Archives pour la catégorie Hommage

Aux disparus de l’hiver 2016…

Bonjour, chers amis neurotypiques ! Une nouvelle fois, la fichue Grande Faucheuse s’est montrée bien active ces trois derniers mois. L’occasion de revenir rapidement sur les carrières quelques grandes figures qui ont marqué à leur façon le 7ème Art.

Malheureusement, certains noms sont absents de cette rubrique… Ce n’est pas par manque d’intérêt que je ne parle pas ici de Michel Galabru, d’Ettore Scola, Andrzej Zulawski… Seulement voilà, je ne pense pas pouvoir rendre hommage au premier, faute d’avoir vu les bons titres de sa filmographie (voilà ce qui arrive quand la télé vous fait subir Le Gendarme de Saint-Tropez plutôt que découvrir Le Juge et l’Assassin…). Quant à Ettore Scola, je n’ai malheureusement jamais vu aucun film de ce très grand maître du cinéma italien (domaine que je maîtrise moins bien que son homologue américain, hélas). Même raison pour Zulawski, le réalisateur de L’important c’est d’aimer ou Possession… J’aurai pu mentionner aussi de grands écrivains récemment disparus, dont les romans ont inspiré quelques grands classiques de l’écran – l’italien Umberto Eco, l’homme du Nom de la Rose, ou l’américaine Harper Lee dont Ne Tuez pas l’Oiseau Moqueur devint Du Silence et des Ombres (To Kill a Mockingbird)… Désolé, donc, si ces noms manquent ici à l’appel.

L.F.

 

Aux héros oubliés 2016... Ken Adam

Ken Adam nous a quittés le 10 mars 2016. Si vous ne connaissez pas le nom de cet immense architecte décorateur, son travail, lui, vous est certainement familier. Les repères des supervilains des James Bond de la grande époque Sean Connery-Roger Moore, la salle de guerre de Docteur Folamour, les immenses salons 18ème Siècle de Barry Lyndon, les manoirs du Limier ou de La Famille Addams, pour ne citer que ceux-là, tous ces décors extraordinaires sont sortis des tables à dessin de Ken Adam. Dans une profession généralement discrète, Ken Adam a pu se targuer d’être un des décorateurs les plus remarqués, l’un des rares dont le seul nom pouvait garantir à lui tout seul un gage de qualité.

Né Klaus Hugo Adam à Berlin le 5 février 1921, fils d’une logeuse et d’un ancien officier de cavalerie prussien reconverti dans la mode, le jeune homme dut quitter l’Allemagne en 1934, suite à deux catastrophes – la ruine du commerce paternel, et  l’arrivée au pouvoir d’Hitler. Les Adam étant juifs, on comprend leur empressement involontaire à quitter leur terre natale, direction l’Angleterre, où le jeune homme étudiera notamment à l’Ecole Bartlett d’Architecture. A l’entrée du pays en guerre contre l’Allemagne, Ken Adam rejoignit le Pioneer Corps, et apprendra à concevoir des abris anti-bombardements (ce qui ne manque pas de sel prophétique, quand, vingt ans plus tard environ, Stanley Kubrick lui demandera de créer le plus célèbre décor d’abri souterrain de l’histoire du Cinéma !). Il rejoignit ensuite la RAF, avec le grade de lieutenant, pilotant des chasseurs-bombardiers Hawker Typhoon durant de dangereuses missions, notamment à la Bataille de Falaise, en Normandie.

 

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Ci-dessus : les méchants de James Bond ont toujours les repères les plus classes. Démonstration : quand Goldfinger (Gert Fröbe) dévoile ses plans, c’est l’occasion pour Ken Adam de concevoir un décor plein de surprises !

 

La guerre finie, son diplôme sous le bras, Adam commencera sa carrière dans l’industrie cinématographique anglaise, comme simple dessinateur sur le film de Tim Whelan, This Was a Woman en 1948. Début d’une décennie vouée au travail sur les décors de productions de plus en plus prestigieuses, Adam passant aussi par Hollywood comme assistant décorateur sur des classiques de la période « Dernière Séance », comme Captain Horatio Hornblower (Capitaine Sans Peur, 1951) de Raoul Walsh avec Gregory Peck, ou Le Corsaire Rouge (1952) de Robert Siodmak avec Burt Lancaster. Il prit du galon avec Le Tour du Monde en 80 Jours (1956), luxueuse adaptation du roman de Jules Verne par Michael Anderson pour lequel il fut directeur artistique et (non crédité) chef décorateur. A ce poste, Adam va enchaîner les collaborations de qualité ; il signera par exemple les décors du terrifiant Night of the Demon (Rendez-vous avec la Peur, 1957), chef-d’oeuvre de trouille surnaturelle de Jacques Tourneur, travaillera sans être crédité sur les décors du mythique Ben-Hur de William Wyler (1959) ou du péplum déviant de Robert Aldrich, Sodome et Gomorrhe en 1962. 1962, l’année qui sera le début de son célèbre travail sur l’univers de l’agent secret 007, avec Dr. No de Terence Young, pour qui il conçoit les premiers décors marquants de l’univers de James Bond : salles de jeux luxueuses, intérieurs cossus du MI-6, et le repère secret du supervilain, défendu par un tank-dragon lanceur de flammes ! S’il ne fut pas en poste pour tous les James Bond suivants, Adam fut cependant l’architecte génial oeuvrant sur les décors marquants de la saga, sur sept films. On n’oubliera pas la table de torture au laser, Fort Knox et la salle de billard transformée en maquette géante pour les besoins de Goldfinger ; le yacht-forteresse blindée de Largo pour Opération Tonnerre ; la base secrète cachée dans le cratère du volcan d’On ne vit que deux fois ; l’hôtel-casino et la plateforme pétrolière armée des Diamants sont Eternels ; le supertanker engloutissant les sous-marins et la base sous-marine de L’Espion qui m’aimait, ou la station spatiale de Moonraker… sans oublier les emblématiques voitures pilotées par Sean Connery et Roger Moore, l’Aston Martin et la Lotus Esprit fournies en gadgets mortels. Aucun doute, Ken Adam fut le vrai Q de James Bond ! Il ne fut cité qu’une seule fois aux Oscars pour ses travaux de l’univers bondien (pour L’Espion qui m’aimait), malgré sa contribution unique à un véritable mythe cinématographique… En périphérie de la saga 007, Adam fut aussi le décorateur des premiers Harry Palmer avec Michael Caine : Ipcress Danger Immédiat (1965) et Mes Funérailles à Berlin (1966) avec Michael Caine, et le concepteur de la voiture loufoque de Chitty Chitty Bang Bang (1968), d’après un roman d’Ian Fleming, le père littéraire de Bond.

 

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Ci-dessus : la salle de guerre de Docteur Folamour créée par Adam pour Stanley Kubrick enferme Peter Sellers et un George C. Scott en pleine crise de parano aiguë…

 

Hors James Bond, Ken Adam est aussi surtout resté réputé pour sa contribution essentielle à deux des plus fameux films de Stanley Kubrick : Docteur Folamour (1964) et Barry Lyndon (1975). Ce fut donc Adam qui désigna et construisit le décor de la Salle de Guerre de Folamour, merveille de composition géométrique mêlant un décor triangulaire en équerre, dominant la table circulaire du président Muffley (Peter Sellers) et ses généraux tentant d’arrêter la fin du monde dans le feu nucléaire. Table sur laquelle plane une gigantesque lampe en halo de sinistre apparence, évoquant la forme des champignons atomiques. Simplicité, élégance, ironie et angoisse définissent ce décor iconique qui a souvent inspiré les réalisateurs et les films les plus divers, de Mars Attacks ! à Kingsman en passant par A.I. Intelligence Artificielle. Adam créa aussi pour le film de Kubrick les intérieurs très réalistes du bombardier piloté par Slim Pickens, dont la fameuse bombe chevauchée par ce dernier. Le sens du détail réaliste de l’ancien pilote de la RAF ne pouvait que satisfaire Kubrick, qui pourtant ne l’engagea pas pour 2001 : L’Odyssée de l’Espace. Ken Adam n’aurait pas été contre, mais, apprenant que le cinéaste travaillait en secret depuis un an avec Harry Lange, designer de la NASA, il renonça à suivre Kubrick, sentant qu’il n’aurait pas pu s’adapter aux travaux d’un autre. Ils se retrouveront une décennie plus tard, pour l’ambitieux Barry Lyndon, où l’exigence de réalisme du cinéaste sera récompensée par un travail visuel somptueux ; bénéficiant de la sublime photo de John Alcott et des costumes d’époque de Milena Canonero, Adam aidera Kubrick à livrer de sublimes tableaux vivants d’une époque révolue. Il obtiendra son premier Oscar pour le film, en 1976. Kubrick, amicalement, lui rendra visite sur le plateau du supertanker de L’Espion qui m’aimait l’année suivante, pour travailler discrètement comme éclairagiste non crédité au générique, le temps de quelques scènes ! Parmi les autres réalisations importantes de Ken Adam, signalons notamment le lycée anglais de Goodbye Mister Chips (1969) avec Peter O’Toole, le manoir labyrinthique du Limier (1972) où s’affrontent Laurence Olivier et Michael Caine devant les caméras de Joseph L. Mankiewicz, les décors de The 7% Solution (Sherlock Holmes attaque l’Orient Express, 1976) d’Herbert Ross, Agnès de Dieu (1985) de Norman Jewison, Les Valeurs de la Famille Addams (1993) de Barry Sonnenfeld, ou La Folie du Roi George de Nicholas Hytner en 1994, qui lui vaudra son second Oscar. Son dernier film fut Taking Sides – Le Cas Furtwängler (2001) avec Harvey Keitel et Stellan Skarsgard pour le cinéaste hongrois Istvan Szabo.

Naturalisé anglais depuis longtemps, Ken Adam sera dignement récompensé de l’Ordre de l’Empire Britannique et honoré du titre de chevalier pour son travail dans le milieu du cinéma, comme pour son aide aux relations entre l’Angleterre et l’Allemagne, ses deux patries. Parmi les nombreuses récompenses et citations qu’il a obtenues durant sa vie, rappelons qu’il a été récompensé de deux BAFTA Awards (pour Docteur Folamour et Ipcress Danger Immédiat), sept fois nominé pour ces mêmes BAFTA (Goldfinger, Opération Tonnerre, On ne vit que deux fois, Le Limier, Barry Lyndon, L’Espion qui m’aimait et La Folie du Roi George) et a obtenu trois nominations aux Oscars (Le Tour du Monde en 80 Jours, L’Espion qui m’aimait et Les Valeurs de la Famille Addams). Les cinéphiles les plus curieux de son travail se rendront à la Cinémathèque Allemande, à laquelle Ken Adam envoya l’intégralité de ses dessins, storyboards, souvenirs de carrière divers, y compris ses deux Oscars.

 

DAVID BOWIE AT THE CANNES FILM FESTIVAL - 1983

David Bowie est mort… C’est curieux comme cette phrase sonne mal. Le cancer contre lequel il luttait depuis 18 mois a fini par emporter un des plus grands artistes musicaux de ces dernières décennies, le 10 janvier dernier, deux jours après son 69ème anniversaire. Il fallait bien saluer ici la mémoire de Bowie, de son vrai nom David Robert Jones, qui a traversé les décennies par ses innovations musicales constantes, ses tubes (Space Oddity, Life on Mars ?, Heroes et j’en oublie) et ses extravagances de jeunesse marquées par son alter ego Ziggy Stardust, le personnage qu’il incarna sur scène durant les années glam rock. Bon… pour un béotien musical comme moi, résumer la carrière musicale de Bowie est un exercice impossible. Si je le cite dans cette rubrique, c’est surtout parce que Bowie, en plus d’être un musicien exceptionnel, a aussi donné de sa personne au Cinéma. Rien d’étonnant à ce que le 7ème Art s’intéresse à Bowie, lui qui avait composé Space Oddity en référence évidente au film de Stanley Kubrick, 2001 : L’Odyssée de l’Espace. Formé à l’art du mime, et donc du jeu dramatique, David Bowie livra d’intéressantes prestations sur grand écran, son charisme et son allure ambiguë à souhait convenant à merveille à des cinéastes originaux. Rappelons aussi, au passage, que le virus du Cinéma a rattrapé la famille de Bowie : son fils Duncan Jones, né de son premier mariage avec Angela Bowie, est devenu un réalisateur plutôt doué, à qui l’on doit les films de science-fiction Moon et Source Code.  

 

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Ci-dessus : premières minutes de L’Homme qui venait d’ailleurs. Thomas Jerome Newton arrive sur Terre, et Bowie crée son mythe.

 

Petit rappel des titres marquants de la filmographie de David Bowie : en 1976, Bowie fut L’Homme qui venait d’ailleurs (The Man Who Fell to Earth), de Nicolas Roeg. Brillante performance de la star dans le rôle de Thomas Jerome Newton, un extra-terrestre arrivé sur Terre pour récupérer l’eau qui sauvera sa planète. Mais il sombrera dans la paranoïa (alimentée par les manipulations de la CIA), l’alcoolisme et la claustration. Il sera récompensé du Saturn Award du Meilleur Acteur, pour un rôle qui fait plus qu’écho à sa propre situation et ses angoisses de star planétaire. On reverra Bowie dans Gigolo (Just a Gigolo, 1979), de David Hemmings ; un film raté, où sa présence fait toutefois sensation, face à une autre icône faisant son ultime apparition, Marlene Dietrich. Après une apparition dans son propre rôle dans Moi, Christiane F., droguée, prostituée, d’Uli Edel, on retrouvera un Bowie en pleine forme sur les écrans en 1983. On se souvient de son face-à-face avec Ryuichi Sakamoto dans Merry Christmas Mr. Lawrence (Furyo), de Nagisa Oshima ; il y tenait le rôle du Major Jack « Strafer » Celliers, prisonnier durant la 2ème Guerre Mondiale du Capitaine Yonoi (Sakamoto). Très inspiré par Le Pont de la Rivière Kwaï, le film d’Oshima en fait une relecture délibérément ambiguë, la relation victime-bourreau entre le prisonnier et son tortionnaire se teintant de fascination et d’attirance sadomasochiste. Si le film est quelque peu figé, l’étrangeté de Bowie fait merveille. On le vit ensuite en amant vampire de Catherine Deneuve dans The Hunger (Les Prédateurs), premier film de Tony Scott. Bowie y est quelque peu éclipsé, malgré quelques scènes intéressantes, par les effets esthétisants dont Scott abusait. On le préfèrera en tueur à gages moustachu et inquiétant, dans Into the Night (Série Noire pour une Nuit Blanche, 1985), de John Landis. Un curieux mélange de comédie et de film noir, où le réalisateur des Blues Brothers lui offre un excellent rôle de vilain terrorisant la douce Michelle Pfeiffer. Après un rôle important dans la comédie musicale Absolute Beginners, de Julian Temple, David Bowie sera la tête d’affiche du Labyrinthe de Jim Henson. Un film culte ou un ratage en règle ? Les avis divergent… Cette production de George Lucas réalisée par le père du Muppets Show, écrite par le Monty Python Terry Jones, est un mélange d’heroic fantasy surréaliste et de comédie musicale qui fit un flop au box-office ; Bowie, entouré de marionnettes et attifé d’un postiche terriblement kitsch, terrifiait cette fois la toute jeune Jennifer Connelly.

 

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Ci-dessus : montage des scènes de David Bowie dans Le Prestige, de Cristopher Nolan. Nikola Tesla (Bowie), flanqué de son assistant (Andy « Gollum » Serkis), fait d’incroyables révélations au magicien Robert Angier (Hugh Jackman).

 

Plus discret par la suite au cinéma, Bowie fera quelques apparitions marquantes dans des seconds rôles : il fut le Ponce Pilate de Martin Scorsese dans son décrié La Dernière Tentation du Christ, en 1988 ; David Lynch lui donnera en 1992 le rôle de l’énigmatique agent du FBI Jeffries dans Twin Peaks – Fire Walk With Me, transposition de sa série télévisée ; en 1996, Bowie fut salué pour sa prestation dans Basquiat, le film de Julian Schnabel, où il tenait un rôle sur mesure, celui d’Andy Warhol. David Bowie se fendra en 2001 d’une hilarante apparition dans le déjanté Zoolander de Ben Stiller, où il joue les arbitres d’un duel de défilé opposant Stiller et Owen Wilson ; difficile de ne pas exploser de rire en voyant Bowie, d’un sérieux absolu, conclure le duel par un « dis-qualified !! » lapidaire pour Stiller, victime d’un accident de slip… Enfin, un dernier rôle mémorable en 2006, offert par un autre original, Christopher Nolan : le cinéaste des Batman / Dark Knight, d’Inception et Interstellar lui donna un rôle idéal – celui de Nikola Tesla, dans Le Prestige. Prestation parfaite de Bowie en scientifique prométhéen donnant aux magiciens antagonistes joués par Christian Bale et Hugh Jackman l’opportunité technique de créer un tour jamais vu…

 

Aux héros oubliés 2016... Alan Rickman

Par le grand marteau de Grapthar… une perte tragique que celle d’Alan Rickman, grande figure du théâtre britannique devenu, sur le tard, un visage familier du Cinéma mondial. Quelques jours après David Bowie, le cancer l’a emporté, au même âge de 69 ans. Pour le grand public, Rickman est resté dans la mémoire collective pour ses rôles de vilains particulièrement délectables, sa diction aristocratique, ses yeux plissés et son allure hautaine convenant à merveille à ce type de rôles. Rappelons qu’il a ainsi mené la vie dure à John McClane, Robin des Bois ou Harry Potter… mais on oublie un peu vite qu’il fut aussi un excellent acteur pour des rôles plus nuancés, romantiques ou comiques. Et, de toutes façons, Rickman vous corrigerait sur le fait qu’on lui donnait des rôles de méchants. « Je ne joue pas des vilains, je joue des personnages très intéressants !« , a-t-il dit un jour. Et des personnages très intéressants, sa filmographie n’en manquait pas.

 

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Ci-dessus : Die Hard premier du nom, le seul et unique ! Et le début d’un affrontement explosif entre John McClane (Bruce Willis) et le gentleman-braqueur-preneur d’otages Hans Gruber (Alan Rickman). « Yippie-kay-yeah, motherfucker… »

 

S’il s’intéressa assez vite aux arts dramatiques, Alan Rickman, londonien pur jus né le 21 février 1946 à Acton, devint acteur assez tardivement. Ce fils d’ouvrier était une « tête », passionné par les arts graphiques : diplômé de la Latymer Upper School, du Chelsea College of Art and Design et du Royal College of Art, il commença une carrière de dessinateur graphique, plutôt fructueuse, avant de se décider à apprendre le métier d’acteur. Il rejoignit la prestigieuse Royal Academy of Dramatic Art (RADA), vivier à futurs grands comédiens anglais où il apprit comme il se doit à jouer Shakespeare. Rickman sera toujours un peu chez lui à la RADA, dont il sera plus tard le Vice-président. Sa réputation et son talent monteront doucement en flèche, des années 1970 jusqu’au milieu des années 1980, essentiellement sur les planches où il s’affirmera, et à la télévision, dans les téléfilms et séries produites par la respectée BBC. En 1985, ce fut le succès : avec la Royal Shakespeare Company, Rickman joua dans l’adaptation par Christopher Hampton des Liaisons Dangereuses ; le rôle du Vicomte de Valmont lui vaudra les louanges du public, de la critique et une nomination aux Tony Awards. Il aurait logiquement dû reprendre son rôle pour la version filmée par Stephen Frears, mais ce fut John Malkovich, plus connu au cinéma, qui eut le rôle. Rickman fera son entrée en grande pompes dans le 7e Art à 41 ans, dans un tout autre genre de rôle. Il reçut le script de Die Hard (Piège de Cristal) et se demanda bien pourquoi il devrait jouer un super-vilain… Heureusement, John McTiernan sut le convaincre d’incarner Hans Gruber, le chef des preneurs d’otages-terroristes-braqueurs qui affrontent John McClane (Bruce Willis), un flic ordinaire piégé dans la plus haute tour de Los Angeles. Si le film fit de Bruce Willis une superstar, ne sous-estimons pas la performance de Rickman. Gruber a droit à une magnifique entrée en scène (inspirée par l’Orange Mécanique de Kubrick !) et s’impose comme un des plus beaux méchants du genre. Il est intelligent, cultivé, méticuleux, sarcastique (« Malheureusement pour lui, Mr. Takagi ne rejoindra pas votre petite fête… définitivement.« ) et absolument implacable. Et ses duels avec McClane / Bruce Willis sont un régal.

 

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Ci-dessus : Alan Rickman fut aussi un acteur d’une grande drôlerie. Démonstration avec ce montage de ses meilleurs moments dans Galaxy Quest !

 

Après ce départ foudroyant dans la catégorie « super-vilains », Rickman ne manquera pas de bons rôles au cinéma, dans une filmographie (sélective) qu’il faut évoquer. A l’exact opposé de Die Hard, on le retrouva dans Truly Madly Deeply d’Anthony Minghella (1991), une comédie romantique teintée de ghost story où il incarnait un revenant, aidant sa compagne (Juliet Stevenson) à faire son deuil de lui. Cette même année, il se rappela au bon souvenir du public en jouant un autre grand vilain : le très agité Shérif de Nottingham de Robin des Bois, Prince des Voleurs de Kevin Reynolds. Un des succès de l’année où, face à Kevin Costner, Morgan Freeman et leurs complices, Rickman s’amuse à en faire des tonnes et incarne un Shérif (mixe du personnage et du Prince Jean) tyrannique, capricieux comme une rock-star. Sa politique est simple : la cruauté avant tout (« Supprime les dons de nourriture aux lépreux et aux orphelins, il n’y aura plus de décapitations charitables, et annule les fêtes de Noël« ) ! Le rôle lui vaudra un BAFTA Award du Meilleur Second Rôle. Par la suite, Alan Rickman va alterner des rôles plus complexes au cinéma, laissant (pour un temps du moins) les grands méchants. On le vit par exemple dans Bob Roberts, la satire politique de Tim Robbins en 1992, en conseiller politique énigmatique du chanteur folk réactionnaire et conservateur joué par Robbins ; en 1994 dans le rôle titre de Mesmer, biopic de Roge Spottiswoode consacrée au célèbre médecin hypnotiseur ; l’année suivante, il fut P.L. O’Hara, acteur désabusé incarnant le Capitaine Crochet dans An Awfully Big Adventure de Mike Newell, face à Hugh Grant. Il retrouva ce dernier dans un des succès de l’année 1995, l’adaptation de Raisons et Sentiments par Ang Lee, écrit et interprété par Emma Thompson – avec aussi une toute jeune Kate Winslet. Rickman incarnait le Colonel Brandon, amoureux contrarié de la jeune Marianne Dashwood (Winslet) ; un rôle qui lui valut les louanges, Rickman cassant à nouveau son image de méchant pour des personnages plus nuancés. En 1996, il obtint le Golden Globe pour son interprétation dans le téléfilm Raspoutine, d’Uli Edel, et incarna au cinéma Eamon DeValera, le père politique de la République d’Irlande, dans le film de Neil Jordan, Michael Collins, avec Liam Neeson et Julia Roberts. A l’aise dans les comédies, Rickman retrouva son amie Emma Thompson dans Judas Kiss en 1998, jouant les détectives blasés, et fut Métatron, la Voix de Dieu, dans la satire de Kevin Smith, Dogma l’année suivante. Si certains doutaient encore que Rickman fut un excellent acteur comique, il suffit de le voir dans Galaxy Quest, une comédie de SF de Dean Parisot le réunissant avec Tim Allen, Sigourney Weaver, Sam Rockwell et Tony Shalhoub. Dans ce petit film se moquant gentiment du phénomène geek et particulièrement des conventions Star Trek, Rickman joue les faux Spock à merveille : il est Alexander Dane, grand acteur tragique victime de crises de panique, se maudissant d’être enfermé à vie dans le rôle du très logique extra-terrestre Docteur Lazarus. Situation encore plus difficile à vivre quand des aliens trop naïfs le prennent vraiment, lui et ses collègues has been, pour de véritables héros de l’espace…

 

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Ci-dessus : Sweeney Todd de Tim Burton. Le Juge Turpin (Rickman) s’installe, en chantant joliment, sur le siège du barbier psychopathe joué par Johnny Depp. Mauvaise idée…

 

Dans la décennie suivante, Alan Rickman sera surtout associé à un autre personnage antipathique mais pas aussi méchant qu’on le croit : pour le jeune public, il restera Severus Snape (ou Severus Rogue dans la VF), le très revêche professeur de potions de l’école Poudlard dans la saga des Harry Potter, huit films échelonnés de 2001 à 2011. Un personnage qui, dans sa première apparition dans Harry Potter à l’Ecole des Sorciers, est désigné comme le méchant de service qui déteste immédiatement le jeune Harry (Daniel Radcliffe) et ses amis… mais, dans cette saga à rallonge, le personnage va peu à peu prendre de l’envergure et être plus complexe que prévu. Au milieu d’une kyrielle de vétérans du cinéma britannique, des décors gigantesques, des effets spéciaux et des créatures à foison, Rickman reste égal à lui-même : toujours prêt à mettre beaucoup d’ironie dans son jeu et à balancer quelques répliques cinglantes à l’égard de ses pauvres élèves, mais cachant une grande noblesse de cœur derrière la méchanceté simulée de son personnage. Rickman, hors de Harry Potter, continuera d’être remarqué et apprécié dans des films très divers ; notamment Love Actually, la comédie romantique du spécialiste britannique du genre, Richard Curtis, qui le met dans un dilemme amoureux face à sa femme (Emma Thompson) et son affriolante secrétaire (Heike Makatsch). On peut aussi citer Le Parfum : Histoire d’un Meurtrier en 2006, adaptation du roman de Patrick Süsskind par Tom Tykwer, où il joue le père de la charmante Laura (Rachel Hurd-Wood), convoitée par le meurtrier Jean-Baptiste Grenouille (Ben Whishaw) pour élaborer son parfum révolutionnaire. L’année suivante, Rickman rejoignit l’univers de Tim Burton ; c’était couru d’avance, avec son allure à la Vincent Price, Alan Rickman était fait pour jouer les méchants chez le réalisateur de Sleepy Hollow. Dans Sweeney Todd : Le Diabolique Barbier de Fleet Street, il joua donc avec délices un odieux personnage, le Juge Turpin, responsable des malheurs du barbier Benjamin Barker, alias Sweeney Todd (Johnny Depp). Un honorable personnage doublé d’un hypocrite, qui viole les pauvres jeunes femmes, envoie les enfants à la potence et convoite sa pupille d’un regard bien trop visqueux… Hommage inégal aux films de la Hammer et au théâtre du Grand-Guignol, le film de Burton peut cependant compter le jeu de Rickman (qui pousse la chansonnette de sa belle voix modulée) comme un de ses meilleurs atouts. Burton apprécia Rickman qu’il le rappela au casting vocal de son film suivant, sa version discutée d’Alice au Pays des Merveilles, en 2010, pour lequel Rickman donna sa voix reconnaissable à la Chenille Absolem. La suite du film, Alice de l’autre côté du Miroir, coproduite par Tim Burton, sortira cette année et sera la dernière occasion d’entendre la voix du comédien disparu. Dans les dernières années de sa carrière, Rickman multipliera premiers rôles et seconds rôles avec le même talent. On le remarqua à nouveau en 2013 dans Le Majordome de Lee Daniels, où le distingué comédien britannique incarnait avec talent Ronald Reagan face au majordome du titre, Forest Whitaker. La dernière apparition d’Alan Rickman sera à titre posthume, l’acteur tenant un des rôles principaux du thriller Opération Eye in the Sky avec Helen Mirren, qui sortira également cette année. Pour faire le tour de cette filmographie sélective, signalons aussi que Rickman fut le scénariste et réalisateur de deux films, retrouvant pour l’occasion ses complices actrices de Raisons et Sentiments : son amie Emma Thompson qu’il dirigea dans L’Invitée de l’Hiver en 1997, et Kate Winslet, vedette d’A Little Chaos (Les Jardins du Roi) en 2014, où il jouait le Roi Louis XIV. Une belle carrière, tristement interrompue par la maladie.

Goodbye, Mr. Rickman.

 

Aux héros oubliés 2016... Douglas Slocombe

Mauvais temps pour les premiers grands chefs-opérateurs spielbergiens… Quelques semaines après Vilmos Zsigmond (voir plus bas), c’est l’anglais Douglas Slocombe qui a décédé le 22 février à Londres, peu de temps après avoir atteint l’âge vénérable de 103 ans. Plus connu pour avoir été « l’œil » des trois Indiana Jones de Steven Spielberg des années 1980, Slocombe avait déjà une longue et belle carrière bien remplie quand il s’occupa des éclairages des Aventuriers de l’Arche Perdue en 1981.

Né le 10 février 1913 à Londres, Douglas Slocombe passa cependant son enfance et sa jeunesse en France, suivant son père, correspondant de presse à Paris. Revenu en Angleterre, Slocombe, qui voulait devenir reporter photographe, devint caméraman d’actualités. Quand la 2ème Guerre Mondiale éclata, le jeune homme, engagé par le réalisateur américain Herbert Kline pour un documentaire intitulé Lights out on Europe, suivit celui-ci à Danzig pour filmer la menace nazie durant l’été 1939. Le chef opérateur anglais raconta avoir filmé un meeting de Goebbels. La caméra faisant trop de bruit, elle empêchait le chef de la propagande nazie d’haranguer ses troupes. Tout ce petit monde tourna la tête, en même temps, vers Slocombe qui dut se sentir très seul… Il filma aussi la destruction d’une synagogue, et fut temporairement arrêté par les autorités nazies. Slocombe échappa de justesse au bombardement du train dans lequel il fuyait Varsovie avec Kline, le 1er septembre 1939. Fort de ces débuts professionnels pour le moins périlleux, Slocombe rentré au pays rejoigna le Ministère de l’Information durant la guerre, filmant les convois de navires sur l’Atlantique à partir des avions de la Fleet Air Arm. Ses images d’archives serviront souvent pour compléter des longs-métrages de l’époque à la gloire de la flotte britannique (Ships with wings, For those in peril). Engagé par la suite par le réalisateur Alberto Cavalcanti pour Champagne Charlie (1944), Slocombe fera partie des fidèles techniciens des studios Ealing, dirigés par Michael Balcon. Devenu chef-opérateur, il va imprimer sa patte efficace, élégante, sur les classiques de ce studio qui fut les belles heures du cinéma anglais des années 1940-50. Notamment l’anthologie fantastique Au cœur de la Nuit (1945), mais surtout les petits bijoux de comédie de l’époque, dûs à Charles Crichton, Robert Hamer, Basil Dearden ou Alexander Mackendrick, mettant souvent en vedette le talent comique d’Alec Guinness : Kind Hearts and Coronets (Noblesse oblige, 1949), The Lavender Hill Mob (De l’Or en Barres), L’Homme au Complet Blanc (1951) ou The Titfield Thunderbolt (Tortillard pour Titfield, 1953). Après la fermeture des studios Ealing en 1955, Slocombe ne resta pas inactif. Après avoir signé la lumière de quelques films mineurs (dont le film d’épouvante culte  Le Cirque des Horreurs, 1960), Slocombe va voir son CV s’enrichir de collaborations avec de très grands cinéastes, pour des productions de tout premier plan, sur les décennies suivantes. 

 

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Ci-dessus : l’élégant travail de Douglas Slocombe pour créer l’ambiance médiévale hivernale du Lion en Hiver. Vous reconnaîtrez Peter O’Toole en Henri II, et un tout jeune Anthony Hopkins en Richard Cœur de Lion.

 

A partir des années 1960, les récompenses et nominations prestigieuses vont confirmer son statut. Citons son remarquable travail en noir et blanc sur Freud Passions Secrètes (1962) de John Huston, ou sur The Servant (1963) de Joseph Losey, qui lui vaudra son premier BAFTA Award et le prix de la meilleur photographie décerné par la British Society of Cinematographers (BSC). Parfaitement à son aise dans ces atmosphères plutôt claustrophobiques, le noir et blanc renforçant la dimension onirique de ces drames, Slocombe était tout aussi à l’aise avec les grands espaces en format 2.35 et les couleurs vives : voir par exemple Cyclone à la Jamaïque, film de pirates de 1965 réalisé par Alexander Mackendrick ; les films de guerre de John Guillermin Les Canons de Batasi (1964, seconde nomination aux BAFTA Awards) et The Blue Max (Le Crépuscule des Aigles, 1966, troisième nomination aux BAFTA) ; The Fearless Vampire Killers (Le Bal des Vampires) de Roman Polanski, pastichant le style des films Hammer avec un sens de l’espace et de la couleur inégalés ; l’atmosphère hivernale médiévale à souhait du Lion en Hiver en 1968 (sa quatrième nomination aux BAFTA, et un second prix de la BSC) ; la comédie caper movie classique avec Michael Caine, The Italian Job (L’Or se barre) de Peter Collinson ; en 1970, Music Lovers, biographie de la vie tourmentée de Tchaïkovski, pour le très baroque Ken Russell ; La Guerre de Murphy (1971) de Peter Yates. 1972 marquera la première nomination de Slocombe aux Oscars (ainsi qu’une cinquième nomination aux BAFTA) pour sa collaboration avec le vétéran George Cukor, mettant en valeur l’excentrique Maggie Smith dans la comédie Voyage avec ma tante. L’année suivante, Slocombe signera la photographie de la comédie musicale de Norman Jewison, Jésus Christ Superstar – sa sixième nomination aux BAFTA, et son troisième prix décerné par la BSC. Slocombe et Jewison travailleront à nouveau ensemble en 1975 pour le film de science-fiction Rollerball. 1974 sera surtout pour Slocombe l’année de The Great Gatsby (Gatsby le Magnifique) mis en scène par Jack Clayton. Encore un superbe travail de la part du chef opérateur, récompensé d’un second BAFTA Award et d’un quatrième prix de la BSC. Pour Fred Zinnemann, Douglas Slocombe créera la lumière du très beau Julia (1977), avec Jane Fonda et Vanessa Redgrave. Une lumière automnale, délicate et impressionniste à souhait, baigne ce film pour lequel Slocombe obtiendra son troisième BAFTA, un cinquième prix de la BSC et sa seconde nomination aux Oscars ! 1977 marquera aussi sa première collaboration avec Steven Spielberg, avec Rencontres du TroisièmeType. Si Vilmos Zsigmond fut le principal chef opérateur, le tournage à rallonge du film nécessita l’aide d’autres collègues prestigieux pour les scènes additionnelles – dont Slocombe, qui se chargera de la séquence hindoue, baignant dans des mouvements de foule et des couleurs dignes des meilleurs David Lean.

 

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Ci-dessus : Indiana Jones et le Temple Maudit, l’apogée de la carrière de Douglas Slocombe. Indy (Harrison Ford) à la rescousse des enfants esclaves, avec Willie (Kate Capshaw) et Short Round (Jonathan Ke Huy Quan)… Noter les splendides éclairages de Slocombe sur le héros prêt à en découdre avec les Thugs ! 

 

La collaboration avec Steven Spielberg sera bien sûr le point d’orgue de la carrière du vétéran Slocombe, qui, à 68 ans, s’embarqua dans la Grande Aventure… Les Aventuriers de l’Arche Perdue, en 1981, sera sa troisième nomination à l’Oscar et sa dixième aux BAFTA. Le style visuel de Slocombe fait feu de tout bois en illustrant les premières aventures d’Indiana Jones (Harrison Ford) : un dosage habile entre le réalisme et le fantastique, des éclairages aussi habiles à recréer l’ambiance des films noirs (la séquence de la taverne de Marion), le grand spectacle à la David Lean (le site des fouilles), que les ambiances plus cauchemardesques (la fosse aux serpents, le grand finale apocalyptique). Le tout servi dans un format Scope de toute beauté, et les touches de couleur omniprésentes, dominées par les lueurs dorées de la mythique Arche de l’Alliance ; le résultat final est splendidement servi par Slocombe, qui sert une ambiance « ligne claire » idéale pour le récit concocté par Spielberg et George Lucas. Après un petit détour chez James Bond (Jamais Plus Jamais, 1983, remake officieux d’Opération Tonnerre avec Sean Connery, hors des productions officielles) utilisant les mêmes techniques, Slocombe remit le couvert pour Indiana Jones et le Temple Maudit en 1984. On reprend les mêmes principes visuels que L’Arche Perdue… et Slocombe se surpassera ! Le Temple Maudit est certainement le plus beau film de la saga, Slocombe jouant sur les contrastes de couleurs saturées à l’extrême, marquées par la robe rouge et or de Kate Capshaw, le smoking blanc d’Harrison Ford, et les couleurs rouge et noir associées au culte de Kali. Slocombe utilisera un maximum de lumières directes, signant un des plans les plus épiques de la série : l’image d’Indy surgissant dans les mines pour sauver les enfants, magnifié par un double effet de lumière (fumée blanche derrière lui, phare du wagon braqué sur lui), reste un pur moment « badass » magnifié par le travail de Slocombe. Sa onzième nomination aux BAFTA et sa sixième aux prix de la BSC. Cinq ans plus tard, après quelques films mineurs, Douglas Slocombe terminera sa carrière avec le troisième volet, Indiana Jones et la Dernière Croisade, le plus drôle de la série (merci Harrison Ford et Sean Connery), mais un poil en-dessous des canons esthétiques de la série. La Dernière Croisade reste un poil trop prudent, visuellement parlant, se contentant de rester sur les acquis « Ligne Claire » de la saga. Quelques scènes, toujours joliment éclairées par le chef opérateur, marquent quand même les mémoires : la traversée des catacombes vénitiennes, la découverte des faux Graals, et la scène la plus marquante de toutes, l’autodafé nazi à Berlin, avec Hitler qui signe un autographe à Indy sans le reconnaître ! Baignant dans des lumières très contrastées, éclairée par un sinistre bûcher de livres, la scène prouve une fois encore l’habileté de Slocombe à signer des mouvements de foule, et constituera pour lui un joli pied de nez à l’Histoire, cinquante ans après une pénible journée à Danzig… 

Il devra malheureusement prendre sa retraite avec cette dernière épopée, souffrant de problèmes de vue qui le laisseront quasiment aveugle. Malgré tout, il acceptera de répondre à des interviews pour des making-of, pour le livre Conversations with Cinematographers en 2011, ainsi qu’à plusieurs documentaires sur l’invasion de la Pologne et l’histoire du Cinéma britannique. Il reçut plusieurs distinctions honorifiques, notamment un prix spécial pour sa carrière remis par la BSC en 1995, ainsi que le titre d’Officier de l’Ordre de l’Empire Britannique en 2008. Joli palmarès et sacré beau travail, pour un grand chef opérateur qui n’utilisait jamais de posemètre, appareil pourtant indispensable à ses collègues pour mesurer la quantité de lumière nécessaire à une prise de vues !

 

Aux héros oubliés 2016... Vilmos Zsigmond

Le Cinéma a perdu un autre maître de la lumière : le chef opérateur Vilmos Zsigmond, décédé à 85 ans le 1er janvier dernier à Big Sur en Californie. Hongrois naturalisé américain, il a été l’un des meilleurs directeurs de la photographie du grand cinéma américain, enchaînant les tournages depuis le début des années soixante jusqu’à nos jours. Sa patte, reconnaissable par sa maîtrise originale des basses lumières, a marqué un beau nombre de classiques à partir des années 1970. Né à Szeged en Hongrie le 16 juin 1930, Zsigmond fut un étudiant assidu de l’Académie de Budapest pour devenir très tôt opérateur caméraman. Lorsque les Soviétiques envahirent son pays en 1956, lui et son camarade d’études Laszlo Kovacs (lui-même futur directeur de la photographie renommé d’Easy Rider, Shampoo ou S.O.S. Fantômes) filmèrent la répression avant de fuir en Autriche. Les deux amis rejoignirent ensuite les Etats-Unis, où ils furent naturalisés.

 

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Ci-dessus : l’enlèvement du petit Barry (Cary Guffey) sous les yeux de sa mère (Melinda Dillon) dans Rencontres du Troisième Type. Un fantastique jeu de lumières angoissantes et colorées créées par Vilmos Zsigmond pour Steven Spielberg.

 

S’ensuivra pour Zsigmond quelques années de vaches maigres, où il travaillera en Californie sur des séries Z d’horreur à tout petit budget (avec des titres aussi joyeux que Blood of Ghastly Horror ou  Satan’s Sadists…). Professionnel jusqu’au bout de la caméra, doté d’un solide sens de l’humour, le talentueux Zsigmond verra sa carrière décoller vers des projets plus ambitieux, grâce à son travail avec Robert Altman. Zsigmond donnera à son film McCabe & Mrs Miller (John McCabe) un look assez détonnant pour un western : basses lumières, contrastes réduits, palette de couleurs réduite, donnant l’impression que le film baigne dans la gadoue et les feuilles mortes. Un aspect cru au possible, qui lui vaudra des louanges unanimes. Le CV de Zsigmond va ensuite parler de lui-même : on trouve dans sa filmographie des titres comme Images et The Long Goodbye / Le Privé pour Robert Altman, Délivrance de John Boorman, L’Epouvantail de Jerry Schatzberg, Obsession, Blow Out, Le Bûcher des Vanités et Le Dahlia Noir de Brian DePalma, Sugarland Express et Rencontres du Troisième Type (qui lui vaudra son seul Oscar de la Meilleure Photo) de Steven Spielberg, The Deer Hunter / Voyage au bout de l’Enfer (un BAFTA Award) et La Porte du Paradis de Michael Cimino, The Rose et La Rivière de Mark Rydell, Les Sorcières d’Eastwick de George Miller, Maverick de Richard Donner, Crossing Guard de Sean Penn, Ghost & The Darkness / L’Ombre et la Proie de Stephen Hopkins, Melinda et Melinda, Le Rêve de Cassandre et Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu de Woody Allen… Que du très bon travail à chaque fois ! Revoir Délivrance, Rencontres du Troisième Type ou La Porte du Paradis demeure une fête pour les yeux et les sens à chaque vision…

 

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Ci-dessus : la technique du « flashage » employée par Vilmo Zsigmond donna de sublimes images pour La Porte du Paradis de Michael Cimino. La scène du bal auquel participent Kris Kristofferson, Isabelle Huppert et Jeff Bridges donne une ambiance unique à ce grand film maudit. 

 

Zsigmond était notamment un expert dans la technique du « flashage » : l’éclairage très faible de la pellicule, exposée avant le tournage, qui donnait cette basse lumière typique, laiteuse, de ses films. Une technique qui ne plaisait pas toujours aux cadres des studios – il fut évincé de Funny Lady en 1974 pour cette raison, les patrons du studio trouvant sa lumière trop sombre. Zsigmond dut aussi batailler ferme pour faire passer son travail sur Rencontres du Troisième Type : un vrai rêve pour un directeur de la photographie que le film de Spielberg, où la présence des OVNIS nécessitait une sacrée dépense de lumière ! Zsigmond contourna ainsi le problème de l’apparence des extra-terrestres en « irradiant » leurs jeunes interprètes de lumière blanche, réfléchie par d’immenses miroirs réfléchissants. A l’image, les enfants grimés en aliens devenaient crédibles, désincarnés par une lueur surnaturelle de toute beauté. Un exemple parmi tant d’autres de l’ingéniosité technique et artistique de Vilmos Zsigmond, devenu dans ses dernières années un membre distingué de la prestigieuse American Society of Cinematographers. 

 

Ludovic Fauchier. Un dernier rappel, Mr. Bowie ?

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Aux disparus de l’été 2015…

Bonjour, chers amis neurotypiques ! Avec la fin de l’été 2015, la traditionnelle rubrique « hommage » de ce blog s’enrichit hélas des noms de quelques personnalités du 7ème Art qui ont forgé la mémoire des cinéphiles. Le temps m’a hélas manqué au passage pour signaler la disparition de Wes Craven, le père des Griffes de la Nuit (et donc géniteur du tristement célèbre Freddy Krueger) et de Scream, et l’un des plus éminents représentants du cinéma d’horreur US ayant émergé dans les années 1970-1980. On va s’attarder ici sur deux autres noms bien familiers de nos mémoires, et qui nous ont hélas quittés cet été.

