Just whistle – Lauren Bacall (1924-2014)

Lauren Bacall

« Quelqu’un a une cigarette ? ».

 

Par cette seule réplique, une jeune femme de 19 ans chavira les cœurs des spectateurs de 1944… et celui de son partenaire à l’écran. Quand Lauren Bacall apparut pour la première fois dans To have and have not (Le Port de l’Angoisse), Humphrey Bogart, le dur des durs à cuire par excellence, fut conquis. On peut le comprendre : la demoiselle aux grands yeux clairs félins et à la douce voix rauque, entra par la grande porte dans la légende du Cinéma… Un terme dont elle se moquait allègrement, car Lauren Bacall était du genre à garder la tête froide, et faisait preuve d’un humour cinglant envers la réputation de star de l’écran qu’on lui colla dès ses débuts. Et si ses films les plus célèbres restent indissociables du mythique couple qu’elle forma avec Bogart, sa carrière, elle, s’étendit sur sept décennies, ses années « star » n’occupant qu’une relative partie de sa longue vie.

 

Il n’en reste pas moins que, ce 12 août 2014, une des dernières figures témoins de l’Âge d’Or du grand cinéma hollywoodien s’en est allée. Lauren Bacall restera pour toujours une présence associée à l’imagerie fantasmé d’un film de la fin des années 1940. Un film qui commencerait par un bureau de détective privé, aux stores rabaissés, une bouteille de whisky posée négligemment sur le bureau. Le privé émergerait de ses réflexions, pieds posés sur la table, par l’arrivée de Miss Bacall, dans l’embrasure de la porte. Une apparition d’une beauté angélique mais malicieuse, qui dirait « Mr. Marlowe ? J’ai besoin de votre aide… ». Et ce film, qui n’a jamais sans doute existé ailleurs que dans l’imagination collective des cinéphiles, entraînerait le privé dans une enquête l’emmenant sur les traces de Lauren Bacall, dans un night-club luxueux de Los Angeles embrumé de la fumée des cigarettes. Et tandis que viendrait l’inévitable scène de séduction, les vils truands campés par Peter Lorre, Edward G. Robinson ou Sidney Greenstreet seraient prêts à en découdre, en coulisses… Toute une époque que nous allons évoquer ici, par le biais des grandes étapes de la vie de Lauren Bacall. A lire avec ou sans verre de whisky à la main, et un bon disque de jazz d’époque en fond sonore ! Bien entendu, vous êtes libres de me signaler toute erreur dans le texte qui suit.

Lauren Bacall - la une de Harper's Bazaar

Lauren Bacall fut le nom de scène Betty Joan Perske, née à New York, dans le Bronx, le 16 septembre 1924. Betty était la fille unique de William, un employé de ventes, et de Natalie (née Weinstein-Bacal), une secrétaire. Comme bien des américains de l’époque, elle était une enfant d’immigrés juifs européens, venus en Amérique pour bâtir une nouvelle vie ; ses grands-parents paternels avaient émigré, quittant leur Vistule natale, territoire de la Pologne annexé par l’Empire Russe, et son père était né dans le New Jersey. Natalie, elle, était arrivée de Roumanie après le pénible passage par Ellis Island. Les parents de la petite fille divorcèrent quand elle avait cinq ans ; Betty resterait toujours avec sa mère et ne vit plus son père. En grandissant, Betty décida qu’elle voulait devenir danseuse, mais fut bientôt conquise par l’univers du théâtre. Très jolie jeune fille, elle fit du mannequinat, travaillant en parallèle comme souffleuse au théâtre, et elle étudia à l’American Academy of Arts, dans la même classe qu’un autre enfant d’immigrés, future superstar et partenaire à l’écran : Kirk Douglas (Yissur Danielovitch Demsky de son vrai nom). Elle croisa aussi sur les planches, à cette époque, un tout jeune Gregory Peck, resté un de ses plus fidèles amis. En 1940, elle eut aussi la chance de rencontrer la grande Bette Davis, de passage à New York. Betty Joan Perske fit ses débuts au théâtre en 1942 à Broadway, une simple silhouette dans une pièce intitulée Johnny 2 X 4.

