Bonjour, chers amis neurotypiques ! La traditionnelle et hélas régulière rubrique hommage de ce blog salue ici trois personnalités du 7ème Art, disparues ce printemps 2015. Dure saison pour les amoureux des sagas de Tolkien, et du plus grand des Vampires…
A tout saigneur, tout honneur ! Aborder la biographie de Sir Christopher Lee (1922-2015) n’est pas simple du tout… Essayer de résumer en quelques paragraphes la carrière du comédien britannique tient de la mission impossible. De ses débuts à la télévision britannique en 1946, à son ultime rôle (ce sera dans Angels in Notting Hill, tourné l’an dernier), Sir Christopher (né Christopher Frank Lee Carrandini) a totalisé, selon le site ImdB, 278 rôles sur tous les supports - films, séries et doublages inclus ! Devant une carrière aussi démesurée, le bloggeur cinéphile abdique d’entrée. Plutôt que de citer tous ses rôles, il préfèrera se souvenir des prestations les plus marquantes de l’acteur. A l’annonce de son décès survenu le 7 juin dernier, quelques jours après son 93ème anniversaire, les fantasticophiles du monde entier auront versé une petite larme en souvenir de celui qui incarna le Comte Dracula pour le studio anglais Hammer Films. Immédiatement reconnaissable à sa haute taille (1 mètre 92), ses yeux ténébreux, sa voix de basse si impressionnante et son allure aristocratique innée (sa mère était une comtesse italienne), Christopher Lee a marqué des générations de cinéphile via une carrière riche en personnages maléfiques, auxquels il donna sa prestance naturelle, ainsi qu’un certain sens de l’humour pince-sans-rire. Reconnu comme un véritable gentilhomme dans la vraie vie, cet ancien élève du distingue Eton College aura créé toute une galerie de vilains mémorables – mais aussi des personnages bien plus sympathiques !
Petite plongée dans ma dvdthèque personnelle et dans mes souvenirs, pour citer quelques-uns des grands moments de la longue carrière cinéma de Sir Christopher Lee :
- apparitions dans les années 1950, avant Dracula… : dans Captain Horatio Hornblower (Capitaine sans peur, 1951) de Raoul Walsh, et dans Le Corsaire Rouge (1952), de Robert Siodmak, Christopher Lee tenait des petits rôles d’officiers de marine, menaçant aussi bien Gregory Peck que Burt Lancaster. On le reconnaît facilement à sa grande taille, parmi les figurants qu’il dépasse d’une tête ! On le retrouve aussi dans Amère Victoire de Nicholas Ray (1957), en sous-officier combattant aux côtés de Richard Burton en Afrique du Nord, durant la 2ème Guerre Mondiale. Lee joua aussi des petits rôles chez Michael Powell : exubérant cafetier argentin assistant à La Bataille du Rio de la Plata (1956) et officier nazi menaçant les héros britanniques en mission dans I’ll meet you by moonlight (Intelligence Service, 1957).
ci-dessus : Dracula, dans les différents films interprétés par Christopher Lee, ou l’art et la manière d’emmener les femmes au pieu ! (Dracula, pieu ? Vous avez compris ? oui, bon…)
- la période Hammer, qui le consacra star de l’Epouvante, des années 1950 à 1970, aux côtés de son ami Peter Cushing. Frankenstein s’est échappé (1957), très libre adaptation du roman de Mary Shelley par Terence Fisher, fut son premier rôle dans le genre. Lee y incarnait une créature ravagée, muette, très différente du monstre joué par Boris Karloff, mais c’est surtout le docteur Frankenstein interprété par Cushing qui avait la vedette. Une courte scène du film fut utilisée par Stanley Kubrick pour Lolita. Christopher Lee affronta Peter Cushing l’année suivante, pour le fameux Dracula, dépoussiérant l’image du comte vampire. Pour la première fois à l’écran, Dracula fut nettement sexualisé par rapport à la sage version de Bela Lugosi chez Universal. Le comte plongeait voluptueusement ses crocs sanglants dans le décolleté de ses charmantes victimes, plus séduites qu’effrayées ! La scène finale marqua les esprits, avec la décomposition du vampire exposé à la lumière par son ennemi, Van Helsing. Devenu superstar du genre, Lee fut la figure de proue du petit studio anglais. Il incarnera (et parodiera parfois) Dracula dans plusieurs autres films, le plus réussi étant Le Cauchemar de Dracula (1966), toujours de Fisher, avec une scène de résurrection plutôt gore pour l’époque : le valet de Dracula égorgeait une victime inconsciente, suspendue au-dessus de la tombe du vampire, arrosée de sang… Citons aussi La Malédiction des Pharaons (1959), où Lee incarnait Kharis, la momie d’un prêtre égyptien maudit, nouvelle variation sur le classique La Momie avec Karloff. Chez la Hammer, Christopher Lee combattit aussi parfois pour les forces du Bien : dans The Devil Rides Out ou The Devil’s Bride (Les Vierges de Satan, 1968), il est le Duc de Richleau, aristocrate occultiste luttant contre une secte sataniste implantée dans la bonne société anglaise des années 1930. Lee est impeccable dans ce petit classique écrit par Richard Matheson, l’auteur de Je suis une Légende, Duel et L’Homme qui rétrécit.
