Bonjour chers amis neurotypiques !
Nous reprenons cette rubrique hélas habituelle à chaque nouvelle saison, l’occasion de saluer une dernière fois quelques personnalités et artistes qui ont fait partie de la folle histoire du 7ème Art. En l’occurrence, une femme et un homme, décédés à une journée d’intervalle cet hiver, et dont les noms nous renvoient quelques cinquante années en arrière.
En prime, une pensée émue pour le plus logique des Vulcains qui nous a également quittés…
Anita Ekberg (1931-2015)
« Marcello ! Come here ! » Personne n’a oublié cette scène de La Dolce Vita, où le maitre Federico Fellini signait une magnifique scène de séduction féminine. Un moment purement fantasmatique où le journaliste joué par Marcello Mastroianni rejoignait dans la fontaine de Trevi la pulpeuse Sylvia, alias Anita Ekberg. Avec sa robe-fourreau noire, ses longs cheveux blonds en cascade et ses formes voluptueuses éclaboussées par les eaux, la comédienne devenait en quelques instants un fantasme vivant… avant que Fellini nous ramène à la réalité et fasse retomber la magie avec l’arrivée du petit jour. Le film de Fellini fut même occulté par le souvenir de cette scène, de même que la carrière de la comédienne d’origine suédoise, et italienne d’adoption. Avec un physique aussi pulpeux, typique des pin-ups de l’époque, la belle Anita fut surtout la vedette d’un bon nombre de séries B souvent destinées à mettre en valeur ses charmes, dans les limites convenables de l’époque, pour le plus grand bonheur des spectateurs des cinéma de quartier de l’époque ! La Dolce Vita et sa collaboration avec Fellini furent un peu l’arbre qui cachait la forêt d’une carrière souvent inégale ; mais, indéniablement, la belle sut enflammer la pellicule de ses charmes, dans n’importe quelle production.
Kerstin Anita Marianne Ekberg naquit à Malmö le 29 septembre 1931, la sixième d’une famille de huit enfants. Adolescente, la jolie jeune fille commencera une carrière de mannequin, et, sur les conseils de sa mère, s’inscrira une fois adulte dans les concours de beauté locaux, aidée en cela par un charmant visage et un physique prompt à se faire retourner les hommes sur son passage. Elue Miss Suède, elle rejoignit le concours de Miss Univers en 1951, quittant son pays natal pour les Etats-Unis. Finaliste du concours, Anita fut remarquée par les recruteurs du studio Universal, où elle fit ses débuts comme starlette. Début de la « Dolce Vita » pour la jeune suédoise qui apprit le métier de comédienne, mais préférait largement l’équitation aux cours de diction, d’art dramatique, danse et escrime… Les débuts furent modeste, Anita Ekberg faisant de la figuration en 1953, avec d’autres filles, dans The Mississipi Gambler (Le Gentilhomme du Mississipi), Deux Nigauds sur Mars avec Abbott et Costello et The Golden Blade (La Légende de l’Epée Magique) avec Rock Hudson. Les choses s’améliorèrent avec le mannequinat, les apparitions à la télévision américaine et des rôles plus conséquents dans des films de prestige. L’Allée Sanglante, avec John Wayne et Lauren Bacall, lui vaudra même de remporter le Golden Globe de la Débutante la plus prometteuse (prix partagé avec les comédiennes Victoria Shaw et Dana Wynter).

Ci-dessus : exemple typique des rôles qui firent la gloire d’Anita Ekberg à ses débuts, Zarak ne resta pas dans les mémoires… mais peu importe. Anita dansait, pour vous, messieurs !