 

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Une photo faite pour le prestigieux Harper’s Bazaar, pour un numéro paru en 1943, changea tout. La jolie demoiselle attira l’attention de Nancy Hawks, une femme de caractère, et l’épouse du cinéaste Howard Hawks. Le réalisateur de Sergent York préparait une adaptation du roman d’Ernest Hemingway, To have and have not, avec Humphrey Bogart en vedette. Celui-ci tiendrait le rôle de Harry « Steve » Morgan, un capitaine de bateau de pêche entraîné malgré lui dans la Résistance française aux Antilles, face à la police de Vichy. Il croiserait le beau regard de Marie « Slim » Browning, une jeune voleuse au caractère bien trempé, écumant les bars et les hôtels pour survivre. Nancy Hawks insista pour que Betty fit un essai filmé ; la secrétaire du cinéaste envoya par erreur un ticket direct pour Hollywood. A seulement 19 ans, la toute jeune femme, actrice inexpérimentée, auditionna devant la caméra d’un des plus redoutables réalisateurs de l’époque. Hawks, qui cherchait à lancer une nouvelle star, ne fut pas convaincu, mais sa femme prit Betty sous son aile : deux semaines plus tard, une Betty Perske plus élégante et affirmée passa une seconde audition. Suivant les conseils de Nancy Hawks, elle s’était entraînée à baisser le ton de sa voix, naturellement nasillarde, en hurlant des vers de Shakespeare pendant plusieurs heures. Celle-ci devint plus rauque, plus profonde, féline. Howard Hawks l’engagea, lui faisant signer un contrat de sept ans avec le studio Warner Bros., et devint son manager officieux. Il changea son prénom en Lauren, un choix qu’elle détesta (elle se fera toujours appeler « Betty » par ses amis proches), et elle choisit le second nom de famille de sa mère, allongé d’un « l ». Pour ses premiers jours de tournage, Lauren Bacall, en proie à un trac incontrôlable, tremblait dès qu’elle devait jouer ses scènes. Elle trouva la parade en regardant son partenaire par en-dessous, lançant du même coup ce langoureux regard qui fit vite craquer Bogie, comme les spectateurs. Et voilà comment Lauren Bacall hérita de son célèbre surnom, « The Look ». Très inspiré à la fois par Marlene Dietrich (comme cette dernière, elle chante joliment aux côtés du pianiste Hoagy Carmichael) et par Nancy Hawks (« Slim » était le surnom que lui donnait son mari), Lauren Bacall entra dans la légende, grâce notamment à une scène de séduction conclue par cette réplique langoureuse : « Avec moi, tu n’as pas besoin d’agir, Steve. Oh ! Peut-être simplement siffler. Tu sais siffler, Steve ? Tu rapproches tes lèvres et tu souffles. ». Succès immédiat. La jeune femme devint une star en quelques secondes !

 

