BIUTIFUL, d’Alejandro GONZALEZ INARRITU
L’Histoire :
la tragédie d’un homme, Uxbal. Il vit de petits trafics dans les bas quartiers de Barcelone, aidant des immigrants clandestins africains et chinois à trouver du travail, comme employés d‘ateliers clandestins, ouvriers de chantiers ou simples revendeurs à la sauvette.
Uxbal élève de son mieux ses deux enfants, Anna et Mateo, dans un misérable appartement ; Marambra, sa femme et la mère des deux enfants, l’a quitté ; souffrant de troubles bipolaires, elle le trompe avec le premier venu, dont son propre frère Tito. Les deux frères doivent transférer la dépouille de leur père qu’ils n’ont pas connu, parti au Mexique et mort jeune, le cimetière où il reposait étant sur le point d‘être détruit. Le quotidien peu reluisant d‘Uxbal est encore assombri par la mauvaise nouvelle du médecin : il est atteint d‘un cancer de la prostate, incurable, et n‘a plus que quelques mois à vivre. Hanté par des visions de l‘Au-delà, Uxbal, à l‘approche de sa propre mort, doit faire des choix décisifs pour l‘avenir de ses proches…
Ci-dessus : la bande-annonce de BIUTIFUL en anglais.
Impressions :
à mon père, et mes grands-pères.
Comment… déjà sept semaines d’écoulées depuis mon dernier blog ? Écrire sur THE SOCIAL NETWORK m’a vidé littéralement les batteries… À peine le temps de m’en remettre que je suis allé voir BIUTIFUL, dernière pépite du mexicain Alejandro Gonzalez Inarritu, le passionnant cinéaste d’AMOURS CHIENNES, 21 GRAMMES et BABEL. Un cinéaste «loco», observateur impitoyable de l‘Humanité, dont chaque film est une expérience unique… mais difficile. Inarritu a certes commencé sa carrière par une histoire de chiens, mais il n’a jamais caressé le public dans le sens du poil ; il oblige le spectateur à de douloureuses interrogations. Avec cette histoire d’un mort en sursis, condamné par la maladie et hanté par des visions liée à la Mort, le réalisateur persiste et signe. Autant dire que pour ma part, j’ai eu énormément de mal à écrire sur ce film. Il est magnifique, évidemment, mais réveille des émotions douloureuses, difficiles à exprimer. Cela a dû «parasiter» mes impressions et m’empêcher d’écrire dessus.
J’espère que vous pardonnerez la maladresse de ces commentaires, tant l’exercice d’écrire sur BIUTIFUL aura été difficile !
Il faut avant toute chose saluer l’interprétation exceptionnelle de Javier Bardem. Le comédien espagnol livre une performance de tout premier ordre, peut-être même son meilleur travail depuis son rôle dans le touchant MAR ADENTRO (2004) d’Alejandro Amenabar, où il campait – déjà – un mort en sursis, Ramon Sampedro, tétraplégique déterminé à en finir avec une vie immobile.
Portant le film de toutes ses robustes épaules, Bardem est pratiquement de toutes les séquences. Tout en retenue, son jeu exprime très subtilement les moindres doutes, angoisses et résolutions de son personnage, aidé par l’intensité de ce regard noir qui vous cloue littéralement à votre fauteuil.
Son personnage, Uxbal, n’est en rien le cliché habituel du petit trafiquant ordinaire. Cet homme profondément solitaire a un don très particulier : il voit les morts. Voilà qui donne au film une dimension spirituelle incontestable, d’autant plus forte qu’elle prend ses racines dans la réalité la plus triviale. L’importance accordée aux scènes de «visions» n’a rien de saugrenu, et elles ne versent pas dans les excès démonstratifs. Dans BIUTIFUL, les scènes de visions ou de «fantômes» ne sont pas dictées par les sempiternels codes du film fantastique occidental – le réalisateur ne nous donnera pas de scènes choc, ou l’explication tant attendue dans 99 % des films du genre sur la raison de ces visions. Pour Inarritu, totalement imprégné de sa culture amérindienne et mexicaine, la spiritualité est un élément omniprésent, même dans le quotidien le plus noir. Uxbal a donc le don à double tranchant de voir l’esprit des morts. Scènes très perturbantes, quasi muettes, celles où il croise ainsi le regard d’un petit garçon assis à côté de son cadavre, ou bien celles des clandestins «collés» au plafond de son appartement, tels des papillons de nuit… Uxbal ne retire ni gloire ni profit de ce don, qui l’aliène complètement (voir la scène avec la mère du petit garçon).
