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Aspie, or not Aspie ? Le petit abécédaire Asperger, chapitre 10

K comme…

 

Aspie, or not Aspie ? Le petit abécédaire Asperger, chapitre 10 dans Aspie k-franz-kafka-asperger-241x300

… Kafka, Franz (1883-1924) :

Les écrivains sont de drôles d’oiseaux… surtout celui-ci. Le nom de Kafka venant du mot tchèque « Kavka » désignant le choucas des tours, un petit corbeau familier des villes, et des châteaux. La personnalité de Franz Kafka, cité à juste titre parmi les écrivains les plus importants du 20ème Siècle, lui a valu une « nomination » dans des listes de personnalités Aspies supposées. Hypothèse intéressante, et somme toute plausible, selon les biographies et les témoignages de ses proches.

Né à Prague sous l’empire austro-hongrois, Kafka était le fils d’un commerçant juif avec qui il eut des relations difficiles. Un père décrit comme tyrannique et prétentieux, à qui il s’opposa (et dont l’attitude lui inspirera les figures du Pouvoir de ses futurs écrits) ; le contraire de sa mère, discrète et timide, venue d’une famille intellectuelle. L’enfance de Kafka fut solitaire : la mère devant travailler, ses soeurs mariées ayant quitté le foyer, le jeune garçon sensible se retrouvait livré à lui-même pendant de longues heures. Bon élève à l’école, peu intéressé par l’éducation judaïque dans sa jeunesse, il hésita sur le cours de ses études supérieures : deux semaines de cours de chimie avant de choisir le droit, ce qui lui permit de suivre des cours de langue allemande et d’histoire de l’art, et de rejoindre un club étudiant de littérature. Du pain bénit pour ce jeune homme féru justement de lecture et d’écriture, et qui y rencontra son grand ami, le poète Max Brod, celui-là qui fera connaître son oeuvre après son décès. Kafka appréciait particulièrement les ouvrages de Platon, Flaubert, Goethe, Von Kleist, et Dostoïevski. Gagné par la passion de l’écriture, Kafka fut pourtant peu publié de son vivant, et il faudra l’influence (et les retouches) de Brod pour que ses écrits connaissent la consécration, après la tuberculose qui l’emporta en 1924.

L’évocation de la personnalité de Franz Kafka laisse fortement penser qu’il était légèrement « Aspie ». Jugez plutôt : de nature plutôt tranquille, timide, Kafka parlait peu mais avec beaucoup d’intelligence, et préférait s’exprimer par l’écrit, laissant derrière lui une correspondance fournie. Phobique social (il ne quitta vraiment le foyer familial qu’à 31 ans), extrêmement sensible au bruit, cet homme terriblement anxieux sut communiquer à merveille son malaise dans ses romans et nouvelles, ce qui ne l’empêchait pas par ailleurs d’être aussi capable d’humour. Parmi ses autres « dons » constatés, une faculté d’observation et de mémorisation d’une très grande précision, une exigence de vérité et de rigueur consciencieuse. Ses centres d’intérêts furent : les sports (assez tardivement), la naturopathie, les systèmes éducatifs modernes (la pédagogie Montessori), l’aviation et le cinéma. Sa vie professionnelle fut réglée autour de routines bien établies : après une première expérience malheureuse dans les assurances (un emploi du temps trop lourd l’empêchant d’écrire), son embauche et ses promotions pour une institution pour les ouvriers accidentés lui permirent d’aménager un planning quotidien à sa convenance. En se servant de son observation du quotidien de la compagnie, Kafka sut créer et crédibiliser l’univers de ses romans et nouvelles.

Malheureusement, ces capacités et son talent allaient de pair avec de graves problèmes relationnels : nombreuses crises dépressives, moments de réclusion, idées suicidaires… Franz Kafka n’avait que quelques amis proches, et eut des liaisons malheureuses avec les femmes. Des fiançailles rompues deux fois avec Felice Bauer, une autre rupture avec Julie Wohryzeck, des histoires avec Grete Bloch… Milena Jesenska, journaliste et écrivaine anarchiste, et Dora Diamant, institutrice maternelle, furent les femmes qui comptèrent sans aucun doute le plus pour lui. Les diagnostics variant d’un spécialiste à l’autre, nul ne peut déterminer exactement l’origine des problèmes de Kafka : désordre de personnalité schizoïde, hypocondrie, troubles anorexiques, homosexualité refoulée… l’hypothèse Asperger vient se mêler à celles-ci. 

