sénateur du Tennessee, destiné à être un futur membre de l’Ivy League (les prestigieuses universités américaines d’où sortent les futurs présidents et leaders du pays), Gore suivit l’enseignement de rigueur sans difficultés particulières. Ce jeune homme passionné de lecture, de mathématiques et de sciences entre à Harvard, mais se montre pourtant mauvais élève. Il sèche les maths, s’ennuie en sciences et « glande » durant ses premières années ! Il se reprend cependant dans ses dernières années d’étude et finira parmi les meilleurs élèves de sa classe (parmi lesquels on trouve l’acteur Tommy Lee Jones). Une rencontre décisive a lieu durant ses études : Gore suit les cours de l’océanographe Roger Revelle, théoricien du réchauffement climatique, qui déclenchera son intérêt total pour les questions d’environnement. Gore se distingue aussi par une attitude peu conventionnelle, à l’époque des violentes émeutes estudiantines qui gagnent son pays : bien qu’opposé à la Guerre du Viêtnam, il est en désaccord avec les mouvement protestataires dominants. Il ne se prive pas de les juger stupides et infantiles, et s’attire les reproches de ses camarades quand il décide de s’engager au Viêtnam, pour juger par lui-même.
Journaliste militaire durant son service, Gore rentrera découragé aux USA. Il cherche sa place pendant quelques années où il se tourne vers le journalisme d’investigation et étudie la loi à l’Université Vanderbilt. Après avoir révélé les pratiques frauduleuses de deux membres du Conseil Municipal de Nashville, il décide, sur un coup de tête, de se lancer en politique, à 28 ans. Et, en peu de temps, il deviendra un jeune membre Démocrate de la Chambre des Représentants, puis du Sénat. Féru de technologie, Gore se prend de passion pour l’informatique, la technologie, les réseaux de communication… Durant les années 1980, il préside ainsi plusieurs comités sur la science, la technologie, les affaires de sécurité, tout en continuant de se passionner pour les problèmes environnementaux. Incollable et intarrissable sur ces sujets, Gore sera alors l’un des « Atari Democrats », véritable « nerd » expliquant à ses aînés dépassés les mystères et les fabuleuses possibilités de la communication informatique… Durant ses vice-présidences sous Clinton, il encouragera la diffusion et l’utilisation domestique d’Internet, comme nouveau vecteur d’éducation et d’information à destination du public, entre autres actions. C’est lui qui inventa le célèbre terme d’«autoroutes de l’information», faisant de lui une figure décisive de la révolution informatique.
S’éloignant de la sphère politique peu à peu après sa défaite de 2000, Gore continue un long combat entamé depuis 1976 en faveur de l’environnement. Toujours intarissable sur cette cause qui lui tient à coeur depuis sa jeunesse, Gore a exposé ses vues dans le documentaire oscarisé UNE VERITE QUI DERANGE en 2006… quitte à s’attirer des critiques quand au ton du film, jugé véhiculant une propagande catastrophiste. Mais Gore tient ferme et, redoutable débatteur, a su défendre son point de vue, au nom de la vérité.
Exigence de vérité, comportement « décalé » avec son milieu social, connaissances extrêmement précises dans les sujets qui le passionnent… voilà brièvement exposés les quelques possibles aspects Asperger de la personnalité d’Al Gore. A chacun de juger si cela suffit à le « classer » comme tel, ou si ce sont de simples coïncidences.

… Gould, Glenn (1932-1982) :
Glenn Gould, ou l’un des plus célèbres cas de syndrome d’Asperger, sur lequel le doute n’est guère permis tant tout concorde dans le comportement de l’histoire de cet pianiste canadien de génie. Il a su »composer » avec toutes les immenses difficultés d’un syndrome d’Asperger de très haut niveau, tel que l’a diagnostiqué le psychiatre américain Peter Ostwald dans l’étude qu’il lui a consacrée.
