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En bref… DEADPOOL

* AVERTISSEMENT : un justicier masqué à l’hygiène aussi douteuse que l’humour a tenté de s’introduire dans ce blog. Sauras-tu le reconnaître ? *

 

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DEADPOOL, de Tim Miller

La justice a un nouveau visage, complètement ravagé : Deadpool (Ryan Reynolds), le mercenaire avec une grande gueule. Increvable mais pas invulnérable, virtuose des armes à feu et des sabres, amateur de bouffe mexicaine, de prostituées, de pognon et ennemi juré du 4ème Mur, il affronte ce matin-là les membres du gang de Francis Freeman, alias Ajax (Ed Skrein), son ennemi juré. L’affrontement sur l’autoroute attire l’attention du X-Man Colossus (André Tricoteux, T.J. Storm, Matt LaSalle et la voix de Stefan Kapicic) (sérieux, ils s’y sont mis à combien pour jouer UN type ?!) et de sa petite protégée, Negasonic Teenage Warhead (également connue sous le nom de « pseudo qui déchire ») (Brianna Hildebrand), qui décident de ramener de ramener un peu de justice et de bonté dans ce merdier sanglant.

Mais derrière le masque de tueur de Deadpool, se cache un homme, un vrai, sensible, cultivé et délicat (hey, on a dit « un homme » !!!) : Wade Wilson… Deux ans plus tôt : Wade, ex-membre des Forces Spéciales devenu mercenaire à la petite semaine, qui passe le plus clair de son temps libre à picoler au bar de son seul ami Weasel (T.J. Miller). Il y rencontre la belle Vanessa (Morena Baccarin), escort girl qui devient en un rien de temps la femme de sa vie. Après quelques mois de bonheur et de pratiques sexuelles intenses, Wade déchante : il se découvre atteint d’un cancer généralisé incurable. Un recruteur vient un jour lui proposer une offre trop tentante : se faire injecter un sérum qui activera ses cellules mutantes dormantes, faisant de lui un super-héros sain et bien portant. Wade accepte, et réalise trop tard qu’il s’est fait piéger par deux trafiquants dotés de super-pouvoirs : Francis Freeman, le fameux Ajax (il lave sa vaisselle à fond), et sa complice Angel Dust (Gina Carano). Laissé pour mort après une tentative d’évasion ratée, Wade se retrouve pourvu d’un pouvoir d’autoguérison qui lui a laissé un faciès semblable à une part de pizza avariée. Sa vie avec Vanessa est ruinée. Wade devient Deadpool, ne vivant que pour la VENGEAAANCE !!… (laisse tomber Ludo, tu es ridicule, ils ont déjà vu le film !)

 

 Deadpool

Impressions :

Impressions très rapides aujourd’huii, vu que le film est déjà sorti depuis un mois… donc :

1) soit vous êtes un fan absolu du comics, vous avez vu le film 200 fois et lui avez mis la note maximum sur ImdB, et donc vous n’avez pas besoin de mon avis…

2) soit les films de super-héros (parodiques ou pas) vous sortent par les yeux, et vous n’êtes donc pas allé voir le film, vous n’avez pas envie de le voir et n’avez pas besoin de lire mon avis !

Faisons court. De tout le catalogue des super-héros Marvel, Deadpool est le plus infréquentable. Personnage secondaire apparu dans la série de comics X-Force, liée à l’univers des X-Men, ce lascar a pris du galon au fil des ans, au fil de la fantaisie des auteurs lui ayant donné une hygiène douteuse, un goût immodéré pour les vannes scatos, une résistance infinie aux pires blessures et mutilations, et le don unique de briser le 4ème Mur en permanence. Deadpool est le seul personnage des comics Marvel à avoir conscience d’être un personnage de comics, et il ne se prive donc pas de s’adresser au lecteur, de se moquer des clichés du genre ou de débattre en permanence avec ses « bulles de pensée », ceci causant chez ses congénères plus sérieux perplexité et/ou exaspération. Devenu culte en quelques années, le mercenaire bavard est donc situé quelque part entre le délire des films de Robert Rodriguez (pour l’ultra-violence cinglée, le mauvais goût revendiqué, les bombasses et la nourriture mexicaine corsée) et les personnages de cartoon tendance Ecureuil Fou de Tex Avery (pour la maltraitance permanente dudit 4ème Mur).

Le film de Tim Miller ici évoqué découle d’une énorme déception, liée à la première apparition du personnage, déjà incarné par Ryan Reynolds, dans X-Men Origines : Wolverine. Un titre qui provoque unanimement la fureur des fans, entre autres par le traitement abracabrantesque du personnage, finissant en simili-monstre de Frankenstein ninja/téléporteur/tirant des rafales de laser par les yeux… et surtout réduit au silence. Une énorme erreur ambulante, que Ryan Reynolds dut assumer au même titre que ses autres rôles dans des comic books movies foireux (Blade Trinity et Green Lantern), avant de participer à un film test réalisé par un ancien des effets spéciaux et des jeux vidéo, Tim Miller. Le réalisateur voulait démontrer aux cadres de la Fox, studio détenteur du personnage, qu’un film respectueux sur ce drôle de gugusse pouvait être tourné, à moindres frais. Diffusé sur le Net, le court-métrage fit un tel carton que le studio céda. Résultat des courses : un carton particulièrement rentable, prouvant par A + B qu’une adaptation de comics n’a pas forcément besoin d’un budget monstrueux pour être réussie : budget de 58 millions de dollars (une somme riquiqui par rapport à la tendance actuelle), pour 708 millions de dollars de bénéfice !

De beaux chiffres, certes, mais est-ce qu’au final, Deadpool est un bon film ? Euh… autant dire la vérité : ce film est très con, mais il est bon, à sa façon… ce qui, ici, est finalement une qualité ! C’est une sorte d’énorme fan fiction réalisée par des professionnels qui assument parfaitement le crétinisme du postulat de départ. Les scénaristes, déjà responsables du cultissime Bienvenue à Zombieland, se sont amusés à servir un one-man show sur mesure à Ryan Reynolds, jamais avare de blagues cradingues, de dixième degré permanent et de grosses allusions à la culture pop. Mention spéciale à l’affrontement avec Colossus, qui rappelle délibérément la scène du Chevalier Noir de Monty Python Sacré Graal ! Ainsi qu’à la scène post-générique de fin à la Ferris Bueller… Voilà, il n’y a guère plus à dire. Il est totalement recommandé de débrancher son cerveau avant de voir le film, à ranger dans le rayon « plaisirs coupables et idiots » au côté de, disons, Dumb & Dumber ou Zoolander.

Ludovic Fauchier (et Deadpool. Tu pourris mon film, je pourris ton blog !!)

 

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Ci-dessus : le film test de Deadpool, qui a tout déclenché.

La fiche technique :

Réalisé par Tim Miller ; scénario de Rhett Reese et Paul Wernick, d’après le personnage créé par Fabian Nicieza & Rob Liefeld (Marvel Comics) ; produit par des culs… par Lauren Shuler Donner, Simon Kinberg et Ryan Reynolds (20th Century Fox Film Corporation / Marvel Entertainment / Kinberg Genre / The Donners’ Company / TSG Entertainment)

Musique : Tom Holkenborg (Junkie XL de Mad Max Fury Road, le meilleur film de l’univers. Respect !!) ;  photo : Ken Seng ; montage : Julian Clarke

Direction artistique : Greg Berry, Nigel Evans et Craig Humphries ; décors : Sean Hawort ; costumes : Angus Strathie

Effets spéciaux visuels : Wayne Brinton, Vincent Cirelli , Pauline Duvall, Charlie Iturriaga, Blaine Lougheed, Paul George Palop, Charles Tait et Ryan Tudhope (Weta Digital / Atomic Fiction / Blur Studios / Digital Domain / Luma Pictures / Ollin VFX Studio / Rodeo FX) ; effets spéciaux de plateau : Alex Burdett ; effets spéciaux de maquillages : Bill Corso ; cascades : Robert Alonzo, combats réglés par D. Pool et Philip J. Silvera

Distribution : 20th Century Fox Film Corporation

Durée : 1 heure 48 

Caméras : Arri Alexa XT Plus (sérieux, mec !? qui s’intéresse aux caméras Arri Alexa XT Plus en lisant ce blog ?! … Toi, fidèle lecteur de l’Ariège ?)

En bref… THE REVENANT

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THE REVENANT, d’Alejandro Gonzalez Inarritu

Les plaines du Grand Nord américain, en 1823. Un groupe de trappeurs, commandés par le capitaine Andrew Henry (Domnhall Gleeson), termine sa saison de chasse dans un territoire sauvage. Un groupe d’Arikaras lance une attaque surprise, qui tourne au massacre. Seuls dix hommes parviennent à s’échapper par bateau. Pourchassés par les Arikaras, les hommes doivent retourner au plus vite au Fort Kiowa. Le guide du groupe, Hugh Glass (Leonardo DiCaprio), recommande de fuir à pied, une décision contestée par plusieurs trappeurs, dont John Fitzgerald (Tom Hardy). Deux hommes tentent malgré tout la fuite en bateau. Ils seront rattrapés et tués par les Arikaras.

Pendant ce temps, la tension monte entre Glass et Fitzgerald, qui lui reproche ses mauvaises décisions les ayant forcé à abandonner leurs précieuses peaux. Parti repérer une piste en amont, Glass est attaqué par une ourse grizzly, qu’il parvient à tuer. Lorsque ses camarades le découvrent inanimé, ravagé par les morsures et les griffures, ils ne donnent pas cher de sa peau. Henry décide de le faire transporter sur un brancard improvisé à travers la montagne, mais les hommes sont vite épuisés. Le transport de Glass étant impossible, Henry se résout à l’abandonner, laissant deux hommes veiller sur lui jusqu’à ce qu’il rende l’âme. Hawk, le fils métis indien Pawnee de Glass (Forrest Goodluck), et le jeune Jim Bridger (Will Poulter) se portent volontaires. Fitzgerald se joint à eux, pour pouvoir toucher une prime de risque qui rattrapera la perte des peaux. Mais, de plus en plus effrayé par la proximité des Arikaras, Fitzgerald va prendre une décision dramatique pour la vie de Glass, la sienne et celles de leurs jeunes compagnons…

 

The Revenant

Impressions :

Le verdict est tombé, sans grande surprise. The Revenant a fait la une de la soirée des derniers Oscars, où l’on ne parlait que du prix enfin décerné à Leonardo DiCaprio. Les médias ont tenu sensiblement tous le même discours sur le même air :  »Il était temps !« . Toujours nominé, jamais récompensé, l’acteur, dont le professionnalisme et l’investissement sont indiscutables, avait mis fin à la prétendue « malédiction » (on conviendra qu’il y a pire malédiction, dans ce métier…). On devrait saluer comme il se doit la performance de DiCaprio dans le nouveau film d’Alejandro Gonzalez Inarritu, et pourtant, un malaise demeure. Le déluge de louanges critiques et de couverture médiatique saluant ce film certes laissera au final plus de perplexité qu’autre chose… Mais reprenons par le commencement. 

A l’origine de The Revenant, il y a une histoire vraie survenue au début du 19ème Siècle, dans un Grand Nord lieu de tous les dangers pour quelques misérables trappeurs et chasseurs. Des gens comme Hugh Glass. Rescapé d’une attaque de grizzly, laissé pour mort par ses camarades et ayant bravé tous les dangers sur 300 kilomètres avant de retrouver ceux qui l’avaient laissé crever, le périple de Glass était devenu une légende américaine. Son histoire avait déjà inspiré un très beau film : Man in the Wilderness (Le Convoi Sauvage) de Richard C. Sarafian, avec Richard Harris et John Huston. Un petit bijou de « survival western » sorti en 1971, et contemporain d’un classique de la même eau, le Jeremiah Johnson de Sydney Pollack, écrit par John Milius et incarné par Robert Redford. La nature sauvage, la présence des Indiens, les immenses espaces glacés, la lutte pour la survie de quelques pauvres âmes égarées, voilà de quoi fournir une belle balade sauvage, a dû se dire Alejandro Gonzalez Inarritu. A priori, cela semblait excitant ; le réalisateur de Biutiful, un des trois caballeros mexicains (avec Alfonso Cuaron et Guillermo Del Toro) qui ont su imposé leur vision originale ces dernières années, ici associé à Leonardo DiCaprio et Tom Hardy pour un survival promettant d’être teigneux et intense, cela avait de quoi faire saliver. Pourtant, au final, The Revenant fait surtout soulever quelques sourcils circonspects. Par moments, le film touche droit au but. Et à d’autres, il s’étiole à n’en plus finir, le réalisateur semblant se perdre dans la contemplation, le mysticisme facile et les effets qui plombaient déjà son précédent – et surfait – Birdman. De quoi s’inquiéter sur la carrière d’un auteur jusqu’ici irréprochable.

The Revenant ne manque pourtant pas de qualités, mais il tend sans cesse le bâton pour se faire battre. Oui, le film est splendide, aidé en cela par le travail sublime du chef opérateur Emmanuel Lubezki, récompensé à juste titre d’un Oscar pour son utilisation des lumières naturelles ; et Lubezki fait preuve une fois de plus de sa sidérante maîtrise du plan-séquence (revoir ses travaux précédents sur Les Fils de l’Homme, Gravity et Birdman) sur les morceaux de bravoure attendus. L’assaut des Arikaras qui ouvre le film est d’une intensité et d’une brutalité équivalant Le Soldat Ryan de Spielberg, l’attaque du grizzly (impossible de déceler le remarquable travail fourni par ILM sur un animal totalement numérique) et l’affrontement final sont d’une brutalité absolue. Problème : ces démonstrations de virtuosité supplantent un récit très schématique (gentil trappeur-qui-veut-se-venger-de-méchant-trappeur-tout-en-cherchant-l’inévitable-rédemption… voilà, c’est tout !), qui commet de plus l’erreur de multiplier les scènes contemplatives interminables, surlignées et pas vraiment subtiles, héritées de Terrence Malick (pour qui Lubezki signa la très belle photo, très similaire, du longuet Nouveau Monde). Quant à la performance de Leonardo DiCaprio… reconnaissons que l’acteur ne ménage pas ses efforts pour nous faire ressentir les souffrances de son personnage, pourchassé, griffé, perforé, ligoté, noyé, bouffant de la viande crue, constamment épuisé et hagard… Sauf que son Hugh Glass s’avère finalement assez peu intéressant à suivre, limité par ce satané script qui se contente d’enfoncer des portes ouvertes et invente un passé politiquement correct au personnage. Un rapide coup d’œil sur Wikipédia révèlera d’ailleurs que le vrai Glass n’a jamais eu de femme indienne et encore moins d’enfant métis ; le syndrome angélique à la Danse avec les Loups a encore frappé. Cette prise de position bienveillante en faveur des Amérindiens serait touchante, si elle ne semblait pas aussi calculée.

Dommage pour DiCaprio, qui semble avoir hérité d’un Oscar de compensation, l’Académie s’excuseant du coup de ne pas avoir salué plus tôt le talent de l’acteur dans de meilleurs rôles (de Gilbert Grape au Loup de Wall Street, en passant par Arrête-moi si tu peux ou Aviator, le choix ne manquait pas) et commet d’autres injustices – en négligeant par exemple la brillante interprétation de Michael Fassbender dans Steve Jobs, ou en accordant l’Oscar de la mise en scène à Inarritu (bon sang, et George Miller sur Mad Max Fury Road, c’était de la gnognotte, peut-être ?!). D’ailleurs, en parlant de Mad Max… Leo se fait littéralement éclipser dans le film par Tom Hardy. Le nouveau Road Warrior écrase littéralement son collègue : il investit un personnage antipathique à 200 %, jouant à merveille de son charisme brut et animal, et, l’espace de quelques scènes, le rend bien plus intéressant que le héros martyr. Terrible frustration, au final : Inarritu et son scénariste ont choisi la facilité et avaient un bien meilleur film à développer, s’ils s’étaient reposés sur Hardy. En l’état actuel, The Revenant, handicapé par des erreurs pourtant évidentes à résoudre, déçoit plus qu’il n’enthousiasme. Allez comprendre pourquoi tout le monde s’emballe pour ce film certes très beau, mais terriblement survendu…

 

Ludovic Fauchier.

 

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Ci-dessus : la bande annonce du Convoi Sauvage (Man in the Wilderness) avec Richard Harris. Cela vous semble familier ?

 

La fiche technique :

Réalisé par Alejandro Gonzalez Inarritu ; scénario d’Alejandro Gonzalez Inarritu et Mark L. Smith, partiellement basé sur le roman de Michael Punke ; produit par Steve Golin, Alejandro Gonzalez Inarritu, Arnon Milchan, Mary Parent, Keith Redmon, James W. Skotchdopole, Alexander Dinelaris, Nicolas Giacobone, Douglas Jones, Scott Robertson et Alex G. Scott (Anonymous Content / Appian Way / Catchplay / Hong Kong Alpha Motion Pictures Co. / M Productions / Monarchy Enterprises S.a.r.l. / New Regency Pictures / RatPac Entertainment)

Musique : Carsten Nicolai (Alva Noto) et Ryuichi Sakamoto ; photo : Emmanuel Lubezki ; montage : Stephen Mirrione

Direction artistique : Michael Diner et Isabelle Guay ; décors : Jack Fisk ; costumes : Jacqueline West

Distribution : 20th Century Fox

Caméras : Arri Alexa 65, XT, XT M et Red Epic Dragon

Durée : 2 heures 36

En bref… AVE CESAR !

