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Enfant des Vieux Jours – L’ETRANGE HISTOIRE DE BENJAMIN BUTTON

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L’ÉTRANGE HISTOIRE DE BENJAMIN BUTTON, de David Fincher  

L’Histoire :    

 

la Nouvelle-Orléans, fin du mois d‘août 2005. Alors que l‘ouragan Katrina s‘approche des côtes, une vieille femme, Daisy Fuller, se meurt dans son lit d’hôpital. Elle raconte à sa fille Caroline l‘histoire d‘un horloger aveugle, Gateau, qui fabriqua en 1918 la grande horloge de la gare centrale de la ville. Fou de chagrin d’avoir perdu son fils dans la Grande Guerre, Gateau conçut exprès l‘horloge de façon à ce qu‘elle tourne à l‘envers, en souvenir de tous les jeunes soldats morts au combat. Daisy demande à Caroline de lui lire un journal rempli de cartes postales et de photographies, ayant appartenus à un certain Benjamin Button…  

 

Celui-ci naquit la nuit de l‘Armistice, le 11 novembre 1918, dans la capitale de la Louisiane. Malheureusement, sa mère mourut en couches. Le père, Thomas, découvrit que le bébé était atteint d‘une étrange maladie : son aspect et sa condition physique étaient celles d‘un vieillard de 80 ans. Brisé par le chagrin, il faillit jeter le bébé dans le fleuve, avant de s‘enfuir devant un policier, et déposa finalement le nouveau-né sur le porche d‘un foyer pour personnes âgées. Un couple de domestiques Noirs, Queenie et Tizzy, le recueillirent. Stérile, Queenie décida de garder et d‘élever le bébé, qu‘elle nomma Benjamin, comme son propre fils, malgré le désaccord de Tizzy…  

Au fil des années, le petit Benjamin vit dans le paisible hospice, élevé avec tendresse par Queenie. En grandissant, il garde son aspect et ses déficiences de vieillard, mais se rend compte peu à peu qu’il rajeunit ! Curieux du monde extérieur, Benjamin fait une série de rencontres qui vont bouleverser sa vie. Il fait la connaissance de Daisy, une fillette de son âge, qui devient sa meilleure amie. À 15 ans, il rencontre Ngunda Oti, un Pygmée, jadis vedette d’un zoo humain, dont les récits de voyage enflamment son imagination. Benjamin rencontre aussi « Captain Mike » Clarke, un marin pilote de remorqueur, qui devient son ami et l’entraîne dans les quartiers chauds de la Nouvelle-Orléans. Thomas, son père qu’il n’a jamais connu, le retrouve et sympathise avec lui – sans lui dire qui il est. En 1936, Benjamin, qui continue à rajeunir d’année en année, décide de quitter l’hospice, et part sur le remorqueur de Mike, le Chelsea, pour voir le monde…  

la Critique :  

La messe est dite. Bien que la cérémonie des Oscars n’ait lieu que dimanche, les pronostiqueurs autodésignés « experts » du Net annoncent déjà la victoire de SLUMDOG MILLIONNAIRE comme meilleur film et de Mickey Rourke comme meilleur acteur. N’ayant toujours pas vu le premier, sorti depuis plusieurs semaines, ni THE WRESTLER, je me garderai de tout commentaire à leur sujet. Il me semble cependant que le nouveau film de David Fincher, L’ÉTRANGE HISTOIRE DE BENJAMIN BUTTON conserve toutes ses chances, mais la vox populi a parlé… un peu hâtivement. Pensez donc, avec ses 150 millions de dollars de budget, son casting en or et son cachet de superproduction hollywoodienne, BENJAMIN BUTTON devient paradoxalement le « vilain petit canard » par rapport à ses principaux concurrents, plébiscités pour le simple fait qu’ils représentent le Cinéma Indépendant dans toute sa gloire. Un cinéma forcément inattaquable et intouchable, car tellement dans l’air du temps (comprendre : à la mode, hype, comme on dit maintenant pour faire branché), et pas du tout manipulateur comme ces grosses machines indécentes en pleine crise financière mondiale, ma bonne dame…. Les coups de cœur du public et de la presse officielle mènent cependant régulièrement à de grosses erreurs de jugement. BENJAMIN BUTTON, derrière son apparence de film de studio, appartient totalement à son créateur David Fincher. Celui-ci a pris un gros risque en changeant de registre, quittant ses thrillers aux ambiances poisseuses pour un film inclassable, et passionnant à plus d’un titre.  

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Ci-dessus : la bande-annonce en VF de BENJAMIN BUTTON.    

À l’origine de BENJAMIN BUTTON, il y a une nouvelle de 11 pages signée du grand écrivain F. Scott Fitzgerald. Concise, pleine de la mélancolie typique de l’auteur de GATSBY LE MAGNIFIQUE, elle fait ici l’objet d’une adaptation fleuve, œuvre du talentueux scénariste oscarisé de FORREST GUMP, Eric Roth, à qui l’on doit aussi les scripts complexes de THE INSIDER/Révélations et ALI de Michael Mann et MUNICH de Steven Spielberg. Lequel Spielberg fut d’ailleurs longtemps intéressé par le scénario de Roth, avant de passer la main pour d’autres projets. Ses amis et collaborateurs de longue date, les producteurs Kathleen Kennedy et Frank Marshall, se sont tourné vers un autre virtuose de la caméra, David Fincher. En l’espace de 6 longs-métrages remarquables, le réalisateur de 47 ans s’est forgé une brillante réputation qui n’a rien d’usurpée. Voyez plutôt : ALIEN 3, brillante et funèbre conclusion de la trilogie horrifique spatiale (on oubliera les suites et fausses séquelles qui ont suivi) ; SEVEN, terrifiante descente aux Enfers, succès mondial qui a propulsé son réalisateur et son acteur vedette Brad Pitt au sommet ; THE GAME, thriller énigmatique, glaçant et intrigant, malgré une conclusion peu crédible ; le virulent, caustique et politiquement incorrect FIGHT CLUB, digne héritier de l’ORANGE MÉCANIQUE de Stanley Kubrick ; PANIC ROOM, thriller claustrophobe plus classique, solidement mené, malgré une débauche de prouesses visuelles superflues ; et le magistral ZODIAC sorti l’an dernier, reconstitution angoissante et palpitante d’une vraie chasse au tueur en série dans la Californie des années 70. Une filmographie très riche donc, où Fincher excelle à créer des atmosphères inquiétantes, un style exigeant propice aux expérimentations cinématographiques les plus poussées, et tire généralement le meilleur de ses acteurs. BENJAMIN BUTTON lui permet de sortir de ses univers de thrillers, tout en lui offrant, à travers un scénario complexe, un nouveau jeu de signes et d’indices cachés des plus habiles. Le tout dissimulé dans un film atypique, à la fois drame intimiste, épopée, romance mélancolique, comédie et fantaisie.  

 

BENJAMIN BUTTON, c’est d’abord une histoire où le Temps règne en maître. Sur la vie et la mort de Benjamin Button et Daisy Fuller, mais aussi sur l’histoire d’une ville, La Nouvelle-Orléans, et sur la grande Histoire elle-même. Dès les premières minutes, et l’étrange récit fait par une vieille femme mourante, Fincher et Roth nous emmènent dans leur univers et leurs obsessions. À la fin de la Grande Guerre, l’horloger aveugle Gateau, accablé par le chagrin d’avoir perdu son fils au combat, fabrique une horloge pour la gare de la Nouvelle-Orléans. Celle-ci tourne à l’envers, exprimant la douleur inconsolable de Gateau, personnage mystérieux dont l’œuvre influera sur le cours de la vie du héros… Durant ses 85 années d‘existence, Benjamin Button (dont la propre horloge interne, biologique, est inversée) va traverser les périodes historiques ; né la nuit de l’Armistice du 11 novembre 1918, il va connaître la Grande Dépression, la 2e Guerre Mondiale, les années de liberté des sixties… jusqu’à son récit posthume, partagé par Daisy et sa fille Caroline alors que l’Ouragan Katrina s’apprête à dévaster La Nouvelle-Orléans, ce 29 août 2005.  

 

Le Temps rassemble Benjamin et Daisy, depuis l’enfance, où leur affection réciproque naît autour d’un conte où une horloge joue un grand rôle, jusqu’à l’âge adulte, où il goûteront quelques années d’un bonheur conjugal bien bref, avant la vieillesse inéluctable qui va rendre leur relation encore plus bouleversante.

L’élément Temps est lié à la Mort, omniprésente dans ce récit où Benjamin passe ses jeunes années dans une maison de retraite paisible, où la vie est comme suspendue entre deux décès des locataires, visités dans leur sommeil par la « Vieille Amie » faucheuse de vies. C’est aussi le Temps suspendu dans les rencontres nocturnes entre Benjamin et Elizabeth Abbott, la distinguée britannique avec qui il a une liaison à Mourmansk, en URSS, à la fin des années 30. Une liaison qui n’existe que durant les longues heures nocturnes partagées dans les couloirs d’un hôtel fantomatique… C’est aussi le Temps passé, évoqué par Thomas, le père de Benjamin, inconsolable de la mort de son épouse et hanté par son passé. Il est aussi énormément question de Destin et d’immortalité, notions évoqués par le personnage du marin alcoolique, « Captain Mike », obnubilé par les battements d’ailes du colibri (qui forment le parfait symbole de l’Infini) et les références mythologiques aux Parques (lorsqu’il meurt dans les bras de Benjamin après l’attaque de l’U-Boot). Les apparitions du colibri, en deux moments-clés du récit, symbolisent ici la libération de l’âme, l’achèvement d’un cycle inéluctable représenté par l’Horloge de Mr. Gateau. On notera au passage une possible référence faite par Fincher à un de ses films favoris, BLADE RUNNER de Ridley Scott, où l’envol final d’une colombe évoquait la même idée. De même, la très belle scène du décès de Benjamin n’est pas sans évoquer un autre de ses films favoris, 2001 : L’ODYSSÉE DE L’ESPACE de Stanley Kubrick. Benjamin vieillit en redevenant un nourrisson, dont l’ultime regard plein de douceur et d’interrogation à Daisy renvoie à celui que nous adressait l’astronaute Bowman devenu Enfant des Étoiles à la fin du chef-d’œuvre de Kubrick. L’idée étant la même, à savoir que le héros, au terme de son voyage, a réussi à fermer le cycle du Destin et connaît une renaissance symbolique.  

 

Le récit du film est aussi un véritable jeu de piste et de signes à décoder pour le spectateur. Le titre original, THE CURIOUS CASE OF BENJAMIN BUTTON, est déjà une énigme en soi. David Fincher aime les titres « cryptés » (voir plus haut), et celui-ci n’y fait pas exception. Le « curious case » du titre original peut se traduire à la fois comme « le cas curieux » médical de Benjamin, né avec les déficiences d’un vieillard (on pense à la terrible maladie du Progéria, bien que le scénario évite tout pathos ou référence appuyée). Il peut aussi être traduit comme « l’affaire juridique curieuse » évoquant peut-être la question de l’héritage financier légué par le père de Benjamin, et l’héritage spirituel que celui-ci laisse à Caroline. Mais « case » en anglais désigne aussi une valise, une mallette ou une sacoche… comme celle que Daisy garde à l’hôpital, remplie des souvenirs de son défunt amour !  

