Archives pour juin 2013

Bandes-annonces !

Bonsoir à tous ! Après une interruption volontaire pour cause de « bouclage » d’abécédaire Asperger surchargé, on se remet en jambes avec quelques petites bandes-annonces visibles en ce moment sur le Net, concernant quelques films que l’on espère excitants…

 

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Le 17 juillet prochain, ça va barder dans les salles ! Imaginez : des monstres géants envahissent la Terre, seuls les Jaegers, des robots tout aussi gigantesques, peuvent les arrêter… Oh, mon Dieu : Goldorak Vs. Godzilla ! Patlabor Vs. le Grand Cthulhu ! Gundam Vs. le Monstre des Temps Perdus ! Le mexicain fou Guillermo Del Toro (LE LABYRINTHE DE PAN, HELLBOY, BLADE II, L’ECHINE DU DIABLE) nous concocte un PACIFIC RIM qu’on attend de pied ferme. Avec en prime : des combats d’arts martiaux, des japonais qui fuient, des destructions massives, l’indispensable Ron « Hellboy » Perlman et plein d’autres bonnes choses. On prend les paris, ce film va être le spectacle jouissif de l’été !

 

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Sortie le 23 octobre prochain de GRAVITY, le nouveau film d’un autre brillant mexicain, Alfonso Cuaron (le magnifique LES FILS DE L’HOMME), qui nous entraîne à la suite de George Clooney et Sandra Bullock en orbite terrestre. Comme le montre la bande-annonce, les choses vont très mal se passer. Film déconseillé, apparemment, à ceux qui ont le vertige…

 

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Le 11 décembre, nous retrouverons ce patachon de Bilbo(n) Sacquet, Gandalf et les treize Nains, sur le chemin de leur royaume perdu. La première bande-annonce du HOBBIT : LA DESOLATION DE SMAUG met l’eau à la bouche. Au programme, Beorn l’homme-ours, les Araignées, un saisissant aperçu de l’infâme dragon Smaug (voix de Benedict Cumberbatch, génial dans SHERLOCK), l’archer Bard (Luke Evans) et beaucoup d’action elfique. Ce bon vieux Legolas (Orlando Bloom) is back ! Et en fort charmante compagnie, avec Tauriel (Evangeline Lilly, de LOST), une elfette énergique qui se joint à l’aventure.

 

Bientôt, d’autres bande-annonces. Et je vous parlerai de MAN OF STEEL, promis… dès que je trouverai le temps d’aller voir le film !

 

Ludovic Fauchier.

Aspie, or not Aspie ? – Conclusion

Aspie, or not Aspie ? - Conclusion dans Aspie 2001-pour-conclure

CONCLUSION

Fin du voyage ? Ce « petit » abécédaire des Aspergers a fini par devenir un véritable essai de 300 pages, dont la rédaction a parfois échappé à son auteur. Les courtes notices du début ont souvent débordé, en biographies fleuves parfois victimes du piège  »wikipédien » ; mais on aura fait ce qu’on a pu, avec les moyens du bord… Neuf mois ont passé, le bébé est arrivé à terme, il est en pleine forme et, depuis l’orbite terrestre, ouvre bien grand les yeux sur un avenir étrange, effrayant, plein de promesses et d’épreuves… Allusion kubrickienne mise à part, cette conclusion vient à point nommé pour revoir rapidement quelques points, concernant le syndrome d’Asperger et ses singuliers personnages.

Ce fut un voyage plein de surprises, généralement plaisantes ; en me lançant dans l’étude de personnages et de biographies, j’ai pu réfléchir à quelques idées qui ne m’étaient pas évidentes au premier abord. Je dois l’avouer, j’ai entamé cet abécédaire assez égoïstement ; rassembler ces 138 personnages, réels ou fictifs, autistes confirmés ou supposés, a été l’occasion de m’inventer une seconde famille. Dans les moments de doute ou de déprime, se sentir ainsi lié par le syndrome d’Asperger, à des Kubrick, des Einstein, des Spielberg, des Jung, des Nietzsche et autres vous fait vous sentir moins seul, et plus confiant dans vos capacités. Cela peut sembler assez vaniteux, je suppose ; cependant, je ne crois pas m’être mis au même niveau que ces géants. Mais si quelques personnes ayant lu ce blog se sont reconnues dans ces personnages et en tirent une certaine fierté, cela aura été sans doute une bonne chose. Pendant la période où j’ai écrit cet abécédaire, des lecteurs vivant avec le syndrome d’Asperger m’ont contacté et encouragé à continuer sur cette voie ; je les en remercie chaleureusement, et je leur souhaite les meilleures choses pour le reste de leur vie. Je profite de l’occasion d’ailleurs pour remercier également ma famille, mes amis, mes thérapeutes, et toutes les personnes qui m’ont encouragé à tenir ce blog.

Au cours de l’écriture de cet abécédaire, beaucoup de noms ont été oubliés… Soit par ignorance complète de l’auteur, soit parce que leurs noms ne lui sont revenus en mémoire qu’après coup, soit encore, le plus souvent, parce qu’il s’agit de simples hypothèses difficiles à confirmer. Même chez les spécialistes de l’autisme, il y a souvent sujet à débat. Certains mêmes ont subi les foudres compréhensibles de leurs confrères pour avoir cité des personnages réels franchement détestables, comme… Adolf Hitler ou le tueur en série Jeffrey Dahmer. Bigre. Restant persuadé que les autistes sont des personnes par nature pacifique, je reste perplexe quant à ces affreux bonhommes ; s’il est possible que le dictateur nazi ait pu avoir, dans sa jeunesse, des attitudes évoquant l’autisme, il faut aussi se rappeler que les études et hypothèses contradictoires sur son cas sont si nombreuses que l’hypothèse « Aspie » me semble douteuse. Par contre, il est possible que la mère d’Hitler, elle, ait pu être partiellement autiste. Même chose concernant Dahmer ; si son enfance semble correspondre à celle d’un jeune Aspie, la violence et l’horreur de ses actes criminels cadrent mal, je le répète, avec le profil type de l’autiste Asperger. Hypothèses à traiter avec prudence, car nous sommes ici dans un autre domaine d’études, celui de la psychopathologie.

Bien plus dignes d’intérêt, les personnages réels suivants, ont ou ont pu avoir le syndrome. Rappelez-vous que ce ne sont, dans la plupart des cas, que des suppositions, et pas nécessairement des diagnostics avérés. Il sera toujours possible d’en débattre, ou de contester certains noms. Qui seraient-ils ? :

- des écrivains et gens de lettres, comme James M. Barrie (le père de PETER PAN), Samuel Beckett, Lewis Carroll, Arthur C. Clarke, Fiodor Dostoievski, Arthur Conan Doyle, Mark Haddon (auteur du BIZARRE INCIDENT DU CHIEN PENDANT LA NUIT), Michel Houellebecq, James Joyce, Stephen King, Herman Melville, Vladimir Nabokov, Françoise Sagan, Joseph Schovanec (figure familière des documentaires sur l’autisme à la télévision française, auteur de l’excellent JE SUIS A L’EST ! où il raconte sa vie d’Aspie avec beaucoup de lucidité et d’humour, et que j’ai complètement oublié dans mon abécédaire… honte à moi.), Jonathan Swift, William Butler Yeats…

- des musiciens, comme David Byrne (créateur, chanteur et guitariste des Talking Heads), George Harrison (et non pas John Lennon comme je le supposais d’abord. Je me suis trompé de Beatles !)…

- des cinéastes, comme, peut-être, James Cameron, Francis Ford Coppola, David Cronenberg, Brian DePalma, David Fincher, John Ford, Michel Gondry, David Lean, David Lynch, Terrence Malick, Christopher Nolan, Nick Park (créateur de WALLACE ET GROMIT), Ridley Scott, Lars Von Trier, Orson Welles, Wim Wenders, Nicolas Winding Refn, Robert Zemeckis… Ce métier favoriserait-il donc les personnalités autistiques ?

- des scientifiques, comme Marie Curie, sa fille Irène Joliot-Curie, Richard Feynman, Alfred Kinsey, Carl Sagan…

- des acteurs et actrices, comme Greta Garbo, Buster Keaton (pour le « masque » impassible, même dans ses plus dangereuses cascades), ou plus près de nous, Johnny Depp (sa filmographie parle pour lui, non ?), Joaquin Phoenix, Keanu Reeves…

- des philosophes, comme Emmanuel Kant, Baruch Spinoza, voir même Socrate…

- des artistes, comme Antoni Gaudi, John Nash (l’architecte de Buckingham Palace), Suzanne Valadon…

- et plein d’autres personnalités atypiques : Eamon de Valera (le père politique de l’Irlande libre), Grace Hopper (à la fois amiral de la marine américaine, et informaticienne à qui l’on doit notamment le langage COBOL), le général confédéré Thomas Jonathan « Stonewall » Jackson, notre infortuné roi Louis XVI, Gene Roddenberry (le créateur de STAR TREK, ce qui expliquerait bien des choses sur Spock et Data…)… et enfin, Léonard de Vinci en personne.

Une bien belle liste qui pourrait déjà fournir la base d’un possible second volume de l’abécédaire, on ne sait jamais… Liste qui se complèterait de personnages fictifs, possibles autistes et Aspies intéressants : 

Wednesday Addams (Christina Ricci), la fillette gothique impassible des films de LA FAMILLE ADDAMS ; Ash (Ian Holm) et Bishop (Lance Henriksen), inquiétants androïdes de la série des films ALIEN ; Mr. Bean (Rowan Atkinson), pâle imitation de Monsieur Hulot et de Peter Sellers ; Ben (Greg Timmermans), le héros du film BEN X ; Christopher John Francis Boone, héros du roman LE BIZARRE INCIDENT DU CHIEN PENDANT LA NUIT ; Peter Brand (Jonah Hill) dans le film MONEYBALL (LE STRATEGE) avec Brad Pitt ; Seth Brundle (Jeff Goldblum), avant son horrible métamorphose dans LA MOUCHE ; Dilbert, anti-héros de la b.d. homonyme ; Andy Dufresne, héros de la nouvelle de Stephen King RITA HAYWORTH AND THE SHAWSHANK REDEMPTION, incarné au cinéma par Tim Robbins dans le film LES EVADES (THE SHAWSHANK REDEMPTION) ; l’odieux Basil Fawlty (campé par le génial John Cleese) dans FAWLTY TOWERS ; Rob Gordon, le collectionneur  »incurable » de 33 tours dans HIGH FIDELITY, le roman de Nick Hornby adapté en film (où il est joué par John Cusack) ; Jean-Baptiste Grenouille, l’assassin obsédé par les odeurs des femmes dans LE PARFUM, roman de Patrick Süsskind devenu un film avec Ben Whishaw ; Heidi (Abbie Cornish) dans SOMERSAULT ; Dwayne Hoover (Paul Dano) mutique lecteur de Nietzsche, passionné d’aviation, dans LITTLE MISS SUNSHINE ; L.B. “Jeff” Jeffries (James Stewart), l’inoubliable voyeur hitchcockien de FENÊTRE SUR COUR ; Julius Kelp (Jerry Lewis), maladroit professeur amoureux dans le film THE NUTTY PROFESSOR (DOCTEUR JERRY ET MISTER LOVE) ; Rizwan Khan (Shah Rukh Khan) dans MY NAME IS KHAN ; le sinistre docteur Hannibal Lecter des romans de Thomas Harris et des films avec Anthony Hopkins (mémoire photographique, connaissances encyclopédiques, culture phénoménale, esprit analytique aiguisé… cela collerait, s’il n’avait pas ses goûts culinaires curieux) ; Alexander Ivanovich «Sacha» Loujine (John Turturro) dans LA DEFENSE LOUJINE ; les jumeaux fusionnels Beverly et Elliot Mantle (Jeremy Irons) dans FAUX SEMBLANTS ; Donald Morton et Isabelle Sorenson (Josh Hartnett et Radha Mitchell) dans MOZART AND THE WHALE (en français, CRAZY IN LOVE…) ; Bertram Potts (l’irrésistible Gary Cooper), savant linguiste rigoureux et  »décongelé » par Barbara Stanwyck dans BOULE DE FEU ; le nouveau Q (Ben Whishaw, encore lui) dans SKYFALL ; Adam Raki (Hugh Dancy) dans ADAM ; Sai, le ninja dessinateur du manga NARUTO ; Holly Sargis (Sissy Spacek), compagne  »détachée » d’un tueur fou en cavale, dans BADLANDS ; Sonny (Alan Tudyk) et le docteur Susan Calvin (Bridget Moynahan) dans le film I,ROBOT inspiré d’Asimov ; Melvin Udall (Jack Nicholson), écrivain bourré de TOCS dans POUR LE PIRE ET POUR LE MEILLEUR ; Carrie White, la souffre-douleur de son lycée, dans le roman de Stephen King (tiens…) CARRIE, incarnée par Sissy Spacek (hello again) dans le film de Brian DePalma (tiens, tiens…) ; Roy Waller (Nicolas Cage), arnaqueur ravagé par les phobies multiples dans MATCHSTICK MEN (LES ASSOCIES, film de Ridley Scott) ; et le trio terrible d’EASY RIDER, les motards Wyatt et Billy (Peter Fonda et Dennis Hopper), et l’avocat George Hanson (Jack Nicholson, encore vous !)…

On m’avait fait remarquer que la majeure partie des figures historiques présentées ici viennent de la culture anglo-saxonne, ou germanique. Très peu de français certifiés « Aspies », en revanche, et pour les autres cultures, pratiquement rien… Il faut bien sûr se rappeler que les portraits présentés ici sont celles de personnes d’exception, dont le parcours est sorti des sentiers battus pour des motifs souvent très différents. Et il faut se rappeler que si la majeure partie des personnes vivant avec le syndrome vivent très bien leur vie (du moins je le leur souhaite) sans avoir à devenir une célébrité dans leur domaine. Cela dit, il me semble que l’on a reconnu beaucoup plus de personnes autistes dans les pays anglo-saxons, germaniques ou nordiques, que partout ailleurs. Serait-ce une question de culture ? En France, pendant longtemps, le sujet a été traité comme un tabou honteux. Encore aujourd’hui, l’autisme et le syndrome d’Asperger dérangent, hélas. Une amie m’a récemment appelé, en colère contre l’institutrice de son fils ; celle-ci avait exclu du spectacle de fin d’année l’un de ses camarades, un petit garçon Aspie trop timide, et cherchait à le faire redoubler parce qu’il ne participait pas en classe… Voilà un exemple navrant de ce qui arrive encore de nos jours, dans notre pays, vis-à-vis des jeunes autistes. Pour ce qui est des autres pays, j’avoue être totalement ignorant sur la façon dont sont ceux-ci sont traités. Qu’en est-il dans les pays d’Europe méditerranéenne, en Afrique, dans les pays arabes, en Asie, en Amérique latine ? Et y a-t-il des cas de personnages célèbres, liés à ces cultures différentes du modèle anglo-saxon, qui aient réussi malgré leurs difficultés ?

Une autre observation : dans les profils des personnages historiques abordés en ces pages, on a pu constater d’étonnantes similarités de parcours, des rencontres décisives, des influences communes, d’étranges coïncidences, voir même des prémonitions… La plupart des personnes historiques décrites en ces pages ont souvent souffert de différences parfois impossibles à exprimer, ou à identifier compte tenu de la méconnaissance de l’autisme en leur temps. Pourtant, ils ont su faire la différence, changé la société, ouvert des voies nouvelles dans leur domaine de prédilection. Here’s to the crazy ones, disait la publicité d’une célèbre marque à la pomme… Tous n’avaient pas la même éducation, la même culture, ni la même personnalité, et si leurs histoires ne sont pas les mêmes, on retrouve certaines similarités dans celles-ci. Inconsciemment, ces hommes et femmes remarquables ont suivi un parcours mythologique, au sens noble du terme. Cela n’est pas à prendre au sens littéral ; point de trésors cachés, d’anneaux magiques ou de princesses en péril ici. Mais il faut juste se rappeler que n’importe quelle vie, n’importe quelle personne, vit son propre récit - son propre mythe. Ceux cités en ces pages ont vécu – ou vivent – leur propre parcours mythologique, même dans les circonstances les plus banales. L’exemple de Temple Grandin, raconté par elle-même dans son livre MA VIE D’AUTISTE, a su parfaitement décrire cela ; « prisonnière » de son handicap, elle a su remarquablement le retourner à son avantage. En se représentant les étapes importantes de sa vie comme autant de portes à franchir, elle a utilisé à merveille la métaphore du seuil, typique de la mythologie. Elle n’a certes pas guéri de son handicap, mais elle l’a apprivoisé. Cette femme jugée « bizarre », qui enfant suscitait moqueries ou méfiance, est devenu aujourd’hui une adulte respectée et appréciée. Elle a su bénéficier de l’aide patiente de quelques proches, surtout de sa mère et d’un professeur l’ayant encouragé à développer son originalité. L’exemple de Grandin rejoint ainsi celui d’autres personnes citées dans cet abécédaire ; on peut voir à quel point elles ont pu trouver un soutien important auprès d’un des parents, voir des deux, et d’un mentor. Le rôle de ces figures formatrices est fondamental dans le développement de la personne autiste. Dans toute quête, vient finalement le moment où la personne concernée ne peut plus compter que sur elle-même, malgré l’aide des amis et des mentors ; l’exemple de ces autistes célèbres devrait amener à faire réfléchir. L’aventure n’est certes pas sans risques, ni souffrances, impasses psychologiques ou crises graves, mais elle en vaut la peine. Pour ma part, les métaphores visuelles de 2001 : L’ODYSSEE DE L’ESPACE me sont toujours d’une grande aide. Franchir le seuil consiste, dans le film de Kubrick, à sortir de sa caverne, sortir de la sécurité du monde des machines, et oser se jeter dans l’inconnu à travers une porte stellaire.