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AVE CESAR !, d’Ethan & Joel Coen

Hollywood, début des années 1950. A la tête du studio Capitol Pictures, Eddie Mannix (Josh Brolin) est non seulement celui qui s’assure que les films soient tournés et distribués sans problèmes, il est aussi le « fixer » de service du studio - celui qui tire les stars sous contrat des scandales qui les guettent au moindre faux pas, et qui pourraient nuire à l’image de marque de Capitol. Et il a du pain sur la planche…

Simultanément, Eddie doit régler divers problèmes. La grossesse hors mariage de DeAnna Moran (Scarlett Johansson), la star des comédies musicales aquatiques, à qui Eddie doit donc trouver en urgence un troisième mari valable. Mari qui devra se faire passer officiellement pour le père de l’enfant à naître, et ainsi permettre à DeAnna d’adopter son propre bébé ! Autre problème : la défection de l’acteur principal du mélodrame « Merrily We Dance » filmé par le grand Laurence Laurentz (Ralph Fiennes). Sur ordre de son patron, Eddie désigne Hobie Doyle (Alden Ehrenreich) comme nouvelle star du film. Et tant pis si le gentil Hobie, cowboy chantant de série B, est un acteur calamiteux. Plus ennuyeux encore pour Eddie, le tournage du péplum « Avé, César ! » connaît un problème encore plus grave. Baird Whitlock (George Clooney), l’acteur superstar, vient d’être enlevé par des scénaristes sous-payés, tous sympathisants communistes… Eddie devra leur payer 100 000 dollars pour revoir sa star vivante, à déposer sur le tournage de la dernière comédie musicale de Burt Gurney (Channing Tatum). Eddie doit régler tous ces problèmes en même temps, tout en déjouant les menaces des jumelles commères Thora et Thessaly Thacker (Tilda Swinton). Et il se voit de plus poser un cas de conscience quand un émissaire de la respectable Lockheed Corporation lui offre un poste idéal à la direction de la firme aéronautique, loin d’Hollywood et de ses vedettes ingérables…

 

Avé, César !

Impressions :

Après leur remarquable Inside Llewyn Davies, les frangins Coen s’offrent ici une petite récréation sur un univers qu’ils affectionnent : le Hollywood de l’Âge d’Or, dont les meilleures œuvres ont largement inspiré l’ambiance de leurs propres films, de Frank Capra aux maîtres du Film Noir. Un univers qu’on a quelque peu tendance aujourd’hui à idéaliser en se référant aux seuls films classiques, et en oubliant que, pour ceux qui vivaient dans l’Usine à Rêves, ce n’était pas une sinécure… Patrons despotiques, stars névrosées enfermés par contrat dans une cage dorée, scandales à foison, voilà largement de quoi inspirer les deux frères – avec en plus le contexte d’une période politique troublée par la suspicion anticommuniste. Et les Coen s’amusent aussi à titiller la mémoire cinéphile en se référant moins aux indiscutables classiques qu’aux « produits » les plus absurdes de l’époque ; pour retenir les spectateurs dans les salles, les grands studios créaient aussi des effets de mode et des stars vraiment improbables. Qui, aujourd’hui, oserait regarder les comédies musicales aquatiques d’Esther Williams, les numéros de Carmen Miranda, les films de cowboys chantants et autres joyeusetés à succès de l’époque (lorsque certains s’enthousiasmaient pour le dernier Hitchcock ou Minnelli, d’autres se précipitaient pour aller voir Francis, la Mule qui parle !). Sans oublier les premiers péplums au look très rococo, comme Quo Vadis ?, Salomé ou La Tunique, pourvoyeurs de grandes leçons évangéliques.

Les frères Coen préfèrent en rire, et jeter sur cette époque bariolée un regard décalé typique de leur humour. Ils choisissent pour cela de traiter l’époque à travers le personnage d’Eddie Mannix, librement inspiré d’un personnage homonyme ayant réellement existé : le directeur exécutif de la MGM, ayant sauvé des acteurs prestigieux du scandale (Spencer Tracy et Clark Gable, notamment), et soupçonné d’avoir été impliqué dans le mystérieux « suicide » de George Reeves (l’interprète de la série télévisée Superman des années 1950). Il faut bien connaître cette époque, aussi, pour saisir les références glissées à la période : les scénaristes kidnappeurs du film sont la version Coen des « Hollywood Ten », ces scénaristes mis à l’index et empêchés de travailler par l’HUAC en raison de leurs sympathies communistes. Scénaristes dont le nom le plus connu reste sans doute Dalton Trumbo, réhabilité après plus d’une décennie par Kirk Douglas, qui l’engagea pour écrire Spartacus, le grand péplum épique de Stanley Kubrick (où l’on peut facilement repérer les discours socialistes sans équivoque !). Rappelons que nombre de personnalités hollywoodiennes furent conviées à dénoncer devant l’HUAC leurs petits camarades soi-disant agents du communisme. Si certains s’y refusèrent (Gene Kelly, qui inspire le personnage de Channing Tatum, défendit sa femme Betsy Blair), d’autres collaborèrent – notamment Robert Taylor, la star de Quo Vadis ?, parodié ici avec délices par George Clooney. Clooney, d’ailleurs, n’est jamais aussi bon dans la comédie que quand il fait l’idiot chez les frères Coen ; le voir reprendre les tics de jeu typiques des acteurs de l’époque en étant coincé dans sa cuirasse de centurion justifie l’achat du ticket à lui seul. Avé, César ! dispense aussi de savoureux moments de comédie, notamment cette discussion de théologiens consultants scénaristes, ou les tentatives du très distingué réalisateur joué par Ralph Fiennes (tout droit échappé du Grand Budapest Hotel) pour transformer un cowboy de rodéo en acteur distingué.

Pour autant, il manque à Avé, César ! un petit quelque chose qui en ferait une comédie de premier plan. Pas aussi définitif que The Big Lebowski ou O’Brother, le film a tendance à « patiner » dans sa seconde partie, comme si les frères Coen survolaient plus leur sujet au lieu d’exploiter à fond tous les ressorts comiques qui s’offraient à eux. Mineur, mais agréable, Avé, César ! est destiné avant tout aux connaisseurs du cinéma de l’époque, avant de prochaines œuvres plus ambitieuses.

Ludovic Fauchier.

 

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Ci-dessus : Channing Tatum pousse la chansonnette sur la BO du film composée par Carter Burwell. Faites chauffer les claquettes !

 

La fiche technique :

Réalisé et écrit par Ethan & Joel Coen ; produit par Tim Bevan, Ethan & Joel Coen, Eric Fellner et Catherine Farrell (Mike Zoss Productions / Working Title Films)

Musique : Carter Burwell ; photo : Roger Deakins ; montage : « Roderick Jaynes » (alias les frères Coen)

Direction artistique : Dawn Swiderski ; décors : Jess Gonchor ; costumes : Mary Zophres

Distribution : Universal Pictures / UIP

Caméras : Arricam LT et Arriflex 535B

Durée : 1 heure 46

Inventions pour Lisa – STEVE JOBS

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STEVE JOBS, de Danny Boyle 

L’histoire :

Cupertino en Californie, le 26 janvier 1984. Pour Steve Jobs (Michael Fassbender), le jeune co-fondateur d’Apple Inc., cette journée commence très mal. La démo vocale de l’ordinateur Macintosh, qu’il doit présenter après une publicité annonçant la révolution dans le monde de l’informatique, « plante »… Jobs furieux menace l’ingénieur Andy Hertzfeld (Michael Stuhlbarg) d’une humiliation publique, s’il ne rétablit pas la démo avant la conférence. Johanna Hoffman (Kate Winslet), la responsable du marketing, tente d’empêcher les orages qui s’accumulent autour de Jobs. Son amitié et sa relation professionnelle avec Steve Wozniak (Seth Rogen), l’autre co-fondateur d’Apple, tourne à l’aigre quand ce dernier demande en vain une reconnaissance de son équipe pour la conception de l’ordinateur Apple II. Pour couronner le tout, un article de Time Magazine le met en rage, sa rupture houleuse avec son ex-petite amie, Chrisann Brennan (Katherine Waterston) y étant évoquée. Chrisann oblige Jobs à une confrontation explosive, une petite fille de cinq ans à son bras : Lisa. Contre toutes les évidences, Jobs refuse de la reconnaître comme sa fille biologique.

Quatre ans plus tard, à San Francisco, Jobs a claqué la porte d’Apple, débarqué par le Directeur Général d’Apple John Sculley (Jeff Daniels), qu’il avait invité à rejoindre la compagnie, et le Comité Administratif – conséquence de la mévente du Macintosh, trop cher. Toujours soutenu contre vents et marées par Johanna Hoffman, Steve Jobs est à la tête de NexT Computer. Il prépare une nouvelle conférence donnée pour le lancement du NexTstation. Génie si mal à l’aise avec les humains normaux, Jobs se confronte à nouveau à Wozniak, Sculley, Herzfeld, Chrisann et Lisa – et à ses vieux démons…

 

Steve Jobs 01

Ci-dessus : hippie, informaticien, businessman, visionnaire et chef d’orchestre. Michael Fassbender se fond dans la peau de Steve Jobs. De l’Oscar dans l’air…

Impressions :

Le triomphe du Social Network de David Fincher fut pour son scénariste Aaron Sorkin un succès personnel, et la confirmation du statut unique de ce dernier dans le cinéma et la télévision américaine. Un auteur capable d’imprimer sa patte et son style tranchant dans les intrigues contemporaines, que ce soit dans le monde du sport (Moneyball / Le Stratège, avec Brad Pitt), du journalisme (sa série The Newsroom) ou de la politique (La Guerre selon Charlie Wilson, avec Tom Hanks, ou la série The West Wing / A la Maison Blanche). Son association avec Fincher ayant si bien marché (au point que leur film est devenu une œuvre de référence de ce début de siècle), il semblait acquis que Sorkin allait retravailler avec lui sur un autre biopic consacré à une autre immense figure atypique : après l’histoire de Mark Zuckerberg et Facebook, Steve Jobs, le grand manitou visionnaire d’Apple, ferait donc l’objet d’un nouveau scénario. Fincher devait le réaliser, avec Christian Bale dans la peau de Jobs. Mais, problème de planning ou de négociations ? Fincher, retenu par d’autres projets, quittait l’aventure Steve Jobs, peu de temps après le désistement de Bale. Le script de Sorkin basé sur le livre de Walter Isaacson ne sera cependant pas resté aux oubliettes : l’écossais Danny Boyle, l’homme de Trainspotting et Slumdog Millionnaire, sera aux commandes. C’est finalement Michael Fassbender qui incarne le défunt père du MacIntosh. Une excellente idée, et de quoi faire vite oublier un projet concurrent sorti dans l’anonymat en 2013, Jobs, avec la plus belle erreur de casting du siècle - Ashton Kutcher, venu des sitcoms et plus connu pour avoir été le toyboy de Demi Moore, tentait de convaincre le spectateur qu’il était crédible dans la peau du génie perturbé…

L’association Boyle-Fassbender-Sorkin, au vu du résultat final, a été efficace. On peut regretter que Fincher ne soit pas resté sur le projet, mais le travail de Danny Boyle est appréciable. Le réalisateur écossais s’est assagi pour se concentrer sur les conflits entre les personnages, aidé par l’écriture millimétrée de Sorkin. Construit comme un drame en trois actes correspondant à une période décisive de sa vie, Steve Jobs évite l’écueil de la success story ronflante pour offrir de beaux duels psychologiques entre le créateur de la marque à la pomme et son entourage. L’occasion pour le scénariste-dramaturge d’aborder, après son portrait controversé de Mark Zuckerberg pour The Social Network, les aspects contradictoires d’un des géants des dernières décennies. Créatif (un rappel : l’Apple, le Macintosh, l’iMac, l’iPod, l’iPhone, le concept du cloud numérique, c’est lui !), visionnaire (qui a racheté à George Lucas en 1986 la petite division d’animation informatique The Graphics Group pour en faire le studio Pixar ? Encore lui !), indéniablement charismatique (il suffit de voir les archives de ses mythiques keynotes pour en juger), rigoureux, attachant (pour ceux qui le connaissaient vraiment bien), Jobs était aussi un grand angoissé, terriblement colérique et égocentrique à en être blessant. Moins informaticien que grand chef d’orchestre (une scène du film est particulièrement explicite à ce sujet), Jobs a partagé le lot des souffrances de nombreux génies auxquels il se référait dans son éthique de travail. Le film offre un éclairage assez juste sur les angoisses particulières à ce type d’individus hors normes, tellement habités par leur passion qu’ils semblent démunis et incapables par ailleurs de comprendre que leur ego peut heurter.

 

Steve Jobs 03

La femme indispensable : Joanna Hoffman (Kate Winslet), toujours sur la brèche dans les moments de crise de son patron et ami.

Sans vouloir diminuer le mérite de Boyle, il faut bien reconnaître que Steve Jobs bénéficie du talent d’écrivain de Sorkin. Construit comme une pièce de théâtre en trois actes, sans affèteries, correspondant à l’évolution du personnage principal et les dates clés de ses créations, le film repose sur des dialogues magistraux. A vrai dire, Sorkin pense sans doute ceux-ci non pas comme des textes à rallonge que comme des combats de boxe psychologiques. Esquives, feintes, crochets, uppercuts, directs, ripostes et KO, toute la gamme des techniques de combat y passe, avec au centre du ring un redoutable combattant qui pousse ses challengers dans les cordes. Les relations de Jobs avec les autres personnages permettent aussi, ainsi, de révéler une facette différente du personnage, dans ses grandeurs comme dans ses failles. Sorkin a une tendresse particulière pour la grande femme cachée derrière le grand homme : la discrète Joanna Hoffman est non seulement l’amie dévouée, véritable paratonnerre des humeurs de son patron, mais aussi l’une des seules à oser lui tenir tête. Présente sur tous les fronts, en vraie soldate, Joanna est aussi la conscience de Jobs, celle qui ne se laisse pas intimider et qui l’empêche de basculer dans la folie. L’occasion pour Kate Winslet, une fois encore brillante, de rendre justice à ce personnage a priori secondaire, qui a joué un grand rôle dans le succès de Steve Jobs. Les autres personnages, plus antagonistes, sont quant à eux les révélateurs des failles du personnage. Seth Rogen prête ses traits rondouillards à Steve Wozniak, l’autre père d’Apple. Le comédien sort de sa zone de confort des comédies « bong » pour donner corps à ce grand informaticien éclipsé par la star Jobs. Le film décrit aussi la dégradation de l’amitié qui liait les deux hommes (écho à l’histoire de Zuckerberg et Eduardo Saverin dans The Social Network). A travers Wozniak, Boyle et Sorkin interrogent aussi le spectateur sur le rôle exact des visionnaires, et leur place inclassable dans le monde. Dans la conception de l’Apple 1, Wozniak a mis toute sa compétence technique et son intelligence pratique, là où Jobs insufflait le souffle de ses idées. Deux approches différentes du même problème – créer un ordinateur accessible et agréable -, qui révèle des caractères différents. Voir notamment cette dispute, révélatrice, entre Wozniak prônant un système d’exploitation « ouvert » et disponible, et Jobs, qui, en bon artiste (autiste ?), veut que celui-ci reste « fermé » et perfectible. Comme son esprit… Ce que le technicien concret qu’est Wozniak ne peut comprendre, et cette dispute apparemment anodine va dégénérer en règlement de comptes public. Excédé par les rebuffades de Jobs, Wozniak finira par craquer et hurler « je conçois les appareils, je réalise les programmes, mais TOI, QUE FAIS-TU ? ».

Le conflit avec John Sculley, le Directeur Général d’Apple convié par Jobs, est tout aussi révélateur des difficultés de ce dernier. L’ancien dirigeant de Pepsi est compétent, sympathique, mais dans le monde des affaires, il n’y a pas de place pour la tendresse… Dans sa guerre contre le géant Microsoft, Jobs, multimillionnaire à moins de trente ans, a laissé son ego le diriger. Il aimait voir ses collaborateurs se surpasser, quitte à les froisser, et l’ancien patron de Pepsi Cola ne dérogeait pas à cette règle. Les relations entre un artiste et son employeur/mentor/financier n’ont jamais été simples, et l’histoire de Jobs et Sculley en est un bon exemple. Au moment du lancement du Macintosh, incontestablement meilleur que les PC de l’ennemi, Jobs a sous-estimé la question du prix. Si un ordinateur peut être beau, pratique et révolutionnaire, pourquoi baisser son prix ? Le Mac, reflétant les idées du jeune Jobs, est donc resté cet objet superbe mais inabordable pour les foyers qui se sont rabattus sur des ordis moins chers et de qualité moindre. Un aspect « élitiste » qui a coûté à Jobs sa place, le jeune génie refusant de comprendre la politique commerciale de Sculley. Ce père de substitution, comme il finit par se définir lui-même, doit punir le fils rebelle. Ironie du sort, le film (inventant sans doute la scène pour le bien de son message) montrera le recrutement du « père » Sculley par Jobs dans un restaurant tenu par Abdulfattah Jandali, le vrai père de Steve Jobs…

 

Steve Jobs 02

Ci-dessus : comment établir la connexion avec sa petite fille ? L’ordinateur au secours de Steve Jobs et de Lisa (Mackenzie Moss)…

De paternité, il est justement largement question dans Steve Jobs. Les énormes difficultés relationnelles du grand homme reviennent toutes, finalement, à ce même problème : comment assumer sa paternité quand on est un enfant adopté ? Derrière l’arrogance, la condescendance cinglante et les crises de colère, se cache une grande souffrance. Rejeté par la famille de sa mère biologique (des catholiques n’acceptant pas de voir leur fille fauter avec un musulman), Jobs a toutes les peines du monde à accepter qu’il puisse ne pas avoir prise sur le monde réel, notamment en étant père de famille. Dès qu’il entre dans ce sujet, le film devient une jolie et triste histoire de relation père-fille, où la communication est faussée. Quand Chrisann vient maladroitement lui rappeler ses responsabilités paternelles, c’est un imprévu de taille pour un homme qui déteste ceux-ci, et il ne peut que mal réagir. Jobs tempête et hurle que la petite Lisa n’est pas sa fille… mais lui apprend la minute suivante à se servir du MacIntosh, en bon papa informaticien qui cherche (très inconsciemment) à établir un lien avec la gamine. Fait révélateur – et authentique : alors que Jobs contestait la paternité de Lisa, il inventait un ordinateur, l’Apple Lisa (acronyme de Local Integrated Software Architecture)… Dans le film, il a beau clamer qu’il s’agit d’une coïncidence, son subconscient lui a prouvé le contraire ! Tout le film sera d’ailleurs l’histoire d’une prise de conscience d’un homme qui apprend à devenir humain, à l’instar de ses ordinateurs passant du stade de machines angoissantes à celles d’objets artistiques, intuitifs et positifs. Jobs souffrait d’un cas assez extrême de dissonance cognitive (traduit dans le film en « champ de distorsion de la réalité« , en référence à Star Trek) qui, dans son cas, pourrait se traduire : « Je sais que je suis le père de Lisa, mais je refuse de m’humilier en l’affirmant« . On ne peut qu’être soulagé de voir celui-ci admettre enfin la réalité, de la plus belle manière. Il ose retarder sa conférence pour parler à cœur ouvert à sa fille, et lâcher cette simple phrase : « J’ai un défaut de conception… ». Le magnifique travail d’écriture de Sorkin se termine sur une chute digne d’un Billy Wilder. Jobs décide de s’occuper du walkman vieillot de la jeune fille… et trouve l’idée de l’iPhone (« Et si on y mettait tes 100 chansons préférées ? … Pourquoi pas 1000? ») ! Brillante mise en pratique de l’esprit « Think different » du génie de Cupertino.

