Bonjour, chers amis neurotypiques ! L’été 2014 s’achève, et il fallait bien évoquer le souvenir de quelques figures marquantes du cinéma, disparues durant la saison… Ces dernières semaines, ce fut l’été meurtrier, si vous me passez l’expression, mais rassurez-vous, la Grande Faucheuse Cinéphile devrait (en principe) se calmer et nous pourrons revenir aux traditionnelles critiques de film. Voici le parcours et les souvenirs de quatre noms familiers du grand écran qui s’en sont allés cet été.
L. F.
Lord Richard Attenborough (1923-2014) était bien sûr le cinéaste oscarisé de Gandhi, ou l’acteur de La Grande Evasion et Jurassic Park… mais sa carrière ne s’est pas limitée pour autant à ces titres. En près de soixante-dix années de carrière, il semblait avoir tout vu, tout fait, dans le milieu du cinéma et du théâtre ; depuis ses débuts chez les cinéastes britanniques de la grande époque, jusqu’à sa participation dans le film de dinosaures de Steven Spielberg, en passant par quelques très grands classiques anglais et américains des années soixante, Lord Richard Attenborough s’est dépensé sans compter. Cumulant une impressionnante série de distinctions dépassant le cadre du cinéma et du théâtre, il fut aussi salué et renommé pour son implication dans de très nombreuses activités caritatives dans le monde entier (voir la liste phénoménale dressée par Wikipédia, dépassant une soixantaine de titres honorifiques divers). Difficile donc de résumer une carrière aussi riche en quelques paragraphes… Quoiqu’il en soit, ce drôle de petit homme toujours aimable et chaleureux, immédiatement reconnaissable à son visage poupin qui, avec l’âge, ressemblait au véritable Père Noël (qu’il incarna d’ailleurs !), laisse une trace particulière, en tant qu’acteur, réalisateur et producteur, dans l’histoire du cinéma. Lord Richard Attenborough méritait bien d’être salué ici comme il se doit, de la part d’un spielbergo-dinosaurien invétéré.
Richard Samuel Attenborough naquit à Cambridge le 29 août 1923, de parents universitaires très respectés (son père était un ancien diplômé de la grande université, expert reconnu en loi anglo-saxonne, et proviseur de lycée à Leicester). L’éducation ne fut pas un vain mot chez les Attenborough, le futur acteur-cinéaste et ses deux frères cadets eurent tous de belles carrières dans leurs domaines respectifs. Son plus jeune frère, Sir David Attenborough, est un très célèbre naturaliste en Grande-Bretagne, auteur d’émissions sur la vie animale diffusées dans le monde entier. Attenborough eut aussi deux sœurs adoptives, juives allemandes, recueillies par ses parents après leur fuite hors de l’Allemagne nazie en 1939. Une légende tenace veut que Richard Attenborough ait commencé à jouer au théâtre dès l’âge de trois ans ; toujours est-il qu’il fit réellement ses débuts d’apprenti comédien au Little Theater de Leicester, où il fit sa scolarité. Il entra ensuite à la prestigieuse RADA, la Royal Academy of Dramatic Arts, véritable vivier à talents et centre formateur des plus grands comédiens britanniques. Il fit ses débuts professionnels d’acteur sur les planches au moment où l’Angleterre entra en guerre contre l’Allemagne d’Hitler ; tout en jouant au théâtre, il fit ses grands débuts au cinéma en 1942 dans le célèbre film de guerre de Noel Coward et David Lean, Ceux qui servent en mer. Un petit rôle, non crédité, celui d’un jeune matelot terrorisé par les combats, et qui fuyait son poste au grand déplaisir, très britannique, de son flegmatique commandant joué par Coward… Richard Attenborough, avec son allure de petit garçon inquiet, excella à jouer des rôles similaires dans les années qui suivirent. Le jeune homme s’engagea dans la RAF, rejoignant l’unité de tournage dirigée par John Boulting pour filmer les opérations du Bomber Command. Tout en jouant dans des films de propagande (Journey Together, en 1943, avec Edward G. Robinson), le jeune Attenborough participa à des vols extrêmement dangereux, filmant depuis un bombardier les terribles images de tapis de bombes déversées sur les villes allemandes. En 1945, Attenborough épousa Sheila Sim, sa consoeur étudiante à la RADA, qui joua souvent avec lui à l’écran. Ils eurent trois enfants.
ci-dessus : Brighton Rock (Le Gang des Tueurs) lança la carrière de Richard Attenborough au cinéma, en 1947, dans le rôle de l’inquiétant Pinkie Brown.
Après la guerre, les rôles vont s’enchaîner. D’abord des rôles très secondaires (par exemple un pilote de la RAF accueilli au Paradis, dans Une question de vie et de mort, de Michael Powell et Emeric Pressburger, en 1946), puis, très vite, ceux-ci vont céder la place aux premiers rôles, essentiellement grâce aux films produits et réalisés par les frères John et Roy Boulting, avec qui il signa un contrat. En 1947, Richard Attenborough fit sensation en reprenant le rôle de Pinkie Brown, petit gangster psychopathe, qu’il avait déjà incarné au théâtre dans l’adaptation par John Boulting du roman de Graham Greene, Brighton Rock (Le Gang des Tueurs). Dans cet excellent film noir très inspiré par le cinéma de Fritz Lang, Attenborough fut remarquable, montrant une monstruosité qu’on ne lui connaîtra guère par la suite. Le film fut un succès en Grande-Bretagne, et fit du jeune acteur une star dans son pays. Dans la décennie qui suivra, Attenborough sera le plus souvent à l’affiche de comédies très populaires avec Terry-Thomas (Private’s Progress / Ce Sacré Z’héros, 1956, ou I’m All Right Jack / Après moi, le Déluge, 1959 – ce dernier comprenant aussi Peter Sellers), de films de guerre à la gloire des soldats britanniques durant la 2ème Guerre Mondiale (Gift Horse / Commando sur Saint-Nazaire, Dunkerque, Danger Within), et de films policiers. Citons aussi son rôle d’un écolier de 13 ans, dans The Guinea Pig, alors qu’il en avait déjà 25 ! Ou encore sa participation, en 1951, au classique La Boîte magique, toujours réalisé par John Boulting. Toutefois, lassé de jouer les utilités dans des productions souvent mineures, Richard Attenborough voulait monter ses propres projets. Cet esprit érudit, passionné d’Histoire et d’éthique, cherchait à produire des films plus personnels, sa célébrité dans son pays lui permettant peu à peu de s’émanciper professionnellement. Avec le jeune cinéaste Bryan Forbes, Attenborough créa la société de production Beaver Films. Cumulant les postes de producteur et d’acteur, Richard Attenborough sera ainsi le garant de productions de qualité, obtenant le plus souvent le succès public et l’intérêt critique. Cela commença avec The League of Gentlemen / Hold-up à Londres, film policier de Basil Dearden avec Jack Hawkins (1959) ; Attenborough fut excellent dans The Angry Silence (Le Silence de la Colère) de Guy Green, en 1960. Il y jouait le rôle de Tom Curtis, un ouvrier suspecté d’être un traître par ses collègues grévistes. Toujours pour Beaver Films, Attenborough produisit Whistle down the wind (Le Vent garde son secret) de Bryan Forbes, où il fit une petite apparition.
