H, comme…

…. HAL 9000 (voix de Douglas Rain), dans 2001 : L’ODYSSEE DE L’ESPACE
Astronautes prenez garde à vous, un oeil rouge vous regarde…
Suite à une étrange découverte faite 18 mois auparavant sur la surface de la Lune, le vaisseau spatial Discovery voyage vers l’orbite de Jupiter. Trois membres d’équipage, les scientifiques de la mission, ont été placés en sommeil artificiel. Les astronautes David Bowman (Keir Dullea) et Frank Poole (Gary Lockwood), chargés de la maintenance du vaisseau, exécutent des taches de pure routine. Le vrai maître du vaisseau, c’est le superordinateur de bord, HAL 9000. Programmé pour avoir une vraie personnalité, HAL sait parler et interagir avec les astronautes, et a une intelligence exceptionnelle. Malheureusement, une faille va se produire qui va compromettre gravement la sécurité des astronautes…
2001 : L’ODYSSEE DE L’ESPACE, fruit des efforts du cinéaste Stanley Kubrick et de l’écrivain Arthur C. Clarke pour écrire et réaliser le fim de science-fiction définitif, demeure depuis sa sortie en 1968 la pierre angulaire du genre. Faisant sortir celui-ci des clichés enfantins du « space opéra », des robots en ferraille et de l’invasion extra-terrestre, pour spéculer sur la place de l’Homme dans l’Univers, le film de Kubrick a ainsi créé un personnage robotique sortant des sentiers battus. Même des robots mémorables comme ceux de METROPOLIS ou PLANETE INTERDITE restaient cantonnés à leur rôle d’auxiliaires rattachés à leurs maîtres humains. HAL 9000 est un personnage d’une toute autre dimension. Dans le sujet qui nous concerne, on peut se demander si les troubles de HAL ne sont pas d’une autre nature que la seule paranoïa.
HAL serait le premier ordinateur-robot du Cinéma à être atteint de troubles autistiques. Ce qui ne serait guère étonnant, lorsque l’on étudie les biographies d’Arthur C. Clarke et surtout celle de Stanley Kubrick, que nous retrouverons plus tard dans cet abécédaire. Il faut également remarquer que HAL correspond tout à fait aux critères posés par le test d’intelligence artificielle imaginé par Alan Turing en 1950. Turing était lui-même sans doute un Aspie… On est frappé en effet par les ressemblances entre les attitudes de HAL dans le film et certains traits caractéristiques des Aspies. Sa voix, notamment, est frappante : neutre, posée, toute en circonlocutions élaborées. Kubrick, homme extrêmement méticuleux et rigoureux, donna des instructions très pointues à l’acteur Douglas Rain pour donner la bonne voix à HAL.
Les autres traits caractéristiques de HAL similaires à l’Asperger sont une capacité poussée de jugement esthétique (sur les dessins effectués par Bowman), une intelligence et une mémoire exceptionnelles… et un manque d’empathie certain. Son intelligence en fait un brillant joueur d’échecs, discipline pratiquée par Stanley Kubrick ; méticuleux dans ses recherches, il reproduit ici une partie historique opposant Roesch à Schlage en 1910… HAL est doté d’une mémoire photographique fatale aux astronautes qui croient tenir une conversation à son insu : HAL peut lire sur leurs lèvres et apprendre qu’ils comptent le débrancher. Tirant un orgueil énorme de ses capacités (« je compte m’employer au maximum de mes capacités, ce qui est, je pense, le but de toute entité organisée »), HAL, déjà sur la défensive après une discussion philosophique soupçonneuse de la part de Bowman (« tu fais un rapport psychologique sur l’équipage ? »), sombre ainsi dans la paranoïa meurtrière. Là, nous nous éloignons certes de l’autisme et du syndrome d’Asperger, qui excluent le mensonge et la violence, mais il en reste pourtant quelque chose… HAL s’est-il trompé en diagnostiquant une panne imaginaire ? Ou a-t-il trouvé là la seule échappatoire à la question inquisitrice, finalement assez violente, de Bowman, en « inventant » cette panne à point nommé pour clore une discussion gênante ? Enfin, sa discussion finale avec Bowman coincé dans la capsule deviendra un dialogue de sourds, révélant un enfermement psychologique « autistique » de l’ordinateur.
L’histoire de HAL ne s’arrête pas là ; Arthur C. Clarke, dans ses romans ultérieurs, le fait ainsi réapparaître. Réactivé et amnésique dans 2010 (adapté au cinéma par Peter Hyams), HAL se verra « exonéré » de ses crimes, causés par une contradiction de programmation de ses directives ; puis, dans 2061 et 3001, transformé à son tour par les mystérieux Monolithes Noirs, il fusionne avec Bowman, devenant « Halman », une entité d’un genre nouveau, bouclant ainsi la boucle avec le film de Kubrick qui les « unissait » à l’image. L’héritage de HAL sur le cinéma de science-fiction est immense : il a plongé le genre dans l’ère de l’intelligence artificielle, riche désormais d’ordinateurs et de robots humains qui lui doivent tous quelque chose dans ses doutes et ses failles. Mentions particulières aux androïdes de la saga ALIEN et sa « préquelle » PROMETHEUS, les Réplicants de BLADE RUNNER (eux aussi amateurs de jeux d’échecs), le Terminator et son oeil rouge, ou le plus sympathique David d’A.I. INTELLIGENCE ARTIFICIELLE dont nous avons déjà parlé.
Cf. Stanley Kubrick, Alan Turing ; David (A.I. INTELLIGENCE ARTIFICIELLE), David (PROMETHEUS), les Réplicants de BLADE RUNNER et autres personnages robotiques

… Hannah, Daryl :
Grande, longiligne, blonde et belle, Daryl Hannah capte naturellement l’attention par une allure étrange qui en a fait à la fois une figure familière du cinéma américain, sans pour autant être une star. Son rôle le plus célèbre, la sirène de SPLASH, a fait d’elle une icône sexy des années 1980, mais la comédienne n’a jamais vraiment apprécié ce statut et a pris beaucoup de distances avec l’industrie hollywoodienne. Loin de répondre au stéréotype de la « Blonde », Ms. Hannah a une personnalité bien trempée, des convictions et un monde bien à elle…
Extrêmement discrète sur sa vie privée, cette native de Chicago a laissé peu de choses filtrer sur elle. On sait toutefois qu’elle était une enfant rêveuse, terriblement timide, et qu’elle a été diagnostiquée « à la limite de l’autisme ». Ce qui l’a conduit à dire qu’elle est peut-être bien atteinte du syndrome d’Asperger. Enfant, elle aimait s’inventer des mondes imaginaires (ce qui transparaît encore dans une filmographie riche en rôles fantaisistes) ; souffrant d’insomnies chroniques, elle attrapa le virus du cinéma en regardant les films diffusés à la télévision la nuit. On la sait aussi agoraphobe. Et elle se décrit comme une femme paisible préfèrant encore observer les gens dans son coin, plutôt que d’être le centre d’intérêt principal.
Une personnalité à part dans le cinéma américain, un trait qui surgit dans la majeure partie des rôles qui l’ont fait connaître. Le rôle de l’androïde Pris dans BLADE RUNNER, qui l’a fait connaître, reste son préféré ; la Réplicante gymnaste affiche un comportement pas si éloigné que ça de l’autisme. On y reviendra en temps voulu. Dans la plupart de ses films, Ms. Hannah dégage une certaine étrangeté, un jeu très différent des stéréotypes dont on a tenté de l’affubler. Un regard bleu métallique incroyablement intense, une gestuelle un peu dégingandée, un sourire timide qui peut échapper un rire subit… Le jeu de Daryl Hannah a souvent été en décalage avec les rôles romantiques qu’on lui proposait, comme si elle ne correspondait pas exactement à l’étiquette qu’on cherchait à lui poser. Cela passe très bien dans SPLASH ou ROXANNE avec Steve Martin, où elle est parfaitement à l’aise dans le registre comique et léger, moins bien dans WALL STREET, ou, de son propre avis, elle ne correspond pas au rôle de la fille matérialiste « maquée » par Michael Douglas. Elle se lassera des rôles habituels qu’Hollywood lui propose, refusant par exemple le rôle de PRETTY WOMAN, qu’elle juge dégradant. Une longue période de vaches maigres au cinéma s’ensuit, jusqu’à son retour sous les projecteurs, avec son rôle mémorable de méchante tueuse borgne dans les KILL BILL de Tarantino.
