LE LABYRINTHE DU SILENCE, de Giulio Ricciarelli
L’histoire :
Francfort, Allemagne de l’Ouest, en 1958. Simon Kirsch (Johannes Krisch), un artiste peintre, croise la route d’un instituteur, Alois Schulz (Hartmut Volle). Quand celui-ci lui offre du feu, Simon se fige, terrifié. L’homme ne lui est pas inconnu…
Johann Radmann (Alexander Fehling), un tout jeune procureur, s’occupe sans enthousiasme des litiges sur les infractions au code de la route. Il assiste à une scène curieuse : un journaliste, Thomas Gnielka (André Szymanski), déboule dans les couloirs du tribunal et invective les procureurs. Ami de Simon Kirsch, Gnielka a mené son enquête sur le paisible instituteur Schulz. Il s’avère que celui-ci a été un Waffen SS, au camp d’Auschwitz, durant la 2ème Guerre Mondiale. Il n’y a aucun doute que Schulz ait commis des atrocités dans ce camp, mais l’administration judiciaire refuse d’agir, par faute de preuves directes… Johann mène une petite enquête privée, par curiosité. Il ne se doute pas qu’il met les pieds dans un champ de mines. Gnielka lui fait vite comprendre qu’Auschwitz n’est qu’un nom très vague lui et ses concitoyens, qui ne veulent pas (ou plus) entendre parler de la guerre et d’Hitler. Alors qu’il se rapproche de la jolie Marlene (Friederike Becht), Johann, soutenu par le vieux procureur général Fritz Bauer (Gert Voss), se lance dans une enquête officielle de longue haleine. Maladroitement, freiné par la bureaucratie, sans trop savoir comment convaincre les rares témoins de parler de ce qu’ils ont vu et subi, Johann s’obstine. Le terrible récit de Simon, notamment, le mène sur la piste d’un homme, devenu le symbole absolu de l’horreur nazie : Joseph Mengele…
La critique :
Par hasard des programmations des sorties cinéma de ce mois-ci, j’ai cette fois-ci changé mes habitudes de spectateur en allant voir ce Labyrinthe du Silence qui, a priori, n’avait pas grand chose pour attirer. Un titre vaguement ésotérique pour un sujet guère joyeux, évoquant les soirées thématiques d’Arte les moins engageantes, pour un film signé d’un acteur italien devenu réalisateur strictement inconnu au bataillon de ce côté ces Alpes… Pas de quoi être intéressé a priori, mais il faut toujours se méfier des préjugés. Giulio Ricciarelli, pour son premier long-métrage, a signé une œuvre joliment prenante. Le cinéaste (se reposant sur un solide scénario coécrit avec Elisabeth Bartel) décrit le portrait d’une toute jeune République Fédérale d’Allemagne (née de la reconstruction et partition politique du pays vaincu, à la fin de la 2ème Guerre Mondiale), partagée entre l’ignorance de ses plus jeunes habitants et l’amnésie volontaire de ses aînés, témoins ou complices des crimes commis sous Hitler. Le procès de Nuremberg avait soi-disant « purgé » le pays de la honte et de la tyrannie nazie… mais il avait laissé échapper un grand nombre de bourreaux et de simples exécutants modelés par la doctrine nazie, devenus après la guerre des citoyens en apparence bien ordinaires. Dans ses meilleures scènes, Le Labyrinthe du Silence prend des allures de fable à la Kafka, accompagnant la douloureuse prise de conscience d’un jeune bureaucrate idéaliste (convaincant Alexander Fehling). Cela se traduit dans le film par des scènes souvent grinçantes. Voir par exemple ce passage où notre héros et sa petite amie profitent d’un petit moment de tendresse amoureuse… avant d’entendre, du haut d’une fenêtre, le futur beau-père et ses anciens copains de régiment, ivres, beuglant des chants guerriers de bien sinistre mémoire.
Le réalisateur sait capter le climat de cette curieuse époque, où la jeune génération tout juste adulte commence à regarder dans les yeux ses parents, bien embarrassés d’avoir à justifier leurs petites lâchetés de l’époque. Il sait aussi heureusement éviter le manichéisme ; cette histoire, basée sur des faits réels, méritait bien du tact et de la distance critique : le jeune procureur a l’assurance et l’inconscience de la jeunesse, qui le pousse souvent à commettre de graves erreurs dans son enquête. Un bon point supplémentaire, donc, pour éviter de faire du personnage et de ses rares alliés des figures trop angéliques. Pour ces mêmes raisons, le personnage du journaliste Gnielka est particulièrement intéressant ; ce révolté permanent a des coups de colère vengeresse qui révèlent la « zone grise » de cette étrange époque. Son regard est moins innocent que celui du jeune procureur, et son histoire révèle le dur prix à payer pour un ancien gamin qui a été, comme des milliers d’autres, dupé par les mensonges d’Hitler au point de devenir un complice de l’infâme machine de mort des camps. Sa colère n’en prend que plus de poids.
Par ailleurs, hors les personnages eux-mêmes, Giulio Ricciarelli sait, au fil du récit, trouver les petits détails justes, ceux qui provoquent le malaise en dépit de leur banalité apparente. Une chanson aux accents rock, dont les paroles doucereuses (sur l’air de « ton père a raison« …) incitent gentiment la jeunesse à ne pas poser de questions gênantes ; des enfants qu’un instituteur trop zélé (et gagné par ses vieux « réflexes » conditionnés) sépare en deux rangs pour les punitions ; ou encore cette famille de bons bourgeois, rassemblés en privé, qui regardent d’un très sale œil les intrus venus chercher le grand absent (un certain Mengele)… autant de petites touches qui créent ce sentiment d’une chape de plomb sur la bonne société ouest-allemande de l’époque. On pardonnera du coup à Ricciarelli quelques excès démonstratifs : notamment ces deux cauchemars que fait le héros au sujet des camps, et de sa propre quête personnelle, sont un peu trop « fabriqués » pour entièrement convaincre.
On passera outre ces menus défauts pour saluer dans Le Labyrinthe du Silence le message d’avertissement glissé par le réalisateur aux spectateurs, à l’heure où tant de pays européens laissent ressurgir, sous un contexte différent, des discours nauséeux qu’on avait cru anéantis il y a 70 ans, avec la Bête Immonde. Les voix des victimes de la Shoah, dont les derniers survivants disparaîtront inévitablement, ne doivent jamais êtres tues, étouffées par l’apathie ou l’amnésie sélective.
Ludovic Fauchier

ci-dessus : la scénariste Elisabeth Bartel, interviewée aux 19èmes Rencontres du Cinéma de Gérardmer, parle de son travail sur Le Labyrinthe du Silence.
La fiche technique :
Réalisé par Giulio Ricciarelli ; scénario d’Elisabeth Bartel & Giulio Ricciarelli ; produit par Jakob Claussen, Ulrike Putz, Sabine Lamby et Jens Oberwetter (Claussen Wöbke Putz Filmproduktion / Naked Eye Filmproduktion)
Musique : Sébastian Pille et Niki Reiser ; photographie : Martin Langer et Roman Osin ; montage : Andrea Mertens ; costumes : Aenne Plaumann
Distribution Allemagne : Universal Pictures International / Distribution France : Sophie Dulac Distribution
Durée : 2 heures 04
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