 

Toujours franchir le passage, donc, malgré le danger et la peur.  Fin de transmission.

 

Ludovic Fauchier.

 

« Le docteur m’a dit qu’un jour, peut-être, on trouvera un médicament pour me guérir. (…) Mais je crois que je ne veux pas être guéri. En fait, la vérité, c’est que, finalement… j’aime bien être un Aspie. »

- Max (Philip Seymour Hoffman), dans le film MARY & MAX.

Aspie, or not Aspie ? – Le petit abécédaire Asperger, chapitre 20

X-Y-Z, comme… :

 

Aspie, or not Aspie ? - Le petit abécédaire Asperger, chapitre 20 dans Aspie z-mark-zuckerberg-asperger-200x300

… Zuckerberg, Mark :

Ironie du sort, cet abécédaire se conclut avec celui qui, malgré lui, a tout déclenché… Le portrait fait de Mark Zuckerberg, le jeune fondateur milliardaire de Facebook dans le film THE SOCIAL NETWORK de David Fincher, était celui d’un brillant jeune homme, un génie dans son domaine, mais dramatiquement incapable d’établir de saines relations avec ses proches. Ce portrait, largement fictionnalisé – on y reviendra -, avait l’intérêt particulier de montrer au grand public un véritable cas de syndrome d’Asperger. Tout y était : le visage « fermé » et concentré en permanence de Zuckerberg (magistralement interprété par Jesse Eisenberg), ses réponses cinglantes (souvent à la limite de la plus élémentaire correction), son intérêt absolu pour les sciences informatiques et les mathématiques, ses innombrables manies, et surtout une incapacité totale à vivre les relations humaines les plus élémentaires, qui lui coûtera aussi bien une rupture avec sa petite amie de l’époque que la fin de son amitié avec Eduardo Saverin (joué par Andrew Garfield), le co-fondateur de Facebook. La réaction fut immédiate, les publications sur le Net concernant le syndrome dépeint dans le film fleurirent, au grand dam du vrai Zuckerberg qui dut faire une mise au point. Réalité ou non, après tout peu importe ; le film a mis en avant les caractéristiques « autistiques » du personnage Zuckerberg, et il n’est finalement pas étonnant d’avoir vu subitement fleurir, dans le sillage du succès du film, des dizaines de personnages Aspies dans les séries et films, ces dernières années. En tout cas, pour votre serviteur alors en thérapie, le film fut une révélation, lui donnant quelques idées ayant finalement mené à cet abécédaire.

Savoir si le vrai Mark Zuckerberg est effectivement atteint du syndrome d’Asperger est une question très délicate. On peut constater cependant qu’à l’instar de ses prédécesseurs et inspirateurs les plus célèbres (les vieux ennemis Bill Gates et Steve Jobs), Zuckerberg s’est illustré dans un domaine où beaucoup d’Aspies sont généralement à leur avantage. Le parcours de ce jeune homme sans problèmes, issu d’une famille juive new-yorkaise, a de quoi impressionner. Mark Zuckerberg a non seulement révolutionné, à force de travail, le monde de l’informatique et du numérique, il a aussi transformé le monde du 21ème Siècle par sa création : le fameux site de réseau social Facebook, qui l’a rendu multimilliardaire à un âge où tant d’autres jeunes gens peinent à trouver un emploi correct. Fils d’un dentiste (quelle ironie quand on porte un nom signifiant « Montagne de Sucre » !) et d’une psychiatre, Mark Elliot Zuckerberg est né à White Plains, New York, le 14 mai 1984, soit l’année où Steve Jobs lance la révolution informatique d’Apple ; un signe des temps, sans aucun doute. On ne trouvera a priori aucunes traces d’autisme chez le jeune Zuckerberg ; le seul handicap qu’on lui connaît est un daltonisme le rendant très sensible à la couleur bleue, la future couleur dominante de Facebook. Après une scolarité a priori normale, la passion de Mark Zuckerberg sera initiée dans les années 1990 par son père. Féru d’informatique, papa Zuckerberg lui apprit la programmation BASIC d’Atari ; il engagea David Newman, un développeur de software professionnel, pour enseigner en privé au jeune garçon les sciences de l’informatique. Newman fut vite impressionné par les capacités du jeune garçon, un vrai prodige, « difficile à devancer » selon ses propres termes. Au lycée (Ardsley puis Phillips Exeter Academy), Marl Zuckerberg fut un excellent élève, lauréat de nombreux prix en mathématiques, astronomie et physique, doué en langues (il lit et écrit le français, l’hébreu, le latin et le grec). Particulièrement passionné par la mythologie grecque, le jeune homme était capable de réciter par coeur des passages d’oeuvres telles que L’ENEIDE ou L’ILIADE. Certainement surdoué, mais pas pour autant un « geek » renfermé dans sa chambre, Mark Zuckerberg était de l’avis général un jeune garçon bien intégré, socialement parlant, dans les lycées où il étudiait - il suivit aussi un cours d’études supérieures à Mercy College, en plus de sa scolarité. Jeune maître de la programmation informatique (spécialement des outils de communication et des jeux), obsédé par l’importance de la communication et du partage, Mark Zuckerberg sut mettre en pratique son talent naissant, créant le réseau « ZuckNet » pour lier les ordinateurs de sa maison avec celui du bureau paternel, devançant ainsi d’un an le système créé par AOL Instant Messenger. Durant ses années de lycée, il créa aussi le Synapse Media Player,  programme d’intelligence artificielle capable d’apprendre et retenir les goûts musicaux de ses utilisateurs. Microsoft et AOL essayèrent de le recruter et d’acheter Synapse, mais Zuckerberg garda ses distances, pour poursuivre des études supérieures à Harvard en septembre 2002, y étudiant particulièrement la psychologie et les sciences informatiques. 

Zuckerberg y rencontra ses futurs associés créatifs de Facebook, ses camarades d’études Eduardo Saverin, Chris Hughes et Dustin Moskovitz. Il créa CourseMatch, un programme de sélections de classe, pour aider à la formation de groupes d’études chez ses camarades. Puis vint « l’incident Facemash », décrit au début de THE SOCIAL NETWORK ; une mauvaise blague de potache qui naquit le 28 octobre 2003. Rentré ivre dans son dortoir, Zuckerberg se répandit en commentaires insultants sur son blog, tout en consultant les « facebooks » (comprendre : les trombinoscopes informatisés, propres à toutes les universités) des différents groupes d’étudiants. Avec ses amis, il créa donc Facemash, consistant à voter pour les étudiants et étudiantes canon, au détriment des « boudins »… La farce tourna court, avec le crash du serveur informatique d’Harvard piraté par les petits farceurs, et la convocation officielle de Zuckerberg qui dut faire des excuses publiques, pour avoir utilisé les photos de ses congénères sans permission, et les propos sexistes de son blog. L’incident lui donna l’idée de la création d’un nouveau site Web, développant le principe de base de ces « facebooks » : l’échange d’informations personnelles. Ces informations de son futur site seraient délivrées par ses utilisateurs, gratuitement et de leur plein gré (photos, adresse, date de naissance, activités favorites, goûts personnels), éliminant ainsi le risque de piratage et détournement de ces données ; Zuckerberg concrétisa ainsi son idée maîtresse, celle de bâtir des liens entre des personnes qui ne se connaissent pas, et d’ouvrir le monde à cette nouvelle façon de communiquer. Une belle idée, certes, mais dont l’origine reste douteuse ; si Zuckerberg affirma que l’inspiration lui vint d’un éditorial du Harvard Crimson (le journal officiel de l’université) sur l’incident Facemash, il semble qu’il ait quelque peu arrangé l’histoire à sa convenance. 

Néanmoins, le site « Thefacebook » ouvrit avec succès le 4 février 2004 ; d’abord uniquement destiné aux étudiants d’Harvard, il s’étendra vite aux sites des autres grandes universités. Un succès foudroyant qui fit grincer des dents, celles de trois étudiants d’Harvard, les frères Cameron et Tyler Winklevoss et leur ami Divya Navendra, qui accusèrent très vite Zuckerberg de vol de propriété intellectuelle suite à une discussion qu’ils auraient eu ; voulant l’aide technique de Zuckerberg pour concevoir un site de réseau social, HarvardConnection.com. , ils se seraient fait spolier de leur idée par Zuckerberg, créant avec Thefacebook un « produit » similaire alors qu’il était sensé préparer leur site. Il y eut enquête et poursuites judiciaires. Au terme de fastidieuses procédures, attaques et contre-attaques d’avocats, l’affaire prit fin le 25 juin 2008 avec un règlement à l’amiable, Facebook versant aux plaignants plus d’un million de parts communes et 20 millions de dollars.

Lancé sur la voie du succès malgré ces attaques, Zuckerberg arrêta ses études en seconde année, pour se consacrer entièrement au site. Un autre génie du monde informatique, Sean Parker, fondateur déchu de Napster, qui faillit mettre à genoux les plus puissantes maisons de disque, rejoignit l’aventure Facebook, convaincu (et convaincant) du potentiel commercial du site. Rebaptisé Facebook, le site maintenant ouvert au public, d’une grande facilité d’accueil et d’utilisation, connut le succès foudroyant que l’on connaît aujourd’hui. Déménageant avec ses amis au printemps 2004 à Palo Alto en Californie, Zuckerberg, aidé par Parker, convaincra l’été suivant l’entrepreneur Peter Thiel d’investir dans la compagnie. Les petits génies de Facebook fondèrent leur bureau en Californie, Zuckerberg refusant fermement les offres d’achat du site par les grandes corporations. Possesseur de 7 % du capital, Sean Parker devint le président milliardaire de Facebook. Success story qui tourna court, avec sa démission un an plus tard, suite à son arrestation pour possession de cocaïne en présence de mineurs. Eduardo Saverin ne fut pas plus heureux ; peu à peu écarté du développement de Facebook, dont il était le directeur commercial et directeur financier, il fut évincé. Au terme d’autres poursuites réglées hors tribunal, il signa un accord de non-divulgation en échange de la restitution de son nom, un temps effacé du site. Le site Facebook, amélioré par les incessantes applications et modifications de ses créateurs, atteignit le nombre record de 500 millions d’utilisateurs le 21 juillet 2010 ; PDG de sa firme, Mark Zuckerberg devint, grâce à de très judicieux investissements, à moins de 24 ans, le plus jeune milliardaire de la planète ; sa fortune fut estimée en 2011 à 17 milliards et demi de dollars. Il a été désigné Personne de l’Année 2010 par Time Magazine, et continue de veiller à la direction et à l’extension de Facebook, qui a fait de lui l’une des figures les plus importantes du monde de l’informatique et de la finance. Marié depuis mai 2012, Mark Zuckerberg s’investit dans des actions philanthropiques prestigieuses, dont le « Giving Pledge » conçu par Bill Gates et Warren Buffett. Sur une note plus amusante et nettement plus « geek », il a accepté de jouer les guest-stars chez LES SIMPSONS en 2010, dans l’épisode LOAN-A-LISA (DRÔLE D’HERITAGE) où il croise la petite Lisa (revoir la « Apple connection » décrite dans le chapitre consacré à Steve Jobs…).

Une réussite aussi phénoménale ne peut pas ne pas avoir sa part de critiques et controverses sérieuses à travers le monde… Concevoir une plate-forme de réseau social où chacun est libre de s’exprimer et de parler de lui est, en théorie, une belle idée. La réalité humaine étant souvent toute autre, des questions déontologiques sérieuses ont surgi. Critiques portant, au choix, sur : la liberté d’expression contrôlée (ou non surveillée) sur le site ; l’utilisation des données personnelles d’employés par leurs entreprises sur Facebook (entraînant des licenciements abusifs pour des motifs divers) ; la concurrence professionnelle déloyale (contre Google notamment) ; des censures diverses (le tableau de Courbet L’ORIGINE DU MONDE jugé « choquant », la fermeture d’un groupe appelant au boycott de la compagnie pétrolière BP), on en passe et d’autres… Le système Facebook est donc loin d’un monde idéal, et, pour ses détracteurs, prend un air inquiétant de 1984 informatisé. Les succès, et les controverses, liées à Mark Zuckerberg ont attiré toutes sortes de reportages, documentaires, et livres consacrés à la révolution informatique de ce début de siècle. Parmi les documentaires dignes d’intérêt, citons une série de 2010, THE VIRTUAL REVOLUTION, et un long-métrage TERMS AND CONDITIONS MAY APPLY sorti en 2013.

Voilà pour le parcours du vrai Mark Zuckerberg, dont l’image publique reste somme toute celle d’un jeune homme inventif, tranquille et finalement assez lisse… Ce qui n’est pas le cas de son double de fiction, dans THE SOCIAL NETWORK, bien plus intéressant à étudier, pour le bien de cet abécédaire ! 

 

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A l’origine du SOCIAL NETWORK, il y eut la parution d’un livre, THE ACCIDENTAL BILLIONAIRES (en France : LA REVANCHE D’UN SOLITAIRE, LA VERITABLE HISTOIRE DE FACEBOOK), écrit et publié sans l’accord des principaux concernés. Raconté du point de vue d’Eduardo Saverin, le livre de Mezrich attira l’attention d’Aaron Sorkin, un des tous meilleurs scénaristes en activité aux USA (on lui doit les scénarii de DES HOMMES D’HONNEUR et LA GUERRE SELON CHARLIE WILSON, et la production de la série THE WEST WING / A LA MAISON BLANCHE). Le scénario de Sorkin fut vite confié à une autre pointure du cinéma américain : le prodige David Fincher, maître d’oeuvre de SEVEN, FIGHT CLUB, L’ETRANGE HISTOIRE DE BENJAMIN BUTTON et autres ZODIAC. Voilà qui a suffi, si l’on peut dire, à faire du SOCIAL NETWORK une réussite à tout point de vue ; mise en scène, montage, jeu des acteurs, lumière, musique, et bien entendu écriture dramaturgique… Tout, dans le film, est une véritable leçon de Cinéma adressée au spectateur attentif. Justement salué comme l’un des meilleurs films de 2010, THE SOCIAL NETWORK s’est attiré aussi des critiques. Basé sur des faits très récents, le film aurait le tort, selon certains, de ne pas respecter la psychologie de ses personnages. Mark Zuckerberg a admis que celui-ci restait fidèle à la réalité dans la description des faits, mais que la psychologie des personnages était largement inventée. Il n’en fallait pas plus pour que les plumitifs habituels enfourchent un de leurs sempiternels chevaux de bataille, la question de la véracité dans une oeuvre de fiction. Le Mark Zuckerberg de SOCIAL NETWORK est donc un personnage de fiction, soit ; inutile d’attendre les journalistes pour s’en douter…  On peut cependant se ranger à l’avis d’Aaron Sorkin, affirmant clairement que, dans ces cas-là, le « vrai » est l’ennemi du bien, pour la dramaturgie. Tout auteur s’engageant dans une « biopic » sait qu’il met en avant son point de vue sur le sujet, et pas une froide réalité objective. Raconter cinq ans de la vie du vrai Mark Zuckerberg, tel que cela s’est passé, aurait été parfaitement ennuyeux ; ce dernier étant finalement un jeune homme relativement « lisse », en dehors de ses aptitudes de génie de l’informatique, il aurait été difficile de passionner le public avec son histoire, somme toute assez rectiligne. Les critiques ont manqué un point crucial : toute histoire de ce type a une portée mythique indéniable. Le sens du mot « mythe » a été de nos jours déformé et mal compris, particulièrement par des médias toujours prompts à le confondre avec le mensonge. Un mythe n’est pas un mensonge, c’est une histoire délivre une vérité « cachée », symbolique, dont la portée échappe souvent à beaucoup, y compris aux principaux concernés. Le vrai Mark Zuckerberg, qui apprécie les textes anciens et la mythologie, ne peut avoir manqué cet aspect du film. Ce jeune surdoué a progressivement transformé une blague d’étudiant en véritable acte de révolution sociale, s’inscrivant dans la grande Histoire humaine. Or, comme dans tout mythe, il y a une morale, pas forcément joyeuse. Zuckerberg est arrivé au sommet, il a gagné en maturité, mais a perdu en chemin des illusions, et de solides amitiés. C’est, en substance, le message de THE SOCIAL NETWORK.