ci-dessus : scène de calvaire conjugal pour le pauvre Billy Savage, joué par Richard Attenborough dans Seance on a Wet Afternoon (Le Rideau de Brume), complètement étouffé par sa chère moitié dérangée (Kim Stanley)…
Avec les années 1960, les studios hollywoodiens cherchaient de plus en plus de grandes coproductions internationales, susceptibles de rallier les spectateurs à des films spectaculaires. Les acteurs britanniques, irréprochables professionnels, furent à la fête dans les castings de ces films restés dans la mémoire collective. Richard Attenborough, fort de son expérience de ses personnages de soldats et d’officiers, rejoignit en 1963, le casting de La Grande Evasion de John Sturges ; pour ce qui reste sûrement le meilleur récit d’évasion jamais filmé, Richard Attenborough était tête d’affiche avec Steve McQueen et James Garner, entourés de Charles Bronson, James Coburn, James Donald, Donald Pleasance et David McCallum. Le film retraçait (en romançant quelque peu) l’histoire vraie de la fuite de 250 prisonniers de guerre au nez et à la barbe de leurs geôliers nazis. Evasion méticuleusement planifiée dans le film par le Major Bartlett dit « Grand X », auquel Attenborough donna ses traits. Il y fut un peu le « clown blanc » de service, l’homme sérieux et organisé de cette galerie de personnages bravaches et débrouillards. Attenborough alterna les seconds rôles efficaces dans d’autres productions anglo-américaines, tout en s’attelant à ses projets de producteur, et en effectuant des recherches détaillées sur la vie du Mahâtma Gandhi… En 1964, Attenborough produisit et joua le rôle principal de Seance on a wet afternoon (Le Rideau de Brume) pour Bryan Forbes ; il fut salué et récompensé du BAFTA Award du Meilleur Acteur pour son personnage de Billy Savage, mari veule d’une fausse médium (Kim Stanley) poussé par cette dernière à commettre un kidnapping. Sa récompense fut groupée avec un autre rôle très réussi, celui du Sergent Major Lauderdale dans le drame guerrier Les Canons de Batusi de John Guillermin. On retrouva Attenborough à l’affiche, l’année suivante, du Vol du Phénix, classique du cinéma d’aventures où il était le co-pilote de James Stewart, tous deux naufragés des airs dans le Sahara, et devant tenir tête à leurs passagers assoiffés. Attenborough fut aussi très bon dans The Sand Pebbles (La Canonnière du Yang-Tsé), chef-d’oeuvre épique de Robert Wise, où il retrouva Steve McQueen, tous deux jouant des matelots américains confrontés aux troubles civils en Chine, en 1926. Attenborough y était le matelot Frenchy Burgoyne, tombé amoureux d’une jeune chinoise et perdant tout pour la protéger. Un personnage à la naïveté aussi touchante que tragique, et la performance d’Attenborough fut saluée d’un Golden Globe du Meilleur Acteur dans un Second Rôle. En 1967, Richard Attenborough obtint de nouveau cette récompense pour un personnage bien plus léger : Albert Blossom, organisateur de spectacle de cirque, aimable mais cupide, dans la comédie musicale Doctor Dolittle (L’Extravagant Docteur Dolittle), de Richard Fleischer, avec Rex Harrison. Son personnage y exhibait un animal bizarroïde, le Pushmi-Pullyu, un lama à deux têtes… La bonhomie joviale d’Attenborough rendait son personnage plutôt sympathique, et il n’est pas interdit d’y voir les prémices de son personnage de Jurassic Park.
ci-dessus : vous pensiez que Richard Attenborough ne jouait que des gentils grands-pères éleveurs de dinosaures ? Ne regardez pas 10 Rillington Place (L’Etrangleur de Rillington Place), où le comédien donna ses traits à un véritable tueur en série, John Reginald Christie…
Avec les années 1970, l’acteur choisit de mettre sa carrière en retrait, pour pouvoir enfin devenir un cinéaste à part entière. Durant cette nouvelle décennie, Sir Richard Attenborough (devenu Commandeur de l’Ordre de l’Empire Britannique en 1967) alterna ainsi les projets de metteur en scène, affichant sa préférence pour les grands sujets historiques, et les « simples » rôles de comédien. En 1969, il réalisa Ah Dieu ! que la Guerre est jolie !, une très curieuse comédie musicale antimilitariste, critiquant l’attitude des élites militaires britanniques durant la 1ère Guerre Mondiale, avec les plus grands noms de la scène et de l’écran britanniques participèrent : Laurence Olivier, Michael Redgrave et sa fille Vanessa, John Gielgud, Ralph Richardson, Maggie Smith, Jack Hawkins, etc., tous reprenant des chansons classiques de l’époque dans une suite de tableaux ironiques. Le public suivit, les critiques (et certains historiens traditionnalistes) un peu moins. Parmi les films dans lesquels joua Richard Attenborough durant cette période, il faut s’attarder sur sa performance dans 10 Rillington Place (L’Etrangleur de Rillington Place), dû à Richard Fleischer. Attenborough campait John Reginald Christie, tueur en série tristement célèbre dans l’histoire criminelle de l’Angleterre, un homme ordinaire qui, se faisant passer pour un médecin amateur, asphyxiait, violait et tuait des femmes trop confiantes ; l’affaire fit d’autant plus grand bruit que Christie avait fait d’un certain Tim Evans le faux coupable idéal, condamné à mort à sa place pour le meurtre de sa femme Beryl et de leur bébé Géraldine… Histoire glaçante, pour un des films les mieux documentés sur un vrai tueur en série, et l’interprétation d’Attenborough était saisissante. Avec sa voix doucereuse, ses manières polies et gentiment autoritaires, et sa façon de se tenir en retrait tout en étudiant ses proies potentielles, Attenborough réussit à convaincre qu’il était ce personnage abominable. Les scènes où il manipulait le pauvre Evans (un excellent John Hurt) étaient particulièrement déstabilisantes. Sorti de cet affreux personnage, Attenborough réalisa ensuite, en 1972, Young Winston (Les Griffes du Lion), biopic sur la jeunesse de Sir Winston Churchill, avec Simon Ward, Robert Shaw, Anne Bancroft, et un tout jeune comédien prometteur : Anthony Hopkins, qui sera son acteur préféré. Le film se situait dans la lignée des grands films épique de David Lean, sans toutefois en retrouver le souffle.
ci-dessus : Attenborough réalisateur signa le méconnu Magic en 1977. Dans cette scène, Corky Withers (Anthony Hopkins) est mis à l’épreuve par son agent (Burgess Meredith) de se séparer de sa marionnette Fats pendant cinq longues, très longues, minutes… Un supplice pour le magicien consumé par sa schizophrénie.
On retrouva Attenborough acteur en 1975, face à Peter O’Toole dans Rosebud, un film raté d’Otto Preminger, et face à John Wayne venu jouer les Dirty Harry à Londres dans Brannigan. En 1976, Richard Attenborough se lança dans un nouveau projet épique : le film de guerre Un Pont Trop Loin, d’après Cornelius Ryan, relatant l’échec stratégique de l’Opération Market Garden qui devait libérer la Hollande du joug nazi en septembre 1944. Le film se situait dans la tradition instaurée par Le Jour le Plus Long : les Alliés, simples soldats ou prestigieux officiers, étaient tous joués par les stars de l’époque. Dirk Bogarde, Gene Hackman, James Caan, Robert Redford, Michael Caine, Elliott Gould, Ryan O’Neal, etc. venaient donc jouer devant les caméras d’Attenborough. La reconstitution était soignée, mais le film, assez académique (un reproche souvent fait au réalisateur) ne convainquit qu’à moitié. Reste que les scènes d’action étaient réussies, notamment les combats sur le pont d’Arnhem mettant en valeur les commandos de Sa Majesté, menés par Sean Connery et Anthony Hopkins. En 1977, Attenborough se fit remarquer en tant qu’acteur, jouant l’impitoyable Général Outram dans le film de Satyajit Ray, Les Joueurs d’Echecs. Peu après, il remplaça au pied levé Norman Jewison pour réaliser Magic, écrit par William Goldman. Un excellent film fantastique, de pure angoisse psychologique, où Corky Withers (Anthony Hopkins), un illusionniste timide, invente un numéro de ventriloque qui remporte un grand succès. Terrifié à l’idée de devenir une star, Corky se réfugiait auprès de son amour de jeunesse (adorable Ann-Margret) pour trouver un peu de sérénité… malheureusement, Fats, sa marionnette, à la personnalité cinglante et grossière, le dominait peu à peu. Histoire à la fois inquiétante et touchante, aidé par la prestation d’Hopkins (qui manipule et prête sa voix à Fats, basé sur son propre visage), est devenu un petit classique méconnu du genre. Richard Attenborough jouera ensuite dans le dernier film d’Otto Preminger, The Human Factor (La Guerre des Otages), qui sera (temporairement) son dernier rôle au cinéma, en 1979.