L’éducation musicale de Glenn Gould s’est faite très tôt, par l’intermédiaire de sa mère, Florence Emma (« Flo »), une descendante lointaine du grand compositeur norvégien Edvard Grieg. Flo Gould, à vrai dire, exposa son fils à la musique avant même sa naissance, ayant prévu qu’il serait un grand musicien. Et, alors qu’il n’est qu’un bébé, Gould était déjà un enfant singulier ; il agitait les doigts comme s’il tenait un instrument à cordes, et, au lieu de pleurer, fredonnait… La mère de Gould avait vu juste, ou l’avait-elle habilement préparé ? A 3 ans, le petit Glenn Gould avait l’oreille absolue, à l’instar d’un Wolfgang Amadeus Mozart. Baignant constamment dans cette éducation musicale, le jeune Gould suivit les leçons maternelles et devint un enfant remarquablement doué pour le piano, avant d’apprendre la musique auprès des professionnels du Conservatoire Royal de Musique de Toronto. Une grave blessure au dos le gênera pour jouer ; son père bricola une chaise percée spéciale qui deviendra son fétiche dont il ne se séparera jamais, même quand elle tombait en morceaux ; les leçons de ses professeurs le feront adopter une posture particulière, « collée » au clavier ; la blessure et le syndrome que tout le monde ignore alors lui donneront cette allure raide si spéciale, qui paraîtrait compassée et empruntée si le jeune pianiste ne se montrait pas d’une dextérité et d’une précision prodigieuses. Sa prodigieuse mémoire lui permit de retenir très vite les compositions les plus difficiles à interpréter, et, à l’âge de 13 ans, le jeune homme décrocha les plus hauts diplômes du Conservatoire, pouvant entamer une carrière professionnelle de pianiste virtuose. Avec une prédilection particulière pour les compositions mathématiques de Jean-Sébastien Bach. Le succès de son interprétation des « Variations Goldberg » en 1955 est entré dans la légende et continue d’être réédité et écouté, plus de 50 ans après sa parution.
La célébrité précoce de Glenn Gould doit aussi certainement beaucoup à ce que l’on nommait alors, faute de mieux, ses « excentricités » qui furent autant de comportements typiques du syndrome d’Asperger. Gould était un expert dans tout ce qui avait trait à la musique, mais en contrepartie, ses aptitudes sociales étaient déconcertantes. Il détestait les concerts en public, au point de parfois refuser de monter sur scène au tout dernier moment. Il fredonnait tout en jouant, faisant s’arracher les cheveux des preneurs de son. Ses grands concerts avec Leonard Bernstein furent particulièrement délicats à gérer pour le célèbre chef d’orchestre. Gould arrêta d’ailleurs très tôt, à 32 ans, les concerts en public, préférant la pureté technique et le calme des enregistrements en studio. Le syndrome affecta aussi, comme on s’en doute, sa vie privée. Introverti, d’une discrétion totale, Gould évitait de se montrer ; la seule histoire d’amour qu’on lui connaît, avec l’enseignante en art Cornelia Foss, se finit mal en raison des crises d’angoisse et d’une certaine paranoïa de Gould. Il préférait, en bon Aspie, une certaine solitude et la compagnie des animaux à celle de ses congénères.
Glenn Gould avait en horreur le contact physique, marque d’une hypersensibilité handicapante quand, par exemple, un technicien du son lui envoya un jour une claque amicale dans le dos avant un enregistrement… Gould en ressentit une telle gêne que la journée d’enregistrement fut gâchée par ce seul geste. Quand il sortait, il portait des couches de vêtements, un béret et une paire de gants, quel que soit le temps au-dehors. Des policiers, croyant voir un vagabond, l’arrêtèrent un jour en le voyant attifé de la sorte dans un parc… en Floride ! Et ce ne sont là que quelques exemples parmi une liste interminable des « bizarreries » de l’artiste.