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Humphrey Bogart et Lauren Bacall avaient entamé une liaison amoureuse sur le tournage, au grand dam du pygmalion Hawks, et de l’épouse de Bogart, Mayo Methot. Bogart divorça de celle-ci, et, peu de temps après, il épousa Lauren Bacall. Le couple aura deux enfants, un fils, Stephen Humphrey Bogart, né en 1949, et une fille, Leslie Howard Bogart, née en 1952. La jeune actrice tourna ensuite en 1945 le film Confidential Agent (Agent Secret) avec Charles Boyer et Peter Lorre, un mauvais souvenir pour elle en raison des critiques négatives à son encontre. Souvenir vite oublié, puisque Howard Hawks l’associa de nouveau à son mari, immédiatement après, pour le second des quatre grands films noirs qu’ils tourneront. Le Grand Sommeil, dès le générique, iconisa le couple Bogart-Bacall : il les présentait, en contrejour, allumant leurs cigarettes. Toute l’image d’une époque où les stars, à l’écran, se permettaient de fumer comme des pompiers et de partager un whisky sans que l’on ne crie au scandale. Du moment qu’ils le faisaient avec classe, humour et prestance !… Cette adaptation du roman de Raymond Chandler plongeait le détective privé Philip Marlowe (Bogart) dans une intrigue tortueuse, le menant à affronter un réseau de maîtres chanteurs crapuleux, faisant pression sur les filles d’un général paralytique. Bacall jouait Vivian Rutledge, l’aînée des deux sœurs, une joueuse invétérée, mentant pour protéger sa sœur dévergondée. Le Grand Sommeil fut une adaptation difficile : le code Hays sévissait à l’époque, et le scénario du film dut être largement modifié en conséquence. Hawks dut retourner le film en modifiant plusieurs scènes, au point que le film demeurera délibérément incompréhensible. Hawks et ses scénaristes, tout comme Raymond Chandler, ne savaient même plus qui avait fait quoi dans cette sombre affaire… Mais peu importait ; Bogart était à son meilleur niveau, et l’alchimie de son couple formé avec Lauren Bacall était évidente. Celle-ci dut pourtant endurer de nouvelles critiques lui reprochant toujours son inexpérience. On pouvait deviner que l’actrice n’était pas très à l’aise à l’intérieur d’un système qui fit d’elle « la femme de Bogart », mais elle s’en sortit avec les honneurs. Elle avait une présence unique, renforcée par la malice et l’ironie cinglante des échanges auxquels elle se livrait avec Bogart ; ici, cela culminerait avec un dialogue mémorable dans un night-club, où Vivian et Marlowe échangent des dialogues aux sous-entendus très explicites sur les « courses de chevaux« . Le code Hays laissa passer, et le film fut un nouveau succès.

 

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Bogart et Bacall reprirent du service l’année suivante pour leur troisième film ensemble, Dark Passage (Les Passagers de la Nuit), dont la réalisation fut signée par Delmer Daves. Cette adaptation d’un autre maître du polar, David Goodis, restera peut-être le meilleur film du couple. Un thriller, où Vincent Parry (Humphrey Bogart), un évadé de la prison de San Quentin, trouvait refuge chez Irene Jansen (Lauren Bacall), une artiste peintre sûre de son innocence, et qui l’aiderait à découvrir qui l’a fait accuser du meurtre de sa femme. L’originalité du film tenait à ce que, pendant une heure (soit environ les deux tiers du récit), Bogie ne montrait pas son visage. Daves filmait le récit en caméra subjective, ou bien laissait Parry dans les ténèbres, avant de révéler son visage, modifié par une opération de chirurgie esthétique nécessaire pour berner la police. Le résultat fut un petit chef-d’oeuvre de film noir, baignant dans une atmosphère cauchemardesque, clairement inspirée par les peintures d’Edward Hopper. Quand à Lauren Bacall, elle fut excellente de bout en bout ; bénéficiant du temps de présence plus réduit de son mari à l’écran, l’actrice jouait un personnage plus proche d’elle que ne l’étaient sans doute Slim Browning et Vivian Rutledge. Tout en jouant sur les conventions du genre (et les inévitables scènes de séduction avec cigarettes, avec en fond musical la superbe chanson de Johnny Mercer, Too Marvelous for Words), le film offrait à l’actrice l’occasion de jouer un personnage plus affirmé, prenant l’initiative de défendre l’ex-taulard en cavale, en usant de ruse et de charme. Lauren Bacall sut montrer qu’elle n’était pas juste la sublime « pépée » de night-club que Bogie devait protéger à tout bout de champ, mais qu’elle avait aussi du répondant, tenant aussi bien tête avec astuce à la police qu’à une « amie » suspicieuse, jouée par Agnes Moorehead.

