LEGEND, de Brian Helgeland
Le nom des frères jumeaux Reginald « Reggie » et Ronald « Ronnie » Kray (Tom Hardy) résume à lui seul la légende criminelle du Swinging London, dans les années 1960 : braquages, rackets, extorsions, règlements de comptes sanglants, corruption de policiers et mœurs sulfureuses ayant impliqué des membres de la Chambre des Lords…
1960. Ancien boxeur, Reggie est déjà connu des services de Scotland Yard pour ses activités de petit caïd de l’East End, suivi par l’officier de Scotland Yard Leonard »Nipper » Read (Christopher Eccleston), qu’il adore narguer. Reggie parvient à faire libérer son frère jumeau de l’hôpital psychiatrique où il est interné depuis trois ans. Peu lui importe alors que Ronnie soit atteint de troubles mentaux sévères : psychopathe, schizophrène et paranoïaque, Ronnie ne cache pas son homosexualité, considérée comme un crime grave à cette époque. Et gare à celui qui ose se moquer de lui à ce sujet… Ronnie reste attaché à son frère, faisant le « muscle » dans les opérations d’extorsions et les face-à-face brutaux avec le « Gang des Tortionnaires » de Charlie Richardson (Paul Bettany), afin de contrôler les boîtes de nuit londoniennes, dont l’Esmeralda’s Barn. Reggie rencontre Frances Shea (Emily Browning), la sœur de son chauffeur Frank, et en tombe amoureux. Grâce au comptable Leslie Payne (David Thewlis), les affaires des Krays marchent plus que bien, tout comme la romance de Reggie et Frances. Mais il doit séjourner en prison pour une précédente affaire criminelle, laissant la gestion de son nouvel empire criminel à l’instable Ronnie…
Impressions :
Les films de gangsters sont un peu comme les automobiles : mieux vaut avoir affaire à des spécialistes pour avoir le bon modèle. Et Brian Helgeland en est certainement un : ce scénariste-réalisateur vétéran a déjà un joli CV à son actif, avec des titres instantanément associés à son style d’écriture, sèche, précise et rentre-dans-le-lard : les scénarii de L.A. Confidential d’après James Ellroy, Mystic River d’après Dennis Lehane, ou Man on Fire avec Denzel Washington sont tous issus de sa plume. Tout comme on lui dut Payback comme metteur en scène - malgré tout remercié par Mel Gibson durant une production troublée. Autant de grands et petits classiques de films hard boiled sur lesquels Helgeland sut imposer sa patte de connaisseur du genre. Passé à la mise en scène depuis quelques années (on lui doit aussi le très sympathique Knight’s Tale / Chevalier avec le regretté Heath Ledger, et la biopic sportive 42), Helgeland s’est approprié les livres de l’anglais John Pearson, biographe d’Ian Fleming qui consacra deux ouvrages aux frères Krays. Les « jumeaux de la violence » sont devenus des figures emblématiques, qui ont fait les unes sanglantes des nuits londoniennes. Deux personnalités antagonistes qui avaient déjà fasciné les cinéastes, le hongrois Peter Medak ayant livré en 1990 un film similaire, Les Frères Krays, écrit par Philip Ridley.
Avec une efficacité certaine, Legend (à ne pas confondre avec le film de Ridley Scott avec Tom Cruise) retrace donc la carrière criminelle de ces frangins terribles, incarnés par Tom Hardy. Le film repose sur les épaules massives du nouveau Mad Max, qui crée deux personnages n’ayant rien à envier aux autres gueules cassées, brutales et psychotiques, de sa filmographie (revoir Bronson et Warrior pour s’en convaincre). C’est impressionnant de voir l’acteur anglais passer de Reggie (le « cerveau », cultivé et « sociable ») à Ronnie (la brute paranoïaque, dévorée par sa violence innée) dans la même scène avec une facilité étonnante. Assurément, Hardy devient une star brute de décoffrage, aidée ici par les dialogues aux petits oignons de Helgeland (« Je vous raconte une blague ? C’est l’histoire d’un schizophrène qui entre dans un pub… »). Autour de lui, des têtes familières du cinéma britannique redonnent vie à l’entourage et aux rivaux des Krays, le film n’oubliant pas de donner aussi la parole à la seule femme du récit. Helgeland paie sa dette à un des grands maîtres du film noir, Billy Wilder (Sunset Boulevard) et son idée du défunt qui narre le film. Ici, c’est la très belle Emily Browning (qui a bien grandi depuis Les Orphelins Baudelaire) qui prête ses traits diaphanes et sa voix à la malheureuse principale victime des jumeaux Krays, Frances Shea.
Rien à redire sur le film lui-même, Helgeland allant droit à l’essentiel : une réalisation carrée, reconstituant la pègre londonienne et ses mœurs étranges sans fioritures. Le réalisateur capte avec justesse la relation toxique des jumeaux criminels, sorte de couple fusionnel à la Jekyll et Hyde à l’époque des sixties. Une seule entité, séparée en deux corps, où le « monstre » Ronnie finit par contaminer par sa violence et sa démence son jumeau plus « civilisé ». Du pain bénit, on l’a dit, pour Tom Hardy, raison majeure de voir ce film noir, costaud et serré comme un double café sans sucre au pub du coin.
Ludovic Fauchier.

La fiche technique :
Ecrit et réalisé par Brian Helgeland d’après le livre « The Profession of Violence / Les Jumeaux de la Violence » de John Pearson ; produit par Tim Bevan, Chris Clark, Quentin Curtis, Eric Fellner, Brian Oliver et Jane Robertson (ACE / Cross Creek Pictures / Working Title Films)
Musique : Carter Burwell ; photo : Dick Pope ; montage : Peter McNulty
Direction artistique : Patrick Rolfe ; décors : Tom Conroy ; costumes : Caroline Harris
Effets spéciaux visuels : Adam Rowland (Boundary Visual Effects / Mark Roberts Motion Control / Nvizible / Plowman Craven & Associates)
Distribution : StudioCanal
Caméras : Arri Alexa XT Plus
Durée : 2 heures 12