 

Aux héros oubliés 2015... James Horner

Le compositeur James Horner s’est tué dans un accident aux commandes de son hélicoptère, le 22 juin dernier. Coup dur pour une génération de « BOFophiles » compulsifs qui ont reconnu son style symphonique au détour de nombreux films, depuis le début des années 1980 jusqu’à aujourd’hui. Véritable stakhanoviste et continuateur de la grande tradition symphonique hollywoodienne, Horner a laissé derrière lui une filmographie conséquente, dont les titres titilleront la fibre nostalgique des spectateurs. Associé aux génériques des films de réalisateurs tels que Ron Howard, James Cameron, Mel Gibson ou Jean-Jacques Annaud, Horner a en effet signé les musiques originales de : Star Trek 2 : La Colère de Khan, Brainstorm, Wolfen, Aliens le Retour, Cocoon, Le Nom de la Rose, Fievel et le Nouveau Monde (An American Tail), Willow, Glory, Rocketeer, Jeux de Guerre (Patriot Games), Cœur de Tonnerre, Les Experts (Sneakers), Légendes d’Automne, Braveheart, Apollo 13, Titanic, Le Masque de Zorro, Deep Impact, En Pleine Tempête (The Perfect Storm), Un Homme d’Exception (A Beautiful Mind), Stalingrad (Enemy at the Gates), Troie, Le Nouveau Monde, Apocalypto, Avatar, The Amazing Spider-man et bien d’autres encore…

Fils d’immigrés juifs venus, du côté paternel, de l’ancien empire austro-hongrois, Horner avait vite trouvé sa voie en apprenant le piano dès l’âge de 5 ans. Après de fructueuses études musicales au Royal College of Music de Londres, puis en Californie, aux universités USC et UCLA, Horner travailla très jeune pour l’American Film Institute, avant de signer sa première musique de film en 1979, pour The Lady in Red, une adaptation des derniers mois de la vie du gangster John Dillinger. Le pape de la série B Roger Corman remarqua bien vite le talent du jeune compositeur. En pleine période de science-fiction Star Wars et Alien, Corman cherchait un compositeur capable, pour un faible coût et avec un petit orchestre, de donner des musiques dignes des John Williams et Jerry Goldsmith. Horner fit l’affaire, et signa des scores très influencés par les deux maestros pour ses premiers films, des séries B aux doux noms de Battle Beyond the Stars ou Humanoids from the Deep. Très vite, Horner fut remarqué et engagé sur des productions plus importantes. Très à l’aise dans le style orchestral symphonique, capable d’écrire très vite et souvent à la dernière minute des scores mémorables, Horner développa son style. Très marqué à ses débuts par Williams et Goldsmith, ainsi que par les compositeurs classiques (Prokofiev, Stravinski, Carl Orff, Wagner, Robert Schumann, Gustav Holst ou Aram Khatachturian…), Horner développera au fil des ans son propre style. Le « son Horner » se reconnaît aisément : des mélodies très fluides, élégantes, accompagnées par des chœurs féminins d’une efficacité imparable, parfois renforcées par la voix d’une soliste « angélique » (Sissel dans Titanic, Charlotte Church dans A Beautiful Mind) ; l’utilisation régulière du piano, son instrument de prédilection ; des cuivres et des percussions fracassantes, renforcées par l’utilisation d’instruments métalliques, reconnaissables dans les scènes d’action ; par la suite, de nombreux instruments de musique « folkloriques » (la cornemuse dans Braveheart, par exemple) donneront une couleur émotionnelle particulière à chaque film ; Horner, dans des films tardifs (Le Nouveau Monde ou Apocalypto) osera même rompre avec ses habitudes symphoniques hollywoodiennes pour des compositions plus audacieuses, moins mélodiques et plus imprégnées d’environnementalisme (des chants d’oiseaux samplés, par exemple, ou des incantations en langue amérindienne). 

D’une écoute très agréable (ses thèmes romantiques sont imparables à ce niveau-là), Horner eut autant d’admirateurs que de critiques dans son milieu. Pour ces derniers, le compositeur avait quelques habitudes difficiles à rompre… Qu’il ait pastiché les grands compositeurs classiques, passe encore (tous les grands musiciens du cinéma américain ont fait de même) ; on lui a par contre reproché à plus juste titre certaines facilités, notamment le « recyclage » permanent d’un thème musical à quatre notes, emprunté à Wagner, pour illustrer le Mal / la Mort / le Destin dans des dizaines de films. Horner répondait à ces critiques que, la plupart du temps, il était tributaire des contraintes de production des films ; parfois engagé en catastrophe à la dernière minute (ce fut le cas pour Troie, à la place de Gabriel Yared qui avait pourtant signé une musique épique magnifique), il ne pouvait pas vraiment faire de miracles dans une discipline qui demande un grand temps de préparation, et qui est souvent malmenée par les contraintes permanentes des studios. On pourra aussi lui reprocher d’avoir souvent utilisé les idées des autres à ses débuts (il eut une brouille sévère avec le grand Jerry Goldsmith à ce sujet), ou de conclure certaines de ses compositions par des chansons pop pas toujours du meilleur goût - écouter Céline Dion roucouler à la fin de Titanic gâche sérieusement le plaisir du film…

Ces critiques faites, reconnaissons quand même à Horner un talent indéniable pour créer des atmosphères et des thèmes inoubliables. La nostalgie marche à fond, quand on écoute les partitions de Star Trek II, Krull, Willow, Jeux de Guerre ou Le Masque de Zorro ! Oscars et Golden Globes viendront saluer le talent de Horner, mérité pour son travail sur le mastodonte Titanic de James Cameron. Regrettons toutefois que l’Académie n’ait fait que citer Horner pour son travail monumental sur Braveheart. Un travail de longue haleine, pour ce qui est (à mes yeux) la plus belle œuvre d’Horner au cinéma : une partition épique, généreuse, brutale dans les séquences de bataille, et se fendant d’un bel hommage au Spartacus d’Alex North… le tout baignant dans une ambiance celtique à souhait, magnifiant la bravoure de William Wallace (Mel Gibson) et ses écossais face aux vils britanniques ! Après un break de trois années, Horner venait de finir la très jolie musique du Dernier Loup de Jean-Jacques Annaud, et de deux films non encore sortis, The 33 et Southpaw. Outre les deux Oscars (meilleure musique et meilleure chanson) remportés pour Titanic, Horner fut nommé à 8 reprises : pour Aliens le Retour, Fievel et le Nouveau Monde, Field of Dreams (Jusqu’au bout du rêve), Braveheart, Apollo 13, Un Homme d’Exception, House of Sand and Fog et Avatar.

 

Voici pour finir ma petite « playlist » de mes morceaux favoris d’Horner :

 

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The Sneakers theme, tiré du film Sneakers (Les Experts), sympathique thriller avec Robert Redford et un groupe de joyeux hackers. L’écoute de ce titre très agréable est agrémenté par les mélodies d’un piano jazzy et le saxophone de Branford Marsalis.

 

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« Freedom » The Execution / Bannockburn, de Braveheart. A chef-d’œuvre épique médiéval, BO adaptée ! Difficile de préférer un morceau à un autre dans cette musique, où triomphent cornemuse, flûte celtique, tambours de guerre et chorales célestes… Par défaut, j’ai sélectionné la musique des toutes dernières scènes du film. On met un genou à terre et on remercie Mr. Horner. « Ils peuvent prendre nos vies, mais jamais ils n’auront NOTRE LIBERTE !« 

 

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« Take Her to Sea, Mr. Murdoch », de Titanic. O.K., c’était un peu facile, et sans doute, à force de l’avoir entendu mille fois, la musique du film de James Cameron n’a plus son impact initial. Reste que cette partition respire l’optimisme conquérant, la grande aventure de la jeunesse « king of the world » de Leonardo, et l’air du grand large. Une certaine innocence bienheureuse, avant l’approche de l’iceberg fatal.

 

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The Fencing Lesson, du Masque de Zorro. Du très sympathique film d’aventures old school avec Antonio Banderas, James Horner, très en forme à la fin des années 1990, a tiré une musique au même niveau. Encore une partition généreuse, baignant dans l’esprit flamenco ! Cette musique, en particulier, respire la malice et la complicité pour les amoureux du plus cool des héros de cape et d’épée.

 

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A Kaleidoscope of Mathematics, d’A Beautiful Mind (Un Homme d’Exception). Plus feutrée, plus émotionnelle sans faire dans le sentimentalisme, cette musique d’Horner nous plonge directement dans l’esprit du génie autiste et schizophrène campé par Russell Crowe. La voix de Charlotte Church nous guide, et Horner fait une belle démonstration de sa capacité à créer des plages mélodiques obsédantes.

 

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The Games and Escape, d’Apocalypto. Difficile de choisir un titre spécifique dans une musique très « atmosphérique », prouvant que, dans ses dernières années, Horner savait mêler l’orchestral et l’expérimental. Au programme : percussions et incantations tribales mayas, imparables et déroutantes, pour une des scènes les plus barbares du film de Mel Gibson.

 

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War, d’Avatar. Que l’on aime ou pas le dernier opus de James Cameron, la musique d’Horner constitue une sacrée expérience à l’écoute. C’est comme si le compositeur, qui a eu largement le temps de se préparer, avait rassemblé le meilleur des différentes époques de son style. Une claque magistrale de douze minutes !

 

Aux héros oubliés 2015... Omar Sharif

Un gros pincement au cœur, avec l’annonce du décès d’Omar Sharif le 10 juillet dernier au Caire, à l’âge de 83 ans. Citer son nom évoque bien évidemment le souvenir ému des deux rôles qu’il joua pour David Lean, et qui le rendirent immortel dans la mémoire collective : Cherif Ali Ibn El Kharish, fier prince bédouin et fidèle ami de Lawrence d’Arabie, et Youri, l’éternel Docteur Jivago rêveur et contemplatif, amoureux éperdu de la belle Lara… Lean était connu pour ne pas apprécier la compagnie des acteurs, mais considérait Sharif différemment. Un privilège que l’acteur sut saisir, s’imposant en une scène mythique de Lawrence. Difficile de ne pas se sentir aussi intimidé qu’O'Toole face à ce seigneur du désert qui pourrait l’abattre en un instant, après avoir tué son guide. La silhouette de Sharif n’est d’abord qu’un simple point à l’horizon, les trots de sa monture se répercutant à l’infini. Les deux hommes se jugent et se toisent, bien avant de s’apprécier. Et Sharif de réussir ainsi une des plus belles entrées en scène de cinéma. Un vrai fauve. Le comédien, avec son regard perçant, sa stature de gentleman et son allure raffinée (sans oublier cette superbe moustache !), venait de se faire connaître immédiatement du grand public occidental, pour qui il semblait toujours être une sorte de grand prince affable et courtois.

 

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Ci-dessus : la fameuse entrée en scène d’Omar Sharif, dans Lawrence d’Arabie. Lawrence (Peter O’Toole) rencontre Cherif Ali (Sharif) devant un puits objet de toutes les convoitises…

 

Son vrai nom était Michel Demitri Chalhoub, né le 10 avril 1932, à Alexandrie, dans une famille d’immigrés libanais catholiques grecs. Egyptien d’adoption et d’éducation, cet ancien diplômé de l’Université du Caire, et ancien élève de la RADA de Londres (comme Peter O’Toole !) commença sa carrière dans le cinéma égyptien, alors florissant, sous l’égide de Youssef Chahine. Le grand cinéaste égyptien l’engagea pour des petits rôles dans les films Ciel d’Enfer et Le Démon du Désert. Michel Chalhoub se convertit à l’Islam pour épouser sa partenaire à l’écran, Faten Hamama, et devint Omar El Sharif, « l’Homme Noble » , un titre qui lui conviendrait fort bien ! Ils eurent un fils, Tarek (qui jouait Youri enfant dans Docteur Jivago) avant de divorcer des années plus tard.

Omar Sharif n’était donc pas un débutant quand Lean l’engagea dans Lawrence d’Arabie. Il était déjà une superstar en Egypte depuis la sortie du film de Youssef Chahine, Les Eaux Noires, en 1956. En Europe, on le connaissait grâce à Goha (1958) de Jacques Barratier, où il croisait une débutante nommée Claudia Cardinale. Quoi qu’il en soit, Lean eut du flair en le recrutant. Dire que Chérif Ali faillit être joué par Alain Delon, puis Maurice Ronet… Le cinéaste anglais se dit, finalement, qu’un acteur musulman serait peut-être une bonne idée pour jouer le rôle du fier seigneur bédouin. Bonne intuition, Sharif devint une star mondiale, débordant de charisme et formant une amitié attachante avec O’Toole, sur l’écran comme dans la vie. Il obtint deux Golden Globes fort mérités pour Lawrence, et Lean l’apprécia tellement qu’il décida vite d’en  faire le Docteur Jivago. Un choix parfois discuté à l’époque, mais qui s’avèrera payant. Sharif donna au poète médecin traversant les horreurs de la Révolution russe une dignité mélancolique bienvenue, formant un des plus beaux couples romantiques avec Julie Christie. Une prestation difficile cependant, Youri Jivago restant un personnage passif au fil du récit, autour duquel gravitent les autres personnages, mais le comédien fit un sans faute, tirant le meilleur de son regard tantôt rêveur, tantôt triste, et fut récompensé d’un Golden Globe du Meilleur Acteur.

Sans doute le reste de la filmographie d’Omar Sharif souffrira parfois d’être éclipsé par les deux chefs-d’œuvre de Lean, et l’acteur sembla souvent avoir été cantonné aux rôles « exotiques », au point de voir sa carrière décliner. Célèbre amateur de courses hippiques et joueur de bridge de classe mondiale, Omar Sharif apparut dans des films de qualité diverse, mais dans lesquels il restera irréprochable. Voici quelques-uns de ses autres films les plus célèbres :

La Chute de l’Empire Romain, d’Anthony Mann, où il campe, une fois n’est pas coutume, un méchant, le Prince Soamès, promis à la belle Sophia Loren.

La Nuit des Généraux, d’Anatole Litvak, où il rase sa moustache pour incarner un officier de la Wehrmacht enquêtant sur des meurtres en série commis par un supérieur psychopathe… joué par son vieil ami Peter O’Toole !

Funny Girl, la comédie musicale de William Wyler, où il jouait Nick Arnstein, mari de l’actrice-chanteuse Fanny Brice (Barbra Streisand)… un rôle de gangster juif qui lui valut des ennuis dans le monde arabe. Sharif et Streisand jouèrent dans la suite, Funny Lady, sept ans plus tard.

Le Casse, d’Henri Verneuil, où il incarnait un policier grec tenace face à « Bébel », avec en prime une fameuse course-poursuite dans les rues d’Athènes. Verneuil lui confiera le rôle de son père dans ses films autobiographiques Mayrig et 588 Rue Paradis

La Vallée Perdue, de James Clavell, où il campe un intellectuel affrontant Michael Caine, et sa bande de mercenaires ravageant l’Allemagne durant la Guerre de Trente Ans, au 17ème Siècle.

Juggernaut (Terreur sur le Britannic) de Richard Lester, face à Richard Harris et Anthony Hopkins, où il commande un navire de ligne menacé en haute mer.

The Tamarind Seed de Blake Edwards, avec Julie Andrews, un film d’espionnage et de romance où il campait un séduisant attaché militaire soviétique. Le titre français du film est Top Secret… à ne pas confondre avec Top Secret ! des Zucker-Abrahams-Zucker… dans lequel il fait une apparition parodique de son propre rôle du film d’Edwards. Sharif s’est aussi autoparodié dans Quand la Panthère Rose s’emmêle du même Edwards – il  y jouait avec malice un James Bond égyptien… confondu avec l’Inspecteur Clouseau (Peter Sellers) !

 

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Ci-dessus : Omar Sharif, dans Monsieur Ibrahim et les Fleurs du Coran.

Plus discret au cinéma après des rôles moins marquants, Omar Sharif ne pouvait manquer, avec l’âgé, d’évoquer sur l’écran le souvenir de David Lean et de Lawrence d’Arabie… on le revit avec plaisir incarner des cheikhs vieillissants ou de sages arabes : comme dans Mountains of the Moon (Aux sources du Nil) de Bob Rafelson, Le 13e Guerrier de John McTiernan, ou Hidalgo de Joe Johnston. Mais on se souvint surtout du rôle-titre de Monsieur Ibrahim et les Fleurs du Coran, de François Dupeyron. Une émouvante histoire où Sharif jouait un épicier turc prenant sous son aile un jeune garçon juif déboussolé par la perte de ses parents. Très touchante prestation d’Omar Sharif, qui obtint le César du Meilleur Acteur et le Prix du Meilleur Acteur au Festival de Venise. La toute dernière apparition au cinéma d’Omar Sharif se fit en 2013, dans Rock the Casbah de Leila Marrakchi. Ce ne sont que quelques-uns des titres les plus connus de la filmographie de ce très grand monsieur, malheureusement atteint de la maladie d’Alzheimer et emporté par un arrêt cardiaque cet été.

Adieu, Chérif Ali, adieu Youri… et Monsieur Ibrahim.

 

Ludovic Fauchier.

Aux disparus du printemps 2015…

Bonjour, chers amis neurotypiques ! La traditionnelle et hélas régulière rubrique hommage de ce blog salue ici trois personnalités du 7ème Art, disparues ce printemps 2015. Dure saison pour les amoureux des sagas de Tolkien, et du plus grand des Vampires…

 

Aux héros oubliés 2015... Christopher Lee

A tout saigneur, tout honneur ! Aborder la biographie de Sir Christopher Lee (1922-2015) n’est pas simple du tout… Essayer de résumer en quelques paragraphes la carrière du comédien britannique tient de la mission impossible. De ses débuts à la télévision britannique en 1946, à son ultime rôle (ce sera dans Angels in Notting Hill, tourné l’an dernier), Sir Christopher (né Christopher Frank Lee Carrandini) a totalisé, selon le site ImdB, 278 rôles sur tous les supports - films, séries et doublages inclus ! Devant une carrière aussi démesurée, le bloggeur cinéphile abdique d’entrée. Plutôt que de citer tous ses rôles, il préfèrera se souvenir des prestations les plus marquantes de l’acteur. A l’annonce de son décès survenu le 7 juin dernier, quelques jours après son 93ème anniversaire, les fantasticophiles du monde entier auront versé une petite larme en souvenir de celui qui incarna le Comte Dracula pour le studio anglais Hammer Films. Immédiatement reconnaissable à sa haute taille (1 mètre 92), ses yeux ténébreux, sa voix de basse si impressionnante et son allure aristocratique innée (sa mère était une comtesse italienne), Christopher Lee a marqué des générations de cinéphile via une carrière riche en personnages maléfiques, auxquels il donna sa prestance naturelle, ainsi qu’un certain sens de l’humour pince-sans-rire. Reconnu comme un véritable gentilhomme dans la vraie vie, cet ancien élève du distingue Eton College aura créé toute une galerie de vilains mémorables – mais aussi des personnages bien plus sympathiques !

Petite plongée dans ma dvdthèque personnelle et dans mes souvenirs, pour citer quelques-uns des grands moments de la longue carrière cinéma de Sir Christopher Lee :

- apparitions dans les années 1950, avant Dracula… : dans Captain Horatio Hornblower (Capitaine sans peur, 1951) de Raoul Walsh, et dans Le Corsaire Rouge (1952), de Robert Siodmak, Christopher Lee tenait des petits rôles d’officiers de marine, menaçant aussi bien Gregory Peck que Burt Lancaster. On le reconnaît facilement à sa grande taille, parmi les figurants qu’il dépasse d’une tête ! On le retrouve aussi dans Amère Victoire de Nicholas Ray (1957), en sous-officier combattant aux côtés de Richard Burton en Afrique du Nord, durant la 2ème Guerre Mondiale. Lee joua aussi des petits rôles chez Michael Powell : exubérant cafetier argentin assistant à La Bataille du Rio de la Plata (1956) et officier nazi menaçant les héros britanniques en mission dans I’ll meet you by moonlight (Intelligence Service, 1957).

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ci-dessus : Dracula, dans les différents films interprétés par Christopher Lee, ou l’art et la manière d’emmener les femmes au pieu ! (Dracula, pieu ? Vous avez compris ? oui, bon…)

- la période Hammer, qui le consacra star de l’Epouvante, des années 1950 à 1970, aux côtés de son ami Peter Cushing. Frankenstein s’est échappé (1957), très libre adaptation du roman de Mary Shelley par Terence Fisher, fut son premier rôle dans le genre. Lee y incarnait une créature ravagée, muette, très différente du monstre joué par Boris Karloff, mais c’est surtout le docteur Frankenstein interprété par Cushing qui avait la vedette. Une courte scène du film fut utilisée par Stanley Kubrick pour Lolita. Christopher Lee affronta Peter Cushing l’année suivante, pour le fameux Dracula, dépoussiérant l’image du comte vampire. Pour la première fois à l’écran, Dracula fut nettement sexualisé par rapport à la sage version de Bela Lugosi chez Universal. Le comte plongeait voluptueusement ses crocs sanglants dans le décolleté de ses charmantes victimes, plus séduites qu’effrayées ! La scène finale marqua les esprits, avec la décomposition du vampire exposé à la lumière par son ennemi, Van Helsing. Devenu superstar du genre, Lee fut la figure de proue du petit studio anglais. Il incarnera (et parodiera parfois) Dracula dans plusieurs autres films, le plus réussi étant Le Cauchemar de Dracula (1966), toujours de Fisher, avec une scène de résurrection plutôt gore pour l’époque : le valet de Dracula égorgeait une victime inconsciente, suspendue au-dessus de la tombe du vampire, arrosée de sang… Citons aussi La Malédiction des Pharaons (1959), où Lee incarnait Kharis, la momie d’un prêtre égyptien maudit, nouvelle variation sur le classique La Momie avec Karloff. Chez la Hammer, Christopher Lee combattit aussi parfois pour les forces du Bien : dans The Devil Rides Out ou The Devil’s Bride (Les Vierges de Satan, 1968), il est le Duc de Richleau, aristocrate occultiste luttant contre une secte sataniste implantée dans la bonne société anglaise des années 1930. Lee est impeccable dans ce petit classique écrit par Richard Matheson, l’auteur de Je suis une Légende, Duel et L’Homme qui rétrécit.

- le cinéma fantastique italien : polyglotte, parlant italien (sa langue maternelle), Christopher Lee joua aussi dans des films fantastiques transalpins, très gothiques et baroques, où son imposante silhouette dominait l’ensemble du casting. On le vit ainsi en domestique inquiétant dans La Vierge de Nuremberg, d’Antonio Margheriti. Mais c’est surtout dans Le Corps et le Fouet (1963), de Mario Bava, qu’il s’illustra. Une histoire de vengeance d’outre-tombe où il jouait un baron revenu d’entre les morts pour punir sa belle-soeur et ex-maîtresse jouée par Dahlia Lavi. Un film fantastique ouvertement sadomasochiste où Sir Christopher s’en donnait à cœur joie dans le maniement du fouet !

- Sherlock Holmes : Christopher Lee est maintes fois entré dans l’univers du fameux détective écrit par Arthur Conan Doyle, au gré de diverses adaptations. Durant ses années Hammer, on le vit par exemple dans l’excellente version du Chien des Baskerville (1959) due à Terence Fisher ; il y était le noble Sir Henry Baskerville, menacé par une terrifiante malédiction, demandant l’aide du grand détective interprété par le fidèle camarade Peter Cushing. En 1970, il fut engagé par le grand Billy Wilder pour jouer cette fois Mycroft Holmes, le frère aîné du détective campé par Robert Stephens dans La Vie Privée de Sherlock Holmes. Il donne à Mycroft un mélange d’amabilité courtoise et de duplicité, pour ce frère très protecteur qui est aussi le chef des services secrets britanniques via le Diogène Club : il « couvre » ici un curieux complot destiné à confondre des espions étrangers, en se servant de la légende du Monstre du Loch Ness, pour fabriquer un sous-marin expérimental ! Enfin, Sir Christopher Lee joua Sherlock Holmes lui-même, dans des téléfilms d’honnête facture à la fin des années 1980. Curieusement, cet habitué des rôles de grands méchants ne joua jamais l’ennemi absolu de Holmes, le Professeur Moriarty…

- James Bond : cousin éloigné (et occasionnel partenaire de golf) de Ian Fleming, vétéran du Foreign Office qui inventa le personnage de 007, Sir Christopher Lee devait forcément affronter ce dernier sur grand écran. Il manqua de peu d’incarner le Docteur Julius No face à Sean Connery dans le tout premier film de la saga, mais put enfin croiser le fer avec l’agent secret britannique dans L’Homme au Pistolet d’Or (1974), un Bond hélas assez poussif dû à Guy Hamilton. Il fut un mémorable méchant : Francisco Scaramanga, le tueur professionnel le plus réputé au monde, tellement sûr de lui qu’il envoie des menaces de mort à Bond dans les bureaux du MI-6 (l’agent secret le moins secret au monde, donc, puisqu’on connaît son adresse…) ! Un méchant pourvu de trois tétons (signe de virilité) qui mène grand train de vie aux côtés de sa maîtresse et d’un horripilant majordome-tueur nain, dans son île privée au large de Macao, où il organise des jeux mortels pour ses invités. James Bond (Roger Moore) a donc un adversaire de taille, et Christopher Lee est impeccable, comme toujours. Terriblement daté, le film réserve quelques rares moments de folie douce, comme cette évasion de Scaramanga à bord d’une AMC Pacer transformée en avion privé, façon Fantômas période Jean Marais-Louis de Funès !

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ci-dessus : le docteur Catheter (Christopher Lee), dans Gremlins 2, a-t-il trouvé plus dangereux et plus fou que lui ? … La réponse est oui !

- les comédies : avec son background d’ancien élève d’Eton, son service militaire aux renseignements de la RAF, ses origines aristocratiques et ses rôles précédents, on a du mal à imaginer Christopher Lee en acteur de comédie. Il fallait pourtant avoir une sacré dose d’humour et d’autodérision pour participer à des comédies aussi barrées que le 1941 de Steven Spielberg (1979) et le Gremlins 2 (1990) de Joe Dante. Lee restait d’un sérieux absolu, contrepoint idéal au délire ambiant. Dans 1941, il est le Capitaine von Kleinschmidt, fier Nazi de la Kriegsmarine, enfermé dans le sous-marin réformé du Commandant Mitamura (le samouraï attitré des films de Kurosawa : Toshirô Mifune) et son équipage japonais complètement égaré au large de la Californie. Ils ont manqué l’attaque de Pearl Harbour, et cherchent une autre cible à détruire, pour l’honneur : Hollywood ! Von Kleinschmidt, exaspéré, a beau leur expliquer que « Hollywood est à l’intérieur des terres », rien n’y fait : on ne critique pas les fiers guerriers de l’Empire du Soleil Levant. Le Nazi forcément arrogant finira expédié par-dessus bord pour avoir contesté l’autorité de son allié… Lee fait une belle démonstration de ses talents polyglottes en parlant allemand, sans faute, durant tout le film. Son numéro de duettiste avec Mifune est irrésistible, notamment durant une mémorable scène d’interrogatoire aux dépens du bûcheron alcoolique joué par Slim Pickens, échappé de Docteur Folamour

Avec Gremlins 2, Joe Dante, féru de films de monstres s’il en est, s’amuse comme un petit fou en donnant au très respectable comédien un rôle de savant fou atrabilaire : Lee est le vil docteur Catheter, généticien, expérimentateur et collectionneur de maladies mortelles, régnant sur un laboratoire complètement dingue. Le distingué acteur britannique joue le jeu à fond, se promenant en tenant sous son bras une cosse géante du film L’Invasion des Profanateurs de Sépultures. Le méchant docteur séquestre le pauvre petit Gizmo, prêt à disséquer celui-ci avec délectation… Notre gentil Mogwai s’évade, mais les choses vont forcément mal tourner, et les Gremlins envahissent le laboratoire. Grâce aux sérums du docteur, ils vont subir des métamorphoses délirantes à souhait (dont un Gremlin transsexuel !). Christopher Lee s’amuse comme un petit fou à surjouer le méchant savant. Voir son entrée en scène où il est manifestement contrarié par une erreur de livraison médicale : « Ah, ce doit être ma malaria… Hmm. La rage. Mais je l’avais déjà, la rage ! ». Ou cette déclaration très ironique, en plein chaos : « Je jure de ne plus faire le mal à qui que ce soit ! ». Vœu pieu, avant de périr foudroyé par le Gremlin électrique…

- Chez Tim Burton… : après une décennie plutôt discrète, Sir Christopher Lee fit à nouveau des réapparitions fréquentes sur grand écran, dans des productions de prestige. Fan des films Hammer et des grands acteurs du genre depuis son enfance, Tim Burton n’allait pas manquer l’occasion de faire tourner un de ses héros d’enfance. Christopher Lee rejoignit donc la troupe d’acteurs réguliers du cinéaste à partir de Sleepy Hollow, où il était un magistrat quelque peu sadique et obscurantiste, envoyant Ichabod Crane (Johnny Depp) enquêter sur les meurtres commis par le Cavalier Fantôme. Lee revint dans cinq autres films de Tim Burton : dans Charlie et la Chocolaterie, il fut le papa de Willy Wonka (Depp), dentiste obsessionnel, vieux grincheux, mais finalement bien triste d’être séparé de son fils ; dans Corpse Bride (Les Noces Funèbres), il prêta sa voix au Pasteur intolérant, cherchant à marier en vain le jeune Victor (Depp again) ; son rôle dans Sweeney Todd fut coupé au montage, pour raisons de timing – il devait jouer un spectre, victime du barbier assassin (Depp, toujours) ; il fut la voix du monstrueux Jabberwocky affrontant Alice (Mia Wasikowska) dans Alice au Pays des Merveilles ; et, dans Dark Shadows, l’ancien Dracula était le vieux marin hypnotisé par le vampire Barnabas (Depp, encore…). Burton rajouta une dernière apparition de Christopher Lee dans un extrait de Dracula, diffusé à la télévision dans Frankenweenie en 2012.

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ci-dessus : dans La Communauté de l’Anneau, la discussion tourne à l’aigre entre les deux plus grands sorciers de la Terre du Milieu. Même Gandalf (Ian McKellen) ne peut tenir tête à Saruman (Christopher Lee)…

- Outre Tim Burton, d’autres cinéastes de grand renom ont ramené Sir Christopher Lee sur le devant de la scène. Pas étonnant de voir notre Prince des Ténèbres incarner des vilains hautains avec le même brio, dans les deux plus fameuses sagas fantastiques de ce début de siècle. Grand admirateur de l’œuvre de J.R.R. Tolkien, au point de relire chaque année Le Seigneur des Anneaux intégralement depuis sa parution, Sir Christopher Lee mémorisait tout le « pavé » médiéval-fantastique de l’auteur britannique, dont ses poèmes et langages multiples. Notamment le Noir Parler du Mordor, dont il livra une impeccable démonstration dans les bonus DVD de la trilogie du Seigneur des Anneaux. Si Christopher Lee se serait bien vu incarner Gandalf, il accepta quand même avec plaisir l’offre de Peter Jackson d’incarner Saruman le Blanc. Choix judicieux, car, avec son allure et sa voix si imposantes, Lee fut parfait dans la peau du magicien dévoyé, trahissant ses alliés pour tenter de faire jeu égal avec le maléfique Sauron… Il donna au personnage le parfait mélange d’orgueil, de sagesse pervertie et de ruse appropriée. Avec ses sortilèges, ses oiseaux espions, son agent double attitré et ses terribles Uruk-Hais, Saruman reste un adversaire de taille face à Gandalf (Ian McKellen) et les héros de la saga, notamment dans le second volet, Les Deux Tours. Jackson lui réservera, dans la Version Longue du Retour du Roi, un châtiment digne de sa trahison : une chute mortelle pour finir empalé tel Dracula et noyé par ses machines. Lee fera un come-back plaisant dans la « prélogie » du Hobbit, le temps de quelques scènes dans Un Voyage Inattendu et La Bataille des Cinq Armées. Très âgé et ne pouvant se déplacer en Nouvelle-Zélande, l’acteur fut filmé en Angleterre et intégré aux scènes tournées par Ian McKellen, Cate Blanchett et Hugo Weaving. Saruman n’avait pas encore basculé dans le Côté Obscur, mais affichait déjà un certain orgueil (« laissez-moi m’occuper de Sauron…« ) et une aversion pour l’hygiène douteuse de ses confrères magiciens !

D’une saga à une autre, n’oublions pas que Sir Christopher Lee, en même temps qu’il complotait à l’écran en Terre du Milieu, faisait de même dans une galaxie lointaine, très lointaine… Apparu en 2002 dans L’Attaque des Clones, second volet de la « prélogie » Star Wars, Lee fut un autre beau vilain : le distingué Comte Dooku, alias Darth Tyrannus, ancien Jedi dissident converti aux ténèbres par le fourbe Palpatine (Ian McDiarmid), futur Empereur… Un personnage ambigu, prônant la sédition envers la République pour mieux l’affaiblir. Dooku fut un autre beau méchant incarné par l’acteur, toujours gentleman et distingué, même lorsqu’il affronte les Jedis les plus puissants de l’univers. Il mutile Anakin (Hayden Christensen), blesse Obi-Wan (Ewan McGregor) avant de se lancer dans un duel épique contre Maître Yoda en personne ! Dooku finira pourtant victime de ses ambitions, proprement décapité trois ans plus tard dans La Revanche des Sith par un Anakin de plus en plus instable… Lee rejoignait ainsi, avec 25 ans de décalage, son défunt ami Peter Cushing au rang des méchants les plus marquants de la saga Star Wars. Loin de ces trépidantes aventures fantastiques, signalons que Lee joua aussi chez Martin Scorsese un élégant libraire parisien, Monsieur Labisse, dans le très beau Hugo Cabret (2011).

Voilà, j’ai terminé ma revue des meilleurs souvenirs liés à Christopher Lee, citant une filmographie très incomplète. Il sera toujours temps de redécouvrir d’autres titres que je n’ai pas vus, comme The Wicker Man (1973) de Robin Hardy, où il incarnait le chef d’un culte païen perpétuant les sacrifices humains dans un géant de paille… Petite anecdote pour finir : le soir où j’ai appris son décès sur le Net, le tonnerre a grondé et la foudre s’est abattu. C’est ce qui s’appelle réussir sa sortie, sir !

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Et la lumière d’Eärendil s’éteignit… Le chef opérateur et caméraman australien Andrew Lesnie s’est éteint prématurément le 27 avril dernier, victime d’une crise cardiaque à l’âge de 59 ans. Un bien triste jour pour les amoureux des sagas adaptées de J.R.R. Tolkien, puisque Lesnie fut « l’œil » (moins incendiaire et beaucoup plus affûté que celui de Sauron) des trilogies du Hobbit et du Seigneur des Anneaux portées à l’écran par Peter Jackson. Deux sagas monumentales qui lui auront valu un Oscar, et la reconnaissance des professionnels de son domaine. Lesnie, fort d’une expérience technique acquise notamment sur l’adaptation de Babe, l’histoire du petit cochon produite par George Miller, aura imposé sa patte dans l’univers de Peter Jackson, au point de devenir son chef-opérateur attitré sur ses autres films.

Né en 1956, Lesnie venait d’entrer à l’AFTRS (Australian Film and Television Radio School) lorsqu’il commença sa carrière professionnelle, comme assistant caméraman sur le film fantastique Patrick, de Richard Franklin, en 1978. Sitôt diplômé, Lesnie fut engagé comme caméraman pour l’émission pour enfants Simon Townsend’s Wonder World ; deux années formatrices où il put, avec un budget modeste, expérimenter diverses techniques de tournage adaptées à des lieux et des styles de tournage très différents. Son travail sur cette émission australienne alors très populaire fut apprécié, et pendant la décennie suivante, Lesnie passera du statut de caméraman à celui de chef opérateur, entre la télévision et le cinéma australiens. A partir de 1986, Lesnie enchaînera les tournages sur des films locaux restés pour la plupart inédits en France. Les choses changeront doucement en 1995, quand George Miller, le père des Mad Max, et le réalisateur Chris Noonan mettent sur pied l’adaptation du conte de Dick King-Smith, Babe. Pas évident de rendre crédible une histoire adorée des enfants, où un gentil petit cochon évite l’abattoir en devenant « chien » de berger ! Cela implique de créer l’atmosphère adéquate sur un plateau de tournage où l’essentiel des acteurs sont des animaux de basse-cour – ou leurs « doublures » animatroniques. Lesnie fut pour beaucoup dans la réussite du film, la lumière chaleureuse qu’il créa pour l’occasion donnant l’ambiance parfaite pour ce merveilleux conte filmé. George Miller apprécia tellement son travail qu’il engagea Lesnie pour la très mésestimée suite, Babe : Un Cochon dans la Ville (1998), et pour le tournage des prises de vues « live » de Happy Feet (2006). Lesnie, ensuite, remporte un AFI Award pour le film de 1997, Doing Time for Patsy Cline.

 

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ci-dessus : avant Le Seigneur des Anneaux, le chef-opérateur Andrew Lesnie se fit connaître en créant la jolie lumière de Babe (1995). Comme un petit air de famille avec Cul-de-Sac et la Comté, non ?

 

En 1999, le chef opérateur australien répondit à l’appel d’un voisin néo-zélandais… Peter Jackson avait vu et apprécié Babe, dont les choix de couleurs et d’éclairage, à la fois familiers et fantastiques, étaient ce qu’il cherchait pour son nouveau film. Lesnie accepta de s’embarquer dans l’aventure de l’adaptation filmée du Seigneur des Anneaux, pour se confronter à des obstacles qui auraient fait cauchemarder n’importe lequel de ses collègues : un tournage marathon de près de deux ans en Nouvelle-Zélande, alternant entre scènes de studio et scènes en extérieurs - avec le risque permanent d’abîmer les caméras amenées dans des zones périlleuses de montagnes et de rivières… Sans compter le tournage, caméra à l’épaule, de scènes de batailles opposant des centaines de figurants ; et les défis techniques inédits, consistant à insérer des prises de vues réelles et des effets visuels inédits (les foules virtuelles gérées par le logiciel Massive, la transformation numérique d’Andy Serkis en Gollum). Et, dans ce récit fleuve, Lesnie alterna des scènes aux tonalités très différentes, afin que Jackson puisse reconstituer la Terre du Milieu imaginée par J.R.R. Tolkien. Lesnie créa des ambiances uniques et distinctes, au fil du récit. On y passe des couleurs chaudes et joyeuses du pays des Hobbits aux souterrains, putrides et claustrophobiques à souhait, de la Moria ou de Cirith Ungol, de l’atmosphère spirituelle et éthérée des contrées Elfiques (Fondcombe, Lorien) à l’ambiance médiévale plus « brute » des mondes humains (Rohan, Gondor), sans que cela ait l’air répétitif. Lesnie développa ainsi une impressionnante palette de lumières et d’ambiances variées, se montrant particulièrement à l’aise dans les moments les plus contemplatifs du récit. Son travail fut justement récompensé d’un Oscar en 2001 pour La Communauté de l’Anneau et d’un BAFTA Award en 2003 pour Le Retour du Roi. Lesnie devint de fait le chef opérateur de Jackson pour ses films suivants, King Kong (2005) et Lovely Bones (2009), avant leur retour en Terre du Milieu pour la « prélogie » du Hobbit. L’occasion pour le chef opérateur de revenir sur ses acquis, en bénéficiant de toutes nouvelles techniques : tournage et projection en numérique, avec utilisation de la stéréoscopie (la 3D). Quelques privilégiés purent voir les films du Hobbit projetés, dans des salles spécialisées, à 48 images par seconde, garantie d’une projection 3D plus fluide… mais le procédé ne plut pas à tout le monde. Peu importe, car les nouvelles aventures en Terre du Milieu permirent là encore à Lesnie de créer des plans plus détaillés, d’une beauté épique fulgurante.

L’expérience acquise sur le tournage du Seigneur des Anneaux ouvrit de nouvelles portes à Andrew Lesnie, qui travailla sur des blockbusters fantastiques nécessitant l’intégration de créatures numériques crédibles, dans des prises de vues réelles. On vit par exemple son nom aux génériques de Je suis une Légende (2007), avec Will Smith menacé dans une New York déserte par des hordes de morts-vivants (pardon, d’ »infectés »), ou de La Planète des Singes : Les Origines (2011) où il retrouva l’ami Serkis ici transformé en chimpanzé intelligent. A chaque fois, pour ces productions solides mais sans génie, Lesnie sut donner des cadrages dynamiques et des lumières appropriées, donnant une touche très concrète aux univers fantastiques décrits. La carrière de Lesnie devait malheureusement s’interrompre après le tournage du film réalisé et joué par Russell Crowe, The Water Diviner (La Promesse d’une Vie) ; le sympathique chef-opérateur australien devait succomber d’une crise cardiaque à son domicile de Sydney.

 

Aux héros oubliés 2015... Geoffrey Lewis

Pour avoir traîné sa drôle de trogne dans un grand nombre de films de Clint Eastwood, Geoffrey Lewis (1935-2015) méritait bien d’être mentionné dans ces pages. Un de ces éternels seconds rôles du cinoche à l’américaine que l’on a pu voir aussi bien à la télévision (de Bonanza à Docteur House, en passant par Mission Impossible, Mannix, Starsky et Hutch, Kung Fu, X-Files, Law & Order ou même Walker Texas Ranger, il semble les avoir toutes faites) que sur les grands écrans, surtout dans les années 1970-1980, Lewis était immédiatement reconnaissable à sa petite taille, ses grands yeux bleus éberlués et un physique malingre faisant de lui un candidat tout désigné pour les rôles comiques. Né à San Diego le 31 juillet 1935, Geoffrey Lewis a longtemps connu les vaches maigres en tant qu’acteur, avant de pouvoir percer, après avoir étudié les arts dramatiques sur la côte Est et à New York.

Au cinéma, il est ainsi apparu dans de nombreux seconds rôles ; citons les titres les plus notables où il est apparu. On le vit en chef de la Horde Sauvage dans Mon Nom est Personne (1973) de Tonino Valerii (et Sergio Leone), en ancien chef d’escadron de Robert Redford dans The Great Waldo Pepper (La Kermesse des Aigles, 1975) ; familier des films de John Milius (avec qui il partageait une grande passion pour les armes à feu !), il tourna avec celui-ci dans son premier film, Dillinger (1973), tenant le rôle du gangster Harry Pierpont, dans Le Lion et le Vent (1975) où il jouait le rôle du diplomate Samuel Gummere, et retrouva Milius pour son épopée télévisée Rough Riders (1997). Au cinéma, on le vit aussi aux côtés de Gene Hackman, Burt Reynolds et Liza Minnelli dans Les Aventuriers du Lucky Lady (1975), La Revanche d’un Homme nommé Cheval avec Richard Harris (1976), dans le terrifiant téléfilm de Tobe Hooper Salem’s Lot (Les Vampires de Salem, 1979), aux côtés de Steve McQueen dans son dernier western, Tom Horn (1980) ; pour Michael Cimino, il fut Fred le Trappeur, piégé par l’armée privée des barons du bétail de La Porte du Paradis (1980), où il donnait la réplique à un tout jeune Mickey Rourke ; au cours des années 1980-90, il côtoya aussi les « musculeux » de l’écran – Charles Bronson dans Le Justicier de Minuit (1982), Sylvester Stallone dans Tango et Cash (1989), Jean-Claude Van Damme dans Double Impact (1991)… Plus discret mais toujours actif par la suite, Geoffrey Lewis donna aussi la réplique à Mel Gibson dans deux films : sa première réalisation, L’Homme sans Visage (1993), et l’année suivante, dans le western comique Maverick de Richard Donner, où il était un banquier particulièrement incompétent ! Parmi la flopée de petits films qu’il tourna dans ses dernières années, signalons sa présence dans le film d’horreur The Devil’s Rejects (2005) de Rob Zombie.

 

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ci-dessus : le finale de L’Homme des Hautes Plaines ; l’affreux Stacey Bridges (Geoffrey Lewis) terrorise ses anciens employeurs. Mais avec l’Etranger (Clint Eastwood) dans les parages, ça va fouetter…

 

Mais n’oublions pas qu’il fut un fidèle des films de Clint Eastwood (sept films en tout), jouant aussi bien les braves types que les tordus les plus inquiétants face à celui-ci. Lewis fut le desperado psychopathe Stacey Bridges venu régler des comptes avec L’Homme des Hautes Plaines (High Plains Drifter, 1973) ; il retrouva Clint l’année suivante dans Thunderbolt and Lightfoot (Le Canardeur) du débutant Michael Cimino, interprétant Goody, un braqueur malchanceux pendu aux basques de son colérique comparse joué par George Kennedy ; il tint le rôle du camionneur sympa Orville, meilleur ami de Philo Beddoe (Clint) et Clyde l’orang-outang dans Every Which Way But Loose (Doux, Dur et Dingue, 1978) et sa suite Any Which Way You Can (Ca va cogner, 1981) ; il fut John Arlington, coureur de dot et dindon de la farce dans Bronco Billy (1980) ; il retrouvera Eastwood dans Pink Cadillac (1989). Enfin, l’ami Clint le rappellera pour un second rôle hilarant dans son très étrange Minuit dans le Jardin du Bien et du Mal (1997) : Lewis y jouait le rôle de Luther Driggers, un brave homme un peu fêlé de la bonne ville de Savannah, ne se déplaçant jamais sans ses mouches accrochées à son veston… et dont le principal hobby semble être d’empoisonner les réserves d’eau de la ville, sans que ses voisins ne s’en offensent !

Geoffrey Lewis est décédé le 7 avril dernier, pleuré par ses proches, dont sa fille Juliette Lewis, l’actrice et chanteuse qu’on avait découvert dans Cape Fear (Les Nerfs à Vif) version Scorsese – De Niro, Tueurs Nés, Strange Days ou From Dusk Till Dawn (Une Nuit en Enfer).

 

Ludovic Fauchier.

Aux disparus de l’hiver 2015…

Bonjour chers amis neurotypiques !

Nous reprenons cette rubrique hélas habituelle à chaque nouvelle saison, l’occasion de saluer une dernière fois quelques personnalités et artistes qui ont fait partie de la folle histoire du 7ème Art. En l’occurrence, une femme et un homme, décédés à une journée d’intervalle cet hiver, et dont les noms nous renvoient quelques cinquante années en arrière.

En prime, une pensée émue pour le plus logique des Vulcains qui nous a également quittés…

 

Aux héros oubliés 2015... Anita Ekberg

Anita Ekberg (1931-2015)

« Marcello ! Come here ! » Personne n’a oublié cette scène de La Dolce Vita, où le maitre Federico Fellini signait une magnifique scène de séduction féminine. Un moment purement fantasmatique où le journaliste joué par Marcello Mastroianni rejoignait dans la fontaine de Trevi la pulpeuse Sylvia, alias Anita Ekberg. Avec sa robe-fourreau noire, ses longs cheveux blonds en cascade et ses formes voluptueuses éclaboussées par les eaux, la comédienne devenait en quelques instants un fantasme vivant… avant que Fellini nous ramène à la réalité et fasse retomber la magie avec l’arrivée du petit jour. Le film de Fellini fut même occulté par le souvenir de cette scène, de même que la carrière de la comédienne d’origine suédoise, et italienne d’adoption. Avec un physique aussi pulpeux, typique des pin-ups de l’époque, la belle Anita fut surtout la vedette d’un bon nombre de séries B souvent destinées à mettre en valeur ses charmes, dans les limites convenables de l’époque, pour le plus grand bonheur des spectateurs des cinéma de quartier de l’époque ! La Dolce Vita et sa collaboration avec Fellini furent un peu l’arbre qui cachait la forêt d’une carrière souvent inégale ; mais, indéniablement, la belle sut enflammer la pellicule de ses charmes, dans n’importe quelle production.