Le talent de Franz Kafka fut salué comme celui d’un immense écrivain. Ses oeuvres, censurées et détruites pour d’évidentes raisons par les nazis, gardent un caractère terriblement prémonitoire et inquiétant. LA METAMORPHOSE, LE PROCES, LE CHÂTEAU, LA COLONIE PENITENTIAIRE… influencèrent un nombre incalculable d’écrivains. En France, ses textes traduits par Alexandre Vialatte, marquèrent profondément par exemple Albert Camus, dont L’ETRANGER peut être considéré comme un de ses héritiers spirituels. L’aliénation, l’oppression d’un pouvoir politique inaccessible, les conflits familiaux paroxystiques, la peur des actes de brutalité, les quêtes et transformations mystiques, sont devenus les thèmes éminemment « kafkaïens », cet adjectif étant devenu la représentation idéale de l’absurdité bureaucratique dont il fut le témoin. Un terme à rapprocher de l’exemple d’un autre célèbre écrivain, George Orwell, dont le nom a « débordé » sur le réel pour illustrer l’emprise des systèmes totalitaires sur l’individu.

Les cinéastes ont bien tenté d’adapter l’univers de Kafka, avec des résultats très discutables, tant l’oeuvre de l’homme de Prague est délicate à transposer. On peut citer son adaptation la plus connue : LE PROCES en 1961 par Orson Welles. Ou le film de Steven Soderbergh KAFKA (1991), fiction basée sur son univers littéraire, avec Jeremy Irons. D’autres films tentèrent de recréer, entièrement ou partiellement, l’ambiance et l’esprit de ses écrits : citons notamment LE LOCATAIRE (1976) de Roman Polanski, LA MOUCHE (1986) de David Cronenberg (qui cite volontairement les mots de l’auteur de LA METAMORPHOSE) ; ou OMBRES ET BROUILLARD (1991) de Woody Allen.

Cf. Woody Allen, George Orwell ; Meursault (L’ETRANGER), le Prince Mychkine (L’IDIOT).

 

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… Kandinsky, Vassily (1866-1944) :

Vassily Kandinsky, ou l’homme qui peignait les sons…

Le peintre russe eut une carrière tardive, commencée à trente ans, qui fut ni plus ni moins à l’origine d’un des très grands mouvements du 20ème Siècle : l’art abstrait. Vassily Kandinsky (orthographié aussi Vassili Kandinski) apporta sa propre révolution dans une période politiquement troublée, malmenée par l’émergence des dictatures européennes les plus violentes. Et si l’on dispose de peu d’informations sur la personnalité de Kandinsky (sans doute à cause d’une extrême discrétion), son nom est cité parmi d’éventuelles personnalités « Aspergers » en raison d’une particularité parfois constatée chez ces derniers : la synesthésie.

Ce mot savant cache un don assez étonnant, idéal pour tous ceux qui embrassent une carrière artistique. La synesthésie est un phénomène neurologique associant plusieurs sens entre eux ; l’un des exemples les plus connus étant l’association des lettres de l’alphabet à une couleur particulière. Il peut y avoir beaucoup d’autres types de synesthésies, et celle de Kandinsky a littéralement rejailli sur ses tableaux. Fasciné par les couleurs depuis son enfance, le peintre sut développer ce don en transformant les sons qu’il percevait en couleurs. Littéralement, il voyait les sons et entendait les couleurs, au point de faire de ses tableaux de véritables oeuvres musicales, titrant des séries entières « Improvisations » et « Compositions ».

Fils d’un marchand de thé, ayant passé sa jeunesse à Moscou et Odessa, Vassily Kandinsky étudia très jeune les arts et la musique. Son don se manifesta donc très tôt, stimulé par son éducation artistique. A ces talents, il faudra aussi rajouter, plus tard, un intérêt particulier pour l’étude de la psychologie, la musique de Wagner et l’ésotérisme théosophique. A l’Université de Moscou où il étudia le droit et l’économie, Kandinsky eut aussi l’occasion de faire des voyages formateurs, notamment en 1889, dans la région de Vologda ; en parcourant le pays pour étudier les coutumes de droit et le folklore russes, Kandinsky eut l’impression de pénétrer dans des tableaux dès lors qu’il entrait dans une maison ou un bâtiment colorés. La découverte par ailleurs d’une série de toiles de Monet, LES MEULES, bouleversa toutes ses conceptions sur la peinture en révélant l’action de celles-ci sur sa mémoire.