Mais le parcours de Daryl Hannah ne se limite pas au métier d’actrice. Elle a réalisé un court-métrage THE LAST SUPPER en 1993 ; récompensé au Festival de Berlin, ce film s’inspire de ses rêveries d’enfant. Elle réalise également un documentaire en 2002, STRIP NOTES. A son actif, Daryl Hannah a aussi co-créé deux jeux de plateau. Mais son vrai cheval de bataille est l’action militante humanitaire et environnementale, objet de son blog dhlovelife.com pour lequel elle réalise de nombreuses vidéos. Elle multiplie les actions pour dénoncer l’esclavage sexuel en Asie, et, militante acharnée, joint son combat à celui de nombreuses associations écologistes en faveur du développement durable, des ressources alternatives, et n’hésite pas à manifester en première ligne contre l’exploitation abusive des ressources naturelles, ce qui lui a valu d’être plusieurs fois arrêtée. Ce qui lui vaut par exemple d’être considèrée par le gouvernement japonais comme une écoterroriste, parce qu’elle a fait campagne contre la chasse à la baleine. Je serais à la place des japonais, je me méfierai quand même… Poussée à bout, la douce Daryl Hannah peut être une vraie furie (voyez ce qu’elle fait subir à Harrison Ford ou Uma Thurman dans ses films). Craignez la colère de l’Aspie !
Cf. les Réplicants de BLADE RUNNER

… Hauser, Kaspar (1812 ? -1833)
Quelque part entre l’Homme au Masque de Fer et la grande duchesse Anastasia Romanov, Kaspar Hauser a une place de choix parmi les grandes énigmes historiques. L’histoire de «L’Orphelin de l’Europe» apparu dans les rues de Nuremberg en 1828 continue d’intriguer, soulevant questions et controverses. Et, comme il se doit, les théories les plus diverses ont fleuri à son égard. L’une d’elles veut que l’étrange jeune homme de Nuremberg ait eu le syndrome d’Asperger ; mais, attention : ce n’est qu’une hypothèse, assez fragile, parmi tant d’autres.
Résumons son histoire. On découvre un adolescent dans les rues de Nuremberg en 1828. S’exprimant très mal, par des espèces de grognement et quelques mots (« Cavalier veux comme père était »), il dit s’appeler Kaspar Hauser et brandit deux lettres. L’une est signée de son père adoptif, anonyme, l’autre est de sa mère, adressée au capitaine de chevau-légers von Wessnich. Mais Wessnich remarque que les deux lettres ont la même écriture et soupçonne un coup monté. Kaspar Hauser est emprisonné. On croit d’abord à un enfant sauvage, mais on réalise vite que ce n’est pas le cas : Kaspar sait écrire, est propre, se tient bien. Il est protégé par le maire de Nuremberg, Binder, à qui il raconte qu’il aurait été enfermé dans un minuscule réduit depuis la petite enfance, et qu’un mystérieux homme en noir l’aurait nourri, lavé, éduqué à marcher et écrire son nom, sans rien lui dire de ses origines qui restent donc un mystère. Binder croit qu’il est le rejeton gênant d’une grande famille. Le philosophe Daumer lui apprend à écrire, lire et jouer du clavecin. Kaspar Hauser fait vite parler de lui en Allemagne. Il est blessé par un attentat en 1829, sans que l’on sache qui en est l’auteur. Des rumeurs persistantes se répandent sur ses origines, et on le croit descendant de la noble famille de Bade. Est-il le fils de Charles II de Bade et Stéphanie de Beauharnais, fille adoptive de Napoléon et nièce de Joséphine ? Une sombre histoire de rivalités familiales aurait mené à l’escamotage et l’enfermement du bébé de Stéphanie, que tout le monde croyait mort à la naissance.
Tous, cependant, ne croient pas à l’histoire, et pensent que Kaspar Hauser n’est qu’un habile faussaire qui, sous une fausse identité inventée de toutes pièces, vivrait ainsi aux crochets des bonnes âmes l’hébergeant… Le roi Louis 1er de Bavière lui offre une protection policière, et il est hébergé chez le conseiller municipal Biberbach. Le 3 avril 1830, Kaspar Hauser échappe à un second attentat au pistolet, mais les policiers le soupçonnent d’avoir mis en scène celui-ci. Confié à l’instituteur Meyer à Ansbach, par Lord Stanhope, Kaspar Hauser meurt aussi mystérieusement qu’il est apparu. Mortellement blessé à coups de poignard dans la nuit du 14 décembre 1833, Kaspar agonise en racontant que le même mystérieux personnage qui l’avait séquestré l’a attiré dans le parc du château d’Ansbach pour le tuer. Kaspar Hauser meurt 3 jours plus tard. Les médecins conclurent pourtant qu’il s’était infligé les blessures mortelles.
La légende continue de nos jours… Des analyses ADN se contredisent quant à sa parenté avec la famille de Bade. La découverte récente d’un cachot secret dans le château de Beuggen, fief de cette famille, révéla un dessin de cheval… relançant donc la légende de Kaspar Hauser, qui dessina de son vivant les armoiries de ce même château. D’autres hypothèses viennent s’en mêler, qui se contredisent encore plus. Pour le psychiatre Karl Leonhard, Kaspar Hauser n’était rien d’autre qu’un « escroc pathologique ». Point de vue induit par les observations faites par Daumer qui nota chez le jeune homme une fréquente tendance à mentir… sans toutefois savoir ce qui avait causé cette tendance. Hauser souffrait aussi de crises d’épilepsie, et de paranoïa. Quant à savoir s’il avait le syndrome d’Asperger… Les enseignements et observations de Daumer révèlèrent les talents d’Hauser (pour le dessin, la musique) et une sensibilité extrême. Malheureusement, les indices allant dans ce sens sont très minces.
L’étrange histoire de Kaspar Hauser a depuis longtemps déjà inspiré les artistes dans de nombreux domaines. Le cinéma s’en est emparé à plusieurs reprises, notamment le film L’ENIGME DE KASPAR HAUSER (1972) de Werner Herzog, interprété par Bruno Schleinstein. Fidèle à la réalité historique, le film montre Hauser s’intéresser à la logique, la religion et bien sûr la musique.
Citons enfin un poème de Paul Verlaine, issu de son recueil SAGESSE, et qui devrait, je pense, « parler » à tous les autistes et Aspies, et leurs proches :
« Gaspard Hauser chante : / Je suis venu, calme orphelin, / Riche de mes seuls yeux tranquilles, / Vers les hommes des grandes villes : / Ils ne m’ont pas trouvé malin. // À vingt ans un trouble nouveau / Sous le nom d’amoureuses flammes / M’a fait trouver belles les femmes : / Elles ne m’ont pas trouvé beau. // Bien que sans patrie et sans roi / Et très brave ne l’étant guère, / J’ai voulu mourir à la guerre : / La mort n’a pas voulu de moi. // Suis-je né trop tôt ou trop tard ? / Qu’est-ce que je fais en ce monde ? / Ô vous tous, ma peine est profonde : / Priez pour le pauvre Gaspard ! »

… Henson, Jim (1936-1990) :
Un univers au bout de la main… Le créateur et père spirituel du MUPPETS SHOW a été cité comme un possible Aspie. Là encore, les informations manquent à ce sujet. Mais avoir su créer tout un monde de personnages inoubliables, par un moyen d’expression très particulier, traduit forcément une certaine excentricité qui n’est pas le lot de tout le monde… Jim Henson se décrivait comme un homme «maladivement optimiste» ; imaginatif, « enfantin » au bon sens du terme, déterminé et défendant ses convictions, il était aussi extrêmement discret et semblait avoir littéralement «fusionné» avec sa plus célèbre création, Kermit la Grenouille. De son ami amphibien, Henson disait «il peut dire tout ce que je retiens !» Il méritait bien d’être cité ici comme hypothétique Aspie. Des générations d’enfants ayant grandi et ri (et aussi parfois tremblé ) devant ses créations, lui seront en tous les cas reconnaissants de son œuvre unique.