Concluons en saluant aussi le travail de Danny Boyle, qui a su s’effacer devant son sujet. Le cinéaste de Trainspotting s’est livré à un joli exercice de réalisation dynamique d’un script très dialogué, sans jamais faire baisser la tension et le rythme. Les références culturelles sont omniprésentes, bien choisies, et en phase avec l’esprit unique de Steve Jobs. D’une ouverture où on redécouvre avec bonheur Arthur C. Clarke (hello Stanley Kubrick et HAL 9000…) livrer une interview visionnaire sur le rôle des ordinateurs, à la musique de Bob Dylan, le grand inspirateur de Jobs, en passant par la présence d’autres génies tutélaires ayant pour nom John Lennon, Alan Turing, Albert Einstein, tout y est… Y compris la légendaire pub « 1984 » de Ridley Scott, remercié au générique par Boyle. Sans oublier une citation savoureuse des Simpsons (l’épisode du Newton) ! Pour revenir rapidement au travail de Boyle, saluons aussi les astuces techniques consistant à faire évoluer le film selon les technologies de leur époque : la partie de 1984 est filmée en 16 mm granuleux, celle de 1988 est en 35 mm plus « dur », et celle de 1998 filmée en numérique. Un très solide travail de la part de Boyle, qui laisse le champ libre à Michael Fassbender pour s’approprier le personnage de Steve Jobs, et ressusciter ce génie singulier, aussi faillible qu’attachant. L’acteur germano-irlandais s’avère parfait, donnant toute son intensité coutumière, et continue de s’affirmer comme l’un des comédiens surdoués de sa génération.

Ludovic Fauchier.

 

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Ci-dessus : un aperçu des légendaires keynotes de Steve Jobs, de 1984 à 2011, qui montrent l’évolution du fondateur d’Apple.

La fiche technique :

Réalisé par Danny Boyle ; scénario d’Aaron Sorkin, d’après le livre de Walter Isaacson ; produit par Danny Boyle, Guymon Cassady, Christian Colson, Mark Gordon, Scott Rudin, Lauren Lohman et Jason Sack (Clought Eight Films / Decibel Films / Digital Image Associates / Entertainment 360 / Legendary Pictures / Scott Rudin Productions / The Mark Gordon Company / Universal Pictures )

Musique : Daniel Pemberton ; photo : Alwin H. Küchler ; montage : Elliot Graham 

Direction artistique : Luke Freeborn ; décors : Guy Hendrix Dyas ; costumes : Suttirat Anne Larlab

Distribution : Universal Pictures / UIP

Caméras : Arri Alexa XT, Arricam LT et ST, Arriflex 416 Plus et Red Epic Dragon

Durée : 2 heures 02

Bloc-notes

Salut, chers amis neurotypiques ! Pas d’article sur les films récents, pour cause conjuguée d’une vilaine sciatique m’ayant privé de sortie cinéma (et moi qui comptais voir Jane Got a Gun, grr…) et d’emploi du temps professionnel chargé. Pour meubler entre deux gros textes, voici un petit billet (très très librement inspiré d’une rubrique régulière du magazine Positif) sur diverses petites actualités de la planète Cinéma…

 

La réalisatrice Ava Duvernay (remarquée pour son Selma) est très demandée. En lieu et place des reconstitutions historiques où on l’aurait attendue, la miss est courtisée par les studios américains pour s’aventurer dans la science-fiction. Pour autant, elle ne semble pas prête à accepter n’importe quoi, après avoir osé dit non à Marvel pour Black Panther. Ava Duvernay a le choix entre A Wrinkle in Time, l’adaptation d’un classique de Madeleine L’Engle, et Intelligent Life avec Lupita Nyong’o, qui sera produit par DreamWorks sur un scénario de Colin Trevorrow et Derek Connolly (le duo gagnant de Jurassic World).

Des nouvelles de Steven Spielberg. Alors qu’il finit la post-production du BFG (question : le distributeur va-t-il traduire le titre en français en Bon Gros Géant ? The BFG deviendrait donc Le BGG. Bon, bref…), Spielberg prépare l’adaptation du roman d’Ernest Cline, Ready Player One, son grand retour à la SF. La date de sortie prévue en décembre 2017 a été décalée de trois mois, pour mars 2018, afin d’éviter la concurrence directe de l’Episode VIII de Star Wars qui devait initialement sortir en mai 2017. Un bonus de temps précieux pour Spielberg, qui apprécie de moins en moins les délais trop courts imposés par le studio distributeur de son Robopocalypse avorté. Concernant d’ailleurs le Star Wars Episode VIII, Bob Iger, le patron des studios Disney, a surpris tout le monde en annonçant que le tournage venait de commencer.

Les monstres attaquent chez Universal… Le studio détenteur des droits des adaptations classiques des Dracula, Frankenstein et autres Loup-Garou qui firent sa réputation dans les années 1930 a mis en branle une nouvelle vague d’adaptations modernisées, jouant avec l’idée d’un univers partagé (les Avengers de Marvel/Disney ont laissé des traces) qui ferait se croiser les terrifiantes créatures. Atout de poids pour rameuter le public : des superstars, et pas des moindres. Alors que Tom Cruise a donné son accord pour affronter La Momie (dans une version qu’on espère plus respectueuse du classique avec Boris Karloff, et moins nawak que les films avec Brendan Fraser), Johnny Depp vient de signer pour être L’Homme Invisible. Un nouveau déguisement pour l’ami Johnny, en priant pour qu’il ne cabotine pas trop et se montre aussi inquiétant que dans son récent – et excellent – rôle dans Strictly Criminal.

Un réalisateur célébré par la critique et généralement audacieux (Alejandro Gonzalez Inarritu), deux méga-stars (Leonardo DiCaprio, qu’on ne présente plus, et Tom « My Name is Max » Hardy), une promesse de survival féroce aux premières images alléchantes, plus un grizzly bien furax… A priori, The Revenant va faire la une de l’actu cinéma de la fin février, et devient logiquement le favori de la course aux Oscars. Unanimité générale ? Pas tout à fait… les éternels râleurs de ma bible cinéphilique barrée made in France – je parle évidemment de Mad Movies – osent casser le concert de louanges générales sur un film qui aurait pourtant tout pour leur plaire, a priori en sous-titrant leur une « Film choc ou nanar à Oscars ? ». Gonflé et typique de la revue, cette attitude toujours saine à ruer dans les brancards quand leurs confrères « ronronnent » généralement en fonction du buzz médiatique du moment. On jugera le moment venu en allant voir le film en salles, en restant assez circonspect, Inarritu étant capable du meilleur comme du moins bon, avec un très surfait Birdman que la critique officielle s’est empressée de couvrir de louanges.

 

Pawn Sacrifice

Je rate bien des films en salle ces derniers temps, aussi c’était l’occasion d’une séance de rattrapage avec la sortie en Blu-Ray de Pawn Sacrifice (Le Prodige) d’Edward Zwick, avec Tobey Maguire interprétant le joueur d’échec Bobby Fischer. Un solide drame/biopic, qui offre à Maguire un bon rôle sur un personnage complexe, dans le cadre de la Guerre Froide qui se disputait aussi dans les tournois d’échecs. Très solide interprétation de l’ancien Spider-man qui donne aussi de l’eau à mon moulin « Asperger » : incapable de communiquer sainement avec son entourage (au point de chasser sa mère du foyer familial parce qu’elle fait trop de bruit !), Fischer est décrit comme un grand paranoïaque atteint de troubles mentaux sévères qui basculera dans l’antisémitisme alors qu’il est juif… Un film à voir pour redécouvrir une approche originale des années de la Guerre Froide.

Ou l’on reparle encore (hélas) de Promouvoir, association catholique intégriste en croisade permanente contre les films « immoraux » qui, selon eux, corrompent la jeunesse et gnagnagni et gnagnagna… Après avoir fait la publicité malgré eux de La Vie d’Adèle et de Love, ces tristes tartuffes ont remis le couvert contre Antichrist de Von Trier (frappé d’une interdiction alors que le film est sorti sur les écrans depuis des années ! et donc disponible sur n’importe quel site d’achat en ligne / plateforme de téléchargement. Promouvoir, c’est comme la Cavalerie dans Lucky Luke, qui arrive toujours en retard…), tout en demandant des classifications X contre Les Huit Salopards de Quentin Tarantino (les pauvres petits ont dû s’évanouir durant le flashback de Samuel L. Jackson faisant des choses pas jolies jolies à son prisonnier sudiste…) et Bang Gang d’Eva Husson, qui s’est fendue d’une tribune dans le Plus, le site du Nouvel Observateur. Même si la plupart des films pris pour cible par Promouvoir ne m’intéressent guère, je ne peux que m’inquiéter du poids médiatique pris par cette association, nocive à la liberté d’expression, à l’art et à la démocratie. Je salue donc le courage de la réalisatrice d’Eva Husson, qui répond intelligemment aux attaques de ces petits père-la-morale.

 

L.F.

En bref… LEGEND

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LEGEND, de Brian Helgeland

Le nom des frères jumeaux Reginald « Reggie » et Ronald « Ronnie » Kray (Tom Hardy) résume à lui seul la légende criminelle du Swinging London, dans les années 1960 : braquages, rackets, extorsions, règlements de comptes sanglants, corruption de policiers et mœurs sulfureuses ayant impliqué des membres de la Chambre des Lords…

1960. Ancien boxeur, Reggie est déjà connu des services de Scotland Yard pour ses activités de petit caïd de l’East End, suivi par l’officier de Scotland Yard Leonard  »Nipper » Read (Christopher Eccleston), qu’il adore narguer. Reggie parvient à faire libérer son frère jumeau de l’hôpital psychiatrique où il est interné depuis trois ans. Peu lui importe alors que Ronnie soit atteint de troubles mentaux sévères : psychopathe, schizophrène et paranoïaque, Ronnie ne cache pas son homosexualité, considérée comme un crime grave à cette époque. Et gare à celui qui ose se moquer de lui à ce sujet… Ronnie reste attaché à son frère, faisant le « muscle » dans les opérations d’extorsions et les face-à-face brutaux avec le « Gang des Tortionnaires » de Charlie Richardson (Paul Bettany), afin de contrôler les boîtes de nuit londoniennes, dont l’Esmeralda’s Barn. Reggie rencontre Frances Shea (Emily Browning), la sœur de son chauffeur Frank, et en tombe amoureux. Grâce au comptable Leslie Payne (David Thewlis), les affaires des Krays marchent plus que bien, tout comme la romance de Reggie et Frances. Mais il doit séjourner en prison pour une précédente affaire criminelle, laissant la gestion de son nouvel empire criminel à l’instable Ronnie…

 

Legend - Tom Hardy

Impressions :

Les films de gangsters sont un peu comme les automobiles : mieux vaut avoir affaire à des spécialistes pour avoir le bon modèle. Et Brian Helgeland en est certainement un : ce scénariste-réalisateur vétéran a déjà un joli CV à son actif, avec des titres instantanément associés à son style d’écriture, sèche, précise et rentre-dans-le-lard : les scénarii de L.A. Confidential d’après James Ellroy, Mystic River d’après Dennis Lehane, ou Man on Fire avec Denzel Washington sont tous issus de sa plume. Tout comme on lui dut Payback comme metteur en scène - malgré tout remercié par Mel Gibson durant une production troublée. Autant de grands et petits classiques de films hard boiled sur lesquels Helgeland sut imposer sa patte de connaisseur du genre. Passé à la mise en scène depuis quelques années (on lui doit aussi le très sympathique Knight’s TaleChevalier avec le regretté Heath Ledger, et la biopic sportive 42), Helgeland s’est approprié les livres de l’anglais John Pearson, biographe d’Ian Fleming qui consacra deux ouvrages aux frères Krays. Les « jumeaux de la violence » sont devenus des figures emblématiques, qui ont fait les unes sanglantes des nuits londoniennes. Deux personnalités antagonistes qui avaient déjà fasciné les cinéastes, le hongrois Peter Medak ayant livré en 1990 un film similaire, Les Frères Krays, écrit par Philip Ridley.

Avec une efficacité certaine, Legend (à ne pas confondre avec le film de Ridley Scott avec Tom Cruise) retrace donc la carrière criminelle de ces frangins terribles, incarnés par Tom Hardy. Le film repose sur les épaules massives du nouveau Mad Max, qui crée deux personnages n’ayant rien à envier aux autres gueules cassées, brutales et psychotiques, de sa filmographie (revoir Bronson et Warrior pour s’en convaincre). C’est impressionnant de voir l’acteur anglais passer de Reggie (le « cerveau », cultivé et « sociable ») à Ronnie (la brute paranoïaque, dévorée par sa violence innée) dans la même scène avec une facilité étonnante. Assurément, Hardy devient une star brute de décoffrage, aidée ici par les dialogues aux petits oignons de Helgeland (« Je vous raconte une blague ? C’est l’histoire d’un schizophrène qui entre dans un pub… »). Autour de lui, des têtes familières du cinéma britannique redonnent vie à l’entourage et aux rivaux des Krays, le film n’oubliant pas de donner aussi la parole à la seule femme du récit. Helgeland paie sa dette à un des grands maîtres du film noir, Billy Wilder (Sunset Boulevard) et son idée du défunt qui narre le film. Ici, c’est la très belle Emily Browning (qui a bien grandi depuis Les Orphelins Baudelaire) qui prête ses traits diaphanes et sa voix à la malheureuse principale victime des jumeaux Krays, Frances Shea.

Rien à redire sur le film lui-même, Helgeland allant droit à l’essentiel : une réalisation carrée, reconstituant la pègre londonienne et ses mœurs étranges sans fioritures. Le réalisateur capte avec justesse la relation toxique des jumeaux criminels, sorte de couple fusionnel à la Jekyll et Hyde à l’époque des sixties. Une seule entité, séparée en deux corps, où le « monstre » Ronnie finit par contaminer par sa violence et sa démence son jumeau plus « civilisé ». Du pain bénit, on l’a dit, pour Tom Hardy, raison majeure de voir ce film noir, costaud et serré comme un double café sans sucre au pub du coin.

Ludovic Fauchier.

 

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La fiche technique :

Ecrit et réalisé par Brian Helgeland d’après le livre « The Profession of Violence / Les Jumeaux de la Violence  » de John Pearson ; produit par Tim Bevan, Chris Clark, Quentin Curtis, Eric Fellner, Brian Oliver et Jane Robertson (ACE / Cross Creek Pictures / Working Title Films)

Musique : Carter Burwell ; photo : Dick Pope ; montage : Peter McNulty

Direction artistique : Patrick Rolfe ; décors : Tom Conroy ; costumes : Caroline Harris

Effets spéciaux visuels : Adam Rowland (Boundary Visual Effects / Mark Roberts Motion Control / Nvizible / Plowman Craven & Associates)

Distribution : StudioCanal

Caméras : Arri Alexa XT Plus

Durée : 2 heures 12

La Garce, la Brute et les Truands – THE HATEFUL EIGHT / Les Huit Salopards

ALERTE SPOILER ! Amis lecteurs, vous connaissez le principe : merci de voir le film avant de lire ce qui suit ! – L.F.

 

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THE HATEFUL EIGHT / Les Huit Salopards, de Quentin Tarantino

Un hiver dans le Wyoming, quelques temps après la Guerre de Sécession. Sans cheval, le Major Marquis Warren (Samuel L. Jackson), ancien héros de guerre Nordiste devenu chasseur de primes, arrête une diligence pour se rendre à Red Rock, afin de toucher la prime pour les deux crapules qu’il a abattus. A bord de la diligence, un confrère : John Ruth (Kurt Russell), qui ramène également à Red Rock Daisy Domergue (Jennifer Jason-Leigh), hors-la-loi qui sera pendue dans les règles de la loi en vigueur. Méfiant, Ruth accepte de laisser Warren monter à bord. Bientôt, un quatrième larron se joint à eux : Chris Mannix (Walton Goggins), affirmant être le futur shérif de Red Rock. Ruth, qui sait que Mannix a été un maraudeur Sudiste, a toutes les raisons de se méfier de cet autre passager.