Le personnage de Mark Zuckerberg dans le film apparaît finalement comme une synthèse de plusieurs personnalités atypiques. Les auteurs d’un film consacré à un personnage réel s’investissent toujours, plus ou moins consciemment, dans leur personnage principal. Lorsque le film est une réussite, on finit toujours par substituer le personnage historique « mythifié » au vrai personnage. Ici, on peut affirmer que le Zuckerberg de SOCIAL NETWORK est constitué de quatre partie : un quart du vrai Zuckerberg, plus un quart de David Fincher, un quart d’Aaron Sorkin et un quart de Jesse Eisenberg. Chacun des trois derniers apporte sa touche personnelle au personnage Zuckerberg. Fincher, cinéaste réputé pour son talent visionnaire, extrêmement secret, a toujours une préférence dans ses films pour les personnages marginaux, « border line » par rapport à la société ou une communauté. Sans doute se retrouve-t-il dans le personnage de Zuckerberg, jeune virtuose visionnaire obligé d’affronter les corporations et les rivaux tentant de s’approprier son oeuvre (situation faisant écho à ses déconvenues, face aux cadres de la 20th Century Fox, l’ayant évincé du montage de son premier film, ALIEN 3). Jesse Eisenberg, lui, donne vie à Zuckerberg en accentuant sa maladresse sociale, jouant à merveille d’une apparence timide, légèrement névrosée, perpétuant un style de jeu évoquant le Dustin Hoffman des débuts (LE LAUREAT ou LITTLE BIG MAN), et rendant ainsi crédible « son » Zuckerberg. Le fait qu’Eisenberg ait mentionné, dans ses interviews, être atteint de troubles obsessionnels compulsifs, donne une idée sur l’origine de l’aspect  »maniaque perturbé » du Zuckerberg de SOCIAL NETWORK. Enfin, Aaron Sorkin apporte au personnage une bonne dose de revanche sociale et de colère rentrée, renvoyant à son propre parcours. Ancien comédien avant d’être passé à l’écriture, Sorkin avoua continuer à souffrir de se croire un raté ; une source d’angoisses et de frustrations qu’il règle à sa façon, à travers les personnages de ses histoires.

Mark Zuckerberg, dans THE SOCIAL NETWORK, est donc un jeune homme en colère. Un jeune génie, dont les obsessions sabotent toutes ses tentatives d’avoir des relations humaines normales… La magistrale scène d’ouverture du film suffit à « croquer » en cinq minutes le caractère du personnage : Zuckerberg donne un parfait exemple de ce qu’il ne faut surtout pas faire, quand on invite sa petite amie à partager un verre… Erica Albright (Rooney Mara, devenue la Lisbeth Salander du MILLENNIUM de Fincher), excédée par sa condescendance permanente, le plaque en public en lui lançant : « Tu seras sans doute un génie dans ton domaine, Mark, mais tu vas vieillir en pensant que les gens ne t’aiment pas parce que tu es un « geek ». Laisse-moi te dire que ce ne sera pas le cas. Les gens ne t’aimeront pas, parce que tu n’es qu’un sale con ! ». Sévère, mais juste à ce stade… Le jeune homme amoureux mais incapable de traiter son amie en égale, pourrait prendre le temps de la réflexion et s’en prendre à lui-même, s’il n’avait pas bu un verre de trop ; dépité, il ne trouve rien à faire de mieux que se répandre en insultes sur le Net, avant de lancer la mauvaise blague Facemash… Capable de jongler avec les algorithmes mais incapable de comprendre les sentiments, Zuckerberg présente bien, dans le film, les troubles typiques d’un syndrome d’Asperger prononcé, lié à un orgueil intellectuel démesuré et une rancoeur rentrée contre le système élitiste en cours à Harvard. Système symbolisé par les final clubs, fraternités d’élèves amenés à prendre les rênes du pays, et que tente d’intégrer son meilleur ami Eduardo Saverin (Andrew Garfield). On peut cependant lui trouver des circonstances atténuantes et deviner, derrière son attitude détestable envers Erica, un évident manque de confiance en soi. Il est plus facile de « hacker » un serveur informatique que de comprendre ce que ressent la jeune femme en face de soi ; cherchant à impressionner Erica pour lui plaire, Mark perd pied, incapable de gérer ce type de situation imprévisible. La peur entraîne toujours une certaine agressivité, forcément mal reçue. Le mal étant commis, une timide tentative d’excuse ultérieure, bien maladroite (Mark déboule alors qu’elle est avec des amis) sera inutile. La jeune femme le renvoie à son immaturité (« rien ne s’efface sur Internet ! ») en toute franchise, et le congédie, en lui rendant un peu de sa condescendance… 

Le film présente à travers Mark Zuckerberg un éventail quasi complet des excentricités, manies, obsessions et autres marques de comportement déroutant de la part d’un jeune génie  »Aspie » en plein essor professionnel. Le processus de la création de Facebook qui obnubile Zuckerberg, décrit dans le film, est une belle métaphore de la créativité, de ses joies comme de ses dangers. Le principal étant, pour le principal protagoniste, un enfermement psychologique dont il prend douloureusement conscience. Selon les circonstances, cet enfermement, cette focalisation sur son objectif crée des scènes comiques, ou tragiques, et le plus souvent les deux. On le verra ainsi, en plein hiver, filer soudainement à sa chambre pour élaborer un nouveau programme, marchant en sandales sur la neige ; ou ne pas supporter de voir une photo des chutes de Niagara dans la décoration d’une soirée thématique « Caraïbes » (son esprit férocement logique ne supporte pas cette erreur de programmation !). On voit aussi un Zuckerberg saboter inconsciemment une négociation commerciale importante d’Eduardo, en se mettant à faire des bruits inconvenants devant un investisseur potentiel… Redoutable contradicteur dans les âpres négociations judiciaires face aux Winklevoss, Zuckerberg peut aussi soudainement décrocher des débats, s’intéresser à la pluie qui tombe, et rabaisser férocement l’avocat de la partie adverse. Les chicaneries judiciaires sont finalement pour lui bien moins importantes que la gestion et l’avenir de sa compagnie. Le jeune homme ne laisse passer aucun détail, d’ailleurs ; dans le conflit qui l’oppose aux Winklevoss, Zuckerberg se vexe d’avoir été traité par les jumeaux comme un laquais potentiel (dans le garage à vélos du très select Porcellian Club), plutôt que comme un associé créatif et professionnel. Les Winklevoss, nés avec une cuillère d’argent dans la bouche, découvrent dans cette affaire que tout ne leur sera pas donné d’avance, et qu’un vague accord verbal ne peut être une garantie.

La relation de Mark Zuckerberg avec Eduardo Saverin pâtira évidemment de son évolution professionnelle. Pauvre Eduardo, on souffre pour lui dans le film… Une relation d’amitié, d’égal à égal, se dégrade sous nos yeux et se transforme en amer divorce conjugal. Eduardo s’est donné un mal de chien pour transformer le petit site de copains d’études en un site professionnel, et s’est lancé dans un marathon épuisant pour décrocher contacts et investisseurs. Il en est bien mal récompensé. Plongé en permanence dans ses programmes et ses visions créatrices, Mark se montre impitoyable avec son ami ; sans le dire, il semble bien qu’il jalouse son ami, plus à l’aise que lui en société, quand celui-ci passe les rituels d’entrée au Phoenix Club – dont l’absurde « rituel du poulet », nuisible à l’image sérieuse de Facebook, qui donne lieu à une scène de dispute hilarante entre eux deux. Se méfiant d’instinct de ces final clubs élitistes qui écartent les « geeks » dans son genre, Mark crée à sa façon son club : l’entreprise Facebook, pour lequel il organise ses propres rituels d’entrée sélective – les fameux « hack-a-thons » désignant, dans une ambiance de fiesta estudiantine, les plus habiles programmateurs. Petite cause, grands effets : au moment des poursuites judiciaires, les clubs seront un des graves motifs de discorde entre Mark et Eduardo. Mais, dans cette série d’incompréhensions menant à la rupture définitive, la véritable cause est une tierce personne. Dans THE SOCIAL NETWORK, Sean Parker (Justin Timberlake) devient le « briseur de ménage » ; le créateur de Napster a une revanche à prendre sur le système des majors qui l’a mis hors jeu, et son entrée dans l’équipe Facebook va lui permettre de prendre cette revanche professionnelle légitime… On comprend que son arrivée inquiète le sage Eduardo et fascine Mark ; Sean est une véritable rock star, charismatique, débordant d’idées, fort de son expérience antérieure, et devient une espèce de mentor, de grand frère, pour Mark Zuckerberg. Dissemblables en caractère, Sean et Mark se comprennent parfaitement dès qu’il est question de gestion informatique ; surtout, Sean Parker sait faire prendre conscience à son nouvel ami des opportunités de sa création : une révolution à l’échelle mondiale qui transforme la conception traditionnelle de la vie privée, une ouverture communautaire rapprochant les gens de la planète entière, et la possibilité d’amasser une fortune phénoménale. Pourquoi brader son talent, si on peut gagner un milliard de dollars, et ainsi faire la nique aux conglomérats, aux corporations et à leurs bataillons d’exécutifs ? L’indépendance absolue, dans la richesse. Un tel discours, enthousiasmant mais méphistophélique à souhait, ne peut que mettre mal à l’aise Eduardo. Le seul tort de celui-ci est, dans cette affaire, d’avoir été trop raisonnable ; et Mark n’a rien vu venir, jusqu’à ce que la crise éclate… Revers de la médaille, Sean Parker se « grillera » vite aux yeux de son nouvel ami. Trop de fêtes, trop de substances illicites, en compagnie de jolies jeunes filles n’ayant pas atteint l’âge légal de la majorité. La paranoïa évidente de Sean, alimentée par la cocaïne, pousse Mark à agir lucidement, froidement, en gestionnaire : il le renvoie de Facebook. Une décision mature, inévitablement douloureuse ; les dernières images du film nous le montrent désormais seul aux commandes, maître de son destin… mais totalement isolé. Le génie créatif a un prix humain. C’est ce que la jeune avocate assistante a bien compris ; renvoyant poliment les avances maladroites de Zuckerberg (syndrome d’Asperger, toujours…), elle fait fonction de choeur antique, commentant son parcours et ses choix, et la morale à en tirer. Ses dernières paroles sont le parfait contrepoint à ce qu’avait dit Erica en début de film : « Vous n’êtes pas un salaud, Mark, mais vous vous donnez un mal fou pour le faire croire. » S’étant affirmé à merveille, professionnellement, Mark Zuckerberg a maintenant la vie devant lui pour essayer de corriger le tir, humainement parlant. Peu de chances qu’il renoue avec Erica dans ses appels répétés sur Facebook, décrits dans le dernier plan… au moins sait-on que, dans la réalité, Mark Zuckerberg a rencontré la femme de sa vie. Cette partie-là de son existence est désormais derrière lui. D’autres épreuves viendront, en temps voulu…

Cf. Bill Gates, Steve Jobs ; Lisbeth Salander (version Rooney Mara dans le film MILLENNIUM de Fincher), Lisa Simpson

 

 

FIN. (… ou pas ?)

Ludovic Fauchier.

 

P.S. : s’il vous plaît, ne partez pas ! Il reste un petit chapitre subsidiaire…

Aspie, or not Aspie ? Le petit abécédaire Asperger, chapitre 19

U-V-W comme…

 

Aspie, or not Aspie ? Le petit abécédaire Asperger, chapitre 19 dans Aspie v-vincent-van-gogh-asperger

… Van Gogh, Vincent (1853-1890) :

La vie de Vincent Van Gogh a soulevé tellement de questions sur ses souffrances qu’un nombre record d’hypothèses a été posé à son sujet. En plus d’un siècle, les spécialistes de la psychiatrie se sont succédés pour le diagnostiquer tout à tour schizophrène, bipolaire, syphilitique, épileptique, etc. Ces théories cherchant à expliquer le mystère de l’état mental du peintre hollandais n’ont fait finalement que renforcer celui-ci, toujours lié aux faits les plus tristes de sa vie : la rupture avec une famille étouffante, les histoires d’amour ratées, l’alcoolisme et la dépendance à l’absinthe, l’oreille tranchée, le suicide… Il n’est pas étonnant de voir le syndrome d’Asperger surgir comme une théorie possible du comportement déroutant de Van Gogh, sans que cela puisse évidemment tout expliquer du génie du peintre. Cependant, cette dernière hypothèse pourrait au moins expliquer certains traits particuliers de son caractère, présents dès sa jeunesse, et qui se seraient développés et aggravés à l’âge adulte. Notamment de graves difficultés relationnelles, et l’affirmation d’un caractère intransigeant et épuisant.

Vincent Willem Van Gogh naquit le 30 mars 1853 à Groot-Zundert aux Pays-Bas, dans une riche famille bourgeoise, des pasteurs théologiens (comme son père Theodorus) et des commerçants en art. L’aîné de six frères et soeurs, Vincent reçut un étrange « héritage » de la part de ses parents ; il portait les prénoms d’un frère mort-né un an plus tôt exactement, le 30 mars 1852. Les doubles « envahirent » la vie de Van Gogh dès ses débuts ; le prénom Vincent était fort répandu dans la famille, porté par son grand-père (diplômé de théologie à l’Université de Leyde), ses oncles Hendrik Vincent (dit « Hein ») et Vincent (« Oncle Cent »), son parrain, et son plus jeune frère Cornelis Vincent (« Cor »). Bien des années plus tard, aussi, son frère Theo aura un fils nommé Vincent (que le peintre appellera toujours « le petit »). Il faut aussi noter que les trois fils Van Gogh moururent jeunes, dans la trentaine, seules leurs soeurs ayant vécu plus longtemps. Vincent Van Gogh fut, selon les descriptions, un enfant sérieux et silencieux. D’après ses lettres, il eut une jeunesse décrite comme « lugubre, froide et stérile ». Il s’intéressa très jeune à l’art et au dessin, qu’il pratiquait en permanence avant même de décider de sa future carrière. Il alla à l’école du village de Zundert en 1860, parmi 200 enfants, avant d’être éduqué avec sa soeur Anna par une gouvernante, de 1861 à 1864. Le départ pour l’internat de Zevenbergen, à plus de 30 kilomètres de sa maison familiale, à treize ans, le perturba profondément. Van Gogh étudia ensuite en 1866 au Collège Willem II de Tilburg, avant de quitter soudainement l’école deux ans plus tard pour rentrer chez lui, ne pouvant supporter l’éloignement de sa famille. Une photo prise de lui à cette époque montre un jeune garçon au visage fermé, dont le regard est déjà étonnamment intense, et laisse donc une place au doute quand à un éventuel autisme.

Ses études interrompues, le jeune Van Gogh obtint grâce à son oncle Cent une place d’apprenti chez Goupil & Cie, une firme spécialisée dans la vente d’art – tableaux, dessins et reproductions – dirigée par ses oncles, à La Haye. A 20 ans, Van Gogh partit pour Londres, toujours chez Goupil. Une période heureuse pour lui, la seule de sa vie : le travail lui plaisait et il gagnait plus d’argent que son père. Il tomba amoureux pour la première fois, d’Eugénie Loyer, la fille de sa logeuse, malheureusement pour lui fiancée à un ancien locataire (qui avait sans doute versé son Loyer par avance…). Ce fut le premier d’une longue série d’échecs amoureux pour le jeune homme solitaire, obsédé par la religion, et mécontent de voir l’Art traité en vulgaire marchandise. Avec la fin de son contrat chez Goupil, en 1876, Van Gogh entama une période difficile, une longue quête personnelle, chaotique, qui allait entraîner la rupture avec sa famille et son milieu. Il retourna un temps en Angleterre comme instituteur remplaçant à Ramsgate, puis à Isleworth, puis devint assistant d’un prêtre Méthodiste, revint ensuite chez lui puis travailla dans une librairie de Dordrecht. Il étudia la théologie à Amsterdam en 1877, mais échoua à l’examen, et connut le même sort l’année suivante en suivant des cours à l’école missionnaire Protestante de Laeken, en Belgique. Il poursuivit sa vocation religieuse en devenant missionnaire en 1879 au Petit Wasmes, dans la communauté minière du Borinage, partageant les conditions de vie sordides des mineurs de charbon. Un choix de vie qui ne fit que scandaliser le comité d’évangélisation et embarrasser sa famille ; son père envisagea même de le faire interner à l’asile de fous de Geel. Van Gogh devait peu à peu rompre tous les liens avec sa famille, à l’exception de son frère Theo qui le soutint toute sa vie. Sur la suggestion de ce dernier, Van Gogh (qui ne cessait jamais de dessiner) rencontra l’artiste peintre Willem Roelofs, et, malgré son aversion pour les écoles officielles, il entra à l’Académie Royale des Beaux-Arts de Bruxelles en novembre 1880. En apprenant sur le tard les techniques de perspective et d’ombrage, Van Gogh trouva sa vocation : devenir un peintre au service de Dieu, l’alliance de ses obsessions. Van Gogh partit en 1881 à Etten, peignant et dessinant ses voisins (où ses demandes d’épouser sa cousine Kee Vos Stricker, veuve plus âgée que lui, entraîna un nouveau grave conflit familial), puis à La Haye en 1882. Grâce à Anton Mauve, il apprit à peindre à l’huile et à l’aquarelle, mais leur amitié tourna court, subitement. Van Gogh provoqua une nouvelle fois l’ire paternelle en vivant avec une prostituée alcoolique, « Sien » Hoornik, mère de deux enfants (dont le second fut peut-être le fils du peintre) ; Van Gogh la quitta l’année suivante, séjournant à Drenthe puis revenant chez ses parents à Nuenen.