Né à Greenville, tout près du Mississipi (d’où lui vint sûrement une certaine obsession d’enfance pour les grenouilles… «ce n’est pas facile d’être vert !»), le jeune Jim Henson fut un fan de longue date de science-fiction. En dehors des marionnettes et de sa famille, sa plus grande passion fut la musique. Tout en suivant une scolarité sans éclat particulier, il réalise des petits films en 8 et 16 mm, et dessine des comics-strips au lycée. Tout en suivant ses études d’arts au College Park de l’Université du Maryland, il crée ses premières marionnettes pour une émission télévisée locale en 1954, et obtiendra son diplôme en économie domestique en 1960. Un voyage en Europe lui fait réaliser que les marionnettistes peuvent être pris au sérieux, et il décide, à son retour, qu’il créera un jour une émission de marionnettes qui plaise aussi bien aux enfants qu’aux adultes.
Jim Henson a une idée derrière la tête depuis longtemps… A une époque où les marionnettes, à la télé, sont considérées comme «bêbêtes» et passées de mode, Henson révolutionnera doucement ce petit monde. Dans son premier show professionnel, SAM & FRIENDS (1955), il crée ses techniques qui changent les spectacles de marionnettes : une mise en scène plus souple, rompant avec les habituels jeux de ficelles (les marionnettistes se tiennent désormais en-dessous de leurs personnages et peuvent se déplacer à leur convenance dans le décor ; ils animent les bras des personnages grâce à des baguettes), l’utilisation de nouveaux matériaux pour animer les personnages, l’interprétation vocale en direct pendant l’enregistrement… le but est de rendre les marionnettes aussi vivantes que possible. C’est dans cette émission que Kermit fait ses débuts sous une forme rudimentaire, plus proche du lézard que du batracien. L’émission marche assez pour que Henson puisse tourner publicités, émissions spéciales, et des courts-métrages qu’il réalise, notamment TIME PIECE, qui lui vaut une nomination aux Oscars en 1965…
Henson, autour de qui s’est rassemblé une joyeuse équipe de marionnettistes-interprètes, affirme son style et un univers à l’humour sophistiqué, riche en violence «cartoonesque», et un goût marqué pour les univers fantastiques. Le développement technique des effets spéciaux fera de Henson et ses associés des précurseurs de l’animatronique, technique d’animation de personnages «en dur» toujours usitée de nos jours, et qui l’amènera à créer le Jim Henson’s Creature Shop. Le succès de RUE SESAME en 1969, show éducatif à destination des enfants (où Kermit prend sa forme définitive de joviale grenouille), l’enferme pour un temps dans l’image de l’ »amuseur pour enfants ». Henson milite à sa façon pour une reconnaissance de son art comme une discipline sérieuse et créera dans ce but la Jim Henson Foundation. Mais après un court passage infructueux dans les débuts du SATURDAY NIGHT LIVE SHOW (1975), Henson va enfin réaliser son rêve, grâce au producteur britannique Lew Grade. Roulements de tambours… LE MUPPET SHOW débarque en 1976, et deviendra un triomphe télévisuel et culturel. Henson, son ami Frank Oz et leurs collègues créent, autour de Kermit, un casting inoubliable : la divine Miss Piggy, l’ours Fozzie, le Grand Gonzo, Statler et Waldorf (les petits vieux toujours vissés au balcon), le chien pianiste Rowlf (en fait apparu dès les années 1960), l’inénarrable Chef Cuisinier Suédois… Les stars de l’époque viennent de bon cœur se faire tourner en bourrique par cette joyeuse troupe. Même les héros de STAR WARS, avec le bon vouloir de George Lucas ; probable Aspie lui-même, Lucas devint un ami de Henson, et, cherchant quelqu’un pour donner vie à Maître Yoda dans L’EMPIRE CONTRE-ATTAQUE, se tourna vers lui avant que celui-ci ne lui conseille d’engager Frank Oz.
Sur la lancée des Muppets, Henson produira, réalisera et supervisera d’autres émissions ; il se lança aussi dans le cinéma avec des résultats contrastés : en 1979, LES MUPPETS - LE FILM est un succès qui continuera d’engendrer de nouvelles aventures farfelues. Coréalisé en 1982 avec Frank Oz, DARK CRYSTAL est un petit bijou d’heroic fantasy sombre et un classique du genre. Ce que n’est pas hélas son LABYRINTH, produit par George Lucas en 1986…
Le rêve prit hélas fin trop tôt ; à 53 ans, Jim Henson cache à ses proches qu’il est atteint d’une pneumonie. Son extrême timidité, liée à son éducation religieuse, le fera refuser l’hôpital. Quand il ne pourra plus cacher la maladie à ses proches, il est déjà trop tard… Triste ironie du sort, Jim Henson décéda la semaine où il allait vendre sa compagnie à la Walt Disney Company. Compte tenu de l’actualité cinématographique récente, on ne peut pas s’empêcher de voir la Walt Disney Company comme un personnage d’ogre «à la Henson» qui engloutit ses rivaux comme des petits lapins terrifiés… demandez à George Lucas ce qu’il en pense.
Quoiqu’il en soit, le spectacle continue. Les enfants de Jim Henson ont pris sa relève, et les Muppets sont toujours là, tout comme les compagnies fondées par leur père.
«Mahna mahna !»
Cf. George Lucas

… Hergé (1907-1983) :
Le père de Tintin, un Aspie ? Sapristi, ce serait inouï… L’hypothèse n’ayant jamais été posée, il est toujours délicat de vouloir faire « parler les morts » et leur faire dire ce qu’on a envie d’entendre. Mais il serait intéressant de voir, dans les biographies qui ont été consacrées à Georges Rémi, dit « Hergé », ce qui irait dans ce sens. La lecture de l’excellent livre HERGE, FILS DE TINTIN de Benoît Peeters suggère par exemple quelques pistes très intéressantes. Hergé, créateur de tout un univers d’aventures dessinées qui allait peu à peu poser les bases de ce que l’on nomme aujourd’hui l’école de la Ligne Claire, était un homme discret et secret, difficile à comprendre, même pour ses proches. En créant son double de fiction, Tintin, il allait développer une oeuvre unique, en phase avec l’Histoire du 20ème Siècle, et une galerie de personnages mémorables dans lequel il mit peut-être plus de lui-même qu’on ne le croirait. Les Dupondt prennent pour modèle son père et son oncle, jumeaux ; le colérique Capitaine Haddock détient un secret de famille (celui de la Licorne et de son ancêtre royal) que le psychanalyste Serge Tisseron a mis en parallèle avec celui d’Hergé (le père et l’oncle d’Hergé était nés d’une union illégitime, non reconnus par leur père biologique) ; quant au Professeur Tournesol, à la surdité et la distraction légendaires, il nous intéressera particulièrement car il semble bien être lui-même un bel exemple d’Aspie fictif…
Né à Bruxelles, Hergé passa une jeunesse sans éclats particuliers, qu’il décrivit comme « grise, grise, grise » dans une famille typique de la classe moyenne catholique belge. Enfant dissipé, il ne se calme que lorsque l’on lui donne crayons et papiers, et dessine très tôt, avec un inérêt marqué pour les trains et voitures. Un don qu’il continue à exercer à l’école, pendant les cours, surprenant souvent ses professeurs : s’il griffonne pendant les leçons, il a aussi une excellente mémoire et peut à la fois dessiner et répéter ce que les sévères professeurs enseignent. Georges Rémi, une fois fini le lycée, ne fera pas d’études supérieures particulières. Il ne reste qu’un soir à l’école Saint-Luc, où il s’ennuie immédiatement et ne revient pas. Peu enthousiaste à l’idée de devenir employé d’une maison de confection, comme son père, Georges Rémi préfère les écoles scouts qui correspondent plus à son envie d’aventures, et où il peut dessiner à loisir.