Le nom du héros aussi est un véritable « code » que Fincher et Roth affichent sous nos yeux. Le nom de famille, « Button », évoque le métier de Thomas, le père de Benjamin. Il dirige une fabrique de boutons, ironiquement nommée « les Boutons Button » ! Manière de suggérer la dualité de ce père qui le rejette puis l’aime, ou d’évoquer les répétitions qui jalonnent la vie de Benjamin. Fincher s’amuse d’ailleurs avec les boutons, en refaisant les logos des studios ouvrant le film… Benjamin possèdera plus tard un yacht, le « Button Up » (en anglais, « buttoned up » signifie à la fois « boutonné jusqu’au cou » et « silencieux, renfermé », ce qui correspond bien au caractère du personnage). Ces boutons, omniprésents dans le film, symbolisent les choses les plus anodines du quotidien, peut-être représentent-ils l’aspect apparemment insignifiant du petit Benjamin, nouveau-né difforme que tout le monde croit condamné à mourir vite. Mais ils ont aussi une valeur historique forte. Les plus anciens boutons auraient été fabriqués deux millénaires avant notre ère, dans la Vallée de l’Indus. À la fin de son odyssée, Benjamin va justement passer ses dernières années de voyage en Inde, aux origines de l’Histoire Humaine…  

Le prénom du héros est lui aussi fortement symbolique. Sa mère adoptive, Queenie (formidable Taraji P. Henson), fervente chrétienne, lui choisit celui de Benjamin. Ce n’est pas par hasard. Dans l’Ancien Testament, Benjamin est le dernier-né de Jacob et Rachel, les parents fondateurs d’Israël. Celle-ci mourut en couches après l’avoir engendré. Comme Mrs. Button, la mère biologique, dans le film ! Benjamin est essentiellement évoqué enfant dans l’Ancien Testament, restant aux côtés de son père jusqu’à sa mort – à l’instar de Benjamin qui veille sur son père mourant dans le film. Le prénom Benjamin signifie plusieurs choses : « fils de la droite » (comprendre : le côté favorable, sans connotation politique !), mais aussi « enfant de la souffrance », ou « fils des vieux jours »… Une définition profondément mélancolique, qui va parfaitement à Benjamin Button, hanté par les figures maternelles : sa vraie mère, morte à sa naissance ; Queenie, qui est stérile pendant des années avant de donner naissance à une fille ; et Daisy, qui manque de perdre leur bébé à la naissance (reflet de la mort de la mère de Benjamin) avant de finir par materner Benjamin dans ses derniers mois, comme une figure inversée de la Nativité…  

D’autres symboles forts traversent le film : telle la répétition des personnages handicapés par une blessure à la jambe. Enfant, Benjamin est paralysé, puis apprend à marcher avec des béquilles avant d’arriver à être autonome (cela n’est pas sans rappeler le scénario de FORREST GUMP, où le jeune héros se libère symboliquement de ses entraves aux jambes) ; il retrouvera après la guerre son père devenu boiteux et incapable de marcher seul ; et Daisy voit sa carrière de danseuse brisée par un accident qui lui laisse une jambe en miettes.  

 

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Ci-dessus : pas d’extrait de film, mais un aperçu de la très belle musique de BENJAMIN BUTTON, signée du compositeur français Alexandre Desplat. Il s’agit de la piste 2 du CD, intitulée « Mr Gateau ».  

 

Autre élément omniprésent au récit, l’Eau, qui manifestement obsède Fincher dans ses films. Petit rappel dans ses autres films : l’eau est fatale à l’Alien ; le taxi qui entraîne Michael Douglas dans les eaux de la Baie de San Francisco dans THE GAME ; l’accident automobile fatidique, sous la pluie battante, de FIGHT CLUB ; la pluie incessante qui tombe dans SEVEN et PANIC ROOM ; et les meurtres du Zodiaque, survenant auprès d’un point d’eau (la terrifiante scène du Lac Berryessa)… Le cadre de la Nouvelle-Orléans se prête admirablement bien à cet élément naturel si important. L’horloger disparaît sur une barque dans les flots ; Thomas songe à noyer Benjamin nouveau-né dans le fleuve ; Benjamin découvre ses changements physiques dans la salle de bain ; il s’émancipe en travaillant sur l’eau, à bord du remorqueur de Mike, puis voyage sur les océans avec lui (jusqu’à l’affrontement épique avec un sous-marin allemand entouré de cadavres) ; Thomas meurt au bord du Lac Pontchartrain ; Daisy se livre à une danse séductrice sous une pluie nocturne… jusqu’au grand finale du film, situé sous le déchaînement de l’Ouragan Katrina, et ce magnifique dernier plan de l’horloge engloutie dans les eaux…  

On s’amusera aussi des clins d’œil que Fincher adresse à ses connaisseurs. Septième long-métrage du cinéaste, BENJAMIN BUTTON ne peut pas manquer d’évoquer le premier succès de Fincher et son acteur favori, Brad Pitt, parfait de bout en bout. Dans la savoureuse séquence du Guérisseur de la Foi, le petit Benjamin donne son âge au prêtre. « Seven, I think » en VO ! Un leitmotiv qui revient dans les moments humoristiques, amenés par le retraité Mr. Dawes, l’homme qui a été frappé sept fois par la foudre ! L’occasion pour Fincher de créer d’hilarantes petites saynètes en noir et blanc, montrant les mésaventures « électrisantes » de Mr. Dawes, à la façon de Buster Keaton. Rires garantis à chaque fois !  

 

On l’aura compris, le scénario d’Eric Roth est particulièrement dense, intelligent et bien conçu. Il y a certes une ressemblance déjà évoquée avec certains éléments narratifs de FORREST GUMP. Le chef-d’œuvre de Robert Zemeckis et BENJAMIN BUTTON partagent bien des points communs : on y suit le voyage d’une vie fait par un homme « anormal », orphelin et innocent, qui va rencontrer dès l’enfance son grand amour. Les deux histoires se passent en grande partie dans le Vieux Sud des USA (Alabama chez GUMP, Louisiane chez BUTTON), le héros y perd son meilleur ami durant la guerre (mort de Bubba au Viêtnam ; mort de Mike durant la 2e Guerre Mondiale) et traverse l’Histoire de son pays…

Il ne faut cependant pas y voir un plagiat, plutôt un lien de parenté scénaristique – et le traitement par les cinéastes fait la différence. Robert Zemeckis a une sensibilité humoristique très forte, lumineuse, qui fait « passer la pilule » des moments plus tristes, tandis que Fincher se montre plus mélancolique, « obscur ».  

 

S’il fallait adresser un réel reproche à BENJAMIN BUTTON, ce serait plutôt sur sa partie « romantique ». Après le premier acte impeccablement mené et raconté, riches en péripéties et surprises, l’histoire d’amour de Benjamin et Daisy, paraît fade en comparaison. On sent que Fincher n’est pas autant à l’aise qu’avec son premier acte, les « love stories » n’étant pas ce qui l’intéresse dans son univers cinématographique. Elles ne sont pas bien brillantes, et ne finissent pas par des happy ends : la liaison de Ripley et Clemens, dans ALIEN 3, est brutalement écourtée par le monstre ; les Mills, dans SEVEN, sont un jeune couple pas si heureux que ça, et connaissent une fin horrible ; les Graysmith verront leur histoire rompue par l’obsession du mari pour les meurtres du ZODIAC. Les réconciliations dans FIGHT CLUB et PANIC ROOM sont pour le moins sanglantes. Nicholas Van Orton, le protagoniste de THE GAME, a bien une attirance pour la jolie fausse serveuse Christine, mais le réalisateur nous laisse dans l’incertitude…

On le voit, le bilan des couples « finchériens » n’est pas joyeux ! La donne change quelque peu avec BENJAMIN BUTTON, où l’histoire d’amour est le noyau central du récit. Mais le pessimisme est une nouvelle fois présent, malgré la douceur apparente. Fincher tente des « trucs » et astuces narratives pour faire passer la sauce – comme de décrire l’enchaînement d’incidents qui va mener à l’accident de Daisy à Paris. Une séquence réussie mais qui, curieusement, fait plus penser alors à AMÉLIE POULAIN qu’autre chose… Heureusement, ces trouvailles, qui traduisent peut-être le malaise du réalisateur à raconter une simple histoire d’amour, passent, grâce à l’alchimie et la présence du couple Brad Pitt – Cate Blanchett. Aussi bancal soit-il, ce deuxième acte est en tout cas nécessaire pour nous amener à une conclusion émouvante, d’une grande tristesse poétique, où Fincher ne joue plus « à l’épate » et touche au cœur même de son sujet : Daisy, vieille femme, sacrifie son amour pour Benjamin, devenant sous nos yeux ce nourrisson de 85 ans, et veille sur lui dans ses derniers instants. Image sublime où le dernier regard de Benjamin est pour cette vieille dame qu’il continue à aimer et reconnaître, malgré la détérioration de sa mémoire…  

 

 

Ce tour d’horizon de BENJAMIN BUTTON ne serait pas complet sans évoquer ses personnages secondaires. Nous en avons cité quelques-uns (Queenie, Thomas, Mr. Dawes), mais il faudrait en citer d’autres, tout aussi importants. Tel Oti, le Pygmée, qui a fait partie d’un Zoo Humain (ces spectacles étaient hélas monnaie courante il y a encore un siècle) et entraîne Benjamin hors de la maison de retraite pour découvrir la ville. Benjamin l’accompagne même sur les sièges du tramway réservé aux Noirs (la ségrégation fonctionne encore à ce moment du récit) sans ressentir la moindre gêne : né d’une riche famille Blanche mais élevé par une domestique Noire, il est membre à part entière de la communauté de sa mère adoptive ! On citera aussi le compagnon de Queenie, Tizzy, domestique lui aussi, mais passionné de théâtre et de poésie (il joue Shakespeare à merveille, devant un Benjamin stupéfait !) ; Elizabeth, la « Dame Fantôme » de Mourmansk, à qui Tilda Swinton prête ses traits aristocratiques (et dont la distinction et le physique androgyne la fait ressembler à Cate Blanchett, ce qui est sans doute délibéré de la part du réalisateur – toujours cette obsession pour la dualité et les effets de miroir…) ; le marin Captain Mike, personnage truculent « à l’Irlandaise », joué par l’excellent Jared Harris, a des allures de Michel Simon dans L’ATALANTE avec ses tatouages. Bien d’autres personnages, apparemment mineurs, ont aussi leur importance. Comme la prostituée qui déniaise Benjamin, mais, se trompant sur son âge, est épuisée par ce dernier ! Ou ce canonnier Cherokee, si fier d’être le plus patriote à bord du remorqueur de Captain Mike… Ou encore le Guérisseur de la Foi, à qui Fincher et Roth réservent une « chute » des plus caustiques…  

Si les acteurs des seconds rôles sont tous excellents, bien entendu, ce sont Brad Pitt et Cate Blanchett qui attirent les regards. Déjà très bons ensemble dans BABEL d’Alejandro Gonzalez Inarritu (où jouait la petite Elle Fanning, leur fille dans ce film, et qui interprète ici le rôle de Daisy enfant), les deux comédiens s’entendent visiblement à merveille. Ils sont tous deux extraordinaires ici ; la performance technique et les maquillages « vieillissants » sont vite oubliés, et, en quelques secondes, Brad Pitt nous convainc d’être cet « enfant vieillard » sans donner l’impression de forcer son talent. Il a trouvé le ton juste pour camper un personnage sensible, contemplatif, triste mais jamais mièvre. Cate Blanchett, elle, dégage à chaque scène une grâce surnaturelle, digne d‘une Greta Garbo… par une intonation, un geste, un regard, elle peut nous fait ressentir la douceur ou la douleur de Daisy. Immense actrice, dont le jeu subtil surprend à chaque nouveau rôle.  

 

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Ci-dessus : comment Brad Pitt réussit-il à incarner un enfant au corps de vieillard ? Ce petit reportage tv (en VO non sous-titré) vous donne la réponse. Les effets spéciaux du film combinent des acteurs-doublures, et des répliques digitales du visage de l’acteur maquillé par procédé numérique. Un résultat final absolument bluffant !  

 

Du côte de la mise en scène de Fincher, rien à redire non plus. BENJAMIN BUTTON confirme une nouvelle fois l’immense talent de metteur en images du cinéaste de FIGHT CLUB. L’expérimentation technique est toujours poussée et fascinante chez lui ; heureusement, au contraire d’un PANIC ROOM parasité par ses prouesses visuelles excessives, Fincher a su ici trouver le bon dosage. Les effets ne prennent pas ici le pas sur la dramaturgie et les personnages. Leur force vient de leur « invisibilité » : on se doute bien que Brad Pitt n’a pas vieilli et rapetissé prématurément pour les besoins du rôle, on devine qu’il y a bien des effets spéciaux très complexes (le fin du fin en matière de maquillages, d‘animatronique et de motion capture), mais on les oublie aussitôt. C’est tout simplement bluffant, tout comme la reconstitution d’une Nouvelle-Orléans des années 20 à nos jours, qui semble des plus naturelles. Le talent de Fincher éclate aussi dans l’ambiance nocturne hivernale de Mourmansk ; ainsi que dans la gestion d’un spectaculaire combat marin contre un U-Boot, séquence particulièrement intense. Saluons aussi enfin la maîtrise au millimètre de l’espace par Fincher, dans les séquences closes de la maison de retraite (son utilisation de la scénographie mériterait un livre entier), et le superbe travail du chef-opérateur Claudio Miranda, qui nous livre des scènes en clair-obscur absolument superbes.  