1947 fut aussi une année difficile pour le couple, hors des plateaux de tournage. Avec le début de la Guerre Froide, les sympathisants américains du communisme ou du socialisme furent vite regardés avec méfiance. Hollywood fut la cible du Congrès, notamment les « Hollywood Ten« , un groupe de personnalités (essentiellement des cinéastes et des scénaristes, comme Edward Dmytryk et Dalton Trumbo) vite accusés par l’HUAC (House committee of Un-American Activities) d’être des agents de l’Union Soviétique. Les « Ten » se retrouveront mis au chômage forcé, leur réputation salie pour de longues années. Dans ce contexte houleux, Bogart et Bacall rejoignirent le Committee for the First Amendment ; ils firent ainsi partie d’un groupe d’acteurs et de cinéastes célèbres (rassemblant entre autres John Huston, William Wyler, Billy Wilder, Katharine Hepburn, Gene Kelly, Judy Garland, Bette Davis, Groucho Marx…) qui allèrent, en octobre 1947, plaider la cause des « Ten » à Washington, au nom de la démocratie. Peine perdue, car ces derniers furent condamnés, et la démarche des stars attira sur eux la suspicion. Tant et si bien que Bogart dut rédiger un article en 1948, dans le magazine « Photoplay », pour mettre les choses au clair, rappeler que ni lui ni Lauren Bacall n’avaient la moindre sympathie pour le régime soviétique, et qu’ils avaient soutenu les artistes blacklistés uniquement au nom de la liberté d’expression supposée garantie par le droit américain. Dans les années suivantes, empoisonnées par la Chasse aux Sorcières, Lauren Bacall campera fermement, d’ailleurs, sur ses opinions démocrates, et critiquera ouvertement le sinistre Sénateur Joseph McCarthy. 

 

Lauren Bacall - Key Largo

Le couple reprit le chemin des studios pour leur quatrième et dernier film tourné ensemble : Key Largo, réalisé par John Huston, concluait cette exceptionnelle série de grands films noirs. Librement adapté d’une pièce à succès de Maxwell Anderson, le film confrontait Bogart et Bacall à une bande de truands cruels, menés par un adversaire de premier ordre : Edward G. Robinson. Le casting de choix comprenait aussi Lionel Barrymore et Claire Trevor, mémorable en « poule » de gangster vieillissante et malheureuse. Bacall jouait le rôle de Nora Temple, une jeune veuve de guerre, gérant un petit hôtel en Floride avec son beau-père (Barrymore). Frank McCloud (Bogart) venait saluer la mémoire du défunt soldat tombé à Cassino auprès de ses proches, mais se retrouvait, comme ces derniers, pris en otage par la bande de Johnny Rocco (Robinson), gangster déclinant prêt à revenir sur le territoire américain. Bacall fit une prestation correcte, mais son rôle était quelque peu effacé, laissant le champ libre à l’affrontement des monstres sacrés Bogart et Robinson. Bien entendu, ce dernier se montrait si cruel et visqueux (séquence mémorable où il murmure à l’oreille de la belle pour la faire sortir de ses gonds…) qu’elle finirait par soutenir Bogart, comme il se devait !

A l’entrée des années 1950, Lauren Bacall eut du mal à prouver au système de production hollywoodien qu’elle était une actrice avant tout. Difficile, pour cette jeune femme bombardée « star » du jour au lendemain, de trouver un bon équilibre de vie, entre les obligations professionnelles, son mariage avec une superstar du grand écran (il est à noter quand même qu’elle et « Bogie » furent l’un des rares exemples de couple stable et heureux dans ce milieu de fous…), la maternité, et l’envie de trouver des rôles solides. L’actrice n’aimait pas, de toute évidence, l’univers d’Hollywood, où un certain sexisme fut (et reste) de vigueur quant à la place des femmes à l’écran… Elle refusa beaucoup de scénarii qu’elle jugeait médiocres, et gagna en retour une réputation d’actrice « difficile ».