Ces visions s’accompagnent, au fil de sa dégradation physique, d’autres images mémorables : un vol d’oiseaux dans le ciel barcelonais formant des signes fugitifs, ou ces «désynchronisations» de reflets annonciateurs probables de sa propre mort. Ces scènes sont fortement teintées de chamanisme, confirmées par les visites d’Uxbal chez une amie, Bea, elle-même médium, qui l’aide à interpréter ces signes et ces rencontres inquiétantes : «Les morts qui restent parmi nous ont une œuvre inachevée, ils souffrent à cause de cela», ils ont toujours un message à transmettre à leurs proches. Uxbal, lui-même en grande souffrance physique et psychique, tentant de raccommoder les vies des siens, entame un douloureux voyage le reliant à son propre père, le seul mort avec qui il voudrait communiquer.
Le père disparu : voilà la clé du film d’Inarritu. L’héritage d’un père absent, «figé» dans la mémoire d’Uxbal, comme un éternel jeune homme sur une vieille photographie. Le père a dû fuir l’Espagne, loin d’Uxbal et son frère, pour le Mexique. Poison de l’Espagne du 20e Siècle, le régime totalitaire de Franco est à l’origine de cette fuite. Une fracture historique, politique et sociale, dont les effets pervers se font encore sentir dans l’Espagne contemporaine de nos jours, nous dit Inarritu. Privé de modèle paternel pour bâtir sa propre vie, Uxbal est à la dérive.
La séquence de la morgue, aussi dure soit-elle pour le spectateur, est fondamentale. Uxbal et son frère Tito exhument le cercueil de ce père «fantôme», le cimetière où il reposait devant être détruit. Les deux frères contemplent le cadavre desséché, presque «momifié» par le temps, et qui a encore son visage de jeune homme… Tito ne le supporte pas et sort de la morgue. Uxbal se rapproche et touche le visage du défunt… scène poignante où Bardem, quasi muet, nous bouleverse. Comme son personnage, Inarritu regarde la Mort en face, sans offrir de réponses confortables au spectateur. Elle m’a rappelé un autre très grand film où une scène, presque similaire, m’avait provoqué le même mélange de gêne, de lucidité et d’émotion brute. C’était un passage de BARBEROUSSE, chef-d’œuvre d’Akira Kurosawa, où un jeune médecin était forcé d’accompagner les dernières minutes de vie d’un vieillard mourant. La caméra du grand cinéaste japonais ne se détournait pas du regard de ce dernier. La séquence de la morgue de BIUTIFUL provoque les mêmes impressions. Soit dit en passant, rappelons que Kurosawa avait lui aussi livré un grand film sur un mort en sursis : VIVRE !, autre chef-d’œuvre, avec Takashi Shimura en vieil homme condamné par un cancer incurable.
Tout est question de paternité, de filiation, dans BIUTIFUL. Uxbal est certes un petit escroc, un exploiteur minable qui assure sa survie grâce aux sombres arrangements de l’immigration clandestine. Mais Inarritu ne cède pas à la facilité, il montre l’affection sincère de son personnage pour les clandestins (Lili, Ekweme, Ige). Uxbal veut sincèrement aider ces derniers à avoir une vie bien à eux, en dépit des conditions effroyables dans lesquels ils vivent. Il devient le «père» de substitution de la jeune Lili, fille-mère d’un nourrisson, et d’Ige, elle aussi mère d’un petit enfant. Et ses petits trafics sont le seul moyen qui lui reste pour faire vivre ses propres enfants.