Grâce à ses gags dessinés dans les revues scouts, Georges Rémi décroche un emploi au journal « Le Vingtième Siècle » ; et grâce à sa rencontre avec l’abbé Wallez, le jeune homme qui prend le nom de plume d’Hergé va vraiment « décoller » professionnellement dans le supplément jeunesse, « Le Petit Vingtième ». Encouragé par l’autoritaire abbé, il affine son dessin, se documente pour ses histoires… et crée un petit reporter à houppette et son chien. Tintin et Milou font leur apparition en 1929, dans TINTIN AU PAYS DES SOVIETS. C’est un succès en Belgique, et, au fil des années suivantes, la jeunesse s’enthousiasme pour les voyages et exploits du jeune héros. On connaît la suite… même si Hergé, on le sait, illustrait aussi les vues ultra-conservatrices de son milieu. Petit à petit pourtant, Hergé deviendra plus autonome, quittera « Le Petit Vingtième » et gagnera grâce à Tintin une notoriété qu’il n’aurait jamais imaginé. Tintin deviendra au fil des histoires un « décodeur » d’énigmes n’ayant rien à envier à Sherlock Holmes, et s’entourer d’une famille de personnages toujours aimés de tous, bien après la disparition d’Hergé en 1983.
Reste l’énigme Hergé lui-même… L’auteur de Tintin avait ses zones d’ombre ; on lui a reproché d’être paternaliste, anticommuniste et colonialiste (mais tel était le milieu dans lequel il vécut dans sa jeunesse…) et il prendra plus tard ses distances avec ce même milieu dans lequel il étouffait ; plus grave, les accusations de collaboration durant la 2ème Guerre Mondiale reposent sur sa décision malencontreuse d’être le rédacteur en chef du supplément jeunesse du « Vingtième Siècle », journal ouvertement collaborationniste et antisémite… Rexiste mais pas pro-nazi, Hergé sembla n’avoir pas pris conscience de la gravité de son acte (spécialement quand il crée une caricature de banquier juif dans L’ETOILE MYSTERIEUSE) et le regrettera amèrement. Mais l’énigme se situe ailleurs. Profondément secret, en proie à des crises dépressives terribles, terriblement sensible aux critiques, inquiet, maniaque et exigeant, Hergé se montrait difficile à vivre pour son entourage, même quand il atteint le sommet de sa notoriété et de sa créativité (la période « tintinesque » allant des 7 BOULES DE CRISTAL aux BIJOUX DE LA CASTAFIORE contient le meilleur du dessinateur-scénariste), et préférait s’éloigner le plus possible des mondanités et célébrations officielles de toute sorte. Ce caractère distant lui coûta son mariage avec son épouse et secrétaire Germaine, alors qu’il s’éprit de sa coloriste Fanny, qu’il n’épousa que tardivement. Sa dépression, Hergé la « sublimera » par le biais de Tintin, dans ce qui reste son chef-d’oeuvre, TINTIN AU TIBET, aboutissement de son intérêt pour la culture orientale amorcée avec LE LOTUS BLEU.
Quoiqu’on puisse penser de l’homme, il faut bien admettre qu’Hergé a contribué à changer l’univers de la bande dessinée, qui n’était considérée à ses débuts que comme un passe-temps infantile. Les dessinateurs franco-belges reconnaissent avoir une dette immense envers lui, les philosophes redécouvrent avec intérêt un univers plus complexe qu’il n’y paraît à première vue. Les artistes ne furent pas en reste (Hergé fut d’ailleurs un amateur et un connaisseur d’art éclairé), Andy Warhol et Roy Lichtenstein reconnurent l’influence de son travail sur le leur. Le cinéma tenta souvent d’adapter Tintin, sans beaucoup de réussite au fil des ans, que ce soit en prises de vues réelles ou en animation. Il fallait bien un Steven Spielberg (associé à Peter Jackson) pour réussir enfin en 2011 une adaptation longtemps annoncée et souvent reportée : LE SECRET DE LA LICORNE, qui rendra un bel hommage à Hergé en le faisant apparaître dans son film, en portraitiste bruxellois de Tintin (Jamie Bell) ! Hommage d’un cinéaste « Aspie » à un dessinateur « Aspie » ? Qui sait…
– cf. Sherlock Holmes, le Professeur Tournesol ; Steven Spielberg, Andy Warhol

… Highsmith, Patricia (1921-1995) :
«Mon imagination fonctionne mieux quand je n’ai pas à parler à des gens.»
Voilà qui a le mérite d’apporter un peu de clarté quand à la personnalité très spéciale de Patricia Highsmith. La romancière américaine installée en Europe a laissé auprès de ceux qui l’ont connue un souvenir pour le moins contrasté… Tous s’accordent en tout cas pour dire qu’elle fut, à l’instar de nombreux écrivains, une personne peu sociable. La créatrice du personnage de Tom Ripley, et auteur de 22 romans et 8 recueils de nouvelles, a été une figure marquante de la littérature anglo-saxonne. Elle n’aimait pas l’étiquette de « reine du thriller » qu’on lui colla après le succès de son premier livre, STRANGERS ON A TRAIN (L’INCONNU DU NORD-EXPRESS), devenu un chef-d’oeuvre d’Alfred Hitchcock. Comme ce dernier, Patricia Highsmith traîna toute sa vie de sérieuses névroses, et les informations sur son comportement laissent parfois supposer qu’elle était une Aspie. Information à prendre au conditionnel, bien sûr.
Née Mary Patricia Plangman au Texas (Fort Worth), la romancière eut une enfance très difficile. Ses parents se séparèrent dix jours avant sa naissance… En conflit permanent avec sa mère et son beau-père, la jeune Patricia Highsmith sera marquée toute sa vie par la relation d’amour-haine qu’elle entretenait avec sa génitrice, et qui influencera une de ses nouvelles, THE TERRAPIN. C’est la grand-mère de Patricia Highsmith qui sera à l’origine de sa vocation : elle lui apprit à lire très jeune, lui ouvrant les portes de sa bibliothèque personnelle. A huit ans, la fillette se passionne pour un drôle de livre : THE HUMAN MIND de Karl Messinger, qui décrit des cas de malades mentaux, pyromanes, schizophrènes et autres personnalités déviantes… Personnalités troublées qui ne cesseront d’hanter ses propres futurs romans, où la normalité de façade cache d’inquiétantes fissures.
Diplômée du Barnard College, Patricia Highsmith se tournera naturellement vers l’écriture. Pendant une période de 1942 à 1948, elle gagne sa vie en écrivant des comics ; aspirant à devenir romancière, elle publie son premier roman en 1950 : STRANGERS ON A TRAIN / L’INCONNU DU NORD-EXPRESS, un succès immédiat. Le triomphe au box-office de l’adaptation d’Alfred Hitchcock fait d’elle, d’emblée, une écrivaine côtée… mais pas embourgeoisée pour autant. Son second roman THE PRICE OF SALT (CAROL ou LES EAUX DEROBEES) qu’elle signe d’un pseudo, « Claire Morgan », est un roman lesbien qui se termine bien, chose inconcevable à l’époque ! Highsmith ne cachait pas sa bisexualité et eut de nombreuses liaisons avec des hommes et des femmes. En quelques romans, dont THE TALENTED MR. RIPLEY, Patricia Highsmith s’avèrera être bien plus qu’une simple faiseuse de thrillers. Influencée par les oeuvres de Conrad, Dostoïevski, Kafka (un autre grand écrivain possible Aspie), Gide ou Camus, elle excelle à créer des personnages troubles entraînés dans des situations cauchemardesques, existentielles et pleines d’humour noir.