1956 fut l’année décisive pour Anita Ekberg. Outre les retombées du Golden Globe, elle devint une habituée des « unes » de la presse à potins de l’époque, pour ses innombrables liaisons avec les séducteurs de l’écran ; une liste comprenant, au fil des ans, Tyrone Power, Errol Flynn, Yul Brynner, Frank Sinatra et Rod Taylor. Anita devint aussi une icône gentiment polissonne, devenant une vraie pin-up adorée des lecteurs de magazines du style Playboy ; et elle ne se priva pas de réaliser quelques coups publicitaires tout aussi coquins, comme lorsqu’elle fit exprès d’ »exploser » le bustier de sa robe lors de son arrivée au Berkeley Hotel de Londres ! Une présence éminemment torride qui la fit remarquer du gagman, cinéaste et ancien cartooniste Frank Tashlin. Cet ancien collègue de Tex Avery (donc aussi connaisseur que lui en matière de pin-ups affriolantes) la fit jouer à deux reprises avec le duo vedette Jerry Lewis-Dean Martin, dans Artistes et Modèles, et Hollywood or bust (Un vrai cinglé de cinéma). Si « Dino » était le dragueur invétéré du duo, c’est Jerry, dans son numéro de grand dadais timide devant les filles, qui poursuivait pourtant la belle dans Un vrai cinglé de cinéma… Jerry Lewis était flanqué d’un grand danois (le chien) qui craquait pour la minuscule caniche de la belle, l’occasion pour Tashlin de faire dire à Anita Ekberg des dialogues à double sens parfaitement évidents, sur l’incompatibilité de taille de leurs toutous respectifs ! On la vit cette même année dans le luxueux casting de Guerre et Paix (1956) de King Vidor, jouant le rôle d’Helena Kuragina, aux côtés d’Henry Fonda, Audrey Hepburn, Mel Ferrer et Vittorio Gassman. Et elle eut son premier rôle féminin dans Back from Eternity (Les Echappés du Néant, 1956), un film d’aventures de John Farrow, où elle était une très sexy naufragée des airs, perdue en pleine jungle, avec Robert Ryan et Rod Steiger. Ces belles années se poursuivirent avec des productions mineures, tournées en Grande-Bretagne : le thriller Man in the Vault, et Zarak le Valeureux de Terence Young, avec Victor Mature ; un film d’aventures orientales prétexte à la belle pour livrer une scène de danse du ventre terriblement suggestive… Les productions suivantes dans lesquelles elle joua étaient du même tonneau : en 1957, Interpol (Pickup Alley) toujours avec Victor Mature, et Valerie avec Sterling Hayden et son mari d’alors, Anthony Steel ; l’année suivante, la comédie Paris Holiday (A Paris tous les deux) avec Bob Hope et Fernandel, et Screaming Mimi avec la reine du strip-tease Gypsy Rose Lee !

Ci-dessus : la scène inoubliable de La Dolce Vita. Anita Ekberg, la femme fellinienne par excellence, qui rend fous Marcello Mastroianni et les spectateurs…
Anita Ekberg se fixera par la suite en Italie, et prit bientôt la nationalité de sa terre d’adoption, où on la verra trôner dans de savoureuses séries B d’aventures, tout en revenant de temps à autres tourner un film aux USA. Elle fut la Reine Zénobie (sensuellement habilllée, comme il se doit) dans le péplum franco-italo-germano-yougoslave Sous le signe de Rome, coécrit par Sergio Leone, et sorti en 1959. Ceci juste avant que Federico Fellini fit d’elle la Sylvia de La Dolce Vita… Sa présence dans le film ne s’étendait en fait qu’à une brève partie du film, long de près de 3 heures, mais qu’importe : présente sur l’affiche peinte du film, Anita Ekberg, jouant pratiquement son propre rôle, livrait une performance propre à affoler les érotomanes de la planète entière, qui auraient bien aimé alors se trouver à la place de Marcello Mastroianni, profitant d’une visite de la star à travers Rome, pour se retrouver seul avec elle dans la fameuse scène de la fontaine… avant que l’arrivée du jour et le retour d’un boyfriend jaloux ne gâchent le rêve. Un très bon souvenir pour l’actrice, qui s’entendit à merveille avec le maestro Fellini au point de revenir dans plusieurs de ses films. Signalons aussi, pour cette année 1961, un très bon rôle de la belle suédoise dans Le Dernier Train de Shanghai, et un petit classique de la série B d’aventures, Les Mongols d’André de Toth et Leopoldo Savona, avec Jack Palance. Anita Exberg retrouva Fellini en 1962, pour Les Tentations du Docteur Antoine, l’un des sketches de Boccace 70 signé des meilleurs réalisateurs italiens de l’époque (Mario Monicelli, Luchino Visconti et Vittorio De Sica). Elle rendait fou l’austère et puritain docteur obnubilé par sa présence sur une affiche incitant à boire plus de lait ! On la revit dans Seven Seas to Calais avec Rod Taylor et Terence Hill, sous la direction de Primo Zeglio et Rudolph Maté ; elle manqua de peu le rôle d’Honey Rider dans James Bond contre Dr. No, devancée par la suissesse Ursula Andress, avec qui elle joua dans le western comique de Robert Aldrich 4 du Texas, où les deux belles charment Frank Sinatra, Dean Martin et Charles Bronson.