Lauren Bacall - Young man with a horn

En 1950, elle tourna deux films pour le cinéaste Michael Curtiz. Deux films de qualité variable, le meilleur des deux étant Young man with a horn (devenu en VF La Femme aux chimères), le premier grand film américain sur l’univers du jazz. Kirk Douglas y incarnait Rick Martin, un jeune trompettiste talentueux mais sans le sou, très inspiré de Bix Beiderbecke, partagé dans sa vie amoureuse entre sa femme Amy, jouée par Bacall, et une chanteuse jouée par Doris Day. Lauren Bacall fit une très bonne prestation nuancée pour un personnage antipathique au premier abord, une étudiante en psychiatrie hautaine et distante, perturbée par le suicide de sa mère, et dont le mariage se détériorait rapidement. Le film montrait même que l’épouse du trompettiste se consolait avec une femme « artiste » (horreur pour l’époque !…). Le film suivant fut Bright Leaf (Le Roi du Tabac), où elle partageait l’affiche avec une autre légende, Gary Cooper. Malheureusement, le film fut un drame assez ennuyeux sur fond de guerre du commerce du tabac au 19ème Siècle. Le personnage de Cooper, adepte d’une technique de production et de vente industrielle moderne, affrontait des barons locaux représentant la vieille école sudiste ; Bacall y jouait Sonia Kovac, une tenancière de bordel rejoignant évidemment le camp de « Coop ». Le film fut assez vite oublié.

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L’actrice, elle, fit une pause de deux ans loin des écrans. Sa cinquième collaboration avec son époux fut pour la radio, avec le feuilleton à succès Bold Venture qui réunissait le couple entraîné dans un univers d’aventures, d’intrigues et de mystères aux Caraïbes, en 1951 et 1952. Lauren Bacall reprit le chemin des studios, libérée de son contrat exclusif avec Warner, pour rejoindre la 20th Century Fox en 1953, comme tête d’affiche de la comédie Comment épouser un Millionnaire, de Jean Negulesco. Changement de registre et surtout de visuel pour la comédienne, maintenant filmée en CinémaScope et Technicolor flamboyant ! L’occasion pour les spectateurs de découvrir « en vrai » les ravissants yeux verts-bleus de Miss Bacall. Cette comédie sans prétention fit un triomphe au box-office américain. Trois amies modistes, sans le sou, y cherchaient un mari riche pour se sortir des tracas financiers… Bacall y jouait le rôle de Schatze, le cerveau de la bande, hésitant entre un faux pompiste et un riche texan veuf (William Powell). Ses amies étaient jouées quant à elles par deux fantasmes ambulants : Betty Grable, la pinup attitrée des soldats américains de la 2ème Guerre Mondiale, et l’étoile montante Marilyn Monroe, portant ici des lunettes. Dans cette comédie plaisante, un brin cynique (le mariage de raison et d’argent, avant l’amour !), Lauren Bacall s’amusait bien, plaisantant au passage sur Bogart, « ce type dans African Queen« , qui fait craquer son personnage…

Forte de ce succès, l’actrice jouera , dans les années 1950, des rôles plus dramatiques, le plus souvent des épouses malheureuses ou incomprises. Sa beauté un peu froide, mise en valeur par les meilleurs chefs opérateurs de l’époque, son intelligence et un certain underplay tout en réserves lui vaudront souvent les louanges des critiques, et elle conserva adroitement son aura de star devenue mature. Elle retrouva Jean Negulesco pour son film suivant en 1954, Woman’s World (Les Femmes mènent le monde), un drame regroupant June Allyson, Van Heflin, Cornel Wilde, Arlene Dahl et Fred MacMurray, qui jouait ici son mari épuisé par le travail. En 1955, le couple Bogart-Bacall fit son ultime apparition sur les écrans, à la télévision, pour une reprise de La Forêt Pétrifiée, où Humphrey Bogart reprit le rôle qui l’avait fait connaître en 1936. Au cinéma, Lauren Bacall joua avec John Wayne dans L’Allée Sanglante, un film d’aventures plutôt raté, en raison d’une production pour le moins chaotique (Wayne, producteur, remplaça officieusement le réalisateur William A. Wellman durant le tournage). La rencontre du « Look » et du « Duke » ne fit pas d’étincelles.