La vie de Patricia Highsmith fut sérieusement perturbée par ses propres troubles, l’alcoolisme n’améliorant en rien une misanthropie déjà sérieusement établie, qui allait de pair chez elle avec une certaine cruauté. Ses relations intimes ne duraient jamais, bien qu’elle ait entretenu une riche correspondance avec des ami(e)s écrivains. Elle tint un journal toute sa vie, s’amusant à imaginer des signes d’étrangeté chez ses chers voisins qui apparraissaient à ses yeux comme des meurtriers ou des porteurs de lourds secrets. Le décompte de ses petites « excentricités » de romancière vivant recluse laisse apparaître de possibles signes du syndrome d’Asperger. Elle collectionnait les objets servant à travailler le bois, et fabriquait pour son plaisir des pièces de mobiliers. Se sentant plus proche des animaux que des hommes, elle préférait particulièrement les escargots…
Le succès de la plume de Patricia Highsmith, motivé par le film d’Hitchcock, a fait que le cinéma a assuré une évidente notoriété à l’oeuvre de la romancière. Les romans de la « série » Ripley, notamment, sont les plus connus de ses adaptations. THE TALENTED MR. RIPLEY a engendré deux films célèbres, PLEIN SOLEIL de René Clément, avec Alain Delon et Maurice Ronet, et LE TALENTUEUX MR. RIPLEY (1999) avec Matt Damon, Jude Law, Gwyneth Paltrow et Cate Blanchett. On préfèrera la première version. On passera par contre sur le très pesant L’AMI AMERICAIN (1977) de Wim Wenders, avec Bruno Ganz et Dennis Hopper, d’après RIPLEY’S GAME (une autre adaptation en 2002, avec John Malkovich). Et on replongera avec délices dans STRANGERS ON A TRAIN / L’INCONNU DU NORD-EXPRESS (1951), qui nous fournit une occasion en or de passer au nom suivant !
Cf. Alfred Hitchcock, Franz Kafka

… Hitchcock, Alfred (1899-1980) :
Souvenir d’un petit garçon Aspie qui, vers l’âge de 8-9 ans, est passionné par le monde des oiseaux… A cette époque, pour lui, le cinéma est une distraction secondaire. Il ne s’intéresse qu’aux comédies, aux dessins animés, et parfois aux documentaires animaliers. Quand le programme télévisé annonce la diffusion d’un film intitulé LES OISEAUX, signalé comme un « chef-d’oeuvre », le petit garçon est emballé. Il croit qu’il va voir un documentaire « à la Cousteau », tout apprendre et tout voir sur le sujet ! Hélas pour lui, il n’a pas lu le résumé et ignore que certains films font peur, très peur… Après un début de film intriguant, ressemblant à une comédie romantique où une jolie blonde poursuit un séduisant avocat jusque chez lui, pour offrir des perroquets à sa petite soeur, le jeune spectateur se demande bien où sont les oiseaux annoncés. Et tout à coup… un goéland frappe la jolie blonde, sans prévenir, lui faisant une belle entaille sanglante. Choc du petit garçon Aspie qui décide d’éteindre la télévision et d’aller jouer dans sa chambre ! Une chance pour lui, il ne regardera pas la suite du film avant d’avoir quelques années de plus au compteur.
Merci beaucoup, Sir Alfred Hitchcock, de m’avoir terrifié de la sorte… et transmis à mon insu le virus du cinéma ! J’ai fêté mon septième anniversaire le jour de votre décès, le 29 avril 1980. Et, sauf amnésie de ma part, aucun oiseau n’a perturbé les festivités comme on le voit dans votre film…
Le Maître du Suspense a su, tout au long de sa carrière, faire frémir les spectateurs du monde entier, en leur transmettant de la sorte ses propres angoisses, et en créant, à travers ses films, un véritable langage des images et du son avec une maestria rarement égalée. Il a influencé nombre de grands cinéastes toujours en activité, et sa contribution au monde du Cinéma est indéniable… même s’il n’obtint aucun Oscar. Longtemps considéré comme un technicien doué, un simple raconteur d’histoires commerciales, Alfred Hitchcock était pourtant un artiste à part entière… et une personnalité complexe, obsessionnelle en diable. Au point que l’on s’est demandé s’il n’était pas, lui aussi, un Aspie « léger ».
Beaucoup d’ouvrages et de documentaires lui ont été consacrés, rappelant les épisodes importants de sa vie et de sa longue carrière en Grande-Bretagne et aux USA. Le jeune Hitchcock était né dans une famille londonienne catholique très stricte. Enfant timide, très calme, au physique grassouillet, il évitait à l’école la compagnie des autres enfants à la récréation, restant dans son coin ; craintif, il garda toute sa vie une peur bleue de la police (évoquée dans la fameuse anecdote où son père, pour le punir d’avoir été « vilain », le fit enfermer quelques minutes au poste de police voisin) et un sentiment de culpabilité excessif (le poids de l’éducation maternelle et religieuse) qui apparaîtra dans tous ses films. Elève correct à l’école, Hitchcock étudia l’ingéniérie mécanique, électrique, acoustique et la navigation, tout en travaillant comme dessinateur de panneaux pour les films muets. Ses compétences acquises, Hitchcock n’aura de cesse par la suite de les développer à travers ses films, élaborant un langage cinématographique unique : des films pensés « visuellement », architecturalement dira-t-on, dès la conception de l’histoire jusqu’aux finitions du montage. Hitchcock supervisait tout les aspects, voyant dans chaque nouveau film un défi technique particulier à résoudre. Il avait toujours l’idée de génie, allant de pair avec des scénarii habilement structurés, dans un seul but : captiver le spectateur, et le faire s’accrocher à son siège pendant deux heures ! Ajoutez à cela des thèmes, des obsessions et des leitmotivs visuels récurrents (l’innocent accusé à tort, la belle blonde apparemment glaciale, les méchants charmeurs et dérangés, les escaliers, les mères, les enfants « à qui on ne la fait pas », les jeux de regards, etc.), et vous n’avez qu’une petite idée de l’univers hitchcockien.
Mais Alfred Hitchcock était lui-même un « drôle d’oiseau ». On l’a dit, il était timide, angoissé, et surtout passionné par les problèmes techniques à résoudre pour ses films. Cet homme qui filma de sublimes actrices et truffait ses scènes de sous-entendus très explicites était à la fois attiré et révulsé par la sexualité ; il épousa sa femme, la fidèle Alma, sa scripte et associée créative de toujours, en étant vierge à 25 ans. Lorsqu’elle fut enceinte de leur seule enfant, leur fille Patricia, il n’osait pas la regarder… Après le départ du cinéma de l’actrice Grace Kelly, qu’il avait sublimé en trois films (FENÊTRE SUR COUR, DIAL M FOR MURDER / LE CRIME ETAIT PRESQUE PARFAIT et TO CATCH A THIEF / LA MAIN AU COLLET), Hitchcock chercha constamment des actrices similaires pour représenter le « fantasme hitchcockien » ultime, tel le personnage de Kim Novak dans VERTIGO. Les derniers grands films du maître étaient d’ailleurs hantés par d’inquiétantes pulsions : voyeurisme, nécrophilie, culpabilité intense…
Ajoutez à celà ses « excentricités » : Hitchcock aimait faire des farces parfois cruelles en public, contrôlait son image publique avec une rigueur absolue, admonestait les assistants ou jeunes réalisateurs qui ne portaient pas la tenue costume-cravate obligatoire à ses yeux, pouvait se montrer très cinglant à l’occasion, et avait ses petites manies. Il lui arrivait sur chaque tournage de briser volontairement des tasses de thé, et avait la phobie des oeufs (pleins de futurs petits oiseaux !). Et quand il ne tournait pas, au lieu de se rendre aux mondanités hollywoodiennes habituelles, Hitchcock restait chez lui auprès de sa femme, de sa fille et de ses petits chiens. Et s’il lui arrivait de répondre de bonne grâce aux interviews de jeunes cinéastes prometteurs (tout en assurant que tout serait bien planifié à l’avance), il détestait les visites imprévues sur son plateau. Un tout jeune Steven Spielberg fut ainsi éconduit du tournage du RIDEAU DECHIRE dans les studios Universal en 1966. Dix ans plus tard, Spielberg avait rendu un sacré hommage au maître avec JAWS (LES DENTS DE LA MER)… qui refusa pourtant de le rencontrer. Mais qui reconnut implicitement le talent de ce jeune héritier en prêtant sa voix à l’attraction JAWS du parc Universal Studios, tout en lui « empruntant » son compositeur et ami John Williams pour COMPLOT DE FAMILLE, son dernier film.
Un personnage aussi singulier ne pouvait finalement qu’intéresser d’autres cinéastes… ce qui est fait cette année ; on attend avec grand intérêt surtout son incarnation par Anthony Hopkins dans le sobrement titré HITCHCOCK de Sacha Gervasi, qui sortira bientôt en France.
