Archives pour mars 2015

Aux disparus de l’hiver 2015…

Bonjour chers amis neurotypiques !

Nous reprenons cette rubrique hélas habituelle à chaque nouvelle saison, l’occasion de saluer une dernière fois quelques personnalités et artistes qui ont fait partie de la folle histoire du 7ème Art. En l’occurrence, une femme et un homme, décédés à une journée d’intervalle cet hiver, et dont les noms nous renvoient quelques cinquante années en arrière.

En prime, une pensée émue pour le plus logique des Vulcains qui nous a également quittés…

 

Aux héros oubliés 2015... Anita Ekberg

Anita Ekberg (1931-2015)

« Marcello ! Come here ! » Personne n’a oublié cette scène de La Dolce Vita, où le maitre Federico Fellini signait une magnifique scène de séduction féminine. Un moment purement fantasmatique où le journaliste joué par Marcello Mastroianni rejoignait dans la fontaine de Trevi la pulpeuse Sylvia, alias Anita Ekberg. Avec sa robe-fourreau noire, ses longs cheveux blonds en cascade et ses formes voluptueuses éclaboussées par les eaux, la comédienne devenait en quelques instants un fantasme vivant… avant que Fellini nous ramène à la réalité et fasse retomber la magie avec l’arrivée du petit jour. Le film de Fellini fut même occulté par le souvenir de cette scène, de même que la carrière de la comédienne d’origine suédoise, et italienne d’adoption. Avec un physique aussi pulpeux, typique des pin-ups de l’époque, la belle Anita fut surtout la vedette d’un bon nombre de séries B souvent destinées à mettre en valeur ses charmes, dans les limites convenables de l’époque, pour le plus grand bonheur des spectateurs des cinéma de quartier de l’époque ! La Dolce Vita et sa collaboration avec Fellini furent un peu l’arbre qui cachait la forêt d’une carrière souvent inégale ; mais, indéniablement, la belle sut enflammer la pellicule de ses charmes, dans n’importe quelle production.

Kerstin Anita Marianne Ekberg naquit à Malmö le 29 septembre 1931, la sixième d’une famille de huit enfants. Adolescente, la jolie jeune fille commencera une carrière de mannequin, et, sur les conseils de sa mère, s’inscrira une fois adulte dans les concours de beauté locaux, aidée en cela par un charmant visage et un physique prompt à se faire retourner les hommes sur son passage. Elue Miss Suède, elle rejoignit le concours de Miss Univers en 1951, quittant son pays natal pour les Etats-Unis. Finaliste du concours, Anita fut remarquée par les recruteurs du studio Universal, où elle fit ses débuts comme starlette. Début de la « Dolce Vita » pour la jeune suédoise qui apprit le métier de comédienne, mais préférait largement l’équitation aux cours de diction, d’art dramatique, danse et escrime… Les débuts furent modeste, Anita Ekberg faisant de la figuration en 1953, avec d’autres filles, dans The Mississipi Gambler (Le Gentilhomme du Mississipi), Deux Nigauds sur Mars avec Abbott et Costello et The Golden Blade (La Légende de l’Epée Magique) avec Rock Hudson. Les choses s’améliorèrent avec le mannequinat, les apparitions à la télévision américaine et des rôles plus conséquents dans des films de prestige. L’Allée Sanglante, avec John Wayne et Lauren Bacall, lui vaudra même de remporter le Golden Globe de la Débutante la plus prometteuse (prix partagé avec les comédiennes Victoria Shaw et Dana Wynter).

 

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Ci-dessus : exemple typique des rôles qui firent la gloire d’Anita Ekberg à ses débuts, Zarak ne resta pas dans les mémoires… mais peu importe. Anita dansait, pour vous, messieurs !

1956 fut l’année décisive pour Anita Ekberg. Outre les retombées du Golden Globe, elle devint une habituée des « unes » de la presse à potins de l’époque, pour ses innombrables liaisons avec les séducteurs de l’écran ; une liste comprenant, au fil des ans, Tyrone Power, Errol Flynn, Yul Brynner, Frank Sinatra et Rod Taylor. Anita devint aussi une icône gentiment polissonne, devenant une vraie pin-up adorée des lecteurs de magazines du style Playboy ; et elle ne se priva pas de réaliser quelques coups publicitaires tout aussi coquins, comme lorsqu’elle fit exprès d’ »exploser » le bustier de sa robe lors de son arrivée au Berkeley Hotel de Londres ! Une présence éminemment torride qui la fit remarquer du gagman, cinéaste et ancien cartooniste Frank Tashlin. Cet ancien collègue de Tex Avery (donc aussi connaisseur que lui en matière de pin-ups affriolantes) la fit jouer à deux reprises avec le duo vedette Jerry Lewis-Dean Martin, dans Artistes et Modèles, et Hollywood or bust (Un vrai cinglé de cinéma). Si « Dino » était le dragueur invétéré du duo, c’est Jerry, dans son numéro de grand dadais timide devant les filles, qui poursuivait pourtant la belle dans Un vrai cinglé de cinéma… Jerry Lewis était flanqué d’un grand danois (le chien) qui craquait pour la minuscule caniche de la belle, l’occasion pour Tashlin de faire dire à Anita Ekberg des dialogues à double sens parfaitement évidents, sur l’incompatibilité de taille de leurs toutous respectifs ! On la vit cette même année dans le luxueux casting de Guerre et Paix (1956) de King Vidor, jouant le rôle d’Helena Kuragina, aux côtés d’Henry Fonda, Audrey Hepburn, Mel Ferrer et Vittorio Gassman. Et elle eut son premier rôle féminin dans Back from Eternity (Les Echappés du Néant, 1956), un film d’aventures de John Farrow, où elle était une très sexy naufragée des airs, perdue en pleine jungle, avec Robert Ryan et Rod Steiger. Ces belles années se poursuivirent avec des productions mineures, tournées en Grande-Bretagne : le thriller Man in the Vault, et Zarak le Valeureux de Terence Young, avec Victor Mature ; un film d’aventures orientales prétexte à la belle pour livrer une scène de danse du ventre terriblement suggestive… Les productions suivantes dans lesquelles elle joua étaient du même tonneau : en 1957, Interpol (Pickup Alley) toujours avec Victor Mature, et Valerie avec Sterling Hayden et son mari d’alors, Anthony Steel ; l’année suivante, la comédie Paris Holiday (A Paris tous les deux) avec Bob Hope et Fernandel, et Screaming Mimi avec la reine du strip-tease Gypsy Rose Lee !

 

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Ci-dessus : la scène inoubliable de La Dolce Vita. Anita Ekberg, la femme fellinienne par excellence, qui rend fous Marcello Mastroianni et les spectateurs…

Anita Ekberg se fixera par la suite en Italie, et prit bientôt la nationalité de sa terre d’adoption, où on la verra trôner dans de savoureuses séries B d’aventures, tout en revenant de temps à autres tourner un film aux USA. Elle fut la Reine Zénobie (sensuellement habilllée, comme il se doit) dans le péplum franco-italo-germano-yougoslave Sous le signe de Rome, coécrit par Sergio Leone, et sorti en 1959. Ceci juste avant que Federico Fellini fit d’elle la Sylvia de La Dolce Vita… Sa présence dans le film ne s’étendait en fait qu’à une brève partie du film, long de près de 3 heures, mais qu’importe : présente sur l’affiche peinte du film, Anita Ekberg, jouant pratiquement son propre rôle, livrait une performance propre à affoler les érotomanes de la planète entière, qui auraient bien aimé alors se trouver à la place de Marcello Mastroianni, profitant d’une visite de la star à travers Rome, pour se retrouver seul avec elle dans la fameuse scène de la fontaine… avant que l’arrivée du jour et le retour d’un boyfriend jaloux ne gâchent le rêve. Un très bon souvenir pour l’actrice, qui s’entendit à merveille avec le maestro Fellini au point de revenir dans plusieurs de ses films. Signalons aussi, pour cette année 1961, un très bon rôle de la belle suédoise dans Le Dernier Train de Shanghaiet un petit classique de la série B d’aventures, Les Mongols d’André de Toth et Leopoldo Savona, avec Jack Palance. Anita Exberg retrouva Fellini en 1962, pour Les Tentations du Docteur Antoine, l’un des sketches de Boccace 70 signé des meilleurs réalisateurs italiens de l’époque (Mario Monicelli, Luchino Visconti et Vittorio De Sica). Elle rendait fou l’austère et puritain docteur obnubilé par sa présence sur une affiche incitant à boire plus de lait ! On la revit dans Seven Seas to Calais avec Rod Taylor et Terence Hill, sous la direction de Primo Zeglio et Rudolph Maté ; elle manqua de peu le rôle d’Honey Rider dans James Bond contre Dr. No, devancée par la suissesse Ursula Andress, avec qui elle joua dans le western comique de Robert Aldrich 4 du Texas, où les deux belles charment Frank Sinatra, Dean Martin et Charles Bronson.