Mais limiter Glenn Gould à son handicap est très réducteur. Il fut avant tout un artiste exceptionnel, et un expert exigeant, doté d’une faculté d’analyse unique pour tout ce qui avait trait à la musique. Il ne se limita pas d’ailleurs à son héros Bach, mais produit aussi nombre d’enregistrements et d’études critiques sur les plus grands : Brahms, Sibelius, Bizet, Mozart, Beethoven, Richard Strauss (tiens, ces trois derniers entrent dans notre liste…), etc. tout en se montrant souvent cinglant dans ses jugements. Fasciné par la radio, il réalisa plusieurs documentaires pointus pour la radio canadienne. Parmi ses plus notables productions, la bien nommée SOLITUDE TRILOGY, oeuvre de musique concrète et méditation sur les différentes communautés canadiennes.
Etrangement, le Cinéma ne s’est pas encore « emparé » de la vie du pianiste prodige. Ou, sinon par des voies indirectes… Mis à part un très beau film de François Girard sorti en 1993 (32 SHORT FILMS ABOUT GLENN GOULD où il est interprété par Colm Feore) et des documentaires, peu de choses… à part le son très identifiable des « Variations Goldberg » interprétées par ses soins, devenues de film en film le leitmotiv du bon docteur Hannibal Lecter !

… Graham, Jim (Christian Bale) dans EMPIRE DU SOLEIL
« Difficile. Garçon difficile. » C’est ainsi que le sergent Nagata, impitoyable chef japonais d’un camp de prisonniers de guerre en Chine occupée durant la 2ème Guerre Mondiale, qualifie le jeune britannique Jim Graham. Le soldat n’a pas tort… Séparé de ses parents lorsque les Japonais ont pris d’assaut les quartiers coloniaux de Shanghai à la fin de l’année 1941, Jim a survécu au jour le jour en déployant des trésors d’ingéniosité, et en prenant des risques fous. Ce jeune garçon vit l’enfer dans le camp sous la menace constante des gardes japonais, et se retrouve ballotté entre plusieurs parents de substitution qui peinent à comprendre son comportement. Hyperactif, intelligent, sensible, Jim connaît aussi des coups de folie liés à sa passion démesurée pour l’aviation. Quand la 2ème Guerre Mondiale touche à sa fin, les affrontements aériens entre les Zéros japonais et l’US Air Force sont pour lui un spectacle inoubliable. Mais les horreurs auxquelles il assistera l’affecteront irrémédiablement…
Adapté du roman, semi-autobiographique, semi-fictif, de James G. Ballard, EMPIRE DU SOLEIL est un film particulier dans la filmographie de Steven Spielberg. Le « Wonder Boy », entrant dans la quarantaine, casse l’étiquette de « magicien de l’écran » à succès dont on l’a affublé, en dévoilant sans fards son intérêt pour la grande Histoire. EMPIRE DU SOLEIL marque de ce fait l’évolution de son cinéma vers des films plus sombres, plus durs, comme le seront LA LISTE DE SCHINDLER et LE SOLDAT RYAN. EMPIRE DU SOLEIL, assez mal reçu à l’époque, est réévalué avec le Temps comme un de ses meilleurs films. Il révèle le talent d’un tout jeune comédien, Christian Bale, qui connaît depuis une carrière des plus fructueuses. Avec Spielberg, Bale façonne un personnage étrange : ni mignon, ni sujet à la moquerie, Jim Graham est un enfant confronté à des situations terribles, dont il se sort par une astuce et une vision du monde absolument déroutantes pour son entourage. Il ne fait pas de doute, en revoyant le film avec le décalage des années, que le jeune britannique a une forme particulière du syndrome d’Asperger.