– cf. Patricia Highsmith, Steven Spielberg

… Holmes, Sherlock :
Du Maître du Suspense au Grand Détective, et d’un possible « Aspie » bien réel à un véritable « super-Aspie » fictif, tous deux londoniens… Les coïncidences alphabétiques de cet abécédaire étant ce qu’elles sont, nous passons donc d’Alfred Hitchcock à Sherlock Holmes. Le détective imaginé par Arthur Conan Doyle a largement dépassé le cadre des romans et nouvelles de son créateur, pour vivre ses enquêtes. 270 films et séries répertoriés, romans, adaptations radio, bandes dessinées, jeux vidéo… Sherlock Holmes et son fidèle ami le docteur John Watson sont toujours sollicités aujourd’hui pour combattre le crime sur tous les supports ! Au vu de la découverte récente du syndrome d’Asperger, la psychologie particulière du Grand Détective prend une nouvelle dimension. Rappelons que Doyle s’inspira de son mentor en médecine, le docteur Joseph Bell, véritable précurseur de la police scientifique moderne, pour le personnage. Bell était un personnage très étonnant pour son époque, et sans doute peut-être lui-même un peu «Aspie» sur les bords si l’on se fie aux témoignages de Doyle…
Apparu pour la première fois en 1887 dans UNE ETUDE EN ROUGE, Sherlock Holmes a connu un tel succès qu’il a littéralement éclipsé les autres créations de Conan Doyle. Les histoires de Doyle continuent de passionner encore aujourd’hui, autant par la qualité de leurs intrigues que par la personnalité du détective, et elles ont largement contribué à donner au roman policier des lettres de noblesse qu’il n’avait pas jusqu’ici. Même encore aujourd’hui, de nombreux personnages fictifs doivent largement leur inspiration initiale à l’homme de Baker Street. Dans le cas des « Aspies » hypothétiques qui nous intéressent, on citera Adrian Monk et le docteur House, par exemple… voir même Spock dans STAR TREK ou Lisa des SIMPSON !
Tel qu’il a été écrit par Arthur Conan Doyle, il ne fait aucun doute que Sherlock Holmes est un personnage singulier selon les normes de son époque. Les nombreuses marques d’«excentricités» du détective sont autant de signes typiques du syndrome d’Asperger. Inventaire… :
- esprit brillant, féru de logique absolue, Holmes ne vit que pour une seule chose dans la vie : résoudre des énigmes, mener à bien des enquêtes… plus l’affaire est apparemment impossible à résoudre, plus son intellect s’acharnera à la résoudre. En revanche, il rejette toutes les enquêtes «faciles». Et, sans énigme à résoudre, il sombre dans l’ennui et la dépression.
- une mémoire photographique et encyclopédique qui ne cesse de stupéfier. Son sens de l’observation, ses raisonnements déductifs infaillibles sont presque surnaturels aux gens normaux dont Watson se fait le représentant : il peut identifier la profession de n’importe quelle personne aux signes particuliers sur ses vêtements, la façon dont elle marche, ce à quoi elle pense, etc. Son talent repose en fait à la fois sur l’induction et la déduction. Seul un esprit criminel aussi brillant que le sien peut le mettre en défaut… tel celui de l’infâme Professeur Moriarty, son ennemi juré. Ou celui, dénué de scrupules mais terriblement charmeur, de l’aventurière Irene Adler.
- pourtant, ses connaissances encyclopédiques sont restreintes : en bon Aspie, Holmes s’intéresse uniquement aux sujets qui le concernent pour son travail, excluant toute connaissance jugée « futile ». Selon Watson, Holmes ne connaît ainsi rien à la littérature, la philosophie ou l’astronomie, et s’intéresse très peu à la politique. A l’inverse, il est excellent en chimie, connaît les bases de l’anatomie, et a développé des connaissances pratiques en géologie et botanique. Sherlock Holmes est même un expert mondial en poisons. Et dans ses dernières années (celles des histoires écrites par Doyle), Holmes s’est pris de passion pour l’apiculture. Sinon, il continue à compléter sa culture encyclopédique sur les sujets les plus divers, toujours en relation avec la criminologie.
- l’un des traits les plus « Aspies » de Holmes est son caractère asocial, solitaire et reclus. Seul le docteur Watson a pu partager avec lui le toit du 221B Baker Street, quitte à y perdre souvent patience… Holmes n’a pour seul lien familial que son frère Mycroft, aussi brillant que lui, mais tout juste un peu plus sociable. Holmes reste distant et ironique envers ce grand frère qui travaille aux services secrets du gouvernement britannique, depuis le Club Diogène. Célibataire endurci, quasiment misanthrope, Holmes est misogyne et semble n’avoir jamais eu de liaison amoureuse… seule Irene Adler, « La Femme », lui a laissé une impression mémorable.
- l’intelligence exceptionnelle de Holmes l’a aussi rendu très égotiste. Il ne supporte pas la lenteur d’esprit chez autrui ; le pauvre Watson, par ses raisonnements, subit régulièrement des remarques cinglantes, mais heureusement Holmes se rattrape toujours, sachant combien il a besoin de son ami fidèle. Les autres ont moins de chance, comme l’inspecteur Lestrade de Scotland Yard, cible favorite de l’ironie grinçante du détective.
- Holmes vit en bohème et, tout à ses enquêtes, peut oublier de se laver et s’habiller des jours durant… Il ne mange que très peu, en véritable ascète. Jouer du violon à toute heure l’aide à résoudre une énigme autant qu’à occuper son esprit désoeuvré. L’absence d’enquêtes, l’ennui et la dépression le poussent à se droguer à la cocaïne. Parfois même sous les yeux choqués de Watson qui pourtant ne l’en empêche pas. Sherlock Holmes cultive aussi un côté artiste, parfois plein d’humour, avec un goût prononcé pour le déguisement et le maquillage, aimant surprendre Watson, ses clients et ses ennemis.

Recenser les exploits de Sherlock Holmes est une tache encyclopédique, autant en littérature qu’au cinéma et à la télévision… Pour citer une version de référence par rapport aux autres, il serait difficile de choisir : depuis Basil Rathbone jusqu’à Robert Downey Jr., en passant par Peter Cushing, Jeremy Brett, Christopher Plummer, John Neville, Nicol Williamson, chacun a sa vision de Holmes. J’en retiens deux qui me viennent plus spontanément à l’esprit.
Pour une représentation fidèle à l’esprit de Doyle, il faut revoir le magnifique film de Billy Wilder, LA VIE PRIVEE DE SHERLOCK HOLMES (1970). Obligé pour la publicité de porter sa panoplie fictive (pipe, loupe, cape houppelande et casquette deerstalker), Holmes-le-maniaque (joué par Robert Stephens) se plonge à corps perdus dans des expériences de combustion de cigarettes, manquant du coup d’empoisonner Watson dans l’appartement, et pique une colère soudaine quand il découvre que sa logeuse a nettoyé ses étagères : impossible de s’y retrouver, la couche de poussière lui servait de point de repère chronologique ! Et Holmes-le-misogyne se sort d’une embarrassante proposition de mariage par la danseuse étoile du Bolchoï, par une pirouette encore plus embarrassante sur son « couple » formé avec Watson…
Pour une représentation totalement « Aspie » du personnage, il est conseillé de voir la remarquable série britannique SHERLOCK entamée en 2010. Holmes (Benedict Cumberbatch) et Watson (Martin Freeman), ainsi que tous les personnages classiques de Doyle, y sont transposés à l’époque actuelle. Et le Grand Détective s’y montre encore plus asocial et maniaque qu’à l’accoutumée, un véritable »geek » adepte des nouvelles technologies. Son caractère est si déroutant que Watson diagnostique (dans l’épisode LES CHIENS DE BASKERVILLE) le syndrome d’Asperger ! Mémoire phénoménale, intérêts restreints et encyclopédique, maladresse sociale (Holmes ne « capte » pas les marques d’intérêt amoureux évident d’une timide laborantine à son égard, et se présente en peignoir à Buckingham Palace…), hypersensibilité (Holmes aux policiers durant une enquête : « Pourriez-vous sortir de la pièce ? Je vous entends penser. »), manque d’empathie… tout y est. Y compris son sens de l’amitié exclusive, à l’encontre du pauvre Watson, ce qui n’est pas sans causer de sérieux malentendus similaires au film de Wilder !