 

Même s’il souffre d’un défaut de longueur (vous êtes prévenus, trouvez-vous une salle confortable, sinon le « Syndrome du Mal aux Fesses » risque de frapper en cours de route !), BENJAMIN BUTTON est une expérience vraiment fascinante. Pour ses acteurs, son ambiance unique et sa grande force symbolique, le film mérite mieux que son étiquette hâtive de « Film à Oscars ». Fusion réussie entre le grand spectacle et les obsessions de son maître d’œuvre, il vous invite à un voyage inhabituel. Intemporel.  

 

ma note :  

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Ocivodul fo Esac Suoiruc Eht  

la Fiche Technique :  

 

THE CURIOUS CASE OF BENJAMIN BUTTON / L’Étrange Histoire de Benjamin Button  

Réalisé par David FINCHER   Scénario d’Eric ROTH, d’après la nouvelle de F. Scott FITZGERALD  

Avec : Brad PITT (Benjamin Button), Cate BLANCHETT (Daisy Fuller), Jared HARRIS (« Captain Mike » Clarke), Taraji P. HENSON (Queenie), Julia ORMOND (Caroline), Tilda SWINTON (Elizabeth Abbott), Mahershalalhashbaz ALI (Tizzy), Jason FLEMYNG (Thomas Button), Elias KOTEAS (Monsieur Gateau), Rampai MOHADI (Ngunda Oti), Elle FANNING (Daisy à 7 ans), Fiona HALE (Mrs. Hollister), Madisen BEATY (Daisy à 10 ans), Ted MANSON (Mr. Daws)  

Produit par Cean CHAFFIN, Kathleen KENNEDY, Frank MARSHALL, Jim DAVIDSON et Marykay POWELL (The Kennedy/Marshall Company / Paramount Pictures / Sessions Payroll Management / Warner Bros. Pictures)   

Musique Alexandre DESPLAT   Photo Claudio MIRANDA   Montage Kirk BAXTER et Angus WALL   Casting Laray MAYFIELD  

Décors Donald Graham BURT   Direction Artistique Tom RETA et Kelly CURLEY   Costumes Jacqueline WEST  

1er Assistant Réalisateur Bob WAGNER   Réalisateur 2e Équipe Tarsem SINGH (Inde)  

Mixage Son Ren KLYCE, David PARKER et Michael SEMANICK   Montage Son et Effets Spéciaux Sonores Ren KLYCE   Effets Spéciaux Visuels Eric BARBA, Craig BARRON, Charlie ITURRIAGA, Matt McDONALD, Daniel P. ROSEN et Edson WILLIAMS (Digital Domain / Matte World Digital / Asylum VFX / Eden FX / Evil Eye Pictures / Gentle Giant Studios / Hydraulx / Lola Visual Effects / Mova / Ollin Studio / Savage Visual Effects / Special Effects Atlantic)   Effets Spéciaux de Maquillages Greg CANNOM et Brian SIPE (Drac Studios)   Effets Spéciaux de Plateau Burt DALTON et Ryal COSGROVE   Effets Spéciaux Animatroniques Jim KUNDIG  

Distribution USA : Paramount Pictures / Distribution INTERNATIONAL : Warner Bros. Pictures  

Durée : 2 heures 46

La Morsure de Fenris – WALKYRIE

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WALKYRIE, de Bryan Singer  

L’Histoire :  

 

reconstitution de l’histoire vraie de l‘Opération Valkyrie, connue sous les noms de « Complot des Généraux » ou « Complot du 20 Juillet 1944 ».

 

1943, la 2e Guerre Mondiale bat son plein. Le Lieutenant-colonel Klaus Schenk von Stauffenberg, jeune officier aristocrate allemand prussien, a été transféré du front russe vers l’Afrique du Nord, pour avoir osé critiquer la politique guerrière de Hitler. Comme de nombreux officiers hauts placés dans la Wehrmacht, patriotes conservateurs mais non inscrits au Parti Nazi, et hostiles comme lui à la S.S., Stauffenberg estime que la politique raciste et meurtrière du IIIe Reich est une honte et une souillure pour l’Allemagne. Le 7 avril 1943 à Mezzouna en Tunisie, une attaque aérienne des Britanniques contre sa division le laisse vivant, mais gravement blessé et mutilé. Rapatrié dans un hôpital militaire en Allemagne, il retrouve son épouse Nina, et leurs enfants. Durant ses combats en Russie et en Afrique du Nord, il a pu aussi constater les terribles dégâts humains engendrés par la folie guerrière de Hitler et ses complices : les massacres de population civiles, le génocide des Juifs d’Europe centrale, des milliers de jeunes soldats allemands gravement blessés ou mutilés, et d’innombrables morts au combat dans chaque camp. Les bombardements Alliés ravagent les villes allemandes, entraînant aussi des milliers de morts parmi la population civile. 

 

Une connaissance de Stauffenberg, le Général Henning von Tresckow, de la Wehrmacht, est lui aussi révolté par la folie meurtrière du règne de Hitler. Le 13 mars 1943, il tente de le tuer en plaçant une bombe dans son avion, mais échoue dans son action. Se sachant fortement suspecté après cet échec, von Tresckow rencontre en grand secret plusieurs officiels allemands ; notamment le Général Friedrich Olbricht, l’ancien général Ludwig Beck, retraité de la Wehrmacht, et le Docteur Carl Goerdeler, maire de Leipzig. Ces hommes sont prêts à aller jusqu’au bout pour sauver l’Allemagne du dictateur, et éliminer celui-ci. Mais il leur faut un plan solide pour déjouer l’implacable appareil d’Etat du IIIe Reich et sauver leur patrie. Von Tresckow contacte Stauffenberg, qui accepte de se joindre à eux. Le jeune officier est décidé à tuer non seulement Hitler, mais aussi à mettre le IIIe Reich hors d’état de nuire. Autrement dit, il leur faudra arrêter ou éliminer coûte que coûte les principaux alliés de Hitler – Goebbels, Himmler et Goering, neutraliser la redoutable Gestapo et discréditer le corps meurtrier et fanatique des S.S.  

 

L’Opération Valkyrie, ainsi nommée d’après un plan d’urgence civile supposé au départ protéger Hitler, est lancée…  

la Critique :  

Marre. J’en ai tout simplement marre de lire, voir et entendre les mêmes inepties satisfaites ressurgir automatiquement, dès lors qu’il s’agit d’évoquer la sortie de chaque nouveau film ayant Tom Cruise pour vedette… A chaque fois, les pisse-copies professionnels de la presse française nous sortent le refrain traditionnel : Tom Cruise est le porte-parole de la Scientologie, Tom Cruise gagne des millions de dollars, Tom Cruise est adoré des foules, donc forcément Tom Cruise vide le cerveau de ses fans et de ses spectateurs depuis deux décennies pour enrichir sa secte, et gnagnagni et gnagnagna… Tom Cruise faux gentil, Tom Cruise manipulateur, Tom Cruise maléfique… à chaque fois, les mêmes articles haineux et bien rances, dissimulés derrière un voile de prétendue intelligence critique, cachent en fait des torrents de venin faciles à déverser sur la star et son « culte » certes dangereux…  

Comprenons-nous bien, il ne s’agit pas du tout ici de présenter Tom Cruise comme un saint homme, tout comme il n’est absolument pas question de défendre la Scientologie. Comme toutes les sectes, cette pseudo-religion, redoutable parce que financièrement puissante, et hélas admise aux USA comme une « vraie » religion, est néfaste parce qu’elle exploite des personnes influençables et s’enrichit au dépens de leur santé mentale. D’autant plus dangereuse qu’elle se sert d’acteurs prestigieux comme porte-paroles « cleans », rassurants et appréciés du grand public, tels Cruise ou John Travolta. Tout ceci est une évidence admise. Il ne s’agit pas non plus, on l’a dit, de chanter aveuglément les louanges de Tom Cruise, de décréter que tout ce qu’il a fait ou dit est forcément parfait et inattaquable. L’acteur-producteur n’a pas fait toujours des choix artistiques heureux - personnellement, je me passerais volontiers de ses productions Bruckheimer (TOP GUN et JOURS DE TONNERRE), de MISSION : IMPOSSIBLE 2 ou de VANILLA SKY… On peut aussi comprendre l’irritation de certains envers le besoin, presque obsessionnel, que semble éprouver Cruise à contrôler sa propre image de méga-star irréprochable. Mais il ne faut pas oublier que dans l’univers impitoyable du show-business, tous les collègues de Cruise procèdent de la sorte. On ne leur pardonne pas le moindre écart de conduite – voir les réactions disproportionnées qu’a déclenché le comédien en 2006 lorsqu’il a eu l’idée de sauter de joie sur le canapé de l’émission d’Oprah Winfrey…  

Mais, objectivement, est-ce que vous pensez qu’un acteur puisse se maintenir au sommet de sa profession pendant plus de 25 années, uniquement parce qu’il a le soutien d’une secte ? Quand on étudie la liste des cinéastes avec qui Cruise a travaillé, on ne trouve pratiquement que des personnalités fortes, pas des yes men sans âme et aux ordres. Tom Cruise sait prendre des risques, et se confronter à des metteurs en scène exigeants n’hésitant pas à souvent casser son image immaculée. Voyez plutôt : Francis Ford Coppola, Ridley Scott, Martin Scorsese, Oliver Stone, Barry Levinson, Ron Howard, Brian De Palma, Stanley Kubrick, Steven Spielberg, et bien d’autres… ces hommes-là ne travaillent pas avec Cruise pour servir la soupe à la Scientologie. Ces cinéastes connaissent les qualités de l’acteur, et ont un réel désir de travailler avec lui pour livrer la meilleure oeuvre possible. A savoir, faire du vrai Cinéma ! Ce que les plumitifs de service semblent incapables de comprendre, focalisés sur leur seul envie de vomir leur mauvaise foi et leur cynisme de pacotille, dissimulé sous l’apparence de la vertu. Au moins, s’ils faisaient leur travail sérieusement, ils oseraient peut-être s’attaquer de front au système Scientologue, à son fondateur (le médiocre écrivain L. Ron Hubbard) et aux mécanismes de ses dangereux procédés. Mais non, il est tellement plus facile de s’en prendre à Tom Cruise… Les petits journalistes se rendent-ils compte au moins qu’en procédant de la sorte, ils ne font qu’alimenter la paranoïa et le sentiment de persécution de la secte, lui font de la publicité, et causent du tort à ses victimes ? Qu’on donne les moyens aux spécialistes de la lutte contre les sectes de combattre celle-ci efficacement, avec intelligence et humanité. Tout, sauf cette médiocrité crasse dans les attaques. Si Tom Cruise considère qu’il adhère à une religion, non à une secte, tant pis (répétons-le, les chefs de la Scientologie ont hélas le droit américain pour eux). Qu’on n’en déduise pas hâtivement que tous ses admirateurs soient des lobotomisés volontaires, se prosternant devant chacune de ses apparitions. Un peu de respect, messieurs les plumitifs, pour ceux qui aiment simplement ses films et apprécient son travail !  

… Ouf, ça fait du bien parfois de pousser un coup de gueule. Pardonnez-moi cette entrée en matière un poil trop longue, mais il fallait bien que je commence de cette façon, vu l’hostilité malhonnête avec laquelle certains ont accueilli le nouveau film de l’ami Tom, WALKYRIE, mis en scène par Bryan Singer. Dans ce blog, j’essaie de mon mieux de parler de Cinéma, mais vu l’imbécillité de certaines critiques officielles publiées au sujet de ce film comme de tant d’autres, je me sens l’envie de ne pas braire avec les ânes…  

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Ci-dessus : la bande-annonce de VALKYRIE en VOST. 