ci-dessus : Gandhi, ou le couronnement de Richard Attenborough en tant que cinéaste. Pour mettre fin aux massacres entre groupes religieux qui ont marqué la séparation de l’Inde et du Pakistan, Mohandas Gandhi (Ben Kinglsey) entame une nouvelle grève de la fin qui peut lui être fatale. Un hindou (Om Puri) vient à lui pour le faire changer d’avis…
En 1980, Richard Attenborough put enfin rassembler les fonds nécessaires à la réalisation de son projet : Gandhi, après presque vingt ans de recherches et de démarches, fut enfin tourné. Un tournage marathon qui aboutit à la sortie du film, deux ans après. Un beau succès personnel pour le réalisateur-acteur, le film ayant été récompensé de huit Oscars, dont celui du Meilleur Film et du Meilleur Réalisateur. Sans oublier cinq Golden Globes (dont, là encore, ceux du Meilleur Film et du Meilleur Réalisateur) et autant de BAFTA Awards, parmi une flopée d’autres prix internationaux et un déluge de louanges pour cette biopic remarquablement documentée, sur la longue vie et les combats politiques de Mohandas Karamchand Gandhi (Ben Kingsley), timide petit avocat de seconde zone devenu le père spirituel de la Nation Hindoue, et le défenseur acharné de la non-violence, face à la répression coloniale britannique comme face aux troubles religieux enflammant son pays indépendant en 1947. Le film reste bien évidemment un tour de force de la part de Ben Kingsley, transformé et justement récompensé pour son interprétation de Gandhi. La mise en scène d’Attenborough, alternant grandes scènes épiques et moments intimistes, s’inscrivait quant à elle dans la tradition du cinéma de David Lean, qui avait failli d’ailleurs tourner son propre film sur Gandhi ; il fut même question, à la fin des années 1960, qu’Attenborough jouât le rôle pour lui… Après ce triomphe, Sir Richard Attenborough, signa en 1985 la comédie musicale Chorus Line, avec Michael Douglas entamant une relation avec une de ses danseuses (instincts basiques…). Attenborough fut une nouvelle fois nominé aux Golden Globes. Puis, en 1987, il réalisa Cry Freedom. Ecrit par John Briley, son scénariste de Gandhi, le film relatait le combat de Steve Biko (Denzel Washington) contre la ségrégation raciale violente en Afrique du Sud, face au gouvernement de Pretoria. Le film racontait aussi la prise de conscience d’un journaliste blanc, Donald Woods (Kevin Kline), réalisant à ses risques et périls la violence de ce gouvernement honni (et toujours actif lorsque le film fut tourné). Un grand et noble projet, solidement mis en scène, Attenborough obtenant de remarquables performances de Kline et de Washington, débordant de charisme et de chaleur humaine dans le rôle du défunt jeune leader sud-africain. Si le film obtint de nouvelles récompenses (nominations pour Attenborough aux Golden Globes), il s’attira quelques critiques en route, lorsque le film s’intéressait à la fuite de Woods et sa famille hors de son pays, plus qu’au combat de Biko. Malgré cette réserve, Cry Freedom n’en demeure pas moins un très beau film. Plus réussi, en tout cas, que Chaplin, sorti en 1992. Jugée trop longue, trop respectueuse et recouvrant une trop grande partie de la vie de Charles Chaplin (Robert Downey Jr.), de son enfance malheureuse jusqu’à ses démêlés avec le FBI l’accusant de sympathies communistes, cette biopic n’obtint qu’un accueil mitigé. Saluons toutefois le sens du casting de Richard Attenborough, véritable découvreur de talents : après avoir lancé les carrières de Ben Kingsley et Denzel Washington, il fit de même ici avec un jeune Robert Downey Jr. très convaincant, entouré d’une pléiade de têtes familières : Dan Aykroyd, James Woods, Diane Lane, l’indispensable Anthony Hopkins et la propre fille de Charlie Chaplin, Géraldine Chaplin, incarnant ici sa propre grand-mère, Hannah.
ci-dessus : un moment de calme dans Jurassic Park, où John Hammond (Richard Attenborough) tombe le masque et repart dans ses rêves enfantins, à la consternation d’Ellie Sattler (Laura Dern), morte d’inquiétude…
Et ensuite, Sir Richard Attenborough fit son come-back comme acteur, à soixante-dix ans, parmi les dinosaures ! Il accepta volontiers la proposition de Steven Spielberg de rejoindre le casting de Jurassic Park, sorti en 1993. Le cinéaste d’E.T. remercia ainsi son aimable confrère, oscarisé à sa place pour Gandhi, qui avait pourtant parlé en sa faveur. Il lui donna le rôle de John Hammond, l’homme d’affaires milliardaire excentrique, propriétaire d’un parc naturel où s’ébattent en liberté surveillée des dinosaures bien vivants, ressuscités par l’ingénierie génétique. Au grand dam des trois scientifiques invités pour expertiser son parc (Sam Neill, Laura Dern et Jeff Goldblum), la visite merveilleuse tournera comme on le sait au désastre, un sabotage permettant aux plus dangereux pensionnaires du zoo de faire leur grande évasion… Certes, ce furent les dinosaures plus vrais que nature qui attirèrent en masse le public, mais, parmi les acteurs, Attenborough s’amusa comme un petit fou à donner un caractère très coloré à son personnage, beaucoup plus antipathique dans le roman original de Michael Crichton. Le Hammond d’Attenborough restait un grand enfant, jovial, charmeur, un brin manipulateur et mégalomane ; à l’instar de nombreux autres personnages de l’acteur-cinéaste, il restait mélancolique, ressassant ses souvenirs de jeunesse de son cirque de puces à Pettycoat Lane… et se montrait carrément irresponsable en envoyant, en totale bonne conscience, ses chers petits-enfants vers une mort certaine ! Ce personnage sympathique mais ambigu, entre Frankenstein et Walt Disney, reviendra quatre ans plus tard, défait et malade, dans Le Monde Perdu, le temps de deux scènes. Là encore, beaucoup d’accidents et de frayeurs avant qu’Hammond, racheté de ses erreurs passées, aie le dernier mot.
Cette même année 1993, Richard Attenborough signera aussi comme réalisateur un joli mélodrame très « cup of tea« , Shadowlands (Les Ombres du Cœur). Son vieil ami Anthony Hopkins y jouait le rôle de C.S. Lewis, respecté universitaire d’Oxford, auteur à succès des livres des Chroniques de Narnia, et célibataire endurci touché par l’amour pour la poétesse mariée Joy Gresham (Debra Winger). Une jolie romance dans laquelle Attenborough offrait à son acteur favori un de ses plus beaux rôles. Le triomphe planétaire de Jurassic Park aura permis à Sir Richard Attenborough de redevenir, temporairement, une star aux yeux du jeune public, et il avait l’allure idéale pour être en 1994 Kris Kringle, le vieux héros de Miracle sur la 34e Rue, remake d’un classique de 1947, où une petite fille se persuadait que ce gentil vieux bonhomme mythomane était bien le seul et unique Père Noël. Sir Richard Attenborough retourna à la mise en scène, mais avec moins de bonheur qu’auparavant ; il signa en 1996 le drame romantique In Love and War / Le Temps d’aimer, où le jeune Ernest Hemingway (Chris O’donnell), ambulancier durant la 1ère Guerre Mondiale, tombait amoureux d’Agnès, une infirmière polonaise jouée par Sandra Bullock. Peu convaincant, le film fut un échec. On revit Attenborough dans ses derniers rôles d’acteur : l’ambassadeur anglais invité à la cour du Hamlet de Kenneth Branagh ; et après son retour en Hammond dans Le Monde Perdu, Sir Richard Attenborough tint son dernier rôle au cinéma en 1998 en étant Sir William Cecil, le conseiller politique, Secrétaire d’Etat et Grand Trésorier, de la jeune Reine Elizabeth (Cate Blanchett), héroïne du film homonyme de Shekhar Khapur. Ralentissant ses activités au cinéma en raison de son grand âge et de ses nombreuses actions humanitaires, il signa ses deux derniers films, malheureusement moins notables : Grey Owl, un curieux film d’aventures de 1999, avec Pierce Brosnan en trappeur anglais devenant environnementaliste pro-indien ; et il signa son dernier film en 2007, Closing the Ring, ou War and Destiny, un mélodrame plein de nostalgie avec Shirley MacLaine et Christopher Plummer. Entré à la Chambre des Lords, très affaibli après diverses épreuves ces dernières années – il perdit sa fille, Jane, et une de ses petites-filles, tuées dans le tsunami du 26 décembre 2004 ; une attaque cardiaque en 2008 qui le diminua gravement -, Lord Richard Attenborough ne quittait plus la maison de repos où lui et son épouse Sheila passèrent ensemble leurs derniers jours. Le grand homme mourut finalement le 24 août 2014, à quelques jours de son 91ème anniversaire.