Cf. Diogène de Sinope ; Gregory House, Adrian Monk, Lisa Simpson, Spock

… Hopper, Edward (1882-1967) :
Ses tableaux attirent l’attention immédiate par l’étrange sensation de malaise qui s’en dégage : des personnes isolées, solitaires, des couples qui ne se parlent pas, des gens qui s’évitent, perdus dans des paysages urbains oppressants… Le succès de la récente rétrospective au Grand Palais, qui lui est dédiée, nous rappelle au bon souvenir du peintre américain Edward Hopper. Interrogé sur les origines possibles de la puissance d’évocation et d’angoisse qui se dégage des oeuvres d’Hopper, le marchand d’art Bernard Danenberg, qui rencontra Hopper à la fin de sa vie, émit l’hypothèse d’une surdité, handicap profondément envahissant. Danenberg, au vu de son témoignage, a certainement raison, mais cette « surdité » constatée pourrait bien en cacher une autre… Homme timide, cultivé, fuyant la reconnaissance publique pour rester peindre chez lui, Edward Hopper a bien le profil éventuel d’un Aspie.
Cet enfant de la classe moyenne américaine, élevé dans une famille où les femmes ont la place dominante, montra très tôt un grand talent pour le dessin. Il réalisa ses premières peintures vers ses dix ans ; encouragé par ses parents à peindre, et à apprécier les cultures russe et française, le jeune Hopper, garçon paisible de nature, se prit de passion pour les bateaux et le monde de la mer, un sujet qui inspirera ses toiles les plus ensoleillées. Après six ans passés au New York Institute of Art and Design, Hopper dut longtemps gagner sa vie en réalisant des illustrations commerciales, ce qu’il détestait. Trois voyages formateurs en Europe lui permettront d’affiner son style, sans se laisser influencer par les nouveaux mouvements picturaux en vogue, tels que le cubisme initié par Picasso.
L’art de Hopper, avant tout réaliste, repose autant sur une observation pointue des scènes de la vie quotidienne que sur une utilisation de la lumière et de la mise en scène d’une très grande rigueur. Alors que son pays connaît une fantastique évolution industrielle, le regard d’Hopper sur ses concitoyens se fera de plus en plus angoissé : les individus sont littéralement « étouffés » par des villes trop grandes pour eux. Ils respirent l’ennui, la tristesse, l’attente, l’angoisse… et de toiles aussi célèbres que NIGHTHAWKS (LES NOCTAMBULES ou OISEAUX DE NUIT, 1942) se dégage un sentiment de solitude que connaissent trop bien les personnes Aspies. Et aussi, parfois, une touche d’humour discret, et une douceur se dégageant des tableaux plus paisibles, ceux des paysages marins.
Edward Hopper préférait, de loin, la tranquillité bien ordonnée de son atelier aux réceptions publiques et mondanités, une phobie sociale évidente qui ne facilitera évidemment pas ses relations, à commencer par celles avec son épouse Josephine, dont le caractère était le contraire exact du sien. Stoïque, hiératique, conservateur par nature, il ne commentait son art qu’à grand-peine. De telles difficultés à communiquer autrement que par sa peinture peuvent donc tout à fait supposer chez lui un syndrome d’Asperger.
Edward Hopper aimait le cinéma de son époque. Et le cinéma lui a bien rendu sa passion. Ce n’est pas une coïncidence si le genre du Film Noir s’est développé à l’époque de ses toiles les plus inquiétantes. Hopper, pour NIGHTHAWKS, s’inspira de la nouvelle LES TUEURS d’Ernest Hemingway, devenue un très grand classique du genre avec Burt Lancaster et Ava Gardner. De nombreux cinéastes, et pas des moindres, ont été visuellement influencés par ses tableaux. Notamment, surprise, Alfred Hitchcock pour FENÊTRE SUR COUR (inspiré par FENÊTRES LA NUIT), PSYCHOSE (LA MAISON PRES DE LA VOIE FERREE) et MARNIE (BUREAU LA NUIT). Les ambiances à la Hopper sont aussi reconnaissables dans les films de David Lynch, George Stevens, Terrence Malick, les frères Coen, Sam Mendes, Ridley Scott… et même deux autres cinéastes « Aspies », Woody Allen et Tim Burton.
Cf. Woody Allen, Tim Burton, Alfred Hitchcock

… Horowitz, Max - la voix de Philip Seymour Hoffman, dans le film d’animation MARY & MAX
Max Horowitz, un quadragénaire juif, reçoit par hasard le courrier de la petite Mary Dinkle, (Toni Collette) une fillette australienne disgracieuse qui a choisi son nom au hasard dans un annuaire de New York. Aussi solitaire que Mary, Max souffre d’obésité, et a un syndrome d’Asperger très prononcé qui l’empêche de vivre une vie sociale normale. En bon Aspie, Max vit selon des règles strictes qui font son quotidien. Et il a énormément de mal à comprendre et interpréter correctement les émotions d’autrui. Imaginez son embarras et son angoisse lorsqu’une femme membre de son groupe de soutien, « les hyperphages anonymes », tombée amoureuse de lui, se met à vouloir le couvrir de baisers. Autre source d’angoisse pour le pauvre Max : il ne sait ni sourire, ni pleurer, malgré ses efforts. La petite Mary, touchée par son histoire, décide alors de lui envoyer par colis ses larmes dans un bocal… C’est le début d’une belle, drôle et triste histoire d’amitié entre deux êtres solitaires.
Signé de l’australien Adam Eliot, et sorti en 2009, ce film a été récompensé de nombreux prix dans les festivals d’animation, et doit une bonne partie de son originalité à la personnalité assez singulière de son réalisateur. Adam Eliot a en effet fait son chemin dans le monde du cinéma d’animation en dépit d’un handicap sérieux, un tremblement incontrôlable qu’il a finalement « retourné » à son avantage, et avec succès, pour réaliser des courts-métrages mélant cocasserie et émotion, sur des personnages eux-mêmes marqués par le handicap (comme HARVIE KRUMPET, héros d’un court-métrage sorti 2003, personnage souffrant du syndrome de la Tourette). Concernant le film MARY ET MAX, les quelques extraits aperçus sur le Net cernent très bien le syndrome d’Asperger dont Max est atteint. Quelques scènes courtes, où Max (excellente interprétation vocale de Philip Seymour Hoffman) nous présente les avantages et les inconvénients de son handicap. Le pauvre Max est bien conscient de son état, ce qui nous vaut quelques descriptions tantôt amusées, tantôt amères, de ce qu’il vit : se faire gifler enfant par sa mère qui l’a surpris en train de dessiner des femmes nues, aimer jouer au Rubik’s Cube, interpréter littéralement l’expression « prendre un siège », se montrer hypersensible au moindre bruit, connaître des crises d’anxiété… et surtout, sa plus grande souffrance, se savoir incapable de sourire.
On appréciera particulièrement la lucidité de Max expliquant son handicap à Mary, pour finalement en vivre positivement : « Le docteur a dit que l’on pourra un jour me guérir du syndrome. Mais je n’ai pas envie d’être « guéri ». En fait… j’aime bien être un Aspie. »

… House, Gregory (Hugh Laurie), le redouté DOCTEUR HOUSE
Dernier représentant (pour l’instant) d’une longue tradition de séries télévisées médicales dont le succès doit beaucoup à un certain URGENCES, le Docteur Gregory House a autant fait exploser l’audimat qu’il a fait souffrir ses élèves… et ses malades. Il combat la maladie comme Sherlock Holmes combattait le crime, selon ses auteurs. Ce parallèle évident avec le Grand Détective, Aspie de fiction certifié, ferait de lui un autre Aspie mémorable, mais on peut quand même se poser des questions sur la déontologie médicale très particulière de House (au demeurant impeccablement interprété par Hugh Laurie, dans le registre « je suis détestable et je m’en fous car j’ai raison »).