Hélas, l’ambivalence d’Uxbal se traduit aussi dans des scènes terribles, conséquences dramatiques des conditions de vie des immigrés clandestins à qui il a trouvé du travail. Les immigrés chinois périront par sa faute, l’achat d’un radiateur défectueux causera un empoisonnement au monoxyde de carbone. Les cadavres rejetés à la mer seront rejetés sur le rivage de Barcelone… Ekweme, lui, sera expulsé vers son pays d’origine, promis à une mort certaine, laissant derrière lui Ige et leur bébé… c’est la répétition du propre drame d’Uxbal, séparé de son père exilé de force quarante ans plus tôt.
Les liens filiaux d’Uxbal et ses enfants sont par ailleurs extrêmement forts. La séquence d’ouverture, véritable énigme et fil rouge du récit, est un modèle du genre. Les mains d’Uxbal et de sa fille Anna sont «liées» à l’image, autour d’une bague. Histoire simple et énigmatique, très touchante, d’une transmission affective et spirituelle. Quand la maladie affaiblit peu à peu Uxbal, la fillette va le soutenir, avec toute la compassion possible à son jeune âge.
Avec Mateo, son petit garçon, Uxbal a des relations plus conflictuelles, mais tout aussi fortes. Il est bien conscient, après tout, du manque qu’il va laisser à son fils après son décès… Ce dernier ignore sa maladie, mais semble percevoir inconsciemment ce qui ronge son père. Il réveille celui-ci en pleine nuit, après un pipi au lit… Situation embarrassante, mais qui fait écho à la maladie d’Uxbal, lui aussi victime d’humiliantes fuites urinaires. Dans les derniers jours de sa vie, Uxbal amaigri finit par porter des couches, comme s’il régressait à l’état de petit enfant. On pourrait dire que Mateo, par empathie toute filiale, ressent un peu de la souffrance physique de son père.
Cette histoire d’amour filial et paternel me permet de me livrer à l’un de mes petits jeux favoris, le décodage de titre. Pourquoi ce BIUTIFUL écorchant délibérément le mot anglais «beautiful» : «beau, merveilleux, magnifique»… très paradoxal en soi dans un film à l’ambiance aussi dépressive !?
La petite Anna demande à son père l’orthographe de ce mot pour un devoir d’anglais. Comme Uxbal manque d’éducation, il lui dit de l’écrire «comme il se prononce», phonétiquement. La fillette s’exécute sans contester. Plus tard, elle enverra un dessin à son père qu’elle adore, des montagnes au feutre. Avec ce commentaire «les Pyrénées sont biutiful». Tout est dit en quelques images. Uxbal reste «englué» dans les quartiers sinistres de Barcelone, sa fille lui manque, elle vit un séjour inoubliable dans un paradis idéalisé par sa vision de gosse. Les Pyrénées, le lieu impossible à atteindre pour Uxbal, sa propre enfance perdue. Son père «fantôme» posait sur une photo, prise dans la forêt enneigée des montagnes pyrénéennes, avant sa naissance. Après son propre décès, c’est là qu’il va rencontrer ce père qu’il n’a jamais connu, autour du cadavre d‘un hibou. L’oiseau a recraché en mourant une boule de poils, comme un symbole de l’esprit libéré du corps matériel. L’esprit (ou l’âme) d’Uxbal retrouve son père, comme sur la photo, dans ce lieu de transition, de passage vers un autre monde. Avec en tête, cette seule question : «Il y a quoi de l’autre côté ?».
Je n’en dirai pas plus pour le moment. Et encore, il restait tellement à dire sur d’autres éléments de ce film : le probable passé d’ancien junkie d‘Uxbal (scène de la piqûre), les troubles bipolaires de son épouse Marambra, les maltraitances dont Mateo est victime, les conflits d’Uxbal et son frère Tito, la description angoissante des bas quartiers de Barcelone, les amants chinois cachant leur homosexualité à la famille traditionaliste, l’angoisse des boîtes de nuit récurrente chez Inarritu (comme la petite japonaise sourde dans BABEL !)… sans oublier le remarquable travail créatif des complices habituels du cinéaste, le chef opérateur Rodrigo Prieto et le compositeur Gustavo Santaolalla.