 

Lauren Bacall - La Toile d'Araignée

On préfèrera se souvenir, en cette année 1955, du premier film que Bacall tourna pour Vincente Minnelli, le drame psychologique La Toile d’Araignée. Elle y jouait Meg Rhinehart, membre de l’équipe du psychiatre Stewart McIver (Richard Widmark), brillant médecin gérant un hôpital psychiatrique moderne, où les médecins laissent à leurs malades le soin de s’organiser et de se responsabiliser. Meg, jeune veuve cherchant un nouveau sens à sa vie, y aidait les patients volontaires dans leurs activités artistiques. Un beau projet hélas contrecarré par les tensions et les intrigues au sein du personnel… Un beau casting rassemblant aussi Charles Boyer, Lillian Gish, Gloria Grahame et l’irrésistible Oscar Levant en malade grincheux, pour ce film sauvé du mélodrame pesant par l’habile mise en scène de Minnelli. La prestation de Bacall était réussie, jouant de façon subtile sur le rapprochement affectif entre son personnage et le docteur joué par un excellent Widmark.

 

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On apprécia aussi le jeu de Lauren Bacall dans son film suivant, dû à l’autre grand maître du mélodrame flamboyant, Douglas Sirk. Ecrit sur du Vent, tourné et sorti en 1956, décrivait un quatuor amoureux malheureux. Bacall y jouait le rôle de Lucy Moore, dessinatrice publicitaire, partagée entre Kyle Hadley (Robert Stack), héritier d’une grande fortune pétrolière, et le meilleur ami de celui-ci, Mitch Wayne (Rock Hudson). Lucy épousait Kyle, au grand dam du loyal Mitch, avant que sa belle-soeur, l’aguicheuse Marylee (Dorothy Malone), ne jetât de l’huile sur le feu. Malgré tout dévouée à son mari, Lucy ne pouvait l’empêcher de s’abîmer dans l’alcool, se croyant stérile… Racontée telle quelle, l’intrigue ressemble à n’importe quel épisode de soap opéra, mais ce serait oublier un peu trop vite que les Dallas et autres ont allègrement plagié ce beau classique, sans jamais avoir le talent narratif et visuel de Sirk. Bacall y était impeccable de retenue, parfaitement à son aise dans l’univers « sirkien ».

 

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Lauren Bacall retrouva Vincente Minnelli pour son film suivant, Designing Woman (La Femme Modèle), sorti en 1957. Elle en partageait la vedette avec un vieil ami, Gregory Peck, remplaçant au pied levé Grace Kelly. Ce film fut l’un des rares à mettre en valeur son talent comique, visible dans Comment épouser un millionnaire, et déjà présent dans la scène du téléphone du Grand Sommeil (« Vous demandez le commissariat ? Vous faites erreur, ce n’est pas un commissariat ici… attendez, je vous passe mon père. »). Dans La Femme Modèle, elle jouait Marilla Brown, dessinatrice de mode et couturière sophistiquée, mariée sur un coup de foudre au journaliste sportif Mike Hagen (Peck), qui lui cachait sa liaison de longue date avec une chanteuse (Dolores Gray). Quiproquos et gags bien vus sur les différences sociales indéniables entre les deux jeunes mariés s’ensuivaient, dans l’esprit des comédies de Spencer Tracy et Katharine Hepburn, cette dernière étant certainement ici le modèle du personnage joué par Bacall. La comédie était bien enlevée, mais l’actrice n’avait guère le cœur à rire pendant le tournage. Humphrey Bogart, atteint d’un cancer de l’œsophage, s’affaiblissait et décéda le 14 janvier 1957. Elle vécut mal le veuvage, et eut une brève liaison, abruptement finie, avec Frank Sinatra. Elle reprit le chemin des plateaux de tournage pour deux autres films à la fin des années 1950 : The Gift of Love (1958), son troisième film pour Jean Negulesco, où elle jouait de nouveau l’épouse de Robert Stack, une femme cardiaque décidant d’adopter une petite fille ; et le film d’aventures britannique de J. Lee Thompson, Northwest Frontier (Aux frontières des Indes), en 1959, où elle jouait une gouvernante protégeant un enfant maharadjah dans une Inde en proie à la guerre. Un gros succès, mais l’actrice, à 35 ans, décida qu’il était temps pour elle de se retirer des feux du star-system.