Kerstin Anita Marianne Ekberg naquit à Malmö le 29 septembre 1931, la sixième d’une famille de huit enfants. Adolescente, la jolie jeune fille commencera une carrière de mannequin, et, sur les conseils de sa mère, s’inscrira une fois adulte dans les concours de beauté locaux, aidée en cela par un charmant visage et un physique prompt à se faire retourner les hommes sur son passage. Elue Miss Suède, elle rejoignit le concours de Miss Univers en 1951, quittant son pays natal pour les Etats-Unis. Finaliste du concours, Anita fut remarquée par les recruteurs du studio Universal, où elle fit ses débuts comme starlette. Début de la « Dolce Vita » pour la jeune suédoise qui apprit le métier de comédienne, mais préférait largement l’équitation aux cours de diction, d’art dramatique, danse et escrime… Les débuts furent modeste, Anita Ekberg faisant de la figuration en 1953, avec d’autres filles, dans The Mississipi Gambler (Le Gentilhomme du Mississipi), Deux Nigauds sur Mars avec Abbott et Costello et The Golden Blade (La Légende de l’Epée Magique) avec Rock Hudson. Les choses s’améliorèrent avec le mannequinat, les apparitions à la télévision américaine et des rôles plus conséquents dans des films de prestige. L’Allée Sanglante, avec John Wayne et Lauren Bacall, lui vaudra même de remporter le Golden Globe de la Débutante la plus prometteuse (prix partagé avec les comédiennes Victoria Shaw et Dana Wynter).

 

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Ci-dessus : exemple typique des rôles qui firent la gloire d’Anita Ekberg à ses débuts, Zarak ne resta pas dans les mémoires… mais peu importe. Anita dansait, pour vous, messieurs !

1956 fut l’année décisive pour Anita Ekberg. Outre les retombées du Golden Globe, elle devint une habituée des « unes » de la presse à potins de l’époque, pour ses innombrables liaisons avec les séducteurs de l’écran ; une liste comprenant, au fil des ans, Tyrone Power, Errol Flynn, Yul Brynner, Frank Sinatra et Rod Taylor. Anita devint aussi une icône gentiment polissonne, devenant une vraie pin-up adorée des lecteurs de magazines du style Playboy ; et elle ne se priva pas de réaliser quelques coups publicitaires tout aussi coquins, comme lorsqu’elle fit exprès d’ »exploser » le bustier de sa robe lors de son arrivée au Berkeley Hotel de Londres ! Une présence éminemment torride qui la fit remarquer du gagman, cinéaste et ancien cartooniste Frank Tashlin. Cet ancien collègue de Tex Avery (donc aussi connaisseur que lui en matière de pin-ups affriolantes) la fit jouer à deux reprises avec le duo vedette Jerry Lewis-Dean Martin, dans Artistes et Modèles, et Hollywood or bust (Un vrai cinglé de cinéma). Si « Dino » était le dragueur invétéré du duo, c’est Jerry, dans son numéro de grand dadais timide devant les filles, qui poursuivait pourtant la belle dans Un vrai cinglé de cinéma… Jerry Lewis était flanqué d’un grand danois (le chien) qui craquait pour la minuscule caniche de la belle, l’occasion pour Tashlin de faire dire à Anita Ekberg des dialogues à double sens parfaitement évidents, sur l’incompatibilité de taille de leurs toutous respectifs ! On la vit cette même année dans le luxueux casting de Guerre et Paix (1956) de King Vidor, jouant le rôle d’Helena Kuragina, aux côtés d’Henry Fonda, Audrey Hepburn, Mel Ferrer et Vittorio Gassman. Et elle eut son premier rôle féminin dans Back from Eternity (Les Echappés du Néant, 1956), un film d’aventures de John Farrow, où elle était une très sexy naufragée des airs, perdue en pleine jungle, avec Robert Ryan et Rod Steiger. Ces belles années se poursuivirent avec des productions mineures, tournées en Grande-Bretagne : le thriller Man in the Vault, et Zarak le Valeureux de Terence Young, avec Victor Mature ; un film d’aventures orientales prétexte à la belle pour livrer une scène de danse du ventre terriblement suggestive… Les productions suivantes dans lesquelles elle joua étaient du même tonneau : en 1957, Interpol (Pickup Alley) toujours avec Victor Mature, et Valerie avec Sterling Hayden et son mari d’alors, Anthony Steel ; l’année suivante, la comédie Paris Holiday (A Paris tous les deux) avec Bob Hope et Fernandel, et Screaming Mimi avec la reine du strip-tease Gypsy Rose Lee !

 

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Ci-dessus : la scène inoubliable de La Dolce Vita. Anita Ekberg, la femme fellinienne par excellence, qui rend fous Marcello Mastroianni et les spectateurs…

Anita Ekberg se fixera par la suite en Italie, et prit bientôt la nationalité de sa terre d’adoption, où on la verra trôner dans de savoureuses séries B d’aventures, tout en revenant de temps à autres tourner un film aux USA. Elle fut la Reine Zénobie (sensuellement habilllée, comme il se doit) dans le péplum franco-italo-germano-yougoslave Sous le signe de Rome, coécrit par Sergio Leone, et sorti en 1959. Ceci juste avant que Federico Fellini fit d’elle la Sylvia de La Dolce Vita… Sa présence dans le film ne s’étendait en fait qu’à une brève partie du film, long de près de 3 heures, mais qu’importe : présente sur l’affiche peinte du film, Anita Ekberg, jouant pratiquement son propre rôle, livrait une performance propre à affoler les érotomanes de la planète entière, qui auraient bien aimé alors se trouver à la place de Marcello Mastroianni, profitant d’une visite de la star à travers Rome, pour se retrouver seul avec elle dans la fameuse scène de la fontaine… avant que l’arrivée du jour et le retour d’un boyfriend jaloux ne gâchent le rêve. Un très bon souvenir pour l’actrice, qui s’entendit à merveille avec le maestro Fellini au point de revenir dans plusieurs de ses films. Signalons aussi, pour cette année 1961, un très bon rôle de la belle suédoise dans Le Dernier Train de Shanghaiet un petit classique de la série B d’aventures, Les Mongols d’André de Toth et Leopoldo Savona, avec Jack Palance. Anita Exberg retrouva Fellini en 1962, pour Les Tentations du Docteur Antoine, l’un des sketches de Boccace 70 signé des meilleurs réalisateurs italiens de l’époque (Mario Monicelli, Luchino Visconti et Vittorio De Sica). Elle rendait fou l’austère et puritain docteur obnubilé par sa présence sur une affiche incitant à boire plus de lait ! On la revit dans Seven Seas to Calais avec Rod Taylor et Terence Hill, sous la direction de Primo Zeglio et Rudolph Maté ; elle manqua de peu le rôle d’Honey Rider dans James Bond contre Dr. No, devancée par la suissesse Ursula Andress, avec qui elle joua dans le western comique de Robert Aldrich 4 du Texas, où les deux belles charment Frank Sinatra, Dean Martin et Charles Bronson.

A l’approche de la quarantaine, la carrière cinéma d’Anita Ekberg s’essoufflera inéluctablement. Peu de titres marquants après le flop de Way… Way out (Tiens bon la rampe, Jerry) où elle jouait une astronaute russe retrouvant Jerry Lewis, en 1966. On citera rapidement sa participation dans le film de Vittorio De Sica de 1967, Sept fois femme dont Shirley MacLaine tenait la vedette, et une troisième prestation chez Fellini dans Les Clowns, en 1970. Elle prit une semi-retraite forcée par la médiocrité de ses quelques films tournés dans les années 1970 - six ans entre Northeast of Seoul (1972) et des nanars du nom de Killer Nun (1978) et Gold of the Amazon Women (1979)… Heureusement, Federico Fellini ne l’oublia pas et lui offrit un bel adieu au cinéma en 1987, dans la meilleure scène, nostalgique (et un brin cruelle…) d’Intervista. Dans ce film dans le film en partie autobiographique, le maître italien et son équipe, accompagnés de Marcello Mastroianni grimé en Mandrake le Magicien, rendaient visite à la diva suédoise retirée dans sa villa. Et Fellini de montrer que le temps a passé, ses deux stars contemplant leur grande scène de La Dolce Vita, tournée un quart de siècle plus tôt… Ce fut l’avant-dernière apparition d’Anita Ekberg, avant un ultime rôle en 1996 dans Bambola, un mélo érotique espagnol de Bigas Luna. La belle qui fit fantasmer les hommes de la planète entière connaîtra une fin de vie un peu triste; alors qu’elle était hospitalisée en 2011, sa villa fut dévalisée, et incendiée. Démunie, elle dut demander  l’aide de la Fondation Fellini. Elle séjourna à la Clinique San Raffaelle de Rocca di Papa, dans sa chère cité de Rome, avant d’y décéder le 11 janvier 2015.

 

Aux héros oubliés 2015... Rod Taylor

Rod Taylor (1930-2015)

Une des gueules les plus sympathiques du « cinoche » à l’ancienne des années 1960-70 nous a quitté ce 8 janvier à Los Angeles dans sa 84ème année. Rod Taylor fut, bien avant Mel Gibson, Russell Crowe ou Hugh Jackman, l’un des tout premiers australiens à avoir percé sur le grand écran. Et bien que sa carrière cinéma ait été relativement brève, et plutôt tournée vers la série B, cet acteur à la belle gueule carrée restera associé au souvenir de plusieurs classiques, et aussi de quelques pellicules sacrément bien barrées qui lui vaudront la reconnaissance finale d’un connaisseur en la matière, Quentin Tarantino. Son apparition dans Inglourious Basterds en 2009 fut le point final d’une carrière bien remplie.

Rodney Sturt Taylor est né le 11 janvier 1930 à Lidcombe, près de Sydney ; il était le fils unique d’un artiste publicitaire également entrepreneur, et d’une écrivaine pour enfants. Le jeune Rod Taylor eut sa vocation d’acteur en découvrant un jour Sir Laurence Olivier, venu en interpréter Richard III durant une tournée internationale. Tout en gagnant sa vie à ses débuts comme artiste publicitaire, il commença à jouer au théâtre et à la radio australienne. En 1951, il joua son premier rôle dans un film, un court-métrage intitulé Inland with Sturt, reconstituant l’expédition dans l’Australie sauvage effectuée en 1829 par son arrière-arrière-grand oncle, Charles Sturt, un célèbre explorateur de l’histoire australienne. Rod Taylor y jouait le rôle de son associé, George Macleay. Membre de la troupe du Mercury Theater australien, il tourna dans ses premiers films dans son pays natal : des récits d’aventure à petit budget, la plupart du temps, comme King of the Coral Sea (1954) ou Long John Silver, suite de L’Île au Trésor, tournée par Byron Haskin, où il jouait le pirate Israel Hands. Cette même année 1954, Taylor fut récompensé pour son travail à la radio du Rola Show Australian Radio Actor of the Year, prix lui offrant un voyage professionnel à Londres en passant par Los Angeles. Il choisira de rester travailler dans la ville californienne. Ses premières apparitions seront dans l’anthologie télévisée Studio 57, et des seconds rôles au cinéma. On le vit dans le policier Hell on Frisco Bay (Colère Noire) avec Alan Ladd et Edward G. Robinson et en beau-frère d’Elizabeth Taylor et Rock Hudson dans Géant de George Stevens. A la télévision, il fut remarqué pour un épisode de la série western Cheyenne. S’il manqua de peu de reprendre le rôle du boxeur Rocky Graziano après la mort de James Dean pour Somebody Up There Likes Me (Marqué par la Haine), les cadres de la MGM apprécièrent son charme viril évident sur les bobines d’audition. Rod Taylor signa un contrat avec le studio au lion, synonyme de rôles plus conséquents au cinéma. On le vit ainsi dans le drame de Richard Brooks The Catered Affair (Le Repas de noces) avec Bette Davis, le mélodrame Raintree County (L’Arbre de Vie) avec Montgomery Clift et Elizabeth Taylor, Tables Séparées avec Rita Hayworth, David Niven, Burt Lancaster et Deborah Kerr, et Ask Any Girl (Une fille très avertie), une comédie avec Niven et Shirley MacLaine. Parmi ses nombreuses apparitions dans la télévision des fifties, Taylor fit un passage mémorable dans la première saison de l’immortelle Twilight Zone (La Quatrième Dimension), en 1959. Il tenait la vedette d’And When the Sky was Opened (Les Trois Fantômes). Une libre adaptation de l’angoissante nouvelle de Richard Matheson, Escamotage, adaptée par Rod Serling ; dans cet épisode, trois astronautes dont le Colonel Forbes (Taylor) revenaient sur Terre après avoir été porté disparus des écrans radar. Petit à petit, la paranoïa gagnait Forbes, réalisant que lui et ses coéquipiers sont peu à peu « effacés » de la réalité. Ses parents ne le reconnaissent plus, les journaux les oublient subitement, et son reflet n’apparait plus dans le miroir… Cet épisode, l’une des nombreuses réussites du show, permit à Taylor de faire valoir son talent de comédien brut de décoffrage.

 

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ci-dessus : le premier essai de La Machine à Explorer le Temps, effectué par George (Rod Taylor)… Tout le charme de la science-fiction victorienne et de l’aventure rétro !

 

Rod Taylor restera surtout associé au souvenir d’un classique de la science-fiction « à l’ancienne », The Time Machine (La Machine à explorer le Temps, 1960), très sympathique adaptation par George Pal du roman d’H.G. Wells. Bien avant Doc Brown et Marty McFly dans Retour vers le Futur, Taylor put se targuer d’être le premier grand voyageur temporel du cinéma ! Il incarnait George, inventeur enthousiaste d’une machine temporelle aux allures de traîneau de Père Noël, quittant la Londres victorienne pour découvrir les grandes avancées de l’Humanité dans les siècles suivants… Il va déchanter en découvrant les guerres mondiales (dont un conflit nucléaire global en 1966 !) et l’effondrement des civilisations, jusqu’à l’année 802 701. Sans jamais perdre sa combativité ni son optimisme foncier, George rencontrera les descendants des humains : les Eloïs, dont la ravissante Weena (Yvette Mimieux), pacifiques, doux, mais apathiques, et les Morlocks, leurs prédateurs souterrains et anthropophages… Si George Pal change largement le propos pessimiste du roman, il tire une excellente prestation de Taylor, non seulement déterminé à ramener un peu de civilisation et d’éducation (chrétienne, de préférence) dans ce futur post-apocalyptique, et touché par l’amour d’une innocente jeune femme ! Le ton, résolument premier degré, de La Machine à explorer le Temps fait tout son charme. Et l’acteur se prêtera volontiers au souvenir des anecdotes et évocations du tournage de ce petit bijou. Par la suite, Rod Taylor enchaînera les rôles à la télévision (la série Hong Kong), et au cinéma, acceptant aussi bien un second rôle dans le péplum italien La Reine des Amazones, que le doublage du gentil Pongo dans Les 101 Dalmatiens produit par Walt Disney. Après le film d’aventures italien Seven Seas to Calais, Rod Taylor reçut une proposition de premier ordre : Alfred Hitchcock cherchait le premier rôle masculin de son nouveau film. Avait-il vu l’acteur repousser les Morlocks en les aveuglant, comme James Stewart face à l’assassin de Fenêtre sur Cour ? Quoi qu’il en soit, Rod Taylor fut le séduisant avocat Mitch Brenner dans Les Oiseaux, en 1963, aux côtés de Tippi Hedren, Jessica Tandy… et surtout de centaines de volatiles bien peu accommodants envers l’espèce humaine ! Certes, les corbeaux et goélands qui assaillaient la population de Bodega Bay dans ce chef-d’oeuvre de terreur, orchestré par le maître du genre, étaient les vraies stars du film, mais Taylor n’eut pas à rougir de sa prestation. Sa présence solide et son physique rassurant, alliés à un certain sens de l’humour, aidaient autant la charmante Tippi Hedren que le spectateur à tenir bon durant les attaques aviaires de plus en plus violentes, au fil du film. L’acteur gardera un bon souvenir de sa collaboration avec Hitchcock, et évoquera, rigolard, avoir été pris pour cible quotidiennement par l’un des corbeaux dressés pour le film ! 1963 sera une bonne année pour Taylor, également présent, notamment, dans les premiers rôles d’Un Dimanche à New York de Peter Tewksbury, une comédie romantique où il séduit Jane Fonda , et le drame The V.I.Ps (Hôtel International) d’Anthony Asquith où il retrouvait Elizabeth Taylor aux côtés de Richard Burton, Louis Jourdan, Maggie Smith et Orson Welles. Citons aussi, en 1964, Fate is the Hunter (Le Crash mystérieux) où il joue un pilote responsable d’un accident d’avion, face à Glenn Ford, et 36 Heures avant le débarquement (1965) avec James Garner.

Rod Taylor remplaça au pied levé Sean Connery, initialement prévu pour jouer le rôle principal du Jeune Cassidy, autobiographie à peine déguisée de la vie du dramaturge irlandais Sean O’Casey. Ouvrier et auteur de pamphlets en 1911, Cassidy/O’casey prend conscience de son talent et de son influence sur les irlandais quand le grand W.B. Yeats (Michael Redgrave) le prend sous son aile à l’Abbey Theatre. Après une histoire malheureuse avec Daisy (Julie Christie), une prostituée, le jeune homme trouvait l’amour et l’inspiration auprès de sa compagne Nora (Maggie Smith). Excellente prestation de Rod Taylor qui aurait dû tourner sous la direction du grand John Ford ; malheureusement, le cinéaste des Raisins de la Colère, gravement malade, dut abandonner le tournage pour être remplacé par le chef opérateur Jack Cardiff. Ce dernier s’en tirera avec les honneurs, et s’entendit très bien avec Taylor, avec qui il fera d’autres films. Le registre un peu limité du comédien australien le cantonnera par la suite à des rôles d’action dans des séries B sans prétention, comme le western de Gordon Douglas Chuka le Redoutable (1967). Avec Cardiff, Rod Taylor s’illustra dans le thriller Le Liquidateur (1965) et surtout, le cultissime Dark of the Sun (Le Dernier Train du Katanga, 1968). Un film d’action particulièrement brutal où il retrouvait Yvette Mimieux ; Taylor, à la tête d’une bande de mercenaires, devait sauver des civils occidentaux torturés, violés et massacrés durant la décolonisation du Congo. Des séquences complètement folles, le film n’en manquait pas, dont un hallucinant duel à la tronçonneuse opposant Taylor à un ex-nazi (Peter Carsten). Rentrant droit dans le lard du spectateur sans le moindre complexe, Le Dernier Train du Katanga fit forte impression sur les cinéphiles, dont un fan absolu en la personne de Quentin Tarantino ! A l’extrême opposé des films d’action dont il tenait la vedette, on remarquera aussi la prestation de Rod Taylor dans Zabriskie Point (1970), de Michelangelo Antonioni. Dans ce brûlot contestataire, film-phare de la contreculture (ou pensum épouvantablement ennuyeux, selon les points de vue), Taylor incarnait Lee Allen, un entrepreneur en immobilier cherchant à acquérir les terrains désertiques où évoluent les anti-héros d’Antonioni. Un film dont la réputation doit surtout aux incidents ayant émaillé le tournage (accrochages avec des militants pro-Nixon, surveillance par le FBI alerté par des rumeurs d’orgie…), et où on repèrera rapidement un tout jeune Harrison Ford jouant les étudiants contestataires…

 

Aux héros oubliés 2015... Rod Taylor dans Inglourious Basterds

ci-dessus : l’aviez-vous reconnu dans Inglourious Basterds ? Le dernier rôle de Rod Taylor au cinéma.

La carrière cinéma de Rod Taylor déclinera aussi subitement qu’elle avait décollé. Dommage pour un acteur certes conscient de ses limites de comédien, mais qui aurait pu rivaliser avec un Sean Connery s’il avait trouvé le rôle à sa mesure. Dans les années 1970, Rod Taylor tournera de nombreuses séries B, jusqu’en Italie et en Yougoslavie, manquera de peu d’affronter Bruce Lee dans La Fureur du Dragon (son rôle reviendra à John Saxon) et croisera la route de John Wayne vieillissant dans le western Les Voleurs de Train, aux côtés d’Ann-Margret et Ben Johnson. Taylor se rabattra sagement sur les téléfilms et les séries, comme vedette (les séries western Bearcats ! en 1971 et The Oregon Trail en 1977 ; plus tard, Masquerade en 1983 et Outlaws en 1986) ou invité régulier, passant d’Arabesque à Falcon Crest pour réapparaître en 1996 aux côtés de Chuck Norris et son inénarrable Walker, Texas Ranger. Peu de choses à dire sur les rares apparitions de l’acteur dans des films de série B dans les années 1980 ; il se mit en semi-retraite dans les années 1990, mais fera quand même une apparition réussie dans le rôle de Daddy-O, une vieille crapule redneck régnant sur une petite ville du bush australien, dans Bienvenue à Woop Woop, de Stephan Elliot. Officiellement retiré des écrans, Rod Taylor aura tout de même droit à un beau cadeau d’adieu, en acceptant de faire une apparition non créditée dans l’Inglourious Basterds de Quentin Tarantino. Le réalisateur de Reservoir Dogs, pour son hommage personnel aux innombrables séries B de guerre qu’il a vu dans sa jeunesse, convaincra la star du Dernier Train du Katanga de tenir le rôle de Sir Winston Churchill, préparant « l’Opération Kino » en compagnie du général Fenech (Mike Myers) et du Lieutenant Hickox (Michael Fassbender). Opération menée avec les « Basterds » du Lieutenant Aldo Raine (Brad Pitt), afin de tuer Hitler et tous ses complices dans un cinéma ! Le vétéran australien, à 79 ans, sera un Churchill tout à fait crédible, cigare au bec, et fera donc ainsi ses adieux définitifs à l’écran, avec les honneurs. Il nous a quitté le 7 janvier dernier, quatre jours avant son 85e anniversaire.

 

Premiere Of Paramount Pictures' "Star Trek Into Darkness" - Arrivals

Le temps m’a hélas manqué pour parler aussi en détail de Leonard Nimoy (1931-2015)…

Tous les trekkies de la planète ont pleuré le 27 février 2015, date du décès du comédien. Celui qui incarna, sur près de cinquante années (séries, dessins animés et films), Monsieur Spock, officier en second de l’USS Enterprise, et personnage emblématique de l’univers Star Trek. Lié pour toujours à cette monumentale saga interstellaire, Nimoy ne s’était pas limité cependant à incarner le Vulcain rigoureux et flegmatique, grand ami de l’impétueux Capitaine Kirk (William Shatner). Sa carrière d’acteur commença bien avant, dès les années 1950 (cherchez-le en figurant déjà extraterrestre dans le serial Zombies of the Stratosphere !!), se poursuivit à la télévision (Columbo, Max la Menace, Mission Impossible où il succéda à Martin Landau, sans compter des apparitions amicales dans Les Simpsons ou Futurama…), et au cinéma (plus discret, il fut toutefois un inquiétant psychiatre sceptique dans L’Invasion des Profanateurs de Philip Kaufman en 1978). Mais ce sera toujours Star Trek qui en fit une star. Bon pied bon œil, il fut en poste dès les débuts (l’épisode pilote The Cage), donna sa voix à Spock dans la série animée des années 1970, fut de l’aventure durant les six premiers longs-métrages cinéma avec l’équipe de la série originale, de Star Trek : Le Film de Robert Wise (1979) à Star Trek VI : Terre Inconnue de Nicholas Meyer (1992). Dévoué à sa chère série spatiale, il signera d’ailleurs la mise en scène des troisième et quatrième films (Star Trek III : A la recherche de Spock, 1984, et le sympathique Star Trek IV : Retour sur Terre, 1986). Il réapparut fréquemment dans les séries dérivées, avant de faire un ultime double come-back dans les reboots récents de la saga orchestrée par J.J. Abrams. Il passait le témoin à son jeune alter ego, désormais incarné par Zachary Quinto, avant de profiter d’une retraite bien méritée.

 

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ci-dessus : souvenir de Star Trek II : La Colère de Khan (1982)… Adieu à Spock, alias Leonard Nimoy.

 

Tant de dévouement méritait bien qu’on salue ici la mémoire de Leonard Nimoy - d’autant plus que votre serviteur, avec son syndrome d’Asperger, s’est rappelé qu’il avait hérité voilà longtemps du surnom de « Spock » de la part d’un ancien camarade. J’espère qu’il se reconnaîtra, s’il lit ces lignes. Qu’il sache que tout est pardonné. 

J’ai été… et serai toujours… votre ami. Longue vie et prospérité.

 

Ludovic Fauchier

« And here’s to you… » – Mike Nichols (1931-2014), 2ème partie

Retiré des tournages mais pas inactif pour autant, Mike Nichols reprit son travail de metteur en scène à Broadway à la fin des années 1970 ; en 1977, il obtint notamment un nouveau Tony Award pour sa direction de la comédie musicale Annie. Il fut aussi le producteur exécutif de la série télévisée Family, pour la chaîne ABC. Il filma aussi en 1980 le one-man-show de l’humoriste Gilda Radner, qui fut distribué avec succès aux USA sous le titre Gilda Live.

 

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Ci-dessus : Silkwood, ou une journée de travail ordinaire à l’usine nucléaire Kerr-McGhee… Prévenue par Dolly (Cher), Karen Silkwood (Meryl Streep) voit son amie Thelma (Sudie Bond) victime des effets d’une sévère irradiation.  


Nichols, huit ans après The Fortune, reprit le chemin des studios. Ce fut un scénario d’Alice Arlen et Nora Ephron, ancienne journaliste et future scénariste-réalisatrice à succès (Quand Harry rencontre Sally, Nuits blanches à Seattle), qui retint son attention. Silkwood (Le Mystère Silkwood) racontait une histoire vraie ; Karen Silkwood, une ouvrière du secteur nucléaire, était morte à 28 ans en 1974 dans un accident de la route suspect. La jeune femme, syndiquée, enquêtait sur les conditions de sécurité suspectes de l’usine Kerr-McGhee, et avait subi de nombreuses pressions peu avant son accident fatal. Le scénario, basé sur des articles du New York Times, retraçait les derniers mois de sa vie. Pour le rôle-titre, Nichols engagea Meryl Streep, entamant ainsi une solide amitié et une grande collaboration professionnelle avec celle qui devint son actrice favorite. L’ancienne élève de Vassar et de Yale, devenue l’actrice la plus respectée du cinéma américain, sut se fondre totalement dans la peau de Karen Silkwood. Un personnage attachant et complexe : mère divorcée (mais jamais mariée !) de trois enfants, Karen Silkwood est une ouvrière compétente mais fantasque, vulnérable mais combattive, et passe d’un comportement d’ado attardée à celui d’une adulte déterminée, pendant ce beau film où Nichols, sans excès de style particulier, montrait le quotidien des ouvriers du Middle West. Le cinéaste offrit aussi des rôles inattendus à Kurt Russell et Cher, jouant respectivement les rôles de Drew, le compagnon de Karen, et Dolly, sa meilleure amie lesbienne. L’acteur favori des films de SF de John Carpenter et l’ancienne chanteuse du duo Sonny & Cher étaient aussi crédibles que Streep, formant avec elle un drôle de ménage à trois. Ils étaient parfaitement dirigés par Nichols, tout comme la solide galerie de seconds rôles, joués par des gueules familières du cinéma américain de l’époque : Craig T. Nelson, Fred Ward, Diana Scarwid, Ron Silver… Silkwood sut alerter le public sur l’emprise de l’industrie nucléaire et les sales petites combines de ses dirigeants, plus préoccupés par les profits que par la sécurité de leurs employés. Le film sut aussi très bien décrire l’isolement et la paranoïa progressive de sa protagoniste, prenant conscience des risques encourus sans être soutenue en retour. Le film marqua le retour en grâce de Nichols aux yeux de la critique, et obtint un solide succès. Nichols fut cité comme Meilleur Réalisateur, aux Oscars et aux Golden Globes.

 

Mike Nichols - Heartburn

Fidèle à ses habitudes de travail, Mike Nichols, sitôt le tournage de Silkwood terminé, revint à Broadway. Durant les deux années suivantes, il mit en scène plusieurs pièces et spectacles, toujours de grande qualité, notamment une adaptation de The Real Thing de Tom Stoppard, qui lui valut un nouveau Tony Award ; il découvrit aussi une artiste de rue nommée Whoopi Goldberg, dont il réalisa le spectacle The Spook Show, lançant ainsi la carrière de la comédienne et humoriste révélée juste après au cinéma par La Couleur Pourpre de Steven Spielberg. En 1985, Nichols retrouva Nora Ephron et Meryl Streep pour travailler à son film suivant, Heartburn (La Brûlure). Une comédie aigre-douce basée sur le roman de la scénariste, en fait une autobiographie à peine voilée de son second mariage avec Carl Bernstein, le journaliste du Washington Post qui, avec son collègue Bob Woodward, révéla l’affaire du Watergate (revoir Les Hommes du Président). L’histoire de Heartburn retraçait la rupture du couple, rebaptisé Rachel Samstat et Mark Forman, mis à mal par les infidélités permanentes du mari, qui avait une liaison avec la fille d’un Premier Ministre Britannique tandis que son épouse était enceinte de leur deuxième enfant. Pour Nichols, grand dépressif qui lui-même allait divorcer pour la troisième fois, le sujet semblait être tombé au bon moment, malheureusement Heartburn fut une déception. Jack Nicholson remplaça le moins « bankable » Mandy Patinkin (au grand dam du réalisateur), et malgré un face-à-face de qualité entre les deux superstars, le film sorti en 1986 fut vite oublié. Il faut dire que les avocats de Carl Bernstein firent planer un risque de poursuites judiciaires pour diffamation, obligeant Ephron et Nichols à arrondir les angles de leur script. Résultat, malgré de bonnes scènes de comédie, et un casting de qualité (on y trouvait Stockard Channing, Jeff Daniels, Milos Forman, Maureen Stapleton, et, dans un tout petit rôle, Kevin Spacey), Heartburn fut bien trop mou pour convaincre qui que ce soit.

 

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ci-dessus : les joies du service militaire dans Biloxi Blues. Eugene (Matthew Broderick) et ses camarades à la peine aux patrouilles, sous la férule du Sergent Toomey (Christopher Walken) !

 

Mike Nichols ne se laissait pas abattre, et, après une mauvaise année 1986, les choses s’améliorèrent. 1988 fut une année heureuse, sur le plan personnel et professionnel. Il épousa sa quatrième femme, la journaliste vedette Diane Sawyer, dont il dira qu’elle fut son seul vrai grand amour (le couple restera marié jusqu’au décès de Nichols) ; laissant de côté les mises en scène à Broadway, Nichols cofonda le New Actors Workshop à New York, dont il sera un des enseignants avec ses anciens compères de Chicago, Paul Morrison et George Sills. Au cinéma, Nichols signera deux films à la suite, cette même année. Pour le défunt studio Rastar, il adapta la pièce de Neil Simon, Biloxi Blues, une comédie basée sur les souvenirs du service militaire du futur auteur de Drôle de Couple. Eugene Morris Jérôme (Matthew Broderick), un jeune Juif de Brooklyn, aspirant écrivain, fait ses classes au fin fond du Mississipi, au camp de Biloxi. Alors que la 2ème Guerre Mondiale touche à sa fin, Eugene rencontre des camarades venus de milieux divers, devient un homme dans les charmants bras de Daisy (Penelope Ann Miller) et doit suivre les ordres du sergent instructeur Toomey (le grand Christopher Walken), le tout dans des conditions plus rocambolesques que romantiques… Du classique pour le réalisateur du Lauréat et de Catch-22, qui « emballa » professionnellement ce sympathique petit film. On notera que Nichols y abordait un thème qui va devenir récurrent dans ses futurs films : l’acceptation – difficile – de l’homosexualité au cœur de la société américaine. Un jeune bidasse, Hennessey (Michael Dolan), est ici persécuté pour ses préférences sexuelles, inconcevables pour le règlement au cœur de la Grande Muette américaine. Après le portrait attachant de Dolly, la lesbienne platoniquement amoureuse de Silkwood, Nichols aura l’occasion de développer d’autres personnages crédibles, qui le mèneront à Angels in America.

 

Mike Nichols - Working Girl

Nichols enchaîna immédiatement avec son film suivant, Working Girl. Le scénario de Kevin Wade était du pain béni pour Nichols, se plaçant ici dans la continuité des grandes comédies à la Lubitsch, Mankiewicz ou Billy Wilder ; humour, charme et élégance, servant à glisser en sous-main un commentaire très acide sur la société des années 1980. Avec l’arrivée au pouvoir de Reagan, on assista au triomphe d’un libéralisme économique effréné dont on mesure les ravages avec les années. C’était l’époque des golden boys arrogants, superficiels, cupides et machistes, ayant pris à tort le personnage de Michael Douglas dans Wall Street pour un héros (« Greed is good », souvenez-vous). Wall Street et le monde des affaires, justement, sont au centre de l’intrigue de Working Girl, une foire d’empoigne où les femmes sont encore reléguées au second rang. Tess McGill (Melanie Griffith), une ravissante secrétaire financière, refuse une « promotion canapé » et travaille pour Katharine Parker (Sigourney Weaver), une directrice administrative qui, sous ses abords amicaux, vole sans le moindre scrupule les idées que lui suggère Tess. A la suite d’un accident de ski de Katharine, Tess découvre que celle-ci s’est ainsi servie de son travail pour préparer un investissement avec un client de la première importance. La jeune femme profite de la situation pour prendre les commandes du deal et se montre bien plus compétente que sa patronne ; d’autres ennuis commencent quand elle rencontre la perle rare, Jack Trainer (Harrison Ford), un homme d’affaires séduisant, qui la respecte… et est aussi l’amant occasionnel de Katharine. Un brin perfide sous ses allures romantiques, le film suggérait que son héroïne évoluait dans le bon sens, devenait une vraie « working girl » récompensée de ses efforts… en évinçant sans pitié sa rivale. On retrouvait l’esprit d’Eve, le film de Mankiewicz avec Bette Davis. Quoi qu’il en soit, Nichols réalisa une très plaisante comédie, qui fut appréciée aussi bien de la critique que du public, celui-ci réservant à Working Girl un très beau succès au box-office. Il le doit avant tout à un casting impeccable, Nichols ayant une nouvelle fois trouvé les bonnes personnes pour les bons rôles. Le cinéaste avait de nouveau du flair, faisant ici décoller les carrières de débutants nommés Kevin Spacey (en yuppie goujat), Alec Baldwin (jouant le petit ami macho de Tess), et Joan Cusack, nominée à l’Oscar du Meilleur Second Rôle pour son personnage de bonne copine fofolle. Le trio vedette n’était pas en reste : Harrison Ford, impeccable dans un registre pince-sans-rire maladroit faisant de lui l’héritier de Gary Cooper, s’entendit très bien avec Nichols ; celui-ci offrit l’opportunité à Melanie Griffith, cantonnée alors aux rôles de bombe sexuelle (Body Double, Dangereuse sous tous rapports) de prouver qu’elle était aussi une excellente actrice de comédie, à la fois vulnérable et amusante ; et Sigourney Weaver fut irrésistible, s’amusant à jouer un mémorable personnage de méchante « boss » hypocrite et tyrannique. Les deux comédiennes furent nominées, toutes les deux, à l’Oscar de la Meilleure Actrice (1er et 2ème Rôle), et remportèrent dans ces mêmes catégories le Golden Globe. Working Girl obtint également le Golden Globe du Meilleur Film (catégorie Comédie), Nichols étant également cité au Globe du Meilleur Réalisateur.

 

Mike Nichols - Postcards from the edge

Mike Nichols et la « Star Wars connection »… après avoir dirigé Harrison Ford en héros romantique dans Working Girl, le cinéaste travailla pour son film suivant avec la Princesse Leia en personne, Carrie Fisher, passée du métier d’actrice à celui d’écrivaine et scénariste. Fille d’un chrooner volage, Eddie Fisher, et de la star des comédies musicales des années 1950-1960 Debbie Reynolds (Chantons sous la pluie), Carrie Fisher avait développé une relation compliquée avec sa célèbre maman. En dépit du triomphe de la première trilogie Star Wars qui fit d’elle une jeune star, Carrie Fisher avait vu sa carrière d’actrice stagner. Difficile de sortir de l’ombre d’une maman star, et, à l’instar de nombreux jeunes talents, Carrie Fisher avait connu de sérieux problèmes avec la drogue, dont elle fut heureusement guérie. Heureusement pour elle, étant dotée d’un sérieux sens de l’humour et d’une forte personnalité, Carrie Fisher avait su s’inspirer de ses tracas hollywoodiens en écrivant ; son roman Postcards from the Edge s’inspirait très librement de ses mésaventures et intéressa Mike Nichols, qui travailla avec elle sur le script du film, titré chez nous Bons Baisers d’Hollywood. Ce fut la troisième collaboration entre Nichols et son actrice fétiche Meryl Streep, héritant ici du rôle de Suzanne Vale, actrice « à problèmes » guérie d’une overdose, forcée de vivre sous la tutelle de sa mère Doris Mann (Shirley MacLaine), ancienne superstar des comédies musicales. Narcissique, envahissante, souvent très imbibée, Doris n’est pas un cadeau pour sa fille qui tente vaille que vaille de reprendre le travail. Du tout cuit pour la verve satirique de Nichols, qui s’en donna à cœur joie vis-à-vis de l’industrie du cinéma américain, et offrit à Meryl Streep l’occasion de révéler un sacré talent comique insoupçonné (confirmé deux ans plus tard par son rôle dans La Mort vous va si bien). Autour d’elle et de Shirley MacLaine (préférée à Debbie Reynolds, qui insistait pour jouer le rôle… Nichols tint bon et refusa poliment), le cinéaste rassemblait un solide casting regroupant Dennis Quaid en producteur infidèle, Gene Hackman en réalisateur ronchon, Richard Dreyfuss (retrouvant Nichols 23 ans après ses touts débuts dans un rôle minuscule dans Le Lauréat) en médecin compréhensif et Annette Bening, remarquée pour son personnage de jeune actrice ambitieuse. De l’avis général, le film valait surtout pour la performance comique de Meryl Streep (qui poussait joliment la chansonnette country – suivant une tradition tacite entre elle et Nichols, l’actrice chantait d’ailleurs dans chacun de leurs films !), mais perdait son intérêt à décrire la relation mère-fille, jugée un peu convenue. Le public bouda d’ailleurs Postcards from the Edge.

 

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ci-dessus : A propos d’Henry, ou un grand enfant dans une bibliothèque… Henry Turner (Harrison Ford) s’amuse aux dépens de sa fille Rachel (Mikki Allen) !

 

Peu après, Nichols retrouva Harrison Ford pour leur film suivant. L’acteur et le réalisateur s’étant particulièrement bien entendu sur le tournage de Working Girl, ils travaillèrent ensemble sur Regarding Henry (A propos d’Henry), un drame écrit par un jeune scénariste de 25 ans, complètement inconnu alors : Jeffrey Abrams (tel qu’il est cité au générique), qui n’est autre que J.J. Abrams, devenu depuis le producteur-réalisateur le plus « über-geek » d’Hollywood. Futur réalisateur de Mission : Impossible III, Super 8, des reboots de Star Trek et de l’Episode VII de Star Wars (où il a retrouvé Harrison Ford), Abrams signa alors ce scénario très éloigné de ses futurs blockbusters. A propos d’Henry racontait le retour à la vie d’Henry Turner (Ford), un avocat new-yorkais cynique et égoïste, dont la vie bascule suite à une agression. Blessé au lobe frontal, réveillé d’un coma, Henry, atteint d’amnésie rétrograde, n’est plus le même homme. Décontenancé par son entourage, il a le comportement d’un enfant ; épreuve difficile qui lui permet cependant de se rapprocher de sa femme Sarah (Annette Bening) et de leur fille Rachel (Mikki Allen). A propos d’Henry se situait quelque peu dans cette veine alors récente de films sur des « hommes enfants », initiée par le succès de films comme Big ou Rain Man. A priori, le film de Nichols aurait dû se situer dans cette même veine, d’autant plus qu’il revenait sur un autre thème favori du cinéaste : la transformation psychologique de son personnage principal, quittant sa superficialité upper class pour devenir sincère et lucide. Mais, de l’avis général, le film souffrait d’un excès de gentillesse auquel le réalisateur de Qui a peur de Virginia Woolf ? ne nous avait pas habitué. Cependant, la prestation d’Harrison Ford est impeccable, l’acteur jouant à merveille de sa gaucherie charmeuse.

 

wolf wolf 1993 real : Mike Nichols Jack Nicholson

Nichols retrouva, après une coupure de six ans, le chemin de Broadway pour mettre en scène La Jeune Fille et la Mort en 1992. Peu de temps après, son vieil ami Jack Nicholson lui proposa de réaliser Wolf, qui serait leur quatrième et dernier film. Le Dracula de Francis Ford Coppola avait subitement ravivé l’intérêt du public pour les récits classiques d’épouvante, et, durant une assez courte période des années 1990, furent mises en chantier des adaptations fidèles, ou plus libérales, des mythes du genre, par des cinéastes et des acteurs de la « A-List ». Notamment durant cette année 1994 ou furent mis en scène Entretien avec un Vampire avec Tom Cruise et Brad Pitt, ou le Frankenstein de et avec Kenneth Branagh et Robert De Niro. Wolf était un récit de loup-garou imaginé par un ami de Nicholson, le grand écrivain Jim Harrison, qui en avait écrit un premier traitement, remanié ensuite par Wesley Strick (Cape Fear / Les Nerfs à Vif, version Scorsese) et la fidèle Elaine May. Du tout cuit pour la méga-star Nicholson, revenant en terrain familier après Shining, Les Sorcières d’Eastwick ou Batman. Nicholson jouait le rôle de Will Randall, un éditeur new-yorkais vieillissant ; menacé de perdre son job par la faute d’un patron méprisant (Christopher Plummer), il se voit aussi supplanté par son jeune disciple aux dents longues (James Spader), qui va jusqu’à lui ravir sa femme délaissée (Kate Nelligan). Seul rayon de soleil dans cette déprime : Will se rapproche de Laura, la fille rebelle de son patron (la sublime Michelle Pfeiffer)… à ses côtés, Will reprend du poil de la bête. Littéralement, car, mordu par un loup durant une nuit de pleine lune, il se transforme en lycanthrope ! Curieuse idée a priori de voir Mike Nichols s’emparer d’un genre qu’il ne maîtrisait pas… encore qu’à y regarder de plus près, on peut faire des rapprochements entre Wolf et Qui a peur de Virginia Woolf, ne serait-ce que par le titre et les règlements de comptes pendant une nuit de pleine lune… Wolf laissa la critique mitigée, mais le public répondit présent, faisant un succès au film (130 millions de dollars), dépassant les recettes du Lauréat et Working Girl. Bien meilleur que son accueil initial le laissait supposer (Nichols dut retourner en catastrophe une scène finale peu convaincante), Wolf est plus intéressant quand il montre la transformation psychologique de son personnage principal (l’occasion pour le cinéaste de faire preuve de son excellent sens de la satire sociale)… et moins réussi quand il donne dans l’imagerie cliché du film de loup-garou. Difficile de prendre au sérieux l’affrontement final, où Nicholson et James Spader, grimés façon Lon Chaney Jr. se sautent dessus au ralenti. Malgré ce côté bancal, Wolf reste intéressant à regarder, bénéficiant de la belle photo nocturne de Giuseppe Rotunno, et de bons comédiens. Nicholson ne cabotine pas trop (encore qu’on ne peut pas s’empêcher de penser à Shining, auquel Nichols rend un hommage évident dès le début), Spader est excellent en jeune rival onctueux à souhait, et Michelle Pfeiffer illumine le film de son charme habituel. Son personnage, porte-parole de la pensée libre du réalisateur, permit d’ailleurs à ce dernier de filmer sa plus grande passion, les chevaux.

 

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ci-dessus : petit doigt, John Wayne et biscottes… la scène classique de La Cage aux Folles, devenu Birdcage aux USA. Armand Goldman (Robin Williams) a du travail pour convaincre Albert (Nathan Lane) d’être  »un vrai mec » ! Il y a urgence, le sénateur Keeley (Gene Hackman) approche…

 

Nichols retrouva Elaine May pour leur film suivant, qui nous est très familier puisqu’il s’agit du remake de La Cage aux Folles. La pièce de Jean Poiret, transposée à Broadway, était depuis longtemps un grand succès. Nichols acquit les droits d’adaptation pour un remake intitulé Birdcage, dont le scénario fut signé par son ancienne complice. Transposée aux Etats-Unis, l’intrigue de Birdcage ne change pas d’un iota de la pièce et du film original d’Edouard Molinaro, avec Michel Serrault et Ugo Tognazzi. Albin « Zaza Napoli » et Renato Baldi deviennent, de ce côté de l’Atlantique, Albert et Armand Goldman (Nathan Lane et Robin Williams), vieux couple installé à South Beach, quartier prisé de la communauté gay de Miami, où Armand dirige la revue travestie de la boîte de nuit The Birdcage. Armand a un fils, Val, qui va se marier avec la fille du Sénateur républicain Keeley (Gene Hackman). Ce dernier, ultraconservateur, homophobe et antisémite, tient à ce que les belles-familles se rencontrent dans les règles, avant de donner son accord pour le mariage. Pour son fils, Armand accepte de se faire passer pour un respectable attaché culturel strictement hétérosexuel, au grand dam de l’hypersensible Albert, bien incapable de jouer l’oncle « normal »… Sans doute pas le plus grand film de Nichols, Birdcage ne démérite pas ; c’est même l’une des rares fois où un remake américain d’une comédie française trouve son propre ton sans « tuer » l’esprit de son modèle. Ce fut donc une comédie sans prétention, menée avec un tempo comique indéniable, aidé en cela par Robin Williams, laissant le champ libre à Nathan Lane. Le film fut aussi une nouvelle fois l’occasion pour Nichols de se moquer allègrement de l’étroitesse d’esprit de la « majorité morale » et de l’establishment républicain américain, à travers le couple de vieux réactionnaires formé par Gene Hackman et Dianne Wiest. Et de présenter des personnages homosexuels sous un angle plus léger, et plus touchant, après ceux de Silkwood et Biloxi Blues. Les critiques rirent de bon cœur, le public américain aussi, réservant à Nichols son plus grand succès au cinéma (185 millions de dollars pour un modeste budget de 31 millions) ; le public français, connaissant par cœur la version originale, préféra évidemment bouder Birdcage.