- le cinéma fantastique italien : polyglotte, parlant italien (sa langue maternelle), Christopher Lee joua aussi dans des films fantastiques transalpins, très gothiques et baroques, où son imposante silhouette dominait l’ensemble du casting. On le vit ainsi en domestique inquiétant dans La Vierge de Nuremberg, d’Antonio Margheriti. Mais c’est surtout dans Le Corps et le Fouet (1963), de Mario Bava, qu’il s’illustra. Une histoire de vengeance d’outre-tombe où il jouait un baron revenu d’entre les morts pour punir sa belle-soeur et ex-maîtresse jouée par Dahlia Lavi. Un film fantastique ouvertement sadomasochiste où Sir Christopher s’en donnait à cœur joie dans le maniement du fouet !
- Sherlock Holmes : Christopher Lee est maintes fois entré dans l’univers du fameux détective écrit par Arthur Conan Doyle, au gré de diverses adaptations. Durant ses années Hammer, on le vit par exemple dans l’excellente version du Chien des Baskerville (1959) due à Terence Fisher ; il y était le noble Sir Henry Baskerville, menacé par une terrifiante malédiction, demandant l’aide du grand détective interprété par le fidèle camarade Peter Cushing. En 1970, il fut engagé par le grand Billy Wilder pour jouer cette fois Mycroft Holmes, le frère aîné du détective campé par Robert Stephens dans La Vie Privée de Sherlock Holmes. Il donne à Mycroft un mélange d’amabilité courtoise et de duplicité, pour ce frère très protecteur qui est aussi le chef des services secrets britanniques via le Diogène Club : il « couvre » ici un curieux complot destiné à confondre des espions étrangers, en se servant de la légende du Monstre du Loch Ness, pour fabriquer un sous-marin expérimental ! Enfin, Sir Christopher Lee joua Sherlock Holmes lui-même, dans des téléfilms d’honnête facture à la fin des années 1980. Curieusement, cet habitué des rôles de grands méchants ne joua jamais l’ennemi absolu de Holmes, le Professeur Moriarty…
- James Bond : cousin éloigné (et occasionnel partenaire de golf) de Ian Fleming, vétéran du Foreign Office qui inventa le personnage de 007, Sir Christopher Lee devait forcément affronter ce dernier sur grand écran. Il manqua de peu d’incarner le Docteur Julius No face à Sean Connery dans le tout premier film de la saga, mais put enfin croiser le fer avec l’agent secret britannique dans L’Homme au Pistolet d’Or (1974), un Bond hélas assez poussif dû à Guy Hamilton. Il fut un mémorable méchant : Francisco Scaramanga, le tueur professionnel le plus réputé au monde, tellement sûr de lui qu’il envoie des menaces de mort à Bond dans les bureaux du MI-6 (l’agent secret le moins secret au monde, donc, puisqu’on connaît son adresse…) ! Un méchant pourvu de trois tétons (signe de virilité) qui mène grand train de vie aux côtés de sa maîtresse et d’un horripilant majordome-tueur nain, dans son île privée au large de Macao, où il organise des jeux mortels pour ses invités. James Bond (Roger Moore) a donc un adversaire de taille, et Christopher Lee est impeccable, comme toujours. Terriblement daté, le film réserve quelques rares moments de folie douce, comme cette évasion de Scaramanga à bord d’une AMC Pacer transformée en avion privé, façon Fantômas période Jean Marais-Louis de Funès !
ci-dessus : le docteur Catheter (Christopher Lee), dans Gremlins 2, a-t-il trouvé plus dangereux et plus fou que lui ? … La réponse est oui !