Parlons de WALKYRIE, donc. L’annonce de la production du film de Bryan Singer allait déjà, on s’en doutait, provoquer polémique et suspicion. Des voix se sont élevées pour protester en Allemagne, d’une part parce que le sujet touchait à une période historique, le IIIe Reich, toujours délicate à traiter outre-Rhin, et d’autre part parce que Tom Cruise, en sa position de porte-parole scientologue, est régulièrement critiqué et menacé de boycott en Allemagne – inefficacement d’ailleurs, vu le succès du film au box-office national ! Vous pouviez être sûrs qu’à l’idée de voir Tom revêtir l’uniforme de la Wehrmacht sous la 2e Guerre Mondiale, les esprits chagrins étaient prêts à brandir l’artillerie de la FLAK contre leur bouc émissaire préféré… De même, les difficultés connues par Singer durant le tournage (la réticence des autorités à laisser tourner l’équipe dans le Bendlerblock - mémorial des officiers qui tentèrent de tuer Hitler et furent exécutés – ; l’accident suspect d’un groupe de figurants tombés d’un camion, et qui portèrent plainte contre la production ; la pellicule du film inexplicablement gâchée au développement dans un laboratoire allemand, obligeant Singer à effectuer des reshoots coûteux ; l’annonce du report de la date de sortie par le studio MGM) laissaient craindre la naissance d’un film « maudit » synonyme d’échec au box-office et de coup d’arrêt pour Tom Cruise. Mais c’était bien mal estimer la force d’un film remarquable, maîtrisé de bout en bout, et bien accueilli partout dans le monde – sauf par certains « professionnels » de la critique, sans doute bien plus borgnes que le Colonel Klaus Schenk von Stauffenberg, héros réel de cette tragique affaire.  

Encore jeune (44 ans), le réalisateur Bryan Singer n’est plus un inconnu du public. Son second long-métrage et film le plus célébré, USUAL SUSPECTS (1995), avait révélé son talent évident après un premier, PUBLIC ACCESS (Ennemi Public, 1993) passé inaperçu. USUAL SUSPECTS, mélange adroit de film noir et de thriller « déconstruit » avait gagné un statut de film « culte » pas immérité, en dépit d’un script à la conclusion roublarde quelque peu surestimée. Au moins, il fallait reconnaître à Singer un évident talent pour composer des ambiances tendues, et développer des personnages complexes évoluant en groupe – un futur point commun que le film partagerait avec WALKYRIE. Le film suivant, UN ELEVE DOUE (1998), tomba hélas quelque peu aux oubliettes, le sujet du film (un adolescent fasciné par le nazisme joue au maître-chanteur avec un vieillard, ancien criminel de guerre SS réfugié aux USA) ayant sans doute rebuté le public. Dominé par la prestation terrifiante de Ian McKellen, UN ELEVE DOUE évoquait pour la première fois l’univers sinistre du IIIe Reich dans le cinéma de Singer, réalisateur Juif ouvertement homosexuel, forcément hostile aux théories ignobles développées par les Nazis. Et qui pose aussi comme thème dans ses films la question de la résistance au Mal absolu. La folie homicide du Nazisme reviendra également dans son film suivant, X-MEN (2000). Une adaptation réussie et plutôt sombre du célèbre comic-book coloré de Marvel, débutant de façon inattendue par une séquence mémorable située au coeur de la Shoah. Renversant les principes manichéens des b.d. de super-héros, Singer n’hésitait pas à montrer les origines du super-vilain du film, Magnéto, et la naissance de ses pouvoirs, dans une scène dramatique où il assiste, enfant, à l’extermination de ses parents dans un camp de concentration. Si le reste du film et sa suite de 2003 se montraient plus conventionnels (action, effets spéciaux et explosions), le savoir-faire technique de Singer et son sens du casting (c’est lui qui a lancé Hugh Jackman !) faisaient la différence. Singer est devenu une valeur sûre du box-office et des blockbusters, quitte à s’enfermer dans un SUPERMAN RETURNS (2006) décevant. La réalisation de WALKYRIE venait à point nommé pour que Singer puisse sortir des « films comic-books » et reconstituer un contexte historique qui visiblement l’obsède.  

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une scène supprimée du montage final : le Maréchal Keitel (Kenneth Cranham) évacue Hitler (David Bamber) blessé après l’attentat.    

La grande force du scénario de WALKYRIE, co-écrit par Christopher McQuarrie, l’auteur d’USUAL SUSPECTS, c’est son souci d’authenticité absolue, et le respect des faits. L’attentat manqué du 20 juillet 1944 contre Adolf Hitler, fomenté par des officiers de la Wehrmacht opposés politiquement à ce dernier, est connu du grand public, sans qu’il en sache forcément les détail. Le scénario rappelle un état de fait qui n’est pas inventé : durant cette triste époque, beaucoup d’Allemands n’étaient pas Nazis… et, au sein de la Wehrmacht, nombre d’officiers étaient hostiles au Führer et à ses complices. Il ne faudrait certes pas cependant « blanchir » toute la Wehrmacht des nombreux crimes de guerre auxquels elle a participé (du moins, ses officiers les moins scrupuleux), mais Singer et McQuarrie choisissent de suivre avant tout un cercle d’officiers n’adhérant pas au Parti Nazi… tout en pointant du doigt la situation contradictoire qu’ils pouvaient ressentir en prononçant le serment d’allégeance à Hitler, évoqué en ouverture. Ceux qui vont organiser l’Opération Walkyrie sont des patriotes mûs par le sens du devoir, mais pas des fanatiques ; ils proviennent, comme Klaus Schenk von Stauffenberg, de lignées de fiers officiers prussiens aristocrates, plus proches du Kaiser Guillaume II que de Hitler. Ennemis du régime obligés de cacher leur opposition à Hitler et les bouchers de la S.S., Stauffenberg, l’ex-général Ludwig Beck, le maire de Leipzig Carl Goerdeler (ces deux hommes constituant les leaders de la résistance civile et militaire au IIIe Reich), les Généraux von Tresckow, Olbricht, von Witzleben et tous leurs alliés sont les témoins lucides de la déliquescence du Reich, engagé dans une guerre sur plusieurs fronts qui saigne à blanc l’Allemagne. Dégoûtés des mensonges de Hitler et de la violence meurtrière des SS, ces hommes-là sont parfaitement conscients des actes à accomplir pour renverser la dictature et mettre fin au carnage. Tout ceci est dramatisé bien évidemment pour les besoins du film - car il faut bien que les créateurs du film expriment leur point de vue -, mais rien n’est inventé par les scénaristes. La seule modification majeure de WALKYRIE, par rapport aux faits, est effectuée dès le début du film : la blessure de Stauffenberg en Tunisie a eu lieu en fait le 7 avril 1943, trois semaines après l’attentat manqué du Général von Tresckow contre Hitler à Smolensk (13 mars 1943). Singer inverse délibérément la chronologie des deux évènements pour donner à son film une structure cyclique, qui concordera avec les dernières scènes. Nous allons y revenir, car ce choix de construction touche à un aspect essentiel du film : l’importance accordée à la mythologie nordique.  

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Ci-dessus : une photo historique montrant le Colonel Klaus Schenk von Stauffenberg et l’un de ses complices, le Colonel Albrecht Mertz von Quirnheim.  

Le titre du film renvoie certes au nom de l’opération secrète qui devait abattre Hitler, ce 20 juillet 1944. Mais au fait, qu’est-ce qu’une Walkyrie ? Dans les légendes nordiques, elles sont les écuyères du dieu Odin, et conduisent les guerriers morts bravement au combat, les Einherjar, au Walhalla. Elles sont aussi des Dises – comme leurs soeurs, les Nornes, qui tissent la vie et le destin de chaque homme à l’instar des Parques dans la mythologie Grecque. On touche là une notion fondamentale au récit de WALKYRIE : l’importance du Destin. Un thème prisé du grand compositeur allemand Richard Wagner, qui livra une magnifique Tétralogie illustrant la destinée des Dieux germanisés (Odin devenant Wotan), dont le plus célèbre morceau, la Chevauchée des Walkyries, titille nos mémoires de cinéphiles (allez, souvenez-vous : l’attaque des hélicoptères d’APOCALYPSE NOW !), et est repris ici pour une scène fondamentale : la famille Stauffenberg, brièvement réunie, doit se réfugier dans la cave, car des bombardements éclatent. Férus de musique, les Stauffenbergs ont laissé le gramophone en marche jouer la célèbre Chevauchée. En voyant ses enfants déguisés en héros légendaires, le Colonel a une idée de génie… On sait hélas que l’oeuvre de Wagner est abusivement liée dans la mémoire collective à l’histoire du Nazisme. Certes pangermanique dans sa pensée, le grand compositeur se serait certainement retourné dans sa tombe en voyant comment sa musique fut dévoyée par Hitler, et associée aux funestes images de parades aux flambeaux et au pas de l’oie… Le dictateur était obsédé par la puissance symbolique émanant tant de la mythologie nordique que de la musique de Wagner, qu’il admirait. Dans le film, l’idée est brillamment traduite par Singer dans la scène de la rencontre au Berghof entre Stauffenberg et Hitler. Ce dernier signe le décret « Walkyrie » qui va manquer de causer sa perte, touché par l’allusion délibérée de l’officier aux mythes pangermanistes évoqués par l’oeuvre de Wagner. « Comprendre Wagner, c’est comprendre le National-socialisme », déclare Hitler, tout fier de sa « philosophie »…  

Mais comprendre l’opéra de Wagner, c’est aussi comprendre la force des thèmes abordés dans la mythologie originelle. Notamment l’idée d’un destin cyclique, que les Walkyries représentent. De même que le souverain des Dieux, Odin/Wotan, qui a perdu l’oeil gauche pour avoir voulu connaître le secret de son futur… Grièvement blessé en Tunisie, Stauffenberg perd l’usage de ce même oeil. Un plan marquant filmé par Singer filme le jeune officier étendu, face sanglante contre terre, le sang de sa blessure imprégnant le sable… à l’identique, en toute fin de film, Singer répètera la même séquence. Dès la scène d’ouverture, Stauffenberg a un « aperçu » de son propre destin tragique, et de la chute inévitable de son « Allemagne Sacrée ». Entre ces deux séquences, le comte colonel est un « mort en sursis », conscient de l’inéluctabilité de son action, et de l’échec de celle-ci. La référence à la légende d’Odin et des Walkyries est de plus enrichie d’une troisième, aussi importante : celle de Tyr, personnage moins connu mais tout aussi intéressant. Tyr est le dieu nordique de la Guerre. Pas un dieu sanguinaire, bien au contraire, il est celui qui veille à ce que les serments soient respectés, le maître de la stratégie, et le dieu de la guerre « juste » ! Tyr a aussi le sens du sacrifice : pour empêcher Ragnarok (le Crépuscule des Dieux, prélude à la chute et la mort de ceux-ci), il plonge volontairement sa main droite dans la gueule du terrifiant Loup Fenris (ou Fenrir). Celui-ci la lui arrache, laissant Tyr mutilé. Or, Stauffenberg est non seulement rendu borgne lors de l’attaque en Tunisie, il est aussi amputé du bras droit. Nous le voyons une seule fois faire le salut hitlérien dans le film, par provocation envers le peureux Général Fromm : il tend le moignon du bras que son allégeance passée au dictateur lui a coûté ! Stauffenberg est aussi un excellent stratège, qui tient à faire respecter par tous le serment d’aller jusqu’au bout dans l’Opération Walkyrie… et qui accepte de son plein gré de se sacrifier en allant tuer Hitler à son q.g. de Rastenburg. Le q.g. en question se nomme la « Wolfsschanze » : en français, cela se traduit par la « Tanière du Loup » ! A ce stade-là, on ne peut plus voir de simples coïncidences. Bryan Singer et Tom Cruise ont clairement choisi de mettre en valeur l’héroïsme sacrificiel de Klaus von Stauffenberg, parti tenter le tout pour le tout en affrontant « Fenris » dans son antre. Hélas, l’Histoire n’a pas récompensé l’incroyable courage de cet homme et de ses alliés. Pourtant, le coup passa si près… mais le Loup a refermé ses crocs.  

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Ci-dessus : lorsque cette photo fut prise le 15 juillet 1944 à Rastenburg, l’Opération Walkyrie était dans son ultime phase. Le Colonel von Stauffenberg est à l’extrême gauche sur la photo, retrouvant Hitler accompagné du Maréchal Keitel (à droite).    