Le voyage tendu s’achève lorsque la diligence arrive à la Mercerie de Minnie, dernier relais avant Red Rock. Warren connaît les propriétaires, étrangement absents, qui ont confié la boutique au Mexicain Bob (Demian Bichir). A l’intérieur, trois hommes, passagers de la précédente diligence : le bourreau Oswaldo Mobray (Tim Roth), le vacher Joe Gage (Michael Madsen), et le vieux général Sandy Smithers (Bruce Dern). Tout ce petit monde doit patienter alors qu’un terrible blizzard s’abat sur la région. Durant une longue nuit de veille, les soupçons vont mettre les nerfs de chacun à vif. Car personne ne semble être vraiment ce qu’il prétend être…

 

The Hateful Eight 01

Ci-dessus : John Ruth (Kurt Russell), un chasseur de primes du genre méfiant, mais pas malin…

 

Impressions :

Quentin Tarantino ne frappe jamais où on l’attend. Après le succès de Django Unchained, on imaginait déjà le réalisateur de Pulp Fiction remettre le couvert avec un autre hommage survolté au western italien et aux « trois Sergios » (Leone, Corbucci, Sollima), qui comptent parmi ses nombreux maîtres à filmer. Cela semblait se confirmer avec The Hateful Eight (titre original des Huit Salopards), qui s’annonçait comme une confrontation tendue entre quelques belles trognes du vieil Ouest. Mais Tarantino prend un grand plaisir à prendre à contre-pied les attentes du spectateur. Si The Hateful Eight a l’apparence d’un western , cet incurable cinéphile, « bouffeur » de pellicules bis les plus gratinées, retourne les conventions du genre. Il complète Django tout en étant son contraste absolu : son précédent film tournait le dos à l’Ouest pour devenir un « Southern » rentre-dans-le-lard, le petit monde des horribles esclavagistes Sudistes finissant dans une apocalypse de sang et de poudre ; The Hateful Eight devient par contre un « Northern », où huit personnages (voir un peu plus…) attendent dans un lieu clos une délivrance qui ne viendra pas. The Hateful Eight est au finale un curieux mélange, empruntant à des westerns oubliés sa situation de départ (comme Day of the Outlaw / La Chevauchée des Bannis d’André De Toth) pour ensuite devenir un huis clos volontairement théâtral, teinté de whodunit et d’humour très tordu. De fait, Tarantino s’amuse et revient à l’ambiance théâtrale de Reservoir Dogs, convoquant au passage les inoubliables Mister Orange et Mister Blonde, Tim Roth et Michael Madsen.

 

The Hateful Eight 02

Ci-dessus : Daisy Domergue (Jennifer Jason-Leigh). Ne vous y fiez pas : ils ne sont pas des saints, elle non plus…

 

Mais surtout, surprise ! The Hateful Eight est aussi un film d’horreur, un vrai, un pur et dur. Tarantino ne s’est pas privé de citer en référence absolue un illustre confrère en semi-retraite : John Carpenter. Lui-même nourri aux westerns qui ont alimenté sa filmographie riche en petits classiques du Fantastique, Carpenter est l’auteur de l’angoissant The Thing. Les cinéphiles auront vite capté la référence : un lieu isolé dans la neige, une tempête glaciale, des protagonistes rongés par le soupçon permanent, une corde comme seul point d’ancrage à l’extérieur… et Kurt Russell, le héros par excellence des Carpenter des eighties. Bonus : Tarantino obtient le retour en grande pompe d’Ennio Morricone ; le grand compositeur italien livre un score angoissant, accompagné des partitions rejetées pour le film de Carpenter. Il accompagne ici les longues joutes verbales auxquelles se livrent les protagonistes, avant que de brutales flambées de violence ramènent le film dans le territoire du gore le plus outrancier. Voir notamment cette séquence déjà culte du café fatal, qui tourne en quelques instants à un ahurissant dégueulis bien sanglant, façon Evil Dead, premier du nom… Les amateurs du genre seront récompensés de leur patience par des scènes bien cradingues !

 

The Hateful Eight 03

Ci-dessus : le Major Marquis Warren (Samuel L. Jackson) a une histoire à raconter. Les Sudistes ne vont pas aimer !

 

Cela dit, l’atypique The Hateful Eight ne se limite pas à un simple étalage de références et d’excès sanglants. Le cinéaste profite de ses westerns pour tenir un discours plus politique, particulièrement acerbe vis-à-vis de l’histoire de son pays natal. Les esclavagistes et leur idéologie répugnante étaient dégommés sans la moindre pitié dans Django Unchained ; ici, Tarantino enfonce le clou. En plaçant dans la même pièce un chasseur de primes Noir campé par le fidèle Samuel L. Jackson et d’anciens Confédérés, il confronte l’Amérique contemporaine à ses vieux démons : racisme, misogynie, peine de mort et paranoïa généralisée. Mais sans manichéisme ni révision politiquement correcte bienséante : le personnage de Jackson ment tout autant que ses ennemis (la fameuse lettre de Lincoln), et quand il tient dans ses mains la vie d’un Sudiste, au cours d’un flash-back mémorable, il se venge d’une façon bien obscène. Quand à la femme campée par Jennifer Jason-Leigh, elle n’est pas épargnée. Daisy Domergue a beau être martyrisée jusqu’au bout, elle n’est pas une figure sainte pour autant. Elle « couvre » le grand mensonge de l’histoire, lié au massacre d’une petite communauté paisible, tolérante et dirigée par les femmes ; elle participe au carnage et n’a aucune espèce de compassion pour son prochain. Autant donc pour la bienséance hypocrite que des studios auraient imposé à des réalisateurs plus dociles ; cette réunion d’affreux, sales et méchants devient un microcosme de tout ce que Tarantino déteste en Amérique. 

 

The Hateful Eight 04

Ci-dessus : fermez la porte, c’est une question de vie ou de mort… John Ruth, Daisy Domergue et le Général Smithers (Bruce Dern), ou le calme avant la tempête.

 

The Hateful Eight fait surtout la part belle aux acteurs, servis par des dialogues omniprésents ; ceci, cependant, au risque d’être un peu trop gourmand en la matière. 2 heures 50 de scènes dialoguées, aussi brillantes soient-elles, c’est tout de même un peu long (et douloureux pour le fessier du spectateur dans la salle !). Mais ne boudons pas le plaisir de voir les huit salopards du récit impeccablement incarnés par des familiers de la bande à Tarantino – et des revenants. Pas de surprise de la part des anciens Reservoir Dogs Tim Roth et Michael Madsen, toujours intimidants à leur façon, et Samuel L. Jackson rajoute un personnage sacrément ambigu à la liste des personnages qu’il a campé depuis Pulp Fiction ; on retrouve avec plaisir la vieille trogne familière de Bruce Dern, rapidement vu dans Django Unchained, où jouait aussi Walton Goggins, excellent en « redneck » aux réactions comiques. Cependant, c’est le drôle de couple joué par Kurt Russell et Jennifer Jason-Leigh qui remporte les suffrages. Russell apporte sa dégaine d’acteur « carpentérien » et son autodérision naturelle pour camper un sympathique abruti. Dans ce jeu de massacre généralisé, on devine une certaine sympathie de Tarantino pour John Ruth : il a beau être idiot, brutal et odieux avec sa captive, il est attachant sans doute parce qu’il est le seul personnage à ne pas mentir (ce qui ne le protègera pas d’une mort sacrément douloureuse !). La revenante Jennifer Jason-Leigh, elle, s’amuse à revisiter les personnages de victimes qu’elle campait dans sa jeunesse (revoir Hitcher et La Chair & Le Sang pour apprécier le côté « masochiste » de la comédienne). Il n’est d’ailleurs pas interdit de voir dans la scène du café empoisonné une allusion de plus au chef-d’oeuvre médiéval de Paul Verhoeven, où la même Jason-Leigh laissait ses geôliers boire de l’eau contaminée par la peste… L’actrice, en tout cas, campe un beau « monstre ». Tarantino n’en sera pas plus à une provocation près, concluant le carnage par une image sacrément grinçante : Daisy pendue (et toujours menottée au bras tranché de John Ruth, qui aura donc tenu sa promesse de ne pas la laisser filer) haut et court par le Sudiste Mannix et le Noir Warren, littéralement couchés ensemble dans le même lit… Fini de rire, la fin de The Hateful Eight est d’un nihilisme extrême, que ne renierait pas le John Carpenter d’Assaut et The Thing

 

Ludovic Fauchier.

 

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Ci-dessus : Ennio Morricone, toujours bon pied bon œil, signe la superbe musique originale du film…

 

La fiche technique :

Ecrit et réalisé par Quentin Tarantino ; produit par Richard N. Gladstein, Shannon McIntosh, Stacey Sher, William Paul Clark et Coco Francini (The Weinstein Company)

Musique : Ennio Morricone ; photo : Robert Richardson ; montage : Fred Raskin

Direction artistique : Richard L. Johnson ; décors : Yohei Taneda ; costumes : Courtney Hoffman

Effets spéciaux de maquillages : Howard Berger et Greg Nicotero ; effets spéciaux visuels : John Dykstra (Method Studios / Scanline VFX)

Distribution USA : The Weinstein Company / Distribution France : SND Distribution

Durée : 2 heures 47 (Version Roadshow 70 : 3 heures 07)

Caméras : Panavision 65 HR et Panaflex System 65 Studio, film tourné en Ultra Panavision 70

Des maîtres et des élèves – STAR WARS EPISODE VII : LE REVEIL DE LA FORCE

SUPER ALERTE SPOILER ! Merci de ne pas lire cet article, si vous n’avez pas encore vu le film et que vous avez l’intention de le faire !! L.F.

 

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STAR WARS EPISODE VII : LE REVEIL DE LA FORCE, de J.J. Abrams

Trente années se sont écoulées depuis les évènements du Retour du Jedi, qui avaient vu L’Alliance Rebelle vaincre l’Empire. L’existence de la Nouvelle République reste bien incertaine, depuis la disparition de Luke Skywalker. Le dernier Chevalier Jedi encore en vie n’a en effet plus donné signe de vie depuis des années. A la tête de la Résistance, les forces armées chargée de protéger la République, sa sœur Leia Organa (Carrie Fisher) doit faire face à une nouvelle menace : le Premier Ordre, succédant à l’Empire Galactique, assemble des troupes et un armement considérable sous la férule du sinistre Suprême Commandeur Snoke (Andy Serkis).

Sur la planète désertique Jakku, le meilleur pilote de la Résistance, Poe Dameron (Oscar Isaac), obtient une carte remise par Lor San Tekka (Max Von Sydöw), un vieil ami de Luke, pour retrouver l’emplacement de celui-ci. Mais les troupes du Premier Ordre, menées par le redoutable chevalier du Côté Obscur, Kylo Ren (Adam Driver), débarquent et capturent Poe. Celui-ci a cependant remis à temps la carte à son droïde BB-8, qui s’enfuit dans le désert. Le petit droïde se retrouve bientôt entre les mains de Rey (Daisy Ridley), une orpheline pilleuse d’épaves de vaisseaux spatiaux. Un jeune stormtrooper, FN-2187 (John Boyega), écoeuré par la violence du Premier Ordre, aide Poe à s’évader, mais croit le perdre dans les sables de Jakku. Renommé « Finn », le soldat renégat tente de récupérer BB-8, en se faisant passer auprès de Rey pour un agent de la Résistance. Poursuivis par le Premier Ordre qui veut récupérer la précieuse carte, Rey, Finn et BB-8 volent le premier vaisseau qu’ils trouvent pour quitter Jakku : le Faucon Millennium ! Ils vont bientôt rencontrer une légende vivante de la Rébellion : Han Solo (Harrison Ford), toujours flanqué du fidèle Wookie Chewbacca (Peter Mayhew). Cette rencontre décisive va sceller le sort des deux jeunes gens, alors que le Premier Ordre prépare l’activation de sa terrifiante Base Starkiller…

 

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C’est qui, les plus beaux ? Chewie (Peter Mayhew) et Han Solo (Harrison Ford), revenus à leurs premières activités…

 

Impressions :

Comme disait C-3PO : « Voilà, c’est reparti !« . Petit flash-back : en octobre 2012, un grand trouble de la Force avait été ressenti par les Jedis du monde entier. Après avoir un temps envisagé de relancer la saga pour un épisode VII écrit par Michael Arndt (Toy Story 3), George Lucas avait finalement revendu son studio Lucasfilm Limited aux studios Walt Disney, leur cédant du même coup les droits d’exploitation de ses licences – Star Wars (et Indiana Jones aussi !) en tête. Décision qui marquait la fin d’une époque, Lucas ayant combattu pendant de longues années le système hollywoodien avant de rendre les armes. Il tenait ces dernières années des propos qu’illustraient bien, finalement, les choix faits pour sa  »prélogie » controversée, affirmant qu’il était devenu l’exact opposé du moviemaker qu’il voulait être plus jeune. Anakin / Darth Vader, l’homme devenu machine, avait pris le pas sur Luke Skywalker, le jeune fermier en quête d’accomplissement…

Une forme de renoncement ? On sait que Lucas, après avoir été le cinéaste-producteur indépendant le plus puissant d’Amérique, avait subi le feu nourri des critiques et des reproches par rapport à une longue série de décisions créatives… disons, assez aléatoires et peu convaincantes, pour rester dans l’euphémisme. La production d’Howard le Canard et de Labyrinthe, le « relookage » numérique de l’Edition Spéciale de la trilogie originelle, l’écriture hasardeuse de la prélogie (ah, Jar Jar Binks…), le finale d’Indiana Jones et le Royaume du Crâne de Cristal imposé par ses soins, etc. George Lucas est passé en quelques années du statut de héros de la génération geek à celui de tête de Turc attitrée de ceux-ci. Connu pour son comportement parfois abrupt et renfermé, le cinéaste-producteur a aussi payé cher des erreurs de communication, relayées et mal comprises sur le Net, s’attirant les foudres des fans les plus rageux (et les moins stables) de sa chère saga. Il est vrai que, dès que l’on parle de Star Wars, certains fans oublient vite toute pensée critique et réagissent excessivement (oubliant les préceptes de Maître Yoda) ; dès que le Grand Concepteur a tenté de se réapproprier un univers qui finissait par lui échapper, à partir des Editions Spéciales, ceux-ci ont rué dans les brancards, parfois méchamment. Ayant atteint les 70 ans, sans doute peu motivé de s’attirer un nouveau déluge de critiques nourries, Lucas a finalement accepté l’offre des studios Disney ; il a laissé à d’autres le soin de poursuivre sa saga spatiale.

 

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L’Appel de la Grande Aventure… Rey (Daisy Ridley) et le droïde BB-8, sur les traces du clan Skywalker.

 

Lucasfilm désormais sous l’égide de Disney, une nouvelle équipe s’est fondée, dirigée par une femme de tête : Kathleen Kennedy, la complice discrète du vieux camarade Steven Spielberg, au CV impressionnant – près de 35 ans de carrière de productrice dans l’industrie cinématographique américaine avec des titres comme E.T. et Jurassic Park -, et une réputation de compétence non usurpée. C’est elle qui a finalement débauché les différents réalisateurs chargés de créer la nouvelle trilogie Star Wars, ainsi qu’une tripotée de films (Han ?) « solos » liés à cet univers ; le premier d’entre eux, Rogue One, signé de Gareth Edwards (le récent Godzilla), sortira l’année prochaine et racontera la capture des plans secrets de l’Etoile Noire par un commando de soldats Rebelles, prélude aux évènement de l’Episode IV. Premier appelé pour cet épisode VII intitulé Le Réveil de la Force, un J.J. Abrams qui n’a pas résisté longtemps à l’invitation de Kathleen Kennedy. C’était couru d’avance : Abrams est l’archétype de ces réalisateurs, nés et élevés avec les films de Lucas et Spielberg, qui ne se privent pas de glisser allusions et hommages directs à ces derniers. Fanboy ultime devenu professionnel respecté, Abrams a déjà travaillé avec Spielberg, Harrison Ford (il est l’auteur du scénario d’A Propos d’Henry), et ses films portent bien la marque de ses passions. Voir l’ouverture « Indianajonesque » de Star Trek Beyond Darkness, ou Super 8, hommage astucieux et calculé aux films de SF de son producteur Steven Spielberg. Et affronter le feu nourri des fans ne lui fait pas peur : s’il a su relancé la franchise Star Trek, ce fut en faisant grincer quelques dents parmi les « Trekkies » puristes ; Abrams n’a jamais vraiment caché préféré le rythme et la mythologie de la saga de Lucas plutôt que la série de Gene Roddenberry. En acceptant de changer de camp, Abrams était conscient du risque, et surtout des risques encourus, les spectateurs gardant encore en mémoire les seize ans d’attente ayant mené à la déception unanime de La Menace Fantôme.

 

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En sauvant le pilote Poe Dameron (Oscar Isaac), Finn (John Boyega) change son destin programmé d’avance.