- les comédies : avec son background d’ancien élève d’Eton, son service militaire aux renseignements de la RAF, ses origines aristocratiques et ses rôles précédents, on a du mal à imaginer Christopher Lee en acteur de comédie. Il fallait pourtant avoir une sacré dose d’humour et d’autodérision pour participer à des comédies aussi barrées que le 1941 de Steven Spielberg (1979) et le Gremlins 2 (1990) de Joe Dante. Lee restait d’un sérieux absolu, contrepoint idéal au délire ambiant. Dans 1941, il est le Capitaine von Kleinschmidt, fier Nazi de la Kriegsmarine, enfermé dans le sous-marin réformé du Commandant Mitamura (le samouraï attitré des films de Kurosawa : Toshirô Mifune) et son équipage japonais complètement égaré au large de la Californie. Ils ont manqué l’attaque de Pearl Harbour, et cherchent une autre cible à détruire, pour l’honneur : Hollywood ! Von Kleinschmidt, exaspéré, a beau leur expliquer que « Hollywood est à l’intérieur des terres », rien n’y fait : on ne critique pas les fiers guerriers de l’Empire du Soleil Levant. Le Nazi forcément arrogant finira expédié par-dessus bord pour avoir contesté l’autorité de son allié… Lee fait une belle démonstration de ses talents polyglottes en parlant allemand, sans faute, durant tout le film. Son numéro de duettiste avec Mifune est irrésistible, notamment durant une mémorable scène d’interrogatoire aux dépens du bûcheron alcoolique joué par Slim Pickens, échappé de Docteur Folamour…
Avec Gremlins 2, Joe Dante, féru de films de monstres s’il en est, s’amuse comme un petit fou en donnant au très respectable comédien un rôle de savant fou atrabilaire : Lee est le vil docteur Catheter, généticien, expérimentateur et collectionneur de maladies mortelles, régnant sur un laboratoire complètement dingue. Le distingué acteur britannique joue le jeu à fond, se promenant en tenant sous son bras une cosse géante du film L’Invasion des Profanateurs de Sépultures. Le méchant docteur séquestre le pauvre petit Gizmo, prêt à disséquer celui-ci avec délectation… Notre gentil Mogwai s’évade, mais les choses vont forcément mal tourner, et les Gremlins envahissent le laboratoire. Grâce aux sérums du docteur, ils vont subir des métamorphoses délirantes à souhait (dont un Gremlin transsexuel !). Christopher Lee s’amuse comme un petit fou à surjouer le méchant savant. Voir son entrée en scène où il est manifestement contrarié par une erreur de livraison médicale : « Ah, ce doit être ma malaria… Hmm. La rage. Mais je l’avais déjà, la rage ! ». Ou cette déclaration très ironique, en plein chaos : « Je jure de ne plus faire le mal à qui que ce soit ! ». Vœu pieu, avant de périr foudroyé par le Gremlin électrique…
- Chez Tim Burton… : après une décennie plutôt discrète, Sir Christopher Lee fit à nouveau des réapparitions fréquentes sur grand écran, dans des productions de prestige. Fan des films Hammer et des grands acteurs du genre depuis son enfance, Tim Burton n’allait pas manquer l’occasion de faire tourner un de ses héros d’enfance. Christopher Lee rejoignit donc la troupe d’acteurs réguliers du cinéaste à partir de Sleepy Hollow, où il était un magistrat quelque peu sadique et obscurantiste, envoyant Ichabod Crane (Johnny Depp) enquêter sur les meurtres commis par le Cavalier Fantôme. Lee revint dans cinq autres films de Tim Burton : dans Charlie et la Chocolaterie, il fut le papa de Willy Wonka (Depp), dentiste obsessionnel, vieux grincheux, mais finalement bien triste d’être séparé de son fils ; dans Corpse Bride (Les Noces Funèbres), il prêta sa voix au Pasteur intolérant, cherchant à marier en vain le jeune Victor (Depp again) ; son rôle dans Sweeney Todd fut coupé au montage, pour raisons de timing – il devait jouer un spectre, victime du barbier assassin (Depp, toujours) ; il fut la voix du monstrueux Jabberwocky affrontant Alice (Mia Wasikowska) dans Alice au Pays des Merveilles ; et, dans Dark Shadows, l’ancien Dracula était le vieux marin hypnotisé par le vampire Barnabas (Depp, encore…). Burton rajouta une dernière apparition de Christopher Lee dans un extrait de Dracula, diffusé à la télévision dans Frankenweenie en 2012.