Choyé par ses parents, respectables notables de la colonie britannique, Jim est déjà en décalage avec les conventions de son milieu. S’il chante à la chorale locale, par exemple, avec ses petits camarades, il s’y ennuie profondément. Il a des idées étranges et des rêves sur Dieu qu’il partage avec sa mère. Et surtout, il a une passion exclusive typique d’un petit Aspie : l’aviation militaire, un sujet sur lequel il est incollable et se montre d’une étonnante acuité (il peut ainsi reconnaître un avion en vol grâce au bruit de son moteur !)… Et, comme nombre d’Aspies, ces particularités étonnantes s’accompagnent d’une faille évidente : une totale inconscience du danger environnant, alors que la 2ème Guerre Mondiale frappe aux portes. Voir à ce titre la scène exemplaire où il joue au pilote dans une carcasse de Zéro, avant de réaliser qu’il se trouve juste à côté de soldats japonais armés.
Cette inconscience le mènera par la suite à être manipulé par un étrange ami, Basie (John Malkovich), un combinard cynique qui le fait participer à ses petits trafics, tout en abusant de sa confiance. La scène de la « chasse aux faisans » dans le camp en est l’exemple extrême : Basie, voulant trouver un chemin pour s’enfuir du camp, fait poser des collets à Jim dans les marécages voisins du camp… tout en lui cachant l’existence des mines. Jim joue ainsi sa vie, en faisant l’éclaireur pour son ami. Quand l’objet de sa passion lui apparaît, Jim bascule dans un autre monde, oubliant le danger environnant : il doit toucher un avion en construction et saluer respectueusement ses pilotes interloqués, tout comme il doit assister aux premières loges au ballet des avions de combat, oubliant qu’il peut être tué d’une balle perdue. Ces subits « délires », qui s’expliquent bien par le syndrome d’Asperger, semblent étrangement protéger Jim des horreurs qu’il voit. Tout comme ils justifient ses manies et comportements qui agacent tant les adultes : parler sans arrêt de son manuel du jeu de bridge, tenir des statistiques sur le nombre de charançons mangés chaque jour, ou se croire capable de ranimer les morts de l’hôpital…
Etrange enfant, vraiment, qui développe d’instinct un don d’adaptation aux circonstances, au prix de terribles erreurs et de grandes souffrances intimes. La perte d’un état d’innocence menant à une prise de conscience terrible sur ce que les hommes peuvent s’infliger en temps de guerre. Même le trompeur « happy end », le rendant à ses parents, laisse supposer que le jeune homme qu’il est devenu restera profondément perturbé toute sa vie. Jim Graham a laissé des traces notables, et il n’est pas interdit de penser qu’il a inspiré un autre enfant Aspie fictif : Oskar Schell, le jeune héros d’EXTRÊMEMENT FORT ET INCROYABLEMENT PRES, lui aussi bouleversé par une autre tragédie historique et intime.
Cf. Steven Spielberg ; Oskar Schell

… Grandin, Temple :
Très peu connu du grand public de l’Hexagone, le nom de Temple Grandin est peut-être familier aux spectateurs de la chaîne Arte. Il y a presque un an de cela, la chaîne culturelle a diffusé un téléfilm réalisé en 2010, et interprété par Claire Danes. Téléfilm sobrement intitulé TEMPLE GRANDIN, qui a capté l’attention de votre serviteur pour les raisons que vous devinez.
Experte mondialement reconnue en zootechnie, professeur en sciences animales lauréate de plusieurs diplômes, Temple Grandin est atteinte d’autisme depuis sa naissance en 1947. Son travail l’a amené à révolutionner les techniques d’abattage industriel des animaux, à défendre la cause animale tout en comprenant progressivement sa propre condition. Et, de ce fait, elle a publié des autobiographies et des ouvrages éclairants sur l’autisme et le syndrome d’Asperger. Trois d’entre eux ont été traduits en français : MA VIE D’AUTISTE, PENSER EN IMAGES et L’INTERPRETE DES ANIMAUX.