 

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Ci-dessus : ambiance festive dans le q.g. de campagne du staff de Jack Stanton, dans Primary Colors… Sous les yeux d’Henry Burton (Adrian Lester) et Howard (Paul Guilfoyle), l’analyste politique Richard Jemmons (Billy Bob Thornton) montre ses « compétences » à Jennifer (Stacy Edwards) !

 

Nichols et May continuèrent sur leur lancée en signant le film suivant, Primary Colors. Fervent Démocrate, Mike Nichols suivait depuis longtemps l’évolution politique de son pays avec un regard incisif ; l’arrivée au pouvoir de Bill et Hillary Clinton en 1992 avait changé la donne, après les douze années de néolibéralisme de l’époque Reagan-Bush. Toujours prompt à « sentir » l’air d’une époque, Nichols avait vu dans le roman anonyme Primary Colors le potentiel pour aborder frontalement la cuisine politique de son pays d’adoption. Adapté du livre (écrit en réalité par le journaliste de Newsweek Joe Klein, qui avait suivi le futur couple présidentiel durant sa campagne de 1992), Primary Colors suivait le parcours d’Henry Burton (Adrian Lester), petit-fils d’une grande figure du Mouvement des Droits Civiques pour les Noirs américains, rejoignant le staff de campagne du Gouverneur Jack Stanton (John Travolta), en course pour les élections primaires qui désigneront le candidat du Parti Démocrate, dernière étape avant les élections présidentielles américaines. Henry est entraîné par ce charismatique outsider dans le tourbillon de sa campagne jalonnée d’embûches ; aux côtés notamment de Richard Jemmons (Billy Bob Thornton), un analyste politique redneck, et de Libby Holden (Kathy Bates), lesbienne grande gueule chargée de déjouer les pièges semés par les adversaires politiques de Jack, Henry apprend vite à perdre ses illusions idéalistes pour mettre les mains dans le cambouis. Tâche d’autant plus délicate que Jack, homme à femmes notoire, ne peut s’empêcher de courir les jupons, au su de sa femme Susan (Emma Thompson) qui doit soutenir son époux contre vents et marées.  Primary Colors n’était pas une biopic sur le couple présidentiel alors en fonction, et Nichols, avec ses acteurs, prit bien soin de prendre ses distances avec les Clinton. Il n’en reste pas moins que le film, excellente reconstitution d’une campagne électorale, impeccablement joué et dirigé, mit dans le mille en certaines occasions… L’action politique de la présidence de Bill Clinton fut entachée par sa réputation d’invétéré coureur de jupons. Le film, tourné en 1997, sortit l’année suivante, au moment même où le scandale sexuel de l’affaire Monica Lewinsky allait pousser Clinton au parjure ! Primary Colors ne se limitait pas cependant à ces seules histoires de frasques sexuelles, et s’intéressait plutôt à la prise de conscience d’un jeune idéaliste lancé dans une carrière politique. Grâce à la plume incisive d’Elaine May et au sens de la mise en scène de Nichols, le film fut une description solide de la vie d’un petit groupe de personnes embarquées dans un métier épuisant. D’abord caustique puis plus sombre, Primary Colors offrit de beaux rôles à ses comédiens : Travolta, comédien d’habitude limité, fut assez crédible ; Emma Thompson commença une intéressante association créative avec Nichols. Les mieux lotis furent les seconds rôles, surtout Billy Bob Thornton en analyste lubrique, limite clochard, mais lucide, et Kathy Bates (nominée à l’Oscar du Meilleur Second Rôle) pour son personnage haut en couleurs, porte-parole de la pensée de Nichols et May. A travers le personnage de Libby, ancienne militante hippie dégoûtée par le « cirque » politique dans lequel elle s’était engagée par conviction, il n’est pas interdit de voir Nichols dresser un bilan de sa carrière, de ses hauts et de ses bas. Le film fut très bien accueilli, mais n’intéressa guère le public, peu friand de films sur la politique. 

 

Mike Nichols - De quelle planète viens-tu

On passera rapidement, par contre, sur le film suivant de Nichols, De quelle planète viens-tu ?, sorti en 2000. Sans doute le vilain petit canard de sa filmographie, De quelle planète viens-tu ?était une comédie satirique écrite et interprétée par Garry Shandling, humoriste superstar de la télévision américaine. Il jouait le rôle d’Harold, un extra-terrestre venu sur Terre pour féconder une femme et ramener leur enfant sur son monde natal. Etant pourvu d’un pénis artificiel, Harold se faisait repérer et poursuivre avant de pouvoir rentrer chez lui… Pas grand-chose à dire sur ce film qui fut un bide monstrueux, et dans lequel Annette Bening, Ben Kingsley et John Goodman semblaient s’être égarés. Nichols sut heureusement rebondir grâce à une exemplaire dernière décennie. 

 

Mike Nichols - Wit

Les dernières années d’un cinéaste sont souvent aussi révélatrices que ses débuts, même s’il arrive souvent qu’on se focalise plus sur ses premières œuvres. Le cas de Mike Nichols est très intéressant ; celui qu’on avait hâtivement comparé à Orson Welles à ses débuts, malgré la qualité évidente de ses films, semblait être traité avec une certaine condescendance au vu de certains de ses films. Mais la dernière partie de son œuvre prouva qu’il fallait encore compter sur lui ; le metteur en scène et cinéaste alterna judicieusement théâtre, télévision et cinéma, rassemblant dans ces différents supports l’essentiel de ses sujets de prédilection : les relations hommes-femmes, la transformation psychologique de ses personnages, les conflits de classes sociales, la lutte personnelle entre Nature et Culture, la politique américaine… et la Mort, omniprésente désormais. A plus de 70 ans, Nichols, revenu au théâtre (une adaptation de La Mouette de Tchekhov), signa deux téléfilms de très grande qualité, sous la bannière de la chaîne HBO. Deux téléfilms adaptés de pièces de théâtre, osant aborder un sujet généralement considéré comme tabou et « repoussoir » : la maladie incurable, et la Mort. Et, dans les deux cas, ce fut une réussite. Diffusé en 2001, Wit (Mon combat) était adapté de la pièce de Margaret Edson, une enseignante lauréate du Prix Pulitzer pour sa pièce. Nichols retrouva Emma Thompson, et l’actrice britannique, qui avait apprécié leur travail commun sur Primary Colors, cosigna le scénario. Elle y jouait le rôle de Vivian Bearing, brillante académicienne, experte en littérature et poésie métaphysique, qui apprenait qu’elle était atteinte d’un cancer des ovaires. Affaiblie par les traitements expérimentaux et la maladie, Vivian faisait le bilan de sa vie, réalisant que ses hautes exigences intellectuelles l’ont coupé des simples relations humaines. Confrontée à sa mort inéluctable, elle finira par comprendre la valeur de la compassion, grâce à son ancienne mentor et une infirmière. Un concert de louanges pour l’actrice et pour Nichols, signant là un beau film méconnu. Wit fut récompensé de nombreux prix, essentiellement pour la performance d’Emma Thompson. Mike Nichols ne fut pas oublié, et obtint l’Emmy Award du Meilleur Réalisateur et un Prix Spécial au Festival de Berlin.

 

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ci-dessus : une des grandes scènes d’Angels in America. Roy Cohn, à l’agonie, est veillé par le spectre d’Ethel Rosenberg, qu’il fit jadis exécuter. La vengeance, la compassion et un pied de nez final… Al Pacino face à Meryl Streep. Respect total pour les meilleurs !

 

Toujours sous l’égide d’HBO, Mike Nichols signa l’une de ses meilleures œuvres en 2003 : Angels in America, l’adaptation de la pièce de Tony Kushner, signée par celui-ci, un des tous meilleurs dramaturges new-yorkais en activité, également scénariste de renom (une collaboration remarquable avec Steven Spielberg sur les scripts de Munich et Lincoln, les œuvres les moins « faciles » du cinéaste). Kushner avait écrit Angels in America en connaissance de cause : ouvertement gay, l’auteur avait vu les ravages du SIDA dans la communauté homosexuelle new-yorkaise dans les années 1980. Angels in America aborde frontalement cette triste période, mais d’une manière complètement inattendue : mêlant le drame, la comédie, le fantastique et la chronique politique sans jamais appartenir à un seul de ces genres. L’histoire tourne autour de plusieurs personnages, en 1985, durant les années Reagan. Difficile à résumer, elle tourne autour de plusieurs personnages dont les vies s’entrecroisent à cause du SIDA, dont est atteint Prior Walter (Justin Kirk), un jeune homosexuel. Son compagnon, Louis Ironson (Ben Shenkman), horrifié par la dégradation de son état, se sent incapable de l’aider et le quitte. Prior souffre le martyre, mais voit bientôt d’étranges hallucinations prendre forme chez nuit, jusqu’à l’arrivée de l’Ange de l’Amérique (Emma Thompson), qui le désigne comme le Prophète de l’époque à venir. Louis rencontre Joe Pitt (Patrick Wilson) ; Mormon, reaganien enthousiaste, et homosexuel « dans le placard », Joe vit un mariage sinistre avec Harper (Mary-Louise Parker), son épouse planant sous Valium, préférant ainsi fuir leur triste quotidien. Joe est aussi le protégé de Roy Cohn (Al Pacino), sinistre personnage de l’Histoire judiciaire américaine ; durant la Chasse aux Sorcières, Cohn envoya sans le moindre scrupule (et tout à fait illégalement) les époux Rosenberg à la chaise électrique. Gay ayant tout fait pour ne jamais révéler ses penchants au public (le pouvoir primant sur la vérité…), Cohn, atteint lui aussi du SIDA, est soigné par Belize (Jeffrey Wright), l’ex-compagnon de Louis. Et il reçoit la visite de la défunte Ethel Rosenberg (Meryl Streep), tandis qu’Hannah (également Meryl Streep), la mère de Joe, arrive à New York pour ramener son fils « sur le droit chemin », et rencontre Prior… Deux grands épisodes (eux-mêmes fragmentés en trois segments) de plus de 2 heures 30, un casting royal (rien que pour les face-à-face entre le volcanique Mr. Pacino et la grande Meryl Streep, cela vaut le détour), et une écriture rigoureuse firent d’Angels in America un chef-d’oeuvre télévisuel. A travers ce véritable film inclassable, capable de vous faire passer du rire aux larmes en un instant, Nichols se surpassa. Sans être sentencieux un seul instant, il réussit à dépeindre les contradictions d’une Amérique où l’épidémie pousse chacun à faire face à ses préjugés. C’était magnifiquement mis en scène, Nichols glissant au passage un hommage délibéré à l’œuvre filmique de Jean Cocteau (Orphée et La Belle et la Bête), et d’autres, plus discrets, à Billy Wilder et Stanley Kubrick. Angels in America lui permit aussi, par l’entremise d’une magnifique scène d’ouverture, d’évoquer sans doute pour la première et seule fois de sa carrière ses origines. Un vieux rabbin (Meryl Streep !), durant des funérailles, s’adresse à la famille d’une défunte, et aussi sans doute au spectateur. Il évoque, avec humour, nostalgie et un brin d’amertume, le souvenir des stettels d’Europe centrale et orientale, foyers de la grande culture juive balayée par les pires dictatures qui soient. Cet esprit unique en son genre a trouvé dans une autre Terre Promise un nouveau terreau pour s’épanouir. Solitude, détresse, résilience et réconciliation sont les maîtres mots d’Angels in America, une véritable leçon d’espoir en dépit de la noirceur annoncée du sujet. Il va sans dire que cette mini-série fit un triomphe. 5 Golden Globes et 11 Emmy Awards (record absolu à ce moment-là). Mike Nichols fut récompensé du DGA Award, et obtint l’Emmy Award de la Meilleure Mise en Scène. Les acteurs furent aussi à la fête : Emmys et Golden Globes pour Mary-Louise Parker (la star de Weeds), le discret Jeffrey Wright (excellent dans un double rôle, dont celui de Belize), et des monstres sacrés, Meryl Streep et Al Pacino. Monstrueux, pathétique et drôle en même temps, on ne l’avait pas vu autant à la fête dans un rôle de salaud depuis Scarface !

 

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ci-dessus : une partie de la fameuse scène de pole-dancing de Closer, où Larry (Clive Owen), ivre, retrouve Alice (Natalie Portman). Du calme, messieurs, du calme…

 

A 73 ans, Mike Nichols ne se reposa pas sur ses lauriers. Mêlant toujours ses deux activités principales, il produisit la pièce The Play that I wrote et le one-woman show Whoopi (retrouvailles avec Whoopi Goldberg, évidemment), qui lui valurent deux nouvelles nominations aux Tony Awards ; ceci, tout en préparant et tournant son film suivant, Closer, qui fut sa dernière pièce de théâtre adaptée au cinéma par ses soins. L’œuvre du dramaturge britannique Patrick Marber (également auteur au cinéma de l’intéressant Chronique d’un scandale avec Cate Blanchett et Judi Dench) lui permit de revenir aux thèmes abordés dans Carnal Knowledge. Sorti en 2004, Closer suivait le chassé-croisé amoureux de deux couples qui s’aiment, se trompent et se vengent, sur quelques années. A Londres, Dan Woolf (Jude Law) et Alice Ayres (Natalie Portman) se croisent et tombent immédiatement amoureux. Un an plus tard, Dan, devenu un écrivain à succès, ne peut s’empêcher de se rapprocher d’Anna Cameron (Julia Roberts), une photographe, cultivée et sophistiquée. Mais elle repousse ses avances, et Dan, par farce, la fait rencontrer Larry Gray (Clive Owen), un dermatologue macho. Surprise : Anna et Larry finissent par se marier, mais celle-ci et Dan ont une liaison… qui pousse Larry et Alice à se rapprocher. Simple comme tout en apparence, mais impeccablement géré par le cinéaste, Closer est un quatuor à fleurets mouchetés entre des comédiens qui donne là encore le meilleur d’eux-mêmes. Nichols conservait volontairement l’aspect « théâtral » du projet, centré autour de quatre personnages inspirés de l’opéra de Mozart, Cosi fan tutte, et son histoire grivoise d’échange d’épouses. Remis au goût du jour, le récit montrait aussi (une constante chez Nichols) l’évolution des relations hommes-femmes, toujours aussi chaotiques en ce début de 21ème Siècle… Les dialogues et les situations sont souvent très crues, l’ambiance plutôt triste, en dépit de quelques rares scènes de comédie : une séance de web-chat sexuel très grinçante, où Dan se fait passer pour Anna et berne Larry qui ne se doute de rien, jusqu’à la rencontre avec la vraie Anna. On ne refera pas Mike Nichols, toujours caustique à l’heure du cyber-sexe ! Les comédiens furent à la fête : Jude Law, entre désinvolture apparente et mélancolie, était irréprochable ; Julia Roberts avait enfin un personnage consistant à défendre (nul doute que sa collaboration avec Nichols, qui se poursuivit avec le film suivant, lui fut bénéfique) derrière son glamour habituel. Mais ce furent surtout Clive Owen (parfait dans son rôle de macho cynique cachant sa vulnérabilité rentrée) et Natalie Portman qui impressionnèrent. La jeune comédienne sortait pour de bon de l’enfance, des rôles d’ado fragilisée et de princesse galactique au grand cœur, et incendiait littéralement la pellicule. On lui découvrait ici une séduction, voire une dureté qu’on ne lui connaissait pas. Et, sans complexes, elle volait la scène à Clive Owen dans une brûlante scène de joute amoureuse sur fond de pole dancing. Les comédiens de Closer furent unanimement salués et cités à de nombreuses récompenses ; Owen décrocha le BAFTA Award du Meilleur Second Rôle, ainsi que le Golden Globe dans cette même catégorie, Natalie Portman obtenant quand à elle celui de la Meilleure Actrice dans un Second Rôle (qui aurait pu être aussi bien celui du Premier Rôle, mais qu’importe…). Malgré un sujet a priori difficile, Closer obtint aussi un joli succès, aidé en cela, entre autres, par l’utilisation d’une superbe chanson, The Blower’s Daughter de Damien Rice, qui ouvrait le film sur une des plus belles scènes de coup de foudre jamais tournées à ce jour.

 

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ci-dessus : une des grandes scènes de La Guerre selon Charlie Wilson. Charlie (Tom Hanks) reçoit Gust Avrakotos (Philip Seymour Hoffman),  pour l’informer sur l’invasion de l’Afghanistan par les Soviétiques. Tandis que Bonnie Bach (Amy Adams) et les « Angels » se démènent pour sortir le député d’une affaire de mœurs embarrassante, Gust se mêle de ce qui ne le regarde pas. N’acceptez jamais de cadeau de la part d’un agent de la CIA !

 

Sitôt Closer achevé, Nichols, fidèle à ses habitudes, revint vers les planches, comme metteur en scène de la comédie musicale Spamalot, adaptée du film cultissime Sacré Graal ! des Monty Python, ce qui lui valut le 8ème Tony Award de sa carrière. Son projet suivant au cinéma serait son dernier, une ahurissante histoire vraie découverte et écrite par un maître de l’écriture, Aaron Sorkin, le scénariste des Hommes d’Honneur et du futur Social Network, également créateur de la caustique série A la Maison Blanche. Sorkin signa l’adaptation du livre de l’ancien journaliste de CBS George Crile, Charlie Wilson’s War, qui devint chez nous le film connu sous le titre La Guerre selon Charlie Wilson. Une histoire vraie, donnant un éclairage particulièrement décapant sur le rôle joué par un obscur député Texan démocrate, Charlie Wilson (Tom Hanks), durant la guerre d’Afghanistan opposant les Soviétiques aux rebelles Moudjahidines. Bon vivant, buveur et amateur de jolies filles, « Good Time » Charlie, jusque-là tout juste doué pour se faire réélire grâce à son sens de la clientèle, se lança dans une improbable campagne en faveur des Afghans écrasés par l’armée Soviétique, sur les conseils de son ex-maîtresse Joanne Herring (Julia Roberts), une héritière texane ultraconservatrice. Pour ce faire, Charlie Wilson sera conseillé et aidé par le plus improbable agent de la CIA : Gust Avrakotos (Philip Seymour Hoffman), fils d’un limonadier grec, une grande gueule qui ignore les règles de la bienséance. Grâce à lui, Charlie, avec le soutien réticent du Congrès, établira un montage financier hasardeux pour financer les rebelles et leur donner des armes – avec la complicité du gouvernement pakistanais de Muhammad Zia Ul-haq, des services secrets égyptiens et saoudiens, et même du Mossad ! Le résultat sera une victoire pour les Moudjahidines, chassant les Soviétiques de leur pays en 1988. Evènement qui influencera la chute du bloc communiste l’année suivante… mais aussi sur l’embrasement du Moyen Orient au début du 21ème Siècle. Malgré les efforts de Charlie Wilson, en effet, ses collègues refuseront de l’aider à reconstruire l’Afghanistan en ruines, et de désarmer les rebelles. En l’espace d’une décennie, l’Afghanistan deviendra le terreau du fondamentalisme religieux islamiste, des Talibans et du terrorisme prenant pour cible l’Amérique qui les avait financés… Un sujet explosif, donc, pour Mike Nichols, qui s’en sortit magistralement, trouvant dans La Guerre selon Charlie Wilson un sujet idéal pour une comédie grinçante, décortiquant avec acuité (et un humour ravageur) la conception très américaine de la politique internationale sous l’ère Reagan, à la fin de la Guerre Froide. Le scénario de Sorkin reste un modèle d’écriture, maniant des dialogues et des situations cocasses avec un esprit digne du Un, Deux, Trois de Billy Wilder. Nichols n’avait rien perdu de sa verve pour tourner en dérision l’establishment de son pays d’accueil et sa sidérante naïveté. Le film regorge de personnages impeccablement croqués, et de scènes irrésistibles. Voir par exemple Charlie régler ses affaires en cours avec son bataillon de secrétaires, les « Angels », aux décolletés ravageurs (les hommes resteront toujours des hommes, non ?) ; le même Charlie qui débauche sans honte la très prude fille (Emily Blunt) d’un client très bigot ; Joanne qui conclut son hommage au notoirement corrompu Muhammad Zia Ul-haq d’un ahurissant « Et il n’a pas fait assassiner son prédécesseur, le président Butto ! » ; ou la rencontre entre Charlie et Gust Avrakotos (géniale performance du regretté Philip Seymour Hoffman), rompant la glace autour d’une bouteille de scotch préalablement mise sur écoute par ce dernier ! Les comédiens étaient tous parfaits, comme toujours mis en confiance par Mike Nichols (plusieurs nominations aux Golden Globes et une aux Oscars pour Hoffman). Le film fut bien reçu, même s’il fit grincer les dents d’anciens officiels reaganiens (bien embarrassés par le portrait au vitriol qui est fait d’eux dans le film), et il devait conclure en beauté la carrière de Mike Nichols. Le réalisateur tirait en effet sa révérence au cinéma à 75 ans, mais ignora le sens du mot « retraite ». Il préféra revenir à son cher Broadway, signant la mise en scène de The Country Girl de Clifford Odets en 2008, Mort d’un commis voyageur d’Arthur Miller (qui lui valut en 2012 son neuvième et ultime Tony Award), et Trahisons d’Harold Pinter en 2013. Tout ceci, tout en contribuant aussi comme bloggeur sur le Huffington Post, en enseignant au New Actors Workshop et en oeuvrant au sein de la Directors Guild of America, avant son décès survenu le 19 novembre 2014.

 

En pareilles circonstances, il faut toujours laisser le mot de la fin aux disparus. La carrière cinématographique de Mike Nichols nous a donc offert plusieurs films mémorables, essentiellement liés à de grandes performances d’acteurs et d’actrices qui lui doivent beaucoup. Il est aussi intéressant de regarder son œuvre, du seul point de vue de spectateur, et de constater à quelle point celle-ci était cohérente. D’un point de vue plus cinéphilique, on remarquera aussi à quel point, comme tant de ses confrères et prédécesseurs, Nichols a su soigner son « entrée » et sa « sortie » sur le grand écran. Nombre de grands cinéastes ont débuté leur carrière par une image ou une séquence mémorable, et certains l’ont clos sur une ultime scène ou un dialogue tout aussi marquant (cf. Kubrick qui nous quittait, au bout d’Eyes Wide Shut, sur un « let’s fuck » sans ambages). Mike Nichols boucla sa propre boucle : l’introduction de …Virginia Woolf ?, avec son vieux couple marchant sous la pleine lune, fatigué par les mondanités, et qui entamait les hostilités par la réplique  »what a dump ! » (« quel foutoir !« ). Plus de quarante ans après, Mike Nichols nous tirait sa révérence en trois mouvements, à la fin de Charlie Wilson. Un happy end trompeur, où Charlie réussissait à devenir un vrai politicien engagé, et parvint à faire chuter l’ogre Soviétique par son action pour l’Afghanistan. Mais cette victoire avait un goût amer, Charlie ne parvenant pas à convaincre ses collègues obtus de désarmer les rebelles Moudjahidines, pas plus que de reconstruire ce pays en ruines (dernière réplique marquante : « Charlie, personne n’en a rien à foutre, des écoles du Pakistan ! – D’Afghanistan.« ) ; et cet anti-héros typiquement « nicholsien » se retrouvait seul et malheureux, n’ayant pu reconquérir sa chère Joanne, mariée à un autre. C’est donc un homme bien triste qui, dans la dernière scène du film, serre les dents en acceptant les récompenses patriotiques… Et le film de se conclure sur une citation du vrai Charlie Wilson :  

« Ces choses eurent vraiment lieu. Elles furent glorieuses, et changèrent le monde… puis on a foiré le dernier match. »

Une chute qui conclura la filmographie de Mike Nichols, pleine de malice et de fatalisme, à l’instar de ce dernier.

 

Ludovic Fauchier.

 

le lien vers la fiche ImdB de Mike Nichols :

http://www.imdb.com/name/nm0001566/?ref_=fn_nm_nm_1

« And here’s to you… » – Mike Nichols (1931-2014), 1ère partie

Bonjour chers amis neurotypiques ! Une longue, longue coupure entre les textes de ce blog, ce qui nécessite quelques explications… La fatigue, bête et méchante, a fait en sorte que je n’avais plus de temps (j’ai aussi une vie réelle, avec cette chose terrible qui s’appelle le travail) ni l’énergie pour remplir ce blog. Le manque de temps m’obligera sans doute aussi à réduire les textes, et ce sera difficile d’écrire des « romans » sur chaque nouveau film, comme auparavant. Dommage, car avec la sortie des derniers films de deux cinéastes qu’on aime bien dans ces pages (Gone Girl de David Fincher et Interstellar de Christopher Nolan), il y avait de quoi faire… Enfin bref, me voilà de retour pour rendre hommage à un grand cinéaste. Bonne lecture !

L.F.

 

Mike Nichols

Inévitablement, les réalisateurs américains ayant changé les règles du jeu au cours des années 1960 s’en vont les uns après les autres. Les Arthur Penn, Robert Mulligan ou Sidney Lumet, défenseurs d’un cinéma audacieux et premiers enfants terribles narguant la mainmise créative des studios hollywoodiens, viennent d’être rejoints par celui de Mike Nichols, qui s’est éteint ce 19 novembre. Cet ancien comédien humoriste passé derrière les caméras aimait les acteurs, qui le lui rendaient bien. Il n’y a qu’à voir la liste phénoménale de grands comédiens ayant travaillé avec lui à de nombreuses reprises, et la belle série de récompenses qu’ils ont obtenues. Richard Burton, Elizabeth Taylor, Dustin Hoffman, Anne Bancroft, Orson Welles, Meryl Streep, Jack Nicholson, Gene Hackman, Harrison Ford, Annette Bening, Emma Thompson, Kevin Spacey, Natalie Portman, Tom Hanks, Philip Seymour Hoffman, Julia Roberts… Impressionnante liste de comédiens, s’il en est ! Nichols ne fut pas pour rien un metteur en scène réputé, aussi à l’aise au théâtre qu’à la télévision ou au cinéma ; sur ce dernier médium, Nichols signa des œuvres de qualité variable, dont les meilleures restent cependant encore gravées dans les mémoires. Impossible de ne pas penser évidemment au Lauréat sans avoir les images, dialogues et chansons marquantes, choisies par cet homme très discret. Nichols a traversé les époques avec un regard aiguisé sur les relations humaines (spécialement les conflits conjugaux, omniprésents dans ses films) et les bouleversements sociaux survenus aux USA dans la seconde moitié du 20ème Siècle. Avec le grand écran, il a livré une solide filmographie s’étendant sur quarante années, de Qui a peur de Virginia Woolf ? (1966) à La Guerre Selon Charlie Wilson (2007). La courte biographie qui suit va restituer son parcours. Comme toujours, je demande l’indulgence du lecteur pour les éventuelles erreurs qui pourraient se glisser dans le texte.

Racines… Comme tant d’autres américains avant lui, Mike Nichols était un enfant d’émigrés : son vrai nom était Mikhaïl Igor Peschkowsky. Il naquit à Berlin, le 6 novembre 1931, de parents réfugiés juifs russes. Son père médecin, Pavel Nikolaevich Peschkowsky, était né en Autriche et descendait d’une riche famille domiciliée en Sibérie, chassée par la Révolution Russe. Du côté de la famille de la mère de Mikhaïl, Brigitte (née Landauer), des noms respectés dans les milieux intellectuels et littéraires : les grands-parents maternels, allemands, étaient Hedwig Lachmann, écrivaine, poétesse et traductrice réputée, et Gustav Landauer, grande figure anarchiste, un journaliste, écrivain et philosophe défenseur des idées libertaires, éthiques, métaphysiques et mystiques. Les Landauer-Lachmann étaient des parents éloignés d’un certain Albert Einstein. Le jeune Mikhaïl, élevé dans l’Allemagne basculant dans le nazisme, n’avait jamais connu ses grands-parents maternels : Hedwig était morte en 1918, et Gustav Landauer, emprisonné à Munich, mourut lynché l’année suivante par des soldats nationalistes du Freikorps. Voilà de quoi marquer une famille éduquée, assistant à la prise de pouvoir d’Hitler, annonciatrice des persécutions antisémites nazies. Pavel réussit à fuir l’Allemagne vers 1938-1939 pour les Etats-Unis ; Mikhaïl et son frère cadet Robert purent le rejoindre en avril 1939, et emménagèrent avec leur père à New York. Celui-ci changea son nom en « Paul Nichols », et Mikhaïl devint donc « Michael Nichols », ou plus simplement « Mike Nichols ». Leur mère les rejoignit l’année suivante. Mike Nichols, new-yorkais d’adoption et de cœur, passera ses jeunes années au domicile familial situé près de Central Park. Le célèbre parc deviendra un lieu familier de ses futurs films situés dans la Grosse Pomme. Il parla assez peu de sa famille, mentionnant toutefois parfois, plus tard, les relations avec un père qui lui manquait. Définitivement naturalisé en 1944, Mike Nichols fut diplômé (lauréat !) de la Walden School de New York ; quittant la New York University, il tenta de suivre les traces paternelles en étudiant la médecine en 1950 à l’Université de Chicago… mais très vite, les cours préparatoires médicaux l’intéressèrent moins que les cours de théâtre. Tout en enchaînant les petits boulots, il fit ses débuts d’acteur et de metteur en scène à l’Université, rencontrant au passage deux fidèles amies : Susan Rosenblatt, qui allait devenir l’activiste Susan Sontag, et sa future complice Elaine May. Il revint à New York pour étudier à l’Actors Studio, sous l’égide du maître Lee Strasberg.

 

Mike Nichols - Nichols_and_May_-_1961

Mike Nichols rejoignit en 1955 la compagnie d’improvisation des Compass Players, où jouait également Elaine May. Les deux comédiens, doués du même sens de l’humour, mirent au point par la suite le duo « Nichols and May » ; mis sur le gril de la stand up comedy dans les night-clubs, les deux comparses faisaient plier de rire le public par les sketches qu’ils interprétaient, baignant dans un humour pince-sans-rire basé sur les situations quotidiennes… et les relations déjà compliquées entre les hommes et les femmes ! Jouant sur l’autodérision (la force absolue de l’humour juif !), Nichols y était, le plus souvent, le dindon de la farce et May son parfait « repoussoir » aux réparties cinglantes ; engagés à Broadway, ils se produisirent ainsi à la radio puis à la télévision. Leurs meilleurs numéros enregistrés sur disque firent un triomphe. L’album de leur spectacle An Evening with Mike Nichols and Elaine May sera ainsi récompensé d’un Grammy Award. Le duo fera ainsi les belles heures de la comédie américaine sur les ondes, de 1958 à 1961, avant leur séparation. Nichols et May, cependant, resteront proches amis toute la vie, et travailleront encore ensemble sur certains de ses films. Mike Nichols, un grand instable sur le plan sentimental, épousa Patricia Scott en 1957, mais leur mariage prit fin trois ans plus tard. Mike Nichols se lança ensuite dans une fructueuse carrière de metteur en scène de théâtre à Broadway ; entre 1961 et 1966, il mit en scène des pièces d’Oscar Wilde (De l’importance d’être constant), George Bernard Shaw (Sainte Jeanne), et de Neil Simon. Pieds Nus dans le Parc, en 1963, lui permit de lancer la carrière d’un tout jeune Robert Redford ; pour cette pièce et pour Drôle de Couple (1965) avec Walter Matthau, Nichols fut récompensé des prestigieux Tony Awards. Il épousa en 1963 sa seconde femme, Margot Callas, dont il aura une fille, Daisy. L’expérience acquise par Nichols lui permettrait de passer à la réalisation cinématographique, avec un penchant évident pour les adaptations de pièces de théâtre de grande qualité. Le studio Warner Bros., en 1966, offrirait un sacré baptême du feu au nouveau venu des plateaux de tournage.

 

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Ci-dessus : une soirée inoubliable… Dans Qui a peur de Virginia Woolf ?, entre Martha et George (Elizabeth Taylor et Richard Burton), tous les coups bas sont permis, pour rire. Nick et Honey (George Segal et Sandy Dennis) vont être emportés par la tempête qui s’annonce.

 

Qui a peur de Virginia Woolf ?, la pièce d’Edward Albee, avait fait sensation dès sa production en 1962 ; l’auteur osait braver le tabou du langage ordurier, alors strictement réservé au théâtre underground, et omniprésent dans sa pièce. Elle fut un succès immédiat, et intéressa tout de suite les studios hollywoodiens, bien embarrassés pourtant… La cruauté dont faisaient preuve les deux personnages principaux, et leurs insultes, inquiétait les décideurs des studios croyant encore que le Code de Production (le « Code Hays ») censurerait immédiatement la moindre grossièreté. Le scénariste Ernest Lehman (La Mort aux Trousses, West Side Story), chargé d’écrire l’adaptation filmée, ne tint pas compte des avertissements et s’en tint le plus fidèlement possible au texte d’Albee. A Mike Nichols de filmer la déchirure du couple formé par George et Martha, un professeur d’université et sa femme, fille du recteur de l’académie ; bien imbibé, le couple s’affronte durant une longue nuit sous le regard effaré de ses deux invités, Nick et Honey (George Segal et Sandy Dennis). Le jeune couple pris à partie par ses aînés ne sera pas simple spectateur de la guerre conjugale en cours, et sera obligé de faire face à ses propres hypocrisies. Pour incarner George et Martha, Nichols filma LE couple légendaire des années 1960 : Elizabeth Taylor et Richard Burton. Les frasques des deux comédiens, amants puis mariés, avaient éclipsé le tournage dispendieux de Cléopâtre ; beaucoup doutaient qu’Elizabeth Taylor, incarnation vivante de la beauté hollywoodienne, était le bon choix pour Martha, bouffie par l’alcool et l’âge. Difficile de surcroît pour un jeune réalisateur sans expérience de filmer ce couple de monstres sacrés, au caractère explosif, forcés de s’affronter devant les caméras… Nichols releva le pari haut la main, sans se soucier des menaces d’appel à la censure proférées par les bigots de la Catholic Legion of Motion Pictures. Son adaptation de Qui a peur de Virginia Woolf ? reste un modèle de mise en scène : étouffant, maîtrisé, magnifiquement filmé en noir et blanc par Haskell Wexler, le film ne lâche jamais ses personnages et n’offre au spectateur aucune chance de sortie salvatrice. Les acteurs mis en confiance seront tous récompensés : nominations pour Segal et Richard Burton (parfait en homme rongé par l’amertume), Oscars pour Sandy Dennis et Elizabeth Taylor. Celle-ci n’a pas du tout hésité à malmener son image. Chevelure défaite, elle traîne des kilos en trop, ne cache pas un double menton apparent et « tue » volontairement tout glamour en elle. Le public fit un triomphe au film, qui obtint une pluie de récompenses : outre les Oscars pour les deux actrices, …Virginia Woolf ? obtint ceux de la Meilleure Photographie Noir et Blanc, de la Meilleure Direction Artistique et des Meilleurs Costumes. Nichols fut nominé comme Meilleur Réalisateur, aux Oscars comme aux Golden Globes. Son travail avec les acteurs fut unanimement salué.

 

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Ci-dessus : Benjamin Braddock (Dustin Hoffman) ramène Mrs. Robinson (Anne Bancroft) chez elle, et les ennuis commencent… L’hilarante scène de séduction du Lauréat !

 

« Hello darkness, my old friend… » Chaque décennie a son film « générationnel », celui qui symbolise le mieux l’état d’esprit de l’époque, sans que ceci soit évident aux yeux mêmes de ceux qui l’ont réalisé. En 1967, un « petit » film, avec un inconnu complet, en vedette fit un malheur au box-office mondial et entra dans le cœur d’une génération bouillonnante, aidé par les chansons de Paul Simon et Art Garfunkel. Impossible d’oublier la brillantissime introduction du Lauréat, avec un tout jeune Dustin Hoffman se laissant porter par le tapis roulant d’un aéroport, tandis que le duo entonne The Sound of Silence. Sitôt …Virginia Woolf ? achevé, Mike Nichols revint à Broadway pour mettre en scène The Apple Tree. Puis il enchaîna tout de suite sur l’adaptation filmée du roman de Charles Webb. Mélange habile de comédie et de drame, Le Lauréat suivait les mésaventures de Benjamin Braddock (Hoffman) et son entrée chaotique dans le monde adulte. Ce fils d’une bonne famille californienne, majeur et fraîchement diplômé, ne sait pas quoi faire de son avenir, répondant mollement aux pressions familiales de trouver un travail digne de son rang social. Pour rajouter au malaise, Benjamin perd sa virginité suite aux avances d’une amie de la famille, Mrs. Robinson (Anne Bancroft), épouse et mère frustrée qui en fait son amant… ceci avant qu’il ne tombe amoureux de sa fille Elaine (Katharine Ross). Le casting du film fut une sacrée épreuve. Mike Nichols, pour chaque rôle, eut à faire son choix parmi des dizaines de candidats possibles, des plus prestigieux aux plus improbables. On faillit avoir Robert Redford ou Warren Beatty pour Benjamin, Doris Day (!?) ou Jeanne Moreau pour Mrs. Robinson, Patty Duke, Faye Dunaway ou Shirley MacLaine (la sœur de Warren Beatty !) pour le rôle d’Elaine et Gene Hackman pour Mr. Robinson. Nichols eut le nez creux en offrant le tout premier rôle à Dustin Hoffman ; un choix audacieux, car Hoffman, à 29 ans, n’avait pas vraiment l’allure de l’étudiant séduisant et sûr de lui. Ce qui en faisait le choix parfait pour être Benjamin Braddock : avec son physique enfantin et son air anxieux, Hoffman donnait à merveille l’impression d’être un brave garçon pas très malin, englué dans une relation périlleuse. Il lui faudrait faire des pieds et des mains pour se faire pardonner d’Elaine, tout en subissant les foudres de la fameuse Mrs. Robinson. Inoubliable Anne Bancroft qui sut s’emparer du personnage, en évitant la caricature. Ni allumeuse ni mégère, sa Mrs. Robinson était une desperate  housewife avant l’heure, terrifiée par son inévitable vieillesse et sa solitude grandissante. Grâce à une direction d’acteurs irréprochable, Nichols fit mouche, faisant preuve une nouvelle fois d’un sens de la mise en scène maîtrisé à la perfection. Grâce aussi à l’écriture précise des scénaristes Calder Willingham (Les Sentiers de la Gloire, La Vengeance aux Deux Visages) et Buck Henry (de son vrai nom Henry Zuckerman, il fut engagé par Nichols qui appréciait son sens dévastateur de la satire), Le Lauréat regorge de séquences irrésistibles : Benjamin affolé par la séduction outrageuse de Mrs. Robinson (Nichols enterra au passage le Code Hays en filmant l’impensable dans une production hollywoodienne « respectable » : un plan subliminal sur les seins nus de l’épouse esseulée !), la jambe gainée d’un bas noir de la même Mrs. Robinson qui empêche Benjamin de sortir (devenue l’affiche emblématique du film), la séquence du scaphandre, le mariage perturbé par notre anti-héros… Le tout au son des chansons de Simon et Garfunkel, dont le célébrissime Mrs. Robinson, à l’origine une chanson sur Eleanor Roosevelt, « retouchée » à la demande du cinéaste. Des idées toutes simples, mais de pur génie, comme cette dernière séquence où Mike Nichols, filmant le happy end salvateur de Benjamin et Elaine dans le bus, laissa finalement tourner la caméra plus que de raison. L’expression de Dustin Hoffman et Katharine Ross passa ainsi du sourire à l’incertitude totale. Cette seule scène résumera finalement assez bien l’esprit d’une époque, où une belle jeunesse allait se révolter contre les préjugés parentaux petits-bourgeois, sans trop savoir de quoi serait fait son propre avenir. Le sens de l’observation de Mike Nichols, et son humour distancié, fit mouche. Le Lauréat fut, avec ses 104 millions de dollars (pour un budget raisonnable de 3 millions), le second plus grand succès de la décennie, un blockbuster complètement inattendu qui valut à son réalisateur un concert de louanges tonitruantes ; certains, ne se sentant plus, le surnommèrent même « le nouvel Orson Welles », rien de moins ! Le réalisateur prit calmement la chose, recevant au passage le BAFTA AWARD, le Golden Globe et l’Oscar du Meilleur Réalisateur. En deux films, il devenait le nouveau Roi d’Hollywood. Evidemment, un tel succès attisait des jalousies et un sévère retour de bâton, à l’approche des années 1970.

 

 

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Ci-dessus : Catch-22, et le briefing du Major Danby (Richard Benjamin) interrompu par le terrifiant Général Dreedle (Orson Welles)… Yossarian (Alan Arkin) et ses copains (Art Garfunkel, Martin Sheen) nous rappellent quant à eux que les hommes sont tous les mêmes !

 

Mike Nichols mit sa carrière cinématographique entre légères parenthèses pour revenir au théâtre, obtenant deux Tony Awards pour ses mises en scènes des pièces The Little Foxes de Lillian Hellman et Plaza Suite de Neil Jordan. Il tourna aussi un court-métrage, Teach Me !, avec Sandy Dennis, en 1968. En 1969, le studio Paramount l’engagea pour mettre en scène Catch-22, l’adaptation du roman de Joseph Heller. Une entreprise difficile car ce roman, décrivant les mésaventures d’un groupe de pilotes de bombardiers B-25 durant la 2ème Guerre Mondiale, multipliait les points de vue de différents personnages, n’avait pas de narration linéaire, et baignait dans un humour absurde versant peu à peu dans l’horreur. Avec son complice du Lauréat, Buck Henry, et la bénédiction d’Heller, Nichols remania le scénario, pour raconter les tribulations du Capitaine John Yossarian (Alan Arkin). Cantonné avec ses coéquipiers dans la base de Pianosa en Italie, Yossarian voit venir avec angoisse chaque nouvel ordre de mission décrété par son supérieur, le Colonel Cathcart (Martin Balsam). Chaque vol augmentant mathématiquement ses chances de mourir, Yossarian fait tout pour éviter de se retrouver aux commandes de son B-25. En pure perte, puisque Cathcart, suivant une logique tordue (le « Catch-22″ du titre), augmente sans cesse le nombre des missions suicide. Les autres pilotes tentent aussi d’y échapper, par tous les moyens à leur portée : faire du marché noir, coucher avec une prostituée, se crasher systématiquement, ou même devenir un assassin… L’humour de Mike Nichols trouvait là de quoi s’exercer aux dépens des institutions militaires américaines, mais Catch-22 n’eut pas le succès escompté. Le casting était pourtant attrayant : aux côtés d’Arkin et Balsam, on y croisait le futur réalisateur Richard Benjamin, Art Garfunkel (qui, sans son complice Paul Simon, entama une brève carrière d’acteur), Bob Balaban, Anthony Perkins, Charles Grodin, Paula Prentiss, les jeunes Martin Sheen et Jon Voight, et le redoutable Orson Welles en personne dans le rôle du Général Dreedle. Nichols, nanti d’un confortable budget, rassembla d’authentiques bombardiers B-25 sauvés de la démolition, et en fit les vedettes de superbes scènes de vol. Malheureusement, la logistique très lourde du film entraîna un sérieux dépassement de budget, faisant de Catch-22 l’un des films les plus coûteux à l’époque (11 millions de dollars) ; le tournage fut endeuillé par la mort du réalisateur de la seconde équipe John Jordan durant les scènes de vol. La critique fut mitigée, de même que le public… La Guerre du Viêtnam tournait au désastre et divisait l’opinion publique. Les studios saturaient cette année-là les salles de cinéma de films de guerre, avec des résultats opposés. Si les spectateurs « patriotes » se ruaient pour aller voir Patton, ils boudèrent Tora ! Tora ! Tora ! Et les spectateurs plus contestataires préférèrent la farce antimilitariste M.A.S.H. de Robert Altman, tournée avec des bouts de ficelle, au démesuré Catch-22 de Nichols. Le film fut un demi-succès (ou un demi-échec, c’est selon) au box-office. Aujourd’hui, il reste cependant considéré comme un classique incompris de la comédie militaire. Et, en tête d’affiche, Alan Arkin est irrésistible.

 

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Ci-dessus : la séance de diapositives donnée par Jonathan Fuerst (Jack Nicholson) dans Carnal Knowledge (Ce plaisir qu’on dit charnel)… Misogynie et amertume au programme.