Beau comme un rêve d’enfant, triste et cathartique. BIUTIFUL, tout simplement…
La note :
La fiche technique :
BIUTIFUL
Réalisé par Alejandro GONZALEZ INARRITU Scénario d’Alejandro GONZALEZ INARRITU, Armando BO et Nicolas GIACOBONE
Avec : Javier BARDEM (Uxbal), Maricel ALVAREZ (Marambra), Hanaa BOUCHAIB (Anna), Guillermo ESTRELLA (Mateo), Eduard FERNANDEZ (Tito), Cheikh NDIAYE (Ekweme), Diaryatou DAFF (Ige), Cheng Tai SHEN (Hai), Luo JIN (Liwei), Lang Sofia LIN (Li), Ruben OCHANDIANO (Zanc), Martina GARCIA (la Fille)
Produit par Fernando BOVAIRA, Alejandro GONZALEZ INARRITU, Jon KILIK, Alfonso CUARON, Sandra HERMIDA, Ann RUARK et Guillermo DEL TORO (Menageatroz / Mod Producciones / Ikiru Films / Focus Features / TV3 / TVE / Universal Pictures) Producteur Exécutif David LINDE
Musique Gustavo SANTAOLALLA Photo Rodrigo PRIETO Montage Stephen MIRRIONE
Décors Brigitte BOSCH Direction Artistique Marina POZANCO Costumes Bina DAIGELER et Paco DELGADO
1er Assistant Réalisateur F. Javier SOTO
Mixage Son Bob BEEMER, Leslie SHATZ et Jon TAYLOR Montage et Design Sonore Martin HERNANDEZ
Distribution ESPAGNE : —- / Distribution MEXIQUE : Videocine S.A. de C.V. / Distribution FRANCE : ARP Sélection Durée : 2 heures 27
FAIR GAME, de Doug LIMAN
L’Histoire :
l‘Affaire Plame, également connue sous le nom du scandale des fuites de la CIA… ou l‘illustration des véritables abus de pouvoir de l‘administration gouvernementale américaine sous la présidence de George W. Bush. Ce scandale politique a ses racines dans les raisons ayant mené à la Guerre d’Irak, en 2003…
Octobre 2001. En réponse aux attentats meurtriers du 11 septembre 2001, le gouvernement de George W. Bush lance une série de bombardements massifs sur l’Afghanistan, source des foyers terroristes présumés à l’origine des attaques. Encore sous le choc des attentats, l’opinion publique américaine est globalement favorable à cette offensive.
Joseph «Joe» Wilson, ancien ambassadeur des Etats-Unis à l’étranger sous les présidences de George Bush père et de Bill Clinton, devenu expert consultant en management international, reste cependant sceptique quant à l’efficacité et la morale de cette nouvelle guerre. Opinion partagée par son épouse, Valerie Plame, qui travaille en secret pour la CIA depuis treize ans et organise, supervise et mène des missions risquées sur le terrain en plusieurs endroits du globe, pour démasquer et démanteler des filières terroristes. Joe connaît la véritable profession de Valerie, qui pour ses amis est une femme d’affaires, et pour respecter sa sécurité, celle de ses agents et de ses contacts, il est tenu de ne jamais en parler publiquement.