A l’annonce de son décès, tout ses proches, familles, amis et professionnels, saluèrent sa mémoire comme il se doit. Les nostalgiques des dinosaures d’Isla Nublar, dont votre serviteur fait partie, se joindront à eux ; le jeune réalisateur Colin Trevorrow, réalisateur de Jurassic World, chargé par Steven Spielberg de relancer la saga, a tweeté une photo d’une statue d’Attenborough dans son personnage d’Hammond, utilisée pour le décor du film qui sortira l’an prochain.
Respect, Sir Richard Attenborough, pour votre parcours.
James Garner (1928-2014)
Dur été pour les derniers héros de La Grande Evasion. Un moins avant Lord Richard Attenborough, James Garner, le « Chapardeur » de la bande, s’en était allé le 19 juillet dernier… James Garner était une figure familière du petit et du grand écran américains, où sa belle gueule et son sens de l’humour lui valaient la sympathie immédiate du public. S’il ne fut pas à proprement parler une superstar, Garner eut quand même droit à des premiers rôles mémorables dans des classiques, particulièrement durant les années 1960 où il fut une tête d’affiche des plus appréciées.
Né James Baumgarner (ou Bumgarner, selon les biographies) dans une famille méthodiste de Norman, petite ville de l’Oklahoma, le 7 avril 1928, il eut une enfance difficile. Lui et ses frères perdirent leur mère, morte quand il n’avait que cinq ans, et leur père Weldon, un poseur de tapis, se remaria quelques temps plus tard. La belle-mère Baumgarner était une femme violente et détestable, qui battait les trois garçons pour un oui ou un non, et s’en prenait surtout à James, le plus jeune des trois frères. Le père divorça après un incident gravissime où elle faillit tuer James, et emménagea à Los Angeles. A 16 ans, James Baumgarner, après des petits boulots, s’engagea dans la marine marchande à la fin de la 2ème Guerre Mondiale, mais souffrait du mal de mer. Après quoi, il rejoignit son père à Los Angeles, alla à la Hollywood High School puis revint à Norman pour ses études, qu’il ne finit jamais… Populaire, bon sportif, il y était le « mec sympa » par excellence, et de son propre aveu un très mauvais élève. Engagé dans la Garde Nationale, James Baumgarner alla ensuite servir en Corée durant 7 mois, en tant que soldat durant le conflit. Il fut un bon soldat, blessé à deux reprises (dont une blessure au genou qui le fera souffrir jusqu’à la fin de sa vie), récompensé à deux reprises de la Purple Heart. Il déclara de cette époque qu’elle fut « ses années de lycée », où il développa une personnalité de joyeux combinard et « parasite », le préparant en quelque sorte à ses futurs rôles à succès… Revenu à la vie civile, il décida de devenir acteur, rejoignant la troupe de la pièce The Caine Mutiny Court Martial avec Henry Fonda en tête d’affiche. James Baumgarner fit des apparitions dans des publicités avant d’être remarqué par les directeurs de casting de Warner Bros. : une solide carrure, le sens de la répartie et de l’humour, le voilà qui fit donc ses premières apparitions au cinéma, dans des seconds rôles, en 1956, dans The Girl He Left Behind avec Natalie Wood et Toward the Unknown avec William Holden. Tout naturellement, il apparaîtrait aussi dans des productions télévisées estampillées Warner Bros., où il avait signé un contrat. Le studio ne prit pas la peine de le prévenir que son nom fut changé en « James Garner », à sa grande colère, mais il s’y fit… Et la télévision fut son tremplin, dans une ambiance de western.
La télévision américaine fit une consommation massive de séries westerns à la fin des années 1950. C’est ainsi que James Garner put créer le personnage qui le rendit célèbre : le joueur de poker professionnel Bret Maverick, charmeur, truqueur et baratineur, plus malicieux que violent, et se servant davantage de sa cervelle que d’un revolver, à l’opposé des conventions du genre. Le personnage apparut dans un épisode de la série Sugarfoot, et plut tellement que le producteur Roy Huggins, avec Garner, créa la série Maverick autour de ce sympathique anti-héros. De 1957 à 1960, Garner battit des records d’audience, et croisa un grand nombre de « gueules » familières du western (Slim Pickens, Lee Van Cleef…), ainsi que quelques débutants à l’aube de leur carrière, comme Robert Redford ou Clint Eastwood. Ce dernier apparut en méchant desperado dans l’épisode Duel at Sundown, tourné avant qu’il ne devienne lui-même une star grâce à Rawhide ! Quarante ans plus tard, Eastwood retrouvera avec plaisir Garner pour un autre type de western…
ci-dessus : un moment classique de La Grande Evasion. Pour Hendley (James Garner) et son copain myope Blythe (Donald Pleasance), la chance de faire la nique aux nazis se joue à peu de choses…
Une brouille avec les responsables du studio poussera finalement Garner à tenter sa chance au cinéma, dans les premiers rôles. L’acteur aura ainsi une bonne côte de popularité au box-office durant les années 1960. On le vit notamment avec Shirley MacLaine et Audrey Hepburn dans le drame de William Wyler The Children’s Hour (La Rumeur, 1961), dans les comédies à succès avec Doris Day The Thrill of it all (Le Piment de la Vie) de Norman Jewison, et Pousse-toi, Chérie, tous deux sortis en 1963. On se souvient surtout de son rôle de Hendley, le pickpocket truqueur de La Grande Evasion de John Sturges, triomphe au box-office de cette même année 1963. Toujours décontracté, Garner y fut quelque peu éclipsé par un Steve McQueen alors en pleine ascension, mais il s’en sortait très bien, notamment dans ses scènes où il fait équipe avec l’ornithologue faussaire atteint de cécité campé par Donald Pleasance. Citons aussi The Americanization of Emily (Les Jeux de l’Amour et du Hasard, 1964), comédie dramatique d’Arthur Hiller avec Julie Andrews, et qui resta son film préféré ; la comédie The Art of Love (1965) toujours de Norman Jewison, avec Angie Dickinson ; Grand Prix (1966), le film de John Frankenheimer qui lui permit de mettre en avant sa passion des courses automobiles, aux côtés de Toshirô Mifune, Eva Marie Saint et Yves Montand ; Duel at Diablo (La Bataille de la Vallée du Diable, 1966) de Ralph Nelson avec Sidney Poitier, et l’intéressant Year of the Gun (Sept Secondes en Enfer, 1967) de John Sturges avec Jason Robards, sont deux solides westerns, le second faisant suite au classique Règlement de Comptes à OK Corral, en racontant ce qui arriva après la fameuse fusillade. Garner y tenait le rôle de Wyatt Earp, le Marshal de Tombstone, succédant à Henry Fonda et Burt Lancaster. Cependant, le manque de succès de certains de ces films (Grand Prix notamment) et le registre limité des rôles offerts au comédien l’amenèrent à jouer dans des films de moindre importance. Citons par exemple Marlowe (La Valse des Truands), où il campe le fameux détective privé affrontant un tueur à gages joué par Bruce Lee, ou Support your local Sheriff !, un western comique, tous deux sortis en 1969.
ci-dessus : une belle scène de Victor/Victoria, où King (James Garner) et Victoria (Julie Andrews) réalisent qu’ils ont bien du mal à accorder leurs violons. Un avocat gangster persuadé, de ne pas en être un, peut-il vivre avec une femme jouant à être un homme se faisant passer pour une femme, sans craindre pour sa réputation ?