 

Attendu au tournant, Abrams a su convaincre les réticents, amenant avec lui de solides garanties de respect de la trilogie originale : le « King » John Williams est toujours fidèle au poste musical, de même que le génial concepteur sonore Ben Burtt. Abrams ramena aussi un nom familier au scénario : Lawrence Kasdan, porté disparu depuis l’échec de DreamCatcher en 2003. Celui-là même, qui, sous l’égide de Lucas, signa les brillants scripts de L’Empire Contre-Attaque et Les Aventuriers de l’Arche Perdue ; devenu cinéaste, Kasdan fut un solide artisan capables de livrer quelques trésors, comme le très sympathique western Silverado. Avec Kasdan comme coscénariste, Abrams a su livrer un récit respectueux de la trilogie originale, équilibrant le spectaculaire par des personnages solides. Le rappel des « vieux de la vieille », Mark Hamill, Carrie Fisher et Harrison Ford, en mentors d’une nouvelle génération de héros, coulait de source. Autre motif de satisfaction : l’annonce d’Abrams de ne pas tout sacrifier à l’imagerie numérique. Les acteurs ne seraient plus perdus dans des fonds verts face à des extra-terrestres informatiques. Les effets modernes sont donc combinés à des procédés plus classiques (maquillages, animatroniques et effets pratiques), donnant une patine plus réelle à l’univers dépeint. Bon point, qui témoigne cette année d’un changement de paradigme dans les récents blockbusters (voir ainsi Mad Max Fury Road, The Walk, Seul sur Mars, et quelques autres, qui ont su rééquilibrer techniques anciennes et imagerie numérique discrète). Donc, ce Réveil de la Force s’annonce comme l’épisode du changement. Un difficile numéro d’équilibriste entre le respect de l’ancienne trilogie, avec ce que cela implique comme « fan service » inévitable, et le besoin de la nouveauté. Au vu du résultat final, le pari d’Abrams est gagné. Le film retrouve le souffle serial de la trilogie classique, réserve bonnes surprises et moments attendus, et le grand spectacle est au rendez-vous. Mais (il y a forcément un mais…) tout n’est pas parfait pour autant…

 

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Rey traverse un cimetière d’épaves mythiques. Comment convoquer en un seul plan tous les fantasmes des fans…

 

Commençons par les différences notables, celles d’ordre esthétique : Abrams a un style de mise en scène bien à lui qui tranche souvent avec celui intronisé par Lucas. Ce dernier se posait surtout sur un montage « classique », au risque parfois de laisser des scènes un peu plates (dans les préquelles) traîner en longueur. Abrams, lui, laisse rarement sa caméra en repos, et privilégie des ambiances visuelles au look assez agressif, sur-stimulant l’œil du spectateur. Pas forcément une mauvaise approche, mais il faut un temps d’adaptation aux anciens (comprenez : ceux de ma génération…) pour se faire à ce nouveau style. En contrepartie, le cinéaste sait aussi doser ses effets, jouant dans la première partie, sur la planète Jakku, sur une imagerie familière et nostalgique. Il suffit de voir Rey évoluer parmi les carcasses d’un Destroyer Impérial ou d’un AT-AT pour apprécier l’intention ; les évènements des films originaux sont devenus l’objet de légendes pour la jeune femme, mise sur le même pied d’égalité que les spectateurs des Star Wars, qui ne pourront qu’apprécier la mise en abîme à leur intention. Ces films, ayant eux-mêmes souvent puisé dans des récits imaginaires lointains (les mythes arthuriens en tête), véhiculent désormais leur propre mythologie. Même son de cloche chez le méchant Kylo Ren, qui conserve une très précieuse relique à laquelle il voue un attachement fanatique : le casque fondu et brûlé de Darth Vader (ce qui laisse au passage supposer qu’il a froidement profané sa sépulture sur Endor !). Cette atmosphère nostalgique, révolue, fonctionne bien et va dans le sens des nouveaux personnages pour qui Luke, Han Solo, Leia et les autres sont devenus des héros mythiques. L’identification est donc cohérente, et immédiate. Et Abrams, petit malin, s’amuse à retarder au maximum l’apparition desdits héros et de leurs vaisseaux emblématiques. Grand moment de joie dans la salle, quand la caméra révèle que le « vieux cargo » que vont emprunter Finn et Rey n’est autre que le Faucon Millennium… Et ça marche à chaque fois, dès que Han Solo, Leia et enfin Luke surgissent à des instants décisifs. Tout comme d’autres images emblématiques des films originaux : le sabre-laser bleu de Luke (inexplicablement récupéré), le jeu d’échecs animé du Faucon, ou le look familier des troupes du Premier Ordre. Sans oublier Chewie, et les droïdes, un peu plus en retrait !

 

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Ne l’appelez plus « Princesse » ! Leia (Carrie Fisher) est désormais Générale de la Résistance, toujours prête à se battre pour la liberté.

Le « fan service », parfaitement respecté, ne fait pas tout. En travaillant avec Lawrence Kasdan, J.J. Abrams livre une histoire à la fois inédite et familière. L’approche  »légendaire » des personnages familiers de l’univers Star Wars permet de revenir aux bases, et de lancer le film comme une quête classique. Celle de deux orphelins venus d’horizons très différents, et qui, comme toute bonne quête initiatique qui se respecte, cherchent leur voie en rencontrant des modèles, des mentors. Finn et Rey sont encore des personnages en formation (les volets suivants devraient les étoffer), des archétypes forts grâce auxquels nous retrouvons les figures familières, désormais vieillissantes, que constituent Han, Leia et Luke. Abrams et Kasdan ont dû rebâtir de nouvelles bases sur une narration familière. Le réalisateur ne se prive pas, d’ailleurs, de citer souvent le Star Wars original, dont il reprend les grandes lignes : l’évasion d’un petit robot détenteur d’un plan, un personnage orphelin égaré sur une planète désertique, une station spatiale capable de raser une planète, une cantina remplie d’aliens bigarrés, un vilain vêtu de noir, un maître Jedi exilé, le noble sacrifice d’un héros vieillissant… Si Le Réveil de la Force prend des airs de reboot / remake d’Un Nouvel Espoir, ce n’est pas par hasard.

 

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Nouvelle saga, nouveaux héros : Finn (John Boyega) et Rey, embarqués dans la Résistance aux côtés de Han Solo.

 

L’hommage évident permet ainsi à Abrams et Kasdan de créer une filiation évidente entre les deux jeunes héros et leurs illustres mentors. Han Solo devient ainsi le père de substitution de Finn et Rey qui ont osé lui voler le Faucon Millennium, Leia endosse totalement le rôle de chef politique et militaire de la Résistance, et Luke s’exile, tels ses anciens maitres. La patte de Kasdan est vite reconnaissable, dans les échanges humoristiques de Han Solo et de Finn (excellent John Boyega, jeune acteur anglais découvert en attachant « caillera » dans Attack the Block), aussi bouillant et fonceur qu’il l’était jadis. Mais pas de bon film sans drame, et le vieux forban de l’espace suivra le destin d’autres glorieux mentors : Qui-Gon et Obi-Wan, tués sous les yeux des jeunes héros en devenir. Rey, elle, trouvera un soutien instinctif auprès de Leia, avant de partir à la rencontre de Luke Skywalker. Cette toute jeune femme sans attaches, sans nom, émotionnellement « fermée » au début du récit, s’affirme comme le personnage fort de la nouvelle saga. Rey n’a pas de famille (pour le moment !) et s’en crée une, en allant chercher son mentor, dans une jolie scène finale muette portée par la musique de John Williams. L’élève doit toujours chercher le maître… La prometteuse Daisy Ridley voit sa relative inexpérience professionnelle lui servir pour un personnage qui va sans doute beaucoup évoluer. Astucieux, au passage, le choix d’une actrice ressemblant comme deux gouttes d’eau à Natalie Portman (et donc à Padmé, la maman de Luke et Leia !) pour incarner un personnage rallié volontairement à la famille Skywalker. Et la demoiselle sait, en plus, se servir à merveille du sabre-laser… Signe des temps ? Les blockbusters récents, si souvent réservés aux héros masculins, semblent enfin accepter la parité et laisser aux femmes les rôles forts. Rey rejoint, pour cette année 2015, d’autres héroïnes n’ayant rien à envier aux héros d’action – voir Charlize Theron, impériale Furiosa dans Mad Max Fury Road, ou la superbe Rebecca Ferguson éclipsant Tom Cruise dans le dernier Mission : Impossible. Pas de doute, les temps changent.

 

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Kylo Ren (Adam Driver), en plein méfait. Difficile de marcher dans les pas d’un illustre grand-père…

 

Par contre, Le Réveil de la Force faiblit légèrement quand il s’agit de présenter des méchants impressionnants. La révélation majeure du scénario portant sur l’identité réelle de Kylo Ren, successeur autoproclamé de Darth Vader. Filiation difficile à assumer, tant le Seigneur Sith est devenu l’icône absolue du Mal (ou du Bien dévoyé, selon le point de vue) et reste difficilement égalable. Abrams et Kasdan se sont pourtant donné du mal pour donner à Kylo Ren une profondeur psychologique. Ils n’attendent pas longtemps pour démasquer leur vilain : il s’agit donc du fils révolté de Han et Leia, Ben Solo. Un fils brillant mais perturbé, comme l’était Anakin Skywalker / Darth Vader, son aïeul. L’idée d’en faire donc un reflet de Vader est bonne, et va dans la logique historique du clan Skywalker, mais elle joue parfois contre le film ; la comparaison est inévitable, et ne profite pas au nouveau venu dont les motivations sont assez floues pour le moment : difficile de comprendre les raisons l’ayant poussé à rejoindre un Ordre fanatique. Parions, là encore, que les prochains films nous en dévoileront un peu plus. Cela dit, le personnage est bien dans son époque, hélas ; sans vouloir prêter un propos politique déplacé à ce qui reste un film de divertissement, on ne peut pas s’empêcher de voir en Kylo Ren l’équivalent fictif de ces jeunes gens qui tournent le dos à leurs familles pour rejoindre Daesh, et se faire complètement laver le cerveau par de lamentables leaders… Cela dit, revenons à nos vilains de cinéma. Pour le coup, ils manquent du charisme de leurs prestigieux aînés sur lesquels ils sont évidemment calqués : le Général Hux (Domnhall Gleeson) manque de la froide prestance du Grand Moff Tarkin joué jadis par Peter Cushing. Et le grand manipulateur de service, le Commandeur Suprême Snoke incarné par Andy Serkis, est pour l’instant un pâle reflet de l’Empereur Palpatine. Inexplicablement platement filmé en deux séquences, il lui manque une aura maléfique que le défunt Empereur avait eu (aidé cela dit par une présentation volontairement retardée). Et son look numérique le fait par trop ressembler à Lord Voldemort (des Harry Potter) pour totalement convaincre.

 

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Les X-Wings de la Résistance, lancés dans une monumentale offensive. La Force est avec eux !

 

Ces quelques réserves, heureusement, n’entament en rien la bonne humeur et l’enthousiasme qui se dégage du film, clairement fait par des amoureux de la saga pour leurs congénères. Du suspense, de l’humour, du drame, des images emblématiques… tout est là, ou presque ! Abrams a su offrir au passage un beau départ au plus sympathique des contrebandiers, auquel Harrison Ford prête son charisme intact de vieux briscard du grand écran. Le cinéaste a par ailleurs su trouver le bon équilibre entre les techniques numériques et les effets traditionnels, rendant une patine « ancienne » qui avait fait défaut sur les préquelles de la saga. Le point d’orgue de ces effets visuels bien  employé étant ces vertigineux dogfights aériens entre les vaisseaux mythiques, Faucon Millennium, chasseurs X-Wings, Destroyers et TIE, impeccablement découpés et hyperdynamiques. Par ailleurs, l’ajout des nouveaux personnages n’est jamais artificiel. Le bouillant Finn, la jeune Rey, l’intrépide pilote Poe Dameron et surtout le petit robot BB-8 (dont les mimiques et les gazouillis sont irrésistibles… prends garde, R2, tu as de la concurrence) sont déjà des personnages emblématiques.

 

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‘Tu vois, Chewie ? C’est comme ça qu’on fait des films, maintenant.

- GRAAAWWWRGGHHH !!!

- Oui, tout à fait ! Avec le numérique, tes poils ne s’incrusteront plus dans la pellicule !

- AAWWWGHHFF. « 

 

Beaucoup de questions restent en suspens, comme il se doit. J.J. Abrams a su trouver l’équilibre entre les attentes des fans, sa propre passion teintée de nostalgie pour la saga, les évolutions techniques inévitables de celles-ci, et les nouveaux enjeux narratifs nécessités par cette nouvelle trilogie désormais indépendante de son créateur. Les dernières minutes du film appellent à un développement prometteur et risqué, dans le même temps. Luke va transmettre son enseignement à Rey, faisant écho à sa propre formation passée auprès d’Obi-Wan (dont il reprend l’apparence emblématique) et Yoda ; de même que Kylo Ren va finir sa formation au Côté Obscur auprès de Snoke, reflet évident de la relation Vader-Palpatine. Avec les Episodes VIII et IX dont la préparation est déjà planifiée, de nouveaux défis sont à relever. On attend un peu plus de profondeur chez les nouveaux personnages, qui auront d’inévitables choix moraux à faire ; ce qui implique des informations supplémentaires sur le passé de Kylo Ren et Rey, définitivement nouvelle héroïne de la saga ; on espère tout autant voir évoluer Finn, l’ancien Stormtrooper aux problèmes de conscience. A charge pour Rian Johnson (réalisateur de l’excellent Looper) et Colin Trevorrow (qui a joliment assumé l’héritage de Spielberg pour Jurassic World) d’amener ces nouveaux Star Wars vers des chemins plus complexes. J.J. Abrams, lui, peut savourer la réussite de cet épisode du renouveau dans la continuité.

 

Ludovic Fauchewbacca

 

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Et un nouveau thème musical réussi dans la galaxie Star Wars par John Williams ! Le Maestro crée ici le joli thème de Rey.

 

La fiche technique :

Réalisé par J.J. Abrams ; scénario de J.J. Abrams & Lawrence Kasdan, et Michael Arndt, d’après les personnages créés par George Lucas ; produit par J.J. Abrams, Bryan Burk, Kathleen Kennedy, Tommy Gormley, Lawrence Kasdan, Michelle Rejwan, Ben Rosenblatt et John Swartz (Bad Robot / Lucasfilms Limited / Truenorth Productions)

Musique : John Williams ; photo : Dan Mindel ; montage : Maryann Brandon et Mary Jo Markey

Direction artistique : Neil Lamont ; décors : Rick Carter et Dan Gilfford ; costumes : Michael Kaplan

Effets spéciaux de plateau : Chris Corbould ; effets spéciaux visuels : Ben Morris, Michael Mulholland et Nick Hsieh (ILM / BaseFX / Blind / Hybride Technologies) ; effets spéciaux animatroniques : Neal Scanlan ; mixage et design sonore : Ben Burtt ; cascades : Rob Inch

Distribution : Walt Disney Studio Motion Pictures

Caméras : IMAX MSM 9802 et Panavision Panaflex Millennium XL2

Durée : 2 heures 15

Retour vers le Futur (dans le Passé) 1995 – SEVEN

Nom de Zeus, Marty ! Nous sommes en 1995, et le monde a considérablement changé…

1995, année si loin, si proche… Voilà l’occasion de passer en revue les évènements qui faisaient alors l’actualité, il y a vingt ans. La fin de la Guerre Froide et l’effondrement du bloc Soviétique devaient amener, croyait-on, une époque de paix. Notion bien relative quand on voit ce qu’annonçaient certains évènements funestes de l’époque. Alors que l’Organisation Mondiale du Commerce entrait en vigueur, les Etats-Unis, sous la présidence de Bill Clinton, établissaient (ou du moins, tentaient) d’établir un nouvel ordre mondial. L’Amérique « gendarme du monde » retirait ses troupes en Somalie, marquant la fin de l’opération Restore Hope. A l’étranger, Clinton se plaçait en arbitre de la paix, réussissant à faire signer les seconds accords d’Oslo aux frères ennemis, Israël et la Palestine : Yasser Arafat et Yitzhak Rabin signaient le document le 28 septembre ; espoir de paix brisé le 4 novembre, lorsque Rabin sera assassiné par un jeune extrémiste israélien. Par ailleurs, la nébuleuse terroriste islamiste Al Qaida fait ses tristes débuts sous l’égide d’un certain Ousama Ben Laden : le 13 novembre, une base américaine située à Riyad en Arabie Saoudite est touchée par un attentat suicide, faisant 5 morts. L’opinion publique américaine, elle, est surtout marquée cette année-là par un autre drame, le 19 avril ; un milicien d’extrême droite commet un attentat à Oklahoma City contre l’immeuble fédéral Alfred P. Murrah, faisant 168 morts ; ce sera, pour quelques années, l’attentat le plus meurtrier commis sur le territoire américain. L’actualité américaine s’intéresse à d’autres sujets controversés : les américains suivront (ou subiront) le dénouement du procès rocambolesque d’O.J. Simpson ; arrêté pour avoir tué sa femme et l’amant de celle-ci, l’ancien joueur de football américain et acteur sera acquitté à la surprise générale le 3 octobre. Le 16 octobre, la « Million Man March », manifestation organisée par le mouvement afro-américain pour attirer le regard des partis politiques sur la situation économique des Noirs américains, offre surtout une publicité pour le leader de Nation of Islam, Louis Farrakhan, dont les propos divisent l’opinion.  

En France, l’actualité politique de 1995 est dominée par le changement de présidence. François Mitterrand, épuisé par la maladie, s’en va ; son successeur sera Jacques Chirac, devançant aux élections présidentielles Lionel Jospin et « son ami de trente ans » Edouard Balladur. Le Premier Ministre RPR se voyait trop tôt en haut de l’affiche… (subitement, je me mets à penser aux meilleurs moments des Guignols de l’Info…). Le nouveau président nomme Alain Juppé Premier Ministre ; l’état de grâce prendra vite fin, cependant. La reprise des essais nucléaires à Mururoa et le plan de réforme de la Sécurité Sociale provoquant une grève en novembre-décembre vont y contribuer. L’Hexagone vit aussi des heures inquiétantes, une vague d’attentats survenant en été et automne. Le Groupe Islamique Armé, basé en Algérie, est officiellement désigné comme responsable de l’assassinat de l’Imam Sarhaoui le 11 juillet, et de l’attentat du RER B à la station Saint-Michel à Paris le 25 juillet, faisant 8 morts et 117 blessés. Un autre attentat survient le 17 août, Place de l’Etoile, faisant 16 blessés. D’autres attentats ratent ou sont déjoués : une ligne de TGV près de Lyon le 26 août, Boulevard Richard Lenoir le 3 septembre, place Charles Vallin le lendemain, une école juive de Villeurbanne le 7 septembre… Le suspect numéro 1 de l’enquête, Khaled Kelkal, sera finalement abattu par la police le 29 septembre. Mais la menace demeure : un autre attentat raté Place d’Italie le 6 octobre, et le 17 octobre, de nouveau au RER Saint-Michel, une trentaine de blessés. Sans aucun rapport, un autre crime, particulièrement macabre, marquera les esprits à la fin de l’année : le « suicide collectif » (et assassinat probable) de 16 membres de la secte du Temple Solaire le 16 décembre.