A trente ans, Kandinsky décida de franchir le pas et d’arrêter ses études pourtant prometteuses, pour se lancer dans la peinture, apprenant sa technique dans l’école privée d’Anton Azbe et à l’Académie des Beaux-Arts de Munich. Il élaborera ainsi toute une philosophie de l’art qu’il nommera la « nécessité intérieure », l’exprimant dans ses peintures comme dans des ouvrages théoriques, le fruit d’une très longue réflexion basée sur un intense besoin spirituel. Peu à peu, Kandinsky développera une technique « intutitive » très mûrie, associant chaque son à une couleur définie, penchant de plus en plus vers l’abstraction. 

Auprès d’autres peintres comme Paul Klee, Kandinsky fondera à Munich le mouvement Cavalier Bleu (nommé d’après une de ses toiles), dans le but de promouvoir l’art abstrait. Rappelé en Russie au début de la 1ère Guerre Mondiale, il se consacrera à l’enseignement analytique dans l’art et l’organisation de l’Institut de Culture Artistique. Malheureusement pour lui, la chute de l’Empire russe et l’arrivée au pouvoir des communistes le poussera à quitter son pays natal. Revenu en Allemagne pour rejoindre le Bauhaus de Weimar, Kandinsky s’y épanouira entre l’enseignement, la publication de ses théories (POINT ET LIGNE SUR PLAN, 1926) et la réalisation de ses toiles. Malheureusement, cette fois, ses peintures rencontrèrent l’hostilité des partis de droite. Après les fermetures et la dissolution officielle du Bauhaus, Kandinsky quitta l’Allemagne nazifiée pour vivre ses dernières années à Paris. Celles-ci constitueront la synthèse de l’ensemble de son oeuvre (avec notamment l’apparition d’étonnantes formes biomorphiques « foetales » dans ses toiles, et la finalisation de ses COMPOSITIONS), et seront vécues dans l’isolement. Eclipsé par les peintures cubistes et impressionnistes plus à la mode, Vassily Kandinsky aura cependant droit à une reconnaissance posthume, due aux efforts de son épouse Nina, qui saura obtenir la reconnaissance finale du talent de son mari, et sa place dans l’Histoire des grands peintres.

 

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… Kaufman, Andy (1949-1984) :

OVNI dans le monde des acteurs comiques américains… ou plutôt « Homme de la Lune » (pour citer la célèbre chanson des R.E.M., MAN ON THE MOON, écrite en son hommage) ? Très peu connu de ce côté-ci de l’Hexagone, Andy Kaufman doit une bonne partie de sa reconnaissance tardive au remarquable film homonyme de Milos Forman avec Jim Carrey. Andy Kaufman détestait porter l’étiquette de  »comique », et élabora en quelques années toute une série de canulars aux dépens du public, qui l’avait consacré star dans la populaire sitcom TAXI. Kaufman pratiquait de cette façon un humour très particulier, prenant un malin plaisir à embrouiller la tête de tout un chacun, pour mieux abolir les frontières traditionnelles de la réalité et de l’imagination. Il fallait un haut degré de folie pour oser malmener les conventions de l’humour télévisé américain, et Kaufman poussa le bouchon très loin, avec une belle inconscience. 

Parvenir à percer la personnalité du  »vrai » Andy Kaufman est une vraie mission impossible… Tant et si bien que les hypothèses diverses fleurissent sur le Net pour expliquer la bizarrerie de son humour : pourquoi pas, alors, le syndrome d’Asperger ? … Les informations disponibles sont presque inexistantes à ce sujet. Ne reste donc que le film de Forman, fidèle à la véritable histoire de Kaufman, et l’interprétation d’un Jim Carrey transformé, dans un de ses rôles les plus complexes aux côtés de celui de Joel, l’Aspie dépressif d’ETERNAL SUNSHINE OF THE SPOTLESS MIND.

Andy Kaufman aurait eu une enfance tout ce qu’il y a d’ordinaire, sans un don précoce pour la comédie et le spectacle – don qui, montré dans MAN ON THE MOON, inquiétait ses parents : le petit Andy préférant rester seul dans sa chambre devant un public imaginaire au lieu d’aller jouer avec ses camarades ! Sa carrière professionnelle fut météorique, dix ans à peine, après une période de vaches maigres dans les night-clubs et coffee shops de la côte Est des USA. Le film de Forman a su montrer les évolutions de la vie de Kaufman, artiste toujours caché derrière ses personnages. A commencer par le tout premier,  »l’Etranger », calamiteux imitateur censé venir d’une île perdue d’Europe de l’Est (qui coula !) avant de se transformer en un sosie parfait d’Elvis Presley. Le nom d’Andy Kaufman retint l’attention de l’agent George Shapiro, et le succès vint avec l’apparition mémorable de Kaufman dans la toute première émission du SATURDAY NIGHT LIVE SHOW en octobre 1975, où il croisa ce soir-là Dan Aykroyd, déjà cité dans ce blog ; puis ce fut la série TAXI lancée en 1978 qui fit de Kaufman une star. Le personnage de « l’Etranger » devint le doux dingue Latka Gravas, chauffeur de taxi atteint de troubles de personnalités multiples. Mais l’acteur, craignant de se voir enfermé dans ce personnage, développa à côté des numéros et des personnages ne correspondant en rien à ce que l’on attendait de lui… Notamment sa création la plus célèbre : l’infâme Tony Clifton, un horrible chrooner vulgaire, raciste et grossier, personnage créé et co-interprété avec son frère et son complice Bob Zmuda. Ce que montre le film est vrai : sans prévenir ses collègues, Kaufman se déguisa en Clifton, artiste invité sur le plateau de TAXI, et mit un tel chaos qu’il fut expulsé par la sécurité ! Plus tard, Kaufman et sa créature en vinrent même aux mains sous les yeux d’un public stupéfait, persuadé que l’acteur était Tony Clifton…