 

Sitôt sorti de Catch-22, Mike Nichols enchaîna dès l’année suivante avec un tournage à petit budget, l’exact opposé de son film précédent. Carnal Knowledge (Ce plaisir qu’on dit charnel) était l’œuvre du cartooniste Jules Feiffer ; également dramaturge, Feiffer avait proposé à Nichols de mettre en scène sa pièce. Nichols décida d’en faire son nouveau film. L’histoire toute simple suivait 25 années de la vie de deux copains d’étude, Jonathan et Sandy (Jack Nicholson et Art Garfunkel), et leurs relations opposées avec les femmes. Amer à cause d’une histoire malencontreuse avec Susan (Candice Bergen), la petite amie de Sandy, Jonathan passera le reste de sa vie à « consommer » sexuellement les femmes. Sa relation avec Bobbie (sublime Ann-Margret) finira tristement. Jonathan finira, impuissant, par se laisser masturber par une prostituée (Rita Moreno)… Une comédie amère, très crue, qui montrait que, même à l’heure de la libération sexuelle aux USA, certains discours ne passaient pas encore dans les mentalités. Nichols osait, avec le personnage de Nicholson, montrait un machiste cynique et angoissé, traitant mal les femmes qu’il rencontrait dans des aventures sexuelles dénuées de tout glamour. Nichols osait transgresser un autre tabou : des scènes de sexe sans tendresse, sans « rêve » ni saupoudrage sexy à l’hollywoodienne. Dans Carnal Knowledge, les situations et les dialogues étaient tellement crus que cela valut au film une publicité négative révélatrice : le directeur d’un cinéma d’Albany, en Géorgie, fut arrêté pour avoir projeté le film, jugé « obscène et pornographique » par la Cour Suprême de l’état ; un jugement ultérieur de la Cour Suprême de Washington cassa cependant cette décision. Loin de ces tribulations judiciaires, Nichols avait su mener sa barque, s’entendant très bien avec un Jack Nicholson en pleine ascension après Easy Rider et 5 Pièces Faciles, et pour l’instant peu porté sur le cabotinage qui ferait sa réputation. Le film divisa cependant la critique, obtint quelques nominations aux Golden Globes et aux Oscars, mais fut froidement accueilli par le public.

 

Mike Nichols - Le Jour du Dauphin 

Alternant toujours les projets au théâtre entre les tournages de films, Mike Nichols monta à Broadway la pièce de Neil Simon, Le Prisonnier de la Seconde Avenue (qui lui valut un nouveau Tony Award) avec Peter Falk, puis une adaptation d’Oncle Vanya de Tchekhov, avant de revenir aux plateaux de tournage. Le producteur Joseph Levine avait acheté pour le studio United Artists les droits du roman du français Robert Merle, Un animal doué de raison. L’auteur de Malevil s’était inspiré de la vie d’un scientifique hors normes, John C. Lilly ; ce médecin obnubilé par l’étude des phénomènes de la conscience élabora les caissons de privation sensorielles, testa les effets des substances psychédéliques (ce qui fit de lui une figure majeure de la contre-culture des années 1960) et étudia l’intelligence des dauphins ; ce dernier point fournit la base du roman satirique de Merle, dont le succès attira l’attention d’Hollywood. Roman Polanski aurait dû réaliser Le Jour du Dauphin dès 1969, mais quitta le projet après l’assassinat de sa femme Sharon Tate par les « disciples » de Charles Manson. Franklin J. Schaffner fut intéressé, avant que Levine ne contacte Mike Nichols qui réalisa finalement le film en 1973. Le vieux complice Buck Henry signa le scénario, racontant les efforts du docteur John Terrell (George C. Scott) pour protéger deux dauphins, Fa et Be, qui sont capables de parler. A leur grande horreur, Terrell et son épouse Maggie (Trish Van Devere) réalisent que la Fondation qui finance leurs recherches veulent se servir des gentils cétacés comme de kamikazes, dressés à poser une mine qui tuera le Président des Etats-Unis !… Le Jour du Dauphin fut un mauvais souvenir pour Nichols : un tournage difficile aux Bahamas, nécessitant de nombreuses séquences aquatiques (fort belles, cela dit), et d’avoir affaire à George C. Scott… Le film déçut, c’est bien peu dire ; certes, Nichols y développait l’un de ses thèmes récurrents (le conflit entre Nature et Culture), et se montrait toujours à l’écoute de son temps (la prise de conscience écologiste, la méfiance absolue envers les autorités américaines) mais personne ne prit vraiment au sérieux un film où l’interprète du général Patton discutait avec des dauphins ! Les jolies images aquatiques et l’élégante musique de Georges Delerue ne sauvèrent pas Le Jour du Dauphin de l’échec. L’accueil critique fut très divisé, et le public bouda le film. Une période maussade pour le cinéaste-metteur en scène, divorcé pour la seconde fois en 1974. Il se remarierait l’année suivante avec l’écrivaine irlandaise Annabelle Davis-Goff, dont il aura deux enfants, Max et Jenny.

 

Mike Nichols - The Fortune

Sorti du Jour du Dauphin, Nichols cherchait à se relancer avec un film plus à son goût. Le scénario de The Fortune (La Bonne Fortune) écrit par Carole Eastman avait été écrit pour Warren Beatty et Jack Nicholson, qui retrouvait donc son réalisateur de Carnal Knowledge. Nichols remania le scénario de 240 pages avec un autre scénariste, Adrien Joyce, pour en faire un récit plus léger : ce serait une comédie screwball, dans la veine des films d’Ernst Lubitsch ou Howard Hawks, suivant deux escrocs minables, Nicky (Beatty) et Oscar (Nicholson), durant les années 1920. En cherchant à voler la fortune de « Freddie » Bigard (Stockard Channing), héritière d’une fortune acquise dans l’industrie de la serviette hygiénique, les deux complices se retrouvaient coincés avec cette dernière dans un ménage à trois imposé par les lois morales du Mann Act alors en vigueur… Interdiction pour Nicky de fuir l’Etat avec l’héritière pour avoir des « relations immorales » : Oscar est donc forcé d’épouser celle-ci pour pouvoir s’enfuir. Mais il insiste pour avoir de vraies relations conjugales avec Freddie qui n’a d’yeux que pour Nicky, qui, lui, n’en veut qu’à sa fortune… Sur un mode léger (et avec une prestation amusante des deux larrons Beatty et Nicholson), The Fortune continuait à explorer les difficiles relations hommes-femmes vues par Nichols. Mais aux yeux des spectateurs de 1975, la screwball comedy légère n’avait plus d’intérêt. Ereinté par les critiques, le film fut un échec cinglant. Il semble même avoir disparu de la mémoire de ses principaux intéressés, notamment Jack Nicholson, affecté par la découverte d’un lourd secret de famille sur sa naissance durant le tournage. Pratiquement invisible depuis sa sortie, le film conserve cependant quelques rares fidèles qui l’apprécient. Après les déconvenues de ses quatre derniers films, Mike Nichols retourna à Broadway, mettant le cinéma entre parenthèses pour quelques années.

 

Fin de la 1ère partie.

 

Ludovic Fauchier

Aux disparus de l’été 2014…

Bonjour, chers amis neurotypiques ! L’été 2014 s’achève, et il fallait bien évoquer le souvenir de quelques figures marquantes du cinéma, disparues durant la saison… Ces dernières semaines, ce fut l’été meurtrier, si vous me passez l’expression, mais rassurez-vous, la Grande Faucheuse Cinéphile devrait (en principe) se calmer et nous pourrons revenir aux traditionnelles critiques de film. Voici le parcours et les souvenirs de quatre noms familiers du grand écran qui s’en sont allés cet été.

L. F.

 

Aux héros oubliés 2014... Richard Attenborough

Lord Richard Attenborough (1923-2014) était bien sûr le cinéaste oscarisé de Gandhi, ou l’acteur de La Grande Evasion et Jurassic Park… mais sa carrière ne s’est pas limitée pour autant à ces titres. En près de soixante-dix années de carrière, il semblait avoir tout vu, tout fait, dans le milieu du cinéma et du théâtre ; depuis ses débuts chez les cinéastes britanniques de la grande époque, jusqu’à sa participation dans le film de dinosaures de Steven Spielberg, en passant par quelques très grands classiques anglais et américains des années soixante, Lord Richard Attenborough s’est dépensé sans compter. Cumulant une impressionnante série de distinctions dépassant le cadre du cinéma et du théâtre, il fut aussi salué et renommé pour son implication dans de très nombreuses activités caritatives dans le monde entier (voir la liste phénoménale dressée par Wikipédia, dépassant une soixantaine de titres honorifiques divers). Difficile donc de résumer une carrière aussi riche en quelques paragraphes… Quoiqu’il en soit, ce drôle de petit homme toujours aimable et chaleureux, immédiatement reconnaissable à son visage poupin qui, avec l’âge, ressemblait au véritable Père Noël (qu’il incarna d’ailleurs !), laisse une trace particulière, en tant qu’acteur, réalisateur et producteur, dans l’histoire du cinéma. Lord Richard Attenborough méritait bien d’être salué ici comme il se doit, de la part d’un spielbergo-dinosaurien invétéré.

Richard Samuel Attenborough naquit à Cambridge le 29 août 1923, de parents universitaires très respectés (son père était un ancien diplômé de la grande université, expert reconnu en loi anglo-saxonne, et proviseur de lycée à Leicester). L’éducation ne fut pas un vain mot chez les Attenborough, le futur acteur-cinéaste et ses deux frères cadets eurent tous de belles carrières dans leurs domaines respectifs. Son plus jeune frère, Sir David Attenborough, est un très célèbre naturaliste en Grande-Bretagne, auteur d’émissions sur la vie animale diffusées dans le monde entier. Attenborough eut aussi deux sœurs adoptives, juives allemandes, recueillies par ses parents après leur fuite hors de l’Allemagne nazie en 1939. Une légende tenace veut que Richard Attenborough ait commencé à jouer au théâtre dès l’âge de trois ans ; toujours est-il qu’il fit réellement ses débuts d’apprenti comédien au Little Theater de Leicester, où il fit sa scolarité. Il entra ensuite à la prestigieuse RADA, la Royal Academy of Dramatic Arts, véritable vivier à talents et centre formateur des plus grands comédiens britanniques. Il fit ses débuts professionnels d’acteur sur les planches au moment où l’Angleterre entra en guerre contre l’Allemagne d’Hitler ; tout en jouant au théâtre, il fit ses grands débuts au cinéma en 1942 dans le célèbre film de guerre de Noel Coward et David Lean, Ceux qui servent en mer. Un petit rôle, non crédité, celui d’un jeune matelot terrorisé par les combats, et qui fuyait son poste au grand déplaisir, très britannique, de son flegmatique commandant joué par Coward… Richard Attenborough, avec son allure de petit garçon inquiet, excella à jouer des rôles similaires dans les années qui suivirent. Le jeune homme s’engagea dans la RAF, rejoignant l’unité de tournage dirigée par John Boulting pour filmer les opérations du Bomber Command. Tout en jouant dans des films de propagande (Journey Together, en 1943, avec Edward G. Robinson), le jeune Attenborough participa à des vols extrêmement dangereux, filmant depuis un bombardier les terribles images de tapis de bombes déversées sur les villes allemandes. En 1945, Attenborough épousa Sheila Sim, sa consoeur étudiante à la RADA, qui joua souvent avec lui à l’écran. Ils eurent trois enfants.

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ci-dessus : Brighton Rock (Le Gang des Tueurs) lança la carrière de Richard Attenborough au cinéma, en 1947, dans le rôle de l’inquiétant Pinkie Brown.

Après la guerre, les rôles vont s’enchaîner. D’abord des rôles très secondaires (par exemple un pilote de la RAF accueilli au Paradis, dans Une question de vie et de mort, de Michael Powell et Emeric Pressburger, en 1946), puis, très vite, ceux-ci vont céder la place aux premiers rôles, essentiellement grâce aux films produits et réalisés par les frères John et Roy Boulting, avec qui il signa un contrat. En 1947, Richard Attenborough fit sensation en reprenant le rôle de Pinkie Brown, petit gangster psychopathe, qu’il avait déjà incarné au théâtre dans l’adaptation par John Boulting du roman de Graham Greene, Brighton Rock (Le Gang des Tueurs). Dans cet excellent film noir très inspiré par le cinéma de Fritz Lang, Attenborough fut remarquable, montrant une monstruosité qu’on ne lui connaîtra guère par la suite. Le film fut un succès en Grande-Bretagne, et fit du jeune acteur une star dans son pays. Dans la décennie qui suivra, Attenborough sera le plus souvent à l’affiche de comédies très populaires avec Terry-Thomas (Private’s Progress / Ce Sacré Z’héros, 1956, ou I’m All Right Jack / Après moi, le Déluge, 1959 – ce dernier comprenant aussi Peter Sellers), de films de guerre à la gloire des soldats britanniques durant la 2ème Guerre Mondiale (Gift Horse / Commando sur Saint-Nazaire, Dunkerque, Danger Within), et de films policiers. Citons aussi son rôle d’un écolier de 13 ans, dans The Guinea Pig, alors qu’il en avait déjà 25 ! Ou encore sa participation, en 1951, au classique La Boîte magique, toujours réalisé par John Boulting. Toutefois, lassé de jouer les utilités dans des productions souvent mineures, Richard Attenborough voulait monter ses propres projets. Cet esprit érudit, passionné d’Histoire et d’éthique, cherchait à produire des films plus personnels, sa célébrité dans son pays lui permettant peu à peu de s’émanciper professionnellement. Avec le jeune cinéaste Bryan Forbes, Attenborough créa la société de production Beaver Films. Cumulant les postes de producteur et d’acteur, Richard Attenborough sera ainsi le garant de productions de qualité, obtenant le plus souvent le succès public et l’intérêt critique. Cela commença avec The League of Gentlemen / Hold-up à Londres, film policier de Basil Dearden avec Jack Hawkins (1959) ; Attenborough fut excellent dans The Angry Silence (Le Silence de la Colère) de Guy Green, en 1960. Il y jouait le rôle de Tom Curtis, un ouvrier suspecté d’être un traître par ses collègues grévistes. Toujours pour Beaver Films, Attenborough produisit Whistle down the wind (Le Vent garde son secret) de Bryan Forbes, où il fit une petite apparition.

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ci-dessus : scène de calvaire conjugal pour le pauvre Billy Savage, joué par Richard Attenborough dans Seance on a Wet Afternoon (Le Rideau de Brume), complètement étouffé par sa chère moitié dérangée (Kim Stanley)…

Avec les années 1960, les studios hollywoodiens cherchaient de plus en plus de grandes coproductions internationales, susceptibles de rallier les spectateurs à des films spectaculaires. Les acteurs britanniques, irréprochables professionnels, furent à la fête dans les castings de ces films restés dans la mémoire collective. Richard Attenborough, fort de son expérience de ses personnages de soldats et d’officiers, rejoignit en 1963, le casting de La Grande Evasion de John Sturges ; pour ce qui reste sûrement le meilleur récit d’évasion jamais filmé, Richard Attenborough était tête d’affiche avec Steve McQueen et James Garner, entourés de Charles Bronson, James Coburn, James Donald, Donald Pleasance et David McCallum. Le film retraçait (en romançant quelque peu) l’histoire vraie de la fuite de 250 prisonniers de guerre au nez et à la barbe de leurs geôliers nazis. Evasion méticuleusement planifiée dans le film par le Major Bartlett dit « Grand X », auquel Attenborough donna ses traits. Il y fut un peu le « clown blanc » de service, l’homme sérieux et organisé de cette galerie de personnages bravaches et débrouillards. Attenborough alterna les seconds rôles efficaces dans d’autres productions anglo-américaines, tout en s’attelant à ses projets de producteur, et en effectuant des recherches détaillées sur la vie du Mahâtma Gandhi… En 1964, Attenborough produisit et joua le rôle principal de Seance on a wet afternoon (Le Rideau de Brume) pour Bryan Forbes ; il fut salué et récompensé du BAFTA Award du Meilleur Acteur pour son personnage de Billy Savage, mari veule d’une fausse médium (Kim Stanley) poussé par cette dernière à commettre un kidnapping. Sa récompense fut groupée avec un autre rôle très réussi, celui du Sergent Major Lauderdale dans le drame guerrier Les Canons de Batusi de John Guillermin. On retrouva Attenborough à l’affiche, l’année suivante, du Vol du Phénix, classique du cinéma d’aventures où il était le co-pilote de James Stewart, tous deux naufragés des airs dans le Sahara, et devant tenir tête à leurs passagers assoiffés. Attenborough fut aussi très bon dans The Sand Pebbles (La Canonnière du Yang-Tsé), chef-d’oeuvre épique de Robert Wise, où il retrouva Steve McQueen, tous deux jouant des matelots américains confrontés aux troubles civils en Chine, en 1926. Attenborough y était le matelot Frenchy Burgoyne, tombé amoureux d’une jeune chinoise et perdant tout pour la protéger. Un personnage à la naïveté aussi touchante que tragique, et la performance d’Attenborough fut saluée d’un Golden Globe du Meilleur Acteur dans un Second Rôle. En 1967, Richard Attenborough obtint de nouveau cette récompense pour un personnage bien plus léger : Albert Blossom, organisateur de spectacle de cirque, aimable mais cupide, dans la comédie musicale Doctor Dolittle (L’Extravagant Docteur Dolittle), de Richard Fleischer, avec Rex Harrison. Son personnage y exhibait un animal bizarroïde, le Pushmi-Pullyu, un lama à deux têtes… La bonhomie joviale d’Attenborough rendait son personnage plutôt sympathique, et il n’est pas interdit d’y voir les prémices de son personnage de Jurassic Park.

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ci-dessus : vous pensiez que Richard Attenborough ne jouait que des gentils grands-pères éleveurs de dinosaures ? Ne regardez pas 10 Rillington Place (L’Etrangleur de Rillington Place), où le comédien donna ses traits à un véritable tueur en série, John Reginald Christie…

Avec les années 1970, l’acteur choisit de mettre sa carrière en retrait, pour pouvoir enfin devenir un cinéaste à part entière. Durant cette nouvelle décennie, Sir Richard Attenborough (devenu Commandeur de l’Ordre de l’Empire Britannique en 1967) alterna ainsi les projets de metteur en scène, affichant sa préférence pour les grands sujets historiques, et les « simples » rôles de comédien. En 1969, il réalisa Ah Dieu ! que la Guerre est jolie !, une très curieuse comédie musicale antimilitariste, critiquant l’attitude des élites militaires britanniques durant la 1ère Guerre Mondiale, avec les plus grands noms de la scène et de l’écran britanniques participèrent : Laurence Olivier, Michael Redgrave et sa fille Vanessa, John Gielgud, Ralph Richardson, Maggie Smith, Jack Hawkins, etc., tous reprenant des chansons classiques de l’époque dans une suite de tableaux ironiques. Le public suivit, les critiques (et certains historiens traditionnalistes) un peu moins. Parmi les films dans lesquels joua Richard Attenborough durant cette période, il faut s’attarder sur sa performance dans 10 Rillington Place (L’Etrangleur de Rillington Place), dû à Richard Fleischer. Attenborough campait John Reginald Christie, tueur en série tristement célèbre dans l’histoire criminelle de l’Angleterre, un homme ordinaire qui, se faisant passer pour un médecin amateur, asphyxiait, violait et tuait des femmes trop confiantes ; l’affaire fit d’autant plus grand bruit que Christie avait fait d’un certain Tim Evans le faux coupable idéal, condamné à mort à sa place pour le meurtre de sa femme Beryl et de leur bébé Géraldine… Histoire glaçante, pour un des films les mieux documentés sur un vrai tueur en série, et l’interprétation d’Attenborough était saisissante. Avec sa voix doucereuse, ses manières polies et gentiment autoritaires, et sa façon de se tenir en retrait tout en étudiant ses proies potentielles, Attenborough réussit à convaincre qu’il était ce personnage abominable. Les scènes où il manipulait le pauvre Evans (un excellent John Hurt) étaient particulièrement déstabilisantes. Sorti de cet affreux personnage, Attenborough réalisa ensuite, en 1972, Young Winston (Les Griffes du Lion), biopic sur la jeunesse de Sir Winston Churchill, avec Simon Ward, Robert Shaw, Anne Bancroft, et un tout jeune comédien prometteur : Anthony Hopkins, qui sera son acteur préféré. Le film se situait dans la lignée des grands films épique de David Lean, sans toutefois en retrouver le souffle.

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ci-dessus : Attenborough réalisateur signa le méconnu Magic en 1977. Dans cette scène, Corky Withers (Anthony Hopkins) est mis à l’épreuve par son agent (Burgess Meredith) de se séparer de sa marionnette Fats pendant cinq longues, très longues, minutes… Un supplice pour le magicien consumé par sa schizophrénie. 

On retrouva Attenborough acteur en 1975, face à Peter O’Toole dans Rosebud, un film raté d’Otto Preminger, et face à John Wayne venu jouer les Dirty Harry à Londres dans Brannigan. En 1976, Richard Attenborough se lança dans un nouveau projet épique : le film de guerre Un Pont Trop Loin, d’après Cornelius Ryan, relatant l’échec stratégique de l’Opération Market Garden qui devait libérer la Hollande du joug nazi en septembre 1944. Le film se situait dans la tradition instaurée par Le Jour le Plus Long : les Alliés, simples soldats ou prestigieux officiers, étaient tous joués par les stars de l’époque. Dirk Bogarde, Gene Hackman, James Caan, Robert Redford, Michael Caine, Elliott Gould, Ryan O’Neal, etc. venaient donc jouer devant les caméras d’Attenborough. La reconstitution était soignée, mais le film, assez académique (un reproche souvent fait au réalisateur) ne convainquit qu’à moitié. Reste que les scènes d’action étaient réussies, notamment les combats sur le pont d’Arnhem mettant en valeur les commandos de Sa Majesté, menés par Sean Connery et Anthony Hopkins. En 1977, Attenborough se fit remarquer en tant qu’acteur, jouant l’impitoyable Général Outram dans le film de Satyajit Ray, Les Joueurs d’Echecs. Peu après, il remplaça au pied levé Norman Jewison pour réaliser Magic, écrit par William Goldman. Un excellent film fantastique, de pure angoisse psychologique, où Corky Withers (Anthony Hopkins), un illusionniste timide, invente un numéro de ventriloque qui remporte un grand succès. Terrifié à l’idée de devenir une star, Corky se réfugiait auprès de son amour de jeunesse (adorable Ann-Margret) pour trouver un peu de sérénité… malheureusement, Fats, sa marionnette, à la personnalité cinglante et grossière, le dominait peu à peu. Histoire à la fois inquiétante et touchante, aidé par la prestation d’Hopkins (qui manipule et prête sa voix à Fats, basé sur son propre visage), est devenu un petit classique méconnu du genre. Richard Attenborough jouera ensuite dans le dernier film d’Otto Preminger, The Human Factor (La Guerre des Otages), qui sera (temporairement) son dernier rôle au cinéma, en 1979.

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ci-dessus : Gandhi, ou le couronnement de Richard Attenborough en tant que cinéaste. Pour mettre fin aux massacres entre groupes religieux qui ont marqué la séparation de l’Inde et du Pakistan, Mohandas Gandhi (Ben Kinglsey) entame une nouvelle grève de la fin qui peut lui être fatale. Un hindou (Om Puri) vient à lui pour le faire changer d’avis…

En 1980, Richard Attenborough put enfin rassembler les fonds nécessaires à la réalisation de son projet : Gandhi, après presque vingt ans de recherches et de démarches, fut enfin tourné. Un tournage marathon qui aboutit à la sortie du film, deux ans après. Un beau succès personnel pour le réalisateur-acteur, le film ayant été récompensé de huit Oscars, dont celui du Meilleur Film et du Meilleur Réalisateur. Sans oublier cinq Golden Globes (dont, là encore, ceux du Meilleur Film et du Meilleur Réalisateur) et autant de BAFTA Awards, parmi une flopée d’autres prix internationaux et un déluge de louanges pour cette biopic remarquablement documentée, sur la longue vie et les combats politiques de Mohandas Karamchand Gandhi (Ben Kingsley), timide petit avocat de seconde zone devenu le père spirituel de la Nation Hindoue, et le défenseur acharné de la non-violence, face à la répression coloniale britannique comme face aux troubles religieux enflammant son pays indépendant en 1947. Le film reste bien évidemment un tour de force de la part de Ben Kingsley, transformé et justement récompensé pour son interprétation de Gandhi. La mise en scène d’Attenborough, alternant grandes scènes épiques et moments intimistes, s’inscrivait quant à elle dans la tradition du cinéma de David Lean, qui avait failli d’ailleurs tourner son propre film sur Gandhi ; il fut même question, à la fin des années 1960, qu’Attenborough jouât le rôle pour lui… Après ce triomphe, Sir Richard Attenborough, signa en 1985 la comédie musicale Chorus Line, avec Michael Douglas entamant une relation avec une de ses danseuses (instincts basiques…). Attenborough fut une nouvelle fois nominé aux Golden Globes. Puis, en 1987, il réalisa Cry Freedom. Ecrit par John Briley, son scénariste de Gandhi, le film relatait le combat de Steve Biko (Denzel Washington) contre la ségrégation raciale violente en Afrique du Sud, face au gouvernement de Pretoria. Le film racontait aussi la prise de conscience d’un journaliste blanc, Donald Woods (Kevin Kline), réalisant à ses risques et périls la violence de ce gouvernement honni (et toujours actif lorsque le film fut tourné). Un grand et noble projet, solidement mis en scène, Attenborough obtenant de remarquables performances de Kline et de Washington, débordant de charisme et de chaleur humaine dans le rôle du défunt jeune leader sud-africain. Si le film obtint de nouvelles récompenses (nominations pour Attenborough aux Golden Globes), il s’attira quelques critiques en route, lorsque le film s’intéressait à la fuite de Woods et sa famille hors de son pays, plus qu’au combat de Biko. Malgré cette réserve, Cry Freedom n’en demeure pas moins un très beau film. Plus réussi, en tout cas, que Chaplin, sorti en 1992. Jugée trop longue, trop respectueuse et recouvrant une trop grande partie de la vie de Charles Chaplin (Robert Downey Jr.), de son enfance malheureuse jusqu’à ses démêlés avec le FBI l’accusant de sympathies communistes, cette biopic n’obtint qu’un accueil mitigé. Saluons toutefois le sens du casting de Richard Attenborough, véritable découvreur de talents : après avoir lancé les carrières de Ben Kingsley et Denzel Washington, il fit de même ici avec un jeune Robert Downey Jr. très convaincant, entouré d’une pléiade de têtes familières : Dan Aykroyd, James Woods, Diane Lane, l’indispensable Anthony Hopkins et la propre fille de Charlie Chaplin, Géraldine Chaplin, incarnant ici sa propre grand-mère, Hannah.

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ci-dessus : un moment de calme dans Jurassic Park, où John Hammond (Richard Attenborough) tombe le masque et repart dans ses rêves enfantins, à la consternation d’Ellie Sattler (Laura Dern), morte d’inquiétude…

Et ensuite, Sir Richard Attenborough fit son come-back comme acteur, à soixante-dix ans, parmi les dinosaures ! Il accepta volontiers la proposition de Steven Spielberg de rejoindre le casting de Jurassic Park, sorti en 1993. Le cinéaste d’E.T. remercia ainsi son aimable confrère, oscarisé à sa place pour Gandhi, qui avait pourtant parlé en sa faveur. Il lui donna le rôle de John Hammond, l’homme d’affaires milliardaire excentrique, propriétaire d’un parc naturel où s’ébattent en liberté surveillée des dinosaures bien vivants, ressuscités par l’ingénierie génétique. Au grand dam des trois scientifiques invités pour expertiser son parc (Sam Neill, Laura Dern et Jeff Goldblum), la visite merveilleuse tournera comme on le sait au désastre, un sabotage permettant aux plus dangereux pensionnaires du zoo de faire leur grande évasion… Certes, ce furent les dinosaures plus vrais que nature qui attirèrent en masse le public, mais, parmi les acteurs, Attenborough s’amusa comme un petit fou à donner un caractère très coloré à son personnage, beaucoup plus antipathique dans le roman original de Michael Crichton. Le Hammond d’Attenborough restait un grand enfant, jovial, charmeur, un brin manipulateur et mégalomane ; à l’instar de nombreux autres personnages de l’acteur-cinéaste, il restait mélancolique, ressassant ses souvenirs de jeunesse de son cirque de puces à Pettycoat Lane… et se montrait carrément irresponsable en envoyant, en totale bonne conscience, ses chers petits-enfants vers une mort certaine ! Ce personnage sympathique mais ambigu, entre Frankenstein et Walt Disney, reviendra quatre ans plus tard, défait et malade, dans Le Monde Perdu, le temps de deux scènes. Là encore, beaucoup d’accidents et de frayeurs avant qu’Hammond, racheté de ses erreurs passées, aie le dernier mot.

Cette même année 1993, Richard Attenborough signera aussi comme réalisateur un joli mélodrame très « cup of tea« , Shadowlands (Les Ombres du Cœur). Son vieil ami Anthony Hopkins y jouait le rôle de C.S. Lewis, respecté universitaire d’Oxford, auteur à succès des livres des Chroniques de Narnia, et célibataire endurci touché par l’amour pour la poétesse mariée Joy Gresham (Debra Winger). Une jolie romance dans laquelle Attenborough offrait à son acteur favori un de ses plus beaux rôles. Le triomphe planétaire de Jurassic Park aura permis à Sir Richard Attenborough de redevenir, temporairement, une star aux yeux du jeune public, et il avait l’allure idéale pour être en 1994 Kris Kringle, le vieux héros de Miracle sur la 34e Rue, remake d’un classique de 1947, où une petite fille se persuadait que ce gentil vieux bonhomme mythomane était bien le seul et unique Père Noël. Sir Richard Attenborough retourna à la mise en scène, mais avec moins de bonheur qu’auparavant ; il signa en 1996 le drame romantique In Love and War / Le Temps d’aimer, où le jeune Ernest Hemingway (Chris O’donnell), ambulancier durant la 1ère Guerre Mondiale, tombait amoureux d’Agnès, une infirmière polonaise jouée par Sandra Bullock. Peu convaincant, le film fut un échec. On revit Attenborough dans ses derniers rôles d’acteur : l’ambassadeur anglais invité à la cour du Hamlet de Kenneth Branagh ; et après son retour en Hammond dans Le Monde Perdu, Sir Richard Attenborough tint son dernier rôle au cinéma en 1998 en étant Sir William Cecil, le conseiller politique, Secrétaire d’Etat et Grand Trésorier, de la jeune Reine Elizabeth (Cate Blanchett), héroïne du film homonyme de Shekhar Khapur. Ralentissant ses activités au cinéma en raison de son grand âge et de ses nombreuses actions humanitaires, il signa ses deux derniers films, malheureusement moins notables : Grey Owl, un curieux film d’aventures de 1999, avec Pierce Brosnan en trappeur anglais devenant environnementaliste pro-indien ; et il signa son dernier film en 2007, Closing the Ring, ou War and Destiny, un mélodrame plein de nostalgie avec Shirley MacLaine et Christopher Plummer. Entré à la Chambre des Lords, très affaibli après diverses épreuves ces dernières années – il perdit sa fille, Jane, et une de ses petites-filles, tuées dans le tsunami du 26 décembre 2004 ; une attaque cardiaque en 2008 qui le diminua gravement -, Lord Richard Attenborough ne quittait plus la maison de repos où lui et son épouse Sheila passèrent ensemble leurs derniers jours. Le grand homme mourut finalement le 24 août 2014, à quelques jours de son 91ème anniversaire.

A l’annonce de son décès, tout ses proches, familles, amis et professionnels, saluèrent sa mémoire comme il se doit. Les nostalgiques des dinosaures d’Isla Nublar, dont votre serviteur fait partie, se joindront à eux ; le jeune réalisateur Colin Trevorrow, réalisateur de Jurassic World, chargé par Steven Spielberg de relancer la saga, a tweeté une photo d’une statue d’Attenborough dans son personnage d’Hammond, utilisée pour le décor du film qui sortira l’an prochain.

Respect, Sir Richard Attenborough, pour votre parcours.

 

Aux héros oubliés 2014... James Garner

James Garner (1928-2014)

Dur été pour les derniers héros de La Grande Evasion. Un moins avant Lord Richard Attenborough, James Garner, le « Chapardeur » de la bande, s’en était allé le 19 juillet dernier… James Garner était une figure familière du petit et du grand écran américains, où sa belle gueule et son sens de l’humour lui valaient la sympathie immédiate du public. S’il ne fut pas à proprement parler une superstar, Garner eut quand même droit à des premiers rôles mémorables dans des classiques, particulièrement durant les années 1960 où il fut une tête d’affiche des plus appréciées.

Né James Baumgarner (ou Bumgarner, selon les biographies) dans une famille méthodiste de Norman, petite ville de l’Oklahoma, le 7 avril 1928, il eut une enfance difficile. Lui et ses frères perdirent leur mère, morte quand il n’avait que cinq ans, et leur père Weldon, un poseur de tapis, se remaria quelques temps plus tard. La belle-mère Baumgarner était une femme violente et détestable, qui battait les trois garçons pour un oui ou un non, et s’en prenait surtout à James, le plus jeune des trois frères. Le père divorça après un incident gravissime où elle faillit tuer James, et emménagea à Los Angeles. A 16 ans, James Baumgarner, après des petits boulots, s’engagea dans la marine marchande à la fin de la 2ème Guerre Mondiale, mais souffrait du mal de mer. Après quoi, il rejoignit son père à Los Angeles, alla à la Hollywood High School puis revint à Norman pour ses études, qu’il ne finit jamais… Populaire, bon sportif, il y était le « mec sympa » par excellence, et de son propre aveu un très mauvais élève. Engagé dans la Garde Nationale, James Baumgarner alla ensuite servir en Corée durant 7 mois, en tant que soldat durant le conflit. Il fut un bon soldat, blessé à deux reprises (dont une blessure au genou qui le fera souffrir jusqu’à la fin de sa vie), récompensé à deux reprises de la Purple Heart. Il déclara de cette époque qu’elle fut « ses années de lycée », où il développa une personnalité de joyeux combinard et « parasite », le préparant en quelque sorte à ses futurs rôles à succès… Revenu à la vie civile, il décida de devenir acteur, rejoignant la troupe de la pièce The Caine Mutiny Court Martial avec Henry Fonda en tête d’affiche. James Baumgarner fit des apparitions dans des publicités avant d’être remarqué par les directeurs de casting de Warner Bros. : une solide carrure, le sens de la répartie et de l’humour, le voilà qui fit donc ses premières apparitions au cinéma, dans des seconds rôles, en 1956, dans The Girl He Left Behind avec Natalie Wood et Toward the Unknown avec William Holden. Tout naturellement, il apparaîtrait aussi dans des productions télévisées estampillées Warner Bros., où il avait signé un contrat. Le studio ne prit pas la peine de le prévenir que son nom fut changé en « James Garner », à sa grande colère, mais il s’y fit… Et la télévision fut son tremplin, dans une ambiance de western.

La télévision américaine fit une consommation massive de séries westerns à la fin des années 1950. C’est ainsi que James Garner put créer le personnage qui le rendit célèbre : le joueur de poker professionnel Bret Maverick, charmeur, truqueur et baratineur, plus malicieux que violent, et se servant davantage de sa cervelle que d’un revolver, à l’opposé des conventions du genre. Le personnage apparut dans un épisode de la série Sugarfoot, et plut tellement que le producteur Roy Huggins, avec Garner, créa la série Maverick autour de ce sympathique anti-héros. De 1957 à 1960, Garner battit des records d’audience, et croisa un grand nombre de « gueules » familières du western (Slim Pickens, Lee Van Cleef…), ainsi que quelques débutants à l’aube de leur carrière, comme Robert Redford ou Clint Eastwood. Ce dernier apparut en méchant desperado dans l’épisode Duel at Sundown, tourné avant qu’il ne devienne lui-même une star grâce à Rawhide ! Quarante ans plus tard, Eastwood retrouvera avec plaisir Garner pour un autre type de western…

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ci-dessus : un moment classique de La Grande Evasion. Pour Hendley (James Garner) et son copain myope Blythe (Donald Pleasance), la chance de faire la nique aux nazis se joue à peu de choses…

Une brouille avec les responsables du studio poussera finalement Garner à tenter sa chance au cinéma, dans les premiers rôles. L’acteur aura ainsi une bonne côte de popularité au box-office durant les années 1960. On le vit notamment avec Shirley MacLaine et Audrey Hepburn dans le drame de William Wyler The Children’s Hour (La Rumeur, 1961), dans les comédies à succès avec Doris Day The Thrill of it all (Le Piment de la Vie) de Norman Jewison, et Pousse-toi, Chérie, tous deux sortis en 1963. On se souvient surtout de son rôle de Hendley, le pickpocket truqueur de La Grande Evasion de John Sturges, triomphe au box-office de cette même année 1963. Toujours décontracté, Garner y fut quelque peu éclipsé par un Steve McQueen alors en pleine ascension, mais il s’en sortait très bien, notamment dans ses scènes où il fait équipe avec l’ornithologue faussaire atteint de cécité campé par Donald Pleasance. Citons aussi The Americanization of Emily (Les Jeux de l’Amour et du Hasard, 1964), comédie dramatique d’Arthur Hiller avec Julie Andrews, et qui resta son film préféré ; la comédie The Art of Love (1965) toujours de Norman Jewison, avec Angie Dickinson ; Grand Prix (1966), le film de John Frankenheimer qui lui permit de mettre en avant sa passion des courses automobiles, aux côtés de Toshirô Mifune, Eva Marie Saint et Yves Montand ; Duel at Diablo (La Bataille de la Vallée du Diable, 1966) de Ralph Nelson avec Sidney Poitier, et l’intéressant Year of the Gun (Sept Secondes en Enfer, 1967) de John Sturges avec Jason Robards, sont deux solides westerns, le second faisant suite au classique Règlement de Comptes à OK Corral, en racontant ce qui arriva après la fameuse fusillade. Garner y tenait le rôle de Wyatt Earp, le Marshal de Tombstone, succédant à Henry Fonda et Burt Lancaster. Cependant, le manque de succès de certains de ces films (Grand Prix notamment) et le registre limité des rôles offerts au comédien l’amenèrent à jouer dans des films de moindre importance. Citons par exemple Marlowe (La Valse des Truands), où il campe le fameux détective privé affrontant un tueur à gages joué par Bruce Lee, ou Support your local Sheriff !, un western comique, tous deux sortis en 1969.

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ci-dessus : une belle scène de Victor/Victoria, où King (James Garner) et Victoria (Julie Andrews) réalisent qu’ils ont bien du mal à accorder leurs violons. Un avocat gangster persuadé, de ne pas en être un, peut-il vivre avec une femme jouant à être un homme se faisant passer pour une femme, sans craindre pour sa réputation ?

Sa carrière au cinéma battant de l’aile, James Garner, à 46 ans, revint à la télévision pour jouer dans sa seconde série à succès, créée par Roy Huggins et Stephen J. Cannell : ce sera The Rockford Files (200 Dollars, plus les frais), qui, entre 1974 et 1980, captiva les spectateurs de la chaîne NBC. Garner y jouait Jim Rockford, un ex-détenu condamné à tort, devenu détective privé pour aider d’autres personnes victimes d’erreurs judiciaires. Un beau succès pour l’acteur, qui y retrouva une certaine popularité, en jouant toujours de son humour décontracté. Dans les années 1980, après un bref come-back télévisé dans la peau de son personnage fétiche (Bret Maverick, 1981-82), James Garner apparut dans quelques films notables. Il fut excellent dans la comédie de Blake Edwards, Victor/Victoria (1982), où il jouait un avocat véreux, homme à femmes subitement troublé par l’étrange « Comte Victor Grazinski », alias Victoria Grant (Julie Andrews), chanteuse se faisant passer pour un homme travesti en femme ! Le film reste un modèle d’écriture et de mise en scène, et le timing comique de Garner, dont le personnage voyait ses préjugés sexuels remis en cause par l’amour dans le Gay Paris des années 1930, fait mouche. En 1985, Garner fut salué par la critique pour son rôle dans Murphy’s Romance (1985), une comédie romantique de Martin Ritt, où il jouait un pharmacien veuf amoureux d’une femme divorcée plus jeune que lui, jouée par Sally Field. Garner obtint sa seule nomination à l’Oscar, pour son second rôle. Il retrouva Blake Edwards dans le polar humoristique Sunset (Meurtre à Hollywood, 1988), où il incarna à nouveau Wyatt Earp. Le héros légendaire du Vieil Ouest finissait ici ses jours comme consultant technique à Hollywood dans les années 1920, faisant équipe avec le cow-boy de l’écran Tom Mix (Bruce Willis) pour résoudre une sombre affaire criminelle.

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ci-dessus : le Révérend Tank Sullivan (James Garner), retraité de l’US Air Force, va retrouver une seconde jeunesse grâce à son vieux copain Frank Corvin (Clint Eastwood), dans ce passage savoureux de Space Cowboys !

James Garner continuera, tout au long des années 1990 et 2000, de faire des apparitions à la télévision. Il décrocha notamment des nominations au Golden Globe du Meilleur Acteur pour les téléfilms Decoration Day (1990) et Barbarians at the Gates (1993). Il reprit le rôle de Jim Rockford pour une nouvelle série de The Rockford Files, sera également présent dans le casting de la série Chicago Hope (1994-2000) et rejoindra celui de la sitcom 8 Simple Rules… (Touche pas à mes filles !), de 2003 à 2005, après le décès de l’acteur principal, John Ritter. Au cinéma, James Garner retrouva l’univers western de Bret Maverick dans l’adaptation signée Richard Donner en 1994, aux côtés de Mel Gibson, Jodie Foster et James Coburn. Garner y jouait Zane Cooper, un marshal filou, et qui n’était autre que Bret Maverick surveillant son fils homonyme joué par Gibson. La bonne humeur régnait sur ce film très cabotin, bien plus proche de l’esprit des Lucky Luke que des westerns d’antan. Et, près de quarante ans après s’être croisés sur le plateau de Maverick, Clint Eastwood et James Garner partageront l’affiche d’un même film. A la demande de Clint, Garner accepte de jouer avec ce dernier, Tommy Lee Jones et Donald Sutherland une bande de papys astronautes toujours verts dans le savoureux Space Cowboys, sorti en 2000. Garner y était toujours à l’aise dans les scènes de comédie – voir les hilarantes scènes d’entraînement à la NASA, ou lorsqu’il s’embrouille dans le sermon qu’il doit prononcer… Grand fumeur, l’acteur, affaibli par les problèmes de santé (des opérations du genou durant les années 1970, un quintuple pontage en 1988), dut réduire ses activités. Il obtint cependant les félicitations des critiques pour son dernier rôle notable dans le drame romantique de Nick Cassavetes, The Notebook (N’oublie jamais, 2004). James Garner apparut pour la dernière fois au cinéma en 2007 dans le film The Ultimate Gift, et prit sa retraite, se contentant de quelques doublages, avant qu’une crise cardiaque ne l’emporte dans sa villa de Beverly Hills, le 19 juillet dernier.

Aux héros oubliés 2014... Dick Smith

Dick Smith (1922-2014)

Cet homme très tranquille, méconnu du grand public, fut sans doute responsable d’un grand nombre de cauchemars faits par les spectateurs de la planète entière en 1973, lorsque L’Exorciste sortit dans les salles obscures… Toutefois, le nom de Dick Smith ne se limite pas à la création de ses remarquables maquillages pour le film terrifiant de William Friedkin. Ce grand chef maquilleur a su, en même temps que John Chambers (La Planète des Singes) ou Stuart Freeborn (Docteur Folamour, 2001 : L’Odyssée de l’Espace, Star Wars), faire entrer le maquillage de cinéma dans une nouvelle ère, grâce à des techniques originales qui continuent d’être appliquées par les meilleurs experts de ce domaine. Dick Smith fut un pionnier et le mentor d’une génération de génies du latex et des prothèses, qui ont depuis littéralement fait le cinéma fantastique moderne, à commencer par son plus célèbre disciple : Rick Baker (Le Loup-garou de Londres, Greystoke la Légende de Tarzan, Men In Black, etc.) qui lui a rendu un hommage sincère dès l’annonce du décès de son mentor. La filmographie de Dick Smith suffit à elle seule à prouver le talent de cet artisan très spécial : il a ainsi travaillé non seulement avec William Friedkin, mais aussi avec John Schlesinger, Arthur Penn, Francis Ford Coppola, Martin Scorsese, Michael Cimino, David Cronenberg, Ken Russell, John Carpenter, Milos Forman ou Robert Zemeckis. Smith (que l’on voit ci-dessus poser parmi ses créations, se tenant juste au-dessus de la tête de Regan dans L’Exorciste) créa aussi bien des effets mémorables pour quelques films fantastiques bien traumatisants, mais aussi une gamme de maquillages plus discrets, quasiment invisibles, dans des productions de très grand prestige.

Né Richard Emerson Smith à Larchmont, New York, le 26 juin 1922, Dick Smith voulait devenir dentiste dans sa jeunesse, et il suivit des cours préparatoires à l’école Wooster puis à l’Université de Yale. En créant des maquillages pour le groupe d’art dramatique de Yale, Smith trouva sa véritable voie. Son tout premier travail de maquilleur au cinéma fut pour un western de série B, The Cowboy and the Blonde, en 1941. Après le service militaire durant la 2ème Guerre Mondiale, Smith reprit son travail de maquilleur ; au cinéma, il sera crédité pour la première fois au générique sur un film d’aventures dû à Henry Hathaway, Down to Sea in Ships (Les Marins de l’Orgueilleux) en 1949. Ce fut toutefois à la télévision que Dick Smith travailla le plus souvent ; nommé directeur du département maquillage de la chaîne NBC, il y officiera durant 14 années, sur des séries et des téléfilms. Il se démarquera des effets de maquillage ordinaires par la création de prothèses en mousse de latex, appliquées sur le visage des comédiens ; un procédé très différent à une époque où les maquilleurs professionnels préféraient « tartiner » les pauvres acteurs dans des masques rigides, étouffant leurs interprètes. Avec la méthode imaginée par Smith, les comédiens étaient nettement plus libres, gardant leurs expressions naturelles, même s’ils devaient jouer un monstre ou un vieillard. Smith expérimenta des trucages astucieux, comme le visage à demi effacé de Barry Morse dans la série fantastique de Roald Dahl, Way Out, ou le vieillissement accéléré du vampire Barnabas Collins (Jonathan Frid) dans la série Dark Shadows.