L’art de Van Gogh naquit réellement à Nuenen, avec la réalisation de ses premiers grands tableaux, dont LES MANGEURS DE POMMES DE TERRE, illustration désespérée de la misère du monde ouvrier et paysan. Ses oeuvres furent pour la première fois exposées. Van Gogh tomba amoureux de sa voisine Margot Begemann, mais les deux familles s’opposèrent à leur projet de mariage ; Margot fit une tentative de suicide à la strychnine. Le père de Van Gogh mourut en mars 1885 ; malgré leurs disputes, Van Gogh fut très affecté par son décès. Le peintre eut aussi de graves ennuis à Nuenen, quand une jeune paysanne, Gordina de Groot, qui posa pour lui, fut enceinte. Se voyant interdit de peindre les paroissiennes du village, Van Gogh se rabattit sur des natures mortes. Des tableaux remarquables, mais d’une telle noirceur qu’ils eurent du mal à se vendre. Van Gogh quitta ensuite Nuenen pour Anvers, vivant pauvrement dans une petite chambre de la Rue des Images ; se nourrissant mal, buvant de l’absinthe, Van Gogh entra à l’Académie Royale des Beaux-Arts, se plongea dans l’étude des couleurs et étudia dans les musées les oeuvres de peintres tels que Rubens. Il se prit aussi de passion pour les estampes japonaises. Il partit très vite pour Paris (où vivait Theo) et Montmartre en mars 1886. Durant deux années, l’art de Van Gogh fut transformé au contact des grands peintres impressionnistes de l’époque : les Monet, Pissarro, Degas, Sisley, Seurat, Signac, Toulouse-Lautrec, et Paul Gauguin. Une période de grande créativité (plus de 200 tableaux en deux années), mais Van Gogh se lassa de la vie parisienne et de son agitation permanente. Il décida de descendre plus au sud, vers le soleil provençal, et arriva à Arles le 21 février 1888.

A Arles, l’art de Van Gogh se sublima ; ce seront notamment LA CHAMBRE A COUCHER, TERRASSE DU CAFE LE SOIR, la série des TOURNESOLS, autant de tableaux dominés par des couleurs fantastiques, offrant un contraste saisissant avec la noirceur des premièrs toiles du peintre en Hollande. Van Gogh rêvait d’une communauté d’artistes s’enrichissant mutuellement par leurs oeuvres réalisées sous un même toit, celui de la Maison Jaune ; un rêve qui, il l’espérait, devait prendre forme avec l’accord de Paul Gauguin de visiter Arles. Mais l’amitié du début se dégrada vite, tant leurs caractères s’opposaient : Van Gogh, solitaire, secret, maladif, craignait de voir partir à chaque instant l’impétueux et dominateur Gauguin. Une tension permanente qui aboutit à de violentes disputes, dont le point culminant fut celle du 23 décembre 1888 : Van Gogh menaça Gauguin avec un rasoir avant de s’enfuir dans un bordel, où il se trancha l’oreille gauche. Gauguin refusa de le voir à l’hôpital et repartit pour Paris. La cause la plus souvent avancée de cette automutilation reste celle de la crise schizophrénique, le peintre ayant souffert d’hallucinations auditives mais aussi visuelles (qui pouvaient aussi avoir été provoquées par ses excès d’alcool et d’absinthe, et par la syphillis contractée auprès des prostituées). Van Gogh revint à la Maison Jaune au début de l’année 1889, en proie à de terribles crises d’angoisse, et des hallucinations. Une pétition contre le « Fou roux » perturbant l’ordre public entraîna la fermeture de la Maison Jaune, et Van Gogh partit en mai pour séjourner à l’asile de Saint-Rémy-de-Provence. Durant son séjour sous surveillance renforcée, Van Gogh, connaissant une grave rechute dépressive, continua cependant à peindre, notamment l’halluciné LA NUIT ETOILEE, des toiles marquées par les souvenirs de scènes paysannes de la vie dans le Nord, ou encore A LA PORTE DE L’ETERNITE montrant un vieillard en pleurs. Van Gogh sortit de la clinique en mai 1890 pour emménager chez le docteur Paul Gachet à Auvers-sur-Oise, sur recommandation de Camille Pissarro. Gachet, connu pour bien traiter les artistes peintres, posa pour un célèbre portrait maladif réalisé par Van Gogh en juin de cette année. Durant plus de deux mois à Auvers, Van Gogh peignit et signa 70 toiles exceptionnelles, dont la plus emblématique restera LE CHAMP DE BLE AUX CORBEAUX. Le 27 juillet 1890, Vincent Van Gogh marcha jusqu’à l’Auberge Ravoux ; deux médecins, appelés à le soigner, ne purent retirer la balle qu’il venait de se tirer dans la poitrine. Un geste commis sans témoins, très probable suicide dont les circonstances restent encore mal connues à ce jour. Theo revint voir son frère, qui, au terme de deux longs jours d’agonie, mourut de l’infection de sa blessure. Theo, malade de la syphillis, mourut l’année suivante en Hollande. Ses restes seraient par la suite transférés pour qu’il repose à côté de Vincent au cimetière d’Auvers-sur-Oise.

Inutile de rappeler que Van Gogh, méconnu de son vivant (mais néanmoins défendu par de grands peintres comme les Pissarro, Signac, Toulouse-Lautrec ou Monet), eut une reconnaissance posthume phénoménale. Les premières rétrospectives du début du 20ème Siècle qui lui furent consacrées jouèrent un rôle considérable pour sa notoriété, établissant aussi le « mythe de l’artiste incompris », assez réducteur, lié au personnage. Et, bien sûr, son oeuvre eut une influence considérable sur l’ensemble des peintres du siècle suivant – les Expressionnistes, Jackson Pollock, Francis Bacon, etc. L’art de Van Gogh fascine autant que l’histoire de sa vie, et des études consacrées à ses troubles. Si la « piste » de l’autisme a beau n’en être qu’une parmi d’autres, elle donne un éclairage intéressant sur le monde intérieur de cet homme unanimement décrit comme terriblement anxieux, renfermé, mal à l’aise avec toutes les normes sociales admises en son temps, si absorbé par son travail qu’il en négligea son hygiène, obsédé par la spiritualité au point de s’infliger des souffrances « passionnelles », etc. Un tel personnage ne pouvait que trouver une seconde vie en fiction, particulièrement chez les cinéastes inspirés par sa vie : on peut citer le superbe mélodrame de Vincente Minnelli, LUST FOR LIFE (LA VIE PASSIONNEE DE VINCENT VAN GOGH, 1956) offrant un de ses meilleurs rôles à Kirk Douglas ; l’apparition du peintre hollandais dans RÊVES d’Akira Kurosawa (1990), où le grand cinéaste japonais met en scène sa rencontre rêvée entre lui-même, étudiant en art, et Van Gogh (interprété par Martin Scorsese !) dans LE CHAMP DE BLE AUX CORBEAUX ; et le film (monotone au possible) de Maurice Pialat de 1991, VAN GOGH, avec Jacques Dutronc. 

 

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… Warhol, Andy (1928-1987) :

Artiste peintre, réalisateur, sérigraphiste, producteur, photographe, écrivain, éditeur, metteur en scène de spectacles de performance et figure majeure du mouvement Pop Art, autant célébré que vilipendé, Andy Warhol incarna les grandeurs et les excès de la contre-culture liée aux années 1960. Provocateur dans sa conception de l’art contemporain, touche-à-tout inclassable, le « Pape du Pop » restait malgré sa célébrité un homme d’une discrétion maladive ; son comportement tout comme certains des traits les plus caractéristiques de son art ont laissé supposer - sans preuve formelle - qu’il était possiblement autiste Asperger.

Andrej Varhola Jr. était le quatrième enfant d’immigrants ruthénes (slovaques) catholiques installés à Pittsburgh, en Pennsylvanie. Son père, Andrej (ou Andrew Sr.), était mineur de charbon ; un métier dangereux, qui causa sa mort alors que Warhol n’avait que treize ans. Ce dernier, enfant, était un gamin chétif, dyslexique, souvent malade (il contracta la chorée de Sydenham, ou Danse de Saint-Guy) et rejeté par ses camarades. Vite devenu hypocondriaque, il développa une phobie des médecins et des hôpitaux. Souvent alité, il resta très proche de sa mère Julia, passant le plus clair de son temps à dessiner, écouter la radio et collectionner les photos de stars, autant de préférences et d’obsessions artistiques (notamment pour les figures mythiques du cinéma hollywoodien) qui seront déterminantes dans sa future carrière. Diplômé de la Schenley High School en 1945, Warhol envisagea d’étudier l’éducation artistique à l’Université de Pittsburgh pour devenir professeur d’art, mais choisit finalement de s’inscrire au Carnegie Institute of Technology de Pittsburgh, pour apprendre l’art commercial. Diplômé des Beaux-Arts, Warhol partit en 1949 à New York pour travailler comme illustrateur de magazine et de publicités. Durant la décennie suivante, le travail de Warhol sur des publicités pour chaussures attira l’attention de RCA Records, qui l’engagea pour créer des couvertures de disques et du matériel publicitaire. Warhol innova dans un domaine très particulier, la sérigraphie, n’hésitant pas à malmener les conventions professionnelles en livrant des illustrations « imparfaites », tachées par l’encre et les traces de frottements.

Warhol rejoignit assez naturellement le mouvement « Pop Art » dont il ne fut pas l’instigateur ; ses travaux furent exposés dans les galeries new-yorkaises dès les années 1950, et ce fut en 1962 que son nom devint vraiment reconnu par le public, grâce à deux expositions de ses oeuvres en solo (la Galerie Ferrus à Los Angeles en juillet 1962, la galerie Stable à New York en novembre 1962). Ces expositions présentaient le DIPTYQUE MARILYN consacré à Marilyn Monroe, et les sérigraphies des boîtes de soupe, des bouteilles de Coca-Cola et des billets de dollars. Ces oeuvres avant-gardistes, marquées par la répétitivité des motifs et des formes (ce qui peut rappeler quelque chose aux personnes Aspies), furent accueillies avec des résultats forcément contrastés. Notamment des attaques en règle d’autres artistes et de critiques scandalisés par ce qu’ils voyaient comme une célébration du consumérisme et de la culture de masse. L’idée de Warhol était, pour simplifier, la suivante : fort de son travail artistique et commercial, il développa une idée élitiste de la culture populaire, « commerciale », si souvent honnie par les critiques d’art ; la répétition à l’infini de la figure commercialisée (qu’il s’agisse d’une boîte de soupe ou d’une star hollywoodienne), sa « consommation » permanente était aussi une forme d’Art, la figure venant toujours à s’épuiser et à mourir, tout en restant immuable. L’exposition de 1964 THE AMERICAN SUPERMARKET rassemblant des oeuvres de Warhol (la fameuse peinture de la boîte de soupe Campbell’s) et d’autres artistes pop (Billy Apple, Mary Inman, Robert Watts) entérina le changement artistique amorcé par Warhol ; le Pop Art interpellait désormais l’opinion publique sur la définition même de l’art. Warhol s’entourait d’assistants pour augmenter sa productivité depuis les années 1950 (un autre élément controversé) ; il créa la fameuse « Factory » dans la 47ème Rue (puis Broadway), rassemblant le monde artistique new-yorkais des années 1960. Une « pétaudière » mythique, rassemblant artistes, bohèmes, vedettes de Hollywood, hommes d’affaires, travestis… le tout dans une ambiance « sex, drugs and rock’n roll » psychédélique à souhait. La Factory, entre autres festivités, présentait en permanence les films tournés par Warhol, échappant à toute convention artistique, comme le fameux « anti-film » SLEEP montrant son compagnon John Giorno dormir durant plus de cinq heures… record ensuite battu par EMPIRE, plan fixe sur l’Empire State Building d’une durée de huit heures. De quoi diviser encore plus les opinions sur l’art de Warhol, et user la patience des plus braves. Les activités artistiques de Warhol s’étendirent à divers domaines, dont la production et le sponsoring des « Superstars » de la Factory – Edie Sedgwick, Joe Dallessandro, Viva… et aussi la chanteuse allemande Nico, qu’il associa un temps aux Velvet Underground.

Les années folles de la Factory prirent fin, d’une certaine façon, avec la tentative d’assassinat commis contre lui et le critique d’art Mario Amaya par Valerie Solanas, le 3 juin 1968. Solanas, figure féministe auteur du S.C.U.M. Manifesto, liée de façon marginale à la Factory, avait été rejetée après avoir demandé le retour d’un script donné à Warhol. Gravement blessé, Warhol fut profondément affecté par l’attentat ; et la Factory s’en ressentit, désormais plus sérieusement contrôlée après des années d’insouciance. Le commentaire de l’artiste, après l’attentat, fut assez révélateur d’une vision des choses très distanciée : «…j’ai toujours soupçonné que je regardais la télévision au lieu de vivre la vie. Les gens disent souvent que ce qui arrive dans les films n’est pas réel, mais en fait c’est la façon dont les choses arrivent dans la vie qui sont irréelles. Les films créent des émotions si fortes et si vraies, alors que quand les choses vous arrivent vraiment, c’est comme de regarder la télévision – on ne sent rien. Quand je me suis fait tirer dessus, et depuis ce jour-là, je savais que je regardais de la télévision. Les chaînes changent, mais c’est toujours de la télévision.» Les propos de Warhol font curieusement penser à Peter Sellers dans BIENVENUE MR. CHANCE, qui utilise une télécommande pour « zapper » les voyous qui l’agressent, ou les propos d’Alex dans ORANGE MECANIQUE de Stanley Kubrick («c’est drôle comme les couleurs ont l’air plus réelles dans un film que dans la vie…»).

Il semble, avec le recul, que l’attentat de Solanas fit l’effet d’un « choc thérapeutique » pour Warhol ; les années de provocation, de scandales et d’ambiance dionysiaques des 1960s prirent fin avec cet attentat, et, durant la décennie suivante, Warhol évolua, devenant un véritable entrepreneur du marché de l’art, rétribué par de riches commanditaires (des portraits du Shah d’Iran, de Mick Jagger, John Lennon, Brigitte Bardot, Liza Minnelli), loin de l’ambiance folle, et quelque peu portée sur les futilités, de la décennie précédente. Warhol fit encore parler de lui lorsqu’il réalisa un fameux portrait de Mao Zedong, et publia en 1975 le livre THE PHILOSOPHY OF ANDY WARHOL. Il fonda aussi la New York Academy of Art en 1979 avec son compagnon Stuart Pivar. Tout au long des années 1980, Andy Warhol revint sous les deux de la rampe, soutenant les carrières de jeunes artistes émergents tels que Jean-Michel Basquiat, Julian Schnabel, David Salle, Francesco Clemente ou Enzo Cucchi. La réussite financière de Warhol, qui affirmait et répétait d’ailleurs que le commerce était aussi une forme d’art pour lui, lui attira bien évidemment de sévères critiques, relançant l’éternel vieux débat de la séparation entre l’art et le commerce. Pour ses détracteurs, l’art de Warhol était devenu superficiel et forcément assujetti à ce goût du commerce qui est si souvent suspect ; Warhol semblait ne pas en avoir conscience, ou affectait-il de l’être, pour se concentrer sur son travail ? Malgré tout, il fallait bien lui reconnaître, derrière une superficialité de façade, un oeil critique et un don particulier pour saisir tout l’esprit d’une époque. L’artiste, hypocondriaque notoire, décéda le 22 février 1987 après une opération de routine de la vésicule biliaire ; sa crainte légendaire des hôpitaux et des médecins s’était en quelque sorte réalisée.