L’actualité internationale retiendra, en cette année 1995, d’autres sombres évènements. La guerre civile en ex-Yougoslavie, qui touche peu à peu à sa fin, avec son lot de tragédies : les troupes serbes commettent un massacre contre la population musulmane de Srebenica, en Bosnie-Herégovine, le 11 juillet (plus de 8000 morts). A la fin de l’année, le tribunal pénal international inculpe Radovan Karadzic et Hratko Mladic pour génocide et crime contre l’humanité. La Russie de Boris Ieltsine, avec une armée financièrement exsangue, se lance dans la première guerre de Tchétchénie, le 15 avril, faisant suite à la chute du palais présidentiel de Grozny le 15 janvier. Au Japon, on sera surtout marqué par le tremblement de terre de Kobé, qui fera le 17 janvier 6433 victimes et 43700 blessés ; le 20 mars, le métro de Tokyo est la cible d’un attentat au gaz sarin commis par les membres de la secte criminelle Aum, faisant 12 morts et des milliers de blessés. Autres évènements, encore : l’inquiétante montée en puissance du mouvement Taliban en Afghanistan ; les premières inculpations pour crimes contre l’humanité par le Tribunal pour le Rwanda (TPR) en Tanzanie ; la libération d’Aung San Suu Kyi, Prix Nobel de la Paix, assignée à résidence par les militaires birmans.

Hors de ces graves nouvelles, 1995 marquera aussi d’autres évènements importants. Du côté des sciences, par exemple, où le système GPS est annoncé comme opérationnel. Les astronomes, eux, sont heureux de découvrir la première planète extrasolaire, le 6 octobre : 51 Pegasi b. 1995, c’est aussi une année sportive toujours bien remplie. La troisième édition de la Coupe du Monde de Rugby est remportée par le pays organisateur, l’Afrique du Sud de François Pienaar, qui bat la Nouvelle-Zélande de Jonah Lomu. Une grande victoire symbolique pour le président d’un pays réunifié dans la douleur : Nelson Mandela. L’Angleterre, avec les frères Underwood, remporte le Tournoi des Cinq Nations avec un grand chelem en prime. En cyclisme, l’espagnol Miguel Indurain remporte son cinquième et ultime Maillot Jaune, au terme d’une édition endeuillée par l’accident mortel du cycliste italien Fabio Casartelli. Les français saluent la victoire de leurs handballeurs, champions du monde, avec Jackson Richardson. Steffi Graf et Pete Sampras sont les numéros 1 mondiaux en tennis. Michael Schumacher remporte son second titre de champion du monde de Formule 1 chez Benetton. Côté football, l’Ajax Amsterdam remporte la Ligue des Champions devant le Milan AC. Du côté de l’équipe de France, on tourne une page : « Patator » Papin et « Picasso » Cantona s’en vont (merci encore, les Guignols !), livrant leur dernier match en sélection. Cantona, superstar à Manchester United, fait aussi parler de lui en écopant de six mois de suspension, après s’être défoulé sur un supporter qui l’insultait. Le football va aussi changer, cette année-là, après la validation de l’arrêt Bosman du 15 décembre ; en vertus des lois européennes de libre circulation, chaque club pourra désormais recruter autant de joueurs étrangers du continent, sans limitation. Cela va transformer notamment la politique de recrutement des grands clubs, et une hausse phénoménale du prix des transferts.

1995, ce fut aussi l’émergence à la télévision de séries, en provenance des USA, entraînant de véritables cultes. Trois titres retiennent l’attention : la seconde saison de X-Files (ou Aux Frontières du Réel), qui suit les agents du FBI Mulder et Scully enquêter sur les phénomènes paranormaux, crée un véritable phénomène culturel international. Urgences, produite par Steven Spielberg et Michael Crichton, fait un carton. Les drames et les joies des médecins urgentistes du Cook County Hospital de Chicago (parmi lesquels un certain George Clooney) sont unanimement appréciés. Et il y a aussi la sitcom emblématique de cette époque : Friends, et ses six joyeux new yorkais dont les galères amoureuses et professionnelles font bien rire le public, qui vient juste de finir sa première saison.

L’année marquera aussi le décès de quelques personnalités notables : la romancière Patricia Highsmith, l’explorateur et scientifique Paul Emile Victor, le professeur Henri Laborit, les philosophes Emil Cioran et Gilles Deleuze, ou encore le père de Corto Maltese, Hugo Pratt…

1995, dans le petit monde du Cinéma, marque la commémoration du centenaire de la naissance officielle du 7ème Art, avec ce qu’il faut, pour la circonstance, de cérémonies un brin compassées, et d’initiatives intéressantes, comme cette série de documentaires consacrées au cinéma de chaque pays, réalisées pour le BFI par des cinéastes d’envergure. Les films sont de qualité inégale, même signés de Stephen Frears, George Miller ou Jean-Luc Godard, le plus emblématique étant Un Voyage avec Martin Scorsese à travers le Cinéma Américain, le réalisateur de Taxi Driver offrant un sacré cadeau aux cinéphiles du monde entier. Quelques étoiles s’éteignent, cette année-là : Ginger Rogers, Lana Turner, Ida Lupino, Dean Martin… Du côté des grandes cérémonies annuelles, le film d’Emir Kusturica, Underground, chronique tragicomique de l’ex-Yougoslavie, remporte la Palme d’Or à Cannes, une récompense symbolique alors que ce pays est déchiré par la guerre civile. Au Danemark, ça bouge, avec la fondation du mouvement Dogme 95 par les cinéastes Lars Von Trier et Thomas Vinterberg, qui va renouveler pour un temps le cinéma scandinave. Autres grands moments de l’année cinéma 1995 dans le monde : du côté des antipodes, quelques trublions talentueux marquent des points. Le néo-zélandais Peter Jackson fait le tour triomphal des festivals avec son Créatures Célestes (avec la toute jeune Kate Winslet) sorti l’année précédente, et réalise un beau canular à la télévision locale avec son faux documentaire Forgotten Silver consacré à la vie d’un cinéaste inconnu ayant tout créé avant tout le monde ; et son voisin d’Australie, George Miller, le père de Mad Max, produit (et réalise officieusement) l’attendrissant Babe, les aventures du petit cochon au grand cœur qui est le succès surprise de l’été aux USA. Le Japon se réveille, du côté du cinéma d’animation, et on découvre en France, avec trois ans de retard, le superbe Porco Rosso d’Hayao Miyazaki. Côté anglais, on retrouve Wallace & Gromit dans leur troisième aventure en court-métrage, Rasé de près, où il sauvent un gentil petit mouton, Shaun, des griffes d’un affreux chien cyborg. Le studio d’animation Aardman s’impose ainsi comme une valeur sûre. 1995, c’est le grand retour de l’agent 007 après une absence de six ans ; James Bond prend les traits du suave Pierce Brosnan dans Goldeneye. Chez les Italiens, le cinéma local a été sinistré par l’étouffoir Berlusconi ; c’est une forme de miracle si un film comme Le Facteur, coproduit avec l’Angleterre et la France, remporte un vif succès, aidé par la prestation bouleversante de l’acteur Massimo Troisi, qui décèdera peu après le tournage de ce film avec Philippe Noiret. En France, l’actualité cinéma est devenue désormais bien ronronnante. Les rescapés de la Nouvelle Vague (qui saluent la mémoire de Louis Malle, décédé) sont toujours là, avec des fortunes diverses : les deux Claude, Chabrol et Sautet, s’en sortent le mieux (La Cérémonie avec Isabelle Huppert et Sandrine Bonnaire, Nelly et Monsieur Arnaud avec Emmanuelle Béart et Michel Serrault), d’autres comme Bertrand Tavernier ou Jean-Paul Rappeneau (L’Appât et Le Hussard sur le Toit) marquent le pas. Le succès de la fin d’année est évidemment une comédie, Les Trois Frères, avec le trio des Inconnus à la poursuite de leurs chères « patates » en héritage. Très attendu, le nouveau film de Jeunet et Caro, La Cité des Enfants Perdus, mélange plutôt indigeste de réalisme poétique et de science-fiction steampunk, divise. Film culte ou pensum dépressif ? En tout cas, tout le monde salue l’émergence d’un jeune réalisateur bourré de talent et d’idées : avec son second long-métrage, La Haine, Mathieu Kassovitz donne un grand coup de pied dans la fourmilière. Cette virée de trois copains d’une banlieue ghettoïsée, dont l’un veut se venger de la police, appuie là où ça fait mal sur les bonnes consciences, avec humour et énergie. Le film provoque son lot de débats et de polémiques sur les banlieues, où tout le monde se reconnaît en Vinz, Hub et Saïd. Et c’est la révélation d’un acteur de premier plan, Vincent Cassel.

Outre-Atlantique, les règles du jeu sont les mêmes. Sorties estivales et de fin d’année sont dominées par les productions des major companies, et entre ces deux grandes vagues, les productions (plus ou moins) indépendantes offrent quelques très bonnes surprises. Comme Little Odessa, œuvre d’un certain James Gray, suivant les retrouvailles houleuses d’un tueur (Tim Roth) avec sa famille d’immigrants ukrainiens ; Crossing Guard, de Sean Penn qui offre un rôle magnifique à Jack Nicholson en père brisé par la mort de sa fille ; Penn, acteur, est à l’affiche du bouleversant Dead Man Walking (La Dernière Marche) où son confrère Tim Robbins l’associe à Susan Sarandon pour un réquisitoire anti-peine de mort sans concession ; il y a aussi Leaving Las Vegas de l’anglais Mike Figgis, qui suit la dérive suicidaire d’un écrivain alcoolique joué par Nicolas Cage ; et le thriller culte Usual Suspects, second film de Bryan Singer, où une bande de braqueurs (parmi lesquels Kevin Spacey et Benicio Del Toro) se découvre manipulée par un certain Kaiser Sozë (Keyser Sözay ? Kayser Sooseeëy ? Je ne sais plus…) qui pourrait être l’un d’eux…  

Le gagnant de l’année 1995, sur les grands écrans hollywoodiens, c’est très certainement Tom Hanks : il vient de remporter son second Oscar du Meilleur Acteur d’affilée, pour Forrest Gump, qui décroche d’ailleurs les principales statuettes dorées ; Hanks, au sommet de sa popularité, enchaîne en étant la tête d’affiche d’un des grands succès de l’été : l’aventure spatiale Apollo 13 filmée par Ron Howard, reconstitution minutieuse de la dramatique mission. Et de plus, Hanks prête sa voix au shérif Woody, héros du tout premier long-métrage du studio Pixar : Toy Story ! Une date dans le cinéma d’animation qui va voir peu à peu les images de synthèse prendre le dessus sur l’animation traditionnelle. Si c’est une heureuse année pour Tom Hanks, en revanche, pour d’autres, c’est la soupe à la grimace. Kevin Costner, surtout, dont le prestige décline à cause du tournage de Waterworld, dont le budget pharaonique (172 millions de dollars) et les incidents de tournage font plus parler que le film lui-même. A peine plus heureux, Sylvester Stallone fait un bide avec son Judge Dredd charcuté au montage. L’ère des « musclors » prend fin. Pour deux réalisateurs connus pour leur sens de la provocation, l’époque « politiquement correcte » est fatale : William Friedkin et Paul Verhoeven se font étriller par la critique pour Jade et Showgirls, écrits tous deux par Joe Eszterhas. Montrer les dessous corrompus de la politique, de la justice et du show-business n’était pas du goût du public. Friedkin tournera le dos à Hollywood, Verhoeven n’a pas encore brûlé ses dernières cartouches. A peine plus heureux : Strange Days, thriller futuriste détonant de Kathryn Bigelow, un film écrit par James Cameron avec Ralph Fiennes, est un échec public, mais gagnera une valeur « culte ». Oliver Stone, avec Nixon, livre un nouveau pavé qui divise, malgré l’interprétation d’Anthony Hopkins dans le rôle du président paranoïaque. L’année 1995 sera celle des valeurs sûres : Gene Hackman, en commandant de sous-marin dans Crimson Tide (USS Alabama) face à Denzel Washington (Hackman sera aussi un méchant mémorable dans le western de Sam Raimi, The Quick and the Dead, face à Sharon Stone, Russell Crowe et Leonardo DiCaprio, et très drôle face à John Travolta dans Get Shorty) ; Sean Connery, magnifique Roi Arthur vieillissant face à Richard Gere dans First Knight (Lancelot) ; Robert De Niro, dans ses derniers bons films, retrouve Martin Scorsese pour la dernière fois avec Casino (aux côtés de Sharon Stone et de l’éternel irascible Joe Pesci), et surtout affronte son grand rival Al Pacino dans le magistral polar de Michael Mann, Heat ; Bruce Willis revient en forme, d’abord dans Die Hard III (Une Journée en Enfer) de John McTiernan, faisant équipe avec Samuel L. Jackson pour résoudre les énigmes mortelles du grand méchant Jeremy Irons, ceci avant d’enchaîner avec un beau contre-emploi dans Twelve Monkeys (L’Armée des Douze Singes), de Terry Gilliam, où l’on remarque aussi Brad Pitt ; Nicole Kidman est enfin prise au sérieux en Miss Météo manipulant Joaquin Phoenix dans le très grinçant To Die For (Prête à tout) de Gus Van Sant ; enfin, les acteurs-réalisateurs ont la côte, dans des registres différents : Mel Gibson mène la révolte dans l’Ecosse médiévale de Braveheart, une épopée pleine de drames, de grands espaces, de trahisons et de batailles furieuses (les plus violentes jamais vues alors). Clint Eastwood, lui, fait pleurer la planète entière devant sa brève romance avec Meryl Streep dans le très beau The Bridges of Madison County (Sur la route de Madison). Le paysage cinématographique américain est cependant bousculé par l’arrivée sur les écrans, le 22 septembre 1995, d’un film policier à la noirceur absolue. Un jeune cinéaste prometteur s’offre une belle revanche sur le système hollywoodien qui l’avait maltraité…

 

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L’inspecteur William Somerset (Morgan Freeman), de la brigade des homicides, est dans sa dernière semaine de travail avant la retraite. Cet officier méticuleux et solitaire se voit temporairement associé à son successeur, l’inspecteur David Mills (Brad Pitt). Mills est tout son contraire : impulsif, prêt à en découdre et désireux de se faire un nom, le jeune enquêteur se vante de cinq années d’expérience en province et vient juste de s’installer en ville, avec son épouse Tracy (Gwyneth Paltrow).

Dans cette période de transition, la collaboration temporaire entre Somerset et Mills démarre de manière macabre : les voilà obligés d’enquêter sur un crime aussi bizarre que morbide. Un homme obèse a été séquestré chez lui, et forcé de s’empiffrer pendant des jours sous la menace d’un revolver, jusqu’à ce que mort s’ensuive. Le lendemain, Mills se retrouve sur une autre scène de crime : un avocat célèbre a été retrouvé mort dans son bureau, poussé à s’entailler et s’arracher une livre de chair. Sur le mur, le mot « Avarice » a été écrit. De quoi mettre la puce à l’oreille de Somerset, qui revient sur le lieu du meurtre de l’homme obèse et trouve, caché derrière le frigo, le mot « Gourmandise » écrit dans la graisse. Les deux meurtres sont liés, l’œuvre probable d’un tueur en série obnubilé par la religion, et les Sept Péchés Capitaux. Les empreintes digitales mènent Mills et Somerset à un certain Victor, trafiquant de drogue et pédophile. Mais l’auteur présumé des meurtres n’est plus qu’un cadavre vivant ligoté à son lit, avec le mot « Paresse » écrit dans sa chambre, et amputé d’une main… Le vrai tueur, surnommé « John Doe » (Kevin Spacey), planifiait ses crimes depuis des mois. Traqué par la police, l’insaisissable Doe va continuer à sa macabre série. Et Somerset doute de plus en plus…

 

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Ci-dessus : l’image emblématique de Seven, les fameuses lampes-torches brandies par Somerset (Morgan Freeman) et Mills (Brad Pitt) dans l’antre du premier meurtre.

 

Entre 1992 et 1994, David Fincher a dû broyer du noir. Le jeune réalisateur alors tout juste trentenaire est passé en l’espace d’une année du statut de potentiel nouveau Wonder Boy à celui de victime en règle du système hollywoodien, à l’issue du tournage cauchemardesque d’Alien 3. Son parcours semblait pourtant tout tracé ; cet autodidacte qui, à l’instar d’un Spielberg ou d’un Tim Burton, avait commencé à faire ses premiers films dès l’enfance avec la caméra Super 8 familiale, avait commencé sa vie professionnelle sur le film d’animation Twice Upon a Time produit par George Lucas ; ceci avant de passer chez ILM, le prestigieux studio d’effets visuels de Lucas, sur Le Retour du Jedi et Indiana Jones et le Temple Maudit, comme caméraman et photographe des mattes (peintures sur verre). Après cela, Fincher devint réalisateur de publicités et de clips vidéo (pas moins de quatre pour Madonna) lui permettant de développer son sens visuel unique et de trouver son style, notamment sous l’égide de la compagnie Propaganda Films, véritable vivier de futurs talents qui lança aussi les carrières de Spike Jonze, Michel Gondry, Alex Proyas, Gore Verbinski ou Michael Bay (personne n’est parfait !). Le jeune homme croyait avoir décroché la timbale en obtenant le tournage d’Alien 3. Un cadeau empoisonné pour cet admirateur du travail de Ridley Scott : les cadres exécutifs du studio Fox, loin de le soutenir, ne virent en lui qu’un simple employé chargé d’accomplir leur quatre volontés. Le jeune homme voulait faire une suite originale, amenant un traitement révolutionnaire, épique et cauchemardesque ; les costumes-cravates du studio lui prièrent de laisser ses grandes idées au vestiaire, l’obligèrent à entamer le tournage sans scénario définitif, et à censurer ses idées ; pire, ils l’empêchèrent d’avoir accès au précieux final cut garantissant sa vision au montage. Fincher but le calice jusqu’à la lie ; le film fut mal accueilli aux USA, et les gens du studio se défaussèrent de leurs responsabilités sur le réalisateur débutant. Attitude aussi stupide qu’injuste, qui plongea Fincher dans une sérieuse déprime, et le sentiment que sa carrière de cinéaste était mort-née, hors de son contrôle. Retour à la case publicitaire et clips vidéo (pour les Rolling Stones) durant deux ans… Sur son bureau, les scénarii de films s’accumulaient jusqu’à ce qu’il posa ses yeux sur l’œuvre d’un certain Andrew Kevin Walker, intitulée Seven.