Pour en arriver là, Temple Grandin a dû se battre avec le lot quotidien des jeunes enfants autistes et Aspies. Le retard du langage (qu’elle acquiert à quatre ans), les colères violentes et subites dès qu’on la touche, la surcharge sensorielle qui la perturbe et la coupe des relations aux autres, le regard et les moqueries de ses camarades au collège et au lycée, les routines et les phobies… Tout y est. Heureusement pour elle, Temple Grandin a eu la chance d’avoir un entourage l’ayant toujours supporté, qu’il s’agisse de sa mère, ou de ses professeurs. Diplômée en sciences animales, sensible à la compagnie des animaux, elle va mettre en pratique ses compétences en zootechnie et et veiller au bien-être des animaux dans les usines d’abattage américaines. Ce qu’elle voit l’horrifie au plus haut degré. Des méthodes d’une brutalité absolue… Une « abomination » comme elle le dit elle-même. Elle va patiemment élaborer une méthode scientifique rigoureuse pour diminuer le stress et la souffrance des animaux. Et elle va réussir à l’imposer aux éleveurs américains. Pas un mince exploit que de s’imposer dans un milieu machiste, où on devait la regarder comme une folle ou une idiote !
Temple Grandin, à partir de son expérience, va devenir peu à peu une figure de la lutte pour le bien-être des animaux. Récompensée par les associations écologistes telles que PETA, elle n’est pas une « écolo » caricaturale pour autant ; ne cherchant pas à fermer les usines et empêcher la consommation de viande animale, elle préfére lutter en faveur d’un traitement éthique des conditions d’abattage. Son autisme l’a aidé à cette prise de conscience : littéralement capable de ressentir ce que ressent l’animal, elle compare ainsi l’angoisse sensorielle de l’animal au moment de son abattage à ses propres peurs. C’est d’ailleurs pour cela que, dans sa jeunesse, elle inventa une « machine à câlins », un appareil de contention utilisé pour calmer les enfants autistes et hypersensibles dans des situations anxiogènes.
Cette prise de conscience de la souffrance animale est allé de pair avec sa propre découverte de son autisme. Sur l’insistance de Ruth C. Sullivan, fondatrice de l’ASA (Autism Society of America), elle acceptera, au milieu des années 1980, de parler d’elle en public à des familles d’enfants autistes, devenant au fil du temps une conférencière appréciée. Elle doit sa notoriété tardive au livre AN ANTHROPOLOGIST ON MARS d’Oliver Sacks, et est depuis devenue une figure majeure des mouvements pour les droits de la personne autiste. Jusqu’à défendre, jusqu’à la controverse, la neurodiversité, notion défendant l’idée que l’autisme n’est pas un trouble en soi, et que les gens « neurobiologiquement différents » doivent être respectés de la même façon que les femmes, les homosexuels, les gens de religion et de couleur de peau différente, etc.
Vous ai-je précisé que Temple Grandin est en train de devenir mon héroïne personnelle ?
Cf. Oliver Sacks

… Grendel (Crispin Glover) dans LA LEGENDE DE BEOWULF
Les convives du Roi Hrothgar (Anthony Hopkins) n’auraient jamais dû chanter aussi fort… Un monstre hideux surgit en pleine nuit, pour les massacrer par dizaines, les démembrer et les dévorer. Voici Grendel, fils des amours illégitimes de Hrothgar et d’une démone très sexy (Angelina Jolie), qui vient ainsi se présenter à son père horrifié. Le film de Robert Zemeckis, adapté d’un très ancien poème anglo-saxon à la date incertaine (entre le 7ème et le 10ème Siècle), démarre ainsi sur les chapeaux de roue en nous présentant une créature de cauchemar, un géant difforme poussé par une rage meurtrière. A priori donc, la vision de Grendel par le cinéaste de FORREST GUMP et RETOUR VERS LE FUTUR n’a rien à voir avec un syndrome d’Asperger. Et pourtant…
Interprété par Crispin Glover, Grendel est caractérisé d’une telle façon qu’il sort des clichés habituels des monstres d’heroic fantasy. Il est le premier du genre à présenter deux caractéristiques du syndrome d’Asperger. Tout d’abord une façon de parler très spéciale. Les scénaristes du film ont eu l’idée astucieuse de le faire s’exprimer en « vieil anglois », respectant le langage d’origine du poème, là où les protagonistes humains s’expriment en un anglais moderne impeccable. Ce décalage langagier donne des scènes inattendues où l’apparente brute épaisse parle un anglais châtié, élaboré, pré-«shakespearien». Grendel a donc beau tuer tout ce qui passe à sa portée, il n’en reste pas moins un être intelligent, à l’étrange élocution pas si différente finalement d’un Aspie… et, pour aller plus loin dans ce sens, le monstre est doté d’une sensibilité très particulière.