L’Opération Walkyrie a été l’apothéose, si l’on ose dire, d’une série d’attentats manqués contre Hitler. Sur les quinze évoqués par le film, certains ont été tout près de réussir : l’attaché militaire britannique Noel McFarlane proposa le 20 avril 1939 d’abattre le tyran avec un fusil à lunettes, lors d’une parade, mais Londres ne lui donna pas l’ordre de passer à l’action (pourtant, on dit bien : Messieurs les Anglais, tirez les premiers…?) ; un menuisier, Georg Elser, fit sauter une bombe dans une brasserie de Munich où Hitler venait de faire un discours, le 8 novembre 1939 ; l’Opération Foxley, imaginée au sein du SOE britannique, visant à abattre Hitler au Berghof par un sniper, fut abandonnée – alors qu’elle devait avoir lieu le 13 juillet 1944, une semaine avant l’attentat de l’Opération Walkyrie ; et il y a la tentative, montrée dans le film, du Général Henning von Tresckow (superbe Kenneth Branagh), qui parvint à déposer une bombe cachée dans une caisse de Cointreau dans l’avion du Führer. Malheureusement, celle-ci ne sauta pas… Comme si un destin malin empêchait l’assassinat de l’incarnation du Mal absolu… L’Opération Walkyrie, dont les préparatifs sont méticuleusement illustrés dans le film de Singer, devait enfin abattre l’hydre nazie (rappelons que Stauffenberg et ses complices projetaient aussi d’éliminer les autres « têtes » de la Bête – Himmler, Goebbels et Goering, présents dans la scène du Berghof avec Albert Speer et le Maréchal Keitel…).

Le plan n’était pas improvisé à la hâte. Et le plus triste, c’est qu’il allait réussir… Si un enchaînement d’obstacles imprévus, de détails infimes et d’incidents malencontreux n’avait pas finalement fait basculer l’opération de la victoire au désastre, la fin de la 2e Guerre Mondiale aurait pu être écourtée. Cet échec, plus celui, stratégique, des Alliés lors de l’Opération Market Garden de septembre 1944, allait hélas accorder un sursis au IIIe Reich, et des millions de vies en furent détruites… Tout cela n’aurait pas eu lieu, si donc la série suivante d’incidents ne s’était déclenchée : 1) la réunion, avancée de 30 minutes à cause de l’arrivée de Mussolini, oblige Stauffenberg et son aide de camp Werner von Haeften (déjà retardés d’une heure, le matin, leur avion ayant été bloqué par le brouillard) à précipiter l’amorçage de la bombe ; 2) une canicule étouffante (représentée à l’image par un moustique qu’une sentinelle brûle d’une cigarette…) entraîne le déplacement de la réunion d’état-major dans une cabane aux fenêtres ouvertes, et non pas dans le bunker initialement prévu (les dégâts causés par l’explosion devaient y être dévastateurs) ; 3) dans sa hâte, et la présence génante du commandant von Freyend, Stauffenberg n’a pas le temps d’amorcer la seconde bombe et de la placer dans la sacoche (l’explosion de la première bombe aurait provoqué celle de la seconde) ; 4) le Colonel Brandt, gêné par la sacoche, la déplace de quelques centimètres vers sa droite, derrière le pied de la table en chêne… ce geste suffira hélas à sauver la vie de Hitler ; 5) Stauffenberg, dans la précipitation du départ, oublie sa casquette – un détail qui intrigue le Maréchal Keitel ; et le chauffeur, qui aperçoit Stauffenberg et von Haeften en train de se débarrasser des charges et pain de plastic inutilisés après l’explosion. Ces preuves suffiront à accuser les deux hommes dans les heures suivantes. 7) les hésitations d’Olbricht, attendant du Général Fellgiebel la confirmation de la mort de Hitler, causeront un retard dramatique de 3 heures. Le coup d’Etat salvateur ne sera pas donné avant que Stauffenberg et von Haeften arrivent à Berlin. Pourtant, cette période de flottement n’aurait pas suffit à entraîner l’échec de l’Opération. Comme il est montré dans le film, les alliés de Stauffenberg procèdent à des arrestations massives, celles des troupes de la SS et de la SD, non seulement à Berlin mais aussi à Paris et en Europe. Même Goebbels, le grand ordonnateur de la propagande Nazie, allait être arrêté…  

Malheureusement, deux hommes ont contribué à tout faire s’écrouler. Le colonel Otto-Ernst Remer, chargé de diriger sur le terrain les troupes réservistes de la Wehrmacht à Berlin. Campé par l’excellent comédien allemand Thomas Kretschmann (bien plus sympathique dans LE PIANISTE : l’officier qui sauvait la vie de Wladyszlaw Szpilman, c’était lui !), Remer n’est pas un homme fiable dans l’opération – dont il ignore tout. Promu au rang de Colonel par Hitler lui-même, Remer est un Nazi convaincu. Quand il entend la voix maudite au téléphone que lui tend Goebbels, le serment d’obéissance aveugle est le plus fort. Il obtient donc le commandement des troupes de Berlin, et l’ordre d’arrêter les insurgés. Ce personnage détestable fera quelques années de prison, et, après sa sortie, tentera de rassembler les nostalgiques du nazisme dans l’Allemagne des années 50. Adepte des théories négationnistes, violemment antisémite, Remer quittera l’Allemagne pour finir ses vieux jours en Espagne, sans être inquiété, ni avoir évoqué le moindre regret… Enfin, le Général Friedrich Fromm (Tom Wilkinson, excellent de veulerie opportuniste), pourtant complice des préparatifs de l’opération, trahit ses collègues. Carriériste, adepte du « attendre et voir » d’où vient le vent, Fromm préfère se faire passer pour l’homme « héroïque » qui va arrêter les conjurés, et croit ainsi s’assurer une position intouchable. Il fait exécuter les meneurs quelques heures plus tard, dans la cour du Bendlerblock – sans procès, pour éviter de se voir lui-même accusé par les juges du Reich… Mauvais calcul : Fromm sera jugé, condamné à mort pour « lâcheté » et exécuté le 12 mars 1945 dans la prison de Brandenburg !     

 

Mentionnons aussi le travail de mise en scène effectué par Singer. Sans effets de style démesurés, le réalisateur s’attache avant tout à reconstituer une atmosphère d’inquiétude et de tension tout à fait crédible. Il parvient à supplanter sans difficultés les précédents films consacrés à l’Opération Walkyrie. Notamment le très bon et classique LA NUIT DES GENERAUX d’Anatole Litvak (1967), où l’attentat n’était en fait qu’une toile de fond pour une autre histoire, fictive celle-là, qui voyait se défier les deux héros de LAWRENCE D’ARABIE – Omar Sharif enquêtant au prix de sa vie sur un Peter O’Toole, terrifiant général doublé d’un meurtrier psychopathe ! Le film de Litvak accréditait la thèse que le Maréchal Erwin Rommel participait à l’Opération Walkyrie. Ce n’est pas tout à fait exact, Rommel s’étant contenté de la soutenir en secret. Blessé au combat, il ne prit pas une part active au putsch, mais sa sympathie pour les insurgés lui coûtera très cher. Ses ennemis politiques au sein du IIIe Reich se sont certainement servi de l’Opération Walkyrie comme prétexte pour le discréditer auprès de Hitler, l’accuser et le pousser à se suicider un mois après… Pour continuer avec les évocations de l’attentat du 20 Juillet, on pourra citer aussi le téléfilm allemand de 2004, STAUFFENBERG avec l’excellent Sebastian Koch – qu’on a pu apprécier dans LA VIE DES AUTRES de Florian Henkel von Donnersmark, et BLACK BOOK de Paul Verhoeven. Sa compagne à la ville comme dans ce dernier film, la belle hollandaise Carice Van Houten, joue justement dans WALKYRIE le rôle de Nina, l’épouse de Stauffenberg !Dans ce film au climat forcément angoissant, Carice/Nina von Stauffenberg joue un rôle apparemment mineur, néanmoins elle constitue un personnage fondamental. Elle assure quelques moments de tendresse, d’amour et de soutien indéfectible au combat de son mari. La présence lumineuse de la comédienne, mise en valeur par les savants éclairages de Newton Thomas Sigel, nous vaut une trés belle scène de séparation finale. Dans une brume nocturne, Nina embrasse son mari avant de partir en sécurité avec les enfants. Elle part, devenant floue, dans le lointain, et seul l’éclat rouge grenat de sa robe rejaillit dans la séquence. Ce sera leur dernier moment ensemble. Ce sera également le dernier souvenir qu’aura Stauffenberg mourant, fusillé dans le Bendlerblock…  

 

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Ci-dessus : un extrait du film. Le moment fatidique où Stauffenberg (Tom Cruise), avec l’aide de Fellgiebel (Eddie Izzard) et von Haeften (Jamie Parker), place la bombe sous la table pour tuer Hitler. Tout se joue à quelques détails imprévus…  

 

Les connaisseurs noteront également, dans WALKYRIE, une indiscutable influence et un hommage rendu par Singer à Steven Spielberg. Etonnante coïncidence, mais, en l’espace de quelques semaines, deux films sur la 2e Guerre Mondiale, basés sur des faits réels, auront affirmé leur filiation avec le cinéaste de LA LISTE DE SCHINDLER : tout comme Edward Zwick l’avait fait avec DEFIANCE (Les Insurgés), Bryan Singer, grand fan de Spielberg (il a baptisé sa société de production Bad Hat Harry en hommage à une réplique de JAWS/Les Dents de la Mer !), affirme sans rougir son admiration pour le maître. Dans ce jeu des références, on remarquera certains détails révélateurs : tout comme Daniel Craig/Tuvia, Tom Cruise/Stauffenberg est frappé de surdité après un bombardement. On pense bien sûr à Tom Hanks dans LE SOLDAT RYAN, mais n’oublions pas que la surdité au combat n’est pas un simple cliché… Malins, Singer et ses scénaristes s’en servent même comme élément de la stratégie de Stauffenberg : le jour fatidique, celui-ci convainc le Commandant von Freyend de le placer près de Hitler, à cause de son problème d’audition. Autre point commun, musical celui-là, avec DEFIANCE, la musique de WALKYRIE signée John Ottman, très réussie, cite volontairement les « rythmes de mort » composés par John Williams pour MUNICH. Regardez les trois films et ouvrez grandes les oreilles, la ressemblance est flagrante ! Enfin, la citation « spielbergienne » la plus importante et intéressante concerne MINORITY REPORT. Rappelons que dans le film noir d’anticipation signé par Spielberg, Tom Cruise jouait un homme, John Anderton, profondément paranoïaque et surtout persuadé de la justesse des visions du Futur que lui livraient trois mutants. Les Précogs, équivalents dans cet étrange futur des Parques et des Nornes, lui montraient son propre futur – Anderton se découvre meurtrier d’un complet inconnu, et, persuadé qu’un complot cherche à le faire plonger, déclenche une série d’évènements qui vont bouleverser l’état policier en qui il croyait. Dans son inquiétante odyssée, Anderton cherchait à connaître le véritable secret derrière ce Destin inévitable, répétant sans le savoir le parcours mythique d’un Oedipe ou d’Odin… Il subit même une opération chirurgicale des yeux, véritable scène de torture à la ORANGE MECANIQUE, qui le laisse temporairement aveugle, puis borgne, comme le Dieu nordique ! Normal que dans WALKYRIE, film regorgeant là aussi de symboles renvoyant à la mythologie scandinave, le même Tom Cruise campe un officier devenu borgne. Et comme on l’a évoqué plus haut, le Destin implacable joue ici aussi un rôle majeur… notons au passage une belle idée de Cinéma utilisée par Singer : l’oeil de verre de Stauffenberg, qu’il porte quand il rencontre Hitler, lui sert aussi de signal de reconnaissance. En le plongeant dans le verre de whisky de son collègue Fellgiebel, il convie ce dernier à participer au coup d’Etat !