A l’approche de la quarantaine, la carrière cinéma d’Anita Ekberg s’essoufflera inéluctablement. Peu de titres marquants après le flop de Way… Way out (Tiens bon la rampe, Jerry) où elle jouait une astronaute russe retrouvant Jerry Lewis, en 1966. On citera rapidement sa participation dans le film de Vittorio De Sica de 1967, Sept fois femme dont Shirley MacLaine tenait la vedette, et une troisième prestation chez Fellini dans Les Clowns, en 1970. Elle prit une semi-retraite forcée par la médiocrité de ses quelques films tournés dans les années 1970 - six ans entre Northeast of Seoul (1972) et des nanars du nom de Killer Nun (1978) et Gold of the Amazon Women (1979)… Heureusement, Federico Fellini ne l’oublia pas et lui offrit un bel adieu au cinéma en 1987, dans la meilleure scène, nostalgique (et un brin cruelle…) d’Intervista. Dans ce film dans le film en partie autobiographique, le maître italien et son équipe, accompagnés de Marcello Mastroianni grimé en Mandrake le Magicien, rendaient visite à la diva suédoise retirée dans sa villa. Et Fellini de montrer que le temps a passé, ses deux stars contemplant leur grande scène de La Dolce Vita, tournée un quart de siècle plus tôt… Ce fut l’avant-dernière apparition d’Anita Ekberg, avant un ultime rôle en 1996 dans Bambola, un mélo érotique espagnol de Bigas Luna. La belle qui fit fantasmer les hommes de la planète entière connaîtra une fin de vie un peu triste; alors qu’elle était hospitalisée en 2011, sa villa fut dévalisée, et incendiée. Démunie, elle dut demander  l’aide de la Fondation Fellini. Elle séjourna à la Clinique San Raffaelle de Rocca di Papa, dans sa chère cité de Rome, avant d’y décéder le 11 janvier 2015.

 

Aux héros oubliés 2015... Rod Taylor

Rod Taylor (1930-2015)

Une des gueules les plus sympathiques du « cinoche » à l’ancienne des années 1960-70 nous a quitté ce 8 janvier à Los Angeles dans sa 84ème année. Rod Taylor fut, bien avant Mel Gibson, Russell Crowe ou Hugh Jackman, l’un des tout premiers australiens à avoir percé sur le grand écran. Et bien que sa carrière cinéma ait été relativement brève, et plutôt tournée vers la série B, cet acteur à la belle gueule carrée restera associé au souvenir de plusieurs classiques, et aussi de quelques pellicules sacrément bien barrées qui lui vaudront la reconnaissance finale d’un connaisseur en la matière, Quentin Tarantino. Son apparition dans Inglourious Basterds en 2009 fut le point final d’une carrière bien remplie.

Rodney Sturt Taylor est né le 11 janvier 1930 à Lidcombe, près de Sydney ; il était le fils unique d’un artiste publicitaire également entrepreneur, et d’une écrivaine pour enfants. Le jeune Rod Taylor eut sa vocation d’acteur en découvrant un jour Sir Laurence Olivier, venu en interpréter Richard III durant une tournée internationale. Tout en gagnant sa vie à ses débuts comme artiste publicitaire, il commença à jouer au théâtre et à la radio australienne. En 1951, il joua son premier rôle dans un film, un court-métrage intitulé Inland with Sturt, reconstituant l’expédition dans l’Australie sauvage effectuée en 1829 par son arrière-arrière-grand oncle, Charles Sturt, un célèbre explorateur de l’histoire australienne. Rod Taylor y jouait le rôle de son associé, George Macleay. Membre de la troupe du Mercury Theater australien, il tourna dans ses premiers films dans son pays natal : des récits d’aventure à petit budget, la plupart du temps, comme King of the Coral Sea (1954) ou Long John Silver, suite de L’Île au Trésor, tournée par Byron Haskin, où il jouait le pirate Israel Hands. Cette même année 1954, Taylor fut récompensé pour son travail à la radio du Rola Show Australian Radio Actor of the Year, prix lui offrant un voyage professionnel à Londres en passant par Los Angeles. Il choisira de rester travailler dans la ville californienne. Ses premières apparitions seront dans l’anthologie télévisée Studio 57, et des seconds rôles au cinéma. On le vit dans le policier Hell on Frisco Bay (Colère Noire) avec Alan Ladd et Edward G. Robinson et en beau-frère d’Elizabeth Taylor et Rock Hudson dans Géant de George Stevens. A la télévision, il fut remarqué pour un épisode de la série western Cheyenne. S’il manqua de peu de reprendre le rôle du boxeur Rocky Graziano après la mort de James Dean pour Somebody Up There Likes Me (Marqué par la Haine), les cadres de la MGM apprécièrent son charme viril évident sur les bobines d’audition. Rod Taylor signa un contrat avec le studio au lion, synonyme de rôles plus conséquents au cinéma. On le vit ainsi dans le drame de Richard Brooks The Catered Affair (Le Repas de noces) avec Bette Davis, le mélodrame Raintree County (L’Arbre de Vie) avec Montgomery Clift et Elizabeth Taylor, Tables Séparées avec Rita Hayworth, David Niven, Burt Lancaster et Deborah Kerr, et Ask Any Girl (Une fille très avertie), une comédie avec Niven et Shirley MacLaine. Parmi ses nombreuses apparitions dans la télévision des fifties, Taylor fit un passage mémorable dans la première saison de l’immortelle Twilight Zone (La Quatrième Dimension), en 1959. Il tenait la vedette d’And When the Sky was Opened (Les Trois Fantômes). Une libre adaptation de l’angoissante nouvelle de Richard Matheson, Escamotage, adaptée par Rod Serling ; dans cet épisode, trois astronautes dont le Colonel Forbes (Taylor) revenaient sur Terre après avoir été porté disparus des écrans radar. Petit à petit, la paranoïa gagnait Forbes, réalisant que lui et ses coéquipiers sont peu à peu « effacés » de la réalité. Ses parents ne le reconnaissent plus, les journaux les oublient subitement, et son reflet n’apparait plus dans le miroir… Cet épisode, l’une des nombreuses réussites du show, permit à Taylor de faire valoir son talent de comédien brut de décoffrage.

 

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ci-dessus : le premier essai de La Machine à Explorer le Temps, effectué par George (Rod Taylor)… Tout le charme de la science-fiction victorienne et de l’aventure rétro !

 

Rod Taylor restera surtout associé au souvenir d’un classique de la science-fiction « à l’ancienne », The Time Machine (La Machine à explorer le Temps, 1960), très sympathique adaptation par George Pal du roman d’H.G. Wells. Bien avant Doc Brown et Marty McFly dans Retour vers le Futur, Taylor put se targuer d’être le premier grand voyageur temporel du cinéma ! Il incarnait George, inventeur enthousiaste d’une machine temporelle aux allures de traîneau de Père Noël, quittant la Londres victorienne pour découvrir les grandes avancées de l’Humanité dans les siècles suivants… Il va déchanter en découvrant les guerres mondiales (dont un conflit nucléaire global en 1966 !) et l’effondrement des civilisations, jusqu’à l’année 802 701. Sans jamais perdre sa combativité ni son optimisme foncier, George rencontrera les descendants des humains : les Eloïs, dont la ravissante Weena (Yvette Mimieux), pacifiques, doux, mais apathiques, et les Morlocks, leurs prédateurs souterrains et anthropophages… Si George Pal change largement le propos pessimiste du roman, il tire une excellente prestation de Taylor, non seulement déterminé à ramener un peu de civilisation et d’éducation (chrétienne, de préférence) dans ce futur post-apocalyptique, et touché par l’amour d’une innocente jeune femme ! Le ton, résolument premier degré, de La Machine à explorer le Temps fait tout son charme. Et l’acteur se prêtera volontiers au souvenir des anecdotes et évocations du tournage de ce petit bijou. Par la suite, Rod Taylor enchaînera les rôles à la télévision (la série Hong Kong), et au cinéma, acceptant aussi bien un second rôle dans le péplum italien La Reine des Amazones, que le doublage du gentil Pongo dans Les 101 Dalmatiens produit par Walt Disney. Après le film d’aventures italien Seven Seas to Calais, Rod Taylor reçut une proposition de premier ordre : Alfred Hitchcock cherchait le premier rôle masculin de son nouveau film. Avait-il vu l’acteur repousser les Morlocks en les aveuglant, comme James Stewart face à l’assassin de Fenêtre sur Cour ? Quoi qu’il en soit, Rod Taylor fut le séduisant avocat Mitch Brenner dans Les Oiseaux, en 1963, aux côtés de Tippi Hedren, Jessica Tandy… et surtout de centaines de volatiles bien peu accommodants envers l’espèce humaine ! Certes, les corbeaux et goélands qui assaillaient la population de Bodega Bay dans ce chef-d’oeuvre de terreur, orchestré par le maître du genre, étaient les vraies stars du film, mais Taylor n’eut pas à rougir de sa prestation. Sa présence solide et son physique rassurant, alliés à un certain sens de l’humour, aidaient autant la charmante Tippi Hedren que le spectateur à tenir bon durant les attaques aviaires de plus en plus violentes, au fil du film. L’acteur gardera un bon souvenir de sa collaboration avec Hitchcock, et évoquera, rigolard, avoir été pris pour cible quotidiennement par l’un des corbeaux dressés pour le film ! 1963 sera une bonne année pour Taylor, également présent, notamment, dans les premiers rôles d’Un Dimanche à New York de Peter Tewksbury, une comédie romantique où il séduit Jane Fonda , et le drame The V.I.Ps (Hôtel International) d’Anthony Asquith où il retrouvait Elizabeth Taylor aux côtés de Richard Burton, Louis Jourdan, Maggie Smith et Orson Welles. Citons aussi, en 1964, Fate is the Hunter (Le Crash mystérieux) où il joue un pilote responsable d’un accident d’avion, face à Glenn Ford, et 36 Heures avant le débarquement (1965) avec James Garner.