 

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Ci-dessus : la Victime de la Paresse…

 

Le résumé n’avait pourtant pas l’air prometteur : deux policiers que tout oppose traquent un tueur en série. Lu de cette façon, cela ressemblait à un script opportuniste mixant les succès du moment : L’Arme Fatale rencontrant Le Silence des Agneaux. Fincher, quelques heures de lecture plus tard, changera d’avis. Il se retrouva dans le ton du récit, bien plus proche de la noirceur absolue des grands thrillers des années 1970, ceux de William Friedkin ou Alan J. Pakula, que des formules prémâchées par les studios. Sans doute aussi ses frustrations ont-elles rejoint celles du scénariste Andrew Kevin Walker ; trentenaire comme lui, Walker espérait faire carrière comme producteur de cinéma, mais devait se contenter de faire de la vente au détail chez Tower Records. Il écrivait à ses heures perdues des scénarii, avec une nette prédilection pour les thrillers et le fantastique. Et comme tant de scénaristes débutants, il devait manger son pain noir, se voyant refuser ses scripts par des producteurs potentiels. La version finalisée de Seven fut écrite vers 1991. Walker pourra remercier sa bonne étoile, et un certain David Koepp, un confrère en train de percer (il n’avait pas encore écrit La Mort vous va si bien de Robert Zemeckis, Jurassic Park de Steven Spielberg et L’Impasse de Brian DePalma) ; impressionné par le scénario, Koepp va démarcher le studio New Line, firme indépendante en train de devenir une nouvelle major grâce notamment aux films d’horreur de la saga Nightmare on Elm Street (Freddy Krueger, donc !). En attendant que le jeu des réseaux professionnels se mette en marche, Walker signera d’autres scripts, guère marquants (Brainscan, un sous-Freddy, en 1994, et le médiocre film fantastique Souvenirs de l’Au-delà sorti quelques mois avant Seven). Pas vraiment de quoi crâner avant que Seven ne sorte et décroche la timbale. Walker deviendra un scénariste (et script doctor) de la top list, avec des fortunes diverses : il remaniera le script du film suivant de Fincher, The Game (et fera aussi un caméo amical pour lui dans Panic Room), et signera notamment les scénarii de 8MM de Joel Schumacher, Sleepy Hollow de Tim Burton ou encore Wolfman de Joe Johnston. Sans voir ses idées respectées, à l’exception des films de Fincher. Bienvenue dans le Hollywood moderne… Quoi qu’il en soit, Fincher et Walker se sont rencontrés à un moment opportun, trouvant dans Seven un exutoire à leurs frustrations personnelles, et la somme de leurs angoisses, qu’ils ont su transmettre au public via un récit simple en apparence, mais d’une perversité absolue. Loin d’être révulsé, le public a suivi en masse, faisant du film un des succès-surprise de cette année 1995.

 

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Ci-dessus : un petit air des Hommes du Président… Mills et Somerset recoupent leurs enquêtes respectives.

 

Fincher, échaudé par l’expérience Alien 3, aura carte blanche pour réaliser son second long-métrage. Heureusement pour lui, les patrons de New Line n’étaient pas ceux de la Fox. Doté d’un budget fort raisonnable (33 millions de dollars, une somme « classe moyenne » alors que les budgets de l’époque oscillaient entre 50 et 70 millions, Waterworld étant alors une exception…), Seven a aussi pu se reposer sur un casting adéquat : un mélange de valeurs sûres, de visages familiers et de stars en ascension. Fincher a eu le nez creux : quatre personnages principaux, qui croisent une foule de figures secondaires incarnées par des comédiens confirmés (parmi lesquels Richard Roundtree, le Shaft original, en procureur fédéral, ou R. Lee Ermey, le sergent instructeur de Full Metal Jacket, en supérieur des deux policiers). Honneur aux dames, avec la toute jeune Gwyneth Paltrow, 23 ans à l’époque, qui obtenait là son tout premier rôle important après des débuts dans des rôles secondaires (Hook, Malice, Mrs. Parker et le Cercle Vicieux, Jefferson à Paris), dans la peau de Tracy, l’épouse malheureuse de Mills. Bien que relativement peu présente dans le film, Gwyneth Paltrow s’imposait dans une jolie performance douce-amère, sa beauté diaphane et sa tristesse apportant un peu de lumière dans ce monde de ténèbres. Ceci avant de croiser le tueur, joué par un certain Kevin Spacey ; jusqu’ici surtout connu au théâtre et à la télévision américains, l’acteur s’imposait doucement au cinéma (notamment face à Al Pacino et Jack Lemmon dans Glengarry) ; coïncidence ou non, il tiendra en l’espace de quelques mois trois rôles d’affreux dans des registres variés : producteur tyrannique dans Swimming with Sharks, malfrat boiteux apparemment inoffensif dans Usual Suspects, et donc ici tueur en série dont la banalité apparente cache bien le jeu. Il « explosa » sur l’écran, devenant l’un des meilleurs comédiens américains, excellant toujours dans la création de personnages à double visage (la série House of Cards produite par Fincher en témoigne. John Doe président des USA !). L’attraction majeure de Seven restant cependant les deux policiers, et la réussite du film repose sur l’alchimie des caractères opposés de Somerset et Mills. La pioche était parfaite, avec Morgan Freeman et Brad Pitt. Le premier n’était déjà plus un inconnu, à 58 ans, après de longues années à la télévision ; c’est cependant après avoir passé le cap de la cinquantaine que le comédien est devenu une figure incontournable du grand cinéma américain ; en l’espace de cinq années, ses rôles dans Miss Daisy et son chauffeur, Glory, Impitoyable ou Les Evadés en avaient fait une « gueule » et une voix pleine de sagesse résignée. Seven confirmera son statut auprès d’un public qui l’identifiera à l’inspecteur Somerset. Brad Pitt n’était déjà plus un inconnu quand il tourna le film ; révélé par son rôle d’autostoppeur braqueur qui fit craquer les spectatrices de Thelma & Louise de Ridley Scott, Pitt enchaîna les rôles, confirmant qu’il était de l’étoffe des stars. Et qu’il n’hésitait pas à aller casser, à l’occasion, son image de « beau gosse » alter ego d’un Robert Redford (Et au milieu coule une rivière), en allant à contre-courant des rôles trop prévisibles : il incarna aussi un tueur en série dans Kalifornia… Pitt aime bien aller à l’encontre des idées reçues à son sujet, incarnant ici un jeune policier trop immature pour son bien. L’acteur confirmera  son talent et son goût pour les personnages instables, en incarnant ensuite un malade mental mémorable dans L’Armée des Douze Singes.

 

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Ci-dessus : le dialogue sur l’apathie, entamé par Somerset et Mills.

 

Tout ceci étant établi, reste encore à se pencher sur le film : un œil mal exercé pourrait voir dans le film de Fincher un de ces films mélangeant deux formules faciles, entre le buddy movie désinvolte et le thriller recyclant la fascination du public pour les tueurs en série. Un cinéaste moins exigeant que Fincher en aurait fait le film de la semaine, vite vu, vite digéré. Pourtant, c’est tout le contraire qui se produit ; paradoxalement, Seven est une leçon magistrale de pur cinéma, et une expérience sacrément inconfortable pour le spectateur. Ce n’est pas une banale enquête policière, mais une plongée sans rémission dans les abysses de l’âme humaine. Pour paraphraser Dante, cité intentionnellement dans le récit : « Vous qui entrez en ce film, abandonnez tout espoir« … Sous l’influence de ses maîtres à filmer du cinéma des seventies, qui n’hésitaient pas à mettre à mal le spectateur, Fincher va lentement mais sûrement imprimer la psyché du public de ses idées noires. William Friedkin, l’homme de L’Exorciste, croit absolument à l’existence du Mal prêt à égarer l’espèce humaine ; Fincher lui emboîte le pas. Dans Seven, le Mal rôde donc, présent dès les premières minutes du film. Comment expliquer autrement, derrière toutes les raisons sociales, psychologiques, etc. que l’espèce humaine inflige autant de souffrances à ses congénères ? Si l’on finit par admettre l’existence du Mal, alors il faut aussi admettre celle du Bien, présent lui aussi dans notre monde ; il est bien plus fragile, discret et moins spectaculaire. Seven, sous l’égide de Fincher, va prendre un aspect plus métaphysique, se démarquant par le style et le discours du Silence des Agneaux auquel on l’a trop souvent comparé. Fincher était certes conscient de la référence, mais, de son propre aveu, son film n’était pas une étude documentaire des tueurs en série ; il le comparait davantage aux Dents de la Mer, John Doe étant l’équivalent humain du monstrueux requin/dragon de Spielberg, un symbole de toutes les peurs enfouies du spectateur. Seven baigne dans une atmosphère de pur Fantastique, donnant à son tueur l’allure d’un spectre insaisissable, d’une présence prédatrice tapie dans l’ombre (Alien n’est pas loin non plus…). Le tueur ne tue pas par impulsion, pour chercher l’équivalent de la jouissance sexuelle comme c’est le cas dans les vraies affaires de meurtres en série, il agit autant par pur calcul intellectuel, pour donner un exemple moral dévoyé à la société, que par fanatisme. Ses crimes sont justifiés, à ses yeux, comme une forme de croisade contre la corruption et la déliquescence d’une société complètement corrompue. Malheureusement, ce genre de raisonnement et de discours n’appartiennent pas à la fiction, comme on peut trop souvent le voir en ce moment. Et le plus dérangeant est que son discours, aussi délirant et arbitraire soit-il, est partagé par Somerset sur certains points…

 

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Ci-dessus : un dîner presque parfait chez les Mills… Tracy (Gwyneth Paltrow) fait de son mieux pour respecter les apparences.

 

Le tueur n’a pas de nom, ni d’identité prononcée. Il s’enlève volontairement les empreintes digitales, coupe ses cheveux à ras, et son apparence respire l’insignifiance. Les policiers lui donnent un pseudonyme, « John Doe » (équivalent américain de notre « Monsieur Tout-le-Monde »), à double sens. Un personnage qui est censé représenter l’opinion publique, le citoyen lambda, le paisible représentant de ce que Nixon nommait quant à lui « la majorité silencieuse ». On voit là le sens de l’ironie et de la provocation de Fincher : ce citoyen ordinaire idéal, auquel Kevin Spacey donne le moins de traits distinctifs, cache en réalité un monstre absolu… Le pseudonyme de John Doe n’est pas choisi par hasard par Walker et Fincher, et a vite fait de titiller les mémoires cinéphiliques. Il renvoie, sous un angle totalement différent, à un classique de l’Âge d’Or hollywoodien : la comédie dramatique de Frank Capra, L’Homme de la Rue, dont le titre en VO est Meet John Doe… Trop souvent taxé de gentillesse et de naïveté, le cinéma de Capra recélait cette pépite douce-amère qui entretient une parenté indirecte avec le film de Fincher. Rappelons que Meet John Doe racontait une manipulation médiatique et politique orchestrée, par accident, par une jeune femme journaliste (Barbara Stanwyck) qui, pour garder son emploi, inventait un certain « John Doe » dont les diatribes contre l’injustice sociale touchaient les lecteurs (rappelons que le film, datant de 1941, frappait une corde sensible pour la population américaine sortant à peine de la Grande Dépression). La supercherie prenait un tour politique quand un ex-sportif vagabond (le grand Gary Cooper) acceptait, contre une bonne somme d’argent, d’incarner le fameux « John Doe »… au risque de devenir l’homme de paille d’un magnat corrompu, et donc de berner la confiance du peuple. Le film manquait même de finir en tragédie, « l’homme ordinaire » joué par Cooper allant même jusqu’à la tentative de suicide. D’une certaine façon, Seven reprend le développement narratif du récit de Capra, en le retournant complètement. La figure jadis sympathique du « John Doe » des années 1930-40 cède ici la place à un personnage terrifiant. La population américaine est, chez Fincher, au pire condamnée, au mieux résignée au pire. Les médias et les hautes instances, critiquées par Capra, participent chez Fincher à la déliquescence générale, ne s’intéressant qu’au tueur que dès lors qu’il tue un richissime avocat (les autres victimes ne sont somme toute que des statistiques). Et le parcours du John Doe version Fincher se conclut par un suicide, prémédité celui-là… Les quelques personnes de bien présentes dans Seven, véritable reflet négatif du film de Capra, n’en sortiront pas indemnes.

 

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Ci-dessus : quand le tueur (Kevin Spacey) décide de faciliter la tâche de nos inspecteurs…

 

Seven tire aussi une de ses principales forces de son visuel. Le film est devenu un vrai cas d’école, la « patte » de Fincher prenant définitivement corps ici. Le look du film est immédiatement reconnaissable, assimilé aux clairs-obscurs angoissants à souhait du chef opérateur Darius Khondji, et à une habile direction artistique qui brouille les repères habituels du spectateurs. Bien que le film ait été tourné à Los Angeles, il est impossible d’identifier la ville californienne. De fait, la Ville de Seven devient une entité à part entière, un labyrinthe tenant du cauchemar éveillé pour le spectateur. Elle semble concentrer toutes les métropoles américaines dans ce qu’elles ont de plus oppressant, devenant par extension le terrain de chasse idéal du tueur. Fincher brouille les repères du spectateur ; les lieux garants de la justice (le commissariat clairement inspiré par les scènes de journal des Hommes du Président), du sens moral (l’appartement de Somerset) ou d’une relative tranquillité conjugale (l’appartement des Mills) semblent presque « déconnectés » du reste de la Ville, envahie par les Ténèbres de la misère humaine. Appartements décrépits, hôtel miteux, boîte de nuit souterraine, ruelles battues par la pluie permanente (évoquant Blade Runner)… l’environnement même est pris de malaise. Le moindre détail y contribue, aidé par une bande-son soignée à l’extrême. On peut entendre les murmures étouffés des voisins de Somerset à travers la cloison de son appartement solitaire, parmi d’autres éléments donnant vie à l’univers du film. La géographie des décors contribue à l’ambiance, Fincher exploitant notamment à merveille le dédale du vieil hôtel, théâtre d’une mémorable poursuite entre les policiers et le tueur, de la porte d’entrée de son appartement à la ruelle où il va tenir en joue Mills. L’impression d’étouffement permanent demeurera même dans le troisième acte, hors des murs de la ville, d’une discussion tendue dans la voiture des policiers jusqu’à la confrontation finale dans le désert, rappelant la présence monstrueuse de la Ville alimentée par les pylônes électriques. La claustrophobie cèdera la place à l’agoraphobie, renforcée par le sentiment d’attente interminable d’un horrible évènement. Dans ce décor digne d’une toile de Chirico, Fincher payera sa dette à Alfred Hitchcock, ce dernier acte en plein désert évoquant une scène célèbre de La Mort aux Trousses (North by Northwest).

 

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Ci-dessus : Mills à la poursuite du tueur dans l’hôtel. Le jeune officier risque d’y laisser sa peau…

 

Suivant l’exemple du Maître du Suspense, et de tant de ses successeurs, Fincher va aussi déployer, notamment dans le théâtre des scènes de crime, une mise en scène des signes et symboles témoignant de l’horreur des scènes. Paradoxalement, Seven qui joue finalement très peu sur la violence effective. On ne verra jamais les meurtres commis par John Doe, seulement leur résultat ; et l’enquête de Mills et Somerset est finalement assez peu « proactive ». Une démarche volontaire de la part de Fincher, cherchant à démarquer absolument son film des productions à la Joel Silver / Jerry Bruckheimer ; ses deux officiers piétinent souvent, et ne peuvent que constater les méthodes démentes utilisées par le tueur sur ses victimes. Au cinéaste d’amener le spectateur à reconstituer l’horreur, avec les indices qu’il lui glisse sous les yeux. Une méthode qui a fait ses preuves, chez Hitchcock (le fermier aux yeux crevés des Oiseaux), Spielberg (l’exploration du bateau du pêcheur des Dents de la Mer) ou Ridley Scott (la découverte du pilote fossilisé et de la cale aux œufs, dans Alien) ; et elle n’en est que plus déstabilisante, tout se reconstituant dans l’esprit du spectateur. Bien plus efficace, et terrifiant, que de filmer des flots de sang… L’expérience est éprouvante, dans le cas de certaines scènes. Voir notamment le meurtre « de la Luxure », avec ce pauvre type forcé par Doe à tuer une prostituée, et qui en restera marqué à vie. Ou la scène de « la Paresse », où le déploiement frénétique des forces du SWAT contraste avec la mort apparente de la victime, transformée en mort-vivant par le tueur à coups de tortures répétées… Un jeu de photos, montrée quasi subliminalement, et « offerte » aux policiers, montre la décomposition progressive de la victime. Fincher dresse méthodiquement un jeu de piste, obligeant le spectateur, mis au même niveau que les policiers, à reconsidérer certains détails apparemment secondaires, comme le tableau abstrait posé à l’envers dans la scène de crime de l’Avarice. Ou la chemise de John Doe, couverte de sang, lors de son arrestation volontaire… Fincher, par la suite de sa carrière, continuera à jouer avec le spectateur de cette façon, de The Game à Gone Girl.