Le talent de Smith ne passerait pas inaperçu des cinéastes, à la toute fin des années 1960. Une période idéale pour le maquilleur, auteur en 1965 d’un livre culte pour les jeunes apprentis maquilleurs : Dick Smith’s Do-It-Yourself Monster Make-up Handbook, plein de conseils astucieux… tellement célèbre qu’il reste cité comme source d’inspiration par de nombreux maquilleurs professionnels et futurs cinéastes américains – voir le gamin du film Super 8, qui citait ce livre ! Le réalisateur britannique John Schlesinger engagea Dick Smith pour créer le maquillage de Ratso Rizzo (Dustin Hoffman), le petit escroc souffreteux de Macadam Cowboy en 1969. Dustin Hoffman, 33 ans à l’époque, repassera l’année suivante entre les mains de Dick Smith pour devenir Jack Crabb, un vieillard de 120 ans racontant sa jeunesse au temps du Far West dans le prologue de Little Big Man, d’Arthur Penn. Un coup de maître de la part de Smith : beaucoup de spectateurs se demandaient alors qui était ce vieillard chevrotant engagé ouvrant et concluant le film… avant de réaliser que c’était bien Dustin Hoffman, vieilli de 90 ans par Smith et totalement crédible !

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ci-dessus : dans les archives de tournage de L’Exorciste… Dick Smith au travail sur les effets de maquillage qui ont fait sa renommée – y compris le maquillage de Max Von Sydöw !

Avec ce coup de maître, Dick Smith rendit sa profession reconnaissable et honorable, même s’il faudra attendre 1981 avant que l’Académie des Oscars se décide enfin à créer une catégorie spéciale pour les génies du maquillage. Ironie du sort, si Smith fit sortir son métier de l’anonymat, il ne fut jamais récompensé d’un Oscar pour ses meilleurs travaux dans les années 1970. Et pourtant, quel parcours impressionnant… Après Little Big Man, et après avoir de nouveau transformé Dustin Hoffman dans Qui est Harry Kellerman ?, Smith va être engagé par Francis Ford Coppola pour travailler sur Le Parrain. Il se chargera de vieillir Marlon Brando et de le transformer en mafioso vieillissant, tout en élaborant, avec l’équipe des effets spéciaux, des trucages ingénieux pour les exécutions emblématiques du film. Le mot d’ordre est « réalisme », qu’il s’agisse du mitraillage en règle de James Caan, façon Bonnie and Clyde, ou du « Moe Green Special« , pour la scène où le truand joué par Alex Rocco se fait crever l’œil d’un coup de feu à travers ses lunettes. Le travail de Smith lui vaudra de reprendre du service sur le second film, où il se chargera de nouvelles exécutions brutales. Ses connaissances médicales seront précieuses pour montrer au public les effets réels et variés des exécutions montrées dans la saga de Coppola : notamment le saisissant « nuage rouge » qui jaillit de la tête de Don Fannucci (Gastone Moschine), assassiné d’une balle dans la bouche par le jeune Vito Corleone (Robert De Niro). Le rôle de Smith sur le troisième film, en 1990, se limitera au dessin du maquillage vieillissant sur Al Pacino, le maquilleur déléguant les effets sanglants à ses assistants. L’expérience du Parrain convainquit sans doute Dick Smith que les effets les plus impressionnants seront dûs à l’alliance de différents domaines (maquillages + effets spéciaux pratiques), ainsi qu’à des choix de mise en scène faits par des réalisateurs compétents. En 1973, ce fut L’Exorciste de William Friedkin qui mit en valeur son travail. Un tournage difficile pour la jeune Linda Blair, 12 ans, qui jouait la fillette possédée et atrocement transformée par le démon Pazuzu ; la fillette supporta à la fois les maquillages de Smith et les effets physiques créés par Marcel Vercoutere, dont un douloureux harnais mécanique simulant les convulsions de son personnage. Smith créa notamment l’un des premiers systèmes de bladders (vessies gonflables, simulant les déformations de la peau), et l’une des premières marionnettes animatroniques (réplique de l’actrice utilisée pour la scène où sa tête pivote à 360 degrés), ainsi que des maquillages plus classiques, mais toujours impressionnants. Le sommet étant le faux vomi projeté par la bouche de l’actrice (surtout sa doublure, Eileen Dietz) : des tubes maquillés glissés dans la bouche ouverte de la comédienne, et pompant une abondante soupe de pois sur les autres acteurs. Ces moments horrifiques, L’Exorciste n’en manquait pas… éclipsant pourtant le travail plus discret, et tout aussi remarquable, de Smith sur l’acteur Max Von Sydöw. Le grand comédien suédois avait 44 ans à l’époque du tournage. Personne ne s’étonnait alors qu’il jouait un prêtre de 80 ans, malade et épuisé… Von Sydöw, maintenant octogénaire, toujours présent au générique de nombreux films, semble maintenant sortir tout droit de l’atelier de maquillage de Dick Smith ! Celui-ci sera hélas oublié lors des remises de prix, continuant à travailler sur d’autres films mémorables : il malmènera une nouvelle fois Dustin Hoffman, sa victime préférée, portant de fausses dents ravagées après les épouvantables tortures qu’il subit de la part de l’ex-nazi joué par Laurence Olivier dans Marathon Man (1976). Curieux retour aux sources pour Smith, qui voulait être dentiste dans sa jeunesse… La même année, il créera les moments choc du Taxi Driver de Martin Scorsese : les impacts sanglants du massacre final (dont la main du souteneur éclatant en miettes), ce sera de nouveau son travail. Pour ce même film, Smith dotera Robert De Niro de sa célèbre coupe de cheveux iroquois, en réalité un postiche posé sur les vrais cheveux du comédien. Encore un remarquable maquillage invisible ! Dans le même registre, Smith travaillera aussi sur les bras de Christopher Walken ravagés par les piqûres d’héroïne et les effets de la roulette russe dans The Deer Hunter (Voyage au bout de l’enfer, 1978), de Michael Cimino.

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ci-dessus : la scène finale d’Altered States (Au-delà du Réel) démontre l’extraordinaire réussite des maquillages conçus par Dick Smith. Edward et Emily Jessup (William Hurt et Blair Brown) subissent de plein fouet les effets d’un « retour d’acide » particulièrement violent…

Le maquilleur croulait sous les propositions des studios, toujours désireux de terroriser les spectateurs avec des scènes chocs ; les talents de Smith furent mis à contribution sur The Sentinel (La Sentinelle des Maudits, 1977), un film d’horreur culte de Michael Winner avec des vieilles gloires comme Ava Gardner, John Carradine ou Burgess Meredith en têtes d’affiche, ou encore, plus discrètement, pour les maquillages de L’Hérétique, la suite bâclée de L’Exorciste due à John Boorman. Le travail de Smith fut nettement plus intéressant sur Altered States (Au-delà du Réel), un classique du genre, signé en 1980 par le cinéaste britannique Ken Russell, succédant à Arthur Penn initialement engagé à la réalisation. Riche en scènes hallucinogènes (la spécialité de Russell), Altered States suivait un docteur Jekyll moderne, Edward Jessup (William Hurt), obnubilé par la découverte du Soi Originel ; par le biais d’expériences de privation sensorielle, et une absorption massive de drogues chamaniques, Jessup « régressait » jusqu’à une forme de vie primale, au risque de mettre sa santé mentale, sa vie et celle de ses proches en très grand danger. Pour l’occasion, Smith se surpassa en créant des métamorphoses traumatisantes : le corps de Hurt, filmé en nu full frontal, se déformait sous des angles impossibles, l’acteur simulant la douleur causée par sa mutation. Utilisant judicieusement sa technique des bladders, Smith créa aussi une réplique animatronique complète de l’acteur transformé en une masse de protoplasme hurlant, ainsi qu’un très réaliste maquillage intégral d’homme primitif pour une scène où le héros régressait à l’âge préhistorique. Smith ne fit pas mieux depuis, dans le même genre, même si ses créations ultérieures étaient toujours de très grande qualité : citons rapidement quelques scènes tout aussi traumatisantes pour le film Ghost Story (Le Fantôme de Milburn), en 1981, où quatre gentlemen (dont Fred Astaire) sont terrorisés par le fantôme d’une jeune femme noyée (Alice Krige), soigneusement « décomposée » par l’artiste maquilleur. On évoquera aussi sa contribution, comme consultant au projet, sur les mutations imaginées par le maître en la matière, David Cronenberg, sur son film fantastique Scanners, où des mutants aux dons psychiques déchaînaient des pouvoirs mortels : les tempes pulsaient violemment, la peau se couvrait de cloques, les yeux se révulsaient, et les têtes éclataient… Smith maquilla aussi, en 1983, David Bowie et Catherine Deneuve pour le tout premier film de Tony Scott, The Hunger (Les Prédateurs), film de vampires très stylisés où, malheureusement, ses créations furent quelque peu noyées dans les effets de lumière très « clipés » du réalisateur. La dégradation de Bowie en vieillard restait néanmoins très réussie. En 1984, Dick Smith fut appelé à travailler avec un autre grand nom du Fantastique, John Carpenter ; pour les besoins de Starman, où une jeune veuve (Karen Allen) venait en aide à un extra-terrestre naufragé ayant pris les traits de son défunt mari (Jeff Bridges), il travailla à une séquence de transformation, avec son ancien élève Rick Baker et leur collègue Stan Winston. La transformation du Starman, lueur d’énergie prenant l’apparence humaine, fut l’occasion pour Smith de créer un bébé animatronique lumineux de toute beauté. Enfin, cette même année, le travail de Dick Smith fut enfin reconnu par ses pairs à sa juste valeur : le grand cinéaste tchèque Milos Forman l’engagea pour maquiller F. Murray Abraham, inoubliable Salieri dans Amadeus. Le comédien de 45 ans fut transformé en vieillard malade de 80 ans, plus vrai que nature. Smith améliora encore ses techniques de vieillissement utilisées pour Little Big Man ou L’Exorciste ; Abraham sut faire vivre le maquillage qui ne le gênait pas, et Smith fut récompensé de son premier Oscar !

Après ce succès enfin bien mérité, Dick Smith continua encore à travailler quelques années, se retirant cependant progressivement d’un milieu où ses héritiers devenaient enfin reconnus à leur juste valeur. Les projets sur lesquels il travailla furent de moindre importance, à quelques exceptions près. Citons Mon Père (1989), une comédie dramatique produite par Steven Spielberg, où il vieillit Jack Lemmon, et obtint sa seconde nomination à l’Oscar ; Forever Young (1992), où, cette fois, il s’occupa de Mel Gibson et Jamie Lee Curtis ; il fut consultant technique sur les maquillages de La Mort vous va si bien (1992) de Robert Zemeckis, où son ancien assistant Kevin Haney transforma la filiforme Goldie Hawn en femme obèse ; et, après conçu les maquillages spéciaux de House on Haunted Hill (La Maison de l’Horreur) en 1999, Smith prit sa retraite définitive, continuant cependant de répondre de bonne grâce aux interviews des documentaires consacrés aux classiques sur lesquels il exerça ses talents. Il obtint finalement, des mains de son ami Rick Baker, un Oscar honoraire mérité pour sa carrière bien remplie, en 2012. Les amateurs de Fantastique et les passionnés d’effets spéciaux en tout genre se joindront à ce dernier, apprenant le départ de cet artiste discret et talentueux, le 30 juillet dernier, à l’âge de 92 ans.

Aux héros oubliés 2014... Eli Wallach

Eli Wallach (1915 – 2014)

On ne peut pas aimer les westerns et ne pas citer la réplique qui tue (littéralement) : « When you have to shoot, shoot, don’t talk ! »  Ou, si vous préférez la VF : « Quand on tire, on raconte pas sa vie ! ». Vous avez reconnu bien sûr cette maxime pleine de sagesse prononcée dans Le Bon, la Brute et le Truand par Tuco Beneficio Pacifico Juan Maria Ramirez (dit : « le Porc »), le truand mexicain absolu, qui fut le personnage le plus célèbre joué par Eli Wallach. Certes, la carrière de ce grand acteur de théâtre, qui s’est éteint le 24 juin 2014 à l’âge de 98 ans, ne s’est pas limitée au seul personnage de Tuco, mais, pour bon nombre de cinéphiles qui ont grandi avec le film de Sergio Leone, il est impossible de ne pas associer le nom de l’acteur à son personnage. Ou à celui, tout aussi « truand », du bandido Calvera dans un autre western légendaire, Les Sept Mercenaires… Eli Wallach n’avait pourtant pas une seule goutte de sang mexicain dans les veines, et il était le premier à en rire  !

 

Né le 7 décembre 1915 de parents confiseurs, immigrés polonais, Eli Herschel Wallach grandit dans le quartier italo-américain de Red Hook, dans la seule famille juive de tout le quartier. Le jeune Wallach fit des études à Austin, au Texas, où il fut diplômé en Histoire. Un séjour qui lui ouvrit les yeux, et lui fit gagner l’amour des planches, travaillant sur des pièces en amateur avec des étudiants nommés Ann Sheridan (future star hollywoodienne des années 1940) et Walter Cronkite (futur légende des informations télévisées US). C’est aussi au Texas qu’il apprit l’équitation, discipline idéale pour jouer, plus tard, dans les westerns ! Diplômé en 1940 d’une maîtrise des arts en éducation au City College de New York, il rejoignit la Neighborhood Playhouse School of Theatre pour devenir acteur professionnel, suivant les leçons de Sandford Meisner. Enrôlé sous les drapeaux en janvier 1941, Wallach dût mettre ses ambitions entre parenthèses durant la 2ème Guerre Mondiale, travaillant dans les hôpitaux militaires. Il participa à des spectacles pour les patients. Pour l’anecdote, durant son service, on lui apprit une astuce pour guérir immédiatement d’une gueule de bois : enfoncer les pouces sous l’arcade sourcilière, méthode indolore et efficace… un « truc » dont il se servira pour la scène de torture du Bon, la Brute et le Truand. Impressionnant à l’image, mais absolument indolore en réalité ! Démobilisé, Wallach revint à New York, étudiant l’art du jeu d’acteur sous la direction des plus grands maîtres : Erwin Piscator, immense figure du théâtre allemand, à la Dramatic Workshop of the New School, et Lee Strasberg à l’Actor’s Studio, où Wallach eut pour camarades de classe Marlon Brando, Montgomery Clift, Sidney Lumet et (plus tard) Marilyn Monroe. Ce fut à l’Actor’s Studio qu’il rencontra aussi sa future femme, l’actrice Anne Jackson. Wallach fit ses débuts à Broadway dès 1945. Il joua des pièces de Tennessee Williams, George Bernard Shaw, Eugène Ionesco… et en 1951, Eli Wallach obtint un Tony Award pour son interprétation dans La Rose Tatouée, la pièce de Tennessee Williams. Acteur de théâtre avant tout, il continuera à fréquenter les planches new-yorkaises jusque dans les années 2000.

 

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ci-dessus : dans Baby Doll, Silva Vaccaro (Eli Wallach) aime profiter d’un peu de bon temps avec la jeune et jolie Baby Doll (Carroll Baker), sur la balançoire…

 

Le cinéma américain « recrutant » de plus en plus les élèves surdoués de l’Actor’s Studio dans les années 1950, Eli Wallach fut évidemment repéré par les directeurs de casting. Il y eut un faux départ – Wallach aurait dû jouer le rôle de Maggio, le soldat « rital » forte tête de From Here to Eternity / Tant qu’il y aura des Hommes ; le grand réalisateur Fred Zinnemann était enthousiasmé par ses essais, mais Wallach dût décliner l’offre en raison de ses engagements au théâtre. Ce fut Frank Sinatra qui décrocha le rôle, « soutenu » non officiellement par ses protecteurs ; des hommes du genre à faire aux producteurs du film une offre qu’ils ne pouvaient pas refuser (anecdote qui inspirerait à Coppola l’histoire de Johnny Fontane, du producteur et de la tête du cheval dans le lit, dans Le Parrain !). Wallach fit ses débuts au cinéma sous l’égide d’Elia Kazan, toujours dans l’univers de Tennessee Williams, avec Baby Doll, sorti en 1956 et qui fit l’objet d’un beau scandale en son temps. Wallach s’y fit remarquer dans le rôle de l’ambitieux Silva Vaccaro, qui séduit la femme-enfant Baby Doll (Carroll Baker) sous les yeux impuissants de son mari Archie Lee (Karl Malden). Wallach remporta pour ce rôle le BAFTA Award et sa seule nomination aux Golden Globes.

 

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ci-dessus : entrée en scène mémorable de Calvera, le bad guy joué par Eli Wallach dans Les Sept Mercenaires ! L’art de piller et rançonner, à la mexicaine…

 

Alternant ensuite le théâtre, les rôles à la télévision (Mister Freeze dans le Batman kitsch des années 60 !), et le cinéma, Wallach, immédiatement reconnaissable à son physique trapu et moustachu, le prédestinant aussi bien à jouer les méchants, les types louches et les personnages comiques, sera une « gueule » inoubliable dans bon nombre de classiques. On se souviendra d’abord de Calvera, le grand méchant des Sept Mercenaires, où il tenait tête à merveille à Yul Brynner, Steve McQueen, Charles Bronson, James Coburn et les autres. Un méchant très élégant et intelligent, qui se permettait même d’offrir un pardon royal aux pistoleros venus défendre les villageois qu’il rançonnait. On se souviendra aussi de son rôle de Guido dans The Misfits (Les Désaxés, 1961), le film de John Huston où il capturait des chevaux sauvages avec Clark Gable, pour en faire de la colle, et dansait un rock endiablé avec son amie Marilyn Monroe. Il fut un autre bad guy mémorable dans le western à grand spectacle La Conquête de l’Ouest d’Henry Hathaway (aidé par John Ford et George Marshall) : Charlie Gant, qu’affronte George Peppard durant une spectaculaire attaque de train, filmée en Cinérama. Parmi les autres personnages d’affreux mémorables que Wallach créa au cinéma, il y eut le Général dans Lord Jim (1965), de Richard Brooks, un seigneur de guerre d’Extrême-Orient qui faisait passer un sale quart d’heure à Peter O’Toole. Dans le registre comique, Eli Wallach fut aussi remarqué dans Comment voler un million de dollars (1966), caper movie de William Wyler, où il jouait un homme d’affaires américain charmé par Audrey Hepburn, et grugé par Peter O’Toole, encore lui ! Ou encore Frankie Scanapieco, dindon de la farce du Cerveau (1969), le film de Gérard Oury, avec Jean-Paul Belmondo, Bourvil et David Niven.

 

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Ci-dessus : LA scène du Bon, la Brute et le Truand, où l’art d’interrompre les monologues des méchants, par Tuco / Eli Wallach. Avec commentaire optionnel de l’inamovible Blondin (Clint Eastwood)…

 

Mais bien sûr, le rôle pour lequel on continuera de se souvenir d’Eli Wallach reste Tuco, le crasseux mexicain du Bon, la Brute et le Truand… Tout compte fait, Tuco, aussi bête, grande gueule, grossier et sadique soit-il, reste le personnage le plus sympathique du trio qu’il formait avec le cynique Blondin (Clint Eastwood) et le cruel Sentenza (Lee Van Cleef). Tuco, grâce à la performance de Wallach et à un scénario aux petits oignons (dont ces dialogues entrés dans la légende), sort de la caricature le temps d’une scène émouvante où il retrouve son frère prêtre, pour une confrontation houleuse. Et heureusement, il provoque souvent les rires du spectateur, bien aidé en cela par la gestuelle et les mimiques clownesques de Wallach. Le film regorge de scènes cultes, comme ce moment extraordinaire où Wallach court à perdre haleine à la recherche de la tombe du cimetière de Sad Hill, sur une sublime musique d’Ennio Morricone. Le tournage fut un sacré souvenir pour l’acteur. S’il y gagna l’amitié de Clint Eastwood, il faillit aussi y perdre la vie, par deux fois ! La sécurité n’était pas à l’époque le souci majeur des productions italiennes, et Wallach n’avait pas de doublure quand il s’évadait du train de prisonniers. Les marchepieds en métal passèrent à quelques centimètres de sa tête, à pleine vitesse. Un autre jour, les techniciens posèrent par mégarde une bouteille remplie d’acide, prévue pour les effets spéciaux, près de la bouteille d’eau de l’acteur. Wallach se trompa et faillit boire l’acide… Quoiqu’il en soit, sa prestation, truculente à souhait, le « typa » pour des rôles similaires dans d’autres westerns, essentiellement transalpins, comme Les 4 de l’Ave Maria avec Terence Hill et Bud Spencer, ou Et Viva la Révolution ! avec Franco Nero. Il ne retravailla jamais avec Sergio Leone, bien qu’il aurait pu tourner dans ses films suivants. Leone voulait reformer le trio du Bon, la Brute et le Truand le temps de la scène d’ouverture d’Il était une fois dans l’Ouest et voulait lui donner le rôle de Juan dans Giu la Testa (Il était une fois la Révolution), mais après une brouille définitive, le rôle revint à Rod Steiger.

En dehors de ces rôles de coyote, Wallach continua à jouer des seconds rôles dans des productions des années 1970 (le film fantastique La Sentinelle des Maudits, La Théorie des Dominos avec Gene Hackman, ou Le Chasseur, dernier film de Steve McQueen, etc.), avant de se faire plus discret et de revenir vers les planches et la télévision (d’Arabesque à Urgences jusqu’à Nurse Jackie). Jusqu’à un âge avancé, Wallach ne cessa jamais de jouer. Il fit de fréquentes apparitions dans des rôles prestigieux, comme dans Le Parrain III (1990), où il jouait Don Altobello, faux ami de Michael Corleone (Al Pacino), planifiant dans l’ombre sa chute. Ce serait sans compter sans la sœur de Michael, Connie (Talia Shire), et ses dangereux cannolis… On le vit aussi en vieux rabbin traditionnaliste dans la comédie d’Edward Norton, Keeping the Faith (Au Nom d’Anna), où il faisait la leçon à Ben Stiller. Eli Wallach retrouva aussi son vieil ami Clint Eastwood sur le tournage de Mystic River : non crédité au générique, il jouait Mr. Loonie, le vieux marchand de liqueurs qui mettait les policiers Kevin Bacon et Laurence Fishburne sur la bonne piste. Parmi ses dernières apparitions, notons « le Fantôme », mystérieux vieil homme que rencontrait Ewan McGregor dans The Ghost Writer de Roman Polanski. Eli Wallach fit sa dernière apparition sur grand écran en 2010, dans le film d’Oliver Stone, Wall Street : L’Argent ne dort jamais. Il reçut en 2011 un Oscar honoraire pour sa longue et riche carrière, remis par un Clint Eastwood très ému.

Un dernier rappel, Mr. Wallach ? Bon, allez, pour la peine…Un autre moment culte du Bon, la Brute et le Truand : Tuco faisant ses courses…

 

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Ce pauvre marchand d’armes !

 

Ludovic Fauchier.

Just whistle – Lauren Bacall (1924-2014)

Lauren Bacall

« Quelqu’un a une cigarette ? ».

 

Par cette seule réplique, une jeune femme de 19 ans chavira les cœurs des spectateurs de 1944… et celui de son partenaire à l’écran. Quand Lauren Bacall apparut pour la première fois dans To have and have not (Le Port de l’Angoisse), Humphrey Bogart, le dur des durs à cuire par excellence, fut conquis. On peut le comprendre : la demoiselle aux grands yeux clairs félins et à la douce voix rauque, entra par la grande porte dans la légende du Cinéma… Un terme dont elle se moquait allègrement, car Lauren Bacall était du genre à garder la tête froide, et faisait preuve d’un humour cinglant envers la réputation de star de l’écran qu’on lui colla dès ses débuts. Et si ses films les plus célèbres restent indissociables du mythique couple qu’elle forma avec Bogart, sa carrière, elle, s’étendit sur sept décennies, ses années « star » n’occupant qu’une relative partie de sa longue vie.

 

Il n’en reste pas moins que, ce 12 août 2014, une des dernières figures témoins de l’Âge d’Or du grand cinéma hollywoodien s’en est allée. Lauren Bacall restera pour toujours une présence associée à l’imagerie fantasmé d’un film de la fin des années 1940. Un film qui commencerait par un bureau de détective privé, aux stores rabaissés, une bouteille de whisky posée négligemment sur le bureau. Le privé émergerait de ses réflexions, pieds posés sur la table, par l’arrivée de Miss Bacall, dans l’embrasure de la porte. Une apparition d’une beauté angélique mais malicieuse, qui dirait « Mr. Marlowe ? J’ai besoin de votre aide… ». Et ce film, qui n’a jamais sans doute existé ailleurs que dans l’imagination collective des cinéphiles, entraînerait le privé dans une enquête l’emmenant sur les traces de Lauren Bacall, dans un night-club luxueux de Los Angeles embrumé de la fumée des cigarettes. Et tandis que viendrait l’inévitable scène de séduction, les vils truands campés par Peter Lorre, Edward G. Robinson ou Sidney Greenstreet seraient prêts à en découdre, en coulisses… Toute une époque que nous allons évoquer ici, par le biais des grandes étapes de la vie de Lauren Bacall. A lire avec ou sans verre de whisky à la main, et un bon disque de jazz d’époque en fond sonore ! Bien entendu, vous êtes libres de me signaler toute erreur dans le texte qui suit.

Lauren Bacall - la une de Harper's Bazaar

Lauren Bacall fut le nom de scène Betty Joan Perske, née à New York, dans le Bronx, le 16 septembre 1924. Betty était la fille unique de William, un employé de ventes, et de Natalie (née Weinstein-Bacal), une secrétaire. Comme bien des américains de l’époque, elle était une enfant d’immigrés juifs européens, venus en Amérique pour bâtir une nouvelle vie ; ses grands-parents paternels avaient émigré, quittant leur Vistule natale, territoire de la Pologne annexé par l’Empire Russe, et son père était né dans le New Jersey. Natalie, elle, était arrivée de Roumanie après le pénible passage par Ellis Island. Les parents de la petite fille divorcèrent quand elle avait cinq ans ; Betty resterait toujours avec sa mère et ne vit plus son père. En grandissant, Betty décida qu’elle voulait devenir danseuse, mais fut bientôt conquise par l’univers du théâtre. Très jolie jeune fille, elle fit du mannequinat, travaillant en parallèle comme souffleuse au théâtre, et elle étudia à l’American Academy of Arts, dans la même classe qu’un autre enfant d’immigrés, future superstar et partenaire à l’écran : Kirk Douglas (Yissur Danielovitch Demsky de son vrai nom). Elle croisa aussi sur les planches, à cette époque, un tout jeune Gregory Peck, resté un de ses plus fidèles amis. En 1940, elle eut aussi la chance de rencontrer la grande Bette Davis, de passage à New York. Betty Joan Perske fit ses débuts au théâtre en 1942 à Broadway, une simple silhouette dans une pièce intitulée Johnny 2 X 4.

 

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Une photo faite pour le prestigieux Harper’s Bazaar, pour un numéro paru en 1943, changea tout. La jolie demoiselle attira l’attention de Nancy Hawks, une femme de caractère, et l’épouse du cinéaste Howard Hawks. Le réalisateur de Sergent York préparait une adaptation du roman d’Ernest Hemingway, To have and have not, avec Humphrey Bogart en vedette. Celui-ci tiendrait le rôle de Harry « Steve » Morgan, un capitaine de bateau de pêche entraîné malgré lui dans la Résistance française aux Antilles, face à la police de Vichy. Il croiserait le beau regard de Marie « Slim » Browning, une jeune voleuse au caractère bien trempé, écumant les bars et les hôtels pour survivre. Nancy Hawks insista pour que Betty fit un essai filmé ; la secrétaire du cinéaste envoya par erreur un ticket direct pour Hollywood. A seulement 19 ans, la toute jeune femme, actrice inexpérimentée, auditionna devant la caméra d’un des plus redoutables réalisateurs de l’époque. Hawks, qui cherchait à lancer une nouvelle star, ne fut pas convaincu, mais sa femme prit Betty sous son aile : deux semaines plus tard, une Betty Perske plus élégante et affirmée passa une seconde audition. Suivant les conseils de Nancy Hawks, elle s’était entraînée à baisser le ton de sa voix, naturellement nasillarde, en hurlant des vers de Shakespeare pendant plusieurs heures. Celle-ci devint plus rauque, plus profonde, féline. Howard Hawks l’engagea, lui faisant signer un contrat de sept ans avec le studio Warner Bros., et devint son manager officieux. Il changea son prénom en Lauren, un choix qu’elle détesta (elle se fera toujours appeler « Betty » par ses amis proches), et elle choisit le second nom de famille de sa mère, allongé d’un « l ». Pour ses premiers jours de tournage, Lauren Bacall, en proie à un trac incontrôlable, tremblait dès qu’elle devait jouer ses scènes. Elle trouva la parade en regardant son partenaire par en-dessous, lançant du même coup ce langoureux regard qui fit vite craquer Bogie, comme les spectateurs. Et voilà comment Lauren Bacall hérita de son célèbre surnom, « The Look ». Très inspiré à la fois par Marlene Dietrich (comme cette dernière, elle chante joliment aux côtés du pianiste Hoagy Carmichael) et par Nancy Hawks (« Slim » était le surnom que lui donnait son mari), Lauren Bacall entra dans la légende, grâce notamment à une scène de séduction conclue par cette réplique langoureuse : « Avec moi, tu n’as pas besoin d’agir, Steve. Oh ! Peut-être simplement siffler. Tu sais siffler, Steve ? Tu rapproches tes lèvres et tu souffles. ». Succès immédiat. La jeune femme devint une star en quelques secondes !

 

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Humphrey Bogart et Lauren Bacall avaient entamé une liaison amoureuse sur le tournage, au grand dam du pygmalion Hawks, et de l’épouse de Bogart, Mayo Methot. Bogart divorça de celle-ci, et, peu de temps après, il épousa Lauren Bacall. Le couple aura deux enfants, un fils, Stephen Humphrey Bogart, né en 1949, et une fille, Leslie Howard Bogart, née en 1952. La jeune actrice tourna ensuite en 1945 le film Confidential Agent (Agent Secret) avec Charles Boyer et Peter Lorre, un mauvais souvenir pour elle en raison des critiques négatives à son encontre. Souvenir vite oublié, puisque Howard Hawks l’associa de nouveau à son mari, immédiatement après, pour le second des quatre grands films noirs qu’ils tourneront. Le Grand Sommeil, dès le générique, iconisa le couple Bogart-Bacall : il les présentait, en contrejour, allumant leurs cigarettes. Toute l’image d’une époque où les stars, à l’écran, se permettaient de fumer comme des pompiers et de partager un whisky sans que l’on ne crie au scandale. Du moment qu’ils le faisaient avec classe, humour et prestance !… Cette adaptation du roman de Raymond Chandler plongeait le détective privé Philip Marlowe (Bogart) dans une intrigue tortueuse, le menant à affronter un réseau de maîtres chanteurs crapuleux, faisant pression sur les filles d’un général paralytique. Bacall jouait Vivian Rutledge, l’aînée des deux sœurs, une joueuse invétérée, mentant pour protéger sa sœur dévergondée. Le Grand Sommeil fut une adaptation difficile : le code Hays sévissait à l’époque, et le scénario du film dut être largement modifié en conséquence. Hawks dut retourner le film en modifiant plusieurs scènes, au point que le film demeurera délibérément incompréhensible. Hawks et ses scénaristes, tout comme Raymond Chandler, ne savaient même plus qui avait fait quoi dans cette sombre affaire… Mais peu importait ; Bogart était à son meilleur niveau, et l’alchimie de son couple formé avec Lauren Bacall était évidente. Celle-ci dut pourtant endurer de nouvelles critiques lui reprochant toujours son inexpérience. On pouvait deviner que l’actrice n’était pas très à l’aise à l’intérieur d’un système qui fit d’elle « la femme de Bogart », mais elle s’en sortit avec les honneurs. Elle avait une présence unique, renforcée par la malice et l’ironie cinglante des échanges auxquels elle se livrait avec Bogart ; ici, cela culminerait avec un dialogue mémorable dans un night-club, où Vivian et Marlowe échangent des dialogues aux sous-entendus très explicites sur les « courses de chevaux« . Le code Hays laissa passer, et le film fut un nouveau succès.

 

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Bogart et Bacall reprirent du service l’année suivante pour leur troisième film ensemble, Dark Passage (Les Passagers de la Nuit), dont la réalisation fut signée par Delmer Daves. Cette adaptation d’un autre maître du polar, David Goodis, restera peut-être le meilleur film du couple. Un thriller, où Vincent Parry (Humphrey Bogart), un évadé de la prison de San Quentin, trouvait refuge chez Irene Jansen (Lauren Bacall), une artiste peintre sûre de son innocence, et qui l’aiderait à découvrir qui l’a fait accuser du meurtre de sa femme. L’originalité du film tenait à ce que, pendant une heure (soit environ les deux tiers du récit), Bogie ne montrait pas son visage. Daves filmait le récit en caméra subjective, ou bien laissait Parry dans les ténèbres, avant de révéler son visage, modifié par une opération de chirurgie esthétique nécessaire pour berner la police. Le résultat fut un petit chef-d’oeuvre de film noir, baignant dans une atmosphère cauchemardesque, clairement inspirée par les peintures d’Edward Hopper. Quand à Lauren Bacall, elle fut excellente de bout en bout ; bénéficiant du temps de présence plus réduit de son mari à l’écran, l’actrice jouait un personnage plus proche d’elle que ne l’étaient sans doute Slim Browning et Vivian Rutledge. Tout en jouant sur les conventions du genre (et les inévitables scènes de séduction avec cigarettes, avec en fond musical la superbe chanson de Johnny Mercer, Too Marvelous for Words), le film offrait à l’actrice l’occasion de jouer un personnage plus affirmé, prenant l’initiative de défendre l’ex-taulard en cavale, en usant de ruse et de charme. Lauren Bacall sut montrer qu’elle n’était pas juste la sublime « pépée » de night-club que Bogie devait protéger à tout bout de champ, mais qu’elle avait aussi du répondant, tenant aussi bien tête avec astuce à la police qu’à une « amie » suspicieuse, jouée par Agnes Moorehead.

1947 fut aussi une année difficile pour le couple, hors des plateaux de tournage. Avec le début de la Guerre Froide, les sympathisants américains du communisme ou du socialisme furent vite regardés avec méfiance. Hollywood fut la cible du Congrès, notamment les « Hollywood Ten« , un groupe de personnalités (essentiellement des cinéastes et des scénaristes, comme Edward Dmytryk et Dalton Trumbo) vite accusés par l’HUAC (House committee of Un-American Activities) d’être des agents de l’Union Soviétique. Les « Ten » se retrouveront mis au chômage forcé, leur réputation salie pour de longues années. Dans ce contexte houleux, Bogart et Bacall rejoignirent le Committee for the First Amendment ; ils firent ainsi partie d’un groupe d’acteurs et de cinéastes célèbres (rassemblant entre autres John Huston, William Wyler, Billy Wilder, Katharine Hepburn, Gene Kelly, Judy Garland, Bette Davis, Groucho Marx…) qui allèrent, en octobre 1947, plaider la cause des « Ten » à Washington, au nom de la démocratie. Peine perdue, car ces derniers furent condamnés, et la démarche des stars attira sur eux la suspicion. Tant et si bien que Bogart dut rédiger un article en 1948, dans le magazine « Photoplay », pour mettre les choses au clair, rappeler que ni lui ni Lauren Bacall n’avaient la moindre sympathie pour le régime soviétique, et qu’ils avaient soutenu les artistes blacklistés uniquement au nom de la liberté d’expression supposée garantie par le droit américain. Dans les années suivantes, empoisonnées par la Chasse aux Sorcières, Lauren Bacall campera fermement, d’ailleurs, sur ses opinions démocrates, et critiquera ouvertement le sinistre Sénateur Joseph McCarthy. 

 

Lauren Bacall - Key Largo

Le couple reprit le chemin des studios pour leur quatrième et dernier film tourné ensemble : Key Largo, réalisé par John Huston, concluait cette exceptionnelle série de grands films noirs. Librement adapté d’une pièce à succès de Maxwell Anderson, le film confrontait Bogart et Bacall à une bande de truands cruels, menés par un adversaire de premier ordre : Edward G. Robinson. Le casting de choix comprenait aussi Lionel Barrymore et Claire Trevor, mémorable en « poule » de gangster vieillissante et malheureuse. Bacall jouait le rôle de Nora Temple, une jeune veuve de guerre, gérant un petit hôtel en Floride avec son beau-père (Barrymore). Frank McCloud (Bogart) venait saluer la mémoire du défunt soldat tombé à Cassino auprès de ses proches, mais se retrouvait, comme ces derniers, pris en otage par la bande de Johnny Rocco (Robinson), gangster déclinant prêt à revenir sur le territoire américain. Bacall fit une prestation correcte, mais son rôle était quelque peu effacé, laissant le champ libre à l’affrontement des monstres sacrés Bogart et Robinson. Bien entendu, ce dernier se montrait si cruel et visqueux (séquence mémorable où il murmure à l’oreille de la belle pour la faire sortir de ses gonds…) qu’elle finirait par soutenir Bogart, comme il se devait !

A l’entrée des années 1950, Lauren Bacall eut du mal à prouver au système de production hollywoodien qu’elle était une actrice avant tout. Difficile, pour cette jeune femme bombardée « star » du jour au lendemain, de trouver un bon équilibre de vie, entre les obligations professionnelles, son mariage avec une superstar du grand écran (il est à noter quand même qu’elle et « Bogie » furent l’un des rares exemples de couple stable et heureux dans ce milieu de fous…), la maternité, et l’envie de trouver des rôles solides. L’actrice n’aimait pas, de toute évidence, l’univers d’Hollywood, où un certain sexisme fut (et reste) de vigueur quant à la place des femmes à l’écran… Elle refusa beaucoup de scénarii qu’elle jugeait médiocres, et gagna en retour une réputation d’actrice « difficile ».

Lauren Bacall - Young man with a horn

En 1950, elle tourna deux films pour le cinéaste Michael Curtiz. Deux films de qualité variable, le meilleur des deux étant Young man with a horn (devenu en VF La Femme aux chimères), le premier grand film américain sur l’univers du jazz. Kirk Douglas y incarnait Rick Martin, un jeune trompettiste talentueux mais sans le sou, très inspiré de Bix Beiderbecke, partagé dans sa vie amoureuse entre sa femme Amy, jouée par Bacall, et une chanteuse jouée par Doris Day. Lauren Bacall fit une très bonne prestation nuancée pour un personnage antipathique au premier abord, une étudiante en psychiatrie hautaine et distante, perturbée par le suicide de sa mère, et dont le mariage se détériorait rapidement. Le film montrait même que l’épouse du trompettiste se consolait avec une femme « artiste » (horreur pour l’époque !…). Le film suivant fut Bright Leaf (Le Roi du Tabac), où elle partageait l’affiche avec une autre légende, Gary Cooper. Malheureusement, le film fut un drame assez ennuyeux sur fond de guerre du commerce du tabac au 19ème Siècle. Le personnage de Cooper, adepte d’une technique de production et de vente industrielle moderne, affrontait des barons locaux représentant la vieille école sudiste ; Bacall y jouait Sonia Kovac, une tenancière de bordel rejoignant évidemment le camp de « Coop ». Le film fut assez vite oublié.

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L’actrice, elle, fit une pause de deux ans loin des écrans. Sa cinquième collaboration avec son époux fut pour la radio, avec le feuilleton à succès Bold Venture qui réunissait le couple entraîné dans un univers d’aventures, d’intrigues et de mystères aux Caraïbes, en 1951 et 1952. Lauren Bacall reprit le chemin des studios, libérée de son contrat exclusif avec Warner, pour rejoindre la 20th Century Fox en 1953, comme tête d’affiche de la comédie Comment épouser un Millionnaire, de Jean Negulesco. Changement de registre et surtout de visuel pour la comédienne, maintenant filmée en CinémaScope et Technicolor flamboyant ! L’occasion pour les spectateurs de découvrir « en vrai » les ravissants yeux verts-bleus de Miss Bacall. Cette comédie sans prétention fit un triomphe au box-office américain. Trois amies modistes, sans le sou, y cherchaient un mari riche pour se sortir des tracas financiers… Bacall y jouait le rôle de Schatze, le cerveau de la bande, hésitant entre un faux pompiste et un riche texan veuf (William Powell). Ses amies étaient jouées quant à elles par deux fantasmes ambulants : Betty Grable, la pinup attitrée des soldats américains de la 2ème Guerre Mondiale, et l’étoile montante Marilyn Monroe, portant ici des lunettes. Dans cette comédie plaisante, un brin cynique (le mariage de raison et d’argent, avant l’amour !), Lauren Bacall s’amusait bien, plaisantant au passage sur Bogart, « ce type dans African Queen« , qui fait craquer son personnage…

Forte de ce succès, l’actrice jouera , dans les années 1950, des rôles plus dramatiques, le plus souvent des épouses malheureuses ou incomprises. Sa beauté un peu froide, mise en valeur par les meilleurs chefs opérateurs de l’époque, son intelligence et un certain underplay tout en réserves lui vaudront souvent les louanges des critiques, et elle conserva adroitement son aura de star devenue mature. Elle retrouva Jean Negulesco pour son film suivant en 1954, Woman’s World (Les Femmes mènent le monde), un drame regroupant June Allyson, Van Heflin, Cornel Wilde, Arlene Dahl et Fred MacMurray, qui jouait ici son mari épuisé par le travail. En 1955, le couple Bogart-Bacall fit son ultime apparition sur les écrans, à la télévision, pour une reprise de La Forêt Pétrifiée, où Humphrey Bogart reprit le rôle qui l’avait fait connaître en 1936. Au cinéma, Lauren Bacall joua avec John Wayne dans L’Allée Sanglante, un film d’aventures plutôt raté, en raison d’une production pour le moins chaotique (Wayne, producteur, remplaça officieusement le réalisateur William A. Wellman durant le tournage). La rencontre du « Look » et du « Duke » ne fit pas d’étincelles.

 

Lauren Bacall - La Toile d'Araignée

On préfèrera se souvenir, en cette année 1955, du premier film que Bacall tourna pour Vincente Minnelli, le drame psychologique La Toile d’Araignée. Elle y jouait Meg Rhinehart, membre de l’équipe du psychiatre Stewart McIver (Richard Widmark), brillant médecin gérant un hôpital psychiatrique moderne, où les médecins laissent à leurs malades le soin de s’organiser et de se responsabiliser. Meg, jeune veuve cherchant un nouveau sens à sa vie, y aidait les patients volontaires dans leurs activités artistiques. Un beau projet hélas contrecarré par les tensions et les intrigues au sein du personnel… Un beau casting rassemblant aussi Charles Boyer, Lillian Gish, Gloria Grahame et l’irrésistible Oscar Levant en malade grincheux, pour ce film sauvé du mélodrame pesant par l’habile mise en scène de Minnelli. La prestation de Bacall était réussie, jouant de façon subtile sur le rapprochement affectif entre son personnage et le docteur joué par un excellent Widmark.

 

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On apprécia aussi le jeu de Lauren Bacall dans son film suivant, dû à l’autre grand maître du mélodrame flamboyant, Douglas Sirk. Ecrit sur du Vent, tourné et sorti en 1956, décrivait un quatuor amoureux malheureux. Bacall y jouait le rôle de Lucy Moore, dessinatrice publicitaire, partagée entre Kyle Hadley (Robert Stack), héritier d’une grande fortune pétrolière, et le meilleur ami de celui-ci, Mitch Wayne (Rock Hudson). Lucy épousait Kyle, au grand dam du loyal Mitch, avant que sa belle-soeur, l’aguicheuse Marylee (Dorothy Malone), ne jetât de l’huile sur le feu. Malgré tout dévouée à son mari, Lucy ne pouvait l’empêcher de s’abîmer dans l’alcool, se croyant stérile… Racontée telle quelle, l’intrigue ressemble à n’importe quel épisode de soap opéra, mais ce serait oublier un peu trop vite que les Dallas et autres ont allègrement plagié ce beau classique, sans jamais avoir le talent narratif et visuel de Sirk. Bacall y était impeccable de retenue, parfaitement à son aise dans l’univers « sirkien ».

 

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Lauren Bacall retrouva Vincente Minnelli pour son film suivant, Designing Woman (La Femme Modèle), sorti en 1957. Elle en partageait la vedette avec un vieil ami, Gregory Peck, remplaçant au pied levé Grace Kelly. Ce film fut l’un des rares à mettre en valeur son talent comique, visible dans Comment épouser un millionnaire, et déjà présent dans la scène du téléphone du Grand Sommeil (« Vous demandez le commissariat ? Vous faites erreur, ce n’est pas un commissariat ici… attendez, je vous passe mon père. »). Dans La Femme Modèle, elle jouait Marilla Brown, dessinatrice de mode et couturière sophistiquée, mariée sur un coup de foudre au journaliste sportif Mike Hagen (Peck), qui lui cachait sa liaison de longue date avec une chanteuse (Dolores Gray). Quiproquos et gags bien vus sur les différences sociales indéniables entre les deux jeunes mariés s’ensuivaient, dans l’esprit des comédies de Spencer Tracy et Katharine Hepburn, cette dernière étant certainement ici le modèle du personnage joué par Bacall. La comédie était bien enlevée, mais l’actrice n’avait guère le cœur à rire pendant le tournage. Humphrey Bogart, atteint d’un cancer de l’œsophage, s’affaiblissait et décéda le 14 janvier 1957. Elle vécut mal le veuvage, et eut une brève liaison, abruptement finie, avec Frank Sinatra. Elle reprit le chemin des plateaux de tournage pour deux autres films à la fin des années 1950 : The Gift of Love (1958), son troisième film pour Jean Negulesco, où elle jouait de nouveau l’épouse de Robert Stack, une femme cardiaque décidant d’adopter une petite fille ; et le film d’aventures britannique de J. Lee Thompson, Northwest Frontier (Aux frontières des Indes), en 1959, où elle jouait une gouvernante protégeant un enfant maharadjah dans une Inde en proie à la guerre. Un gros succès, mais l’actrice, à 35 ans, décida qu’il était temps pour elle de se retirer des feux du star-system.