Rod Taylor remplaça au pied levé Sean Connery, initialement prévu pour jouer le rôle principal du Jeune Cassidy, autobiographie à peine déguisée de la vie du dramaturge irlandais Sean O’Casey. Ouvrier et auteur de pamphlets en 1911, Cassidy/O’casey prend conscience de son talent et de son influence sur les irlandais quand le grand W.B. Yeats (Michael Redgrave) le prend sous son aile à l’Abbey Theatre. Après une histoire malheureuse avec Daisy (Julie Christie), une prostituée, le jeune homme trouvait l’amour et l’inspiration auprès de sa compagne Nora (Maggie Smith). Excellente prestation de Rod Taylor qui aurait dû tourner sous la direction du grand John Ford ; malheureusement, le cinéaste des Raisins de la Colère, gravement malade, dut abandonner le tournage pour être remplacé par le chef opérateur Jack Cardiff. Ce dernier s’en tirera avec les honneurs, et s’entendit très bien avec Taylor, avec qui il fera d’autres films. Le registre un peu limité du comédien australien le cantonnera par la suite à des rôles d’action dans des séries B sans prétention, comme le western de Gordon Douglas Chuka le Redoutable (1967). Avec Cardiff, Rod Taylor s’illustra dans le thriller Le Liquidateur (1965) et surtout, le cultissime Dark of the Sun (Le Dernier Train du Katanga, 1968). Un film d’action particulièrement brutal où il retrouvait Yvette Mimieux ; Taylor, à la tête d’une bande de mercenaires, devait sauver des civils occidentaux torturés, violés et massacrés durant la décolonisation du Congo. Des séquences complètement folles, le film n’en manquait pas, dont un hallucinant duel à la tronçonneuse opposant Taylor à un ex-nazi (Peter Carsten). Rentrant droit dans le lard du spectateur sans le moindre complexe, Le Dernier Train du Katanga fit forte impression sur les cinéphiles, dont un fan absolu en la personne de Quentin Tarantino ! A l’extrême opposé des films d’action dont il tenait la vedette, on remarquera aussi la prestation de Rod Taylor dans Zabriskie Point (1970), de Michelangelo Antonioni. Dans ce brûlot contestataire, film-phare de la contreculture (ou pensum épouvantablement ennuyeux, selon les points de vue), Taylor incarnait Lee Allen, un entrepreneur en immobilier cherchant à acquérir les terrains désertiques où évoluent les anti-héros d’Antonioni. Un film dont la réputation doit surtout aux incidents ayant émaillé le tournage (accrochages avec des militants pro-Nixon, surveillance par le FBI alerté par des rumeurs d’orgie…), et où on repèrera rapidement un tout jeune Harrison Ford jouant les étudiants contestataires…

 

Aux héros oubliés 2015... Rod Taylor dans Inglourious Basterds

ci-dessus : l’aviez-vous reconnu dans Inglourious Basterds ? Le dernier rôle de Rod Taylor au cinéma.

La carrière cinéma de Rod Taylor déclinera aussi subitement qu’elle avait décollé. Dommage pour un acteur certes conscient de ses limites de comédien, mais qui aurait pu rivaliser avec un Sean Connery s’il avait trouvé le rôle à sa mesure. Dans les années 1970, Rod Taylor tournera de nombreuses séries B, jusqu’en Italie et en Yougoslavie, manquera de peu d’affronter Bruce Lee dans La Fureur du Dragon (son rôle reviendra à John Saxon) et croisera la route de John Wayne vieillissant dans le western Les Voleurs de Train, aux côtés d’Ann-Margret et Ben Johnson. Taylor se rabattra sagement sur les téléfilms et les séries, comme vedette (les séries western Bearcats ! en 1971 et The Oregon Trail en 1977 ; plus tard, Masquerade en 1983 et Outlaws en 1986) ou invité régulier, passant d’Arabesque à Falcon Crest pour réapparaître en 1996 aux côtés de Chuck Norris et son inénarrable Walker, Texas Ranger. Peu de choses à dire sur les rares apparitions de l’acteur dans des films de série B dans les années 1980 ; il se mit en semi-retraite dans les années 1990, mais fera quand même une apparition réussie dans le rôle de Daddy-O, une vieille crapule redneck régnant sur une petite ville du bush australien, dans Bienvenue à Woop Woop, de Stephan Elliot. Officiellement retiré des écrans, Rod Taylor aura tout de même droit à un beau cadeau d’adieu, en acceptant de faire une apparition non créditée dans l’Inglourious Basterds de Quentin Tarantino. Le réalisateur de Reservoir Dogs, pour son hommage personnel aux innombrables séries B de guerre qu’il a vu dans sa jeunesse, convaincra la star du Dernier Train du Katanga de tenir le rôle de Sir Winston Churchill, préparant « l’Opération Kino » en compagnie du général Fenech (Mike Myers) et du Lieutenant Hickox (Michael Fassbender). Opération menée avec les « Basterds » du Lieutenant Aldo Raine (Brad Pitt), afin de tuer Hitler et tous ses complices dans un cinéma ! Le vétéran australien, à 79 ans, sera un Churchill tout à fait crédible, cigare au bec, et fera donc ainsi ses adieux définitifs à l’écran, avec les honneurs. Il nous a quitté le 7 janvier dernier, quatre jours avant son 85e anniversaire.

 

Premiere Of Paramount Pictures' "Star Trek Into Darkness" - Arrivals

Le temps m’a hélas manqué pour parler aussi en détail de Leonard Nimoy (1931-2015)…

Tous les trekkies de la planète ont pleuré le 27 février 2015, date du décès du comédien. Celui qui incarna, sur près de cinquante années (séries, dessins animés et films), Monsieur Spock, officier en second de l’USS Enterprise, et personnage emblématique de l’univers Star Trek. Lié pour toujours à cette monumentale saga interstellaire, Nimoy ne s’était pas limité cependant à incarner le Vulcain rigoureux et flegmatique, grand ami de l’impétueux Capitaine Kirk (William Shatner). Sa carrière d’acteur commença bien avant, dès les années 1950 (cherchez-le en figurant déjà extraterrestre dans le serial Zombies of the Stratosphere !!), se poursuivit à la télévision (Columbo, Max la Menace, Mission Impossible où il succéda à Martin Landau, sans compter des apparitions amicales dans Les Simpsons ou Futurama…), et au cinéma (plus discret, il fut toutefois un inquiétant psychiatre sceptique dans L’Invasion des Profanateurs de Philip Kaufman en 1978). Mais ce sera toujours Star Trek qui en fit une star. Bon pied bon œil, il fut en poste dès les débuts (l’épisode pilote The Cage), donna sa voix à Spock dans la série animée des années 1970, fut de l’aventure durant les six premiers longs-métrages cinéma avec l’équipe de la série originale, de Star Trek : Le Film de Robert Wise (1979) à Star Trek VI : Terre Inconnue de Nicholas Meyer (1992). Dévoué à sa chère série spatiale, il signera d’ailleurs la mise en scène des troisième et quatrième films (Star Trek III : A la recherche de Spock, 1984, et le sympathique Star Trek IV : Retour sur Terre, 1986). Il réapparut fréquemment dans les séries dérivées, avant de faire un ultime double come-back dans les reboots récents de la saga orchestrée par J.J. Abrams. Il passait le témoin à son jeune alter ego, désormais incarné par Zachary Quinto, avant de profiter d’une retraite bien méritée.

 

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ci-dessus : souvenir de Star Trek II : La Colère de Khan (1982)… Adieu à Spock, alias Leonard Nimoy.

 

Tant de dévouement méritait bien qu’on salue ici la mémoire de Leonard Nimoy - d’autant plus que votre serviteur, avec son syndrome d’Asperger, s’est rappelé qu’il avait hérité voilà longtemps du surnom de « Spock » de la part d’un ancien camarade. J’espère qu’il se reconnaîtra, s’il lit ces lignes. Qu’il sache que tout est pardonné. 

J’ai été… et serai toujours… votre ami. Longue vie et prospérité.

 

Ludovic Fauchier

Retour vers le Futur (dans le passé) – 1935 : LE MOUCHARD

Nom de Zeus, Marty ! Nous sommes en 1935, et le monde a considérablement changé… A vrai dire, il s’est à peine remis de la Grande Guerre, et une crise économique phénoménale, survenue en 1929, n’a pas arrangé les choses. Allez vous étonner que le bon docteur Sigmund Freud publie cette année-là Malaise dans la civilisation, alors que des gouvernements militaristes et fascistes s’épanouissent en Europe et en Asie… Mais citons, pour mémoire, quelques-uns des grands moments qui ont fait l’actualité de 1935.

Aux Etats-Unis, on suit avec attention le procès de Bruno Hauptmann, qui sera finalement condamné à mort pour le rapt et l’assassinat du bébé du héros national, l’aviateur Charles Lindbergh. L’affaire permettra notamment à J. Edgar Hoover d’accroitre son prestige, à la tête du FBI. Franklin Delano Roosevelt prononce le 4 janvier un discours important, celui des nouveaux « cent jours » du New Deal destiné à aider son pays frappé par la Grande Dépression d’après 1929. La population salue l’exploit d’Amelia Earhart, la première aviatrice à traverser le Pacifique (Honolulu-Californie). Le 8 septembre, le sénateur populiste raciste Huey Long est victime d’un attentat, et meurt deux jours plus tard. Le 14 octobre, un Dust Bowl phénoménal ravage l’Oklahoma, qui enregistre ainsi la pire tempête de sable de son histoire. A New York, la guerre des gangs fait rage, et, le 24 octobre, le gangster Dutch Schultz meurt mitraillé.