Celui-ci ne fut bien sûr qu’une des diverses créations de Kaufman, dont les  »happenings/canulars/numéros » devinrent de plus en plus osés. Loin du principe habituel de la caméra cachée, où le public rit aux dépens de la victime désignée, Kaufman renvoyait sans cesse ce dernier dans les cordes – littéralement car Kaufman, passionné de catch, organisa, parmi ses nombreux coups pendables, de faux pugilats avec le catcheur professionnel Jerry Lawler. La « dispute » fictive se poursuivit même dans une émission mémorable du talk-show de David Letterman. L’incident fit des émules pour d’autres amateurs de canulars, apparus chez Letterman, tels l’acteur Crispin Glover.

Il fallait cependant que le spectacle s’arrêta très tôt… Quand Andy Kaufman annonça à ses proches être atteint d’un cancer avancé, beaucoup crurent à une blague de mauvais goût. Le 16 mai 1984, l’artiste était enterré. La légende, elle, commença… Beaucoup croient encore malgré tout qu’Andy Kaufman, tel Elvis Presley, a simulé sa mort pour échapper à une célébrité écrasante. L’horrible Tony Clifton continue de sévir, près de trente ans après la mort de son créateur. Il vint même agresser Jim Carrey durant la promotion de MAN ON THE MOON. Etait-ce Bob Zmuda, sous le maquillage ? Un troisième larron déguisé ? Ou Andy Kaufman, en train de réaliser le plus long canular du show-business, à l’insu de tous ? Le mystère reste entier…

Et nous ne sommes pas plus avancés sur le vrai Andy Kaufman, si tant est qu’il y a réellement existé derrière tous ces personnages !

Cf. Dan Aykroyd, Crispin Glover, Robin Williams ; Joel Barish (ETERNAL SUNSHINE OF THE SPOTLESS MIND).

 

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… Kubrick, Stanley (1928-1999) :

Quel avenir professionnel peut bien avoir un jeune garçon juif du Bronx, très intelligent, très timide, et dont les notes à l’école et au lycée sont si faibles qu’il ne peut pas entrer à l’université ? A priori, on répondra : « aucun ». Comme quoi, il faut éviter les jugements hâtifs… 

Stanley Kubrick, malgré ce départ apparemment défaillant, laissa une marque exceptionnelle dans l’histoire artistique du 20ème Siècle. Photographe, puis réalisateur, monteur, scénariste et producteur de ses propres films, il a créé treize films en tout sur quarante-cinq années… peu de films, mais quels films ! Tous les cinéastes en activité reconnaissent unanimement son génie visionnaire ; exposés dès leur jeunesse aux images mémorables de DOCTEUR FOLAMOUR, 2001 : L’ODYSSEE DE L’ESPACE, ORANGE MECANIQUE, SHINING et tous les autres, Steven Spielberg, Ridley Scott, Martin Scorsese, Christopher Nolan, James Cameron, David Fincher, les frères Coen, Tim Burton, David Lynch, Nicolas Winding Refn ont tous reconnu avoir une dette immense envers l’oeuvre de Kubrick – et, pour les plus chanceux, des souvenirs mémorables. Les spectateurs du monde entier, eux, restent fascinés par l’univers unique de ses films. L’auteur de ces lignes peut se joindre à eux, 2001 : L’ODYSSEE DE L’ESPACE étant son film favori, et un de ses souvenirs les plus attendris, liés à une diffusion du film à la télévision, avec son père qui lui expliquait ses mystères au fil de l’histoire…

Apprécié de ses proches pour sa gentillesse, réputé pour sa curiosité intellectuelle absolue, son perfectionnisme sur les tournages et sa réserve envers la presse, Stnaley Kubrick a hérité d’une légende exagérée de « reclus mégalomane » qu’il n’était pas. Il ne supportait pas la médiocrité dans le travail, avait d’évidentes obsessions et se montrait impitoyablement lucide sur la nature humaine, et même quelque peu paranoïaque… Au fil des informations et anecdotes révélées à son égard dans les documentaires, il ne fait aucun doute que Stanley Kubrick présentait des traits évidents du syndrome d’Asperger.