Cette courte biographie ne révèle pas vraiment la personne très particulière qu’était Warhol ; un homme extrêmement timide, imaginatif, méticuleux, semblant vivre dans une « bulle » à part. Une personnalité qui semble, par de nombreux aspects, présenter des traits « Aspies », ne serait-ce que par son attitude déroutante vis-à-vis des autres personnes (il refusait souvent de parler de lui), et ses centres d’intérêt  pour les icônes d’Hollywood, pour l’art, le commerce, le plastique, la religion (il pratiquait toujours le Rite Catholique Ruthène), la sexualité (Warhol était ouvertement gay, à une époque où l’homosexualité était souvent rejetée), et pour ses curieuses collections. Menus d’avion, factures impayées, journaux, pâte à pizza, romans pornographiques, étiquettes de supermarché… sans oublier ses légendaires perruques platine ; le vol d’une d’elles, en 1985, lui causa même une terrible crise d’angoisse.  

Ironie du destin ou « programmation » normale ? Andy Warhol, qui créa son art autour de figures et de visages de la culture populaire, devint lui-même après sa mort une figure de fiction. L’artiste aurait sans doute adoré l’idée de se voir dupliqué dans les romans et les films où apparaît sa silhouette. Par exemple, son incarnation par l’excentrique Crispin Glover, dans une courte scène mémorable des DOORS d’Oliver Stone, où il est manifestement très séduit par la beauté de Jim Morrison (Val Kilmer) ; dans le registre sérieux, on citera aussi BASQUIAT, le film de Julian Schnabel réalisé en 1996, où Warhol est incarné par un David Bowie une nouvelle fois transformé ; cette même année, Warhol apparut, sous les traits de Jared Harris, dans I SHOT ANDY WARHOL, qui retrace l’histoire de l’attentat commis par Valerie Solanas ; plus près de nous, en 2007, Guy Pearce l’incarna dans FACTORY GIRL basé sur la vie d’Edie Sedgwick. Dans un registre bien moins sérieux, on citera les apparitions d’Andy Warhol en guest star invité à la « party » des immortels de LA MORT VOUS VA SI BIEN (1992) de Robert Zemeckis, où il côtoie Marilyn Monroe et Greta Garbo ; sa présence dans les soirées « groovy » d’Austin Powers (Mike Myers) dans le premier film de celui-ci, en 1997 ; ou encore son rôle important dans MEN IN BLACK III : incarné par Bill Hader, il est l’Agent W, chargé d’espionner les extra-terrestres infiltrés dans sa Factory ; un agent excédé par son rôle et qui n’en peut plus de peindre des boîtes de soupe !

Cf. Crispin Glover, Nico

 

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… Washington, George (1731 ou 1732 ?-1799) :

Etonnant… parmi les grands hommes historiques qui auraient peut-être eu le syndrome d’Asperger, les pères de la nation américaine sont régulièrement cités, ainsi que nous l’avions déjà signalé. Benjamin Franklin, Thomas Jefferson, Abraham Lincoln un siècle plus tard… et maintenant George Washington, l’ancien officier de l’armée coloniale britannique devenu le tout premier président des Etats-Unis d’Amérique. Encore faut-il nuancer le propos, et rappeler qu’il s’agit là, encore une fois, d’hypothèses loin de convaincre l’ensemble des spécialistes. Faut-il avoir des qualités « autistes » pour devenir un grand homme d’Etat ? Difficile à dire ; dans le cas de Washington, il faut chercher entre les lignes dans les portraits et les descriptions officielles du grand homme pour trouver des signes du syndrome. Un vaste champ de connaissances acquises sans avoir effectué de grandes études, une attitude décrite comme courtoise, froide, pensive… quant aux difficultés liées aux compétences sociales attribuées au syndrome d’Asperger, il semble que le parcours de Washington les ait plutôt contredites par les responsabilités qu’il a endossé. A chacun de juger.

George Washington naquit dans le domaine de Pope’s Creek en Virginie, alors colonie britannique d’Amérique du Nord. Fils aîné d’Augustine Washington, prospère planteur de tabac et juge, et de Mary Ball Washington, seconde épouse de son père, il passa la grande majorité de son enfance à Ferry Farm près de Fredericksburg, puis à Mount Vernon, une autre propriété dirigée par son demi-frère aîné Lawrence, en héritage paternel. Bien des années plus tard, Washington hériterait des domaines de son père et de son frère après leur mort. Celle de son père, alors qu’il n’avait que onze ans, empêcha le jeune garçon de suivre une éducation complète en Angleterre, devant se contenter de suivre les cours de plusieurs tuteurs et enseignants à Fredericksburg. Washington eut une éducation soignée, celle d’un jeune homme aisé : leçons de bonnes manières, de morale, d’Histoire, de mathématiques (un domaine où il était particulièrement doué), de géographie, de topographie. Ce fut Lawrence Washington qui prit en charge son jeune demi-frère, en froid avec sa mère. Elle s’opposa à sa demande d’engagement dans la Royal Navy à 15 ans ; grâce à Lawrence, George Washington devint arpenteur officiel du Comté de Culpeper, un travail bien rémunéré qui lui permit d’acheter de nouvelles terres. Apprenant très vite à avoir des responsabilités, il suivit Lawrence dans les hautes sphères du pouvoir en Virginie ; celui-ci mourut, à 34 ans, de la tuberculose. Héritier de ses biens, George le remplaça dans la milice virginienne comme Adjudant Général (chef de milice) sous les ordres du Gouverneur Dinwiddie. Il rejoignit aussi les Francs-maçons, devenant Maître à la loge de Fredericksburg à l’âge de 21 ans.

En pleine période de conflit larvé entre Britanniques et Français pour le contrôle des colonies d’Amérique du Nord, le jeune George Washington sut faire parler de lui, d’une façon pour le moins radicale : il causa une guerre, ni plus ni moins. Envoyé à l’automne 1753 par Dinwiddie pour porter un message au Fort Le Boeuf et obtenir le départ des français de l’actuelle Pittsburgh, Washington essuya leur refus. Il attaqua et tua un groupe d’éclaireurs, capturant et laissant exécuter l’officier Coulon de Jumonville en mai 1754. Ce fut le feu aux poudres de la Guerre de Sept Ans. Les français, furieux, contre-attaquèrent et capturèrent Washington, fait prisonnier au Fort Necessity ; il fut libéré après avoir signé des aveux qu’il niera ensuite, ne pouvant lire les documents écrits en français qui l’incriminaient. Défait à la bataille de Great Meadows, Washington retourna en Virginie. Aide de camp du général Braddock, il s’illustra à la bataille de la Monongahela le 9 juillet 1755. Son expérience du combat et sa réputation d’officier héroïque fut un grand avantage pour les britanniques, notamment à la bataille du Fort Duquesne en 1758. Très habilement, George Washington, une fois assuré le contrôle de la vallée de l’Ohio, sut exploiter sa notoriété en éditant le récit de son expédition au fort. Il avait acquis une expérience unique du commandement sous le feu du combat, et une connaissance remarquable de la logistique, des tactiques et stratégies militaires britanniques, tout en assurant son autorité auprès des hommes sous son commandement. Autant d’atouts qu’il saurait exploiter à son avantage, vingt ans plus tard. Ces années furent aussi formatrices en lui révélant les difficultés politiques des colons face aux représentants officiels du gouvernement britannique, et sans doute l’idée d’un fort gouvernement national, autonome, germa dans son esprit à cette époque.

Washington retourna vivre dans son domaine de Mount Vernon. Si on suppose qu’il fut amoureux de Sally Fairfax, l’épouse d’un ami, Washington se maria avec Martha Dandridge Custis, une riche veuve, mère de deux enfants. Intelligente, gracieuse, capable de gérer une plantation, Martha tint un rôle déterminant dans la vie de son époux. Ils n’eurent pas d’enfants, et l’on suppose que Washington, ayant contracté la petite vérole à la Barbade en 1751, était devenu stérile. Considérablement enrichi par son mariage, Washington, héros militaire, grand propriétaire, entama une carrière politique à la Chambre des Bourgeois de Virginie dès 1758. Un vrai gentilhomme, passionné de jeux (cartes, backgammon, billard), de chasse à courre, de courses de chevaux, de fêtes, de théâtre, mais aussi très actif dans la gestion de son domaine, expérimentant semences, engrais, rotations culturales, nouveaux outils (il inventa un nouveau modèle de charrue), croisements d’animaux… Ceci tout en continuant à s’investir en politique, présentant l’Assemblée Virginienne un projet de loi visant à interdire l’importation de biens venus de Grande-Bretagne. Un acte s’ajoutant à une série de disputes grandissantes entre la Grande-Bretagne et les treize colonies américaines, marquant des tensions politiques de plus en plus graves entre les colons et leur « mère patrie » monarchique. Washington s’opposa au Stamp Act de 1765 (la première taxe directe sur les colonies), mena les protestations contre les Townshend Acts entamés en 1767, appela au boycott des biens anglais en Virginie jusqu’à l’abrogation des Acts en 1770. La situation s’aggrava quand les Britanniques appliquèrent en 1774 les Actes Intolérables, des mesures économiques répressives censées calmer l’agitation dans les colonies ; Washington s’y opposa ouvertement. Il présida cet été-là la réunion des « Fairfax Resolves », et participa à la Première Convention de Virginie, où il fut désigné délégué du Premier Congrès Continental. La Guerre d’Indépendance allait éclater. Ce fut fait après les Batailles de Lexington et Concord en avril 1775. Washington fut nommé Général et Commandant en Chef de l’Armée Continentale. Le 4 juillet 1776, les membres du Congrès, représentant les treize colonies, parmi lesquels John Adams, Thomas Jefferson et Benjamin Franklin, signèrent la Déclaration d’Indépendance des Etats-Unis d’Amérique en temps de guerre.

Le rôle de Washington dans la guerre fut déterminant ; il fut un commandant prestigieux, combattant sans relâche les redoutables « Redcoats » britanniques, tout en organisant la stratégie générale avec le Congrès – avec des résultats souvent malheureux, synonymes de sanglantes défaites. Mal préparés, indisciplinés, les insurgés perdirent de nombreuses batailles. Malgré tout, grâce à Washington et ses officiers, ils remportèrent aussi des batailles décisives à Boston (1776), Saratoga (1777) et celle de Yorktown, en 1781. Le génie de Washington fut surtout politique ; il rassembla le Congrès, l’armée, les milices, les treize colonies devenues Etats, et aussi les français (peu rancuniers envers celui qui tua jadis leurs hommes, nos ancêtres désireux de bouter les anglais hors d’Amérique prirent une part active à la Guerre d’Indépendance ; le royaume de France finança les insurgés… précipitant du même coup sa propre fin) dans un seul et même but. Après la victoire finale, Washington démantela volontairement l’Armée Continentale, établissant le principe républicain de la suprémacie civile dans les affaires militaires, ainsi que la nécessité de créer une armée entraînée professionnellement. Après une courte retraite à Mount Vernon, Washington rédigea et signa la Constitution Constitutionnelle américaine de 1787 à Philadelphie. Désigné unanimement président de la Convention, il fut unanimement élu par le Collège Electoral premier président de la république des Etats-Unis le 30 avril1789, et réélu en 1792.

A la tête d’un nouveau pays, Washington fut un dirigeant exemplaire, un administrateur efficace rassemblant autour de lui les hommes qui avaient mené les colonies à l’indépendance : Thomas Jefferson, Alexander Hamilton, John Adams, James Madison… Il conserva une attitude neutre lorsque la France révolutionnaire et la Grande-Bretagne se déclarèrent la guerre en 1793, rédigeant une proclamation appelée à influencer pendant longtemps la politique étrangère américaine (les bases de la doctrine Monroe), ceci malgré les avis opposés de Jefferson et Hamilton, respectivement favorables aux français et aux anglais. Il eut à faire face à la Révolte du Whisky en 1794, qu’il arrêta sans violence, signa le traité de Greenville en 1795 (l’abandon des droits des amérindiens sur l’Ohio et l’Indiana), envoya John Jay, président de la Cour Suprême, signer le traité de Londres en 1795 pour rétablir des liens commerciaux avec la Grande-Bretagne. Critiqué pour cette dernière action, Washington ne se présenta pas pour un troisième mandat présidentiel, fixant de fait une coutume devenue depuis une règle constitutionnelle pour les présidents américains. Retiré à Mount Vernon, Washington fut appelé par son successeur John Adams en 1798 à organiser une armée provisoire, en tant que lieutenant-général, face au risque d’une invasion française. Washington refusa cependant de reprendre un rôle public. Le 12 décembre 1799, inspectant son domaine sous la pluie, la grêle et la neige, Washington, restant toute la journée dans des vêtements trempés, contracta une sévère infection de la gorge (probablement une épiglottite). Malade, étouffant, Washington demanda aux médecins de pratiquer une saignée. L’opération lui fut fatale. Les américains portèrent le deuil du grand homme, parfois pendant des mois. A l’étranger, les honneurs lui furent rendus ; Napoléon lui-même décréta dix jours de deuil en France. Il faut noter que Washington, opposé en privé à l’esclavage, fut le seul père fondateur à avoir écrit dans son testament l’affranchissement des esclaves de son domaine – même si les faits (notamment l’attitude de son épouse) contredirent ses croyances. Il va sans dire que l’héritage spirituel et politique de Washington sur son pays est immense, symbolisé par d’innombrables sites, lieux officiels et organisations portant son nom, et bien sûr, le nom de la capitale des Etats-Unis, siège de toutes les ambiguïtés du pouvoir américain.

Au terme de ce parcours, difficile de déterminer avec certitude si Washington était réellement un « Aspie » ; restent quelques indices, assez vagues. Son attitude générale (dictée par une éducation virginienne, la mort de son père et une certaine froideur de sa mère) qui, selon les portraits, paraissait distante mais empreinte de douceur ; ses centres d’intérêt, acquis en autodidacte, révèlent une curiosité et un goût d’apprendre permanents ; quant à ses relations aux autres, elles semblent avoir été menées selon une certaine forme de « neutralité attentive », ouverte mais toujours distante. Assez curieusement, cette même distance semble se retrouver dans les oeuvres consacrées au premier président américain ; s’il a inspiré nombre de recherches et de livres historiques, il semble avoir toujours inspiré une certaine « timidité » respectueuse dans les fictions, au contraire par exemple d’un Abraham Lincoln. Washington a certes inspiré dès les débuts du cinéma américain beaucoup de biographies hagiographiques, mais on serait bien en peine de citer un film marquant. C’est plutôt du côté de la télévision américaine de prestige qu’il faudrait chercher les portraits les plus intéressants. Notamment deux téléfilms de 1984 et 1986, sobrement intitulés GEORGE WASHINGTON et GEORGE WASHINGTON II : THE FORGING OF A NATION, où il est interprété par Barry Bostwick ; et plus récemment, la mini-série historique à succès JOHN ADAMS, où Washington est incarné par David Morse.