En France, le 7 janvier 1935 marque la signature des accords de Rome, où la France cède à l’Italie des territoires en Libye et en Somalie, en échange d’une participation à la construction du chemin de fer Djibouti – Addis Abeba. Le 14 juillet voit apparaître le Front Populaire. A la fin de l’année, tout Paris s’enthousiasme pour une chanteuse minuscule mais à la voix extraordinaire, on la surnomme La Môme Piaf. 

Du côté de l’Allemagne, les nouvelles inquiétantes s’accumulent alors qu’Hitler assoit son pouvoir, et menace d’annexer l’Autriche. Et les démocraties sont à la peine… L’Allemagne est réarmée le 16 mars, six jours après la création de la Luftwaffe. Le drapeau à croix gammée devient l’emblème national le 15 septembre, au moment où les Lois de Nuremberg sont promulguées : les citoyens juifs allemands sont privés de leur citoyenneté et de leurs droits politiques. Mussolini, en Italie, n’est pas en reste ; le 3 octobre, les troupes fascistes de Badoglio envahissent l’Ethiopie, au mépris des lois internationales. C’est le début de la guerre Italo-éthiopienne. Tout cela sent très mauvais…

1935, c’est aussi l’année de la Longue Marche en Chine, entamée par la conférence de Zunyi (13 janvier) ; Mao Zedong devient président du comité central du PC Chinois. Tchang Kaï-Chek marche avec les nationalistes vers le Sichuan. En novembre, conséquence directe des lois liberticides du IIIe Reich, des immigrants juifs quittent l’Allemagne en masse, vers la Palestine ; de graves troubles éclatent immédiatement, déclenchés par l’insurrection de groupes religieux musulmans. L’Angleterre arbitre, mais ne tranche pas.

Enfin, on signale la naissance, le 6 juillet, du petit Tenzin Gyatso, qui sera la 14ème incarnation du Dalai Lama du Tibet. Sur le carnet noir, quelques noms : un ancien officier du Foreign Office britannique se tue sur une route de campagne le 19 mai, il s’appelait Thomas Edward Lawrence. On le connaissait sous le nom de « Lawrence d’Arabie ». Carlos Gardel, l’homme qui a « fait » le Tango, décède à Medellin le 24 juin. Et la Belgique pleure la mort de la Reine Astrid dans un accident de la route, le 29 août 1935. 

Et dans le domaine qui nous intéresse ? Le système des studios américains entre dans une nouvelle phase, avec la création, à partir de sociétés déjà existantes, de la 20th Century Fox et de Paramount Pictures. Les statuettes dorées des Academy Awards gagnent le surnom d’ »Oscars » ; It Happened One Night (New York-Miami), la comédie de Frank Capra, remporte les prix du Meilleur Film, du Meilleur Réalisateur, du Meilleur Scénario, de la Meilleure Actrice (Claudette Colbert) et du Meilleur Acteur (Clark Gable). Les salles obscures sont bien remplies – même en temps de crise, le cinéma est alors un loisir peu coûteux ! Et les spectateurs ont le choix. Sur l’écran, les femmes fatales Greta Garbo et Marlene Dietrich rivalisent de séduction, avec Anna Karénine et La Femme et le Pantin. Boris Karloff reprend son rôle du Monstre et terrifie à nouveau le public avec La Fiancée de Frankenstein, et sa compagne (aux cheveux timburtoniens avant l’heure) Elsa Lanchester. Fred Astaire et Ginger Rogers enthousiasment le public par leurs pas de danse dans Top Hat (Le Danseur du Dessus). Gary Cooper devient l’un des chouchous des spectateurs grâce à Peter Ibbetson et The Lives of a Bengal Lancer (Les Trois Lanciers du Bengale). Les amateurs de grande aventure sont servis avec Les Révoltés du Bounty (Clark Gable mène la mutinerie face à un Charles Laughton cruel à souhait) et découvrent le bondissant Errol Flynn, roi des pirates dans Capitaine Blood. Les Marx Brothers font hurler de rire le public avec Une Nuit à l’Opéra (et la légendaire scène où ils s’entassent à quinze dans une minuscule cabine de paquebot). George Cukor signe une très belle adaptation de David Copperfield avec l’inénarrable W.C. Fields dans le rôle de Micawber. Une première : Becky Sharp, le film de Rouben Mamoulian, est le premier film en couleurs utilisant le procédé Technicolor Trichrome. L’Angleterre salue le talent du jeune cinéaste Alfred Hitchcock, pour ses 39 Marches menées tambour battant. Le cinéma français se porte très bien, grâce au succès, entre autres, de La Kermesse Héroïque de Jacques Feyder. Et le héros des foules se nomme Jean Gabin, Ponce Pilate de Golgotha et légionnaire romantique de La Bandera, dus à Julien Duvivier. Enfin, la première grande réalisatrice de l’Histoire se fait connaître en Allemagne, par un sinistre monument de propagande démesurée à la gloire du nazisme : Leni Riefenstahl signe Le Triomphe de la Volonté. Un exploit technique, et une spectaculaire erreur éthique… 

 

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Ci-dessus : faire du cinéma ? La simplicité même, selon John Ford… Dans les premières minutes du Mouchard, le cinéaste pose une ambiance digne des meilleurs films muets. Le visage marqué de Gypo (Victor McLaglen) fait le reste, de même que la musique irlandaise !

 

Le 1er mai 1935, c’est la première du film Le Mouchard, qui sortira chez nous le 13 septembre suivant. Un triomphe pour le cinéaste John Ford, qui n’en n’est pas à son coup d’essai : déjà 18 ans de carrière (entamée durant le muet) derrière lui, et Le Mouchard est son… 84ème film ! Et il est à peine aux deux tiers d’une carrière qui se poursuivra encore trente années, riche en titres qui feront de lui LE cinéaste américain par excellence. Le Mouchard aura été un virage particulier de sa filmographie.

Nous sommes en 1922, quelques mois après la fin officielle de la guerre d’indépendance irlandaise, et Dublin est sous la botte anglaise. Le Sinn Feinn et sa branche armée, l’IRA, continuent le combat, dans la clandestinité et sous la menace permanente de la police et de l’armée royale britannique, notamment des Black and Tans en patrouille. Gypo Nolan (Victor McLaglen) erre dans les rues, sans un sou en poche. Il protège de son mieux Katie Madden (Margot Grahame), la fille qu’il aime, et qui se prostitue pour survivre. Il suffirait juste de 10 livres pour qu’elle parte en Amérique, et refaire sa vie… Quand Gypo voit que la tête de son ami Frankie McPhillip (Wallace Ford), membre de l’IRA, est mise à prix pour 20 livres, il hésite. Après avoir retrouvé ce dernier revenu en ville voir sa famille, Gypo se rend au commissariat pour le dénoncer, et toucher ainsi l’argent qui, croit-il, lui permettra de partir avec Katie. Frankie est abattu par les Black and Tans sous les yeux de sa mère et de sa sœur Mary (Una O’Connor et Heather Angel). Quand il apprend le drame, Gypo se rend à la veillée funèbre. Son comportement met la puce à l’oreille de Dan Gallagher (Preston Foster), le supérieur de Frankie, qui décide de le faire suivre durant une longue nuit… 

 

Le Mouchard

Il était né sous le patronyme de John Martin Feeney (en 1894 ou 1895, selon les sources), mais préférait se nommer « Sean Aloysius O’Fearna », plus gaélique, plus proche du pays de ses ancêtres ; John « Jack » Ford revendiquait ainsi ses origines catholiques irlandaises, lui, le fils d’un immigrant du comté de Galway, parti en 1875 sur le nouveau continent, loin de la Verte Erin mise sous le joug anglais… Lorsqu’il entame le tournage du Mouchard, John Ford n’est déjà plus un débutant. Mais il n’est pas encore le cinéaste que l’on respecte, « l’Homme qui faisait des Westerns » et signa des dizaines de chefs-d’oeuvre à la pelle, des Raisins de la Colère à La Prisonnière du Désert en passant par L’Homme Tranquille ou L’Homme qui tua Liberty Valance. On lui connaît certes un certain talent, qui lui a permis de signer son premier grand western, muet, Le Cheval de Fer, ou d’avoir le succès l’année précédente avec La Patrouille Perdue. Pour autant, sa carrière oscille entre ces réussites, et des films mineurs, des raretés hélas perdues, des comédies de commande (souvent avec Will Rogers, acteur personnifiant l’esprit Yankee dans toute sa simplicité et son honnêteté foncière) le plus souvent produites par la 20th Century Fox. Le roman de Liam O’Flaherty, Le Mouchard, déjà adapté au cinéma en 1929 dans une version britannique signée Arthur Robison, arrive à point nommé pour faire de lui un cinéaste de premier plan.