Lauren Bacall ne se mit par pour autant à la retraite. Elle retourna à ses premières amours, le théâtre, en jouant à Broadway le premier rôle de la pièce à succès Au revoir, Charlie. Un succès, qui en appela d’autres sur les planches, durant les décennies suivantes. Elle épousa en secondes noces l’acteur Jason Robards, le 16 juin 1961, et elle donna naissance six mois plus tard à leur fils, Sam Robards, futur comédien. Lauren Bacall fit de rares apparitions à la télévision (dans les séries Dr. Kildare, Mr. Broadway ou chez Bob Hope) et fit de discrets come-backs au cinéma : le drame psychologique Shock Treatment (1964), la comédie Sex and the Single Girl (Une Vierge sur canapé, 1964) avec Tony Curtis, Natalie Wood et Henry Fonda, et, ramenant avec elle le souvenir des classiques de Bogart, le film policier Harper (Détective Privé, 1966) face à Paul Newman. Son bonheur, Lauren Bacall le trouva finalement au théâtre, devenant une comédienne de premier plan, saluée par le public et la critique pour ses rôles dans Fleur de Cactus (1965), Applause (1970), Wonderful Town (1977), Woman of the Year (1981), Doux Oiseau de Jeunesse (1985) ou La Visite de la Vieille Dame (1999). Elle obtint deux Tony Awards, la plus haute distinction pour une actrice de théâtre, pour Applause et Woman of the Year, et deux Sarah Siddons Awards de l’Actrice de l’Année en 1972 et 1984.

 

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Divorcée de Jason Robards en 1969 (le mariage ne put survivre à l’alcoolisme de l’acteur), Lauren Bacall fit des apparitions plus épisodiques au cinéma. Trois rôles seulement dans les années 1970, mais deux restèrent assez notables. Dans un casting de superstars (Sean Connery, Ingrid Bergman, Jacqueline Bisset, etc.), elle fut en 1974 Mrs. Harriet Belinda Hubbard, amusant personnage de veuve nouveau riche, l’une des suspectes du Crime de l’Orient Express sur lequel enquête Hercule Poirot (Albert Finney), dans cette excellente adaptation d’Agatha Christie par Sidney Lumet. Et en 1976, elle retrouva John Wayne pour son dernier film, le très bon western The Shootist (Le Dernier des Géants), dans lequel jouaient aussi James Stewart, Ron Howard et John Carradine. Lauren Bacall jouait le rôle de Bond Rodgers, veuve et logeuse de J.B. Books (Wayne), légende de l’Ouest se mourant d’un cancer. Bien qu’elle et le « Duke » étaient connus pour leurs opinions politiques totalement opposées, ils devinrent bons amis jusqu’à la mort de Wayne en 1979, lui aussi emporté par la maladie. Sur une note plus souriante, The Shootist fut, pour Bacall, l’occasion d’être nominée, pour la toute première fois, à 52 ans ! Elle fut citée aux BAFTA Awards de la Meilleure Actrice.