Fils d’un médecin cardiologue et d’une mère artiste chanteuse et danseuse, tous deux d’origine juive austro-hongroise, le jeune Stanley Kubrick s’ennuyait ferme à l’école et au lycée, récoltant les pires notes de sa classe, sauf en sciences physiques. Il affirma ne se souvenir d’aucun livre notable avant d’avoir eu 19 ans, bien qu’ayant été initié au goût de la lecture par sa mère. Comme on le sait, sa passion pour la littérature influencera le choix de ses films, tous adaptés de romans, à partir de THE KILLING (L’ULTIME RAZZIA) en 1956. Grâce à son père, Kubrick aimait aussi le jazz et se vit même un temps en futur musicien professionnel. L’influence du père de Kubrick sera décisive pour les deux grands centres d’intérêt de son fils, à l’adolescence : il lui enseigna les jeux d’échecs, une discipline dans laquelle Kubrick excellait, comme on peut le voir sur des photos de tournage et dans certains de ses films (L’ULTIME RAZZIA, 2001 : L’ODYSSEE DE L’ESPACE et BARRY LYNDON), qui reproduisaient dans leur dramaturgie très particulière les schémas de ces mêmes jeux. Et, surtout, le cadeau d’un appareil photo Graflex pour les 13 ans de Kubrick déclencha tout : Kubrick fut embauché à 16 ans comme photographe indépendant par le magasine au nom prémonitoire, « Look ». Le « regard » de Kubrick sur l’actualité de son époque fut une étape décisive pour apprendre la prise de vues, et travailler un remarquable don de création visuelle ; Kubrick sera incollable sur les différents appareils et caméras, une qualité indéniable qui lui permettra de passer à la réalisation de documentaires et de maîtriser les aspects techniques de ses futurs chefs-d’oeuvre. Kubrick apparaît parfois sur ses photos, curieux jeune homme au costume serré et au regard semblant déjà branché sur l’au-delà… 

Parfaitement autodidacte, sans diplômes (il ne fréquenta la Columbia University qu’en auditeur libre), Stanley Kubrick posa ainsi les bases de son univers. Treize films, abordant les genres et les styles les plus variés, et dont la durée de tournage s’espacera de façon étonnamment mathématique au fil du temps : depuis FEAR AND DESIRE (qu’il refusa de voir exploité en salles) jusqu’à son film testament EYES WIDE SHUT, en passant par LE BAISER DU TUEUR, THE KILLING (L’ULTIME RAZZIA), LES SENTIERS DE LA GLOIRE (interdit de projection en France pendant 18 ans…), SPARTACUS (grand classique du péplum épique, un mauvais souvenir à Kubrick, engagé pour remplacer Anthony Mann en cours de tournage), LOLITA, DOCTEUR FOLAMOUR (ces deux derniers offrant des rôles mémorables à Peter Sellers), 2001 : L’ODYSSEE DE L’ESPACE, ORANGE MECANIQUE, BARRY LYNDON, SHINING et FULL METAL JACKET. Sans compter des projets de films restés inachevés (NAPOLEON, LE PARFUM, WARTIME LIES / ARYAN PAPERS…), et d’autres confiés à d’autres réalisateurs (comme A.I. INTELLIGENCE ARTIFICIELLE qu’il remit à Steven Spielberg en véritable marque d’héritage spirituel).