Ce n’est pourtant pas gagné d’avance. Les représentants du studio RKO, qui produisent et distribuent le film, renâclent devant la noirceur du sujet. Par l’intermédiaire de Joseph Kennedy (le père du futur président américain), une somme très modeste est allouée à Ford : un budget oscillant, selon les sources, entre 220 000 et 250 000 dollars, soit le coût d’une maigrichonne série B de l’époque. Ford n’a droit qu’à trois semaines de tournage, et, pour reconstituer le Dublin nocturne des années 1920, n’a qu’un plateau décrépit destiné à la prise de son, à sa disposition. Le rôle de Gypo Nolan est aussi l’occasion d’une petite anicroche entre les cadres du studio et Ford. La RKO veut Richard Dix, star peu expressive du western Cimarron, mais Ford refuse. Il impose Victor McLaglen ; pas un choix évident, car McLaglen, s’il est déjà une gueule familière du public américain, est cantonné aux rôles comiques de braves brutes et de lourdauds en tout genre. Cet ancien boxeur au visage et à la carrure immédiatement reconnaissables, aura avec Le Mouchard le rôle de sa vie. Sans répétitions ni grande préparation, il saura faire de Gypo, avec le soutien de Ford, un traître finalement bien touchant. Et il s’entendra si bien avec son réalisateur qu’il deviendra une de ses figures les plus emblématiques – impossible d’oublier ses personnages de sergent irlandais alcoolique dans la « trilogie de la Cavalerie » (Fort Apache, She Wore A Yellow Rubbon / La Charge Héroïque et Rio Grande), et sa bagarre homérique, « Irish style« , face à John Wayne dans L’Homme Tranquille.

 

Le Mouchard 02

En trois petites semaines de tournage, John Ford ira à l’essentiel. La contribution artistique du film reste de tout premier ordre ; la modestie du budget oblige le cinéaste, son directeur artistique Van Nest Polglase et le chef opérateur Joseph H. August à suggérer le Dublin des années sombres. Très influencé par l’expressionnisme allemand, Ford « peint » de véritables tableaux en noir et blanc restituant l’ambiance étouffante d’une ville sous la loi martiale. La saleté du studio utilisé autorise l’équipe de tournage à utiliser au mieux des effets de brouillard donnant des allures de mauvais rêve éveillé aux errances nocturnes de Gypo. L’influence du cinéma de Fritz Lang est indéniable, notamment dans cette séquence de procès très inspirée de celle de M le Maudit. Même s’il demeure ça et là quelques effets surannés hérités du muet (des surimpressions « explicatives » de l’affiche de la prime de 20 livres), Le Mouchard n’a rien perdu, 80 ans après, de sa puissance évocatrice. Et bien que Ford ait quelque peu regretté le manque d’humour du film, le film continue d’impressionner. La simplicité de la mise en scène permet à Ford de composer des tableaux vivants dans lesquels évoluent des personnages crédibles. Pas de stars, mais des acteurs compétents, semblant tous marqués par le malheur et la fatigue de leur époque – mentions spéciales à des seconds rôles familiers des années 1930-40, Una O’Connor dans le rôle de la mère de Frankie, ou le pitoyable petit tailleur joué par Donald Meek, faux coupable désigné par Gypo pour se dédouaner. Et, bien sûr, le personnage de Gypo, impeccablement écrit par Dudley Nichols et incarné par McLaglen. Un loser attachant, aussi mauvais rebelle que traître raté ; McLaglen en fait finalement une sorte de grand enfant naïf, agissant par impulsion – et amour pour une fille aussi marginale que lui. Il n’a pas vraiment compris l’importance des enjeux politiques de son époque (encore que Ford refuse de prendre parti, les membres de l’IRA n’étant pas mieux traités que les Black and Tans dans le film), ni l’ironie de sa triste situation. Cette grosse brute a refusé de tuer un jeune soldat anglais, dans un rituel macabre d’intronisation de l’IRA. Résultat : il n’a plus d’emploi, peu d’amis, pas d’argent… et son geste lui vaudra de se retrouver condamné à mort, sous la menace d’un jeune insurgé poussé à le tuer par son ancien supérieur. La répétition cyclique du même geste qu’il avait refusé de commettre, sous la tutelle de Dan (Preston Foster), le chef de guerre qui a une lourde responsabilité dans le drame. Ford ne juge ni ne condamne jamais aucun des partis en présence, refusant la diabolisation des Black and Tans, mais marque aussi une distance évidente vis-à-vis des « rituels » meurtriers en cours à l’IRA. Ce qui l’intéresse, avant toute chose, c’est la puissance et l’expressivité sublime qu’il tire du visage massif et du regard douloureux de Victor McLaglen, littéralement habité par son rôle. Les seconds rôles seront tout aussi bien traités. Résultat des courses ? En dépit de ses légères faiblesses, Le Mouchard fut justement salué comme l’un des meilleurs films de l’année 1935. S’il fut un succès modeste en salles, le film a clairement affirmé l’évolution du cinéma de Ford vers ses meilleures œuvres, et fut récompensé de quatre Oscars : Meilleure Musique pour Max Steiner, Meilleur Scénario pour Dudley Nichols, Meilleur Acteur pour Victor McLaglen et le premier Oscar du Meilleur Réalisateur pour le plus bourru des cinéastes irlando-américains.

 

Ludovic Fauchier.

 

La Fiche Technique :

Réalisé par John Ford ; scénario de Dudley Nichols, d’après le roman de Liam O’Flaherty ; produit par John Ford et Cliff Reid (RKO Radio Pictures Inc.)

Musique Max Steiner ; photographie Joseph H. August ; montage George Hively

Décors et Direction Artistique Van Nest Polglase ; costumes Walter Plunkett

Son Hugh McDowell Jr. ; montage effets sonores Robert Wise (NC)

Distribution USA : RKO Radio Pictures Inc.

Durée : 1 heure 31

En bref… BIRDMAN

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BIRDMAN, d’Alejandro Gonzalez Inarritu

L’histoire :

pour Riggan Thompson (Michael Keaton), les temps sont durs. Cet acteur, jadis une star ayant incarné le super-héros Birdman, prépare la mise en scène d’une pièce de Raymond Carver à Broadway, dont il est l’interprète principal. A quelques jours de la première, rien ne va. La chute d’un projecteur blesse un de ses partenaires, l’obligeant, lui et son producteur Jake (Zach Galifianakis), à trouver in extremis un remplaçant. Sa collègue Lesley (Naomi Watts) lui conseille d’engager Mike Shriner (Edward Norton), comédien réputé mais vite ingérable : ivre, Mike sabote la pièce, le soir de la présentation aux critiques. Situation difficile à vivre pour Riggan, à qui sa compagne Laura (Andrea Riseborough) annonce qu’elle est enceinte ; en plus, il renoue difficilement le dialogue avec sa fille Sam (Emma Stone) ; récemment désintoxiquée celle-ci se rapproche de Mike, lui-même en crise avec Lesley. Pour couronner le tout, une voix résonne dans la tête de Riggan. Celle de Birdman, son alter ego, qui le rabaisse et lui rappelle sa gloire perdue…

Birdman

La critique :

Amours Chiennes, 21 Grammes, Babel, Biutiful… jusqu’ici, le parcours du mexicain Alejandro Gonzalez Inarritu était irréprochable ; formant avec ses collègues locos Guillermo Del Toro et Alfonso Cuaron un trio créatif unique en son genre, Inarritu était le poète tourmenté de la bande. Ses films, magnifiquement mis en scène, restent de sacrées leçons de cinéma libéré du formatage ambiant ; ils ne sont pas ailleurs réputés pour inciter franchement à la bonne humeur, aussi était-on curieux de voir ce Birdman annoncé (prématurément ?) comme une comédie. Le résultat laisse malheureusement perplexe. En suivant les aléas d’un acteur vieillissant en mal de reconnaissance, Inarritu cherchait manifestement à dire quelque chose de profond sur le culte de la célébrité, l’invasion de la culture comics, le monde du théâtre, les difficiles relations entre un père et sa fille, etc. le tout mis en scène en plan-séquence permanent, exploit technique assuré par le meilleur chef-opérateur du monde à l’heure actuelle : Emmanuel Lubezki, l’homme derrière les scènes démentielles des Fils de l’Homme et Gravity du camarade Cuaron. Tout ceci semblait prometteur, mais Inarritu s’est malheureusement pris les pieds dans le tapis.

Certes, on comprend bien où il veut en venir quand il tente un commentaire « métatextuel » sur son personnage principal, ancien super-héros de l’écran incarné par un revenant : Michael Keaton, le Batman des films de Tim Burton, toujours bon pied bon œil. Précédant la vague des films de super-héros d’une bonne décennie, Keaton n’a jamais pourtant profité de sa notoriété – il fut certes un bon Batman, cependant éclipsé par les superstars héritant des rôles de vilains – avant de disparaître des feux de la rampe hollywoodienne. On le retrouve ici certes avec plaisir ; mais voilà, le film non seulement peine à nous faire partager les difficultés de son personnage (qui, en plus de souffrir d’une certaine schizophrénie, a de plus un vrai super-pouvoir, la télékinésie, qui ne lui sert finalement pas à grand chose…), mais il se montre par ailleurs assez prétentieux dans son propos. Qu’Inarritu s’alarme de l »invasion » culturelle des blockbusters super-héroïques de ces dernières années, pourquoi pas ; malheureusement, son film adopte une posture assez irritante sur l’air de « l’Art et la Culture Vs. la crétinisation en masse des films de super-héros hollywoodiens décérébrés »…. mettant sur le même plan des nanars comme les Transformers de Michael Bay et des œuvres autrement plus abouties – Inarritu cite sans se gêner des plans-signature des Spider-man de Sam Raimi, ou donne carrément la voix caverneuse du Batman période Christopher Nolan à son affreux Birdman, symbole de la médiocrité de son personnage principal. Pas très sympathique pour les collègues Raimi ou Nolan, qui, à l’intérieur de ce système hollywoodien jugé responsable de tous les maux sur Terre par Inarritu, ont tout de même réussi à livrer un véritable travail d’auteur.