Cf. Benjamin Franklin, Thomas Jefferson, Abraham Lincoln

 

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… Williams, Robin :

Trapu, doté d’une pilosité de satyre, un visage de farfadet hilare traversé d’un sourire prêt à remonter jusqu’aux oreilles, l’air malicieux d’un sale gamin toujours prêt à commettre une farce, Robin Williams a le physique idéal pour la comédie, domaine dans lequel il se distingue depuis maintenant près de quarante ans. L’un des acteurs et stand-up comedians américains les plus aimés du public, Williams a le don d’épuiser le plus impassible des intervieweurs, fusant sans arrêt d’une réplique délivrée au rythme d’une mitraillette à une imitation désopilante, montrant une maîtrise de l’improvisation qui a déroute autant qu’elle peut parfois fatiguer. Dès qu’il s’agit de faire rire l’assistance, le bonhomme est inarrêtable. Au vu des personnages qu’il a incarnés et des shows qu’il a interprétés, nul doute qu’il a un sérieux grain de folie. Il a notamment été : un extra-terrestre, un marin amateur d’épinards, un Peter Pan amnésique, un homme-jouet, un génie enfermé dans sa lampe, une gouvernante écossaise, une chauve-souris, un roi de la Lune, un hologramme d’Albert Einstein, des robots, des pingouins, une statue de cire de Teddy Roosevelt, etc. Mais l’acteur a su aussi incarner des personnages plus sérieux – jouant souvent des professeurs, des médecins, des écrivains -, et même cassé son image de rigolo, en incarnant des sociopathes glaçants au début des années 2000. Comme de nombreux acteurs (et particulièrement les acteurs comiques), Williams sait avancer masqué ; entre deux plaisanteries, il s’est parfois livré à demi-mot, révélant un homme d’une grande timidité, souffrant de problèmes d’addiction qui lui ont coûté deux mariages. Lorsqu’il parle normalement (cela lui arrive), Williams laisse apparaître une personnalité terriblement anxieuse, évitant souvent le regard de son interlocuteur, s’exprimant dans un marmonnement à la limite du bégaiement. Un point commun à toute sa filmographie : Robin Williams, qu’il fasse le pitre ou soit totalement sérieux, interprète des personnages en décalage total avec les conventions sociales. Il n’en fallait pas plus pour supposer que l’acteur soit atteint d’une forme particulière du syndrome d’Asperger (ce qui rejaillit dans certains de ses rôles, où il lui arrive même de côtoyer d’autres personnages possiblement Aspies), sans que cela soit confirmé par le principal intéressé ; celui-ci préféra choisir le terme de « syndrome volontaire de la Tourette » pour expliquer sa façon d’être. Quand on pense que Robin Williams, détenteur de quatre Golden Globes, d’un Oscar, six Grammy Awards et tant d’autres prix, avait été catalogué dans sa jeunesse « élève qui a le moins de chances de réussir » !…

Le phénomène surnaturel vit le jour le 21 juillet 1951 à Chicago, le fils unique de Robert Fitzgerald Williams, très sérieux dirigeant exécutif de la Ford Motor Company, et de Laura McLaurin Williams, un ancien mannequin. Descendant d’ancêtres irlandais, anglais, gallois, écossais, français (et on s’étonnera après cela d’apprendre qu’il adore le rugby…) et allemands, le jeune Robin Williams était un enfant solitaire, très paisible. Obligé de suivre les déménagements des parents (qui divorcèrent), il était sans cesse le « nouveau gamin du quartier » et n’arrivait pas à se faire spontanément de nouveaux amis. Sa vis comica naquit avec l’observation des excentricités de ses parents : son père était un homme changeait du tout au tout après quelques verres ; mais ce fut surtout sa mère, d’une nature très enjouée, qui l’encouragea dans cette voie, le petit garçon s’amusant à imiter sa grand-mère (Mrs. Doubtfire ?). Plutôt effacé dans les différentes écoles qu’il fréquenta, Robin Williams réussit à vaincre sa timidité grâce aux cours de théâtre. Après avoir brièvement envisagé des études supérieures politiques, Williams rejoignit la prestigieuse école d’art dramatique de Juilliard à New York, en 1973, sous la férule de John Houseman, ceci en même temps que Christopher Reeve, le futur Superman. Williams montra des capacités remarquables pour maîtriser les dialectes, et quitta Juilliard après trois ans d’études, pour se lancer dans la stand-up comedy : improviser, observer, écouter, répliquer au quart de tour, faire des imitations, de la satire, du burlesque… tout cela en même temps, chaque soir, pour dérider un public impitoyable. Williams réussit tellement bien que ses numéros attirent vite l’attention des gens de la télévision américaine.

En 1977, tout le pays vit en pleine folie science-fictionnelle (STAR WARS est passé par là) ; Garry Marshall, le producteur de la série à succès HAPPY DAYS, se voit demander par son jeune fils d’ajouter un extra-terrestre aux côtés de Ritchie et de Fonzie… Marshall auditionne plusieurs comédiens ; Robin Williams entre dans son bureau et s’assied la tête en bas. Il décroche aussitôt le rôle de Mork, extra-terrestre lunatique de la planète Ork venu étudier les moeurs humaines des fifties ! Les improvisations délirantes de Williams – qui invente un langage lui permettant de dire les pires grossièretés sans être censuré – sont si réussies que Mork obtint vite sa propre série à succès, MORK & MINDY, de 1978 à 1982. Brillant aussi au théâtre à Broadway, l’acteur devient aussi réputé pour ses one-man shows. Le cinéma s’intéresse vite à ce phénomène ambulant. Robert Altman l’engage pour jouer POPEYE produit par Disney en 1980. Robin Williams montrera un jeu plus subtil dans la comédie dramatique LE MONDE SELON GARP de George Roy Hill en 1982, d’après le roman de John Irving ; il y campe T.S. Garp, un écrivain passionné de lutte, fils unique d’une infirmière féministe (Glenn Close), premier personnage lunaire et mélancolique de sa filmographie. La critique apprécie son jeu, tout comme son interprétation de l’immigrant russe Vladimir dans MOSCOW ON THE HUDSON (MOSCOU A NEW YORK) de Paul Mazursky, en 1984. Mais c’est le succès de GOOD MORNING VIETNAM de Barry Levinson (1987), qui fait de Williams une star ; l’acteur incarne le DJ militaire Adrian Cronauer (se permettant des improvisations n’ayant rien à voir avec le vrai Cronauer) et remporte son premier Golden Globe. Début d’une décennie dorée pour l’acteur qui enchaînera les rôles de prestige, les caméos (LES AVENTURES DU BARON DE MUNCHAUSEN, DEAD AGAIN, HARRY DANS TOUS SES ETATS) et les doublages de films animés. On citera ses rôles les plus marquants : le professeur John Keating, héros inspirateur des étudiants du CERCLE DES POETES DISPARUS de Peter Weir (1989) ; Malcolm Sayer, médecin « double » fictif du docteur Oliver Sacks dans AWAKENINGS (L’EVEIL, 1990) de Penny Marshall ; Parry, le clochard se prenant pour le chevalier Perceval, fou d’amour pour une femme autiste dans FISHER KING de Terry Gilliam (1991) ; Peter Banning, homme d’affaires dépressif et père dépassé, oubliant avoir été Peter Pan, dans HOOK de Steven Spielberg (1991) ; Daniel Hillard, comédien en instance de divorce, se travestissant en MRS. DOUBTFIRE (1993) pour rester auprès de ses enfants ; Alan Parrish, piégé par le diabolique jeu de plateau JUMANJI (1995) ; Hunter « Patch » Addams, médecin et clown dans PATCH ADAMS (DOCTEUR PATCH, 1998)… Côté doublage, on se souvient tous bien sûr du numéro déchaîné de Williams en Génie d’ALADDIN (1992) pour les studios Disney ; Williams prêtera aussi sa voix, notamment, au « Professeur Know » inspiré par Einstein, pour A.I. INTELLIGENCE ARTIFICIELLE de son ami Spielberg. Williams fut en fait enregistré par Stanley Kubrick, initiateur du film, qui remit l’enregistrement « clés en mains » à Spielberg. On citera aussi les pingouins Ramon et Lovelace des deux HAPPY FEET réalisés par George Miller en 2006 et 2011. Mais Williams sut aussi s’illustrer dans des registres beaucoup plus sérieux : sa prestation dans WILL HUNTING de Gus Van Sant (1997) fut saluée et récompensée d’un Oscar du Meilleur Second Rôle ; Williams se montre d’une remarquable sobriété dans le rôle de Sean Maguire, psychologue endeuillé aidant Will Hunting (Matt Damon), mathématicien surdoué (et peut-être autiste), à franchir un palier important de sa vie. S’il continue à s’illustrer généralement dans des comédies, Williams n’hésita pas aussi à malmener son image en incarnant, en quelques films, des personnages franchement inquiétants. Il campera ainsi un mémorable écrivain assassin manipulateur dans INSOMNIA (2002), face à Al Pacino devant les caméras de Christopher Nolan. Dans le même registre, on retiendra aussi ONE HOUR PHOTO (PHOTO OBSESSION, également en 2002) de Mark Romanek, où il est un inquiétant employé de laboratoire de photo s’immisçant dans la vie d’une famille sans histoires, et l’étrange thriller de science-fiction FINAL CUT (2004) où il enregistre et édite la mémoire de personnes défuntes, et découvre leurs secrets… Ceci, donc, résumant les grandes heures de la carrière de Robin Williams, qui est loin de s’y cantonner. Familier des caméos télévisuels (FRIENDS), Williams a aussi une carrière bien remplie sur les planches les one-man shows, que ce soit en solo où en trio avec Whoopi Goldberg et Billy Crystal, et les activités caritatives.

Robin Williams a aussi ses démons. Il n’est pas étonnant de voir nombre de ses personnages se débattre avec la rupture et le deuil conjugal, une situation que l’acteur a malheureusement bien connu. Marié à Valerie Velardi en 1978, Robin Williams fut un mari volage ; ils divorcèrent en 1988, Williams épousant l’année suivante Marsha Garces, la nounou de son fils aîné Zack. A cause de « différences irréconciliables », Robin Williams divorça de Marsha en 2008. Il s’est remarié en 2011 avec Susan Schneider. L’acteur a connu de graves problèmes de dépendance à la cocaïne, durant les années 1970, et à l’alcool. Il a connu le « moment de clarté » salvateur au tournant des années 1980, suite à la naissance de son fils, au décès de son ami John Belushi (victime d’une overdose fatale), et d’une comparution devant le juge. Guéri de son addiction à la drogue, Williams continue de lutter, pour son bien et celui de ses proches, contre l’alcoolisme.

Sur une note plus souriante, et pour en revenir à des centres d’intérêt qui laissent supposer que Robin Williams pourrait avoir le syndrome d’Asperger. Outre une grande passion pour le rugby, Williams est un grand amateur de cyclisme ; on a pu le voir accompagner Lance Armstrong sur le Tour de France à de nombreuses reprises, et Williams possède une collection de plus de cinquante vélos. Il est connu pour être fou de jeux de rôles et de jeux vidéo, une passion qui l’a poussé à donner à sa fille et son fils cadet les noms de Zelda (THE LEGEND OF ZELDA, jeu pour lequel lui et sa fille ont même tourné une publicité) et Cody (FINAL FIGHT). 100 % pur  »nerd » en la matière !

Cf. Stanley Kubrick, Oliver Sacks, Steven Spielberg

 

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… Wittgenstein, Ludwig (1889-1951) :

La logique est une chose fondamentale chez les personnes autistes Asperger ; le monde extérieur paraît tellement chaotique, incompréhensible et rempli de contradictions aux yeux de ceux-ci, qu’ils développent en retour un besoin de logique et de rigueur ; chez les personnes les plus « atteintes », ce besoin devient vite pathologique. Le cas du philosophe Ludwig Wittgenstein illustre assez bien ce trait. L’auteur autrichien (puis naturalisé britannique) du TRACTATUS LOGICO-PHILOSOPHICUS a consacré l’essentiel de sa vie à chercher un sens logique derrière toute chose, réalisant des avancées majeures dans le domaine de la philosophie analytique, des fondements des mathématiques, de la philosophie (et des limitations) du langage. Une quête absolue de la Vérité qui a écarté – et souvent aliéné – cet esprit brillant des conventions sociales ordinaires.

Il est né à Vienne le 26 avril 1889, le plus jeune des cinq fils de Karl et Leopoldine Wittgenstein. Catholiques descendant d’ancêtres juifs convertis, les Wittgenstein étaient la seconde plus riche famille d’Autriche ; ils eurent neuf enfants, dont l’un, une fille, mourut en bas âge. Les huit enfants vécurent dans un milieu hautement cultivé, intellectuel, où les plus grands artistes étaient les invités de marque de la famille : Auguste Rodin, Gustav Klimt, Johannes Brahms, Gustav Mahler, pour ne citer que ceux-là, furent engagés par les Wittgenstein et croisèrent ainsi le jeune Ludwig, ses frères et ses soeurs. Les enfants Wittgenstein se montrèrent exceptionnellement doués dans le domaine artistique, semblant avoir été tous dotés d’un don particulier, l’oreille absolue. Hans, pouvait identifier l’effet Doppler d’une sirène dès l’âge de quatre ans ; un autre frère, Paul, était doté de la même particularité, tout comme Ludwig. Paul Wittgenstein devint d’ailleurs par la suite un pianiste exceptionnel. Les soeurs de Ludwig Wittgenstein reçurent la même éducation, et développèrent des dons artistiques et intellectuels remarquables ; Margaret, notamment, eut une grande influence sur Ludwig. Mais cette famille d’exception était dominée par un père, décrit comme incroyablement exigeant, perfectionniste, sévère sur les questions d’éthique, et sans empathie. Baignant dans cette éducation rigide dès sa plus tendre enfance, Ludwig Wittgenstein développa une mémoire musicale étonnante, avec une préférence marquée pour l’oeuvre de Franz Schubert qui structura sa pensée. En compétition permanente avec ses frères aînés, le jeune Wittgenstein montra aussi des intérêts exclusifs pour d’autres activités artistiques : le dessin, la peinture et la sculpture. Il suivit une éducation privée, ne fréquentant pas l’école avant d’avoir quatorze ans. La famille Wittgenstein fut marquée par des suicides : Hans disparut mystérieusement en 1902 alors qu’il s’était enfui en bateau vers l’Amérique ; un autre frère aîné de Wittgenstein, Rudi, se donna la mort à Berlin en 1904. Homosexuel, il s’était vu interdire par son père de mentionner son nom, alors qu’il venait de contacter le Comité scientifique humanitaire, la toute première association de défense des droits des homosexuels pour faire campagne contre le Paragraphe 175 du Code Criminel Allemand. A cette époque, Karl accepta enfin que Ludwig soit envoyé à l’école normale, à Vienne, mais le jeune garçon ne réussit pas l’examen d’entrée, et dût entrer à la place à la Realschule de Linz, un lycée plus technique. Il se montrait distant et peu sociable avec les autres élèves, qui se moquaient de lui (parmi eux se trouvait, dans sa classe, un certain Adolf Hitler), et échoua à son examen d’Allemand à l’écrit, à cause d’une mauvaise orthographe. Durant cette époque, Wittgenstein décida qu’il avait perdu toute foi en Dieu, se plongeant dans la philosophie de Schopenhauer, puis celle d’Otto Weiniger et de Gottlob Frege, dont les concepts l’influencèrent.

Diplômé en ingénierie mécanique à l’Ecole Technique de Charlottenburg à Berlin, en 1908, intéressé par l’aéronautique, Wittgenstein partit à Manchester en Angleterre pour faire son doctorat (il élabora même les plans d’une hélice pour laquelle il déposa un brevet en 1911). Il changea toutefois de centre d’intérêt en découvrant les ouvrages de mathématiques, non seulement de Frege, mais aussi de Bertrand Russell  (LES PRINCIPES DES MATHEMATIQUES). Un intérêt accru pour la logique et les mathématiques, qui devint vite son obsession absolue, encouragé en cela par ses rencontres avec Frege à l’Université d’Iéna, en 1911 ; en octobre de cette même année, sur la suggestion de ce dernier, Wittgenstein partit pour Cambridge, afin de continuer ses études sous la direction de Russell au Trinity College. Wittgenstein, passionné par les conférences de son nouveau mentor, lui « collait » littéralement aux basques pour parler de philosophie à n’importe quel moment, ce qui ne manquait pas souvent d’agacer Russell, très impressionné cependant par ce jeune génie. Wittgenstein rejoignit le Cambridge Moral Sciences Club, un groupe de discussion philosophique où il domina vite les débats. Il fut aussi invité par John Maynard Keynes à rejoindre les Cambridge Apostles, mais Wittgenstein n’apprécia pas l’ambiance du groupe, portée sur l’humour, les futilités (et les relations amoureuses) du groupe, et s’en éloigna vite. Wittgenstein rencontra David Hume Pinsent en 1912, dont il devint vite l’ami, et l’amant. Les deux hommes voyagèrent ensemble à plusieurs reprises.

Karl Wittgenstein mourut en janvier 1913 ; Ludwig reçut sa part de l’héritage, faisant de lui un des hommes les plus riches d’Europe, et il donna en retour une partie de son argent à des artistes et des écrivains qu’il appréciait, comme Rainer Maria Rilke. Se sentant incapable de s’attaquer aux questions logiques qui l’obsédaient à Cambridge, Wittgenstein se retira à Skjolden en Norvège pour écrire LOGIK (NOTES ON LOGIC), le « brouillon » du futur TRACTATUS. G.E. Moore vint de Cambridge pour l’aider comme secrétaire, mais les relations entre les deux hommes furent difficiles, en raison du caractère de Wittgenstein. Malgré les demandes de Moore, l’université de Cambridge refusa de valider NOTES ON LOGIC pour son diplôme final, ceci à la grande fureur de Wittgenstein qui accabla Moore de reproches. Ils ne se parlèrent plus pendant quinze ans. Lorsque la 1ère Guerre Mondiale éclata, Wittgenstein s’engagea volontairement dans l’armée austro-hongroise, pour se confronter directement à la Mort. Il vivra les combats les plus brutaux en première ligne, au gré de ses affectations entre 1916 et 1918. Wittgenstein fut d’une bravoure exceptionnelle au combat, récompensé de plusieurs titres honorifiques pour ses actions ; à travers la guerre, il continua à lire (se plongeant dans les lectures de Tolstoï et Dostoïevski) et à écrire intensément, marquant dans son journal un mépris certain pour la médiocrité intellectuelle de ses camarades soldats. La guerre avait affecté ou emporté des proches. Son frère aîné Kurt se suicida dans les derniers jours du conflit, par dégoût, alors que ses soldats désertaient en masse ; Paul revint mutilé d’un bras (et continua cependant sa carrière de pianiste virtuose malgré son handicap). David Pinsent, lui, était mort au printemps 1918 dans un accident d’avion. Sans doute sorti des combats profondément traumatisé, Wittgenstein, voyant la publication du TRACTATUS refusée par les éditeurs, sombra dans une grave dépression, développant des idées suicidaires.