Sa carrière au cinéma battant de l’aile, James Garner, à 46 ans, revint à la télévision pour jouer dans sa seconde série à succès, créée par Roy Huggins et Stephen J. Cannell : ce sera The Rockford Files (200 Dollars, plus les frais), qui, entre 1974 et 1980, captiva les spectateurs de la chaîne NBC. Garner y jouait Jim Rockford, un ex-détenu condamné à tort, devenu détective privé pour aider d’autres personnes victimes d’erreurs judiciaires. Un beau succès pour l’acteur, qui y retrouva une certaine popularité, en jouant toujours de son humour décontracté. Dans les années 1980, après un bref come-back télévisé dans la peau de son personnage fétiche (Bret Maverick, 1981-82), James Garner apparut dans quelques films notables. Il fut excellent dans la comédie de Blake Edwards, Victor/Victoria (1982), où il jouait un avocat véreux, homme à femmes subitement troublé par l’étrange « Comte Victor Grazinski », alias Victoria Grant (Julie Andrews), chanteuse se faisant passer pour un homme travesti en femme ! Le film reste un modèle d’écriture et de mise en scène, et le timing comique de Garner, dont le personnage voyait ses préjugés sexuels remis en cause par l’amour dans le Gay Paris des années 1930, fait mouche. En 1985, Garner fut salué par la critique pour son rôle dans Murphy’s Romance (1985), une comédie romantique de Martin Ritt, où il jouait un pharmacien veuf amoureux d’une femme divorcée plus jeune que lui, jouée par Sally Field. Garner obtint sa seule nomination à l’Oscar, pour son second rôle. Il retrouva Blake Edwards dans le polar humoristique Sunset (Meurtre à Hollywood, 1988), où il incarna à nouveau Wyatt Earp. Le héros légendaire du Vieil Ouest finissait ici ses jours comme consultant technique à Hollywood dans les années 1920, faisant équipe avec le cow-boy de l’écran Tom Mix (Bruce Willis) pour résoudre une sombre affaire criminelle.
ci-dessus : le Révérend Tank Sullivan (James Garner), retraité de l’US Air Force, va retrouver une seconde jeunesse grâce à son vieux copain Frank Corvin (Clint Eastwood), dans ce passage savoureux de Space Cowboys !
James Garner continuera, tout au long des années 1990 et 2000, de faire des apparitions à la télévision. Il décrocha notamment des nominations au Golden Globe du Meilleur Acteur pour les téléfilms Decoration Day (1990) et Barbarians at the Gates (1993). Il reprit le rôle de Jim Rockford pour une nouvelle série de The Rockford Files, sera également présent dans le casting de la série Chicago Hope (1994-2000) et rejoindra celui de la sitcom 8 Simple Rules… (Touche pas à mes filles !), de 2003 à 2005, après le décès de l’acteur principal, John Ritter. Au cinéma, James Garner retrouva l’univers western de Bret Maverick dans l’adaptation signée Richard Donner en 1994, aux côtés de Mel Gibson, Jodie Foster et James Coburn. Garner y jouait Zane Cooper, un marshal filou, et qui n’était autre que Bret Maverick surveillant son fils homonyme joué par Gibson. La bonne humeur régnait sur ce film très cabotin, bien plus proche de l’esprit des Lucky Luke que des westerns d’antan. Et, près de quarante ans après s’être croisés sur le plateau de Maverick, Clint Eastwood et James Garner partageront l’affiche d’un même film. A la demande de Clint, Garner accepte de jouer avec ce dernier, Tommy Lee Jones et Donald Sutherland une bande de papys astronautes toujours verts dans le savoureux Space Cowboys, sorti en 2000. Garner y était toujours à l’aise dans les scènes de comédie – voir les hilarantes scènes d’entraînement à la NASA, ou lorsqu’il s’embrouille dans le sermon qu’il doit prononcer… Grand fumeur, l’acteur, affaibli par les problèmes de santé (des opérations du genou durant les années 1970, un quintuple pontage en 1988), dut réduire ses activités. Il obtint cependant les félicitations des critiques pour son dernier rôle notable dans le drame romantique de Nick Cassavetes, The Notebook (N’oublie jamais, 2004). James Garner apparut pour la dernière fois au cinéma en 2007 dans le film The Ultimate Gift, et prit sa retraite, se contentant de quelques doublages, avant qu’une crise cardiaque ne l’emporte dans sa villa de Beverly Hills, le 19 juillet dernier.
Dick Smith (1922-2014)
Cet homme très tranquille, méconnu du grand public, fut sans doute responsable d’un grand nombre de cauchemars faits par les spectateurs de la planète entière en 1973, lorsque L’Exorciste sortit dans les salles obscures… Toutefois, le nom de Dick Smith ne se limite pas à la création de ses remarquables maquillages pour le film terrifiant de William Friedkin. Ce grand chef maquilleur a su, en même temps que John Chambers (La Planète des Singes) ou Stuart Freeborn (Docteur Folamour, 2001 : L’Odyssée de l’Espace, Star Wars), faire entrer le maquillage de cinéma dans une nouvelle ère, grâce à des techniques originales qui continuent d’être appliquées par les meilleurs experts de ce domaine. Dick Smith fut un pionnier et le mentor d’une génération de génies du latex et des prothèses, qui ont depuis littéralement fait le cinéma fantastique moderne, à commencer par son plus célèbre disciple : Rick Baker (Le Loup-garou de Londres, Greystoke la Légende de Tarzan, Men In Black, etc.) qui lui a rendu un hommage sincère dès l’annonce du décès de son mentor. La filmographie de Dick Smith suffit à elle seule à prouver le talent de cet artisan très spécial : il a ainsi travaillé non seulement avec William Friedkin, mais aussi avec John Schlesinger, Arthur Penn, Francis Ford Coppola, Martin Scorsese, Michael Cimino, David Cronenberg, Ken Russell, John Carpenter, Milos Forman ou Robert Zemeckis. Smith (que l’on voit ci-dessus poser parmi ses créations, se tenant juste au-dessus de la tête de Regan dans L’Exorciste) créa aussi bien des effets mémorables pour quelques films fantastiques bien traumatisants, mais aussi une gamme de maquillages plus discrets, quasiment invisibles, dans des productions de très grand prestige.
Né Richard Emerson Smith à Larchmont, New York, le 26 juin 1922, Dick Smith voulait devenir dentiste dans sa jeunesse, et il suivit des cours préparatoires à l’école Wooster puis à l’Université de Yale. En créant des maquillages pour le groupe d’art dramatique de Yale, Smith trouva sa véritable voie. Son tout premier travail de maquilleur au cinéma fut pour un western de série B, The Cowboy and the Blonde, en 1941. Après le service militaire durant la 2ème Guerre Mondiale, Smith reprit son travail de maquilleur ; au cinéma, il sera crédité pour la première fois au générique sur un film d’aventures dû à Henry Hathaway, Down to Sea in Ships (Les Marins de l’Orgueilleux) en 1949. Ce fut toutefois à la télévision que Dick Smith travailla le plus souvent ; nommé directeur du département maquillage de la chaîne NBC, il y officiera durant 14 années, sur des séries et des téléfilms. Il se démarquera des effets de maquillage ordinaires par la création de prothèses en mousse de latex, appliquées sur le visage des comédiens ; un procédé très différent à une époque où les maquilleurs professionnels préféraient « tartiner » les pauvres acteurs dans des masques rigides, étouffant leurs interprètes. Avec la méthode imaginée par Smith, les comédiens étaient nettement plus libres, gardant leurs expressions naturelles, même s’ils devaient jouer un monstre ou un vieillard. Smith expérimenta des trucages astucieux, comme le visage à demi effacé de Barry Morse dans la série fantastique de Roald Dahl, Way Out, ou le vieillissement accéléré du vampire Barnabas Collins (Jonathan Frid) dans la série Dark Shadows.