A l’approche de la quarantaine, la carrière cinéma d’Anita Ekberg s’essoufflera inéluctablement. Peu de titres marquants après le flop de Way… Way out (Tiens bon la rampe, Jerry) où elle jouait une astronaute russe retrouvant Jerry Lewis, en 1966. On citera rapidement sa participation dans le film de Vittorio De Sica de 1967, Sept fois femme dont Shirley MacLaine tenait la vedette, et une troisième prestation chez Fellini dans Les Clowns, en 1970. Elle prit une semi-retraite forcée par la médiocrité de ses quelques films tournés dans les années 1970 - six ans entre Northeast of Seoul (1972) et des nanars du nom de Killer Nun (1978) et Gold of the Amazon Women (1979)… Heureusement, Federico Fellini ne l’oublia pas et lui offrit un bel adieu au cinéma en 1987, dans la meilleure scène, nostalgique (et un brin cruelle…) d’Intervista. Dans ce film dans le film en partie autobiographique, le maître italien et son équipe, accompagnés de Marcello Mastroianni grimé en Mandrake le Magicien, rendaient visite à la diva suédoise retirée dans sa villa. Et Fellini de montrer que le temps a passé, ses deux stars contemplant leur grande scène de La Dolce Vita, tournée un quart de siècle plus tôt… Ce fut l’avant-dernière apparition d’Anita Ekberg, avant un ultime rôle en 1996 dans Bambola, un mélo érotique espagnol de Bigas Luna. La belle qui fit fantasmer les hommes de la planète entière connaîtra une fin de vie un peu triste; alors qu’elle était hospitalisée en 2011, sa villa fut dévalisée, et incendiée. Démunie, elle dut demander l’aide de la Fondation Fellini. Elle séjourna à la Clinique San Raffaelle de Rocca di Papa, dans sa chère cité de Rome, avant d’y décéder le 11 janvier 2015.
Rod Taylor (1930-2015)
Une des gueules les plus sympathiques du « cinoche » à l’ancienne des années 1960-70 nous a quitté ce 8 janvier à Los Angeles dans sa 84ème année. Rod Taylor fut, bien avant Mel Gibson, Russell Crowe ou Hugh Jackman, l’un des tout premiers australiens à avoir percé sur le grand écran. Et bien que sa carrière cinéma ait été relativement brève, et plutôt tournée vers la série B, cet acteur à la belle gueule carrée restera associé au souvenir de plusieurs classiques, et aussi de quelques pellicules sacrément bien barrées qui lui vaudront la reconnaissance finale d’un connaisseur en la matière, Quentin Tarantino. Son apparition dans Inglourious Basterds en 2009 fut le point final d’une carrière bien remplie.
Rodney Sturt Taylor est né le 11 janvier 1930 à Lidcombe, près de Sydney ; il était le fils unique d’un artiste publicitaire également entrepreneur, et d’une écrivaine pour enfants. Le jeune Rod Taylor eut sa vocation d’acteur en découvrant un jour Sir Laurence Olivier, venu en interpréter Richard III durant une tournée internationale. Tout en gagnant sa vie à ses débuts comme artiste publicitaire, il commença à jouer au théâtre et à la radio australienne. En 1951, il joua son premier rôle dans un film, un court-métrage intitulé Inland with Sturt, reconstituant l’expédition dans l’Australie sauvage effectuée en 1829 par son arrière-arrière-grand oncle, Charles Sturt, un célèbre explorateur de l’histoire australienne. Rod Taylor y jouait le rôle de son associé, George Macleay. Membre de la troupe du Mercury Theater australien, il tourna dans ses premiers films dans son pays natal : des récits d’aventure à petit budget, la plupart du temps, comme King of the Coral Sea (1954) ou Long John Silver, suite de L’Île au Trésor, tournée par Byron Haskin, où il jouait le pirate Israel Hands. Cette même année 1954, Taylor fut récompensé pour son travail à la radio du Rola Show Australian Radio Actor of the Year, prix lui offrant un voyage professionnel à Londres en passant par Los Angeles. Il choisira de rester travailler dans la ville californienne. Ses premières apparitions seront dans l’anthologie télévisée Studio 57, et des seconds rôles au cinéma. On le vit dans le policier Hell on Frisco Bay (Colère Noire) avec Alan Ladd et Edward G. Robinson et en beau-frère d’Elizabeth Taylor et Rock Hudson dans Géant de George Stevens. A la télévision, il fut remarqué pour un épisode de la série western Cheyenne. S’il manqua de peu de reprendre le rôle du boxeur Rocky Graziano après la mort de James Dean pour Somebody Up There Likes Me (Marqué par la Haine), les cadres de la MGM apprécièrent son charme viril évident sur les bobines d’audition. Rod Taylor signa un contrat avec le studio au lion, synonyme de rôles plus conséquents au cinéma. On le vit ainsi dans le drame de Richard Brooks The Catered Affair (Le Repas de noces) avec Bette Davis, le mélodrame Raintree County (L’Arbre de Vie) avec Montgomery Clift et Elizabeth Taylor, Tables