Lauren Bacall ne se mit par pour autant à la retraite. Elle retourna à ses premières amours, le théâtre, en jouant à Broadway le premier rôle de la pièce à succès Au revoir, Charlie. Un succès, qui en appela d’autres sur les planches, durant les décennies suivantes. Elle épousa en secondes noces l’acteur Jason Robards, le 16 juin 1961, et elle donna naissance six mois plus tard à leur fils, Sam Robards, futur comédien. Lauren Bacall fit de rares apparitions à la télévision (dans les séries Dr. Kildare, Mr. Broadway ou chez Bob Hope) et fit de discrets come-backs au cinéma : le drame psychologique Shock Treatment (1964), la comédie Sex and the Single Girl (Une Vierge sur canapé, 1964) avec Tony Curtis, Natalie Wood et Henry Fonda, et, ramenant avec elle le souvenir des classiques de Bogart, le film policier Harper (Détective Privé, 1966) face à Paul Newman. Son bonheur, Lauren Bacall le trouva finalement au théâtre, devenant une comédienne de premier plan, saluée par le public et la critique pour ses rôles dans Fleur de Cactus (1965), Applause (1970), Wonderful Town (1977), Woman of the Year (1981), Doux Oiseau de Jeunesse (1985) ou La Visite de la Vieille Dame (1999). Elle obtint deux Tony Awards, la plus haute distinction pour une actrice de théâtre, pour Applause et Woman of the Year, et deux Sarah Siddons Awards de l’Actrice de l’Année en 1972 et 1984.

 

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Divorcée de Jason Robards en 1969 (le mariage ne put survivre à l’alcoolisme de l’acteur), Lauren Bacall fit des apparitions plus épisodiques au cinéma. Trois rôles seulement dans les années 1970, mais deux restèrent assez notables. Dans un casting de superstars (Sean Connery, Ingrid Bergman, Jacqueline Bisset, etc.), elle fut en 1974 Mrs. Harriet Belinda Hubbard, amusant personnage de veuve nouveau riche, l’une des suspectes du Crime de l’Orient Express sur lequel enquête Hercule Poirot (Albert Finney), dans cette excellente adaptation d’Agatha Christie par Sidney Lumet. Et en 1976, elle retrouva John Wayne pour son dernier film, le très bon western The Shootist (Le Dernier des Géants), dans lequel jouaient aussi James Stewart, Ron Howard et John Carradine. Lauren Bacall jouait le rôle de Bond Rodgers, veuve et logeuse de J.B. Books (Wayne), légende de l’Ouest se mourant d’un cancer. Bien qu’elle et le « Duke » étaient connus pour leurs opinions politiques totalement opposées, ils devinrent bons amis jusqu’à la mort de Wayne en 1979, lui aussi emporté par la maladie. Sur une note plus souriante, The Shootist fut, pour Bacall, l’occasion d’être nominée, pour la toute première fois, à 52 ans ! Elle fut citée aux BAFTA Awards de la Meilleure Actrice.

 

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Les dernières décennies de carrière de Lauren Bacall furent bien évidemment plus discrètes que ses débuts. Devenue, par la force des choses, la dernière survivante des grands films noirs de l’Âge d’Or d’Hollywood, elle se prêtait volontiers au jeu des documentaires et des interviews sur cette glorieuse époque, tout en continuant à alterner apparitions au cinéma, à la télévision, et poursuivant sa carrière théâtrale jusqu’en 1999. Après une pause de sept ans suite à l’échec du film Fanatique (1981) avec James Garner, Lauren Bacall fut le plus souvent une guest star de choc, cantonnée à des rôles secondaires (l’éditrice de James Caan dans Misery, de Rob Reiner, une participation dans Prêt-à-Porter de Robert Altman, pour qui elle avait tourné la comédie Health en 1980…), et le plus souvent, des personnages de mères autoritaires. On citera surtout son rôle dans The Mirror Has Two Faces (en VF, Leçons de Séduction), remake du film d’André Cayatte Le Miroir à deux faces, réalisé et joué par Barbra Streisand, avec également Jeff Bridges. Une comédie dramatique où elle était Hannah Morgan, la mère égocentrique de Rose (Streisand), professeur de littérature effacée, disgracieuse et malheureuse, qui craquait pour le beau mathématicien joué par Bridges. Accueil critique et public mitigé, comme à chaque sortie d’un film de « la » Streisand, mais la performance de Bacall fut largement appréciée : c’était bien celle d’une véritable actrice, respectée et confirmée. A 72 ans, elle remporta le Golden Globe de la Meilleure Actrice dans un Second Rôle, ainsi que le Screen Actors Guild Award de la même catégorie. Et elle décrocha sa seule et unique nomination à l’Oscar de toute sa carrière. Favorite, elle se le fit souffler in extremis par Juliette Binoche pour Le Patient Anglais

 

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Parmi les dernières apparitions au cinéma de Lauren Bacall, il faudra notamment citer ses collaborations avec Nicole Kidman, continuatrice de la grande tradition glamour à l’écran : elle joua avec elle dans Dogville (2003), le drame de Lars von Trier, et la retrouva l’année suivante dans le film de Jonathan Glazer, Birth, où elle jouait sa mère. On la revit également dans la suite de Dogville, Manderlay, Nicole Kidman étant remplacée par Bryce Dallas Howard. Ignorant vaillamment le mot « retraite », Lauren Bacall continua à apparaître régulièrement sur les grands et petits écrans (Chicago Hope, Les Sopranos). Elle l’employa aussi son inimitable voix rauque dans divers films et séries animées, comme les doublages américains du Château Ambulant de Miyazaki, Ernest et Célestine, ou dans la série Family Guy (Les Griffins). Saluée et récompensée comme il se devait dans les festivals et les cérémonies officielles, Lauren Bacall fut enfin reconnue à sa juste valeur par l’Académie des Oscars, qui lui remit une statuette honorifique en 2009, « en reconnaissance de son rôle central dans l’âge d’or du cinéma« . Mieux valait tard que jamais ! La comédienne apparut pour la dernière fois au cinéma en 2012 dans la comédie dramatique The Forger, jouant le rôle d’Annemarie Cole, une aimable vieille voisine du jeune couple formé par Josh Hutcherson et Hayden Panettiere. Elle succomba à une attaque cardiaque le 12 août dernier, dans sa résidence du Dakota Hotel de New York.

Il reste maintenant les souvenirs liés au nom de Lauren « Betty » Bacall… ceux d’une époque depuis longtemps révolue, où le star system n’était pas encore réduit à du simple matériel de tabloïds médiocres voués à l’ignoble culture people actuelle… Promue star avant d’être célébrée comme actrice, Lauren Bacall ne fit pas que marquer de sa présence une belle série de grands films avec son cher Bogie ; elle sut, lentement mais sûrement, gagner le respect de ses pairs en menant une vie bien remplie, et un parcours professionnel irréprochable. On saluera donc sa mémoire comme il se doit.

 

Lauren Bacall - avec Bugs Bunny !

Et, pour finir par un sourire, joignons-nous à ce bon vieux Bugs Bunny en adoration devant la belle dans le cartoon Slick Hare (1946). Lauren Bacall ne devrait pas nous en tenir rigueur : joignons nos lèvres, et sifflons !

 

That’s all, Folks !

Ludovic Fauchier.

 

 

Le lien vers la fiche ImdB et la filmographie complète de Lauren Bacall :

http://www.imdb.com/name/nm0000002/

Et une larme pour chaque pensée agréable – Robin Williams (1951-2014)

Robin Williams

Bonjour, chers amis neurotypiques.

Etrange, comme les mauvaises nouvelles (du moins celles qui concernent ce blog) surviennent toujours en début de semaine… Ce lundi 11 août, Robin Williams a été retrouvé mort à son domicile de Tiburon, en Californie. L’enquête a conclu que l’acteur âgé de 63 ans a mis fin à ses jours en se pendant. L’annonce a fait l’effet d’un choc, aussi bien pour les gens du cinéma américain que pour le public familier de ses films et ses one-man-shows. Tous ceux qui ont grandi avec ses films ont sans doute eu la même triste impression de perdre un parent proche… La force comique phénoménale de Robin Williams en faisait un « cousin » familier, surgissant toujours à l’improviste sur l’écran pour lancer un gag ou une imitation délirante. Mais l’acteur révélait aussi des facettes beaucoup sombres de sa personnalité, à travers ses rôles.

Evoquer la filmographie de Robin Williams, c’est forcément évoquer la galerie des « caractères » qu’il a incarné. Une vraie grande parade de Disneyland sous acide ! Jugez plutôt (et aussi Mickey) ; Robin Williams a été, entre autres : un extra-terrestre, Popeye le marin, des écrivains, un saxophoniste russe, des animateurs radio, des professeurs de littérature, le Roi de la Lune (avec ou sans tête), un clochard en quête du Graal, Peter Pan adulte, un homme-jouet, le Génie d’Aladdin, Madame Doubtfire, des docteurs excentriques, des savants fous, des robots, un hologramme d’Albert Einstein, une chauve-souris, des robots, des manchots de l’Antarctique, un clown de télévision, des présidents américains… Voilà un bref aperçu de l’univers intérieur du comédien disparu, notoirement connu pour épuiser les plus sérieux de ses intervieweurs en les faisant rire aux éclats. Mais, derrière cette image de clown, apparaissait aussi un être dramatiquement fragile, comme nombre de ses collègues acteurs. Williams dut vivre avec des problèmes psychologiques aggravés par une toxicomanie, dont il était guéri, et l’alcoolisme, dont il ne put jamais décrocher. Ces problèmes affectèrent sans aucun doute sa vie personnelle, jusqu’à ce triste baisser de rideau prématuré.

Redécouvrons le parcours de l’acteur, et les rôles les plus marquants de son abondante filmographie, comptant 105 titres, films, séries et spectacles filmés compris. Il a fallu faire des choix et se concentrer sur les rôles les plus intéressants. Que les fans de l’acteur me pardonnent si je passe sur certains titres, et si (Wikipédia oblige), je me suis trompé sur certains points !

 

Robin McLaurin Williams naquit le 21 juillet 1951 à Chicago. Il était le fils de Robert Fitzgerald Williams, très sérieux cadre dirigeant de la branche Lincoln-Mercury chez Ford, et de Laurie McLaurin Williams, une ancienne mannequin, plus jeune que son mari. Les ancêtres du futur acteur étaient irlandais, avec aussi des racines écossaises, anglaises, galloises, allemandes et françaises. La famille Williams changeait d’habitation suivant les affectations professionnelles du père, de l’Illinois au Michigan, puis en Californie. Le jeune Robin Williams eut une vie d’enfant assez solitaire, restant assez distant d’un frère aîné, bien plus âgé que lui. Les époux Williams travaillaient, laissant seul Robin à l’école ou chez lui, avec la télévision et ses jouets, sous la surveillance des nounous. L’acteur dira toujours avoir gardé de ces jeunes années la peur permanente, celle d’être brutalisé à l’école, et surtout, celle d’être abandonné. Pour se sentir exister, il préféra attirer l’attention des autres (surtout de sa mère) en faisant rire. Les parents Williams divorceraient bien des années plus tard. On devine que ces jeunes années ont certainement marqué le futur acteur ; une constante, d’ailleurs, dans les personnages qu’il incarnera : pratiquement tous (même le Génie d’Aladdin) sont des êtres profondément abandonnés, endeuillés ou isolés du reste de la société.

Robin Williams fut lycéen à la Detroit Country Day School, une école privée, avant de suivre sa famille en Californie et de finir dans le lycée public de Redwood, près de Larspur et Woodacre, où les Williams avaient emménagé. Plutôt bon élève, ses notes dégringolèrent dans cette dernière année, où il reçut son diplôme en étant désigné dans le yearbook local « clown de la classe » et… « élève ayant le moins de chances de réussir » ! En 1969, Robin Williams tenta sa chance au Claremont McKenna College pour étudier les sciences politiques, avant de changer d’avis et d’étudier les arts dramatiques au College of Marin County, où son talent de comédien prit forme lorsque les professeurs lui donnèrent le rôle de Fagin dans une représentation d’Oliver ! Durant cette période, Williams se lança aussi dans le difficile exercice de la stand-up comedy : le tremplin idéal pour surmonter sa peur maladive (dont il conserva des traces, notamment cette diction frisant souvent le bégaiement) pour improviser au quart de tour et développer un univers délirant face à un public impitoyable… et bien défoncé par les drogues en vigueur durant les années hippies ! Le jeune homme commença d’ailleurs lui-même à en consommer. Trois ans plus tard, Williams tenta sa chance à la prestigieuse école d’art dramatique de Juilliard, et fut retenu parmi vingt élèves pour apprendre les métiers du théâtre et du spectacle. Deux d’entre eux furent retenus par le grand comédien de théâtre John Houseman, pour le Programme Avancé spécial : Christopher Reeve, le futur Superman, et Williams, qui devinrent grands amis. Les études prirent fin en 1976, Houseman considérant qu’il n’avait plus rien à apprendre au jeune Williams, qui n’obtint même pas de diplôme et poursuivait sa carrière de stand-up comedian. Les shows de Williams plièrent très vite en quatre le public, et le succès attira l’attention des producteurs de télévision. Il fit ses premières apparitions en 1977 dans l’émission comique Laugh-In et dans le Richard Pryor Show.

 

Robin Williams - Mork & Mindy

Cette année-là, Star Wars attira des millions de gamins américains dans les salles obscures, et devint un phénomène de société jamais vu auparavant. Garry Marshall, le producteur d’Happy Days, écouta son fils qui voulait un extra-terrestre dans sa série… Marshall auditionna plusieurs acteurs pour incarner un joyeux visiteur d’une autre planète, face à Richie (Ron Howard) et Fonzie (Henry Winkler). Robin Williams fut contacté, se présenta à l’audition, salua Marshall… et s’assit tête en bas sur sa chaise. Bingo : il fut engagé et devint Mork, l’extra-terrestre venu de la planète Ork pour étudier les étranges humains. L’épisode fit un carton, et Marshall décida de lancer un spin-off, une série dérivée, Mork & Mindy, taillée sur mesure pour Robin Williams, associé à Pam Dawber. Les scénarii laissaient la part libre à Williams d’improviser des numéros complètement loufoques, et d’inventer un « langage alien » bourré de grivoiseries impossibles à censurer ! Mork rencontra même Robin Williams lui-même, dans un épisode où, pour la première fois, l’acteur révéla ses premières angoisses. De 1978 à 1982, Williams fut donc Mork, pour le bonheur de ses fans. Il épousa sa petite amie Valerie Velardi, et eut droit aux honneurs de la « une » du magasine Rolling Stone, posant pour Richard Avedon. Le succès vint aussi avec son one-man-show Reality… what a concept, qui fut enregistré en disque et pour lequel il remporta un Emmy Award en 1979. Ses spectacles, après ce début fracassant, draineront des foules entières, explosant de rire face au déluge verbal de blagues sur le sexe et la drogue envoyées par le jeune acteur !  

 

Robin Williams - Popeye

Le cinéma ne tarda pas à s’intéresser à Robin Williams. Sa toute première apparition au cinéma datait de 1977, dans une comédie intitulée Can I Do It ‘Till I Need Glasses ? ; une simple série de sketches comiques et de blagues sur le sexe, où il jouait un double rôle, celui d’un avocat et celui d’un homme ayant mal aux dents. Mais ce fut en 1980 qu’il obtint son premier grand rôle au cinéma, un personnage fait sur mesure pour lui : Popeye, le marin bagarreur de la célèbre bande dessinée d’E.C. Segar. Un curieux film comique et musical, produit par les studios Walt Disney alors en pleine traversée du désert, avec aux manettes le très mégalo (et cocaïné) producteur californien Robert Evans, supervisant le travail du réalisateur Robert Altman, l’homme de M.A.S.H. réputé pour sa détestation de l’establishment hollywoodien… L’histoire était archi-simple : entre deux numéros chantés-dansés, Popeye partait à la recherche de son père, Poopdeck Pappy (Ray Walston), tombait amoureux d’Olive Oyl (Shelley Duvall), pouponnait Bébé Mimosa et se bagarrait avec l’affreux Bluto (Paul Smith). Le film, tentative assez bizarre de faire du dessin animé live, fit grincer des dents la critique et le public adulte, mais les enfants, eux, aimèrent le numéro de Williams, parfaitement à l’aise avec la voix grincheuse, les grimaces et les cabrioles slapstick de Popeye.

 

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Entre les deux dernières saisons de Mork & Mindy, Robin Williams tourna ensuite, en 1981, Le Monde selon Garp, sous la direction de George Roy Hill, le réalisateur de Butch Cassidy et le Kid et L’Arnaque. Cette adaptation du roman à succès de John Irving suivait les vies de Jenny Fields (Glenn Close), une infirmière féministe, et de son fils T.S. Garp (Robin Williams), un écrivain à succès, féru de lutte, et terrifié par le monde extérieur. Entre comédie et drame, préfigurant par moments Forrest Gump, le film de Hill était une bonne adaptation du difficile roman d’Irving. Robin Williams y montrait en tout cas un jeu plus subtil, en incarnant cet homme devant à la fois traiter les problèmes de son enfance, affronter les difficultés de sa vie d’homme marié et jeune père de famille, et se confronter enfin à la violence du monde, avec le soutien de Roberta (John Lithgow), un ex-joueur de football transsexuel. Le jeu de Williams, préparant en quelque sorte la problématique de la plupart de ses futurs personnages dramatiques, était solide, mais il retint moins l’attention des critiques que celui de Close et Lithgow. L’acteur, assimilé à Mork et Popeye, n’était pas encore vraiment pris au sérieux… L’année 1982 fut celle de la sortie du film, et un moment charnière pour le comédien. Il obtint un nouveau succès avec son one man show suivant, An Evening with Robin Williams. Un train de vie pareil laissait des traces. En privé, il avait développé une sévère addiction à la cocaïne et à l’alcool ; les tentations dans les parties hollywoodiennes s’étendaient aussi aux jolies filles, et il avoua avoir été souvent infidèle. Mais cette année, avec la fin de son contrat pour Mork & Mindy, l’amena à corriger le tir, du moins en partie. Son copain de virée John Belushi, le tonitruant comédien des Blues Brothers et 1941, avait succombé à une overdose. Sa femme donna naissance à son fils aîné, Zack, en 1983… et il dut comparaître devant le Grand Jury. Ces évènements le poussèrent à décrocher avec succès de la cocaïne. Malheureusement, l’alcoolisme fut un adversaire plus coriace.

 

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Au cinéma, on le revit dans The Survivors en 1983, une comédie assez anodine avec Walter Matthau. Beaucoup plus intéressant, Moscow on the Hudson (Moscou à New York, 1984) lui permit d’enrichir son jeu. Cette comédie dramatique de Paul Mazursky (solide réalisateur new-yorkais, disparu récemment) lui fit interpréter le rôle de Vladimir Ivanov, un saxophoniste du Cirque de Moscou qui profite d’une tournée pour passer à l’Ouest et se réfugier dans la Grosse Pomme. Ce film très touchant offrait de jolis moments entre humour et tristesse pour le comédien, parlant russe et à jouant du saxophone sans problèmes. Il y était parfaitement à l’aise dans le rôle de ce déraciné peinant à trouver ses marques dans un nouveau pays où on peut prononcer le mot « liberté » sans être emprisonné. Williams décrocha sa première nomination de Meilleur Acteur aux Golden Globes. Il tourna ensuite trois films, plus banals, en 1986 : le drame Seize the Day (qui évoque toutefois sa relation distante avec son propre père), la comédie d’Harold Ramis Club Paradise, où il était à la tête d’un club de vacances aux Caraïbes avec Peter O’Toole, et une autre comédie, The Best of Times (La Dernière Passe) en compagnie de Kurt Russell. 1986 fut aussi un nouveau succès de Williams comme « stand up comedian » avec Robin Williams : Live at the Met, au prestigieux Metropolitan Opera de New York. Comme ses spectacles précédents, ce fut un triomphe, enregistré sur disque et diffusé à la télévision américaine. A partir de cette même année 1986, l’acteur se fit aussi un plaisir de participer à un show annuel pour la chaîne HBO, avec Whoopi Goldberg et Billy Crystal, pour lever des fonds en faveur des Sans Domicile Fixe aux Etats-Unis, sous la bannière du Comic Relief USA.

 

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Barry Levinson, scénariste et réalisateur formé auprès de Mel Brooks, Robert Redford et Steven Spielberg, rencontra Robin Williams pour lui donner le premier rôle de son nouveau film. Ce fut une biographie et un film atypique sur la Guerre du Viêtnam, basé sur les souvenirs du DJ de l’armée américaine, Adrian Cronauer, célèbre pour son cri de ralliement quotidien : Good Morning Vietnam ! Le sujet proposé à l’origine par Cronauer lui-même, remanié par le scénariste Mitch Markowitz, fut l’occasion pour Williams de franchir un nouveau palier. Il accepta de jouer le rôle de Cronauer sans recevoir de script, ayant carte blanche pour improviser au maximum sur les scènes où il anime son émission. A vrai dire, le vrai Adrian Cronauer dut être le premier surpris de se voir « englouti » par un Williams au meilleur de son génie comique dans ces scènes-là (assez peu nombreuses, contrairement à ce que l’on croit pourtant). Le film jouait sur plusieurs tableaux : entre les moments purement rock’n roll et comiques du film, le personnage de Williams montrait aussi sa facette anarchisante, narguant les autorités et de la censure, tout en prenant douloureusement conscience de sa naïveté politique, via ses relations contrariées avec une jeune vietnamienne et son frère. Good Morning Vietnam fut un succès public, et un triomphe de plus pour l’acteur : il fut nominé aux Oscars et aux BAFTAS Awards, et obtint le Golden Globe du Meilleur Acteur (catégorie Comédie) en 1988.

 

Robin Williams - Les Aventures du Baron de Munchausen

Cette année-là fut aussi celle d’un grand chambardement personnel pour Robin Williams : son père venait de décéder, il avait une liaison avec Marsha Garces, la nounou de son fils, et divorça de Valerie Velardi. L’année suivante, il épousa Marsha, qui lui donna une fille, Zelda, et un fils, Cody. Les deux enfants du couple durent leurs prénoms à la passion des jeux vidéo de l’acteur ; ne le verrait-on pas jouer, vingt ans plus tard, dans une publicité célèbre, en compagnie de sa fille pour le jeu Legend of Zelda ? Au cinéma, il fit l’un de ses premiers – et plus délirants – caméos, dans le film à grand spectacle de Terry Gilliam, Les Aventures du Baron de Munchausen. Dans cette fantasy démesurée, mais parfois inspirée, Williams apporta sa touche de folie furieuse : il était le Roi de la Lune, « Rey di Tutto« , un géant à la tête amovible, en conflit avec un corps glouton et paillard ! Quelques scènes qui définissaient bien l’état d’esprit du comédien, se disant lui-même atteint d’un  »syndrome volontaire de la Tourette« .

 

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Le grand film suivant de Williams sortit en juin 1989, durant la saison des blockbusters. Face au Batman de Tim Burton (pour lequel il faillit jouer le Joker), Indiana Jones et la Dernière Croisade, L’Arme Fatale 2 et S.O.S. Fantômes 2 , peu de gens avaient parié sur Le Cercle des Poètes Disparus. Un film plutôt « intellectuel », au budget modeste, sans publicité excessive… Ce fut un triomphe total. Et si Robin Williams en était la tête d’affiche, son personnage, le professeur John Keating, n’était pas le protagoniste ; plutôt l’inspirateur d’une bande d’étudiants d’une école préparatoire aux grandes universités américaines. Un établissement aux règles strictes, pesantes, « programmant » ces jeunes gens au conformisme social que Keating, professeur de littérature aux méthodes originales, combattrait en incitant ces jeunes gens à trouver leur vraie voie. Le talentueux cinéaste australien Peter Weir prouva une nouvelle fois qu’il savait donner aux stars de beaux rôles à contre-emploi, et sut (relativement) modérer les ardeurs clownesques de Williams, qui livra ici une jolie performance. Le côté « rebelle » de la personnalité de l’acteur s’adoucissait ici. Certes, il n’était pas responsable de la naïveté du scénario du film (les conséquences du drame final sont quelque peu esquivées), et la mise en scène élégante de Weir faisait passer la pilule. On remarquera au passage que les principaux personnages, parmi les élèves, évoquent curieusement chacun une facette de Robin Williams : un timide pathologique qui sort de sa coquille, un amoureux transi mal à l’aise en société, un frimeur rebelle (bien parti pour abuser des substances illicites…) narguant l’autorité, et un jeune acteur brillant mais terrifié par son père, et qui finira par se suicider… Difficile cependant de garder un œil froid et objectif sur ce beau film qui fit regretter à bien des lycéens de ne pas avoir un professeur pareil ! Pour Robin Williams, ce fut un déluge de louanges, et il fut de nouveau cité à l’Oscar, au Golden Globe et au BAFTA Award du Meilleur Acteur.

 

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Les années 1990 furent la décennie dorée de l’acteur, alternant sans difficulté la comédie et le drame dans pratiquement chaque film. Tous n’étaient pas forcément des réussites. On oubliera assez vite Cadillac Man, comédie où il jouait un vendeur de voitures d’occasion, homme volage pris en otage par un mari jaloux (Tim Robbins). Plus intéressant, le film suivant, Awakenings (L’Eveil), lui faisait « affronter » pour la première fois un acteur de très haut niveau : ni plus ni moins que Robert De Niro, l’acteur de la Méthode par excellence. Ce film dû à Penny Marshall adaptait le livre du célèbre docteur Oliver Sacks. Williams incarnait ce dernier (rebaptisé dans le film Malcolm Sayer), jeune médecin aux méthodes originales, qui en 1969 prit en charge des malades atteints d’encéphalite léthargique, une maladie très grave plongeant ses victimes dans un état catatonique. Grâce à un nouveau traitement, la L-Dopa, prescrit par Sayer / Sacks, les patients, dont un certain Leonard Lowe (De Niro), reprirent conscience et goût à la vie. Pour un temps, du moins, avant que la maladie ne les rattrapa… Un beau rôle pour Williams, crédible dans le rôle d’un docteur sincèrement touché par la détresse de ses patients, et qui lui valut sa quatrième nomination aux Golden Globes. Le film fut bien accueilli, en dépit d’un demi-succès public, compréhensible vu la nature du sujet. Williams enchaîna en 1991 avec une courte apparition en psychiatre détraqué dans le thriller hitchcockien assez lourdaud de Kenneth Branagh, Dead Again.

 

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Le film suivant fut l’un de ses préférés, l’une de ses meilleures créations. Terry Gilliam, après Munchausen, lui confia un rôle bien plus fourni pour son Fisher King l’opposant cette fois à Jeff Bridges. Pour l’un de ses meilleurs films (si ce n’est le meilleur), le cinéaste de Brazil jugula ses excès habituels pour signer ce mélange de drame, de comédie et de fantastique inspiré par le conte du Graal, et la légende de Perceval et du Roi Pêcheur. Williams incarnait Parry, clochard de New York sauvant la vie de Jack Lucas (Bridges), un animateur de radio déchu et cynique. Ce dernier se reprochait d’avoir jadis poussé un auditeur détraqué à tuer des gens dans un restaurant ; la rencontre avec Parry, allait le remettre face à ses responsabilités : le clochard était un professeur respecté, qui avait perdu sa femme, tuée dans ledit massacre… Fable tour à tour émouvante et perturbante, Fisher King offre quelques moments de comédie « williamsesque » typique ; qu’il soit en train de goûter aux joies du nudisme nocturne dans Central Park, ou tenter de séduire la jeune femme godiche dont il est amoureux (Amanda Plummer, déjà présente dans Le Monde selon Garp), Williams sait toujours faire sourire le spectateur. Mais le rire se teinte ici d’une tristesse incommensurable, dès que le film nous fait entrer de plain pied dans la psyché brisée de Parry. Fisher King met clairement en avant les deux faces de l’acteur, le rieur et l’homme perdu. Excellent face à Bridges, Robin Williams obtint son second Golden Globe du Meilleur Acteur.

 

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Robin Williams resta dans ce registre « fantaisisto-triste », avec Hook, le « grand film malade » de Steven Spielberg. On sait que le cinéaste d’E.T. rêvait depuis des années de faire une adaptation de Peter Pan, mêlant le livre original de J.M. Barrie et le film de Walt Disney. Ce fut finalement un scénario iconoclaste (et si Peter Pan était adulte ?) qui le motiva à tourner ce film, attachant mais terriblement imparfait. Après avoir envisagé Kevin Kline, Spielberg décida de confier le rôle de Peter Banning, avocat d’affaires stressé, orphelin et amnésique, à Robin Williams. Sans doute s’était-il souvenu que Williams, deux ans auparavant, avait prêté sa voix à un film spécial pour Disneyworld, intitulé Back to Neverland ! Et l’aspect physique de Williams, moitié farfadet, moitié satyre (voir les scènes « nudistes » de Fisher King…) en faisait un Peter Pan adulte idéal. Sans compter ses angoisses, parfaitement partagées par le cinéaste : la peur d’être abandonné, les difficultés à gérer une vie de famille active avec un métier épuisant, les difficultés à rester jeune d’esprit tout en se confrontant inévitablement aux responsabilités et à la Mort… Le casting était disparate : si Dustin Hoffman en Capitaine Crochet, Maggie Smith en vieille Wendy et le regretté Bob Hoskins en Mouche étaient irréprochables, Julia Roberts semblait une Clochette bien perdue… Ajoutons une ribambelle d’Enfants Perdus auprès de qui Williams livra une mémorable scène de repas imaginaire finissant en duel d’insultes ! Le film était inégal, parfois inspiré, parfois raté (notamment son esthétique). Malgré tout, il eut du succès, et a même fini par être plus apprécié de nos jours qu’à sa sortie. Robin Williams fit une prestation convaincante, jouant sur des registres très différents : un homme d’affaires nerveux, limite odieux, qui réalise une douloureuse prise de conscience avant de se résoudre à quitter l’enfance, l’esprit tranquille. De ce point de vue, Hook offre un très intéressant portrait conjoint de Spielberg et de Robin Williams. Ils resteront de bons amis, Williams téléphonant pour remonter le moral de Spielberg durant le tournage éprouvant de La Liste de Schindler

 

Robin Williams - Toys

1992, une année d’hyperactivité pour l’acteur qui enchaînait les tournages : cinq films, y compris des doublages (la chauve-souris dingue Batty Koda dans le dessin animé Ferngully) ! Le plus important fut cependant, cette fois, un échec : Toys, de Barry Levinson, une fable entre comédie et SF baignant dans une esthétique à la Magritte, où Williams donnait la réplique à Michael Gambon, Robin Wright, Joan Cusack, LL Cool J et un tout jeune Jamie Foxx. Le réalisateur de Good Morning Vietnam imagina cette histoire très simple : Leslie Zevo (Robin Williams), véritable homme-enfant, luttait contre les fourbes agissements de son oncle, un général aigri (Gambon), cherchant à transformer l’usine à jouets familiale en fabrique d’armes de destruction électronique massive. Le message était évident : vive l’imagination, à bas les jeux vidéo guerriers !… malheureusement, il était simpliste à l’excès. Le film retenait plus l’attention pour ses incroyables décors qu’autre chose. Et, cette fois-ci, le jeu de Williams, un peu perdu là-dedans, semblait caricatural et répétitif. 

 

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Toys fut un gros échec. Mais Robin Williams eut heureusement un autre atout en main, cette année-là : le Génie des 1001 Nuits, celui d’Aladdin ! Un des plus grands succès des studios Walt Disney sous l’égide de Jeffrey Katzenberg. En incarnant le Génie métamorphe complètement disjoncté, qui venait en aide au jeune héros voleur de la lampe magique, Robin Williams ouvrit une brèche. Aladdin encouragea les stars à prêter leurs voix dans les films d’animation, une pratique alors restée quasiment inédite, à quelques rares exceptions près (Louis Prima dans Le Livre de la Jungle…). Préparé « à l’ancienne » (on était encore au temps de l’animation en celluloïd), le film voyait ses scènes dialoguées enregistrées à l’avance. L’animateur Eric Goldberg dut s’arracher les cheveux en reproduisant, en dessins, les improvisations et imitations démentielles de Williams (52 « personnalités » différentes recensées dans le film) ! S’il obtint une récompense inédite, un Golden Globe spécial pour son interprétation, Robin Williams eut un conflit avec les studios Disney. Aladdin étant sorti dans les salles américaines un mois seulement après Toys, il avait demandé que le Génie ne soit pas mis en avant sur les affiches, et que son nom ne soit pas crédité au générique. Le studio changea d’avis, le nom et le « visage » (parfaitement reconnaissable) de Williams étant un bonus évident pour le film, qui fit un carton mondial. Williams refusa de doubler Le Retour de Jaffar, la suite du film (pour la vidéo) et la série animée dérivée. Quelques années plus tard, la hache de guerre fut enterrée, et Williams redonna sa voix au Génie pour la seconde suite, Aladdin et le Roi des Voleurs. Ces « guéguerres » internes mises à part, le film reste toujours aussi euphorisant – et totalement hystérique dès que le Génie apparaît à l’écran ! 

 

Kobal

En 1993, Robin Williams incarna un autre de ses personnages les plus emblématiques : Madame Doubtfire, Euphegenia de son prénom, gentille nounou écossaise qui est en fait un comédien divorcé cherchant à garder le contact avec ses enfants. Williams y incarnait son alter ego, Daniel Hillard, comédien et doubleur de dessins animés (celui du générique du début fut créé spécialement par l’immense Chuck Jones, le « père » des Looney Tunes de la grande époque) terriblement immature, au point que sa femme Miranda (Sally Field), lassée de son manque total de discipline envers leurs trois enfants, obtient le divorce. Mis à l’épreuve pour prouver qu’il peut être sérieux et capable d’avoir un emploi sûr, Daniel devenait donc la gouvernante idéale de ses turbulents gamins, au risque d’être démasqué(e)… Réalisé par Chris Columbus, le film fut une comédie sympathique, quelque peu convenue (Certains l’aiment chaud et Tootsie étaient déjà passés par là), mais dont tout l’intérêt reposait sur le « show » de Williams, habilement maquillé par l’expert en maquillages Greg Cannom (Dracula, Hook). On remarquera, derrière les rires, que pointait à nouveau ici la peur de l’abandon et de la solitude de l’acteur, peur tempérée par les gags causés par cette drôle de grand-mère. Le film fut l’un des grands succès de cette année 1993, offrant à Robin Williams un troisième Golden Globe du Meilleur Acteur sur son étagère. Pour l’anecdote, la maison de San Francisco qui avait servi de lieu de tournage à Mrs. Doubtfire est devenue un mémorial improvisé par les fans du film pour le comédien disparu.

 

Robin Williams - Jumanji

Mrs. Doubtfire aura eu un succès que n’eut jamais le film suivant de Robin Williams, Being Human de Bill Forsyth, une ambitieuse histoire suivant les différentes incarnations d’Hector (Williams) à travers le temps et l’Histoire. Le film, remonté contre l’avis du réalisateur et amputé de 40 minutes, fut renié par ce dernier, et la présence de l’acteur au générique ne put sauver un film crucifié par la critique. Ensuite, durant la seconde moitié des années 1990, l’acteur très sollicité va connaître une véritable boulimie de films, en tant que premier rôle, voix ou simple apparition : 18 films enchaînés en quatre années, de 1995 à 1999. Sans compter les nombreuses apparitions surprise à la télévision (comme cet épisode de Friends, ou il faisait une scène de ménage hilarante à son copain Billy Crystal !). Au cinéma, cette boulimie entraînera des films de qualité très variable. Ceux qui étaient enfants en 1995 se souviennent sûrement de Jumanji, de Joe Johnston, l’ancien directeur artistique d’ILM qui livra un divertissement familial trépidant, où un jeu magique libérait des hordes d’animaux sauvages dans un lotissement à l’américaine. Dans ce film truffé d’effets visuels dernier cri (pour l’époque), Robin Williams devait protéger deux enfants (dont une toute jeune Kirsten Dunst) des attaques d’éléphants, de crocodiles, de singes farceurs et bien d’autres périls d’une jungle fantaisiste !

 

Robin Williams - Birdcage

En 1996, Robin Williams réapparaîtra chez Kenneth Branagh, pour le rôle d’Osric dans sa luxueuse production d’Hamlet. On retiendra aussi sa collaboration (manquée) avec Francis Ford Coppola pour Jack, une production reposant sur le capital sympathie de l’acteur, jouant un enfant de dix ans grandissant trop vite. Une trame rappelant, en moins inspiré, Big avec Tom Hanks, teintée de plus de tristesse (le film rappelle sans détour que le personnage de Williams est condamné à mourir vite), mais qui n’a pas vraiment marqué les esprits, le cinéaste d’Apocalypse Now semblant avoir accepté de tourner ce film pour en finir avec les dettes de son studio Zoetrope. Williams, lui, s’en donnait à cœur joie sans trop de risques, entouré d’une bande de gamins rappelant ceux de Hook. 1996 fut surtout pour l’acteur l’année de Birdcage, le film de Mike Nichols, adaptant ici au public américain notre familière Cage aux Folles hexagonale. Renato et Albin / Zaza Napoli devinrent ici Armand Goldman (Robin Williams) et son cher Albert (Nathan Lane), vieux couple gay fort marri de devoir jouer les gens « normaux », face aux futurs beaux-parents réactionnaires (Gene Hackman et Dianne Wiest) du fils d’Armand. La prestation de Williams fit bien rire le public américain, un peu moins le public français qui connaissait déjà l’histoire par cœur !

 

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En 1997, Robin Williams alterna à nouveau le rire et les larmes. Entre un film avec l’ami Billy Crystal  : Father’s Day / La Fête des Pères, d’Ivan Reitman, remake des Compères, et une apparition gag en comédien flou chez Woody Allen (Deconstructing Harry / Harry dans tous ses états), l’acteur eut une très bonne année. Il joua le savant zozo, inventeur du Flubber (remake de The Absent-minded Professor / Monte la-d’sus ! avec Fred McMurray), un simple prétexte pour les effets spéciaux d’ILM ; surtout, il tint un rôle important dans le beau drame Good Will Hunting (ou, chez nous, Will Hunting tout court) réalisé par Gus Van Sant, sur un scénario de deux jeunes comédiens également têtes d’affiche du film : Ben Affleck et Matt Damon. Ayant baissé son salaire tant le scénario lui plaisait, Robin Williams livra une superbe interprétation. Il y jouait Sean Maguire, psychologue de Boston contacté par son ancien camarade d’études Gerald Lambeau (Stellan Skarsgard) pour s’occuper d’un jeune homme brillant et perturbé, Will Hunting (Damon). Un cas difficile pour Maguire, devant apprivoiser le jeune homme rebelle et lui redonner confiance en lui-même. Le public aima le film, la critique fut enthousiaste, et, pour son personnage de professeur profondément meurtri, Williams obtint un torrent d’éloges. Sean Maguire, c’est un peu le John Keating des Poètes Disparus, qui aurait perdu totalement son insouciance et chercherait à se reconstruire après le drame. Aucune fantaisie dans le jeu de Williams qui puisa dans sa propre douleur, et eut ici droit à des joutes psychologiques mémorables avec un tout jeune Matt Damon. Le risque fut payant : Robin Williams eut droit à de nombreuses distinctions, dont sa sixième nomination aux Golden Globes et, surtout, il remporta l’Oscar du Meilleur Acteur dans un Second Rôle.

 

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L’acteur ne se reposait pas sur ses lauriers et enchaîna les films en 1998. Le suivant fut l’occasion pour lui, huit ans après L’Eveil, d’incarner un autre médecin américain peu orthodoxe : Hunter « Patch » Adams, dans le film Patch Adams (Docteur Patch) de Tom Shadyac. Un médecin qui révolutionna et malmena l’establishment médical américain, en faisant le clown pour faire rire les patients, entre autres « tactiques » destinées à amener un peu d’humanité dans le froid monde des hôpitaux. Un rôle fait pour Williams, avec cependant quelques aménagements scénaristiques adaptant la véritable histoire de Patch à une vision hollywoodienne de celle-ci. Les critiques (et le vrai Adams lui-même) protestèrent, plus contre le film que contre l’acteur qui s’en sortit une nouvelle fois avec les honneurs, décrochant au passage sa septième et ultime nomination au Golden Globe du Meilleur Acteur. Malgré le sentimentalisme excessif du récit, le film devrait être redécouvert aujourd’hui, compte tenu de la fin tragique de l’acteur. Patch Adams, c’était évidemment Robin Williams lui-même qui trouvait son salut et son bonheur dans le rire des autres, au mépris des autorités dénuées d’âme… et qui cachait une grave dépression. Le film commençait par l’internement en hôpital psychiatrique du personnage principal ; et, plus tard dans le récit, Patch Adams, endeuillé, envisageait de se tuer. Un véritable signal d’alarme des problèmes que l’acteur traverserait de plus en plus.

 

Robin Williams - L'Homme Bicentenaire

Les derniers films que tourna Robin Williams à la fin de cette glorieuse décennie eurent un accueil plus mitigé. On le retrouva en 1998 dans What Dreams May Come (Au-delà de nos rêves), un film fantastique de Vincent Ward, très librement adapté d’un roman de Richard Matheson. Williams y jouait Chris Nielsen, un homme tué dans un accident de voiture, égaré dans l’Au-delà, et partant à la recherche de son épouse suicidée, dont l’âme se trouvait en Enfer (sic). L’acteur y semblait quelque peu à l’aise dans un film se reposant trop sur ses beaux effets visuels. L’année suivante, on retrouva Williams dans deux films. Il retrouva Chris Columbus pour l’adaptation des romans d’Isaac Asimov devenue L’Homme Bicentenaire. Aux côtés de Sam Neill, Williams y jouait Andrew, un robot humanoïde évoluant peu à peu pour changer d’apparence, intégrant sa famille d’adoption sur des générations jusqu’à y gagner des sentiments inconnus d’une machine. Williams, pour l’occasion, trouva une nouvelle fois l’occasion de se déguiser en portant un costume-maquillage très complexe de robot métallique, avant de prendre progressivement une apparence humaine. Mais le film ne convainquit pas ; il serait surpassé, deux ans plus tard, par un film au sujet quasi similaire : A.I. Intelligence Artificielle, de l’ami Steven Spielberg, film pour lequel Williams prêtera sa voix !

 

Robin Williams - Jakob le Menteur

Toujours en 1999, l’acteur n’eut pas plus de chance avec le pourtant très intéressant Jakob le Menteur, de Peter Kassovitz. Il y incarnait Jakob Heym, un juif enfermé dans le ghetto de Lodz, qui, pour se sortir d’une situation dangereuse (les autorités nazies l’ont convoqué parce qu’il n’a pas respecté le couvre-feu, et, sorti indemne de l’affaire, il attire la suspicion des autres réfugiés), inventait les fausses nouvelles d’une libération imminente par l’Armée Rouge soviétique. Malheureusement, le film s’attira les foudres des critiques, jamais tendres dès qu’un film abordait le thème de la Shoah… de plus, il sortait quelques mois après le surestimé La Vie est Belle de Roberto Benigni, sur un sujet proche. Le film de Benigni fit un triomphe, Jakob le Menteur fut un échec terrible…

 

Robin Williams - A.I. Intelligence Artificielle

Avec le nouveau siècle, l’activité cinématographique de Robin Williams changea. L’acteur, arrivé à la cinquantaine, se mit moins en avant (au cinéma), tout en continuant d’enchaîner films, spectacles, apparitions et interviews à la télévision. Plus la filmographie de l’acteur s’étoffait, plus celle-ci semblait gagnée par la noirceur, la tristesse. Les personnages de Williams, jusque-là, étaient souvent des « enfants », des marginaux, évoluant souvent dans la douleur vers l’âge adulte. Après Will Hunting, l’acteur continuait de faire rire, mais, peu à peu, une cassure se formait. De vieux démons refaisaient surface, ainsi que les pertes de proches et une grave rupture personnelle. Robin Williams débuta le nouveau siècle en douceur, en donnant sa voix au Professeur Know (Professeur Sait-Tout) d’A.I. Intelligence Artificielle, très grand film incompris de Steven Spielberg, héritant d’un projet de longue date de Stanley Kubrick. Il semble que ce soit Kubrick, dans les années 1990, qui confia le rôle à Williams et enregistra ses répliques, avant de confier le film à Spielberg. Celui-ci se servit donc des enregistrements, avec l’accord de son acteur de Hook pour donner vie à cet hologramme facétieux, doté de la tête et de l’accent d’Albert Einstein, un véritable Wikipédia vivant donnant du fil à retordre aux robots joués par Haley Joel Osment et Jude Law. Pour en finir avec la cybernétique et les machines vivantes, Williams « l’Homme Bicentenaire » prêtera aussi sa voix en 2005 à Fender, un robot déglingué du film d’animation Robots.