Indéniablement inspiré par son sujet, Singer réussit plusieurs autres scènes fortes, où un détail toujours juste donne tout son poids à des scènes faussement anodines. Comme la scène de la rencontre Stauffenberg-Olbricht dans une église, devant une statue du Christ entouré de crânes de morts… La discussion se clôt, la caméra de Singer recule et s’élève pour révéler que l’église est en ruines. Inutile d’en dire plus sur les pensées de Stauffenberg à cet instant-là… On évoquera aussi l’entrevue de von Tresckow avec le suspicieux Colonel Brand, à propos de la caisse de Cointreau piégée ; la réunion nocturne de Stauffenberg et von Tresckow, avec la secrétaire dévouée, pour élaborer le plan de l’opération ; un gros plan sur l’assiette de légumes que mange Hitler (qui était un végétarien obsessionnel !) ; la caractérisation immédiate de Remer, présenté nageant dans une piscine ornée d’une immense swastika ; ou encore la capsule de cyanure de Goebbels, révélatrice du destin funeste qui l’attend quelques mois plus tard… Sans en faire des tonnes, Singer sème ainsi des indices bien préparés, en bon storyteller.  

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une ressemblance étonnante : à gauche, le vrai Colonel Klaus Schenk von Stauffenberg ; à droite, Tom Cruise.

Les acteurs tirent tous leur épingle du jeu. Il n’y a pas une seule erreur de casting. En tête de liste, bien sûr, notre cher Tom, n’en déplaise à ses détracteurs, ne tire pas la couverture à lui, mais sait parfaitement transmettre la force d’âme et les doutes de Klaus Schenk von Stauffenberg. Il met dans le personnage une énergie, une force de concentration et de self-control appropriés. Il sait aussi comme jamais faire passer en un regard toute la peur d’échouer, et le désespoir final de ce héros peu commun. A ses côtés, une fantastique brochette de comédiens : les acteurs britanniques sont décidément les maîtres de l’underplaying, et campent ces personnages réels avec un grand souci de vérité. Outre Kenneth Branagh, excellent en Général von Tresckow, et le toujours bon Tom Wilkinson, il faut aussi saluer la performance du grand Terence Stamp, qui prête sa classe royale au Général Ludwig Beck. Rien que par sa présence, il donne à ce personnage toute la noblesse d’âme requise - du grand art ! Saluons aussi le toujours juste Bill Nighy (on est loin du « poulpe » des PIRATES DES CARAÏBES !) dans le rôle d’Olbricht, le jeune Jamie Foster trés bien aussi en von Haeften… David Bamber et Harvey Friedman campent aussi un Hitler et un Goebbels convaincants. Même si leur performance est éclipsée par le souvenir de Bruno Ganz et Ullrich Matthes, terrifiants de ressemblance dans les mêmes rôles dans LA CHUTE, ces comédiens inconnus du grand public s’en sortent très bien. De même que les acteurs allemands – on a déjà cité Thomas Kretschmann, saluons aussi Christian Berkel, qui joue le Colonel Mertz von Quirnheim, autre organisateur du complot pour tuer Hitler. Impressionnant casting d’ensemble. 

J’oubliais : puisqu’on parle ici beaucoup de mythologie nordique, sachez que Kenneth Branagh va bientôt réaliser THOR, d’après la célèbre b.d. Marvel. On parie qu’Odin et les Walkyries seront présents ?  

En conclusion : oubliez USUAL SUSPECTS. WALKYRIE est le meilleur film de Bryan Singer réalisé à ce jour ! Et on peut l’apprécier sans chercher à se donner mauvaise conscience.  

ma note :  

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Général Ludwig von Achtung-Deflakrazion  

la Fiche Technique :  

VALKYRIE / WALKYRIE  

Réalisé par Bryan SINGER   Scénario de Christopher McQUARRIE & Nathan ALEXANDER  

Avec : Tom CRUISE (Colonel Claus Schenk von Stauffenberg), Kenneth BRANAGH (Général d’État-major Henning von Tresckow), Bill NIGHY (Général Friedrich Olbricht), Tom WILKINSON (Général Friedrich Fromm), Carice Van HOUTEN (Nina von Stauffenberg), Thomas KRETSCHMANN (Major Otto-Ernst Remer), Terence STAMP (Général Ludwig Beck), Eddie IZZARD (Général Erich Fellgiebel), Kevin McNALLY (Docteur Carl Goerdeler), Christian BERKEL (Colonel Albrecht Mertz von Quirnheim), Jamie PARKER (Lieutenant Werner von Haeften), David BAMBER (Adolf Hitler), David SCHOFIELD (Feld-maréchal Erwin von Witzleben), Harvey FRIEDMAN (Joseph Goebbels), Kenneth CRANHAM (Feld-maréchal Wilhelm Keitel), Bernard HILL (le Général confiant – scène dans le désert tunisien)  

Produit par Gilbert ADLER, Christopher McQUARRIE, Bryan SINGER, Nathan ALEXANDER, Lee CLEARY, Henning MOLFENTER, Jeffrey WETZEL, Charlies WOEBCKEN, Chris BROCK, Oliver LÜER et Robert F. PHILLIPS (United Artists / Achte Babelsberg Film / Bad Hat Harry Productions)   Producteurs Exécutifs Tom CRUISE, Ken KAMINS et Paula WAGNER  

Musique et Montage John OTTMAN   Photo Newton Thomas SIGEL   Casting Roger MUSSENDEN  

Décors Lily KILVERT et Patrick LUMB   Direction Artistique Keith PAIN, Ralf SCHRECK, Jan JERICHO, John B. JOSSELYN, Cornelia OTT, John WARNKE et Su WHITAKER   Costumes Joanna JOHNSTON  

1ers Assistants Réalisateurs Lee CLEARY et Jeffrey WETZEL   Réalisateur 2e Équipe Eric SCHWAB  

Mixage Son Chris MUNRO   Montage Son Erik AADAHL et Craig HENIGHAN   Effets Spéciaux Sonores Erik AADAHL  

Effets Spéciaux de Maquillages Sarah MONZANI  

Distribution USA : MGM / Distribution FRANCE : TFM Distribution  

Durée : 2 heures 01

Le temps de la révolte – DEFIANCE / Les Insurgés

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DEFIANCE / Les Insurgés, d’Edward ZWICK  

L’Histoire :  

Ce film est basé sur la véritable histoire des frères Bielski.  

Août 1941. La Biélorussie, à la frontière de la Pologne occupée et de l’Union Soviétique, est envahie par les armées Allemandes du IIIe Reich. Le pays est le théâtre de tueries épouvantables, commises par les groupes armés SS chargés de traquer et d‘éliminer les habitants Juifs. Les exécutions sommaires dans les villages sont innombrables. Ceux qui ne sont pas tués sont capturés et enfermés dans les ghettos, en attendant d‘être déportés vers les camps de la mort. Rares sont les survivants, qui doivent vivre cachés aux yeux des occupants. Rescapés d‘un raid meurtrier des SS dans leur village de Stankiewicze, quatre frères se réfugient dans la forêt voisine. Tuvia, Zus, Asael et Aron Bielski ont perdu leurs parents, tués par des SS et des policiers locaux, collaborateurs volontaires. Une poignée de Juifs échappés des villages voisins les rejoignent, hébétés, épuisés et choqués : eux aussi ont vu les assassinats collectifs dirigés contre leurs proches.  

Les rescapés tentent de survivre malgré le mauvais temps et le manque de nourriture. Tuvia obtient des vivres et une arme, un pistolet pourvu de quatre balles, de la part de Koscik, un fermier qui a caché d‘autres fuyards, dont Shimon Haretz, le vieux maître d‘école des Bielski. Grâce à Koscik, Tuvia ramène en forêt les réfugiés de la ferme. Peu de temps après, Tuvia tue en représailles un policier et ses fils, tous collaborateurs des Nazis. Un petit groupe de Résistants improvisés se forme, menés par Tuvia, Zus et Asael. Les deux frères aînés, opposés quant à la façon de gérer la résistance, organisent des pillages contre les fermiers. Ceux qui sont suspectés d‘avoir aidé les SS sont abattus par Zus, contre l‘avis de Tuvia. La « bande Bielski » se forme ainsi, rassemblant au fil du temps d’autres Juifs échappés des ghettos. La menace constante des SS, à la recherche des résistants, entraîne des drames et de nombreuses tensions au sein du petit groupe, qui parvient à se procurer des armes. Dénoncés par un fermier, les résistants doivent évacuer leur camp plus loin dans la forêt, après une attaque de la police des « collabos ». Alors qu‘un hiver glacial s‘étend sur la forêt, Tuvia et Zus ont une dispute sérieuse, menant à une séparation. Zus et ses hommes, adeptes de la vengeance, rejoignent une oystrad, une compagnie de partisans Soviétiques, situés à l‘est de la forêt. Tandis que Tuvia, malade, doit diriger une centaine de fugitifs de tous les âges, et leur imposer la rigueur d‘une escouade militaire…  

la Critique :  

Nechama Tec, professeur de sociologie à l’Université du Connecticut, et spécialiste reconnue de l’Histoire de la Shoah, rédigea et publia le livre DEFIANCE : THE BIELSKI PARTISANS en 1993. Le livre relatait une surprenante histoire vraie, passée pendant longtemps sous silence, le combat des frères Bielski, des frères Juifs Biélorusses qui menèrent une résistance implacable face à l’atroce machine de mort du Nazisme. Un sujet fort, controversé encore de nos jours, notamment en Pologne où les Bielski sont plus considérés comme des criminels que comme des héros. Quoi qu’il en soit, leur épopée a capté l’attention du réalisateur Edward Zwick. Catalogué comme filmmaker de récits emphatiques mais quelque peu ampoulés (GLORY, LEGENDES D’AUTOMNE), Zwick a su s’améliorer au fil de ces dernières années. LE DERNIER SAMOURAÏ, un superbe hommage au cinéma d’Akira Kurosawa, et BLOOD DIAMOND, description terrifiante des drames de l’Afrique contemporaine (guerres civiles, enfants soldats et esclavage moderne), montrent que Zwick a su éliminer sa tendance à un romantisme édulcoré, au profit d’une vision plus critique de l’Histoire et de l’Humanité. S’il n’est pas à proprement parler reconnu comme un cinéaste de premier ordre, Zwick sait développer une vision critique cinglante (épinglage en règle de l’Amérique militariste dans LE DERNIER SAMOURAÏ, description impitoyable de l’odieuse réalité des « diamants du sang » dans BLOOD DIAMOND), liée à un sens du spectacle indéniable. Bonne nouvelle, DEFIANCE s’inscrit dans la lignée de ses deux précédents films, même s’il en conserve certains défauts mineurs.  

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Ci-dessus : une véritable photo des partisans de Tuvia Bielski et ses frères, durant la 2e Guerre Mondiale.  

Tout d’abord, le film aide au rétablissement d’une vérité historique rarement reconnue et pourtant réelle : aux heures les plus atroces de la Shoah, des Juifs ont refusé d’aller passivement à « l’abattoir ». Ces combattants ont pris les armes pour lutter contre leur extermination programmée par le IIIe Reich. Et, dans un nombre et avec des moyens dérisoires en comparaison de ceux de l’ennemi, ils ont tenu plus longtemps que quiconque l’aurait prévu. Ces faits ont certes du mal à être acceptés dans la mémoire collective, sans doute parce que le poids réel de l’horreur de la Shoah, évoquant de tristes images de millions de malheureux emmenés de force dans les camps de la mort, occulte quelque peu dans notre esprit l’image de Juifs insurgés et armés mettant en échec – fut-il provisoire – les tueurs nazis. Pourtant, il y eu bien une résistance Juive, dont l’exemple le plus célèbre est la Révolte du Ghetto de Varsovie. Brièvement évoquée, voire survolée, par Roman Polanski dans son film LE PIANISTE, cette révolte fut le sujet central du téléfilm UPRISING (1943, L’Ultime Révolte – diffusé en 2001) avec Leelee Sobieski, Jon Voight et Donald Sutherland. Un autre exemple peu connu est le cas des Juifs du camp de Sobibor ; leur histoire fut filmée dans un autre téléfilm de 1987, ESCAPE FROM SOBIBOR, avec Rutger Hauer et Alan Arkin.  