C’est son autre particularité : son hypersensibilité au moindre bruit. Zemeckis et ses scénaristes s’inspirent du texte d’origine pour élaborer une idée originale. Il y était en effet écrit que Grendel ne supportait pas le moindre bruit provenant du château de Hrothgar, et venait donc, à sa façon, demander à ses voisins de cesser le vacarme. Le cinéaste et ses coscénaristes ont donc poussé l’idée à l’extrême : le pauvre Grendel est né avec les tympans à vif… les bruits de fête et de chants des convives sont donc pour lui un supplice de tous les instants. Une situation familière à toutes les personnes Aspies souffrant d’hypersensibilité sensorielle. Une chance pour les autres que les vrais Aspies ne réagissent pas aux agressions auditives comme Grendel !
Notons pour finir que ce monstre finalement bien pathétique provoque finalement une relative sympathie, malgré sa violence… Rejeté par son père, le voilà forcé de vivre en retrait, en reclus au fond d’une grotte, entretenant une relation fusionnelle avec sa maman, véritable cauchemar freudien incarné par Miss Jolie, qui est bien la seule à le traiter avec tendresse. C’est dans ses bras que le pauvre Grendel, mutilé par ce bellâtre vaniteux de Beowulf (Ray Winstone), et réduit à la taille d’un tout petit bambin, s’en ira rendre son dernier soupir en position foetale toute symbolique.
- cf. Crispin Glover ; “Doc” Emmett Brown, George McFly, Forrest Gump

… Gump, Forrest (Tom Hanks) dans le film homonyme
« Madame Gump, votre fils est… différent. » Le proviseur, à qui Madame Gump (Sally Field) présente son petit garçon, prend un air plein de condescendance quand il lui présente un tableau d’évaluation d’intelligence. La scène a dû certainement toucher une corde sensible chez tous les parents d’enfants « différents ». Crétin de proviseur, comme il a tort ! Heureusement, Forrest Gump peut compter sur le dévouement d’une mère solitaire qui ne recule devant rien pour lui permettre de suivre une scolarité normale, quitte à utiliser un moyen peu orthodoxe… Voilà en tout cas le garçonnet lancé sur les premiers rails d’un grand voyage. C’est le début du film FORREST GUMP, qui a définitivement fait de Tom Hanks une star dans la grande tradition des acteurs d’antan, ceux de la génération de James Stewart ou Gary Cooper à leurs débuts. Un triomphe en 1994 pour Hanks, qui obtient son second Oscar en moins d’un an, et pour le cinéaste Robert Zemeckis, décidément très présent dans ces pages.
Grâce à eux, le personnage de Forrest Gump est entré dans la culture populaire… même si celle-ci a retenu à tort le côté apparemment « simplet » du personnage sans vraiment le comprendre. Durant tout le film, durant trente ans d’Histoire de l’Amérique, Forrest se fait traiter d’idiot, de simple d’esprit, subit moqueries et incompréhension générale… alors qu’en fin de compte, n’hésitons pas à le dire, Forrest est de toute évidence un Aspie qui s’ignore. Un de plus dans la filmographie riche en personnages « farfelus » de Robert Zemeckis, ce qui laisserait à penser, que… qui sait, peut-être ? L’affection du cinéaste pour ce type de personnage révèlerait bien quelque chose de sa propre personnalité.