Héritier multimillionnaire, héros de guerre, complètement transformé par son expérience, Wittgenstein devint enseignant de cours élémentaire, et également (pendant l’été 1920) comme jardinier dans un monastère, à la grande incompréhension de ses proches. Il fut un professeur passionné, mais dont les excentricités (comme de faire de la cuisine de l’école de Trattenbach sa chambre à coucher) furent assez mal vues, de même que sa rigueur qui le faisait vite craindre de ses élèves trop lents à ses yeux. En 1921, le TRACTATUS LOGICO-PHILOSOPHICUS, ainsi nommé en référence à l’oeuvre de Baruch Spinoza, fut enfin publié, d’abord en allemand ; le livre fut défendu et préfacé par Bertrand Russell, une aide qui ne satisfit pas Wittgenstein, estimant que son ancien mentor avait mal compris sa philosophie et se montrait trop désinvolte. Peu à peu, leur amitié initiale se défaisait. Le philosophe continua à enseigner, à Hassbach puis Puchberg et Otterthal ; menant une véritable vie d’ascèse, Wittgenstein était déterminé à couper les liens avec sa famille (il refusait leur aide et renvoyait leur argent), comme avec ses anciens camarades de Cambridge. Son caractère déjà maussade, méprisant envers les gens du commun, s’était aggravé. Pire, il malmenait toujours leurs enfants ; particulièrement à Otterthal, où sa carrière d’enseignant prit fin en avril 1926. Une jeune fille, Hermine Piribauer, et un jeune garçon, Josef Haidbauer, « coupables » d’apprendre trop lentement, furent victimes de ses foudres. Il frappa si fort le jeune Haidbauer que celui-ci s’écroula, inconscient. Après l’avoir emmené dans le bureau du proviseur, Wittgenstein quitta l’école et se heurta au père furieux d’Hermine. Après avoir un temps disparu du village, il démissionna ; il y eut une enquête, sans résultat, peut-être étouffée sur intervention des Wittgenstein. Entretemps, la publication du TRACTATUS avait fait l’effet d’une révolution dans les milieux intellectuels ; Wittgenstein, revenu travailler quelques mois en 1926 comme jardinier à Hütteldorf, vint participer à des discussions passionnées au Cercle de Vienne. Mais là où ses hôtes gardaient une approche très « scientifique » des questions de son traité, Wittgenstein, plus religieux que philosophe, s’opposait à eux, exprimant son désaccord en leur tournant le dos et lire de la poésie de Tagore à voix haute… Invité par Margaret à concevoir sa nouvelle maison viennoise, Wittgenstein, avec l’aide de son ami Paul Engelmann et d’architectes réputés, créa une maison moderne qu’il supervisa dans les moindres détails ; un travail de longue haleine, qui prit fin en décembre 1928. La Maison Wittgenstein, toujours présente de nos jours, fut la réalisation architecturale de sa pensée.

Il retourna enfin à Cambridge en 1929, pour présenter son TRACTATUS comme thèse de doctorat à l’examen final, sous l’examen de Bertrand Russell et G.E. Moore. Enfin diplômé en philosophie à 40 ans, Wittgenstein fut nommé fellow de Trinity College et habilité à donner des conférences, réalisant avec une certaine horreur qu’il était devenu une célèbre. Loin de s’en satisfaire, Wittgenstein se sentait aussi incompris qu’auparavant. Le doute, dans sa recherche absolue de la Vérité, s’immisçait ; pendant le restant de sa vie, il s’interrogea sur son travail, critiquant son propre travail, recherchant obsessionnellement les défauts de son ouvrage. Toujours aussi redoutable et impérieux dans les discussions, il choisit de quitter le Cambridge Moral Sciences Club pendant les années 1930, car il monopolisait les débats et empêchait ses contradicteurs de parler. Wittgenstein eut une liaison amoureuse avec Marguerite Respinger, une amie de sa famille, mais leur projet de mariage échoua en 1931. Les sympathies politiques de Wittgenstein étant très orientées à gauche, au point d’idéaliser le communisme. Avec son ami et amant Francis Skinner, il partit à Moscou et Léningrad en 1935, espérant y trouver du travail ; espoir déçu quand on lui proposa un poste d’enseignant (mauvais souvenirs…) alors qu’il préférait un travail manuel. Wittgenstein repartit en Angleterre, avant de retourner en Norvège en 1936-1937. Commençant à travailler sur les INVESTIGATIONS PHILOSOPHIQUES, il écrivit aussi une série de confessions à ses amis ; marqué par la culpabilité excessive, Wittgenstein voulait ainsi nettoyer sa conscience de péchés somme toute bien mineurs. Il revint contre toute attente à Trattenbach, pour demander le pardon à ses anciens élèves, ceux qu’il avait frappé durant sa période d’enseignant. Il voyagea aussi en Irlande en 1938, pour rendre visite à son ami Maurice O’Connor Drury, et Eamon De Valera, le chef du gouvernement en personne. Cette même année, l’Anschluss, l’annexion forcée de l’Autriche au IIIe Reich, fut un autre coup terrible porté à la famille de Wittgenstein. Contre paiement d’une partie de leur immense fortune à la Reichsbank, les frères et soeurs Wittgenstein se virent classer Mischlinge, « sang-mêlés », une reclassification raciale équivalant à un traitement de faveur, si l’on ose dire, de la part d’Hitler qui donna son accord dans les négociations menées par Margaret. Paul Wittgenstein s’enfuit d’Autriche pour la Suisse, et rompit les liens avec son frère et ses soeurs pour avoir traité avec la Bête.

A Cambridge, Wittgenstein, désormais citoyen britannique, obtint la chaire de philosophie après le départ de Moore. Ses opinions avaient totalement changé au fil des ans ; désormais, il doutait que les mathématiques, entre autres choses, pouvaient établir une quelconque vérité logique, et que leur fonction ne pouvait être que purement symbolique. Une approche fortement contestée par un mathématicien surdoué qui assistait à ses conférences en 1939 : Alan Turing, qui s’opposa à lui dans des débats animés. Au début de la 2ème Guerre Mondiale, Wittgenstein, devenu désormais l’un des plus grands philosophes de son temps, trouva sa situation intolérable. Il réussit à se faire engager au Guy’s Hospital de Londres, travaillant anonymement au dispensaire ; il déconseillait cependant aux patients de prendre les médicaments qu’on leur prescrivait. Francis Skinner mourut de la polio en 1941 ; Wittgenstein devint l’ami proche de Keith Kirk, l’apprenti de son amant. Une fois marié, Kirk ne revit plus Wittgenstein. Le philosophe fut aussi assistant laborantin à la Royal Victoria Infirmary de Newcastle vers la fin de la guerre, sous la direction des docteurs Reeve et Grant. De plus en plus distant de la vie à Cambridge, Wittgenstein fut au centre d’une nouvelle controverse durant une réunion au Cambridge Moral Sciences Club, en octobre 1946, un débat philosophique tendu avec Bertrand Russell et Karl Popper. Une discussion sur les règles morales qui faillit déraper, Wittgenstein, pour démontrer son point de vue (selon lui, les problèmes philosophiques étant des « jeux » linguistiques et non une réalité concrète), agita un tisonnier brûlant devant Popper, avant de s’en aller. Wittgenstein préféra finalement se concentrer sur l’écriture, et démissionna de Cambridge l’année suivante. Il voyagea en Irlande, en 1947-1948. La dépression, l’isolement et la maladie prenaient le dessus. Après un séjour à New York en 1949, il rentra en Angleterre, où il fut diagnostiqué d’un cancer de la prostate, inopérable. Wittgenstein ne cessa de voyager durant ses dernières années : à Vienne, où il rendit visite à sa soeur Hermine jusqu’à la mort de celle-ci en février 1950 ; à Londres, à Oxford, en Norvège avec son dernier compagnon, Benjamin Richards. Enfin, à Cambridge, il alla vivre chez le docteur Bevan et sa femme Joan, à Storey’s End, un nom bien symbolique (« Fin de l’Histoire » ?). Wittgenstein, qui n’avait plus l’inspiration à la philosophie, se plongea subitement dans la rédaction de son dernier texte, le manuscrit 177, le 25 avril 1951. Il le finit deux jours plus tard, juste après son 62ème anniversaire. Le philosophe était allé jusqu’au bout de sa passion, au sens spirituel ; veillé par Joan Bevan, il lui dit « Dites-leur que j’ai eu une vie merveilleuse. » avant de fermer les yeux. Ludwig Wittgenstein mourut le 29 avril 1951, laissant derrière lui près de 30 000 pages manuscrites remplies de ses innombrables réflexions. Publiées à titre posthume en 1953, les INVESTIGATIONS PHILOSOPHIQUES sont toujours considérées aujourd’hui comme un chef-d’oeuvre, et l’un des très rares exemples de remise en question critique de l’oeuvre d’un philosophe par celui-ci.

On citera (au risque de paraître assez trivial vu la complexité de la vie et de l’oeuvre du philosophe) rapidement les références culturelles hors du champ d’études habituelles sur Wittgenstein ; un film estampillé très « art et essai » de 1993, signé de Derek Jarman : WITTGENSTEIN. Ce n’est pas un « biopic » conventionnel, plutôt une représentation très théâtralisée de la vie et des idées intellectuelles de Ludwig Wittgenstein. On citera, dans un tout autre registre, la citation d’un bref passage de la vie de ce dernier dans le thriller MEURTRES A OXFORD sorti en 2008 ; un éminent professeur logicien (joué par John Hurt) cite le TRACTATUS et le film nous montre l’image d’un jeune Wittgenstein, en pleine écriture fiévreuse de son traité, absolument indifférent aux bombes de la 1ère Guerre Mondiale qui s’abattent autour de lui…

Cf. Bertrand Russell, Alan Turing

 

 

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… Wonka, Willy (Johnny Depp) dans CHARLIE ET LA CHOCOLATERIE adapté par Tim Burton

Depuis la sortie en 1964 du roman CHARLIE ET LA CHOCOLATERIE, dû à l’imagination fertile de Roald Dahl, tout le monde connaît l’histoire de Charlie Bucket, gentil garçon invité à découvrir, avec quatre affreux gamins, la fabuleuse chocolaterie de Willy Wonka. Véritable star du livre, Willy Wonka, le « magicien du chocolat » réserve une récompense spéciale au meilleur de ses invités… et des embûches pour les autres, ainsi qu’à leurs mauvais parents ! L’univers de Roald Dahl était fait pour rencontrer celui de Tim Burton ; avant que le cinéaste d’EDWARD AUX MAINS D’ARGENT ne s’attelle en 2005 à une nouvelle adaptation de son livre (déjà adapté en 1971 avec Gene Wilder, sous le titre WILLY WONKA ET LA CHOCOLATERIE), il avait déjà produit en 1996 une version animée d’un autre de ses ouvrages, JAMES ET LA PÊCHE GEANTE. Burton retrouvait ici son fidèle complice/alter ego Johnny Depp pour incarner Willy Wonka, ce dernier ajoutant un « allumé » supplémentaire à une galerie de rôles déjà bien fournis en la matière. Le livre, aussi réussi soit-il, restait d’une linéarité toute enfantine ; Willy Wonka n’y était guère plus qu’une sorte de Mr. Loyal tourbillonnant, quoique doté de l’humour noir typique de l’auteur. Adapter le personnage pour le grand écran nécessitait de lui donner un peu plus de profondeur, Burton et son scénariste John August (BIG FISH, CORPSE BRIDE / LES NOCES FUNEBRES et FRANKENWEENIE), avec l’aide de Depp, ont pris soin de le rendre un peu plus complexe. Willy Wonka version Johnny Depp a maintenant un passé, et, derrière une image de clown, dissimule quelques failles et beaucoup de troubles typiques de l’univers de Burton… On n’est pas surpris de voir en Willy une certaine tendance à l’obsession, aux manies, et une dramatique incompétence sociale qui le rattache (sous le voile de la fantaisie débridée) au fameux syndrome d’Asperger. Willy, reclus dans sa chocolaterie, est un peu le pendant inverse d’Edward aux Mains d’Argent ; accompli professionnellement, il se retrouve isolé de tous. Là où Edward allait vers les autres, avant de découvrir la mesquinerie et la méchanceté de ses voisins, Willy, lui, reste obstinément enfermé dans son univers au début de l’histoire.

Le Willy Wonka de Tim Burton est un curieux personnage ; légèrement différent de sa description dans le roman, Willy reste un clown, objet d’une des phobies d’enfant du cinéaste (on s’en doutait un peu, depuis Beetlejuice et le Joker…). Le teint pâle du reclus permanent, portant toujours un énorme chapeau victorien (qui cache une invraisemblable coupe au bol), des dents soignées à l’excès, une paire de gants hygiéniques, des lunettes de soleil démesurées et un immense manteau de velours pourpre, Willy semble s’être échappé d’une émission télévisée pour enfants des années 1960-70. Burton et Depp se sont inspirés de diverses personnalités très diverses pour créer leur Willy Wonka. Celui-ci combine des traits caractéristiques d’Howard Hughes et Michael Jackson (pour le côté « fou reclus »), Harold Lloyd (pour le mélange de timidité et de burlesque), Marilyn Manson (pour le  »masque » pâle à l’excès), Forrest Edward Mars Sr. (pour son domaine de prédilection), et de vedettes d’émissions enfantines hallucinées, comme Captain Kangaroo ou Pancake Man… Willy Wonka est, dans son domaine professionnel, un génie ; mais, à l’instar d’un Howard Hughes, il s’est coupé des plus simples relations humaines. Comme ce dernier, il vit un effondrement psychologique total, se montrant absolument incapable de nouer des relations saines avec ses jeunes visiteurs et leurs parents ; lesquels, à l’exception de Charlie et de Grand-Père Joe, sont d’ailleurs les parfaits exemples de ce qu’il faut éviter en matière de pédagogie basique ; ils sont d’affreuses petites caricatures d’adultes, poussés dans leur pires travers par des géniteurs incapables d’assumer leur rôle d’adultes… Willy, franchement inquiétant derrière sa bonne humeur feinte et ses inventions fantastiques, leur réserve un sort joyeusement cruel.

Le comportement du roi du chocolat ne trompe guère sur son syndrome d’Asperger bien avancé. Non seulement il ne semble ne rien comprendre aux réactions de ses invités, mais il n’a aucune conscience des conséquences de ses propres actes à leur égard. C’est quand même lui qui a licencié Grand-Père Joe, et provoqué le renvoi du père de Charlie par ses décisions financières. Ses Oumpas-Loumpas sont des ouvriers bien plus « rentables », travaillant littéralement pour des « cacahuètes »… ou pour des graines de cacao, en l’occurence. Avec les enfants, ce n’est pas plus brillant ; Willy est hypocondriaque au dernier degré, et même une simple poignée de main lui cause du dégoût ; il n’hésite pas non plus à rabaisser d’un mot cinglant ses jeunes invités. Ceci, tout en essayant de paraître désespérément cool, ce en quoi il échoue lamentablement, ses références culturelles étant bien trop datées pour plaire à ses invités. Surtout, pour des raisons qui lui sont très personnelles, Willy a une phobie absolue des familles, plus particulièrement des pères. Toutes ses autres étrangetés de comportement sont forcément liées à un sérieux traumatisme, et à ce satané syndrome qui le handicape dans ses toutes ses tentatives d’établir le moindre contact humain. Contrepartie de ce handicap, Willy Wonka se montre d’une ingéniosité illimitée dans son domaine de prédilection, pour le bonheur des enfants, et des spectateurs de tous âges. Ses incroyables créations sont son langage. Quel enfant n’y résisterait pas ? Forêt et rivière en chocolat, bateau en sucre candi, laboratoire où sont expérimentés de nouveaux bonbons aux étonnants pouvoirs, dressage d’écureuils spécialistes en noix, machine à téléporter le chocolat dans la télévision (d’où un détournement inénarrable du très sérieux 2001 : L’ODYSSEE DE L’ESPACE de l’ami Stanley Kubrick !), etc. De la féerie, avec une touche légèrement angoissante propre aux meilleurs contes de fées, annonçant des punitions sur mesure pour les garnements désobéissants… Willy prend d’ailleurs un malin plaisir à leur tendre les pièges, avec la complicité chantante de ses Oumpas-Loumpas.