ci-dessus : dans La Communauté de l’Anneau, la discussion tourne à l’aigre entre les deux plus grands sorciers de la Terre du Milieu. Même Gandalf (Ian McKellen) ne peut tenir tête à Saruman (Christopher Lee)…
- Outre Tim Burton, d’autres cinéastes de grand renom ont ramené Sir Christopher Lee sur le devant de la scène. Pas étonnant de voir notre Prince des Ténèbres incarner des vilains hautains avec le même brio, dans les deux plus fameuses sagas fantastiques de ce début de siècle. Grand admirateur de l’œuvre de J.R.R. Tolkien, au point de relire chaque année Le Seigneur des Anneaux intégralement depuis sa parution, Sir Christopher Lee mémorisait tout le « pavé » médiéval-fantastique de l’auteur britannique, dont ses poèmes et langages multiples. Notamment le Noir Parler du Mordor, dont il livra une impeccable démonstration dans les bonus DVD de la trilogie du Seigneur des Anneaux. Si Christopher Lee se serait bien vu incarner Gandalf, il accepta quand même avec plaisir l’offre de Peter Jackson d’incarner Saruman le Blanc. Choix judicieux, car, avec son allure et sa voix si imposantes, Lee fut parfait dans la peau du magicien dévoyé, trahissant ses alliés pour tenter de faire jeu égal avec le maléfique Sauron… Il donna au personnage le parfait mélange d’orgueil, de sagesse pervertie et de ruse appropriée. Avec ses sortilèges, ses oiseaux espions, son agent double attitré et ses terribles Uruk-Hais, Saruman reste un adversaire de taille face à Gandalf (Ian McKellen) et les héros de la saga, notamment dans le second volet, Les Deux Tours. Jackson lui réservera, dans la Version Longue du Retour du Roi, un châtiment digne de sa trahison : une chute mortelle pour finir empalé tel Dracula et noyé par ses machines. Lee fera un come-back plaisant dans la « prélogie » du Hobbit, le temps de quelques scènes dans Un Voyage Inattendu et La Bataille des Cinq Armées. Très âgé et ne pouvant se déplacer en Nouvelle-Zélande, l’acteur fut filmé en Angleterre et intégré aux scènes tournées par Ian McKellen, Cate Blanchett et Hugo Weaving. Saruman n’avait pas encore basculé dans le Côté Obscur, mais affichait déjà un certain orgueil (« laissez-moi m’occuper de Sauron…« ) et une aversion pour l’hygiène douteuse de ses confrères magiciens !
D’une saga à une autre, n’oublions pas que Sir Christopher Lee, en même temps qu’il complotait à l’écran en Terre du Milieu, faisait de même dans une galaxie lointaine, très lointaine… Apparu en 2002 dans L’Attaque des Clones, second volet de la « prélogie » Star Wars, Lee fut un autre beau vilain : le distingué Comte Dooku, alias Darth Tyrannus, ancien Jedi dissident converti aux ténèbres par le fourbe Palpatine (Ian McDiarmid), futur Empereur… Un personnage ambigu, prônant la sédition envers la République pour mieux l’affaiblir. Dooku fut un autre beau méchant incarné par l’acteur, toujours gentleman et distingué, même lorsqu’il affronte les Jedis les plus puissants de l’univers. Il mutile Anakin (Hayden Christensen), blesse Obi-Wan (Ewan McGregor) avant de se lancer dans un duel épique contre Maître Yoda en personne ! Dooku finira pourtant victime de ses ambitions, proprement décapité trois ans plus tard dans La Revanche des Sith par un Anakin de plus en plus instable… Lee rejoignait ainsi, avec 25 ans de décalage, son défunt ami Peter Cushing au rang des méchants les plus marquants de la saga Star Wars. Loin de ces trépidantes aventures fantastiques, signalons que Lee joua aussi chez Martin Scorsese un élégant libraire parisien, Monsieur Labisse, dans le très beau Hugo Cabret (2011).