Séparées avec Rita Hayworth, David Niven, Burt Lancaster et Deborah Kerr, et Ask Any Girl (Une fille très avertie), une comédie avec Niven et Shirley MacLaine. Parmi ses nombreuses apparitions dans la télévision des fifties, Taylor fit un passage mémorable dans la première saison de l’immortelle Twilight Zone (La Quatrième Dimension), en 1959. Il tenait la vedette d’And When the Sky was Opened (Les Trois Fantômes). Une libre adaptation de l’angoissante nouvelle de Richard Matheson, Escamotage, adaptée par Rod Serling ; dans cet épisode, trois astronautes dont le Colonel Forbes (Taylor) revenaient sur Terre après avoir été porté disparus des écrans radar. Petit à petit, la paranoïa gagnait Forbes, réalisant que lui et ses coéquipiers sont peu à peu « effacés » de la réalité. Ses parents ne le reconnaissent plus, les journaux les oublient subitement, et son reflet n’apparait plus dans le miroir… Cet épisode, l’une des nombreuses réussites du show, permit à Taylor de faire valoir son talent de comédien brut de décoffrage.

ci-dessus : le premier essai de La Machine à Explorer le Temps, effectué par George (Rod Taylor)… Tout le charme de la science-fiction victorienne et de l’aventure rétro !
Rod Taylor restera surtout associé au souvenir d’un classique de la science-fiction « à l’ancienne », The Time Machine (La Machine à explorer le Temps, 1960), très sympathique adaptation par George Pal du roman d’H.G. Wells. Bien avant Doc Brown et Marty McFly dans Retour vers le Futur, Taylor put se targuer d’être le premier grand voyageur temporel du cinéma ! Il incarnait George, inventeur enthousiaste d’une machine temporelle aux allures de traîneau de Père Noël, quittant la Londres victorienne pour découvrir les grandes avancées de l’Humanité dans les siècles suivants… Il va déchanter en découvrant les guerres mondiales (dont un conflit nucléaire global en 1966 !) et l’effondrement des civilisations, jusqu’à l’année 802 701. Sans jamais perdre sa combativité ni son optimisme foncier, George rencontrera les descendants des humains : les Eloïs, dont la ravissante Weena (Yvette Mimieux), pacifiques, doux, mais apathiques, et les Morlocks, leurs prédateurs souterrains et anthropophages… Si George Pal change largement le propos pessimiste du roman, il tire une excellente prestation de Taylor, non seulement déterminé à ramener un peu de civilisation et d’éducation (chrétienne, de préférence) dans ce futur post-apocalyptique, et touché par l’amour d’une innocente jeune femme ! Le ton, résolument premier degré, de La Machine à explorer le Temps fait tout son charme. Et l’acteur se prêtera volontiers au souvenir des anecdotes et évocations du tournage de ce petit bijou. Par la suite, Rod Taylor enchaînera les rôles à la télévision (la série Hong Kong), et au cinéma, acceptant aussi bien un second rôle dans le péplum italien La Reine des Amazones, que le doublage du gentil Pongo dans Les 101 Dalmatiens produit par Walt Disney. Après le film d’aventures italien Seven Seas to Calais, Rod Taylor reçut une proposition de premier ordre : Alfred Hitchcock cherchait le premier rôle masculin de son nouveau film. Avait-il vu l’acteur repousser les Morlocks en les aveuglant, comme James Stewart face à l’assassin de Fenêtre sur Cour ? Quoi qu’il en soit, Rod Taylor fut le séduisant avocat Mitch Brenner dans Les Oiseaux, en 1963, aux côtés de Tippi Hedren, Jessica Tandy… et surtout de centaines de volatiles bien peu accommodants envers l’espèce humaine ! Certes, les corbeaux et goélands qui assaillaient la population de Bodega Bay dans ce chef-d’oeuvre de terreur, orchestré par le maître du genre, étaient les vraies stars du film, mais Taylor n’eut pas à rougir de sa prestation. Sa présence solide et son physique rassurant, alliés à un certain sens de l’humour, aidaient autant la charmante Tippi Hedren que le spectateur à tenir bon durant les attaques aviaires de plus en plus violentes, au fil du film. L’acteur gardera un bon souvenir de sa collaboration avec Hitchcock, et évoquera, rigolard, avoir été pris pour cible quotidiennement par l’un des corbeaux dressés pour le film ! 1963 sera une bonne année pour Taylor, également présent, notamment, dans les premiers rôles d’Un Dimanche à New York de Peter Tewksbury, une comédie romantique où il séduit Jane Fonda , et le drame The V.I.Ps (Hôtel International) d’Anthony Asquith où il retrouvait Elizabeth Taylor aux côtés de Richard Burton, Louis Jourdan, Maggie Smith et Orson Welles. Citons aussi, en 1964, Fate is the Hunter (Le Crash mystérieux) où il joue un pilote responsable d’un accident d’avion, face à Glenn Ford, et 36 Heures avant le débarquement (1965) avec James Garner.