 

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2002 fut une année pleine pour le comédien, qui venait de perdre sa mère, son premier public, en septembre 2001. Il livra un nouveau one man show à succès, Robin Williams Live on Broadway, qui fut un triomphe public, et fut la vedette de trois films l’emmenant dans une noirceur inédite. Un virage à 180 degrés, qui, à un film près, fut remarqué et salué par les critiques. Un jeune cinéaste londonien, Christopher Nolan, venait d’enthousiasmer les professionnels et les spectateurs pour son brillant thriller Memento ; il accepta de réaliser le remake d’un film policier norvégien, Insomnia, pour la Warner. Nolan eut un casting royal, composé d’Al Pacino, Hillary Swank et Robin Williams. Pour ce dernier, après avoir fait face à De Niro et Dustin Hoffman, ce fut la chance de jouer avec une autre légende de l’Actor’s Studio. Williams surprit tout le monde en jouant un personnage inquiétant : Walter Finch, un écrivain de seconde zone réfugié en Alaska, meurtrier d’une adolescente, et qui jouait un jeu dangereux avec le policier Will Dormer (Pacino) qui le traque. Ce dernier avait de graves problèmes de conscience, aggravés par l’insomnie chronique, et se révélait plus proche de l’assassin qu’il ne le croyait… En accord avec les intentions de Nolan, Robin Williams « tua » en lui toute fantaisie pour ce film : son Walter Finch était méticuleux, lucide et terriblement perturbé par la découverte de sa nature de meurtrier. Le spectateur assistait à la naissance d’un petit psychopathe ordinaire, ressemblant plutôt au voisin  »invisible » qu’à un Hannibal Lecter. Finch fut la face noire, pitoyable et inquiétante, du personnage des Poètes Disparus. La prestation de Williams, glaçant, face au bouillonnant Pacino, fut exceptionnelle. Le film eut un modeste succès public, le jeu de Williams fut très apprécié, mais, inexplicablement, son contre-emploi fut boudé par les cérémonies officielles.

 

Robin Williams - One Hour Photo

Toujours en 2002, Williams fut aussi la vedette de la comédie satirique Death to Smoochy (Crève Smoochy, crève) de Danny DeVito ; il y jouait « Rainbow Randolph » Smiley, clown d’une émission télévisée pour enfants, renvoyé pour corruption et prêt à toutes les bassesses pour ruiner la réputation de son remplaçant Sheldon Mopes (Edward Norton), alias Smoochy le Rhinocéros ! Un numéro très « chargeurs réunis » de Williams pour ce film descendu en flammes à sa sortie. Pourtant, là aussi, un malaise pointait : le personnage de Randolph faisait une dépression suicidaire… Dans la foulée, Robin Williams fut le premier rôle du méconnu, et très intrigant, One Hour Photo (Photo Obsession) de Mark Romanek, où il jouait le rôle de Seymour « Sy » Parrish, modeste employé d’un laboratoire de développement photo ; un petit homme solitaire idéalisant les Yorkin (Michael Vartan et Connie Nielsen), un couple marié dont il s’imaginait être l’ami proche. En développant pour lui-même les doubles des photos familiales de ces derniers, le personnage devenait maladivement obsédé par eux. Robin Williams était ici, une nouvelle fois, à son meilleur niveau en campant son personnage le plus esseulé de sa filmographie, et le plus inquiétant dans son comportement sociopathe. Si l’acteur obtint des prix et des citations, il fut là aussi oublié par les Oscars et les Golden Globes. En 2004, après un rôle secondaire dans Noël de Chazz Palminteri, et après avoir joué l’ami du jeune héros de House of D (Le Prince de Greenwich Village) de David Duchovny, Robin Williams complètera cette série de personnages névrosés avec Final Cut, un thriller de science-fiction d’Omar Naim. Dans un futur proche où la technologie des implants mémoriels s’est développée, Alan Hackman (Williams), un « monteur d’images mentales », chargé de sélectionner les heureux souvenirs des personnes défuntes pour en faire des hagiographies, découvrait que son dernier défunt « client » était peut-être un pédophile. Alan se lançait alors dans une enquête ramenant dans sa mémoire de douloureux souvenirs… Plus proche de films comme Conversation Secrète (voir le nom du personnage), Final Cut complétait cette série de films angoissants tournés par l’acteur, marqués par la Mort et les souvenirs dérangeants, comme si le comédien avait choisi ces films-là pour exprimer que quelque chose n’allait pas.

 

Robin Williams - L'Homme de l'Année

Le tournage de la comédie noire The Big White, sorti en 2005, fut un mauvais souvenir. Revenu en Alaska après Insomnia pour les besoins de ce film, Williams en partageait l’affiche avec Holly Hunter et Woody Harrelson. Il y jouait Paul Barnell, un agent de voyage qui, pour faire face à ses ennuis financiers, montait une arnaque : il s’arrangeait pour faire passer un cadavre d’un anonyme pour celui de son frère disparu, espérant toucher l’argent de l’assurance. Malheureusement, le frère bien vivant arrivait au pire moment… Durant le tournage, malheureusement, Williams, après vingt ans d’abstinence, rechuta dans l’alcoolisme. Il fut en traitement durant trois ans. Son mariage battait de l’aile, et il venait de perdre un ami proche en la personne de Christopher Reeve, décédé des suites de l’accident qui l’avait paralysé neuf ans plus tôt. Vaille que vaille, l’acteur continuait cependant à tourner. Il fut à l’affiche de six films en 2006. Ni la comédie satirique L’Homme de l’Année (marquant les retrouvailles avec Barry Levinson), une comédie satirique où il jouait un animateur de radio élu accidentellement Président des Etats-Unis, ni RV (Camping Car), comédie de Barry Sonnenfeld, ni le drame The Night Listener d’après Armistead Maupin, où il incarnait un écrivan gay délaissé venant en aide à un jeune garçon abandonné, ne furent un franc succès.

 

Night at the Museum

Il fut plus heureux en participant à des films bien plus familiaux comme La Nuit au Musée, la comédie fantastique de Shawn Levy, avec Ben Stiller en gardien de nuit malmené par les turbulents « pensionnaires » du musée de New York : figures de cire, squelette de dinosaure et autre statues de héros historiques prenant vie par magie ! Dans la droite lignée de Jumanji, Robin Williams y était le président Teddy Roosevelt, du moins sa statue de cire en tenue d’officier, prêt à charger sabre au clair… et amoureux transi de sa voisine de cire, l’indienne Sacagawea. Williams fut de l’aventure pour La Nuit au Musée 2, sortie en 2009.

 

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Il fit aussi rire le public en prêtant sa voix au superbe film d’animation de George Miller, Happy Feet. Le réalisateur de Mad Max, pour sa grande aventure en terre Antarctique, lui confia la voix de deux personnages différents, croisant la route du héros Mumble (voix d’Elijah Wood), le manchot empereur danseur de claquettes. Williams y était Ramon, chef de la bande de manchots Adélie, fêtards et dragueurs, qu’il dotait d’une voix chicano, irrésistible durant une scène de séduction à la Cyrano de Bergerac. Et il donnait aussi sa voix à Lovelace, le gorfou sauteur, narrateur de l’aventure. Un palmipède plein de sagesse mais néanmoins entouré d’accortes femelles, jouant les gourous à la voix de Barry White, pour conter son étrange rencontre du troisième type avec les « aliens » humains menaçant les manchots… Deux personnages très amusants, qui réapparaîtront en 2011, toujours doublés par Williams, dans le moins inspiré Happy Feet 2, toujours sous la direction de George Miller. Le premier film restait un petit bijou, épique, émouvant et entraînant. Pourtant, le malaise revenait… Lovelace manquait de mourir étranglé par son « collier » (un emballage plastique de canettes) à un moment du film… Guéri de son alcoolisme, Robin Williams joua dans deux films en 2007. Il fut Frank, un prêtre envahissant la vie d’un couple de futurs mariés, dans la comédie Permis de mariage, et Maxwell « Wizard » Wallace, musicien de rue et vagabond formant à son art le jeune héros du drame August Rush, joué par Freddie Highmore.

 

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S’ajouta aux épreuves de Robin Williams le divorce d’avec Marsha, en 2008, après presque vingt ans de mariage, divorce ne lui laissant qu’un droit de visite pour son fils cadet, Cody, encore mineur à l’époque. Il ne réapparut sur les écrans qu’en 2009. Outre La Nuit au Musée 2, on le vit dans Shrink (Le Psy d’Hollywood), jouant l’un des patients de Kevin Spacey : un rôle pratiquement autobiographique, celui d’un homme souffrant de l’alcoolisme. La comédie noire de Bobcat Goldthwait, World’s Greatest Dad, fut une variation très grinçante sur un personnage rappelant, en bien moins brillant, le professeur des Poètes Disparus. Lance Clayton (Williams), un professeur d’anglais, féru de poésie, écrivain rejeté, devait élever seul son fils de 15 ans, Kyle (Daryl Sabara). Kyle mourait, asphyxié durant un jeu sexuel ; pour éviter l’humiliation, Lance déguisait la mort idiote de son rejeton, et, par le truchement d’une fausse lettre de suicide (…), gagnait l’admiration de tous. La comédie, avec son point de départ franchement morbide, fut très appréciée, et Williams y fut à nouveau salué. Mais le film fut un désastre financier. Robin Williams partagea également l’affiche d’une production Disney, Old Dogs (Les Deux font la père), avec John Travolta, où deux associés et copains strictement hétéros se mettent en ménage pour assurer la garde d’enfants jumeaux. Une comédie très oubliable, mais qui eut un modeste succès aux Etats-Unis.

 

Robin Williams - Le Majordome

Souffrant de problèmes cardiaques, Robin Williams dut se faire opérer cette même année 2009, reportant du même coup la tournée de son nouveau one man show, Weapons of Self Destruction, pour l’année suivante, qui le tint éloigné des écrans de cinéma. L’acteur épousa Susan Schneider, une designeuse graphique, en 2011. Il réapparut en 2012 à la télévision dans une série comique avec Sarah Michelle Gellar, The Crazy Ones, qui ne dura qu’une saison, mais qui lui valut les louanges et une nomination aux Critic’s Choice Television Award du Meilleur Acteur. En plus du tournage de cette série, Robin Williams joua dans neuf films, accumulés en l’espace de deux ans. En 2013, il retrouva Robert De Niro dans la comédie Un Grand Mariage, jouant un prêtre dépassé par les évènements, les ruptures et les coucheries d’une famille très recomposée. La performance la plus marquante de ces dernières années, pour Robin Williams, fut son second rôle dans le remarquable Le Majordome de Lee Daniels, biopic de la vie de Cecil Gaines, majordome témoin des grands changements sociaux durant ses décennies de service pour plusieurs présidents américains. Williams ouvrait le bal en incarnant, le plus sérieusement du monde, un Ike Eisenhower vieillissant, faisant le premier pas d’une politique d’intégration en faveur des Noirs américains, à la fin des années 1950. L’acteur retrouvait le grand Forest Whitaker, qui, 27 ans plus tôt, avait été son complice dans Good Morning Vietnam. Williams fut de la nomination collective pour les acteurs du film, impeccables, à la Screen Actors Guild Awards. Il joua aussi avec Annette Bening et Ed Harris dans le drame The Face of Love, et, plus de vingt ans après Fisher King, revint dans un film de Terry Gilliam : Le Théorème Zéro, prêtant sa voix (non créditée au générique) au porte-parole de l’Eglise de Saint Batman le Rédempteur ! Petite revanche personnelle de l’acteur, jadis envisagé pour jouer les méchants Joker puis Riddler dans les premiers films du super-héros…

 

Robin Williams - Boulevard

Cette année, Robin Williams tourna ses derniers films. Le drame Boulevard, avec Kathy Bates, le montrait en employé de banque, marié, s’ennuyant dans sa vie, et obligé de se confronter à un secret personnel quand il recueillait un jeune homme perturbé chez lui. La comédie dramatique de Phil Alden Robinson, The Angriest Man in Brooklyn, avec Mila Kunis et Peter Dinklage, ne sortit qu’en direct-to-video. Son personnage, un homme d’affaires odieux et colérique, découvrait qu’il était atteint d’un anévrisme cérébral incurable… Les derniers films interprétés par Robin Williams étaient tous en post-production, quand tomba la triste nouvelle. Il venait d’achever la comédie Merry Friggin Christmas, avait repris pour la dernière fois son rôle de Teddy Roosevelt dans La Nuit au Musée 3, et doubla son dernier personnage, le chien Dennis du héros d’Absolutely Anything, comédie de l’ancien Monty Python Terry Jones, rassemblant Simon Pegg, Kate Beckinsale et les vétérans « Pythons » : Jones et ses amis John Cleese, Terry Gilliam, Michael Palin et Eric Idle.

Cette boulimie de tournages serait la dernière ligne droite pour le comédien. Diagnostiqué bipolaire, il connaissait des crises dépressives de plus en plus aggravées. Il était reparti en désintoxication, après une nouvelle rechute alcoolique. Et il se savait atteint de la maladie de Parkinson, un fait qui ne fut révélé par sa veuve qu’après son décès. Robin Williams ne voulait plus lutter. Ce 11 août 2014, il n’eut plus de pensée agréable pour l’aider à s’envoler, et, seul chez lui, mit fin à ses souffrances. Ses admirateurs (dont le président américain Barack Obama en personne), comme ses amis et sa famille, lui ont spontanément rendu un hommage débordant d’affection, pour saluer la mémoire de cet homme né pour vivre par le rire, et par les larmes.

Vous qui lisez ce texte, j’ignore si vous serez de cet avis, mais il me manque déjà un peu. Goodbye, Robin Williams. Amusez-vous bien au Ciel.

 

Au fait, cher lecteur… votre braguette est ouverte !

 

Ludovic Fauchier

 

 

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ci-dessus, Robin Williams dans une émission d’anthologie à l’Actor’s Studio, en 2001. Ne manquez pas sa réaction, à 23 minutes, à la question : « Y a-t-il un Robin Williams introverti ? ».

 

Ci-dessous : le lien vers le site ImdB qui récapitule la filmographie intégrale de Robin Williams.

http://www.imdb.com/name/nm0000245/?ref_=rvi_nm

Aux disparus du printemps 2014…

Bonjour, chers amis neurotypiques !

Comme à l’habitude (hélas) prise en ces pages, ce texte est un petit hommage à des personnalités liées au monde du cinéma qui nous ont quitté ces trois derniers mois.

Aux héros oubliés 2014... H.R. Giger

Peintre, sculpteur, réalisateur, illustrateur, graphiste, le suisse H.R. Giger nous a quitté le 12 mai 2014, à l’âge de 74 ans. S’il ne travailla qu’épisodiquement dans le milieu du cinéma, son nom reste indissociable d’une des plus belles (et horribles) créatures du cinéma de science-fiction et d’horreur : l’Alien originel, star du film de Ridley Scott qui traumatisa les spectateurs de 1979. Le monstre protéiforme, qui hante pour toujours les coursives du vaisseau Nostromo, devait tout de son aspect aux étranges œuvres de Giger, qui s’impliqua totalement dans le projet, et fut justement récompensé d’un Oscar des Meilleurs Effets Spéciaux en 1980.

Hans Ruedolf (ou Ruedi) Giger naquit à Coire, en Suisse, le 5 mai 1940. Ce fils d’un pharmacien se prit de passion pour la peinture et l’art dès sa jeunesse, et y trouva l’exutoire nécessaire de ses cauchemars. Depuis l’enfance, en effet, Giger souffrait de terreurs nocturnes ; lui qui vécut dans une « petite maison presque sans fenêtres » voyait dans ses mauvais rêves les mêmes images répétées de machines, de trains fusionnés avec des organes ou de la peau animale ou humanoïde… L’étude de la peinture, de l’architecture et du dessin industriel à l’Ecole des Arts Appliqués de Zurich, de 1962 à 1970, lui permettra de développer son talent. Son œuvre, essentiellement qualifiée de « surréaliste », fut grandement inspirée par des artistes tels que Jérôme Bosch, Francisco Goya, Gustave Moreau, Hector Guimard, Ernst Fuchs, Salvador Dali ou Hans Bellmer. Dans les années 1970, Giger devint vite un nom familier dans le monde artistique. Ses peintures à l’aérographe, chargées de sexualité, « branchées » sur son inconscient, dégageaient un sentiment indéfinissable, un mélange de fascination et de répulsion. Le métallique et l’organique s’y entremêlaient en permanence, dans des univers industriels glaçants, où il était impossible de séparer les corps et les machines. Giger inventera, pour qualifier son univers, un terme devenu familier à tous les amateurs de science-fiction et de technologie : la « biomécanique ».

Le travail d’un artiste aussi singulier attirera l’attention d’un confrère tout aussi « allumé », le chilien Alejandro Jodorowsky, qui vers 1975 se lança dans un projet fou : l’adaptation du roman de Frank Herbert, Dune. Pour réaliser et rendre crédible cette épopée de science-fiction, Jodorowsky s’était entouré de personnalités très colorées. Dan O’Bannon à la réalisation des effets visuels, Jean « Moebius » Giraud et Chris Foss pour le production design des costumes et décors extra-terrestres, Salvador Dali prêt à jouer le rôle de l’Empereur Shaddam IV… Giger se joindrait à l’aventure pour créer d’inquiétantes machines comme la « Chaise Capo » du Baron Harkonnen, le grand méchant de l’histoire. Comme on le sait, Jodorowsky ne put mener son film à terme, et le « Dune de Jodorowsky » devint le plus célèbre des films morts-nés. Moebius affirma même (sans preuve formelle toutefois) que George Lucas y « emprunta » quelques idées conceptuelles pour son Star Wars

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ci-dessus : , dans Alien. Kane (John Hurt), Dallas (Tom Skerritt) et Lambert (Veronica Cartwright) découvrent le « Space Jockey » fossilisé. H.R. Giger a conçu et réalisé le décor. Joyeuse ambiance…

Quoi qu’il en soit, le succès du film de Lucas encouragea les studios américains à se lancer dans la production de films de science-fiction. O’Bannon, inspiré par ses souvenirs de vieilles séries B, proposa un certain Star Beast à la 20th Century Fox : une histoire archi-rebattue d’un monstre extra-terrestre attaquant l’équipage d’un vaisseau spatial… à cette différence près qu’O'Bannon voulait que Giger élabore un monstre biomécanique jamais vu. Le script d’O'Bannon et Ronald Shusett tomba dans les mains de Walter Hill, lequel engagea un jeune réalisateur anglais très prometteur, Ridley Scott. Lui-même ancien étudiant en arts, Scott, particulièrement impressionné par la peinture Necronom IV de Giger, insista pour que ce dernier, avec les « anciens de Dune » Moebius et Chris Foss (ainsi que Ron Cobb), élabore le monde mystérieux du film, rebaptisé Alien. A charge pour Giger de peindre et réaliser en pied tout les éléments extra-terrestres du film : le paysage cauchemardesque de la planète, le vaisseau spatial abandonné, les intérieurs de celui-ci, le pilote « Space Jockey » fossilisé, les œufs… et bien sûr, les différents stades de développement de la créature : parasite « Face Hugger » agrippé au visage de l’astronaute Kane (John Hurt), nouveau-né « Chest Burster » vedette d’une scène de repas traumatisante, et l’Alien adulte, dans toute sa splendeur. Une créature que le réalisateur dissimula dans l’ombre, rendant sa présence à la fois indiscernable, un mélange d’humain, de machine, d’insecte et de reptile que le spectateur de l’époque ne pouvait restituer dans son ensemble. Giger, qui avait travaillé d’arrache-pied dans la production de ce classique, obtint un Oscar en 1980.

Le succès ne montera cependant pas à la tête du « roi de la biomécanique » qui gardera une méfiance légitime vis-à-vis des promesses du système hollywoodien. Au vu des quelques films fantastiques sur lesquels il travaillera, on peut le comprendre. Pour le médiocre Poltergeist II, il créera un affreux « Ver Spectral » prenant possession du père de famille (Craig T. Nelson). Il créera aussi la belle et mortelle extra-terrestre SIL, jouée par la sculpturale Natasha Henstridge dans Species (La Mutante), une série B de 1995 qui serait oubliable sans les métamorphoses de la belle en prédatrice biomécanique. On fera l’impasse sur une suite catastrophique qui confirmera l’aversion de Giger pour les studios d’effets spéciaux américains, incapables de comprendre sa démarche. La saga Alien se poursuivra sans lui, ou presque ; James Cameron remaniera de fond en comble ses designs pour le second film, pour lequel il ne sera pas consulté. Pour Alien 3, d’un tout jeune réalisateur nommé David Fincher, il sera de nouveau contacté, élaborant le nouveau design de l’Alien, désormais quadrupède et débarrassé de ses tuyères dorsales. Giger sera complètement oublié au générique du Alien : La Résurrection de Jean-Pierre Jeunet, n’ayant plus grand-chose à voir avec le film original (et ne parlons des Alien Vs. Predator…). Heureusement, Ridley Scott n’oublia pas sa contribution pour Prometheus, la « vraie-fausse préquelle » d’Alien. Le cinéaste réutilisera, avec l’accord de Giger, les concepts du vaisseau abandonné et du Space Jockey. Giger élabora aussi les inquiétantes fresques murales découvertes par les explorateurs, et le visage humanoïde géant veillant sur une inquiétante et familière cargaison… En dehors de ces films, signalons aussi la contribution de Giger à des œuvres très hétéroclites : une superbe affiche pour un très Z Future-Kill en 1985, le concept visuel des effrayantes créatures et l’affiche du film d’animation japonais Tokyo : The Last Megalopolis en 1988, le design rejeté de la Batmobile de Batman Forever en 1995, et les monstres vedette du film allemand de 1996 Killer Condom - des préservatifs maléfiques mangeurs de pénis ! Dommage, par contre, que Giger ait manqué sa collaboration avec deux cinéastes dérangeants qui semblaient pourtant faits pour lui : David Lynch, dont il admirait Eraserhead, gardera quelques traces de ses travaux pour son Dune raté, d’où cependant la « touche Giger » planait dans les séquences mettant en avant les immondes Harkonnen. Et David Cronenberg s’inspirera largement de ses œuvres pour les dérangeantes métamorphoses de son halluciné Vidéodrome, marqué au sceau du biomécanique dont H.R. Giger fut le prophète.

Aux héros oubliés 2014... Bob Hoskins

Le 29 avril 2014, Roger Rabbit a pleuré le décès de Bob Hoskins (1942-2014), connu du monde entier pour avoir interprété le bougon détective Eddie Valiant, héros du Qui veut la peau de Roger Rabbit, le « cartoon – Film Noir » de Robert Zemeckis…

Un comédien venu d’Angleterre parmi les plus attachants et les plus reconnaissables qui soient, avec son physique trapu, tout en rondeur bonhomme, Bob Hoskins avait beaucoup bourlingué avant de devenir acteur. Petit-fils d’une grand-mère gitane, né dans le Suffolk mais Londonien dès sa petite enfance, Bob Hoskins (de son vrai nom Robert William Hoskins Jr.) quitta l’école à 15 ans pour commencer à travailler. Pour gagner sa vie, il fut ainsi tour à tour portier, chauffeur routier, nettoyeur de vitres, et commença des études de comptable qu’il ne finit jamais. A 25 ans, il partit travailler volontairement en Israël dans un kibboutz, et fut même un temps conducteur de chameaux en Syrie ! Revenu au pays, il commença sa carrière d’acteur en 1968 au Victoria Theatre de Stoke-on-Trent ; l’année suivante, il fut retenu à l’Unity Theatre de Londres, presque par hasard (il attendait au pub du théâtre que son ami finisse son audition, quand on lui donna un script pour passer sur scène…), et révéla aux directeurs de l’Unity un réel talent de comédien. Remarqué sur les planches, Hoskins en vint évidemment à venir à la télévision et au cinéma britannique, dès 1972, pour des petits rôles. Il se fit connaître du public anglais en 1975, en jouant Alf, un déménageur illettré, dans la série On the Move. Premier succès qui en appellera d’autres, bientôt suivis d’une belle série de récompenses et de nominations. Il obtint sa première nomination aux BAFTA Awards en 1978 pour la mini-série Pennies from Heaven, où il jouait Arthur Parker, un mari adultère. En 1980, Hoskins obtint les louanges des critiques pour son interprétation d’Harold Shand, un caïd en quête de respectabilité, dans The Long Good Friday (ou Racket, en français : Du Sang sur la Tamise), un solide polar britannique dû à John McKenzie. Toujours avec McKenzie, Hoskins tournera en 1983 The Honorary Consul, qui lui valut une autre nomination aux BAFTA.

Au milieu des années 1980, la carrière de Bob Hoskins connut un bond phénoménal ; capable aussi bien de jouer les personnages comiques (son physique l’y prédisposait) que des personnages antipathiques, voire carrément inquiétants, Hoskins va multiplier avec succès les rôles au cinéma et à la télévision, aussi bien dans son pays qu’aux USA où des réalisateurs prestigieux l’ont remarqué. On le vit ainsi dans le luxueux (et surchargé) Cotton Club de Francis Ford Coppola, où il était excellent dans le rôle d’Owney Madden, le patron truand du mythique night-club de Harlem ; il fut un Benito Mussolini convaincant dans La Chute de Mussolini à la télévision, aux côtés de Susan Sarandon et Anthony Hopkins ; les amateurs du Brazil de Terry Gilliam se souviennent quant à eux de Spoor, le plombier grossier qui finit littéralement « emmerdé » par Robert De Niro.

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ci-dessus : Bob Hoskins, alias Eddie Valiant dans Qui veut la peau de Roger Rabbit, détective chanteur et exterminateur de fouines !

Le tournant de la carrière cinéma de Bob Hoskins eut lieu en 1986, lorsqu’il joua le rôle principal de Mona Lisa, un film noir de Neil Jordan. Hoskins y incarnait George, un petit truand sans envergure, sorti de prison, qui accepte de devenir le chauffeur d’une superbe call-girl (Cathy Tyson) pour le compte de son ancien patron (Michael Caine). Une improbable amitié se nouant entre la belle et le chauffeur, ce dernier va l’aider à ses risques et périls. Superbe interprétation d’Hoskins en malfrat touché par l’amour, et pour laquelle l’acteur obtiendra une flopée de récompenses internationales, dont le BAFTA et le Golden Globe du Meilleur Acteur, le Prix d’Interprétation à Cannes et une nomination à l’Oscar. Hoskins manquera in extremis le rôle d’Al Capone dans Les Incorruptibles (1987) de Brian DePalma, la faute aux volte-faces de Robert De Niro qui abandonna un temps le rôle avant de changer d’avis. S’étant vu remettre un chèque de dédommagement de 20 000 Livres, Hoskins appela DePalma pour lui demander s’il n’avait pas d’autres films pour lesquels il ne voulait pas le voir jouer ! Cet incident digéré, Hoskins accepta de jouer dans un autre polar bien inclassable, le fameux Roger Rabbit de Robert Zemeckis, coproduit par les studios Disney et Steven Spielberg. Zemeckis le préféra à des stars plus « bankables » (notamment Bill Murray), trouvant en Hoskins un côté « cartoon vivant » parfaitement approprié. Il y jouait Eddie Valiant, un privé minable et alcoolique, spécialisé dans les affaires privées des stars les plus ingérables de Hollywood : les Toons – Bugs Bunny, Mickey Mouse et compagnie ! Les intrigues sentimentales de la pulpeuse Jessica Rabbit affectant le jeu de son époux, l’irrésistible Roger, Eddie se retrouve embarqué dans une sale affaire orchestrée par un juge démoniaque (Christopher Lloyd) l’obligeant à se confronter à ses vieux démons… A l’époque, on a beaucoup glosé sur le tour de force technique du film mêlant, de façon ultra-dynamique, prises de vues réelles et personnages de dessins animés, en oubliant la qualité du jeu du comédien. Hoskins devait passer le plus clair du tournage à jouer « dans le vide », de façon naturelle et sérieuse, et imaginer son lapin de partenaire en lieu et place des machineries créées sur le plateau, nécessaires pour rendre vivante la présence des Toons. Ce travail, étalé sur plusieurs mois, demandait une sacrée faculté de concentration et d’imagination, et Hoskins s’en sortit haut la main… quitte à voir des lapins de cartoon partout après le tournage !

Roger Rabbit fit un malheur au box-office de 1988, et fit de Hoskins, sans qu’il l’ait cherché, une star. Une célébrité déconcertante pour ce descendant de gitans qui réalisa son propre film, The Raggedy Rawney (Raggedy), en hommage à la culture de ses ancêtres, cette même année. Durant ces années hollywoodiennes, Hoskins obtint de nouveau des louanges dans la comédie dramatique Mermaids (Les Deux Sirènes, 1990), où il jouait Lou, le soupirant de Rachel Flax (Cher), mère de deux gamines (Winona Ryder et Christina Ricci) difficiles à gérer. On se souviendra également d’Hoskins dans le rôle du glouton et exubérant Smee (Mouche), le fidèle second du Capitaine Crochet (Dustin Hoffman) dans la superproduction de Steven Spielberg, Hook, en 1991. Dans ce gros raté commis par le cinéaste d’E.T., alors en pleine crise, Hoskins assura les meilleurs passages dans son numéro de pirate poltron, conseiller personnel du revanchard Crochet. Les deux acteurs, complices, décidèrent de jouer les deux pirates comme un vieux couple gay ! Il est à noter qu’Hoskins reprendra en 2011 le rôle de Mouche dans un téléfilm britannique, Neverland. La « période hollywoodienne » d’Hoskins connut un relatif coup d’arrêt avec le bide de l’improbable adaptation du jeu vidéo Super Mario Bros. en 1993… Hoskins, toujours sympathique, ne pouvait cependant être tenu responsable du désastre de ce film, un beau navet. L’acteur choisira prudemment de s’écarter de ce type de production surchargée d’effets spéciaux par la suite. Il préfèrera de loin les seconds rôles dans des films historiques, des comédies et des films fantastiques, et des rôles à sa mesure dans des films plus modestes, et tout aussi réussis. On le retrouva ainsi, par exemple, sous les traits de Sir Winston Churchill dans le téléfilm When Lions Roared (1994), en J. Edgar Hoover plus conspirateur que jamais dans le Nixon d’Oliver Stone en 1995, en Général Noriega dans le téléfilm de 2000, Noriega : God’s Favorite, ou en Nikita Khrouchtchev sanguin dans Enemy at the Gates / Stalingrad, de Jean-Jacques Annaud, en 2001. Les apparitions d’Hoskins furent si nombreuses dans les années 1990/2000 qu’il est difficile de toutes les citer. Dans le domaine fantaisie / fantastique, on le verra incarner tour à tour, sur le petit et grand écran, des personnages tels que Sancho Pança (le téléfilm Don Quichotte en 2000), le Professeur Challenger du Monde Perdu de Conan Doyle (téléfilm de 2001), le Blaireau du Vent dans les Saules (film de 2006), Gepetto (téléfilm Pinocchio en 2008), Mr. Fezziwig dans A Christmas Carol (Le Drôle de Noël de Scrooge, marquant ses retrouvailles avec Zemeckis en 2009), ou Muir, l’aîné aveugle des Nains dans Blanche-Neige et le Chasseur, qui fut son dernier film en 2012. Dans le registre dramatique, Hoskins marqua aussi les esprits dans le film controversé d’Atom Egoyan, Le Voyage de Felicia (1999), où il jouait Hilditch, un vieil homme porteur de lourds et sinistres secrets. On se souviendra aussi du merveilleux duo qu’il forma avec Dame Judi Dench chez Stephen Frears, dans la comédie de 2005 Mrs. Henderson Présente, où il était Vivian Van Damm, fondateur du cabaret coquin Windmill, ayant maille à partir avec la riche veuve finançant ledit cabaret ! Ou, dans un registre tout aussi sympathique, on reverra Bob Hoskins dans le rôle d’Albert, syndicaliste soutenant la grève des ouvrières de Ford dans Made in Dagenham (We Want Sex Equality, 2010). Ce fut un des derniers grands rôles d’Hoskins, qui dut prendre sa retraite en 2012, la maladie de Parkinson l’empêchant de continuer à jouer.

On versera une petite larme affectueuse à ce grand petit homme. « Salut Bob ! Salut Bob ! Au revoir, Bob ! ».

 

Aux héros oubliés 2014... Mickey Rooney

Mickey Rooney semblait n’avoir jamais vraiment quitté la scène et l’écran, et ce bien avant ses vrais débuts professionnels. En effet, ce New Yorkais pur jus fut un vrai enfant de la balle : à quinze mois, le petit Joseph Yule Jr. (son vrai nom) se hissa sur la scène du numéro de vaudeville joué par ses parents qui le présentèrent au public. Et il finit sa carrière quelques quatre-vingt-dix ans après ses débuts en couche culotte. Né le 23 septembre 1920, Mickey Rooney a donc traversé dix décades en chantant, jouant et dansant, et s’il est devenu l’un des « enfants stars » les plus reconnaissables de l’Âge d’Or du Hollywood des années 1930, sa carrière ne s’est jamais arrêtée.

De 1927 à 1936, il fut l’enfant vedette de 78 courts-métrages burlesques où il jouait le rôle de Mickey McGuire, un personnage de comic-strip très populaire. A la suite d’un règlement judiciaire, le jeune garçon acteur garda le prénom « Mickey » comme nom de scène, qu’il complètera ensuite par « Rooney » (plus sérieux selon lui que « Looney », suggéré par sa mère). Les dirigeants de la MGM remarqua vite ce jeune acteur au visage éternellement poupin, petit et débordant d’énergie. Adolescent, il joua notamment le personnage de Clark Gable enfant dans Manhattan Melody (L’Ennemi Public numéro 1, 1934), un sympathique Puck dans Le Songe d’une nuit d’été (1935), et fut le faire-valoir énergique d’un autre enfant star de l’époque, Freddie Bartholomew, dans Le Petit Lord Fauntleroy, Au Seuil de la vie et Capitaines Courageux (tous sortis en 1936 et 1937).

 

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ci-dessus : la bonne humeur et la complicité du duo Mickey Rooney-Judy Garland  dans Babes in Arms.

 

Rooney triompha avec A Family Affair (1937), une modeste comédie musicale où il joua le rôle d’Andy Hardy, le fils turbulent et courageux d’un juge de province. Un personnage d’adolescent optimiste si populaire que Rooney l’incarnera dans quinze films jusqu’en 1958 (Andy Hardy comes home), bien qu’il ait alors largement dépassé l’âge de son rôle… On se souviendra de lui en garnement remis dans le droit chemin par Spencer Tracy dans Boy’s Town (Des Hommes sont nés, 1938), ainsi que d’autres évocations très idéalisées d’une Amérique à la Norman Rockwell : The Adventures of Huckleberry Finn (1939), Le Jeune Edison (1940), The Human Comedy (Et la vie continue, 1943), pour lequel il sera nominé aux Oscars. Les succès les plus notables de cette époque resteront les films musicaux qu’il joua avec Judy Garland, comme Babes in Arms (Place au Rythme, 1939), dans lequel lui et Judy interprètent le très jazzy  »Good Mornin’ » repris des années plus tard dans Chantons sous la pluie. Pour ce film, Rooney gagnera sa première nomination aux Oscars ; toujours avec Judy Garland, il y aura aussi Strike up the band (En avant la musique) en 1940 et Girl Crazy en 1943. A 18 ans, Rooney sera ainsi la star numéro un du box-office, obtint un Oscar spécial (pour « l’incarnation de l’esprit de la jeunesse » de l’époque), et sa fortune s’éleva jusqu’à 12 millions de dollars, une somme record. Un esprit de la jeunesse très turbulent, Rooney ayant vite eu une réputation méritée d’être un joueur invétéré et un sacré coureur de jupons, enchaînant les mariages et les divorces, huit en tout. Sa première épouse ne fut autre qu’une starlette ravissante nommée Ava Gardner (petit canaillou !).

Comme nombre de ses collègues d’Hollywood durant la 2ème Guerre Mondiale, Mickey Rooney anima les spectacles de l’USO, participant à des spectacles et des films spécialement conçus pour distraire les soldats partis au front. L’après-guerre et l’inévitable vieillissement causèrent son déclin, Rooney s’endettant au jeu, enchaînant les ennuis conjugaux, et souffrit d’une addiction à la drogue. En 1962, l’ancien enfant star avoua avoir totalement dilapidé sa fortune. Déterminé à rembourser ses dettes, Rooney continua néanmoins à tourner, à jouer à Broadway, et renoua avec le succès. Au cinéma, Rooney âgé sera notamment remarqué dans Le Brave et le Téméraire (1956), Baby Face Nelson (L’Ennemi Public, 1957), Breakfast at Tiffany’s (Diamants sur Canapé, 1961, où il jouait un grincheux voisin chinois…), Requiem pour un Poids Lourd (1962) ou Un Monde Fou, Fou, Fou (1963). Par la suite, il alternera les apparitions à la télévision, au cinéma et à Broadway. Bon an mal an, dans des productions de qualité très variables, il était toujours là, émouvant à l’occasion le jeune public dans L’Etalon Noir, qui lui valut sa dernière nomination aux Oscars, en 1979. Il fut aussi récompensé, cette fois pour l’ensemble de sa carrière, d’un Oscar honorifique en 1983, et d’un Golden Globe et un Emmy Award en 1982 pour le téléfilm Bill, où il jouait un vieil homme handicapé mental. Même en ayant largement dépassé l’âge de la retraite, Rooney réapparaissait toujours ; on put le voir par exemple en 1999 jouer un vieux clown muet, chez George Miller, dans Babe 2 : Le Cochon dans la Ville (avec des scènes incroyablement émouvantes en compagnie d’un orang-outan), ou en gardien de musée insultant et tabassant Ben Stiller dans La Nuit au Musée, en 2006 ! Et il continua ainsi à tourner jusqu’en 2012, pour son dernier film, The Woods… avant que le rideau ne tombe le 6 avril 2014.

 

Aux héros oubliés 2014... Gordon Willis

Les amoureux du grand cinéma américain des seventies auront une petite pensée pour Gordon Willis, décédé dix jours avant son soixante-treizième anniversaire, le 18 mai dernier. Il fut l’un des plus grands chefs-opérateurs du grand cinéma américain de cette décennie sacrée, si ce n’est LE chef opérateur de cette époque, aux côtés des Conrad Hall (Butch Cassidy et le Kid, Marathon Man) ou Vilmos Zsigmond (Voyage au bout de l’Enfer, Rencontres du Troisième Type). Sa filmographie, comme on va le voir, parle pour lui, dominée par son travail exceptionnel sur la trilogie du Parrain. Rien que pour cela, voilà qui impose le respect, mais la carrière de Willis ne s’est pas limitée à la légendaire fresque familiale mafieuse de Francis Ford Coppola. Son style visuel, associé aux grands drames et thrillers oppressants des années 1970, lui avait valu le surnom taquin de  »Prince des Ténèbres » par son ami et collègue Conrad Hall. Il faut dire que personne, en ce temps-là, ne savait aussi bien créer des effets de clair-obscur dignes des grands maîtres, posant les ambiances d’une Amérique gagnée par le doute dans le contexte des années post-Watergate… 

Natif d’Astoria dans le Queens, Gordon Willis était le fils d’un couple d’anciens danseurs de Broadway, et son père fit ensuite carrière comme maquilleur pour les studios de cinéma de Warner Bros. Le jeune Willis adorait le cinéma et voulait donc naturellement travailler dans ce milieu ; s’il rêvait d’être acteur, il apprit peu à peu les bases des techniques d’éclairage, les décors et la photographie. Self-made man, après avoir fait le grouillot sur les plateaux, et tenté de percer comme photographe de mode à Greenwich Village, il rejoignit les services cinéma de l’US Air Force pendant la Guerre de Corée. Quatre années bénéfiques qui l’aidèrent à parfaire ses compétences techniques. Revenu à la vie civile, Gordon Willis rejoignit la côte Est, travaillant comme assistant caméraman puis premier caméraman sur des publicités et documentaires. Une école idéale pour aboutir à son style de tournage. Willis reconnaîtra garder une approche très minimaliste, mais techniquement impeccable, de son travail ; sa signature sera celle d’un chef-opérateur retirant la lumière sur les acteurs, et les filmant à la limite de la sous-exposition complète, là où les confrères saturaient ceux-ci d’éclairages très crus et à la mode. Il sera chef-opérateur pour la première fois en 1970, pour le film End of the Road d’Aram Avakian.

 

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ci-dessus : démonstration de l’immense talent de Gordon Willis dans cette scène légendaire du Parrain II, où Vito Corleone (Robert De Niro) rend la monnaie de sa pièce à Don Fannucci (Gastone Moschin).

 

Dès l’année suivante, Willis sera reconnu comme un des meilleurs de sa spécialité, grâce au succès du film Klute, d’Alan J. Pakula. Un thriller tendu, et très existentialiste, où Willis « maltraitera » les stars Donald Sutherland et Jane Fonda, creusant leurs visages à foison et les faisant ainsi ressembler à des morts-vivants… Le « style Willis » fera fureur, et la réussite du film scellera une solide amitié entre lui et Alan J. Pakula, dont il restera le chef-opérateur attitré. Francis Ford Coppola avait remarqué le film et insisté auprès de Paramount pour travailler avec Willis sur l’ambitieuse adaptation du Parrain. Le style de Willis fera merveille, dès les premiers instants du film. Impossible d’oublier le visage de Marlon Brando en Don Vito Corleone, rongé par la noirceur ambiante de son bureau où il écoute patiemment les doléances de ses « sujets »… Willis sut à merveille alterner le rythme visuel des saisons, s’inspirant de grands peintres pour composer les ambiances du film : les toiles cauchemardesques de Füssli ou Goya (notamment pour la fameuse scène de la tête du cheval…), ou les couleurs ensoleillées de Renoir pour la grande scène de mariage. La suite se passera presque de commentaires : Willis restera pratiquement fidèle aux mêmes cinéastes durant toute sa carrière. Avec Pakula, il poursuivit sur sa lancée en signant les angoissantes images de The Parallax View (A Cause d’un Assassinat, 1974) avec Warren Beatty, et Les Hommes du Président (1976) avec Dustin Hoffman et Robert Redford. Deux films qui plongent dans les angoisses d’une Amérique découvrant avec effarement les mensonges et odieuses manipulations dont sont capables ses élites, en l’espace d’une décennie, des assassinats des frères Kennedy jusqu’à la débâcle de Nixon. Une image emblématique, devant tout au talent visuel de Willis, résume cette époque : les scènes où « Gorge Profonde » (l’informateur mystérieux incarné par Hal Holbrook) apparaît tel un spectre désincarné au journaliste Bob Woodward (Robert Redford) pour le mettre sur la piste des sales petits secrets derrière le cambriolage du Watergate. Pakula et Willis continueront à travailler ensemble, même si la qualité des films n’égalera plus jamais leurs premières œuvres : Le Souffle de la Tempête (1978), le très bon Présumé Innocent (1990) avec ce bon vieux Harrison Ford, et le très mauvais The Devil’s Own / Ennemis Rapprochés, leur dernier film en 1997, toujours avec Harrison Ford et Brad Pitt. Willis aura aussi travaillé à plusieurs reprises avec James Bridges sur La Course aux Diplômes (1973), Perfect (1985) avec Jamie Lee Curtis et John Travolta et Bright Lights, Big City (Les Feux de la Nuit, 1988) avec Michael J. Fox. Gordon Willis, new yorkais adorant sa ville, fut aussi l’artisan visuel de quelques-uns des plus célèbres films de Woody Allen : d’Annie Hall (1977) à La Rose Pourpre du Caire (1985), Willis apporta sa patte à l’univers de « Woody ». Il y eut Intérieurs (1978), Stardust Memories (1980), Comédie Erotique d’une Nuit d’Eté (1981), Broadway Danny Rose (1984)… les deux sommets, en termes visuels, étant certainement les somptueuses images en noir et blanc de Manhattan (1979) et Zelig (1983), pour lequel Willis reçut une nomination aux Oscars. Nul doute que Willis, d’une certaine façon, a « fait » l’œuvre de Woody Allen. Comparez avec le style des films ultérieurs de ce dernier, après La Rose Pourpre… : on n’y retrouve guère ce sens visuel qui devait tellement au chef-opérateur. Ce dernier, de plus en plus lassé par les contraintes techniques des tournages, et étonnamment peu reconnu dans les cérémonies officielles pour son travail, prendra sa retraite à la fin des années 1990, après Malice (1993), le thriller avec Nicole Kidman, et Ennemis Rapprochés

Le plus incroyable est de constater que, malgré un si brillant palmarès et une science de l’image évidente, Willis fut constamment boudé par les Oscars : très « new yorkais » en ce sens, il affichait un certain mépris pour les paillettes d’Hollywood, restant à travailler sur la côte Est, et Hollywood, hélas, le lui rendit bien… Willis travailla, entre 1971 et 1977, sur des films prestigieux qui récoltèrent 39 nominations et 19 statuettes aux Oscars (dont trois meilleurs films : les deux premiers Parrain, et Annie Hall), mais il fut constamment oublié ! Il ne fut jamais récompensé, et n’obtint que deux nominations tardives, pour Zelig et Le Parrain III… L’industrie du cinéma se rattrapa très tardivement, en lui remettant un Oscar honoraire en 2010 pour sa « maîtrise insurpassée des ombres, de la lumière, de la couleur et du mouvement« . Mieux valait tard que jamais…. Heureusement, quelques cinéastes téméraires avaient déjà reconnu l’immense valeur de son travail en s’inspirant de lui : nul doute que les films de David Fincher (notamment Seven, The Game ou Zodiac) ou James Gray (The Yards, La Nuit nous appartient ou Two Lovers) doivent beaucoup aux splendides « ténèbres » de Gordon Willis…

 

Ludovic Fauchier.

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