 

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Ci-dessus : conversation avec un tueur en série peu ordinaire, et prêt à « faire un exemple ».

 

Mais ces jeux de pistes et de signaux ne serviraient à rien si Seven ne malmenait pas le spectateur à un autre niveau. Fincher se sert du récit policier pour mener à d’autres interrogations. La scène de pré-générique donne le ton. Somerset constate un double homicide, des parents s’étant entretués ; à ses collègues blasés, le vieux flic pose une question a priori banale : « Est-ce que leur gosse a tout vu ?« . De quoi irriter les autres policiers, devenus cyniques depuis longtemps. Pourtant, la question de Somerset a plus d’importance qu’il n’y semble. L’enfance semble a priori exclue du film, et pourtant elle va revenir comme un leitmotiv obsédant, liant Somerset au couple Mills. Magnifiquement interprété par Morgan Freeman, Somerset, vieil homme sans attaches, cache un triste secret. La relation qui se pose entre lui et les Mills est particulièrement réussie, crédible, Fincher se refusant toute facilité scénaristique ; les deux policiers ne se donnent pas de grandes claques dans le dos, et semblent incapables d’accorder leurs violons sur le terrain. Tracy, la jeune épouse jouée par Gwyneth Paltrow, tentera, un peu maladroitement, d’arrondir les angles entre eux. Et voilà bientôt Somerset obligé d’être le mentor du jeune couple fraîchement installé en ville. Cela aboutira à une scène déstabilisante entre Tracy et lui, ou leur mal-être apparaît. On devine que la jeune femme a suivi son chéri depuis le lycée, en sacrifiant sans doute pas mal de ses propres rêves pour tenter d’être la femme au foyer compatissante idéale. Un rôle qu’elle avoue détester, compliqué à tenir avec l’arrivée imminente d’un enfant à naître. De quoi mettre encore plus mal à l’aise Somerset, la seule personne que Tracy connaisse en ville. Il traîne un divorce douloureux, causé par un avortement dont il est responsable. L’intransigeance morale de Somerset, qui jusqu’ici faisait sa force, cachait donc une faille. Son quotidien est une vallée de larmes permanente : meurtres, agressions, viols… Comment trouver la force d’élever un enfant, de lui donner confiance et foi en l’avenir, dans un monde pareil ? Somerset a pesé le pour et le contre, et ne s’est pas senti de taille à mener deux combats sur deux fronts différents. Il a donc convaincu sa femme d’avorter, et si la froide raison était sans doute de son côté, il s’en est mordu les doigts pour le reste de sa vie.  Voilà qui le pousse sans doute à veiller un peu plus que de raison sur les Mills, même si sa relation avec David est plus conflictuelle. La fameuse discussion sur l’apathie leur permet de confronter leurs points de vue. Mills, plus jeune, est l’exemple type du jeune américain venu du Midwest, qui garde encore un regard enfantin sur le monde qu’il divise en Bien et en Mal sans fouiller plus loin (voilà qui explique ses théories simplistes sur le tueur). Somerset explique sa notion du Mal par le biais d’une phrase qui prend un double sens tragique, quand on la rapproche de son parcours et des derniers crimes de John Doe : « c’est plus facile de faire du mal à un enfant que d’essayer de l’élever…« . Somerset n’approuve évidemment pas un tel comportement, il ne fait que constater les faits dans son travail. Et il en a tiré une morale personnelle : la société américaine ne peut que se tourner vers l’apathie, le manque de réaction apparent, que comme seul moyen de défense psychologique contre une série infinie de crimes quotidiens (c’est le discours que tient le gérant du night-club / maison de passe, dégoûté par son travail mais résigné). Les policiers colmatent les brèches et se contentent de temps en temps de victoires symboliques, sans changer la nature humaine, trop souvent capable du pire… A la plus grande colère de Doe, ce tueur ordinaire qui justifiera ses atrocités comme une croisade morale nécessaire. Malheureusement, Tracy en fera les frais, avec l’enfant qu’elle porte. L’affrontement des points de vue de Somerset, Mills et Doe arrivera à son point culminant dans un acte final sans pitié.

 

Seven 06

Ci-dessus : John Doe, meurtrier et homme ordinaire…

 

De l’Envie et de la Colère… Le troisième acte de Seven achève de prendre le spectateur à contrepied de toutes ses attentes en matière de thriller. Le script de Walker prit littéralement Fincher au dépourvu, à sa première lecture, en cassant un des clichés les plus attendus du genre policier. On n’avait jamais vu jusqu’alors le méchant, en position de force, se rendre volontairement à la police – et encore moins que le récit se poursuive malgré tout… La scène de reddition de John Doe constitue un sacré choc pour le spectateur, qui suivait Mills et Somerset en pleine discussion matinale. Une discussion de pure routine, où le cinéaste pousse la ruse jusqu’à faire entrer Doe, rendu flou par la mise au point, dans le dos des deux policiers. L’homme a beau les apostropher, nul ne lui prête attention (malgré les tâches de sang dignes d’une toile de Jackson Pollock, qui tapissent sa chemise blanche…) jusqu’à ce qu’il hurle « DETECTIIIIVE !! » dans le hall du commissariat. Le calme absolu de cet homme apparemment sans importance contraste avec la réaction violente des policiers le plaquant au sol. Et voilà un cliché renversé, le film devant durer encore vingt bonnes minutes… Ironiquement, en mettant à mal des décennies de récits policiers, cette scène de Seven a généré malgré elle un grand nombre d’hommages et de copies faisant de ce type de scène un moment prévisible. On peut en déceler des traces dans des blockbusters très récents : le coup du « criminel se faisant arrêter pour mieux manipuler les forces de l’ordre et de la justice » est désormais un classique. Voir notamment The Dark Knight de Christopher Nolan, Skyfall de Sam Mendes, et même Avengers… Ce passage de Seven est néanmoins entré dans les mémoires, aidé en cela par la prestation extraordinaire de Kevin Spacey. Le comédien, auréolé du succès de sa prestation dans Usual Suspects, ajoute ici un autre bel affreux personnage à sa filmographie. Le jeu délibérément très détaché du comédien aide à renforcer le mystère de John Doe. Un long voyage en voiture, Doe menant les deux policiers sur les lieux de son crime final, sera l’occasion pour le tueur de révéler ses motivations. Il planifie et justifie ses meurtres comme une guerre morale contre le Mal ordinaire. Il y a de la méthode, et une certaine logique, dans sa démence : on devine qu’il a été, pendant longtemps, un citoyen ordinaire, transparent (le fait qu’il ne soit pas identifié par les policiers va dans ce sens), ruminant ses colères contre le triste spectacle des bassesses humaines jusqu’à ce qu’un jour, la goutte d’eau fasse déborder le vase. Sans doute aussi une éducation religieuse confinant au fanatisme (voir la croix au-dessus de son lit, découverte dans son appartement) l’a-t-elle convaincu de passer à l’action. Le psychopathe donne ainsi une légitimité à ses crimes, à la façon du Travis Bickle de Taxi Driver sombrant dans son délire de justicier. « Nous voyons un péché chaque jour, et nous les tolérons ! », fulmine-t-il dans la voiture. Peu lui importe les souffrances causées aux victimes « collatérales » (le client de la prostituée, la veuve de l’avocat), ou qu’il ne fasse aucune différence entre un homme obèse, malade, et un trafiquant pédophile… Le dégoût des autres justifie tout, pour Doe. Somerset et Mills ne peuvent que constater la folie de leur passager, avec des réactions diamétralement opposées. Le vieux policier, s’il partage partiellement le point de vue du tueur, garde un point de vue éthique soulignant le dévoiement de son raisonnement et ses incohérences. Mills, lui, réagit à sa manière habituelle. Le jeune policier impulsif ne voit pas plus loin que le bout de son nez, face à un assassin qui l’avait pourtant « cadré » quelques jours plus tôt en se faisant passer pour un photographe (« J’ai ta photo, mec ! ») ; Mills avait commis une erreur fatale ce jour-là, sous le coup de la colère, en lui donnant son nom et adresse pour le provoquer. On le sait pourtant, depuis Le Silence des Agneaux : donner des informations personnelles à un psychopathe, c’est autoriser celui-ci à détruire votre vie… Mills ne voit rien venir et tente de rabaisser Doe, en réduisant la croisade de celui-ci à une simple envie de publicité (« T’es qu’une tronche sur un T-shirt ! T’es le film de la semaine !« ). Il n’a pas tout à fait tort (Doe tire une certaine vanité de ses actes, et de leur publicité), mais il va tomber de très haut…

 

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Ci-dessus : le fameux générique de début de Seven vous fait entrer dans la tête d’un dément.

  

La fiche technique :

Réalisé par David Fincher ; scénario d’Andrew Kevin Walker ; produit par Phyllis Carlyle, Arnold Kopelson, Stephen Brown, Nana Greenwald, Sanford Panitch et Michele Platt (New Line Cinema / Cecchi Gori Pictures / Juno Pix)

Musique : Howard Shore ; photographie : Darius Khondji ; montage : Richard Francis-Bruce

Direction artistique : Gary Wissner ; décors : Arthur Max ; costumes : Michael Kaplan

Effets spéciaux de maquillages : Rob Bottin ; générique conçu par Kyle Cooper

Distribution : New Line Cinema

Durée : 2 heures 07

Caméras : Aaton 35-III et Panavision Panaflex Gold

En bref… AU COEUR DE L’OCEAN

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AU COEUR DE L’OCEAN, de Ron Howard

1850. Un jeune écrivain, Herman Melville (Ben Whishaw), arrive à Nantucket, la grande ville des baleiniers américains, pour recueillir l’histoire de Tom Nickerson (Brendan Gleeson). Ce dernier est l’ultime survivant de la tragédie de l’Essex, un navire baleinier disparu le 20 novembre 1820 dans les mers du Pacifique. Nickerson refuse dans un premier temps de parler à Melville des circonstances du naufrage, et des épreuves qu’il traversa, avant de se laisser convaincre de raconter cette incroyable histoire vraie.

En août 1819, Owen Chase (Chris Hemsworth) croit enfin pouvoir commander le navire baleinier qui lui permettra de ramener suffisamment d’huile, nécessaire pour les éclairages publics, auprès des armateurs de l’Essex, et ainsi offrir à terre une vie décente à sa femme et leur enfant à naître. Mais Chase déchante : les armateurs du navire préfèrent offrir le commandement à George Pollard (Benjamin Walker), descendant d’une prestigieuse famille de Nantucket, plutôt qu’à un simple fermier. Chase accepte sans joie le poste d’officier en second, bientôt rejoint par son ami Matthew Joy (Cillian Murphy). Quand le navire part en haute mer, Pollard, inexpérimenté, voit très vite son autorité disputée par le bouillant Chase, qui a la confiance des marins, dont le mousse Nickerson (Tom Holland). Plutôt que de faire demi-tour et débarquer Chase, Pollard tolère sa présence à bord. Les mois passe, la pêche est plutôt maigre. L’Essex se dirige dans le Pacifique, le long de l’Equateur, dans l’Offshore Sound, une zone peuplée de cachalots. Mais même les baleiniers les plus expérimentés ignorent à quel redoutable animal ils vont avoir affaire. Un cachalot mâle gigantesque, dont la peau est d’un blanc de mort…

 

Au coeur de l'Océan

Impressions :

Ron Howard est l’un de ces réalisateurs américains qui forcent la sympathie. Sans génie, mais avec une réelle foi en son métier et un goût du travail bien fait, il complète inlassablement une filmographie où alternent les œuvres mineures et des classiques tout à fait appréciables (de Cocoon à Un Homme d’Exception en passant par Apollo 13, la liste est longue). Et, en bon storyteller à l’américaine, il aime particulièrement les histoires fortes de courage et de survie. Deux ans après son excellent Rush, biographie nerveuse des duellistes de la Formule 1, il retrouve l’imposant Chris Hemsworth pour lui offrir un rôle sur mesure dans une grande aventure maritime. Au cœur de l’Océan est la reconstitution – quelque peu romancée – d’un authentique drame qui a donné à Herman Melville les bases de son illustre Moby Dick. Leur navire coulé par les assauts furieux d’un cachalot gigantesque, les baleiniers de l’Essex dérivèrent dans le Pacifique pendant plusieurs mois. Sur la vingtaine d’hommes d’équipage, il n’y eut que cinq survivants (plus trois autres retrouvés vivants sur une île déserte), dont les deux capitaines. Leur histoire fut d’autant plus tragique que les hommes, perdus dans l’océan sans vivres, durent manger la chair de leurs compagnons décédés pour survivre. L’histoire fit sensation, et Melville, qui avait lui-même servi sur un baleinier, ne connaissait que trop bien les terribles conditions de vie des marins de l’époque. Il ne garda dans Moby Dick que la partie « documentaire » et la reconstitution minutieuse de l’attaque du cachalot, s’éloignant du côté macabre de l’histoire vraie de l’Essex pour livrer un chef-d’œuvre allégorique qui continue de traverser le Temps.

De quoi donner envie au spectateur de se déplacer, même s’il faut bien avouer que le film est loin d’égaler son illustre modèle littéraire, auquel il fait fréquemment référence : le récit raconté par le plus jeune marin du bord (Nickerson en modèle évident d’Ishmael), l’entrevue avec les armateurs, le dépeçage en règle d’un cachalot et la peu ragoûtante plongée dans la tête évidée de la bête pour racler le restant d’huile, les conflits entre les officiers (inspirateurs d’Achab et Starbuck), et bien sûr l’attaque du cachalot blanc… Rien à redire, Howard prend grand soin à reconstituer méticuleusement la vie éprouvante des marins baleiniers du 19ème Siècle ; et, aidé par le meilleur de la technologie numérique, il nous livre des scènes de chasse à la baleine d’un réalisme bluffant, sans épargner les détails cruels (comme la « fleur de sang », dernier souffle de la bête abattue qui retombe sur ses tueurs). Bien entendu, les scènes les plus impressionnantes sont les attaques de ce gigantesque cachalot dont on peine à croire qu’il soit entièrement créé sur ordinateur. Un monstre marin de toute beauté, qui constitue la principale raison de voir le film sur grand écran, et qu’Howard magnifie en une série de scènes iconiques tout à fait réussies. De quoi mesurer l’écart technologique effectué en quarante ans, depuis l’époque où Steven Spielberg s’épuisait à filmer le requin mécanique défectueux des Dents de la Mer

Pour autant, le film est loin d’être parfait. S’il respecte toutes ses promesses d’un bon film d’aventures old school, Au cœur de l’Océan souffre de quelques carences mineures. Passent encore les « ajustements » des faits réels au profit de la dramatisation (concernant surtout la dérive des rescapés perdus en haute mer), inévitables dans ces cas-là. Le problème vient ici plutôt du montage. Depuis Rush, Howard semble vouloir faire évoluer son cinéma d’un style moins classique et plus « organique », plus frénétique ; si ce style convenait parfaitement à son épopée de la F1, ici, il est plutôt en porte-à-faux avec l’époque reconstituée. Très elliptique, surdécoupé, le montage abuse souvent d’inserts et de plans trop rapides, trahissant le fait qu’il s’agisse d’un film fait en 2015. La narration aurait pourtant gagné à prendre davantage son temps, à faire ressentir l’immense solitude de ces hommes isolés au milieu de nulle part ; ce qu’avait su faire Master and Commander de Peter Weir, la référence insurpassable en matière d’épopée maritime réaliste.

Mais ne boudons pas pour autant notre plaisir : Ron Howard nous a livré un solide récit d’aventures, dominé par le charisme brut de Chris Hemsworth, bien parti pour marcher sur les traces des Sean Connery ou Harrison Ford de la grande époque. Le comédien australien trouve sa voie en dehors du marteau et de la cape de Thor ; et il trouve ici un adversaire à sa stature, avec ce satané cachalot qui rejoint sans problèmes les plus beaux monstres marins créés pour le grand écran. De quoi largement justifier l’achat du billet pour retrouver, avec Au cœur de l’Océan, l’esprit des grands classiques du cinéma d’aventures fait par un de ses plus solides artisans.

 

Ludovic Fauchier.

 

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La fiche technique :

Réalisé par Ron Howard ; scénario de Charles Leavitt, d’après le livre de Nathaniel Philbrick ; produit par Brian Grazer, Ron Howard, Joe Roth, Will Ward, Paula Weinstein et William M. Connor (Imagine Entertainment / Cott Productions / Roth Films / Spring Creek Productions / Village Roadshow Pictures / Warner Bros. Pictures / Enelmar Productions A.I.E. / K. JAM Media / Sur-Films )

Musique : Roque Banos ; photo : Anthony Dod Mantle ; montage : Daniel P. Hanley et Mike Hill

Direction artistique :  Christian Huband et Niall Moroney ; décors : Mark Tildesley ; costumes : Julian Day

Effets spéciaux de plateau : Manex Efrem et Mark Holt ; effets spéciaux visuels : Jody Johnson, Vincent Cirelli, François Dumoulin, Bryan Hirota (Double Negative /  Artem / Luma Pictures / Plowman Craven & Associates / Prime Focus World / ReelEye Company / Rodeo FX / Scanline VFX) ; cascades : Eunice Huthart 

Distribution : Warner Bros. Pictures

Durée : 2 heures 02 

Caméras : Arri Alexa XT, Canon EOS 1-DC, EOS C300 et EOS C500

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