Rod Taylor remplaça au pied levé Sean Connery, initialement prévu pour jouer le rôle principal du Jeune Cassidy, autobiographie à peine déguisée de la vie du dramaturge irlandais Sean O’Casey. Ouvrier et auteur de pamphlets en 1911, Cassidy/O’casey prend conscience de son talent et de son influence sur les irlandais quand le grand W.B. Yeats (Michael Redgrave) le prend sous son aile à l’Abbey Theatre. Après une histoire malheureuse avec Daisy (Julie Christie), une prostituée, le jeune homme trouvait l’amour et l’inspiration auprès de sa compagne Nora (Maggie Smith). Excellente prestation de Rod Taylor qui aurait dû tourner sous la direction du grand John Ford ; malheureusement, le cinéaste des Raisins de la Colère, gravement malade, dut abandonner le tournage pour être remplacé par le chef opérateur Jack Cardiff. Ce dernier s’en tirera avec les honneurs, et s’entendit très bien avec Taylor, avec qui il fera d’autres films. Le registre un peu limité du comédien australien le cantonnera par la suite à des rôles d’action dans des séries B sans prétention, comme le western de Gordon Douglas Chuka le Redoutable (1967). Avec Cardiff, Rod Taylor s’illustra dans le thriller Le Liquidateur (1965) et surtout, le cultissime Dark of the Sun (Le Dernier Train du Katanga, 1968). Un film d’action particulièrement brutal où il retrouvait Yvette Mimieux ; Taylor, à la tête d’une bande de mercenaires, devait sauver des civils occidentaux torturés, violés et massacrés durant la décolonisation du Congo. Des séquences complètement folles, le film n’en manquait pas, dont un hallucinant duel à la tronçonneuse opposant Taylor à un ex-nazi (Peter Carsten). Rentrant droit dans le lard du spectateur sans le moindre complexe, Le Dernier Train du Katanga fit forte impression sur les cinéphiles, dont un fan absolu en la personne de Quentin Tarantino ! A l’extrême opposé des films d’action dont il tenait la vedette, on remarquera aussi la prestation de Rod Taylor dans Zabriskie Point (1970), de Michelangelo Antonioni. Dans ce brûlot contestataire, film-phare de la contreculture (ou pensum épouvantablement ennuyeux, selon les points de vue), Taylor incarnait Lee Allen, un entrepreneur en immobilier cherchant à acquérir les terrains désertiques où évoluent les anti-héros d’Antonioni. Un film dont la réputation doit surtout aux incidents ayant émaillé le tournage (accrochages avec des militants pro-Nixon, surveillance par le FBI alerté par des rumeurs d’orgie…), et où on repèrera rapidement un tout jeune Harrison Ford jouant les étudiants contestataires…
ci-dessus : l’aviez-vous reconnu dans Inglourious Basterds ? Le dernier rôle de Rod Taylor au cinéma.