Stanley Kubrick, ce fut aussi une personnalité marquante, et un regard incroyable : sous deux grands sourcils en accent circonflexe, les yeux de Kubrick, à la fois malicieux et concentrés, semblaient pouvoir « scanner » leurs interlocuteurs et révélaient un univers intérieur d’une grande richesse. Dans son travail, le cinéaste se transformait : il voulait que chacun donne son maximum et se montrait redoutablement exigeant, sans être tyrannique pour autant. Son perfectionnisme le poussait à tout préparer et contrôler, jusqu’au doublage en langue étrangère, et le contrôle de qualité des copies projetées dans les salles du monde entier. Ceux qui ont pu visiter l’exposition qui lui a été consacrée à la Médiathèque ont pu voir un aperçu de sa méthode de travail, notamment via un tableau de production de 2001 : L’ODYSSEE DE L’ESPACE, d’une précision méticuleuse jusqu’au plus infime détail. Ce perfectionnisme a souvent été qualifié chez lui de maladif, les anecdotes sur les centaines de plans, répétés jusqu’à ce qu’il obtienne satisfaction dans ses derniers films, faisant désormais partie de sa légende. Ces répétitions n’avaient rien de capricieux. En bon « Aspie » créatif, Kubrick voulait arriver au bon résultat, quitte à ralentir ses tournages… Cette recherche obsessionnelle de la perfection, tout comme la recherche pointilleuse de nouveaux projets de films, affecta néanmoins le rythme de ses tournages – d’où sans doute la distance dans le temps séparant chaque tournage, comme une vraie suite mathématique : 3 ans entre 2001 et ORANGE MECANIQUE, BARRY LYNDON 4 ans après, SHINING 5 ans plus tard, 7 ans pour FULL METAL JACKET, et enfin 12 ans entre FULL METAL JACKET et EYES WIDE SHUT. Autre point typiquement « Aspie » relevé chez Kubrick par les témoignages de ceux qui travaillèrent et discutèrent avec lui : aucun sujet ne semblait devoir lui échapper, révélant un esprit curieux de tout et intarissable. D’où la variété des sujets abordés dans ses films : historiques, politiques, religieux, philosophiques, psychanalytiques, la déshumanisation des sociétés, les dangers de la Guerre Froide, l’existence du surnaturel, la conquête spatiale, et on en passe… 

Quelques observations particulières concernant 2001 : L’ODYSSEE DE L’ESPACE. La façon dont le film rassemble les oeuvres de diverses personnalités, citées en ces pages comme de très possibles Aspies, ne cesse d’intriguer. Kubrick s’inspire ouvertement et cite visuellement le long texte philosophique de Friedrich Nietzsche, AINSI PARLAIT ZARATHOUSTRA, qui inspira une célèbre symphonie de Richard Strauss devenue le « thème officiel » du film. Il y ajouta aussi le Monolithe Noir, inspiré par un texte de Carl Gustav Jung. Le médecin suisse ne croyait pas aux coïncidences, et Kubrick non plus. Nietzsche, Strauss, Jung et Kubrick ont probablement été des Aspies à des degrés divers… Encore plus étonnant, le film, voulu comme une totale « expérience non-verbale », est aussi une expérience sensorielle unique. La bande-son du film suggère très souvent une perception « autiste » du monde. Kubrick créa en effet une série d’effets sonores perturbants, obsédants : le souffle hypnotique des astronautes dans leur scaphandre, les divers signaux d’alarme poussés aux limites du supportable, les bruits de voix venus de partout et nulle part à la fois dans les dernières scènes, etc… Tous ces sons évoquent ce que peuvent parfois ressentir une personne autiste et/ou Aspie. Kubrick n’a pas non seulement ouvert une porte sur les mystères de l’Espace-Temps avec son film, il en a aussi ouvert une sur l’inconscient collectif…

Bien entendu, un homme pareil ne pouvait que susciter parfois méfiance et incompréhension de la part d’une presse mal informée, lui collant vite fait mal fait une réputation de fou enfermé chez lui. Kubrick fuyait simplement les mondanités, préférant travailler en toute tranquillité et indépendance, après son départ pour l’Angleterre suivant la mauvaise expérience de SPARTACUS. Marié pour la troisième fois avec son épouse Christiane (la jeune allemande chantant à la fin des SENTIERS DE LA GLOIRE… aussi la nièce du cinéaste pro-nazi Veit Harlan !), heureux père de famille, Kubrick vivait dans une grande propriété, entouré de chiens et de chats, et aimait préparer ses futurs projets loin du tintamarre hollywoodien. Ce besoin de tranquillité d’esprit s’accompagnait aussi d’une certaine forme de paranoïa, au vu des nombreuses caméras de surveillance entourant son domaine. Depuis cette demeure, il restait cependant en contact avec ses proches, ses contacts professionnels et n’hésitait pas à rencontrer ou téléphoner à de jeunes collègues prometteurs.