En février 2002, le bureau du Vice-président américain Dick Cheney et le Département d’État de la Défense demandent à la direction de la CIA de les informer sur des allégations, concernant un supposé accord de vente d’uranium, sous forme de matière première dite «yellowcake», par le Niger à l’Irak de Saddam Hussein. Ces informations sont capitales pour la Maison Blanche qui ne cesse d‘accuser le dictateur irakien d‘être l‘un des instigateurs des attentats du 11 septembre…
Suivant l’autorisation de la CIA, Joe se rend au Niger pour interroger ses contacts locaux au sujet d‘une telle vente d‘armes. Valerie, de son côté, persuade une doctoresse irakienne réfugiée aux USA, Zahraa, de séjourner dans son pays natal pour y retrouver son frère ingénieur Hammad, et de lui poser des questions sur le développement des armes irakiennes. Les comptes-rendus séparés de Joe et Valerie arrivent à une même conclusion : la vente d’uranium entre le Niger et l’Irak n‘existe pas, les armes de destruction massives tant recherchées n’existent pas, l’Irak étant mené à la ruine par son dictateur et par la défaite de la Guerre du Golfe en 1991…
Pourtant, en mars 2003, George W. Bush, son gouvernement et ses alliés déclencheront l’invasion de l’Irak, prétextant toujours que des armes de destruction massive sont détenues par Saddam Hussein ! Après le début de l’invasion, Joe Wilson rédige un article d’opinion qui critique et dénonce ouvertement une vaste campagne de manipulation orchestrée par les hommes de Bush pour justifier les attaques en Irak. Ses articles provoquent la controverse dans l’opinion, l’embarras puis l’hostilité de Washington. La riposte des hommes de la Maison Blanche se fera par une vaste campagne de dénigrement, divulguant l‘identité et le vrai travail de Valerie Plame, au mépris de la vie de ses contacts en Irak, de la propre valeur de son travail, et de sa vie de famille avec Joe Wilson…
Impressions :
Après BIUTIFUL, la transition est toute trouvée pour vous parler de FAIR GAME, puisque les têtes d’affiche de ce dernier film, Sean Penn et Naomi Watts, se retrouvent sept ans après une bouleversante interprétation dans 21 GRAMMES, du même Inarritu. C’est ce qui s’appelle être raccord !Cependant, FAIR GAME ne cherche pas à s’aventurer dans le territoire du cinéaste mexicain. Le réalisateur Doug Liman (GO, THE BOURNE IDENTITY / La Mémoire dans la Peau, Mr. & Mrs. SMITH), plus connu pour ses précédents thrillers et films d’action, a le mérite de changer de registre, pour aborder un sujet bien plus grave que son précédent «actioner» comique explosif avec Brad et Angelina (qui peut par ailleurs voyager dans le métro parisien, sans se faire reconnaître… ou presque. Private joke). Le réalisateur s’empare d’une histoire vraie des plus épineuses pour l’Histoire de l’administration Bush, et traite son récit avec la rigueur qui s’impose. Le style de mise en scène est essentiellement «documentaire», sans affèteries excessives, et se met tout au service de ses acteurs. En tête d’affiche, Penn et Watts sont tous deux impeccables. Leur personnalité distille une tension permanente et progressive dans leurs échanges. En arrière-plan, avec l’aide d’un solide casting de seconds rôles réussis, Liman revient à des formules qui ont fait leur preuve, celles des classiques des 70s post-Watergate qui firent les grandes heures d‘un Robert Redford : LES 3 JOURS DU CONDOR, LES HOMMES DU PRESIDENT. Coïncidence curieuse, ou écriture délibérée ? Dans les locaux de la CIA décrits dans FAIR GAME, Valerie Plame (Naomi Watts) s’entretient à un moment avec un certain Joe Turner, le nom du personnage de Redford dans LES 3 JOURS DU CONDOR !Parmi les seconds rôles, on saluera une très belle scène de Sam Shepard, qui, derrière sa raideur de façade d’ancien militaire chevronné, cherche réellement à soutenir sa fille en perdition. Les acteurs interprétant les faucons de Washington, Karl Rove et Lewis «Scooter» Libby (déjà présent à la Maison Blanche du temps des dérives de Nixon…) sont aussi excellents – spécialement David Andrews (Libby) dans une scène ahurissante et totalement crédible : à un bureaucrate de la CIA argumentant timidement l’absence de preuves d’armes de destruction massive, Libby prend son visage «Docteur Folamour» le plus effrayant – bouche crispée, regard fixe glacial, intimidant, traduisant le cynisme, le fanatisme et/ou l’aveuglement – pour persuader «aimablement» le brave gratte-papier de se plier à son point de vue. L’acteur a su en quelques instants incarner toute l’arrogance pathologiique du «néocon» arrogant à la Donald Rumsfeld…
Côté scénario et mise en images, rien à redire, c’est du travail de professionnel. Le récit est moins téléphoné, plus prenant qu’un GREEN ZONE beaucoup trop orienté vers le film d’action. Par ailleurs, FAIR GAME témoigne de cette capacité toujours étonnante des faiseurs de films américains à aborder les aspects les plus gênants de l’Histoire récente de leur pays. Liman et ses scénaristes s’intéressent avant tout au contrecoup du scandale sur la vie privée du couple Joe Wilson – Valerie Plame, victime d’une impensable chasse médiatique aux sorcières orchestrée depuis la Maison Blanche ; et au coût humain d’une aussi basse manœuvre de l’appareil d’état bushiste, sacrifiant sans remords une fonctionnaire intègre… et la vie de ses infortunés contacts en Irak, véritables dindons d’une farce bien cynique.