Quoi qu’il en soit, l’histoire de la vie de Forrest, ce jeune homme un peu « spécial », est émaillée d’aventures, de rencontres marquantes, d’incidents cocasses ou de drames qui vont peu à peu l’aider à prendre conscience de ce qu’il est. Ostracisé pour sa « lenteur d’esprit » symbolisée par ses atelles fixées à ses jambes, Forrest Gump ne cesse d’être encouragé par sa mère à être fier de sa différence. C’est cette même différence qui va jalonner et façonner les grandes étapes de sa vie.
Comme il se doit, Forrest est d’une maladresse sociale évidente : qu’il soit en train de raconter l’histoire de sa vie sur un banc à des passants aux réactions diverses, ou d’accumuler les gaffes devant trois présidents américains successifs, Forrest montre toujours qu’il est dans sa bulle en toute circonstance. Sa légendaire naïveté provient du fait qu’en bon Aspie, il interprète littéralement tout ce qu’on lui dit. Une source de gags permanente tout au long du film – depuis l’incident des boissons gazeuses avec Kennedy, jusqu’à son rôle méconnu dans l’affaire du Watergate… en passant par son interprétation littérale, au Viêtnam, du surnom « Charlie » (surnom donné à l’ennemi Viêt Minh par les américains). Quand aux centres d’intérêt très poussés, identifiables du syndrome d’Asperger, ceux de Forrest Gump sont très particuliers : la course à pied, le ping-pong, la pêche à la crevette… Des activités dérisoires mais qui vont quand même l’enrichir, à tout point de vue. Sa passion et son mode d’expression préféré étant avant la course à pied, il s’y investit totalement au point de traverser de long en large son pays pendant des années… et de devenir, dans une scène hilarante, une figure inspiratrice, un Messie malgré lui !
Mais l’enrichissement de Forrest est avant tout personnel, et spirituel, derrière l’humour. D’une loyauté inaltérable pour ses quelques amis, Forrest assistera à la mort de Bubba (Mykelti Williamson) au Viêtnam, et à la déchéance du Lieutenant Dan (Gary Sinise). Loin de se vexer des insultes amères de ce dernier rentré mutilé au pays, Forrest l’accompagnera et l’aidera à remonter la pente. Et surtout, le « simplet » Forrest sera grandi par l’amour qu’il porte sans réserves à Jenny Curran (Robin Wright), une jeune femme malmenée par la Vie. Au bout de son voyage, Forrest se découvrira être le père d’un petit garçon (Haley Joel Osment) et acquéreur d’une immense sagesse. Moderne Candide, descendant de Chance (BEING THERE / BIENVENUE MR. CHANCE), Forrest réalisera avoir su cultiver son propre jardin, et devenir, sans avoir à suivre les leçons maternelles, un être humain accompli.

Impossible de ne pas citer, en parlant du syndrome d’Asperger et de FORREST GUMP, le meilleur ami de celui-ci, Benjamin Buford «Bubba» Blue. Véritable «jumeau» en esprit et en cœur de notre héros, Bubba est un Aspie évident, expert incollable sur un seul sujet : les recettes de cuisine des crevettes ! Bubba meurt malheureusement au Viêtnam, mais Forrest respectera leur promesse de devenir capitaine de crevettier. Serment a priori ridicule, mais qui rendra Forrest riche à millions – avec l’aide de Dan… et d’un investissement judicieux dans une « coopérative fruitière », oeuvre d’un possible Aspie célèbre : Apple, la création de Steve Jobs !
Les Aspies parlent aux Aspies, décidément…
Cf. “Doc” Emmett Brown, Chauncey Gardner, Grendel, George McFly
Ludovic Fauchier.