Le talent de Smith ne passerait pas inaperçu des cinéastes, à la toute fin des années 1960. Une période idéale pour le maquilleur, auteur en 1965 d’un livre culte pour les jeunes apprentis maquilleurs : Dick Smith’s Do-It-Yourself Monster Make-up Handbook, plein de conseils astucieux… tellement célèbre qu’il reste cité comme source d’inspiration par de nombreux maquilleurs professionnels et futurs cinéastes américains – voir le gamin du film Super 8, qui citait ce livre ! Le réalisateur britannique John Schlesinger engagea Dick Smith pour créer le maquillage de Ratso Rizzo (Dustin Hoffman), le petit escroc souffreteux de Macadam Cowboy en 1969. Dustin Hoffman, 33 ans à l’époque, repassera l’année suivante entre les mains de Dick Smith pour devenir Jack Crabb, un vieillard de 120 ans racontant sa jeunesse au temps du Far West dans le prologue de Little Big Man, d’Arthur Penn. Un coup de maître de la part de Smith : beaucoup de spectateurs se demandaient alors qui était ce vieillard chevrotant engagé ouvrant et concluant le film… avant de réaliser que c’était bien Dustin Hoffman, vieilli de 90 ans par Smith et totalement crédible !
ci-dessus : dans les archives de tournage de L’Exorciste… Dick Smith au travail sur les effets de maquillage qui ont fait sa renommée – y compris le maquillage de Max Von Sydöw !
Avec ce coup de maître, Dick Smith rendit sa profession reconnaissable et honorable, même s’il faudra attendre 1981 avant que l’Académie des Oscars se décide enfin à créer une catégorie spéciale pour les génies du maquillage. Ironie du sort, si Smith fit sortir son métier de l’anonymat, il ne fut jamais récompensé d’un Oscar pour ses meilleurs travaux dans les années 1970. Et pourtant, quel parcours impressionnant… Après Little Big Man, et après avoir de nouveau transformé Dustin Hoffman dans Qui est Harry Kellerman ?, Smith va être engagé par Francis Ford Coppola pour travailler sur Le Parrain. Il se chargera de vieillir Marlon Brando et de le transformer en mafioso vieillissant, tout en élaborant, avec l’équipe des effets spéciaux, des trucages ingénieux pour les exécutions emblématiques du film. Le mot d’ordre est « réalisme », qu’il s’agisse du mitraillage en règle de James Caan, façon Bonnie and Clyde, ou du « Moe Green Special« , pour la scène où le truand joué par Alex Rocco se fait crever l’œil d’un coup de feu à travers ses lunettes. Le travail de Smith lui vaudra de reprendre du service sur le second film, où il se chargera de nouvelles exécutions brutales. Ses connaissances médicales seront précieuses pour montrer au public les effets réels et variés des exécutions montrées dans la saga de Coppola : notamment le saisissant « nuage rouge » qui jaillit de la tête de Don Fannucci (Gastone Moschine), assassiné d’une balle dans la bouche par le jeune Vito Corleone (Robert De Niro). Le rôle de Smith sur le troisième film, en 1990, se limitera au dessin du maquillage vieillissant sur Al Pacino, le maquilleur déléguant les effets sanglants à ses assistants. L’expérience du Parrain convainquit sans doute Dick Smith que les effets les plus impressionnants seront dûs à l’alliance de différents domaines (maquillages + effets spéciaux pratiques), ainsi qu’à des choix de mise en scène faits par des réalisateurs compétents. En 1973, ce fut L’Exorciste de William Friedkin qui mit en valeur son travail. Un tournage difficile pour la jeune Linda Blair, 12 ans, qui jouait la fillette possédée et atrocement transformée par le démon Pazuzu ; la fillette supporta à la fois les maquillages de Smith et les effets physiques créés par Marcel Vercoutere, dont un douloureux harnais mécanique simulant les convulsions de son personnage. Smith créa notamment l’un des premiers systèmes de bladders (vessies gonflables, simulant les déformations de la peau), et l’une des premières marionnettes animatroniques (réplique de l’actrice utilisée pour la scène où sa tête pivote à 360 degrés), ainsi que des maquillages plus classiques, mais toujours impressionnants. Le sommet étant le faux vomi projeté par la bouche de l’actrice (surtout sa doublure, Eileen Dietz) : des tubes maquillés glissés dans la bouche ouverte de la comédienne, et pompant une abondante soupe de pois sur les autres acteurs. Ces moments horrifiques, L’Exorciste n’en manquait pas… éclipsant pourtant le travail plus discret, et tout aussi remarquable, de Smith sur l’acteur Max Von Sydöw. Le grand comédien suédois avait 44 ans à l’époque du tournage. Personne ne s’étonnait alors qu’il jouait un prêtre de 80 ans, malade et épuisé… Von Sydöw, maintenant octogénaire, toujours présent au générique de nombreux films, semble maintenant sortir tout droit de l’atelier de maquillage de Dick Smith ! Celui-ci sera hélas oublié lors des remises de prix, continuant à travailler sur d’autres films mémorables : il malmènera une nouvelle fois Dustin Hoffman, sa victime préférée, portant de fausses dents ravagées après les épouvantables tortures qu’il subit de la part de l’ex-nazi joué par Laurence Olivier dans Marathon Man (1976). Curieux retour aux sources pour Smith, qui voulait être dentiste dans sa jeunesse… La même année, il créera les moments choc du Taxi Driver de Martin Scorsese : les impacts sanglants du massacre final (dont la main du souteneur éclatant en miettes), ce sera de nouveau son travail. Pour ce même film, Smith dotera Robert De Niro de sa célèbre coupe de cheveux iroquois, en réalité un postiche posé sur les vrais cheveux du comédien. Encore un remarquable maquillage invisible ! Dans le même registre, Smith travaillera aussi sur les bras de Christopher Walken ravagés par les piqûres d’héroïne et les effets de la roulette russe dans The Deer Hunter (Voyage au bout de l’enfer, 1978), de Michael Cimino.