Voilà, j’ai terminé ma revue des meilleurs souvenirs liés à Christopher Lee, citant une filmographie très incomplète. Il sera toujours temps de redécouvrir d’autres titres que je n’ai pas vus, comme The Wicker Man (1973) de Robin Hardy, où il incarnait le chef d’un culte païen perpétuant les sacrifices humains dans un géant de paille… Petite anecdote pour finir : le soir où j’ai appris son décès sur le Net, le tonnerre a grondé et la foudre s’est abattu. C’est ce qui s’appelle réussir sa sortie, sir !
Et la lumière d’Eärendil s’éteignit… Le chef opérateur et caméraman australien Andrew Lesnie s’est éteint prématurément le 27 avril dernier, victime d’une crise cardiaque à l’âge de 59 ans. Un bien triste jour pour les amoureux des sagas adaptées de J.R.R. Tolkien, puisque Lesnie fut « l’œil » (moins incendiaire et beaucoup plus affûté que celui de Sauron) des trilogies du Hobbit et du Seigneur des Anneaux portées à l’écran par Peter Jackson. Deux sagas monumentales qui lui auront valu un Oscar, et la reconnaissance des professionnels de son domaine. Lesnie, fort d’une expérience technique acquise notamment sur l’adaptation de Babe, l’histoire du petit cochon produite par George Miller, aura imposé sa patte dans l’univers de Peter Jackson, au point de devenir son chef-opérateur attitré sur ses autres films.
Né en 1956, Lesnie venait d’entrer à l’AFTRS (Australian Film and Television Radio School) lorsqu’il commença sa carrière professionnelle, comme assistant caméraman sur le film fantastique Patrick, de Richard Franklin, en 1978. Sitôt diplômé, Lesnie fut engagé comme caméraman pour l’émission pour enfants Simon Townsend’s Wonder World ; deux années formatrices où il put, avec un budget modeste, expérimenter diverses techniques de tournage adaptées à des lieux et des styles de tournage très différents. Son travail sur cette émission australienne alors très populaire fut apprécié, et pendant la décennie suivante, Lesnie passera du statut de caméraman à celui de chef opérateur, entre la télévision et le cinéma australiens. A partir de 1986, Lesnie enchaînera les tournages sur des films locaux restés pour la plupart inédits en France. Les choses changeront doucement en 1995, quand George Miller, le père des Mad Max, et le réalisateur Chris Noonan mettent sur pied l’adaptation du conte de Dick King-Smith, Babe. Pas évident de rendre crédible une histoire adorée des enfants, où un gentil petit cochon évite l’abattoir en devenant « chien » de berger ! Cela implique de créer l’atmosphère adéquate sur un plateau de tournage où l’essentiel des acteurs sont des animaux de basse-cour – ou leurs « doublures » animatroniques. Lesnie fut pour beaucoup dans la réussite du film, la lumière chaleureuse qu’il créa pour l’occasion donnant l’ambiance parfaite pour ce merveilleux conte filmé. George Miller apprécia tellement son travail qu’il engagea Lesnie pour la très mésestimée suite, Babe : Un Cochon dans la Ville (1998), et pour le tournage des prises de vues « live » de Happy Feet (2006). Lesnie, ensuite, remporte un AFI Award pour le film de 1997, Doing Time for Patsy Cline.

ci-dessus : avant Le Seigneur des Anneaux, le chef-opérateur Andrew Lesnie se fit connaître en créant la jolie lumière de Babe (1995). Comme un petit air de famille avec Cul-de-Sac et la Comté, non ?