La carrière cinéma de Rod Taylor déclinera aussi subitement qu’elle avait décollé. Dommage pour un acteur certes conscient de ses limites de comédien, mais qui aurait pu rivaliser avec un Sean Connery s’il avait trouvé le rôle à sa mesure. Dans les années 1970, Rod Taylor tournera de nombreuses séries B, jusqu’en Italie et en Yougoslavie, manquera de peu d’affronter Bruce Lee dans La Fureur du Dragon (son rôle reviendra à John Saxon) et croisera la route de John Wayne vieillissant dans le western Les Voleurs de Train, aux côtés d’Ann-Margret et Ben Johnson. Taylor se rabattra sagement sur les téléfilms et les séries, comme vedette (les séries western Bearcats ! en 1971 et The Oregon Trail en 1977 ; plus tard, Masquerade en 1983 et Outlaws en 1986) ou invité régulier, passant d’Arabesque à Falcon Crest pour réapparaître en 1996 aux côtés de Chuck Norris et son inénarrable Walker, Texas Ranger. Peu de choses à dire sur les rares apparitions de l’acteur dans des films de série B dans les années 1980 ; il se mit en semi-retraite dans les années 1990, mais fera quand même une apparition réussie dans le rôle de Daddy-O, une vieille crapule redneck régnant sur une petite ville du bush australien, dans Bienvenue à Woop Woop, de Stephan Elliot. Officiellement retiré des écrans, Rod Taylor aura tout de même droit à un beau cadeau d’adieu, en acceptant de faire une apparition non créditée dans l’Inglourious Basterds de Quentin Tarantino. Le réalisateur de Reservoir Dogs, pour son hommage personnel aux innombrables séries B de guerre qu’il a vu dans sa jeunesse, convaincra la star du Dernier Train du Katanga de tenir le rôle de Sir Winston Churchill, préparant « l’Opération Kino » en compagnie du général Fenech (Mike Myers) et du Lieutenant Hickox (Michael Fassbender). Opération menée avec les « Basterds » du Lieutenant Aldo Raine (Brad Pitt), afin de tuer Hitler et tous ses complices dans un cinéma ! Le vétéran australien, à 79 ans, sera un Churchill tout à fait crédible, cigare au bec, et fera donc ainsi ses adieux définitifs à l’écran, avec les honneurs. Il nous a quitté le 7 janvier dernier, quatre jours avant son 85e anniversaire.
Le temps m’a hélas manqué pour parler aussi en détail de Leonard Nimoy (1931-2015)…
Tous les trekkies de la planète ont pleuré le 27 février 2015, date du décès du comédien. Celui qui incarna, sur près de cinquante années (séries, dessins animés et films), Monsieur Spock, officier en second de l’USS Enterprise, et personnage emblématique de l’univers Star Trek. Lié pour toujours à cette monumentale saga interstellaire, Nimoy ne s’était pas limité cependant à incarner le Vulcain rigoureux et flegmatique, grand ami de l’impétueux Capitaine Kirk (William Shatner). Sa carrière d’acteur commença bien avant, dès les années 1950 (cherchez-le en figurant déjà extraterrestre dans le serial Zombies of the Stratosphere !!), se poursuivit à la télévision (Columbo, Max la Menace, Mission Impossible où il succéda à Martin Landau, sans compter des apparitions amicales dans Les Simpsons ou Futurama…), et au cinéma (plus discret, il fut toutefois un inquiétant psychiatre sceptique dans L’Invasion des Profanateurs de Philip Kaufman en 1978). Mais ce sera toujours Star Trek qui en fit une star. Bon pied bon œil, il fut en poste dès les débuts (l’épisode pilote The Cage), donna sa voix à Spock dans la série animée des années 1970, fut de l’aventure durant les six premiers longs-métrages cinéma avec l’équipe de la série originale, de Star Trek : Le Film de Robert Wise (1979) à Star Trek VI : Terre Inconnue de Nicholas Meyer (1992). Dévoué à sa chère série spatiale, il signera d’ailleurs la mise en scène des troisième et quatrième films (Star Trek III : A la recherche de Spock, 1984, et le sympathique Star Trek IV : Retour sur Terre, 1986). Il réapparut fréquemment dans les séries dérivées, avant de faire un ultime double come-back dans les reboots récents de la saga orchestrée par J.J. Abrams. Il passait le témoin à son jeune alter ego, désormais incarné par Zachary Quinto, avant de profiter d’une retraite bien méritée.

ci-dessus : souvenir de Star Trek II : La Colère de Khan (1982)… Adieu à Spock, alias Leonard Nimoy.
Tant de dévouement méritait bien qu’on salue ici la mémoire de Leonard Nimoy - d’autant plus que votre serviteur, avec son syndrome d’Asperger, s’est rappelé qu’il avait hérité voilà longtemps du surnom de « Spock » de la part d’un ancien camarade. J’espère qu’il se reconnaîtra, s’il lit ces lignes. Qu’il sache que tout est pardonné.
J’ai été… et serai toujours… votre ami. Longue vie et prospérité.
Ludovic Fauchier