ci-dessus : la scène finale d’Altered States (Au-delà du Réel) démontre l’extraordinaire réussite des maquillages conçus par Dick Smith. Edward et Emily Jessup (William Hurt et Blair Brown) subissent de plein fouet les effets d’un « retour d’acide » particulièrement violent…
Le maquilleur croulait sous les propositions des studios, toujours désireux de terroriser les spectateurs avec des scènes chocs ; les talents de Smith furent mis à contribution sur The Sentinel (La Sentinelle des Maudits, 1977), un film d’horreur culte de Michael Winner avec des vieilles gloires comme Ava Gardner, John Carradine ou Burgess Meredith en têtes d’affiche, ou encore, plus discrètement, pour les maquillages de L’Hérétique, la suite bâclée de L’Exorciste due à John Boorman. Le travail de Smith fut nettement plus intéressant sur Altered States (Au-delà du Réel), un classique du genre, signé en 1980 par le cinéaste britannique Ken Russell, succédant à Arthur Penn initialement engagé à la réalisation. Riche en scènes hallucinogènes (la spécialité de Russell), Altered States suivait un docteur Jekyll moderne, Edward Jessup (William Hurt), obnubilé par la découverte du Soi Originel ; par le biais d’expériences de privation sensorielle, et une absorption massive de drogues chamaniques, Jessup « régressait » jusqu’à une forme de vie primale, au risque de mettre sa santé mentale, sa vie et celle de ses proches en très grand danger. Pour l’occasion, Smith se surpassa en créant des métamorphoses traumatisantes : le corps de Hurt, filmé en nu full frontal, se déformait sous des angles impossibles, l’acteur simulant la douleur causée par sa mutation. Utilisant judicieusement sa technique des bladders, Smith créa aussi une réplique animatronique complète de l’acteur transformé en une masse de protoplasme hurlant, ainsi qu’un très réaliste maquillage intégral d’homme primitif pour une scène où le héros régressait à l’âge préhistorique. Smith ne fit pas mieux depuis, dans le même genre, même si ses créations ultérieures étaient toujours de très grande qualité : citons rapidement quelques scènes tout aussi traumatisantes pour le film Ghost Story (Le Fantôme de Milburn), en 1981, où quatre gentlemen (dont Fred Astaire) sont terrorisés par le fantôme d’une jeune femme noyée (Alice Krige), soigneusement « décomposée » par l’artiste maquilleur. On évoquera aussi sa contribution, comme consultant au projet, sur les mutations imaginées par le maître en la matière, David Cronenberg, sur son film fantastique Scanners, où des mutants aux dons psychiques déchaînaient des pouvoirs mortels : les tempes pulsaient violemment, la peau se couvrait de cloques, les yeux se révulsaient, et les têtes éclataient… Smith maquilla aussi, en 1983, David Bowie et Catherine Deneuve pour le tout premier film de Tony Scott, The Hunger (Les Prédateurs), film de vampires très stylisés où, malheureusement, ses créations furent quelque peu noyées dans les effets de lumière très « clipés » du réalisateur. La dégradation de Bowie en vieillard restait néanmoins très réussie. En 1984, Dick Smith fut appelé à travailler avec un autre grand nom du Fantastique, John Carpenter ; pour les besoins de Starman, où une jeune veuve (Karen Allen) venait en aide à un extra-terrestre naufragé ayant pris les traits de son défunt mari (Jeff Bridges), il travailla à une séquence de transformation, avec son ancien élève Rick Baker et leur collègue Stan Winston. La transformation du Starman, lueur d’énergie prenant l’apparence humaine, fut l’occasion pour Smith de créer un bébé animatronique lumineux de toute beauté. Enfin, cette même année, le travail de Dick Smith fut enfin reconnu par ses pairs à sa juste valeur : le grand cinéaste tchèque Milos Forman l’engagea pour maquiller F. Murray Abraham, inoubliable Salieri dans Amadeus. Le comédien de 45 ans fut transformé en vieillard malade de 80 ans, plus vrai que nature. Smith améliora encore ses techniques de vieillissement utilisées pour Little Big Man ou L’Exorciste ; Abraham sut faire vivre le maquillage qui ne le gênait pas, et Smith fut récompensé de son premier Oscar !
Après ce succès enfin bien mérité, Dick Smith continua encore à travailler quelques années, se retirant cependant progressivement d’un milieu où ses héritiers devenaient enfin reconnus à leur juste valeur. Les projets sur lesquels il travailla furent de moindre importance, à quelques exceptions près. Citons Mon Père (1989), une comédie dramatique produite par Steven Spielberg, où il vieillit Jack Lemmon, et obtint sa seconde nomination à l’Oscar ; Forever Young (1992), où, cette fois, il s’occupa de Mel Gibson et Jamie Lee Curtis ; il fut consultant technique sur les maquillages de La Mort vous va si bien (1992) de Robert Zemeckis, où son ancien assistant Kevin Haney transforma la filiforme Goldie Hawn en femme obèse ; et, après conçu les maquillages spéciaux de House on Haunted Hill (La Maison de l’Horreur) en 1999, Smith prit sa retraite définitive, continuant cependant de répondre de bonne grâce aux interviews des documentaires consacrés aux classiques sur lesquels il exerça ses talents. Il obtint finalement, des mains de son ami Rick Baker, un Oscar honoraire mérité pour sa carrière bien remplie, en 2012. Les amateurs de Fantastique et les passionnés d’effets spéciaux en tout genre se joindront à ce dernier, apprenant le départ de cet artiste discret et talentueux, le 30 juillet dernier, à l’âge de 92 ans.
Eli Wallach (1915 – 2014)
On ne peut pas aimer les westerns et ne pas citer la réplique qui tue (littéralement) : « When you have to shoot, shoot, don’t talk ! » Ou, si vous préférez la VF : « Quand on tire, on raconte pas sa vie ! ». Vous avez reconnu bien sûr cette maxime pleine de sagesse prononcée dans Le Bon, la Brute et le Truand par Tuco Beneficio Pacifico Juan Maria Ramirez (dit : « le Porc »), le truand mexicain absolu, qui fut le personnage le plus célèbre joué par Eli Wallach. Certes, la carrière de ce grand acteur de théâtre, qui s’est éteint le 24 juin 2014 à l’âge de 98 ans, ne s’est pas limitée au seul personnage de Tuco, mais, pour bon nombre de cinéphiles qui ont grandi avec le film de Sergio Leone, il est impossible de ne pas associer le nom de l’acteur à son personnage. Ou à celui, tout aussi « truand », du bandido Calvera dans un autre western légendaire, Les Sept Mercenaires… Eli Wallach n’avait pourtant pas une seule goutte de sang mexicain dans les veines, et il était le premier à en rire !
Né le 7 décembre 1915 de parents confiseurs, immigrés polonais, Eli Herschel Wallach grandit dans le quartier italo-américain de Red Hook, dans la seule famille juive de tout le quartier. Le jeune Wallach fit des études à Austin, au Texas, où il fut diplômé en Histoire. Un séjour qui lui ouvrit les yeux, et lui fit gagner l’amour des planches, travaillant sur des pièces en amateur avec des étudiants nommés Ann Sheridan (future star hollywoodienne des années 1940) et Walter Cronkite (futur légende des informations télévisées US). C’est aussi au Texas qu’il apprit l’équitation, discipline idéale pour jouer, plus tard, dans les westerns ! Diplômé en 1940 d’une maîtrise des arts en éducation au City College de New York, il rejoignit la Neighborhood Playhouse School of Theatre pour devenir acteur professionnel, suivant les leçons de Sandford Meisner. Enrôlé sous les drapeaux en janvier 1941, Wallach dût mettre ses ambitions entre parenthèses durant la 2ème Guerre Mondiale, travaillant dans les hôpitaux militaires. Il participa à des spectacles pour les patients. Pour l’anecdote, durant son service, on lui apprit une astuce pour guérir immédiatement d’une gueule de bois : enfoncer les pouces sous l’arcade sourcilière, méthode indolore et efficace… un « truc » dont il se servira pour la scène de torture du Bon, la Brute et le Truand. Impressionnant à l’image, mais absolument indolore en réalité ! Démobilisé, Wallach revint à New York, étudiant l’art du jeu d’acteur sous la direction des plus grands maîtres : Erwin Piscator, immense figure du théâtre allemand, à la Dramatic Workshop of the New School, et Lee Strasberg à l’Actor’s Studio, où Wallach eut pour camarades de classe Marlon Brando, Montgomery Clift, Sidney Lumet et (plus tard) Marilyn Monroe. Ce fut à l’Actor’s Studio qu’il rencontra aussi sa future femme, l’actrice Anne Jackson. Wallach fit ses débuts à Broadway dès 1945. Il joua des pièces de Tennessee Williams, George Bernard Shaw, Eugène Ionesco… et en 1951, Eli Wallach obtint un Tony Award pour son interprétation dans La Rose Tatouée, la pièce de Tennessee Williams. Acteur de théâtre avant tout, il continuera à fréquenter les planches new-yorkaises jusque dans les années 2000.