Inarritu préfère quant à lui le théâtre (pardon : le Théâââââtre) aux films de surhommes costumés, mais oublie manifestement quelque chose en route. Ses protagonistes sont vite irritants, malgré les efforts de solides comédiens à qui le cinéaste donne des semi-caricatures d’eux-mêmes : Edward Norton (lui aussi ancien « recalé » des films de super-héros suite à L’Incroyable Hulk et son éviction des Avengers) joue donc forcément un comédien surdoué mais agressif, et Naomi Watts est de nouveau l’actrice hyper-fragile-en-pleine-crise-de-confiance-attirant-sexuellement-sa-partenaire (coucou, Mulholland Drive…). Seule Emma Stone (petite fiancée des derniers Spider-man !) apporte un peu de fraîcheur à l’ensemble. Curieuse façon, en tous les cas, de nous intéresser à un petit monde théâtral apparemment rempli de personnalités narcissiques, égocentriques et ingérables ; sans compter que le discours sur les critiques (présentés dans le film comme de vieilles harpies aigries et frustrées, comme c’est original…) ou les réseaux sociaux n’est pas plus abouti. Très décevant, donc, de voir le cinéaste mexicain se mettre à accumuler les poncifs. La mise en scène sauve les meubles, encore que l’idée de traiter l’ensemble du film laisse là encore dubitatif : ces enchaînements, aussi splendides soient-ils, tournent à vide et contredisent le propos déjà pas très inspiré du cinéaste. Une mise en scène qui attire l’attention sur elle, bénéficiant au passage d’un nombre phénoménal d’images de synthèse (alors même qu’Inarritu nous fait comprendre qu’il déteste leur abus dans les superproductions…), dessert le film, censé tout de même nous intéresser avant tout à ses personnages. On espère voir Inarritu se reprendre et retrouver la hargne et la grâce de ses films précédents, et sortir au plus vite de cette impasse.

Enfin, bon, il y a Emma Stone…

Ludovic Fauchier (fatigué et déplumé)

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La Fiche Technique :

Réalisé par Alejandro Gonzalez Inarritu ; scénario d’Alejandro Gonzalez Inarritu, Nicolas Giacobone, Alexander Dinelaris& Armando Bo ; produit par Alejandro Gonzalez Inarritu, John Lesher, Arnon Milchan, James W. Skotchdopole, Alexander Dinelaris, Nicolas Giacobone, Drew P. Houpt et Christina Won (Le Grisbi Productions / M Prod / New Regency Pictures / TSG Entertainment / Worldview Entertainment) 

Musique : Antonio Sanchez ; photographie : Emmanuel Lubezki ; montage : Douglas Crise et Stephen Mirrione

Direction artistique : Stephen H. Carter ; décors : Kevin Thompson ; costumes : Albert Wolsky

Effets spéciaux visuels : Ara Khanikian (Rodeo VFX / Steadfast Films / DDI / Halon Entertainment / Les Productions de l’Intrigue)

Distribution : 20th Century Fox

Caméras : Arri Alexa M et XT

Durée : 1 heure 59

En bref… KINGSMAN : SERVICES SECRETS

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KINGSMAN : SERVICES SECRETS, de Matthew Vaughn

L’histoire :

1997. L’agent secret britannique Harry Hart, nom de code « Galaad » (Colin Firth), commet une terrible bévue qui coûte la vie à l’un de ses collègues et amis. Présentant ses condoléances à la veuve, Harry remet au petit « Eggsy », le fils de son défunt ami, une médaille d’honneur sur laquelle est gravée un numéro d’appel d’urgence, et un curieux mot de passe : « des Oxfords, pas des Brogues »

17 ans plus tard, « Eggsy », de son vrai nom Gary Unwin (Taron Egerton), est un petit délinquant dont la mère s’est remariée avec une brute. Le jeune homme, qui déteste son beau-père, vole la voiture de ses complices pour un rodéo dans les rues de Londres… Rodéo qui se termine par une garde à vue ; Eggsy décide alors de se servir de la médaille mystérieuse, et, en un rien de temps, le voilà protégé du beau-père et ses larbins par Harry. Celui-ci lui révèle l’existence d’une division d’élite d’agents secrets : les Kingsmen, chargés de protéger le monde libre contre toute menace, et de le faire avec style, élégance… et un tas d’armes et de gadgets dignes de James Bond ! Eggsy n’hésite pas une seconde quand Harry lui propose de rejoindre le programme d’entraînement des Kingsmen. Il y a urgence, car « Lancelot », un collègue de Harry, a été tué en mission. Tandis qu’Eggsy et d’autres candidats suivent les redoutables épreuves supervisées par « Merlin » (Mark Strong) et « Arthur » (Michael Caine), Harry reprend l’enquête de « Lancelot ». Un nouveau danger menace notre monde : le mégalomane Richmond Valentine (Samuel L. Jackson), génie des nouveaux médias, flanqué de la redoutable Gazelle (Sophia Boutella), planifie l’extermination massive de la population mondiale grâce à son arme absolue…

 

Kingsman

La critique :

Producteur (notamment des films de Guy Ritchie, Arnaques, crimes et botanique, et Snatch) passé à la mise en scène (Layer Cake en 2004, Stardust en 2007, Kick-Ass en 2009 et X-Men First Class / X-Men : le Commencement en 2011), le londonien Matthew Vaughn a de la suite dans les idées. Après avoir créé un style bien défini, avec Ritchie, de films de gangsters made in UK, il s’est ensuite orienté vers le genre comics-books avec une indéniable réussite, réussissant aussi bien à démonter les codes du super-héros (Kick-Ass) puis en signant, avec son film des X-Men, un des plus beaux fleurons du genre. Il se permettait même d’y installer une atmosphère sixties très pop et colorée, en hommage affectueux évident aux films de James Bond période Sean Connery. Kingsman : Services Secrets, adapté comme Kick-Ass d’une bande dessinée écrite par Mark Millar, est donc l’occasion rêvée pour lui de fusionner les différents aspects de sa filmographie : le film intègre ainsi l’ambiance des Goldfinger et Opération Tonnerre d’antan, l’action effrénée des meilleurs « films b.d. », l’esprit rageur et frondeur des films de gangsters britanniques… le tout baignant dans un second degré permanent, des trouvailles visuelles démentielles et un humour absurde garanti 100 % Royaume-Uni. Belle revanche personnelle, au passage, du réalisateur déçu par le sérieux absolu des nouveaux Bond de Daniel Craig… Paradoxe, ce dernier avait justement endossé le smoking de l’agent 007 grâce à sa prestation dans Layer Cake, signé du même Vaughn !

Kingsman est un cocktail sacrément euphorisant d’humour irrévérencieux et de références parfaitement assumées à la grande période « espionnage pop » : de Chapeaux Melon et Bottes de Cuir à Notre Homme Flint, en passant par les Agents très spéciaux, tous sont cités… même les très sérieux films de Harry Palmer (Ipcress Danger Immédiat, Mes Funérailles à Berlin et Un Cerveau d’un Milliard de Dollars) répondent à l’appel, en la présence inimitable du grand Michael Caine, ses lunettes d’écaille et son accent cockney (« why, you little prick !« ) en prime. La joyeuse folie du film est parfaitement assumée, grâce au décalage permanent entre le sérieux absolu des personnages (mention spéciale à Colin Firth, qui, à l’âge de 54 ans, dézingue à tout va tout en gardant sa royale distinction), le récit classique de l’initiation d’un jeune héros en devenir (très bon Taron Egerton, à suivre) et l’invraisemblance revendiquée de la menace, symbolisée par un Samuel L. Jackson déchaîné en super-vilain zézayant, dégoûté par la vue du sang, et flanqué d’une tueuse sexy dont les pieds sont remplacés par des lames d’acier… Ajoutez à tout cela les idées visuelles tantôt hilarantes (un ballet d’explosions-feux d’artifices de VIP, sur fond musical de Pump and Circumstance d’Edward Elgar) tantôt rentre-dedans (ce carnage ahurissant dans une église, où le « gentil » Firth exécute à bout portant une centaine de bigots d’extrême droite !!), le tout saupoudré d’un esprit punk auquel on était plus habitué depuis longtemps (le « traitement royal » final…), et vous n’aurez qu’une petite idée de ce qu’est Kingsman : un antidote explosif à la dépression ambiante. Administré avec classe, distinction… et bonnes manières, qui font les vrais gentlemen.

 

LudOO7vic Fauchier, secoué au shaker

 

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La Fiche Technique :

Réalisé par Matthew Vaughn ; scénario de Jane Goldman et Matthew Vaughn, d’après la bande dessinée de Mark Millar et Dave Gibbons ; produit par Adam Bohling, David Reid et Matthew Vaughn (20th Century Fox Film Corporation / Marv / TSG Entertainment)

Musique : Henry Jackman et Matthew Margeson ; photographie : George Richmond ; montage : Eddie Hamilton et Jon Harris

Direction artistique : Andy Thomson ; décors : Paul Kirby ; costumes : Arianne Phillips

Effets spéciaux visuels : Kevin Tod Haug et Geoffrey Niquet (BUF / Baseblack / Blind / Doc & A Soc / Jellyfish Pictures / Nvizage / Nvizible / Peanut FX / Peerless Camera Company / Plowman Craven & Associates / Prime Focus World / The Visual Effects Company) ; cascades : Bradley James Allan, Kyle Gardiner et Adam Kirley

Distribution : 20th Century Fox

Caméras : Arri Alexa XT

Durée : 2 heures 09

Les Brebis, les Loups et le Chien de Berger – AMERICAN SNIPER

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AMERICAN SNIPER, de Clint Eastwood

L’histoire :

Chris Kyle (Bradley Cooper) est devenu une légende pour les hommes envoyés au combat durant la Guerre d’Irak. Sniper d’élite formé aux missions des Navy Seals (les commandos de la marine américaine), Kyle a officiellement tué 160 ennemis au combat, durant ses quatre tournées en service, effectuées dans les villes les plus dangereuses entre 2003 et 2008. Mais il a chèrement payé ses exploits. Chris Kyle fut tué le 2 février 2013, par un ancien Marine qu’il accompagnait à un champ de tir.