En 1999, le chef opérateur australien répondit à l’appel d’un voisin néo-zélandais… Peter Jackson avait vu et apprécié Babe, dont les choix de couleurs et d’éclairage, à la fois familiers et fantastiques, étaient ce qu’il cherchait pour son nouveau film. Lesnie accepta de s’embarquer dans l’aventure de l’adaptation filmée du Seigneur des Anneaux, pour se confronter à des obstacles qui auraient fait cauchemarder n’importe lequel de ses collègues : un tournage marathon de près de deux ans en Nouvelle-Zélande, alternant entre scènes de studio et scènes en extérieurs - avec le risque permanent d’abîmer les caméras amenées dans des zones périlleuses de montagnes et de rivières… Sans compter le tournage, caméra à l’épaule, de scènes de batailles opposant des centaines de figurants ; et les défis techniques inédits, consistant à insérer des prises de vues réelles et des effets visuels inédits (les foules virtuelles gérées par le logiciel Massive, la transformation numérique d’Andy Serkis en Gollum). Et, dans ce récit fleuve, Lesnie alterna des scènes aux tonalités très différentes, afin que Jackson puisse reconstituer la Terre du Milieu imaginée par J.R.R. Tolkien. Lesnie créa des ambiances uniques et distinctes, au fil du récit. On y passe des couleurs chaudes et joyeuses du pays des Hobbits aux souterrains, putrides et claustrophobiques à souhait, de la Moria ou de Cirith Ungol, de l’atmosphère spirituelle et éthérée des contrées Elfiques (Fondcombe, Lorien) à l’ambiance médiévale plus « brute » des mondes humains (Rohan, Gondor), sans que cela ait l’air répétitif. Lesnie développa ainsi une impressionnante palette de lumières et d’ambiances variées, se montrant particulièrement à l’aise dans les moments les plus contemplatifs du récit. Son travail fut justement récompensé d’un Oscar en 2001 pour La Communauté de l’Anneau et d’un BAFTA Award en 2003 pour Le Retour du Roi. Lesnie devint de fait le chef opérateur de Jackson pour ses films suivants, King Kong (2005) et Lovely Bones (2009), avant leur retour en Terre du Milieu pour la « prélogie » du Hobbit. L’occasion pour le chef opérateur de revenir sur ses acquis, en bénéficiant de toutes nouvelles techniques : tournage et projection en numérique, avec utilisation de la stéréoscopie (la 3D). Quelques privilégiés purent voir les films du Hobbit projetés, dans des salles spécialisées, à 48 images par seconde, garantie d’une projection 3D plus fluide… mais le procédé ne plut pas à tout le monde. Peu importe, car les nouvelles aventures en Terre du Milieu permirent là encore à Lesnie de créer des plans plus détaillés, d’une beauté épique fulgurante.
L’expérience acquise sur le tournage du Seigneur des Anneaux ouvrit de nouvelles portes à Andrew Lesnie, qui travailla sur des blockbusters fantastiques nécessitant l’intégration de créatures numériques crédibles, dans des prises de vues réelles. On vit par exemple son nom aux génériques de Je suis une Légende (2007), avec Will Smith menacé dans une New York déserte par des hordes de morts-vivants (pardon, d’ »infectés »), ou de La Planète des Singes : Les Origines (2011) où il retrouva l’ami Serkis ici transformé en chimpanzé intelligent. A chaque fois, pour ces productions solides mais sans génie, Lesnie sut donner des cadrages dynamiques et des lumières appropriées, donnant une touche très concrète aux univers fantastiques décrits. La carrière de Lesnie devait malheureusement s’interrompre après le tournage du film réalisé et joué par Russell Crowe, The Water Diviner (La Promesse d’une Vie) ; le sympathique chef-opérateur australien devait succomber d’une crise cardiaque à son domicile de Sydney.
Pour avoir traîné sa drôle de trogne dans un grand nombre de films de Clint Eastwood, Geoffrey Lewis (1935-2015) méritait bien d’être mentionné dans ces pages. Un de ces éternels seconds rôles du cinoche à l’américaine que l’on a pu voir aussi bien à la télévision (de Bonanza à Docteur House, en passant par Mission Impossible, Mannix, Starsky et Hutch, Kung Fu, X-Files, Law & Order ou même Walker Texas Ranger, il semble les avoir toutes faites) que sur les grands écrans, surtout dans les années 1970-1980, Lewis était immédiatement reconnaissable à sa petite taille, ses grands yeux bleus éberlués et un physique malingre faisant de lui un candidat tout désigné pour les rôles comiques. Né à San Diego le 31 juillet 1935, Geoffrey Lewis a longtemps connu les vaches maigres en tant qu’acteur, avant de pouvoir percer, après avoir étudié les arts dramatiques sur la côte Est et à New York.