ci-dessus : dans Baby Doll, Silva Vaccaro (Eli Wallach) aime profiter d’un peu de bon temps avec la jeune et jolie Baby Doll (Carroll Baker), sur la balançoire…
Le cinéma américain « recrutant » de plus en plus les élèves surdoués de l’Actor’s Studio dans les années 1950, Eli Wallach fut évidemment repéré par les directeurs de casting. Il y eut un faux départ – Wallach aurait dû jouer le rôle de Maggio, le soldat « rital » forte tête de From Here to Eternity / Tant qu’il y aura des Hommes ; le grand réalisateur Fred Zinnemann était enthousiasmé par ses essais, mais Wallach dût décliner l’offre en raison de ses engagements au théâtre. Ce fut Frank Sinatra qui décrocha le rôle, « soutenu » non officiellement par ses protecteurs ; des hommes du genre à faire aux producteurs du film une offre qu’ils ne pouvaient pas refuser (anecdote qui inspirerait à Coppola l’histoire de Johnny Fontane, du producteur et de la tête du cheval dans le lit, dans Le Parrain !). Wallach fit ses débuts au cinéma sous l’égide d’Elia Kazan, toujours dans l’univers de Tennessee Williams, avec Baby Doll, sorti en 1956 et qui fit l’objet d’un beau scandale en son temps. Wallach s’y fit remarquer dans le rôle de l’ambitieux Silva Vaccaro, qui séduit la femme-enfant Baby Doll (Carroll Baker) sous les yeux impuissants de son mari Archie Lee (Karl Malden). Wallach remporta pour ce rôle le BAFTA Award et sa seule nomination aux Golden Globes.

ci-dessus : entrée en scène mémorable de Calvera, le bad guy joué par Eli Wallach dans Les Sept Mercenaires ! L’art de piller et rançonner, à la mexicaine…
Alternant ensuite le théâtre, les rôles à la télévision (Mister Freeze dans le Batman kitsch des années 60 !), et le cinéma, Wallach, immédiatement reconnaissable à son physique trapu et moustachu, le prédestinant aussi bien à jouer les méchants, les types louches et les personnages comiques, sera une « gueule » inoubliable dans bon nombre de classiques. On se souviendra d’abord de Calvera, le grand méchant des Sept Mercenaires, où il tenait tête à merveille à Yul Brynner, Steve McQueen, Charles Bronson, James Coburn et les autres. Un méchant très élégant et intelligent, qui se permettait même d’offrir un pardon royal aux pistoleros venus défendre les villageois qu’il rançonnait. On se souviendra aussi de son rôle de Guido dans The Misfits (Les Désaxés, 1961), le film de John Huston où il capturait des chevaux sauvages avec Clark Gable, pour en faire de la colle, et dansait un rock endiablé avec son amie Marilyn Monroe. Il fut un autre bad guy mémorable dans le western à grand spectacle La Conquête de l’Ouest d’Henry Hathaway (aidé par John Ford et George Marshall) : Charlie Gant, qu’affronte George Peppard durant une spectaculaire attaque de train, filmée en Cinérama. Parmi les autres personnages d’affreux mémorables que Wallach créa au cinéma, il y eut le Général dans Lord Jim (1965), de Richard Brooks, un seigneur de guerre d’Extrême-Orient qui faisait passer un sale quart d’heure à Peter O’Toole. Dans le registre comique, Eli Wallach fut aussi remarqué dans Comment voler un million de dollars (1966), caper movie de William Wyler, où il jouait un homme d’affaires américain charmé par Audrey Hepburn, et grugé par Peter O’Toole, encore lui ! Ou encore Frankie Scanapieco, dindon de la farce du Cerveau (1969), le film de Gérard Oury, avec Jean-Paul Belmondo, Bourvil et David Niven.

Ci-dessus : LA scène du Bon, la Brute et le Truand, où l’art d’interrompre les monologues des méchants, par Tuco / Eli Wallach. Avec commentaire optionnel de l’inamovible Blondin (Clint Eastwood)…
Mais bien sûr, le rôle pour lequel on continuera de se souvenir d’Eli Wallach reste Tuco, le crasseux mexicain du Bon, la Brute et le Truand… Tout compte fait, Tuco, aussi bête, grande gueule, grossier et sadique soit-il, reste le personnage le plus sympathique du trio qu’il formait avec le cynique Blondin (Clint Eastwood) et le cruel Sentenza (Lee Van Cleef). Tuco, grâce à la performance de Wallach et à un scénario aux petits oignons (dont ces dialogues entrés dans la légende), sort de la caricature le temps d’une scène émouvante où il retrouve son frère prêtre, pour une confrontation houleuse. Et heureusement, il provoque souvent les rires du spectateur, bien aidé en cela par la gestuelle et les mimiques clownesques de Wallach. Le film regorge de scènes cultes, comme ce moment extraordinaire où Wallach court à perdre haleine à la recherche de la tombe du cimetière de Sad Hill, sur une sublime musique d’Ennio Morricone. Le tournage fut un sacré souvenir pour l’acteur. S’il y gagna l’amitié de Clint Eastwood, il faillit aussi y perdre la vie, par deux fois ! La sécurité n’était pas à l’époque le souci majeur des productions italiennes, et Wallach n’avait pas de doublure quand il s’évadait du train de prisonniers. Les marchepieds en métal passèrent à quelques centimètres de sa tête, à pleine vitesse. Un autre jour, les techniciens posèrent par mégarde une bouteille remplie d’acide, prévue pour les effets spéciaux, près de la bouteille d’eau de l’acteur. Wallach se trompa et faillit boire l’acide… Quoiqu’il en soit, sa prestation, truculente à souhait, le « typa » pour des rôles similaires dans d’autres westerns, essentiellement transalpins, comme Les 4 de l’Ave Maria avec Terence Hill et Bud Spencer, ou Et Viva la Révolution ! avec Franco Nero. Il ne retravailla jamais avec Sergio Leone, bien qu’il aurait pu tourner dans ses films suivants. Leone voulait reformer le trio du Bon, la Brute et le Truand le temps de la scène d’ouverture d’Il était une fois dans l’Ouest et voulait lui donner le rôle de Juan dans Giu la Testa (Il était une fois la Révolution), mais après une brouille définitive, le rôle revint à Rod Steiger.
En dehors de ces rôles de coyote, Wallach continua à jouer des seconds rôles dans des productions des années 1970 (le film fantastique La Sentinelle des Maudits, La Théorie des Dominos avec Gene Hackman, ou Le Chasseur, dernier film de Steve McQueen, etc.), avant de se faire plus discret et de revenir vers les planches et la télévision (d’Arabesque à Urgences jusqu’à Nurse Jackie). Jusqu’à un âge avancé, Wallach ne cessa jamais de jouer. Il fit de fréquentes apparitions dans des rôles prestigieux, comme dans Le Parrain III (1990), où il jouait Don Altobello, faux ami de Michael Corleone (Al Pacino), planifiant dans l’ombre sa chute. Ce serait sans compter sans la sœur de Michael, Connie (Talia Shire), et ses dangereux cannolis… On le vit aussi en vieux rabbin traditionnaliste dans la comédie d’Edward Norton, Keeping the Faith (Au Nom d’Anna), où il faisait la leçon à Ben Stiller. Eli Wallach retrouva aussi son vieil ami Clint Eastwood sur le tournage de Mystic River : non crédité au générique, il jouait Mr. Loonie, le vieux marchand de liqueurs qui mettait les policiers Kevin Bacon et Laurence Fishburne sur la bonne piste. Parmi ses dernières apparitions, notons « le Fantôme », mystérieux vieil homme que rencontrait Ewan McGregor dans The Ghost Writer de Roman Polanski. Eli Wallach fit sa dernière apparition sur grand écran en 2010, dans le film d’Oliver Stone, Wall Street : L’Argent ne dort jamais. Il reçut en 2011 un Oscar honoraire pour sa longue et riche carrière, remis par un Clint Eastwood très ému.
Un dernier rappel, Mr. Wallach ? Bon, allez, pour la peine…Un autre moment culte du Bon, la Brute et le Truand : Tuco faisant ses courses…

Ce pauvre marchand d’armes !
Ludovic Fauchier.