Enfant, Chris Kyle était l’aîné de deux frères, élevé par un père qui lui a appris à se battre, à défendre les siens, et à chasser. Adulte, Chris tente de devenir champion de rodéo au Texas, avant qu’une blessure mette fin à sa carrière. Désoeuvré, il décide de s’engager dans l’armée américaine, et choisit la formation la plus dure, celle des commandos Navy SEALS. Malgré son âge et ses problèmes physiques, Chris est recruté. Il rencontre Taya Renae (Sienna Miller) un soir dans un bar ; ils se marieront et auront deux enfants. Mais, après les attentats du 11 septembre 2001, la vie du couple va être bouleversée de fond en comble. Chris est appelé à combattre en Irak en 2003. Sa première mission, à Falloujah, consiste à protéger un peloton de Marines des attaques ennemies. Chris enchaîne bientôt les missions, devenant le sniper le plus efficace durant des opérations de plus en plus violentes. Son unité croise ainsi la route du « Boucher », bras droit d’Abu Musad Al-Zarqawi, l’un des chefs d’Al Qaeda, et d’un sniper ennemi, « Mustafa », aussi dangereux que lui. Chris Kyle devient un véritable héros aux yeux des siens ; mais ce qu’il a vu et fait le transforme irrémédiablement…

 

American Sniper 01

La critique :

Toujours là ! Quelques mois seulement après son sympathique Jersey Boys, Clint Eastwood (un tout jeune homme de 85 ans, en mai prochain) nous présente déjà son film suivant. Le voilà signant, avec American Sniper, un film dont le sujet le place bien évidemment dans la droite lignée de ses films « militaires » (et pas forcément militaristes, comme certains pourraient le croire) que sont Heartbreak Ridge (Le Maître de Guerre, 1986) et le diptyque de la bataille d’Iwo Jima (Flags of our Fathers / Mémoires de nos Pères, et Lettres d’Iwo Jima, sortis en 2007). Traitant cette fois-ci du parcours d’un singulier soldat de la Guerre d’Irak, American Sniper a déjà fait couler bien de l’encre au point que certains anciens détracteurs de l’œuvre du grand Clint ont cru bon, prématurément, d’attaquer le film par un angle politique, prêtant au réalisateur des intentions qui n’étaient pas les siennes. Certes, on peut comprendre leur méfiance envers un sujet parlant avant tout d’un militaire américain entraîné à tuer durant cette guerre politiquement et moralement bien douteuse, mais American Sniper ne cherche certainement pas à justifier ou glorifier la désastreuse initiative militaire du gouvernement Bush. Clint Eastwood a su toucher le public avec un sujet particulièrement difficile, et signe à nouveau un film admirable, très perturbant, dans la droite lignée des meilleures œuvres des grands cinéastes dont il est le continuateur.

 

American Sniper 05

L’idée de faire un film d’American Sniper n’est pas venue de Clint Eastwood, mais de Bradley Cooper. L’acteur, vu comme un rigolo charmant grâce à Very Bad Trip, s’était enthousiasmé pour le livre écrit, avec Scott McEwen et Jim DeFelice, par Chris Kyle. Ce vétéran de la Guerre d’Irak, un véritable colosse aux allures d’ours tranquille, devait tragiquement mourir peu après la parution de son livre, tué par Eddie Ray Routh, un ex-Marine perturbé par le syndrome de stress post-traumatique qu’il tentait d’aider. Le décès de Kyle a dû motiver Cooper à produire le film, laissant la place à Chris Pratt (le héros des Gardiens de la Galaxie, dans lequel Cooper prêtait sa voix) dans le rôle de son quasi-homonyme. Pratt étant encore méconnu avant le succès des Gardiens…, le studio Warner préféra que ce soit Cooper qui incarne Kyle. Un pari risqué étant donné le physique dégingandé de Cooper, qui accepta cependant. David O. Russell, avec qui Cooper a brillamment travaillé sur Happiness Therapy et American Bluff (lui valant une respectabilité dans le métier, avec deux nominations successives à l’Oscar du Meilleur Acteur), ayant passé la main, Cooper se tourna ensuite vers Steven Spielberg. Très intéressé (le sujet lui rappelait sans doute des thèmes abordés dans Sugarland Express et Le Soldat Ryan), ce dernier, toujours en train de développer d’autres projets, suggéra à Bradley Cooper de se tourner vers Clint Eastwood. Spielberg et Eastwood se connaissant bien, s’appréciant après avoir travaillé un certain nombre de fois ensemble (rappelons que c’est Spielberg qui a assuré la production de Mémoires de nos Pères et Lettres d’Iwo Jima), il n’est donc pas étonnant que ce dernier ait accepté le projet de film initié par Cooper, tant le récit d’American Sniper, au final, apparaît comme totalement « eastwoodien ». On prête au défunt Chris Kyle des propos prémonitoires : lorsqu’on lui demanda quel cinéaste, selon lui, pourrait tirer un bon film de son histoire, il répondait « Clint Eastwood« … Coïncidence supplémentaire ? le patronyme de Kyle évoqua sûrement à Eastwood le prénom de son fils, brillant musicien de jazz qui joua avec lui dans un de ses meilleurs films, Honkytonk Man. Certains signes ne trompent pas.

 

American Sniper 06

Au vu des premières images (dont cette séquence d’ouverture qui a servi à l’impressionnante bande-annonce) d’American Sniper, on peut comprendre ce qui a motivé Clint Eastwood dans ce sujet. Le cinéaste inscrit le film dans la trajectoire de sa propre carrière, au point de donner le sentiment d’assister à une relecture de scènes familières à ceux qui ont suivi ses films depuis cinquante années. La scène d’ouverture semble être le contrepoint total de celle du Dirty Harry réalisé par Don Siegel en 1971. Un sniper, déjà, rôdait dans la ville… mais nous étions face à un horrible serial killer (inspiré du Tueur du Zodiaque) qui choisissait, pour sa seule excitation, une cible humaine à abattre. On se rappellera aussi d’un autre tueur tout aussi détestable dans la filmographie eastwoodienne, l’assassin joué par John Malkovich narguant Clint dans le bien nommé Dans la ligne de mire… sans oublier un autre tireur antipathique, mais assermenté celui-là, le tireur du FBI dans Un Monde Parfait. Tout le contraire de Chris Kyle, un soldat d’élite, qui, lui, doit protéger ses coéquipiers de toute menace dans les rues irakiennes. Malchance : ses premières cibles sont une mère et son enfant, poussés à se « kamikazer » contre les soldats avec une grenade RPG… Kyle devra les abattre, et prendre sur lui. Il n’a rien d’un psychopathe qui aime tuer, mais inaugurera une série macabre qui le marquera à vie.

Par le biais d’un cut remarquable, Eastwood nous transportera, à l’instant fatidique, dans l’enfance de Kyle : sa première partie de chasse, avec son père, durant laquelle il tue un cerf. La scène, bucolique, mais dérangeante (on voit toute l’influence de ce paternel sur la future carrière de son fils), évoque aussi un autre classique : The Deer Hunter (Voyage au bout de l’Enfer), chef-d’oeuvre de Michael Cimino, grand disparu du cinéma américain qui avait su si bien décrire les effets dévastateurs du traumatisme de la guerre du Viêtnam sur ses vétérans. American Sniper est son héritier. Pas étonnant de se rappeler alors qu’Eastwood avait lancé la carrière de Cimino, coauteur du script de Magnum Force, et réalisateur de Thunderbolt & Lightfoot (Le Canardeur)… Ces deux cinéastes se retrouvent sur la même longueur d’ondes.