 

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Les dernières décennies de carrière de Lauren Bacall furent bien évidemment plus discrètes que ses débuts. Devenue, par la force des choses, la dernière survivante des grands films noirs de l’Âge d’Or d’Hollywood, elle se prêtait volontiers au jeu des documentaires et des interviews sur cette glorieuse époque, tout en continuant à alterner apparitions au cinéma, à la télévision, et poursuivant sa carrière théâtrale jusqu’en 1999. Après une pause de sept ans suite à l’échec du film Fanatique (1981) avec James Garner, Lauren Bacall fut le plus souvent une guest star de choc, cantonnée à des rôles secondaires (l’éditrice de James Caan dans Misery, de Rob Reiner, une participation dans Prêt-à-Porter de Robert Altman, pour qui elle avait tourné la comédie Health en 1980…), et le plus souvent, des personnages de mères autoritaires. On citera surtout son rôle dans The Mirror Has Two Faces (en VF, Leçons de Séduction), remake du film d’André Cayatte Le Miroir à deux faces, réalisé et joué par Barbra Streisand, avec également Jeff Bridges. Une comédie dramatique où elle était Hannah Morgan, la mère égocentrique de Rose (Streisand), professeur de littérature effacée, disgracieuse et malheureuse, qui craquait pour le beau mathématicien joué par Bridges. Accueil critique et public mitigé, comme à chaque sortie d’un film de « la » Streisand, mais la performance de Bacall fut largement appréciée : c’était bien celle d’une véritable actrice, respectée et confirmée. A 72 ans, elle remporta le Golden Globe de la Meilleure Actrice dans un Second Rôle, ainsi que le Screen Actors Guild Award de la même catégorie. Et elle décrocha sa seule et unique nomination à l’Oscar de toute sa carrière. Favorite, elle se le fit souffler in extremis par Juliette Binoche pour Le Patient Anglais

 

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Parmi les dernières apparitions au cinéma de Lauren Bacall, il faudra notamment citer ses collaborations avec Nicole Kidman, continuatrice de la grande tradition glamour à l’écran : elle joua avec elle dans Dogville (2003), le drame de Lars von Trier, et la retrouva l’année suivante dans le film de Jonathan Glazer, Birth, où elle jouait sa mère. On la revit également dans la suite de Dogville, Manderlay, Nicole Kidman étant remplacée par Bryce Dallas Howard. Ignorant vaillamment le mot « retraite », Lauren Bacall continua à apparaître régulièrement sur les grands et petits écrans (Chicago Hope, Les Sopranos). Elle l’employa aussi son inimitable voix rauque dans divers films et séries animées, comme les doublages américains du Château Ambulant de Miyazaki, Ernest et Célestine, ou dans la série Family Guy (Les Griffins). Saluée et récompensée comme il se devait dans les festivals et les cérémonies officielles, Lauren Bacall fut enfin reconnue à sa juste valeur par l’Académie des Oscars, qui lui remit une statuette honorifique en 2009, « en reconnaissance de son rôle central dans l’âge d’or du cinéma« . Mieux valait tard que jamais ! La comédienne apparut pour la dernière fois au cinéma en 2012 dans la comédie dramatique The Forger, jouant le rôle d’Annemarie Cole, une aimable vieille voisine du jeune couple formé par Josh Hutcherson et Hayden Panettiere. Elle succomba à une attaque cardiaque le 12 août dernier, dans sa résidence du Dakota Hotel de New York.

Il reste maintenant les souvenirs liés au nom de Lauren « Betty » Bacall… ceux d’une époque depuis longtemps révolue, où le star system n’était pas encore réduit à du simple matériel de tabloïds médiocres voués à l’ignoble culture people actuelle… Promue star avant d’être célébrée comme actrice, Lauren Bacall ne fit pas que marquer de sa présence une belle série de grands films avec son cher Bogie ; elle sut, lentement mais sûrement, gagner le respect de ses pairs en menant une vie bien remplie, et un parcours professionnel irréprochable. On saluera donc sa mémoire comme il se doit.

 

Lauren Bacall - avec Bugs Bunny !

Et, pour finir par un sourire, joignons-nous à ce bon vieux Bugs Bunny en adoration devant la belle dans le cartoon Slick Hare (1946). Lauren Bacall ne devrait pas nous en tenir rigueur : joignons nos lèvres, et sifflons !

 

That’s all, Folks !

Ludovic Fauchier.

 

 

Le lien vers la fiche ImdB et la filmographie complète de Lauren Bacall :

http://www.imdb.com/name/nm0000002/

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