Le contexte de DEFIANCE ne pouvait que toucher Zwick et son coscénariste. Les premières images du film sont des archives terribles, montrant les atrocités des Einsatzgruppen, les groupes d’extermination SS chargés de « purger » l’Europe de l’Est de ses habitants Juifs. La Biélorussie, avant la 2e Guerre Mondiale, était rattachée à l’Union Soviétique, à l’exception de sa partie Ouest (celle montrée dans le film) qui faisait partie de la Pologne. Relativement protégés par le Pacte de Non-Agression signé par les deux dictateurs, Hitler et Staline, les Juifs Biélorusses furent hélas des cibles de choix pour les envahisseurs sitôt la trahison du pacte effectuée par Hiter. L’invasion nazie, durant l’été 1941, entraîna d’abominables massacres des populations civiles Juives. Parmi les principaux groupes responsables de ces horreurs, l’Einsatzgruppe B fut soutenu par la tristement célèbre Division Das Reich, celle-là même qui ravagerait entre autres Tulle et Oradour sur Glane, en 1944, dans notre pays… La scène d’ouverture, glaçante, résonne du coup comme un douloureux écho de ces tragédies si proches de nous.  

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Ci-dessus : la bande-annonce en VOST de DEFIANCE / Les Insurgés. 

Quel est le sens du titre original, une fois de plus non respecté par les distributeurs hexagonaux ? DEFIANCE implique au moins deux notions importantes, qui font le corps du récit. C’est, d’une part, le défi lancé aux autorités, à l’ordre établi, dans le cas présent l’insurrection, légitime face à un envahisseur aux méthodes monstrueuses, et à ses collaborateurs actifs (miliciens, policiers, fermiers). Zwick s’attarde en début de film sur l’exemple de Bernicki, le policier exécuté par Tuvia. Sous la menace du revolver, le « collabo » affolé lance une réponse toute faite :  »on m’a donné un ordre, je n’avais pas le choix !« . Leitmotiv hélas bien connu que les criminels de guerre nazis répèteront en boucle lors des procès de Nuremberg… Cette notion de combat, de résistance, traduite par le titre français, renvoie aussi à une notion de révolte, profondément ancrée dans la culture de la mémoire chère au judaïsme : voir la scène où Asael, le troisième frère Bielski, entraîne ses « troupes » en citant les exemples légendaires et historiques. En leur apprenant le maniement des armes, il les galvanise en leur citant les exemples légendaires et historiques : la Révolte des Macchabées contre le Roi Antiochus, les Sicaires ennemis de Rome, David contre Goliath, la lance d’Ehud qui tua le tyran Eglon… L’autre notion de DEFIANCE est complètement oubliée par le titre français : la défiance, synonyme de méfiance, soupçon, rivalité, crainte d’être trompé… Car ces révoltés, réfugiés dans les bois, ne se lancent pas tous d’un seul bloc dans la lutte armée contre l’oppresseur. Les frères Bielski, considérés par leurs congénères comme des petits traficants au début du récit, n’ont pas la noblesse d’âme de Robin des Bois ! Comme tout humain en temps de guerre, et d’horreur, ils connaissent la peur, sont en désaccord, ne se font pas confiance entre eux et se méfient des autres… Les deux frères aînés, Tuvia et Zus, dont on devine au fur et à mesure l’hostilité mutuelle, ont des vues différentes sur la façon de gérer la résistance. Tuvia répugne à tuer après « l’expédition » chez le collabo Bernicki, et tente de garder une approche diplomatique, mais ne peut éviter les conflits. Zus veut se venger (l’antique Loi du Talion), n’hésite pas à tuer de sang froid et rejoint les Partisans Soviétiques pour combattre.  

C’est aussi la défiance au sein du groupe que ressentent les plus belliqueux envers les « Maltushim« … des fugitifs des villages et du Ghetto. Bien loin d’être accueillis à bras ouverts, ceux-là sont mal vus de leurs congénères combattants, qui ne voient en eux que des bons à rien, des « aristos » et des inutiles… C’est aussi la méfiance que les Partisans ressentent envers la bande à Zus, une fois que ceux-ci auront rejoint le groupe armé. Et celle qu’une partie des réfugiés, menée par un certain Arkady, ressent envers Tuvia dont l’autorité est contestée et jalousée… Fait intéressant, ce dernier, une fois séparé de son « frère ennemi », et menacé dans sa propre communauté, tombe malade. Comme si le Chaos de l’Histoire en cours affectait sa santé – à la façon des rois des légendes (Arthur, le Roi Pêcheur)… On est donc bien loin d’une image idyllique de résistants unis d’emblée dans l’adversité par les liens sacrés de la communauté. Le petit groupe éclaterait bien vite s’il n’y avait pas un personnage clé, Shimon Haretz, ancien maître d’école des frères terribles. Celui-ci s’improvise stratège, commentateur, interprète et rabbin, et acquiert une stature à part dans le groupe des insurgés. Il est l’élément humain nécessaire à la conscience de Tuvia, que l’on devine affecté par ses actions de guerre.  

 

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Ci-dessus : un extrait du documentaire THE BIELSKI BROTHERS – JERUSALEM IN THE WOODS donne la parole à des rescapés Juifs sauvés par les frères Bielski. Attention : l’extrait montre quelques images d’archives de déportations et d’exécutions qui peuvent choquer.    

 

L’antisémitisme n’est pas, hélas, une prérogative nazie, et le réalisateur le montre bien présent aussi chez les Partisans Soviétiques. Comme le constate Zus, joué par l’excellent Liev Schreiber, après sa séparation d’avec Tuvia, il est difficile pour les Juifs d’être acceptés par les Partisans. Chez ces derniers, l’antisémitisme se dissimule derrière le prétexte de la politique. Viktor, le chef des Partisans, réprimande son second qui a tenu des propos racistes envers les hommes de Zus… mais quand ce dernier refuse de battre en retraite et veut aider le groupe de Tuvia, le même Viktor lui réplique froidement que son « sentimentalisme Juif est contre-révolutionnaire » ! La rhétorique Communiste ne reconnaît pas l’importance des liens si humains de fraternité et de communauté. Inacceptable pour Zus et les siens ! Notons au passage que Liev Schreiber, un acteur encore peu connu en France, est aussi le réalisateur de TOUT EST ILLUMINE avec Elijah Wood (2005). Le film relate le voyage d’un jeune Juif Américain dans l’Ukraine de ses ancètres, qui questionne l’antisémitisme des Ukrainiens. On y revient toujours…  

 

Un constat sur la mise en scène de Zwick, nerveuse et souvent crue (on est loin des fastes de GLORY) : les amateurs reconnaîtront une forte dette envers le cinéma d’un certain Steven Spielberg, dont l’influence est évidente à maintes reprises ! On reconnaîtra à Zwick un style  »documentaire brut » similaire à celui du cinéaste de LA LISTE DE SCHINDLER et IL FAUT SAUVER LE SOLDAT RYAN… Sans oublier MUNICH, déjà avec Daniel Craig – qui lançait au passage un « Don’t fuck with the Jews ! » prémonitoire ! Craig s’avère ici aussi impressionnant et impitoyable que dans le chef-d’oeuvre de Spielberg. La scène de vengeance contre le flic milicien SS et ses fils, et la descente de Zus au poste radio rappellent à ce titre énormément le traitement brutal et frontal de MUNICH (même la musique reprend les rythmes de John Williams !). On retiendra l’approche réaliste et sanglante des scènes de combats, héritière du SOLDAT RYAN. Mais, plus encore, une citation (trop?) évidente de cet autre chef-d’oeuvre spielbergien : la surdité de Tuvia après une explosion, comme celles que subit le Capitaine Miller (Tom Hanks) en Normandie ! Du déjà vu certes (et n’oublions pas, dans un tout autre registre, Ben Stiller dans TONNERRE SOUS LES TROPIQUES…), mais n’oublions pas qu’il s’agit d’un élément réel dans les combats.  

Quand à LA LISTE DE SCHINDLER, il est inévitable que Zwick fasse référence à cette autre histoire vraie, magistralement mise en scène par Spielberg. Impossible de ne pas faire certains rapprochements entre les deux films. A l’époque où les frères Bielski se réfugiaient dans la forêt avec d’autres survivants des tueries, Oskar Schindler employait ses ouvriers Juifs recrutés dans le Ghetto de Cracovie… Dans DEFIANCE, nous suivrons Tuvia et Asael essayer de sauver leurs congénères enfermés dans un autre ghetto. Le Conseil, piégé par son  »réflexe » communautaire, refuse leur assistance… Plus tard, nous verrons Tuvia prendre le leadership de sa petite communauté, juché royalement sur son cheval blanc. Dans le film de Steven Spielberg, c’est le SS Amon Goeth (terrifiant Ralph Fiennes) qui se baladait ainsi à cheval ! Tuvia est heureusement l’opposé de Goeth ! Quand la famine sévit durant un hiver terrible, il doit finalement sacrifier le cheval qu’il aime tant, pour que les siens survivent… Les références à l’histoire de Moïse, parfois un peu trop surlignées dans le film de Zwick, renvoient aussi à Schindler. Tout comme l’industriel allemand, les frères Bielski sauveront au final plus de 1200 Juifs de la mort !  

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Ci-dessus : un extrait du making of de DEFIANCE montre le réalisateur Edward Zwick préparer des séquences complexes en Lituanie. 

DEFIANCE, c’est aussi une série de nombreuses scènes fortes : la découverte d’un charnier à travers les yeux du jeune frère, Aron ; la descente de Tuvia chez le policier collabo, déjà évoquée plus haute ; la confrontation tendue entre Tuvia et Arkady, le profiteur-rival dangereux, sous les yeux du groupe ; et surtout, le terrifiant lynchage en règle d’un soldat SS capturé par les insurgés. Dans cette scène choc, le désir de vengeance est plus fort que toute raison. Tuvia ferme les yeux, Shimon et Isaac (l’intellectuel de la troupe) ne peuvent rien faire pour épargner le prisonnier terrorisé. Une séquence qui élimine définitivement tout « angélisme » dans l’histoire des Bielski… Pour revenir à SCHINDLER, on retrouvera une autre scène-hommage au travail de Spielberg et son chef monteur Michael Kahn : le mariage d’Asael et Chaya célébré par Shimon, alterné avec l’attaque des Partisans d’une colonne SS. Une séquence en montage alterné, liant par le rituel « Mazel Tov ! » la célébration de l’amour et la violence sans nom. Comme dans le film de Spielberg, où un mariage Juif dans le camp de Plaszow alternait avec la brutalité des gifles que Goeth donnait à sa domestique-esclave, Helen Hirsch. L’amour et la mort, Eros et Thanatos…  

Le grand finale de DEFIANCE permet à Zwick de démontrer son savoir-faire en matière d’action et de tension : le bombardement du camp par les Stukas, et surtout la traversée des marais (avec la belle idée de la chaîne de ceintures salvatrice !). Cette terrible épreuve finale a lieu le jour du Pessah, la Pâque Juive, commémorant l’Exode hors de l’Egypte ! On revient une nouvelle fois à Moïse, dommage que Zwick en ait un peu rajouté dans les dialogues explicatifs… Néanmoins, la bataille finale, sèche et concise, permet de finir le film en beauté.  

Un mot pour finir sur les acteurs. L’interprétation générale est du meilleur. Daniel Craig est toujours aussi bon dans l’ambiguïté, tantôt impitoyable chef de bande, tantôt leader esseulé et dubitatif. Dans le registre « ours mal léché », Liev Schreiber est convaincant. On saluera aussi la prestation de Jamie Bell (le jeune Billy Elliot qui a bien grandi*), de la belle Alexa Davalos (quel regard !), et tous les seconds rôles… Zwick fait preuve d’un grand souci de crédibilité dans son casting, pour un film certes spectaculaire, mais qui s’intéresse avant tout au drame humain. Le tout, filmé dans les belles forêts lituaniennes, donne un film souvent dur, mais passionnant et plus complexe qu’il n’y paraît.  

 

Ma note :  

 

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Ludovicoski  

* P.S. : dernières news ! L’héritage « spielbergien » de DEFIANCE se confirme par l’annonce du casting complet de TINTIN… C’est Jamie Bell qui va interpréter le petit reporter devant les caméras de Steven Spielberg, puis de Peter Jackson – retrouvant du même coup son partenaire de KING KONG, Andy Serkis en Capitaine Haddock. Et Daniel Craig, le « grand frère » du jeune comédien de DEFIANCE, sera… Rackham le Rouge !!!  