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Par ailleurs, American Sniper, à l’instar de nombreux films d’Eastwood, offre aussi une relecture – distanciée mais omniprésente – d’un univers auquel il reste associé depuis ses débuts, à savoir le Western. Eastwood a beau avoir officialisé ses adieux au genre qui l’a révélé avec Unforgiven (Impitoyable, 23 ans déjà…), il ne peut pas ne pas l’évoquer à nouveau, comme tant d’autres de ses films qui conservent la structure des westerns dont il est devenu le porte-étendard (d’Un Monde Parfait à Gran Torino, pour ne citer qu’eux, la liste est longue) ; American Sniper conserve cet héritage, le récit faisant de Chris Kyle l’équivalent d’un pistolero solitaire et légendaire. Il rencontre sa dame de cœur dans un bar (autrement dit, un saloon), se mesure en duel avec un ennemi aussi doué que lui (l’affrontement avec le sniper « Mustafa » sert de fil rouge au récit – une idée de Steven Spielberg quand il travaillait sur le film), assiste à l’enterrement de ses amis par leurs veuves et leurs mères (John Ford est tout proche), voit sa tête mise à prix… L’aspect « western » discret du film prend même tout son sens dans les dernières images du film, montrant les vraies funérailles de Chris Kyle. La musique est tirée du western spaghetti Le Retour de Ringo, et elle fut composée par Ennio Morricone, à l’époque même où Eastwood tournait Et pour quelques dollars de plus chez Sergio Leone… 

La réussite d’American Sniper ne passe pas pour autant par ces références westerniennes bien intégrées, ou par le contexte guerrier. On a prêté abusivement des intentions politiques au film d’Eastwood, certains critiques enfourchant un cheval de bataille bien usé pour chercher des poux dans la tête du cinéaste, et une soi-disant glorification de la violence, des armes à feu, du patriotisme américain, etc. Des idées reçues. Eastwood ne cherche pas à justifier ou glorifier quoi que ce soit, répondant à ces critiques qu’American Sniper parle (avec une efficacité indéniable) des effets pervers de toute guerre sur les êtres humains qui la vivent. A l’instar de leurs prédécesseurs de la 2ème Guerre Mondiale (revoyez le diptyque d’Iwo Jima de Clint) ou du Viêtnam, les soldats d’American Sniper reviennent bouleversés à jamais par leur expérience du combat en Irak. Chris Kyle devient ici leur porte-parole. Ce n’était pas le rôle de ce simple soldat de commenter, ou critiquer, les raisons morales de ce conflit décidé par l’administration Bush (encore que l’on sent, dans le film, une détestation à peine voilée de Clint Eastwood envers les ultraconservateurs républicains, responsables d’un beau désastre mondial), mais, s’il a fait son travail, il l’a lourdement payé, sans plus de reconnaissance officielle de Washington. Sa mort est devenue symbole des graves erreurs commises par des politiciens médiocres, n’ayant jamais pris de risques personnels dans cette sale guerre.

 

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American Sniper est aussi l’histoire d’une transformation. Dans le cinéma eastwoodien, tout est lié : le cinéaste a très souvent filmé les métamorphoses, les bouleversements physiques et psychologiques qu’entraîne l’activité de ses protagonistes. Ces changements restent liés, toujours, à la Mort. Qu’on se souvienne, entre autres, de Red Stovall consumé par la tuberculose (Honkytonk Man), de Charlie Parker sombrant dans son addiction (Bird), de la boxeuse Maggie paralysée à vie (Million Dollar Baby), etc. De la même façon, Chris Kyle connaît une évolution dramatique qui débute par une transformation corporelle radicale (l’entraînement épuisant des SEALS, les injections accroissant sa masse musculaire) faisant du gentil cow-boy efflanqué des débuts une véritable montagne de chair ; cette transformation a des effets secondaires destructeurs, une constante chez Eastwood, puisque l’expérience de la guerre, l’accumulation du stress et des horreurs vécues affecte l’esprit de Chris, aussi bien que sa vie avec Taya (très touchante interprétation, au passage, de Sienna Miller). Sans insistance ni pathos, Eastwood montre, par des signes simples et perturbants, comment le syndrome de stress post-traumatique (SSPT) s’insinue dans la vie du couple Kyle. Le spectateur a vécu avec celui-ci les décisions cruelles qu’il a dû prendre pour protéger ses équipiers (la première mission) que les atrocités commises par les djihadistes – notamment la confrontation avec le « Boucher » venu punir un cheikh modéré, d’une façon abominable. Chaque retour au pays permet de mesurer le désarroi causé par le SSPT dont souffre Chris. Le bruit d’une perceuse, les aboiements d’un chien inoffensif, un bébé délaissé… ces détails perturbent le sniper incapable d’identifier ses problèmes. Coupé peu à peu de son entourage, on le verra même sombrer, assis et passif devant l’écran noir de la télévision familiale. American Sniper est donc aussi le récit d’une métamorphose destructive, d’autant plus retorse que son protagoniste y est « accro ». Comme les soldats du Hurt Locker (Démineurs) de Kathryn Bigelow, Chris Kyle se montre tellement doué dans son domaine professionnel qu’il ne peut reprendre une vie normale. Les risques pris durant les combats deviennent une forme de jeu dans lequel le sniper excelle, jusqu’à l’inconscience. Lorsqu’il accomplira son « chef-d’oeuvre » (un tir impossible à 1900 mètres de distance), il mettra inutilement en danger son peloton. Une faute d’orgueil qui le ramènera à un début de rédemption, après la traversée d’un « trou noir » personnel.  

 

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Grâce à un scénario intelligent, American Sniper évite les poncifs du récit guerrier et suit l’évolution de son personnage principal. Un héros paradoxal, entraîné à tuer, dont la conscience s’éveille au fur et à mesure de son expérience militaire. Sans rancœur ni repentance excessive, Chris Kyle va remonter la pente en aidant d’autres vétérans gravement atteints. Un entretien avec un médecin va le mener à changer de combat. Il aidera désormais les rescapés du combat à remonter la pente ; ces hommes, mutilés dans leur chair et leur esprit, abandonnés par un gouvernement s’étant désintéressé de leur sacrifice, trouvent ainsi quelqu’un à qui parler. Et, puisque Chris est sniper de métier, mieux vaut les aider à se « soulager » en tirant sur des cartons que sur des cibles humaines… Cela ne sera pas sans danger, hélas, dans un pays où l’usage des armes à feu est toléré et légitimé (rappelez-vous du « Sniper de Washington », un ancien soldat de la Guerre du Golfe qui terrorisa la capitale américaine ; lui aussi fut atteint du SSPT). Cette activité reste dangereuse, et, malheureusement pour lui, Chris Kyle croisera la route d’Eddie Ray Routh, un ex-Marine complètement détruit par son expérience en Irak.

Cette triste fin était peut-être inévitable, après tout. Chris Kyle a suivi, jusqu’au bout, l’enseignement de son père. Rappelons qu’il était le fils d’un enseignant de l’Ecole du Dimanche et d’une diaconesse, dans un pays (« God’s Country« ) où l’on ne prend pas à la légère l’instruction religieuse. Le film met particulièrement en avant l’influence du père, une montagne humaine qui met un point d’honneur à donner un code de conduite strict à ses deux fils. Mémoires de nos pères… Chris, l’aîné, sera particulièrement poussé à devenir le protecteur qui met fin aux bagarres à l’école (Christine Collins, jouée par Angelina Jolie dans L’Echange, faisait la même leçon à son fils). A l’âge adulte, Chris se bâtira un corps et une personnalité correspondant à l’idéal paternel, suivant à la lettre la métaphore des « brebis, loups et chiens de berger » donnée par son père (sous la menace d’un ceinturon dissuasif…). Une métaphore simple et directe, résumant bien le sens de la mission de Chris : se placer en marge de la communauté pour la défendre, et prendre conscience que le monde n’est, hélas, pas peuplé que de personnes bienveillantes… Une vision typiquement « eastwoodienne », qui rejoint celle du grand John Ford et ses parias héroïques. Le retour à la vie civile changera cependant le poids de l’enseignement paternel chez Chris Kyle, en qui le médecin perçoit un « syndrome du Sauveur ». L’ancien soldat aidera ses collègues, cherchant aussi sans doute une forme de rédemption qui aboutira à sa mort.

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Voilà pour conclure ce texte qui ne donne un aperçu qu’assez fragmentaire du ton d’American Sniper. On en oublierait presque de saluer comme il se doit la solide mise en scène d’Eastwood, sans esbroufe, d’une simplicité imparable et accompagnant le parcours de son soldat (presque) solitaire. On manque aussi presque d’apprécier la description des épreuves du couple formé par Chris et Taya Kyle, prouvant aussi que Clint Eastwood sait décrire des histoires d’amour crédibles et réalistes. Ce grand film « guerrier » atypique prend aussi le temps d’être romantique, mais jamais mièvre…

Un dernier constat : American Sniper se termine sur un générique muet. Hommage au soldat tombé, certes, mais on ne peut pas s’empêcher de penser que Clint Eastwood, dans sa 85ème année, semble pour la première fois ne pas avoir de nouveau projet en cours. Est-ce vraiment l’heure des adieux ? Avec cet homme-là, il ne faut pourtant jamais jurer de rien. Attendons de voir…

 

Ludovic Fauchier, French Blogger

 

Anecdote

Chris Kyle et ses coéquipiers SEALS prennent pour emblème le logo à tête de mort du Punisher. Venu de l’univers des Marvel Comics, le Punisher (de son vrai nom Frank Castle) est un justicier sans super-pouvoirs, mais aux méthodes brutales expéditives. Il apparut pour la première fois dans un épisode de Spider-man, où il tentait de tuer le Tisseur en le « snipant ». Le dessinateur Gil Kane lui donna les traits de… Clint Eastwood dans sa période Dirty Harry

 

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La fiche technique :

Réalisé par Clint Eastwood ; scénario de Jason Hall, d’après le livre de Chris Kyle, Scott McEwen et Jim DeFelice ; produit par Clint Eastwood, Bradley Cooper, Andrew Lazar, Robert Lorenz, Peter Morgan, Zakaria Alaoui et Jessica Meier (Malpaso / Mad Chance Productions / RatPac-Dune Entertainment / 22nd & Indiana Pictures / Village Roadshow Pictures)

Musique « Taya’s Theme » par Clint Eastwood, « The Funeral » par Ennio Morricone ; photographie : Tom Stern ; montage : Joel Cox et Gary D. Roach

Direction artistique : Harry E. Otto et Dean Wolcott ; décors : James J. Murakami et Charisse Cardenas ;

Distribution : Warner Bros. Pictures

Caméras : Arri Alexa XT

Durée : 2 heures 12

 

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