Mais on peut aussi voir, derrière la joyeuse visite-concours organisée et présentée par Willy Wonka, un autre aspect : un appel à l’aide déguisé du principal intéressé à ses jeunes invités. On sait certes que le but de la visite est de récompenser un des enfants en le désignant comme l’héritier de la chocolaterie ; Burton et son scénariste développent des idées originales sur cette idée assez simple. Willy, resté enfermé dans sa « bulle » depuis des années, privé de contacts humains, cherche aussi quelqu’un qui puisse l’aider à reprendre pied dans la réalité. La découverte d’un cheveu blanc (jeu de mot en VO sur « Silver hair » – cheveu blanc – et « Silver heir » – héritier financier) amène Willy à prendre conscience de sa vieillesse inévitable, de son avenir, et donc à se confronter à un traumatisme non résolu… En désignant Charlie « enfant le moins horrible » vainqueur du concours, Willy règle ses comptes, en éliminant au fur et à mesure les « mauvais » enfants qui le ramènent à sa propre enfance ratée. Souvenirs d’Halloween, la fête fétiche de Tim Burton, qui nous montre un Willy affublé d’un monstrueux appareil d’orthodontie ; triste cadeau d’un père dentiste, professionnel brillant mais sans affection (joué par Christopher Lee, Dracula en personne !), ce véritable instrument de torture médiévale sépare déjà Willy de ses petits camarades – tout en l’affublant de ce sourire grotesque qu’il conserve à l’âge adulte. Le paternel le lui a posé pour la sécurité de sa dentition, et jeté l’interdit absolu sur les bonbons, chocolats et sucreries. Bien entendu en pareil cas (c’est le propre des fables), l’interdit provoque l’effet inverse ; Willy, en cachette, avale un bonbon et devient obsédé par les confiseries, provoquant son départ du foyer et sa fuite en avant ; fuite assez dérisoire et imaginaire, puisqu’elle se limite à marcher devant une carte du monde dans un musée… Ainsi piégé dans son propre imaginaire de chocolats et de bonbons magiques, Willy se retrouve incapable de mûrir, pas sans aide extérieure. Charlie, le seul enfant resté honnête avec lui, refusera son invitation à le suivre dans ses délires. Le coup est rude pour lui comme pour Willy, une désillusion nécessaire ; le gamin mûrit en découvrant que les faiblesses de son héros, et celui-ci apprend qu’on peut lui dire « non » malgré tout son pouvoir. Il doit prendre sur lui, pour revenir demander l’aide de Charlie à renouer, difficilement, avec son père. Une fois ce conflit enfin réglé, Willy peut repartir sur des bases saines, gagner une véritable amitié, et même une nouvelle famille. Le compromis de la maturité sera enfin trouvé dans la dernière scène ; un happy end léger, un peu doux-amer, qui renvoie forcément l’évolution de Willy Wonka, l’asocial excentrique, à celle de Tim Burton, qui avoua avoir mis beaucoup de lui-même dans l’histoire de l’enfance du personnage.

Cf. Tim Burton, Howard Hughes ; Edward (EDWARD AUX MAINS D’ARGENT)

 

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… Woolf, Virginia (1882-1941) :

Qui a peur de Virginia Woolf ?… l’écrivaine et femme de lettres, auteur de Mrs. DALLOWAY et ORLANDO, grande figure de la littérature britannique du 20ème Siècle, annonciatrice du renouveau féministe, a laissé un héritage littéraire considérable, au terme d’une vie de création intimement mêlée à des souffrances personnelles. Les études sur les troubles sévères, très certainement bipolaires, dont elle souffrit, offrent une tentative d’explication éclairante sur sa vision du monde exprimée à travers ses romans, nouvelles et essais. Si ce diagnostic fut généralement admis, il n’est pas interdit de supposer aussi que Virginia Woolf fut aussi, peut-être, une autiste Asperger. C’est du moins une hypothèse secondaire parfois formulée pour expliquer l’originalité de sa pensée, indissociables des traumatismes que l’écrivaine eut à subir durant sa vie.

Née en 1882 à Kensington, Adeline Virginia Alexandra Stephen vécut dès l’enfance dans l’élite de la haute société britannique, bercée dans un milieu artistico-culturel solidement établiSon père était Sir Leslie Stephen, respecté écrivain, éditeur, également alpiniste renommé. Veuf, Sir Leslie fut l’ancien gendre de William Makepeace Thackeray (l’auteur de BARRY LYNDON et LA FOIRE AUX VANITES), et avait une fille de son premier mariage, Laura, souffrant d’un handicap mental qui l’amènera à être internée toute sa vie, à partir de 1891. Sa mère, Julia Duckworth Prinsep (née Jackson), réputée pour sa beauté triste, fut une modèle appréciée des peintres préraphaélites, et descendait d’une grande famille d’intellectuels et d’artistes britanniques. Veuve et mère de trois enfants, George, Stella et Gerald, Julia donna quatre enfants à Sir Leslie après leur mariage : Vanessa, Thoby (surnommé « Julian »), Virginia et Adrian. Les Stephen recevaient de nombreuses grandes figures du monde culturel de leur époque dans leur maison du 22 Hyde Park Gate à Londres ; comme par exemple le grand écrivain Henry James (LE TOUR D’ECROU), ou la grand-tante de Virginia, Julia Margaret Cameron, pionnière de la photographie portraitiste. Difficile de trouver les traces d’une quelconque forme d’autisme chez la jeune Virginia Woolf ; toutefois, la jeune fille développa vite une grande passion pour la littérature, se plongeant dans les livres de la grande bibliothèque familiale. Elle prit aussi conscience très tôt du rôle réducteur accordé aux femmes dans la société victorienne ; alors que ses frères reçurent une éducation officielle, elle et Vanessa durent être éduquées à la maison, par leurs parents. Virginia Stephen fut révoltée par cette différence de traitement, basée sur le préjugé sexiste victorien du rôle des femmes jugées « intellectuellement inférieures » aux hommes, limitées à une agréable compagnie, à la reproduction et aux tâches domestiques. La jeunesse de la future écrivaine fut assombrie, surtout, par les abus sexuels qu’elle subit, ainsi que Vanessa, de la part de ses demi-frères, drame qu’elle relata dans ses essais 22 HYDE PARK GATE et A SKETCH OF THE PAST. Alors qu’elle n’avait que treize ans, Virginia perdit sa mère, puis, deux années après, sa demi-soeur Stella. Cela lui causa une grave dépression, la première d’une série de crises la tourmentant durant toute sa vie. Elle put cependant étudier, entre 1897 et 1901, au Département des Dames du King’s College de Londres, le latin, le grec, l’allemand et l’Histoire. Ces années lui permirent de rencontrer les tous premiers réformateurs de l’éducation féminine anglaise, qui influenceront sa pensée. Virginia Stephen commença à écrire professionnellement en 1900, signant un article pour le Times Literary Supplement sur Haworth, la demeure des soeurs Brontë. Elle connut une nouvelle crise dépressive sérieuse, après la mort de son père en 1904, et dût être brièvement internée. Deux ans plus tard, Thoby mourut de la typhoïde pendant un séjour en Grèce. Sa vie sera toujours handicapée par de violentes sautes d’humeur et «maladies associées» affectant gravement sa vie sociale (phases de réclusion, repli, fugues, idées suicidaires…).

Après la mort de leur père, Virginia, Vanessa et Adrian Stephen vendirent le 22 Hyde Park Gate, pour acheter le 46 Gordon Square, dans le quartier de Bloomsbury. Au début des années 1900, Virginia fréquenta avec grand intérêt les amis de Cambridge de ses frères. Surtout, elle rencontrera les membres fondateurs du Bloomsbury Group, communauté d’artistes et intellectuels anticonformistes, aux idées très avancées en opposition à la morale rigide dominante : Lytton Strachey, Clive Bell (son futur beau-frère, qui épousa Vanessa), John Maynard Keynes, Saxon Sydney-Turner, Roger Fry, Duncan Grant, et Leonard Woolf. Vanessa et Clive Bell joueront un grand rôle dans le développement et la prise de conscience des talents d’écrivain de Virginia. Laquelle, avec son frère Adrian et plusieurs amis liés au Bloomsbury Group, joua un canular mémorable en 1910 au détriment de la Royal Navy ; déguisés en princes abyssins, ils visitèrent en grande pompe le navire de guerre HMS Dreadnought, sans que personne ne se doute de rien. La plaisanterie une fois éventée fit une publicité de premier plan aux bohêmes du Bloomsbury Group, et une belle humiliation publique pour la Navy. Moins drôle, Virginia Stephen dût séjourner cette même année à Burley House, une maison de repos, suite à une nouvelle crise de « troubles nerveux » – terme politiquement correct qui, à l’époque, regroupe aussi l’homosexualité, vue alors comme une maladie mentale. Virginia, attirée par les femmes, eut probablement à souffrir de devoir cacher son orientation sexuelle à la société britannique. Elle fera de nouveaux séjours en 1912 et 1913, et en gardera une profonde aversion contre le milieu médical britannique, autre forme de représentation du pouvoir masculin oppresseur. Cette même année, elle entama la rédaction de son premier roman : THE VOYAGE OUT (LA TRAVERSEE DES APPARENCES). Toujours liée au Bloomsbury Group (enrichi d’autres personnalités telles que l’écrivain E.M. Forster, la mécène artiste Lady Ottoline Morrell, la peintre Dora Carrington), Virginia Woolf accepta la demande en mariage, à l’âge tardif de 30 ans, de Leonard Woolf, journaliste et éditeur juif ; un mariage qui ne fut jamais consommé. La relation entre elle et Leonard fut complexe, malgré leur affection mutuelle ; élevée dans un milieu snob et antisémite par tradition, elle ne se priva pas, dans ses lettres de jeunesse, d’affubler son mari du curieux sobriquet de « Juif sans le sou », et de décrire dans ses oeuvres des personnages affreusement stéréotypés ; au fil des ans, elle modèrera toutefois ses propos et changera son point de vue à l’avènement des mouvements politiques fascistes et antisémites en Europe. Les Woolf se retrouveront même sur la liste des auteurs-éditeurs interdits dans l’Allemagne nazie.

LA TRAVERSEE DES APPARENCES parut en 1915, après une longue et difficile gestation, les nombreux changements vécus par Virginia Woolf dans sa vie influençant grandement l’écriture du roman. Histoire satirique de la société edwardienne, récit du passage à l’âge adulte d’une jeune femme, LA TRAVERSEE obtint un grand succès. Virginia Woolf fut tout de suite saluée comme une écrivaine de tout premier ordre, se distinguant par ses études psychologiques très fines, et une remarquable innovation de la langue anglaise ; Virginia Woolf se distinguera particulièrement par sa technique dite du « courant de conscience », excellant à raconter le récit du point de vue d’un personnage, de son point de vue cognitif. Capable d’un très grand lyrisme, le style de l’écrivaine se distinguait aussi par de fortes descriptions visuelles et auditives d’évènements a priori anodins ; elle se fit aussi reprocher une certaine froideur et un manque de communication dans ses ouvrages ; voilà qui irait encore dans le sens d’un possible « autisme de l’auteur ». Encouragés par ce succès, Leonard et Virginia Woolf fondèrent la Hogarth Press en 1917, publiant ses oeuvres, ainsi que celles de T.S. Eliot ou Laurens Van Der Post, et les peintures de Vanessa Bell et Dora Carrington. En 1922, Virginia Woolf entama une liaison amoureuse intense avec l’écrivaine et poétesse Vita Sackville-West. Leur histoire inspirera à Virginia Woolf l’écriture de son ORLANDO. Entretemps, l’écrivaine, particulièrement active, signera ses romans et essais les plus marquants : à commencer par MRS. DALLOWAY en 1925, où l’un de ses personnages de LA TRAVERSEE DES APPARENCES, Clarissa Dalloway éprouve de grandes difficultés à organiser une réception ; son histoire s’entrecroise avec celle de Septimus Warren Smith, un vétéran de la Grande Guerre. La description du grave syndrome de stress post-traumatique de Septimus est des plus remarquables… et malheureusement des plus prophétiques ; le personnage, souffrant d’hallucinations, finira par se suicider pour mettre fin à son mal. Virginia Woolf enchaîna sur VOYAGE AU PHARE en 1927, largement inspiré de ses souvenirs de jeunesse : le conflit d’une jeune femme, artiste peintre prise au milieu d’un drame familial ; le roman marque aussi par ses opinions sur le rôle des femmes dans la société anglaise, et ses passages méditatifs. Puis, à la fin de sa liaison avec Vita Sackville-West, elle publia ORLANDO, une véritable lettre d’amour à cette dernière, déguisée sous la forme d’une biographie fantaisiste, celle d’un jeune noble traversant les siècles sans vieillir, et changeant de sexe d’une époque à l’autre. Ce sera le roman le plus célèbre de son auteur. L’année suivante, UNE CHAMBRE A SOI, son essai et pamphlet basé sur ses conférences faites aux collèges féminins de Cambridge, sera l’occasion de répéter ses convictions féministes affirmées.

Les années 1930 seront tout aussi prolifiques : citons LES VAGUES (1931) décrit comme un  »monologue à six personnages », permettant à Virginia Woolf d’explorer les concepts de communauté, du « moi », et de la Gestalt ; FLUSH (1933), une biographie semi-parodique de la poétesse Elizabeth Barrett Browning vue par son chien Flush, où Woolf s’intéressa aux barrières du langage créées entre l’animal et l’homme, dépassées selon elle par des actes symboliques. En 1937, ce fut THE YEARS, histoire d’une famille anglaise largement inspirée de la sienne ; et le roman et essai THREE GUINEAS en 1938, traduisant ses réflexions sur la guerre imminente, l’engagement professionnel des femmes dans la société anglaise, et une accusation virulente du fascisme. Mais ces années de créativité, d’écriture comme refuge contre une santé mentale dégradée, seront les dernières. En 1941, Virginia Woolf connut la pire de ses crises. Elle venait de finir le manuscrit de BETWEEN THE ACTS, son dernier roman, testament de ses réflexions sur le langage, la transformation de la vie par l’art, la sexualité, la vie et le temps. Très affectée par la mort de son ami le peintre Roger Fry en 1934, elle venait de publier une biographie en son hommage ; le livre fut très mal reçu par la critique. A ce coup dur, s’ajouta l’épreuve de la guerre : sa maison londonienne de Gordon Square fut détruite par les bombes nazies. Ce fut le coup de trop : incapable de se concentrer sur son travail, perturbée par des voix envahissantes, elle décida de mettre fin à ses jours. Après avoir écrit une lettre déchirante à son mari, Virginia Woolf se suicida le 28 mars 1941, en se noyant délibérément dans la Rivière Ouse. Son corps ne fut retrouvé que trois semaines plus tard. Suicide évoquant celui d’Ophélie dans HAMLET, très symbolique, autant qu’il fait écho à celui qu’elle avait écrit dans MRS. DALLOWAY.

L’oeuvre de Virginia Woolf survécut à sa mort, reconnue unanimement comme celle d’une des écrivaines les plus novatrices de la langue anglaise ; défendue en France par Simone de Beauvoir, l’écrivaine britannique fut également saluée comme une grande féministe dont la réputation remonta en flèche à partir des années 1970. Inspirant nombre d’études et de biographies, Virginia Woolf connut aussi une seconde vie dans la fiction ; particulièrement grâce au succès du roman de Michael Cunningham, THE HOURS, remarquablement adapté au cinéma en 2002 par Stephen Daldry (BILLY ELLIOT, THE READER, EXTRÊMEMENT FORT ET INCROYABLEMENT PRES). Métamorphosée dans le rôle de Virginia Woolf, Nicole Kidman décrocha une pléthore de récompenses prestigieuses, amplement méritées tant la comédienne se fond dans son personnage. Le film, réparti entre plusieurs histoires, suit le séjour douloureux de l’écrivaine à Richmond, dans la banlieue londonienne, en 1923, alors que celle-ci entame à grand peine l’écriture de MRS. DALLOWAY. Souffrant toujours de ses troubles, Virginia Woolf y est décrite comme une femme d’une grande maladresse sociale, mal à l’aise face à ses domestiques qui se répandent en commérages à son sujet ; la visite de sa soeur Vanessa (Miranda Richardson) n’arrange pas son sentiment de malaise, révélant notamment ses idées suicidaires (l’oiseau mort) et la répression de sa sexualité. Même l’aide et le soutien patient de son mari ne peuvent la guérir de ses obsessions (fuir un foyer étouffant, retourner à Londres) tout en la poussant cependant à transcender ses souffrances dans l’écriture de son livre. Souffrances qui constitueront donc sa « passion », au terme de laquelle nous la verrons se suicider, dans la scène d’ouverture, au fond des eaux de l’Ouse.

 

à suivre,

Ludovic Fauchier.



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