Cela justifie les colères de Wilson, campé par un Sean Penn au meilleur de sa forme, écœuré on s’en doute par l’attitude «aux ordres» d’une certaine presse américaine. On peut aussi voir d’ailleurs dans ces scènes une petite revanche personnelle de Sean Penn, qu’on sait politiquement engagé contre la Guerre d’Irak et la bande à Bush… et très remonté contre les attaques des médias à son encontre ! Le côté bouillant de la personnalité de Penn se conjugue très bien avec l’interprétation fine de Naomi Watts, «déglamourisée» et toute en retenue.
On pourrait croire un peu vite que FAIR GAME arrive après la bataille contre Georges la Bûche et son effarante clique liberticide, se drapant de patriotisme pour justifier ses pires décisions. La Maison Blanche a un nouveau locataire, vivement critiqué pour ses promesses non tenues, c‘est vrai. À l’heure où la crise boursière entraîne des ravages socio-économiques immenses, sur toute la planète, on peut évidemment croire qu’un tel film paraît bien dérisoire par son retour vers le proche passé. C’est oublier que, sous ses allures de simple thriller politique, FAIR GAME arrive à temps pour tirer de nouveau la sonnette d’alarme. Les Républicains fondamentalistes enragés, les Sarah Palin, Tea Party, Fox News et tant d’autres refont feu de tout bois, prêts à reconquérir «la Terre des Libertés». À sa modeste façon, le film de Liman est un avertissement salutaire contre ces dangereux personnages.
La note :
Ludovic Fauchier, à votre service.
La fiche technique :
FAIR GAME
Réalisé par Doug LIMAN Scénario de Jez BUTTERWORTH & John-Henry BUTTERWORTH, d’après les livres « The Politics of Truth » de Joseph WILSON et « Fair Game » de Valerie PLAME
Avec : Naomi WATTS (Valerie Plame), Sean PENN (Joe Wilson), Sam SHEPARD (Sam Plane), Ty BURRELL (Fred), Noah EMMERICH (Bill Johnson), David ANDREWS (Lewis «Scooter» Libby), Polly HOLLIDAY (Diane Plane), Bruce McGILL (Jim Pavitt), Liraz CHARHI (le Docteur Zahraa), Khaled NABAWY (Hammad), Adam LeFEVRE (Karl Rove), Kristoffer Ryan WINTERS (Joe Turner)
Produit par Jez BUTTERWORTH, Akiva GOLDSMAN, Doug LIMAN, Janet ZUCKER, Jerry ZUCKER, Gerry Robert BYRNE, Sean GESELL, Anadil HOSSAIN, David SIGAL et Kim H. WINTHER (River Road Entertainment / Participant Media / Imagenation Abu Dhabi FZ / Zucker Productions / Weed Road Pictures / Hypnotic / Fair Game Productions) Producteurs Exécutifs Mohamed Khalaf AL-MAZROUEI, Dave BARTIS, Kerry FOSTER, Bill POHLAD, et Mari-Jo WINKLER
Musique John POWELL Photo Doug LIMAN Montage Christopher TELLEFSEN Casting Joseph MIDDLETON
Décors Jess GONCHOR Direction Artistique Kevin BIRD Costumes Cindy EVANS
1er Assistant Réalisateur Kim H. WINTHER
Mixage Son Bob CHEFALAS et Drew KUNIN Montage Son Paul URMSON
Distribution USA : Summit Entertainment / Distribution FRANCE : UGC Distribution Durée : 1 heure 48