Au cinéma, il est ainsi apparu dans de nombreux seconds rôles ; citons les titres les plus notables où il est apparu. On le vit en chef de la Horde Sauvage dans Mon Nom est Personne (1973) de Tonino Valerii (et Sergio Leone), en ancien chef d’escadron de Robert Redford dans The Great Waldo Pepper (La Kermesse des Aigles, 1975) ; familier des films de John Milius (avec qui il partageait une grande passion pour les armes à feu !), il tourna avec celui-ci dans son premier film, Dillinger (1973), tenant le rôle du gangster Harry Pierpont, dans Le Lion et le Vent (1975) où il jouait le rôle du diplomate Samuel Gummere, et retrouva Milius pour son épopée télévisée Rough Riders (1997). Au cinéma, on le vit aussi aux côtés de Gene Hackman, Burt Reynolds et Liza Minnelli dans Les Aventuriers du Lucky Lady (1975), La Revanche d’un Homme nommé Cheval avec Richard Harris (1976), dans le terrifiant téléfilm de Tobe Hooper Salem’s Lot (Les Vampires de Salem, 1979), aux côtés de Steve McQueen dans son dernier western, Tom Horn (1980) ; pour Michael Cimino, il fut Fred le Trappeur, piégé par l’armée privée des barons du bétail de La Porte du Paradis (1980), où il donnait la réplique à un tout jeune Mickey Rourke ; au cours des années 1980-90, il côtoya aussi les « musculeux » de l’écran – Charles Bronson dans Le Justicier de Minuit (1982), Sylvester Stallone dans Tango et Cash (1989), Jean-Claude Van Damme dans Double Impact (1991)… Plus discret mais toujours actif par la suite, Geoffrey Lewis donna aussi la réplique à Mel Gibson dans deux films : sa première réalisation, L’Homme sans Visage (1993), et l’année suivante, dans le western comique Maverick de Richard Donner, où il était un banquier particulièrement incompétent ! Parmi la flopée de petits films qu’il tourna dans ses dernières années, signalons sa présence dans le film d’horreur The Devil’s Rejects (2005) de Rob Zombie.

ci-dessus : le finale de L’Homme des Hautes Plaines ; l’affreux Stacey Bridges (Geoffrey Lewis) terrorise ses anciens employeurs. Mais avec l’Etranger (Clint Eastwood) dans les parages, ça va fouetter…
Mais n’oublions pas qu’il fut un fidèle des films de Clint Eastwood (sept films en tout), jouant aussi bien les braves types que les tordus les plus inquiétants face à celui-ci. Lewis fut le desperado psychopathe Stacey Bridges venu régler des comptes avec L’Homme des Hautes Plaines (High Plains Drifter, 1973) ; il retrouva Clint l’année suivante dans Thunderbolt and Lightfoot (Le Canardeur) du débutant Michael Cimino, interprétant Goody, un braqueur malchanceux pendu aux basques de son colérique comparse joué par George Kennedy ; il tint le rôle du camionneur sympa Orville, meilleur ami de Philo Beddoe (Clint) et Clyde l’orang-outang dans Every Which Way But Loose (Doux, Dur et Dingue, 1978) et sa suite Any Which Way You Can (Ca va cogner, 1981) ; il fut John Arlington, coureur de dot et dindon de la farce dans Bronco Billy (1980) ; il retrouvera Eastwood dans Pink Cadillac (1989). Enfin, l’ami Clint le rappellera pour un second rôle hilarant dans son très étrange Minuit dans le Jardin du Bien et du Mal (1997) : Lewis y jouait le rôle de Luther Driggers, un brave homme un peu fêlé de la bonne ville de Savannah, ne se déplaçant jamais sans ses mouches accrochées à son veston… et dont le principal hobby semble être d’empoisonner les réserves d’eau de la ville, sans que ses voisins ne s’en offensent !
Geoffrey Lewis est décédé le 7 avril dernier, pleuré par ses proches, dont sa fille Juliette Lewis, l’actrice et chanteuse qu’on avait découvert dans Cape Fear (Les Nerfs à Vif) version Scorsese – De Niro, Tueurs Nés, Strange Days ou From Dusk Till Dawn (Une Nuit en Enfer).
Ludovic Fauchier.