Mais pourquoi diable le docteur House, aussi intelligent soit-il, se montre-t-il désagréable, arrogant et excentrique ? Son collègue et ami le docteur James Wilson (Robert Sean Leonard) pose l’hypothèse qu’il est atteint du syndrome d’Asperger. Pourquoi pas après tout, les « fantaisies » et le caractère asocial de House iraient dans ce sens, toujours en référence à l’univers de Sherlock Holmes (et Wilson serait alors bien sûr son »Watson »). Amateur de musique (comme Holmes), accro au Vicodin (le détective anglais préférant la cocaïne), House est aussi un surdoué en langues étrangères, se prend de passion exclusive pour les trésors archéologiques, aime les jeux vidéo et le soap médical « Passion sur Ordonnance »… Sa vie sociale est un désert, en dehors de son amitié pour Wilson, et sa relation conflictuelle avec sa supérieure, Lisa Cuddy.
Ajoutez à celà une misanthropie et une irascibilité de tous les instants, et vous avez un « caractère » prompt à descendre en flammes les erreurs de jugement de ses disciples d’une remarque cinglante. Soit. Mais si House est un si brillant médecin, comment se fait-il que ses méthodes respectent aussi peu le serment d’Hippocrate ? Une chance pour ses patients qu’il soit un personnage de fiction… autrement, la façon dont il s’acharne sur eux au fil de l’épisode jusqu’à la torture, persuadé qu’ils lui cachent toujours quelque chose, serait passible dans la réalité d’une radiation définitive du corps médical.
Les auteurs ont beau eu se défendre en argumentant que la série critique les erreurs déontologiques du corps médical, on peut tout de même légitimement se demander s’il est bien malin de mettre en valeur ceux qui les commettent au détriment de malades traités en « suspects » ne méritant que de passer aux aveux dans la violence. Et on peut souhaiter que le bon docteur Wilson se soit trompé vis-à-vis de son diagnostic sur House ; autrement, la série ferait aux Aspies une publicité déplorable…
Cf. Sherlock Holmes

… Hughes, Howard (1905-1976) :
Héritier, aviateur, homme d’affaires, réalisateur, producteur et génie de la construction aéronautique, Howard Hughes fut tout cela. Riche à milliards, collectionnant les liaisons avec les plus belles actrices de Hollywood, sa gloire suscita admiration et jalousies ; et sa déchéance de reclus perpétuel renforça sa légende. Howard Hughes était-il un malade mental, ou souffrait-il d’un handicap encore inconnu à son époque ? Les hypothèses médicales les plus diverses ont circulé à son égard : s’il est certain qu’il souffrit très tôt de TOCS envahissants, on a aussi affirmé qu’il souffrait d’allodynie (une réaction de douleur excessive causée par le plus infime contact, et qui serait apparue après son terrible accident d’avion de 1946). Ont été également cités, pêle-mêle : des blessures au crâne répétées à cause des accidents auxquels il survécut, un accident cérébral, des troubles bipolaires sévères, le syndrome de Diogène (déjà évoqué dans cet abécédaire), une forme aiguë de schizophrénie paranoïde… et le syndrome d’Asperger. Totalement hypothétique, certes, mais au vu des bizarreries de comportement de Hughes bien avant l’aggravation de son état mental, ce n’est pas à exclure.
Enfant unique d’un richissime entrepreneur texan ayant fait fortune dans le forage pétrolier, Hughes fut élevé par une mère très possessive. L’enfant était un jeune surdoué de la mécanique, capable dès ses onze ans de bricoler une bicyclette à moteur, des interphones et un appareil de radio. La mort de ses parents fit de lui un très jeune héritier de la fortune familiale, héritant de l’entreprise paternelle, la Toolco. Mais Hughes préféra vite s’installer à Hollywood, sans avoir terminé ses études de mathématiques et d’ingéniérie, pour devenir producteur. Une activité qui le fit déjà paraître comme un richissime marginal aux yeux du monde du show-business, et rejeter par les producteurs des grands studios. Hughes, producteur et réalisateur, a laissé quelques films mémorables autant par leur contenu que par les conditions dans lesquelles il les a tournés et/ou produits : SCARFACE (1932) de Howard hawks, ou LES ANGES DE L’ENFER (1930) et THE OUTLAW / LE BANNI (1943) réalisés par ses soins. Le milliardaire fut aussi célèbre à Hollywood pour ses frasques amoureuses, « collectionnant » les belles actrices comme des voitures de sport : le film AVIATOR de Martin Scorsese a mis en avant ses liaisons avec Katharine Hepburn et Ava Gardner, mais Hughes fréquenta aussi Cyd Charisse, Olivia de Havilland, Joan Fontaine, Jean Harlow, Rita Hayworth, Gene Tierney, Jane Russell (héroïne de son BANNI sur laquelle il faisait une fixation très… « mammaire »), etc.
Mais la vraie passion de Hughes était l’aviation. Dès ses 14 ans, il apprit à piloter un avion, et fit régulièrement la une des journaux par ses records mondiaux de vitesse sur des appareils expérimentaux de sa conception. Actionnaire principal de la future TWA, il développa le financement et la construction du Boeing Stratoliner, et du Lockheed Constellation qui allait révolutionner les services aériens en diminuant le temps de vol intercontinental. Sa création la plus célèbre, son « chef-d’oeuvre », fut l’hydravion en bois Hughes H-4 « Hercules », gigantesque avion de transport de troupes qui ne servit jamais pour la 2ème Guerre Mondiale, en raison de son retard de fabrication et son coût pharaonique. Il n’a volé qu’une minute, le 2 novembre, à basse altitude, le mastodonte que ses détracteurs appelèrent le « Spruce Goose » (« l’Oie de Sapin »). La passion de Hughes faillit lui être fatale, l’ingénieur-businessman-pilote effectuant lui-même les vols d’essai, et eut 14 blessures graves à la tête. Son accident du 7 juillet 1946 fut le plus violent, et les séquelles qui en résultèrent furent certainement pour beaucoup dans la dégradation progressive de son état mental. Malgré des crises de réclusion et prostration de plus en plus graves, Hughes continua à travailler, pour la CIA après-guerre, dans la production de films très anticommunistes, dans le développement de l’aéronautique et l’immobilier à Las Vegas, où il vécut ses dernières années.
Obsessionnel, rigide, tyrannique, mal à l’aise en public, Hughes laissa aussi dans l’Histoire une réputation de « dingue » qui s’explique peut-être donc partiellement par un syndrome d’Asperger. Il était obsédé par la taille des petits pois qu’on lui servait à manger, et se servait d’une fourchette spéciale pour les manger. Paranoïaque, il se couvrait la bouche d’une main, craignant qu’on lise sur ses lèvres, lorsqu’il parlait en public. Sa distance avec les gens, marque d’une plausible hypersensibilité, s’aggrava quand il commença à s’enfermer dans un studio de cinéma pendant des mois, puis en faisant de même à Las Vegas. Pour ne pas ressentir la douleur, il s’absorbait dans le visionnage de films qu’il se projetait en boucle (il visionna plus de 150 fois son film favori, DESTINATION ZEBRA, STATION POLAIRE, de John Sturges). Gagné par la phobie des microbes et de la douleur, Hughes refusait tout contact au point de se laisser pousser barbe, cheveux, et ongles, de ne se laver qu’une fois par an et de refuser de porter des vêtements - tout en se chaussant de boîtes de Kleenex et en gardant ses excréments dans des bocaux… Il ne communiquait plus avec le monde extérieur que par télex et téléphone pour gérer ses affaires. Drogué, atteint de malnutrition, syphilitique, il mourut après avoir été soigné par une étrange garde rapprochée d’infirmiers Mormons…
Un personnage historique aussi étrange, aventureux et controversé ne pouvait qu’inspirer les oeuvres de fiction. Au cinéma, Hughes a fait l’objet d’une « biopic » déjà citée, AVIATOR, reconstitution assez fidèle de ses années de gloire, où il est incarné par Leonardo DiCaprio. On citera aussi rapidement d’autres apparitions plus secondaires du personnage, qu’il soit réaliste (dans le TUCKER de Francis Ford Coppola) ou fantaisiste (le film de super-héros rétro ROCKETEER). D’ailleurs, on constatera que Hughes a grandement influencé la culture « comics » américaine : voir notamment Bruce Wayne, alias Batman (spécialement dans le film THE DARK KNIGHT RISES) et le personnage de Tony Stark, alias Iron Man, tel qu’il est apparu dans les bandes dessinées originelles.
Cf. Diogène de Sinope
à suivre…
Ludovic Fauchier.