Les anecdotes fourmillent aussi sur les relations, parfois curieuses, qu’entretenait Kubrick avec ses collaborateurs. Le syndrome d’Asperger probable de Kubrick pouvait aussi bien se traduire par de passionnantes discussions et échanges de points de vues, mais aussi de curieux revirements qui en décontenancèrent plus d’un. Tels le compositeur Alex North, auteur de la superbe partition de SPARTACUS, apprenant que sa musique de 2001 : L’ODYSSEE DE L’ESPACE fut abruptement rejetée par Kubrick. Ou l’acteur Malcolm McDowell, qui garda un souvenir merveilleux de son travail avec le cinéaste sur ORANGE MECANIQUE, mais fut fort déçu de voir ce dernier ne plus prendre contact avec lui, par la suite… Ces « ruptures » subites n’empêchaient pourtant pas Kubrick de reprendre une conversation avec son interlocuteur, des mois après l’avoir interrompue ; interlocuteurs souvent stupéfaits de voir le cinéaste continuer précisément la discussion là où elle était restée en suspens, sans donner l’impression de le remarquer ! 

Le très probable syndrome d’Asperger dont était atteint Stanley Kubrick a certainement aussi joué un rôle dans l’incompréhension de son oeuvre par les critiques professionnels ; beaucoup d’entre eux lui ont régulièrement reproché à tort la froideur et l’inhumanité de ses films, sans chercher à voir plus loin. Une accusation qui reflète à sa façon l’incompréhension générale entourant nombre de personnes Aspies. Certes, une impression de froideur transpire souvent des films de Kubrick, particulièrement les derniers ; mais en réalité, il refusait simplement le sentimentalisme facile. Brillantes constructions intellectuelles, esthétiquement et techniquement parfaits, les films de Kubrick ne sont pourtant pas dénués d’émotion. Le cinéaste était un être humain, après tout, et non une machine à la HAL 9000. Seulement, dans ses films, l’émotion était avant tout  »intérieure », exigeant un effort d’attention du spectateur ; et d’ailleurs, les séquences émouvantes ne manquent pas chez Kubrick. La scène finale des SENTIERS DE LA GLOIRE, celle de SPARTACUS, la mort de l’enfant de BARRY LYNDON, la déconnection d’HAL dans 2001 sont là pour le prouver… Tout comme les derniers instants apaisés d’EYES WIDE SHUT, se terminant sur une chute malicieuse (et grivoise !) du maître, parti dans son dernier sommeil le 7 mars 1999. Vers Jupiter, et au-delà de l’Infini… 

- cf. Ludwig Van Beethoven, Tim Burton, Carl Gustav Jung, Friedrich Nietzsche, Richard Strauss, Steven Spielberg, Robin Williams ; David (A.I. INTELLIGENCE ARTIFICIELLE), HAL 9000 (2001 L’ODYSSEE DE L’ESPACE)

 

à suivre…

 

Ludovic Fauchier.

2 commentaires à “Aspie, or not Aspie ? Le petit abécédaire Asperger, chapitre 10”


  1. 0 Akiban 23 août 2014 à 11:26

    Cet article a presque deux ans mais je vais quand même laisser un commentaire.
    Je m’intéresse au cinéma, et à l’art en général. Je cherche à comprendre ce qu’il implique, et voilà : j’ai un avis légèrement différent sur les particularités de Stanley Kubrick.
    Je n’ai pas de connaissances approfondies sur l’autisme Asperger. Mais tout peut-être interpréter autrement, de la manière suivante :
    Ma perception à moi, c’est qu’il était l’un des hommes les plus intelligents qui ait jamais existé. La plupart des grands réalisateurs paraissent vraiment intelligents, mais je pense que Kubrick était encore un cran au dessus de ça.
    Son don artistique était incroyablement développé, et sa perception de l’âme humaine relevait presque du sixième sens tant elle était profonde et limpide.
    Le perfectionnisme, aussi marqué soit-il, n’est pas forcément lié à l’Asperger. Je pense que son travail était tellement profond et complexe qu’il était le seul à percevoir certains détails. Douze ans c’est un temps énorme pour préparer un seul film. Mais si vous êtes un génie unique en votre genre et que chaque année permet d’obtenir un meilleur résultat, alors autant le faire. On a pas finit de les décortiquer les films de Kubrick.
    Avoir l’esprit curieux de tout et intarissable, ce n’est pas non plus uniquement Asperger. Si comme je le pense il avait l’esprit phénoménalement doué, il n’y a rien d’étonnant. Selon moi il voyait tellement loin qu’à travers cette variété de sujets il retrouvait toujours les questionnements qui lui étaient propres.
    Lorsque Kubrick fait tous ces liens dans 2001… Pourquoi cela illustrerait-il son fonctionnement ? Sa clairvoyance était telle qu’il a certainement tout simplement perçut les points communs entre ces différentes œuvres. Tout ça décrit quelque chose. C’est un artiste. Il n’a certainement pas fait 2001 pour y montrer son autisme Asperger. Il y transmet autre chose, tout ça est maîtrisé. Par contre, il n’est pas du tout facile d’en saisir le sens.
    Les ruptures artistiques peuvent témoigner d’une incompréhension des collaborateurs de Kubrick face à ses choix, ce qui une fois de plus serait tout à fait prévisible. Ils croyaient être en terrain connus, ils ne l’étaient pas. Ils n’avaient aucune idée de ce que Kubrick faisait. Je pense que sa précision était telle qu’il choisissait même les artistes pour leur inconscient : c’est pour ça qu’ils ne pouvaient pas convenir plusieurs fois.
    Je n’ai jamais trouvé les films de Kubrick froids. Ils ne sont pas démonstratifs. Il s’agit de constructions très méticuleuses, il y a bien plus que les émotions. Elles sont inclut dans une vision beaucoup beaucoup plus large des personnages. Mais clairement elles y sont. Elles sont mesurées.
    Finalement, pourquoi ce commentaire ? Parce que je pense qu’associer l’autisme Asperger à Stanley Kubrick peut mener à une mauvaise interprétation de son oeuvre. La plupart des traits perçus comme tel sont en fait, pour moi, des partis pris artistiques. Ils ont un sens. Ils sont voulus. Tout ça décrit une vision incroyablement puissante de la réalité humaine.
    Il serait dommage de considérer comme des traits autistiques ce qui est en fait probablement les bases du raisonnement étincelant d’un génie dont on a pas finit d’apprendre de ses films.

