
NO PAIN NO GAIN, de Michael Bay
Inspiré d’une histoire vraie survenue à Miami entre 1994 et 1995, le film suit les déboires de Daniel Lugo (Mark Wahlberg), bodybuilder et coach de fitness au Sun Gym Club, rêvant de vivre vite la belle vie et d’y arriver par n’importe quel moyen. L’un de ses clients, Victor « Pepe » Kershaw (Tony Shalhoub), se vantant de sa réussite financière comme patron de sandwicherie, Daniel décide de le kidnapper pour lui extorquer son argent et ses biens. Il entraîne dans son plan son ami Adrian Doorbal (Anthony Mackie) et un troisième larron, Paul Doyle (Dwayne « The Rock » Johnson), ex-taulard converti au christianisme. Ils en sont sûrs : travaillé « san violence », Kershaw acceptera de cracher l’argent. Mais les trois kidnappeurs adeptes de la muscu sont de piètres criminels, et tout va sérieusement déraper…
Je suis sûrement masochiste, et les distributeurs de grands pervers. Ceux-ci ont choisi, cette semaine, les deux extrêmes du cinéma : d’un côté, Jimmy P., d’Arnaud Desplechin, digne représentant d’un cinéma français engoncé d’ordinaire dans ses poses « auteurisantes-fémisardes » qui me font passer d’instinct à « l’ennemi » américain (cela dit, il semble que le films de Desplechin est très bon, alors tout espoir n’est pas perdu) ; de l’autre, le nouveau film de Michael Bay. Et là, tout est dit… En près de vingt ans, Bay a quand même réussi à commettre les blockbusters les plus vilains, les plus putassiers, malmenant les règles élémentaires du langage cinématographique cohérent, et cependant à créer des « machins » fascinants. S’il y a eu quelques exceptions dans ses films, il faut bien l’avouer, ceux-ci provoquent généralement le même effet qu’un accident de la route ou un clip de rappeurs sur MTV : on a beau détester, on ne peut s’empêcher de regarder. C’est autrement inexplicable, c’est triste, et malheureusement, c’est comme ça…
On a cru à un petit miracle quand le réalisateur des blockbusters les plus bourrins de Hollywood (les Bad Boys, Rock et autres Armageddon, pour ceux qui auraient oublié ses premiers ravages) semblait avoir appris quelques leçons de mise en scène de la part de Steven Spielberg, sur les premiers films de leur collaboration (The Island, son meilleur film, et le premier Transformers) ; puis, malheureusement, la Bête a repris le dessus, Bay « transformant » les épisodes suivants de sa saga robotique en monument de bêtise bovine. Mettant temporairement en pause Optimus Prime et ses acolytes avant un quatrième opus, Bay a décidé de faire, avec No Pain No Gain, son film indépendant, une comédie noire reposant soi-disant sur ses personnages et sur un sujet qui est d’habitude du pain béni pour les frères Coen. Fratrie pour laquelle Bay a depuis des années une admiration étrange, vu que leur cinéma est aux antipodes du sien ; Bay « emprunte » d’ailleurs souvent quelques-unes des gueules favorites des Coen dans ses films : notamment Steve Buscemi, John Turturro, Billy Bob Thornton ou Peter Stormare. Cette admiration serait louable, s’il n’y avait une différence de taille entre eux : les Coen ont du talent ; Bay, lui, n’en a pas.
No Pain No Gain, salué par des critiques décérébrés (ou vendus), est certainement ce que le réalisateur a commis de pire. Vous êtes prévenus : ce film est une atrocité, une bouse immonde, un crime contre la notion de bon goût et d’intelligence cinématographique. C’est toujours aussi mal mis en scène et tape-à-l’oeil (une constante chez Bay) ; seuls quelques acteurs surnagent dans ces eaux boueuses et arrivent à retenir l’intérêt du spectateur ; notamment Ed Harris, toujours impeccable et malheureusement présent une quinzaine de minutes. C’est bien peu, face à la bêtise généralisée des personnages principaux, vite antipathiques et jamais touchants (Wahlberg et The Rock sauvent les meubles, de temps en temps). Mais là où No Pain No Gain devient vite insupportable, au-delà des sempiternelles figures de style de Bay (grosses voitures, poses viriles, lumière électrique et montage incohérent au possible), c’est dans son fond, vite abject. Ce film est incroyablement vulgaire, misogyne, raciste et profondément répugnant. Bay se défoule tour à tour sur les obèses, les femmes (classées selon lui en deux catégories : les boudins et les « bitches »), les nains, et étale un nombre invraisemblable de tortures et humiliations sur le kidnappé, qui est juif. Comme si cela ne suffisait pas, donc, Bay a envie d’ajouter « antisémite » à sa liste de défauts… Ajoutez à ce fond bien rance et jamais drôle des extrêmes gros plans sur des projections de bave, de pisse, de poils pubiens, d’orteils explosés ou de mains coupées, balancées plein pot sur le spectateur, et vous avez une assez bonne idée de l’état d’esprit du réalisateur… Des spectateurs pourtant d’habitude « blindés » aux imbécilités de Bay sont partis avant la fin. Ce fut mon cas. Dans quelques siècles, les historiens de l’art qui évalueront la culture d’un pays à son cinéma seront sans doute effarés devant cette « chose ». En attendant ce jour, Bay continuera ses affronts cinématographiques, avec la certitude arrogante du beauf « tout-pour-ma-gueule » qu’il a finalement toujours été.
Et dire qu’il est reparti pour filmer un quatrième Transformers toujours produit par Steven Spielberg… Hm, Steven ?! Tu n’es absolument pour rien dans cette cochonnerie de No Pain No Gain, mais par pitié, arrête de soutenir Bay ! Pourquoi n’aides-tu pas plutôt tes confrères plus brillants, ceux qui traversent une mauvaise passe ? Guillermo Del Toro ou George Miller galèrent des années avant de monter un film ; John McTiernan croupit en prison ; Peter Weir ou Paul Verhoeven n’arrivent plus à tourner… Et pourtant, Bay, lui, a pignon sur rue. Rends-toi service en nous rendant service : lâche Bay, par pitié !
Ludovic Fauchier (furax).