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    • 1 kingludo 24 août 2014 à 12:24

      Mon cher Akiban,
      je viens de lire ton commentaire au sujet de ce texte sur Stanley Kubrick, et je vais te répondre pour clarifier quelques points… J’espère que tu me pardonneras le tutoiement et l’usage de ton pseudonyme dans ce message.

      Tout d’abord, sache que je partage totalement ton opinion sur le talent et le génie de Stanley Kubrick, qui reste l’un des cinéastes (et l’un des artistes) les plus exceptionnels du 20ème Siècle. Et, la documentation aidant (livres, interviews, etc.), on ne peut que confirmer et respecter l’intelligence et la vision de cet homme, qui transparaît dans ses films.

      Si j’ai choisi d’inclure Stanley Kubrick dans cette liste de personnalités probablement autistes Asperger, ce n’est pas pour en faire une interprétation réductrice. Je ne suis pas du tout psychologue ou psychiatre, et je ne cherchais pas à pointer du doigt telle ou telle personnalité célèbre pour dire : « regardez ! C’est un(e) autiste ! ». J’ai souvent répété à travers cet abécédaire que, la plupart du temps, les cas cités étaient des hypothèses. Celles-ci ont parfois été confirmées, et parfois invérifiables, soumises à la subjectivité des interprétations. Même les spécialistes de l’autisme Asperger sont souvent loin d’être d’accord entre eux… Je tiens à rappeler qu’étant moi-même autiste Asperger, je ne vois pas du tout le syndrome d’Asperger comme un handicap insurmontable, qui frapperait des gens par des tics à la Rain Man. On peut très bien être intégré, vivre une belle vie et même (dans le cas qui nous intéresse) changer le monde. En rattachant (sur une simple supposition subjective) Kubrick à l’autisme, je ne cherchais pas à donner une explication simpliste ; pour moi, il s’agit d’une immense qualité, mal comprise, qui pourrait expliquer son intelligence extraordinaire, autant que son comportement souvent jugé déroutant, surtout pour ceux qui le connaissaient très mal… Je mets le conditionnel qui s’impose, car, encore une fois, je ne peux être sûr à 100 % de ce que j’ai affirmé au sujet du cinéaste… disons plutôt que j’en suis sûr à 98 % !

      Dans le cas de 2001 : L’Odyssée de l’Espace, je maintiens ce que j’ai pu écrire à l’époque ; Kubrick a travaillé une bande son unique en son genre (rien à voir avec les films de l’époque)… et cette bande son (le souffle hypnotique des astronautes, les signaux d’alarme stridents, les bruits étranges de la chambre Louis XVI des scènes finales) a une qualité « sensorielle » qui évoque, à mon sens, ce que peut ressentir une personne Asperger. Les personnes autistes sont très sensibles aux bruits (c’est mon cas), et, en cas de « surcharge » auditive, sont particulièrement touchées par des sons similaires à ceux entendus dans le film de Kubrick. Bien sûr, ce n’est une interprétation subjective.

      Voilà, j’espère que cette réponse n’aura pas été trop longue ou trop confuse, et je te souhaite, Akiban, une excellente journée.

      Cordialement,

      Ludovic Fauchier (autiste Asperger, et fier de l’être !).

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