 

La fiche technique :  

DEFIANCE / Les Insurgés

Réalisé par Edward ZWICK   Scénario de Clayton FROHMAN et Edward ZWICK, d’après le livre « Defiance : the Bielski Partisans » de Nechama TEC  

Avec : Daniel CRAIG (Tuvia Bielski), Liev SCHREIBER (Zus Bielski), Jamie BELL (Asael Bielski), Alexa DAVALOS (Lilka Ticktine), Allan CORDUNER (Shimon Haretz), Mark FEUERSTEIN (Isaac Malbin), Tomas ARANA (Ben Zion Gulkowitz), Jodhi MAY (Tamara Skidelsky), Iben HJEJLE (Bella), Ravil ISYANOV (Viktor Panchenko), George MACKAY (Aron Bielski), Sam SPRUELL (Arkady Lubczanski), Mia WASIKOWSKA (Chaya Dziencielsky), Jacek KOMAN (Konstanty « Koscik » Kozlowski)  

Produit par Pieter Jan BRUGGE, Edward ZWICK, Alex BODEN, Alisa KATZ, Andrew LIVIN, Troy PUTNEY, Roland TEC et Gary TUCK (The Bedford Falls Company / Grosvenor Park Productions / Pistachio Pictures)  

Musique James Newton HOWARD   Photo Eduardo SERRA   Montage Steven ROSENBLUM   Casting Gail STEVENS et Arturas ZUKAUSKAS  

Décors Dan WEIL   Direction Artistique Daran FULHAM et Yann BIQUAND   Costumes Jenny BEAVAN

1er Assistant Réalisateur Darin RIVETTI   Réalisateur 2e Équipe Dan LERNER   Cascades Steve GRIFFIN  

Mixage Son Petur HLIDDAL   Montage Son Lon BENDER   Effets Spéciaux Sonores Jon TITLE  

Effets Spéciaux de Plateau Neil CORBOULD  

Distribution USA : Paramount Vantage / Distribution FRANCE : Metropolitan Filmexport  

Durée : 2 heures 17

La seule belle âme – CHANGELING / L’Echange (2e partie)

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2) le Martyre  

au calvaire émotionnel, s’ajoute maintenant le supplice physique et moral pour la malheureuse Christine. De façon tout à fait arbitraire, la voilà jetée à l’asile psychiatrique, sur décision officielle du Capitaine Jones. La jeune mère se retrouve dénuée de tout moyen de défense, dans un milieu hospitalier entièrement soumis à la botte du pouvoir en place… Les traitements qu’elle subit de la part du personnel sont autant d’actes de torture, d’humiliation et d’enfermement. Certes, le spectateur qui a vu VOL AU-DESSUS D’UN NID DE COUCOU ou GIRL, INTERRUPTED (Une Vie Volée) peut s’attendre à ce moment-là du récit à des conventions familières aux récits sur les asiles – d’autant plus qu’il se rappelle peut-être qu’Angelina Jolie jouait dans GIRL, INTERRUPTED un rôle mémorable, qui lui valut l’Oscar du Second Rôle, soit dit en passant… Mais il ne faut pas oublier que ces conventions apparentes reposent hélas sur la triste réalité des hôpitaux psychiatriques. Et nous sommes ici en 1928, à une époque où les termes « droit des malades », « respect de la personne » étaient encore étrangers à la plupart des hôpitaux psychiatriques américains… Christine Collins est donc soumise à une batterie de « remèdes » aux forts relents de torture médiévale : enfermement dans une pièce en compagnie d’une folle qui pourrait l’agresser à tout moment (« c’est ma chambre ! »), douches glacées, électrochocs, passages à tabac par le personnel infirmier, mené par une chef infirmière blonde, muette et impavide qui suit le martyre de la jeune femme avec une effrayante absence de réaction humaine.  

Eastwood évite les pièges du manichéisme dans ces séquences, en ne perdant pas de vue son sujet : même enfermée, Christine continue à représenter une gêne pour le LAPD – il faut dire qu’à l’extérieur, le Révérend ne reste pas inactif et encourage sa communauté à protester contre les méthodes infâmes des policiers aux ordres de la Mairie. L’hôpital devient du coup le cadre d’un duel psychologique fort entre Christine et le bien nommé Docteur Steele. Froid comme l’acier, celui-ci poursuit les pressions entamées par Jones contre la jeune femme dans le premier acte, usant de son pouvoir de médecin respecté pour multiplier les brutalités à l’encontre de sa victime non consentante. Il arriverait presque à ses fins et briserait sûrement Christine si celle-ci ne trouvait pas une alliée inespérée en ce lieu. Une compagne de détention nommée Carol Dexter, ex-prostituée à la vie misérable, mais qui refuse de se laisser traiter en victime par ses géoliers. Sous son apparence grossière, et son langage ordurier qui trahit son origine sociale, Carol est une femme lucide et une battante. Elle révèle à Christine l’étendue de la corruption, en lui montrant leurs malheureuses codétenues : toutes ont été jetées dans ce néant parce qu’elles se sont révoltées contre un ordre policier qui les traitaient comme des moins que rien. Carol a souffert de deux avortements, et des mauvais traitements infligés par les policiers de Los Angeles, et, pour avoir contesté un jour le fait d’être un « défouloir » pour ceux-ci, s’est retrouvée internée… C’est elle aussi qui révèle à Christine l’absurdité du système de l’asile de Steele, qui dénie tout droit aux internées : « Tu protestes, tu cries et tu te fâches : hystérie féminine. Tu restes calme : catatonie. Tu craques et tu pleures : dépression grave ! ». Mais ce faisant, elle pousse aussi sa nouvelle amie à ne rien céder à l’infâme médecin, qui tente toujours de blanchir le LAPD via une signature sur un papier officiel. Christine trouve, avec le soutien de Carol, une force d’âme exceptionnelle, et se transforme psychologiquement sous les yeux du spectateur. La craintive jeune femme du début surprend ses adversaires, en s’obstinant à ne pas se courber devant la sacro-sainte Autorité masculine représentée par Steel. Elle, si sage et polie jusqu’ici, va même jusqu’à reprendre le langage ordurier de Carol en une insulte  »eastwoodienne » bien sentie : « Je te baise, toi et ton bourrin ! ». Résistance qui s’avèrera payante pour sa remise en liberté. Hélas, celle-ci est aussi la conséquence d’une dramatique découverte qui va marquer le spectateur au fer rouge.  

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ci-dessus : la « Ferme de l’Horreur », photographiée lors de l’enquête sur les meurtres d’enfants de Wineville.  

Au début de ce second acte, le scénario alterne en fait deux histoires liées à la disparition de Walter Collins. En alternant avec les épreuves subies par Christine à l’asile, Clint Eastwood nous entraîne aussi dans une enquête policière authentique, débouchant sur l’arrestation d’un criminel particulièrement atroce, Gordon Northcott, et à la révélation de l’imposture du LAPD dans l’affaire Collins. Ironie du destin, le Capitaine Jones ignore qu’il prépare sa propre chute en envoyant un subalterne, l’Inspecteur Lester Ybarra, sur ce qui semble être une banale histoire de fugue – juste après avoir jeté Christine à l’asile. Un certain Sanford Clark, 14 ans, a quitté son domicile familiale et franchi la frontière canadienne, et a été signalé vivant chez son cousin Gordon Northcott, dans une ferme de Wineville, en plein désert californien. Ybarra doit retrouver l’adolescent et le renvoyer immédiatement au Canada. Ce policier, un peu plus consciencieux que son supérieur, mais respectueux du règlement, part donc s’acquitter de sa tâche. Il est loin de se douter – et le spectateur avec lui – qu’il va mettre le pied dans une affaire abominable.  

Par touches progressives, par une succession de détails de plus en plus inquiétants, Eastwood va nous entraîner dans ce qui constitue sans doute l’une des premières grandes enquêtes sur un tueur en série aux Etats-Unis, et nous confronter à ce qui peut se faire de plus horrible dans ce domaine. Tout en gardant une grande sobriété, de rigueur par rapport à ce qui est évoqué, le cinéaste ne va pas pour autant se détourner de l’Horreur qui envahit peu à peu CHANGELING. Il commence par une rencontre a priori banale entre Ybarra et un homme bloqué par une panne de voiture en plein soleil, à quelques kilomètres de la ferme. L’inconnu (Northcott) semble aimable et disposé à aider le policier, mais Eastwood révèle en gros plan l’étrange rictus qui tient lieu de sourire à l’homme, et surtout le fusil rangé derrière lui, dont il est presque prêt à se servir… Le malaise grandit lors de l’arrivée de l’inspecteur à la ferme Northcott. Un no man’s land baigné de poussière, comme enveloppé d’une atmosphère misérable… la vision d’une hache couverte de croutes noirâtres, et un poulailler à l’aspect singulier renforcent l’inquiétude du spectateur. Même la tentative de fuite du jeune Sanford, finalement attrapé par Ybarra, contribue à l’ambiance perturbante de la séquence. Ce qui suit dans l’enquête constitue une série de scènes parmi les plus perturbantes jamais filmées par Eastwood. Quand Sanford Clark attend au poste en compagnie d’autres enfants fugitifs, son visage est inexplicablement bouleversé. Surtout devant l’un des gosses, qui joue avec une règle. De brefs flashes nous font alors entrer littéralement dans la tête de Sanford : la vision insoutenable de Northcott, couvert de sang, une hache dégoulinante à la main, hurlant comme un possédé alors que retentissent de nulle part des cris d’enfants. Cadré en gros plan, le visage de Sanford Clark devient flou, comme s’il ne supportait plus physiquement cette vision. En quelques secondes, Clint Eastwood effectue un véritable électrochoc sur le spectateur, qui ressent alors totalement la profondeur du traumatisme qu’a dû subir Sanford…  

En pressant l’Inspecteur Ybarra de l’écouter, Sanford dévoile à ce dernier la monstruosité de son cousin*, meurtrier pédophile qui l’a entraîné à participer aux enlèvements, la séquestration dans le poulailler, les tortures et les meurtres de dizaines d’enfants. Le récit glace le sang de l’officier, pourtant un dur à cuire, et bouleverse le spectateur devant les larmes du témoin. Sans jamais verser dans le gore, en se reposant sur la force de suggestion de ses comédiens et du récit, Eastwood décrit sans concession les méthodes répugnantes de  »l’ogre » Northcott, sonnant comme un lointain écho des pervers pédophiles montrés par Eastwood dans UN MONDE PARFAIT et MYSTIC RIVER. Et le spectateur ne peut qu’être profondément perturbé par le fait que Sanford désigne, parmi toutes les photos de petits disparus, celle de Walter Collins. La découverte par les policiers d’une petite chaussure enfouie sous la terre de la ferme, au milieu d’ossements, ponctue, si l’on ose dire, le voyage au bout de l’Horreur, et établit la Vérité qui manquait tant au LAPD…  La capture du tueur en série entraînera d’ailleurs une cascade d’évènements mettant en lumière l’incompétence, l’imposture et la crapulerie des méthodes des pontes du LAPD. D’abord parce que Northcott, en fuite, leur échappe et tente de se réfugier au Canada. La réaction de sa soeur devant son apparition ne laisse aucun doute sur la terreur qu’il inspirait aux siens, fruit d’une enfance lourdement chargée (on y reviendra plus tard). C’est sur dénonciation que la police canadienne arrête finalement Northcott. Renvoyé à Los Angeles, le meurtrier ose même fanfaronner contre l’incapacité du LAPD à l’arrêter. Il le fait face à la presse, dans la même gare où le Capitaine Jones avait mis en scène les retrouvailles de Christine et du faux Walter ! La jeune mère, soutenue par une mobilisation populaire sans précédent, est enfin libérée. Mais l’épreuve ne s’arrête pas là… 

* sans doute pour ne pas en rajouter dans l’horreur d’un récit déjà bien éprouvant, Straczynski et Eastwood ont changé légèrement le lien de parenté de Northcott et Sanford Clark. L’adolescent était en fait le neveu du tueur, et subit plusieurs fois les sévices sexuels de ce dernier. Ils enlèvent aussi, pour des raisons dramaturgiques, la présence de la grand-mère de Northcott, qui vivait à la ferme à l’époque des crimes et s’accusa même de ces derniers durant la fuite du tueur.  

3 ) le Deuil impossible  

Dans la tradition dramaturgique, le troisième acte d’un récit est celui qui vient résoudre les conflits. Si, en surface, CHANGELING respecte cette tradition, son scénario va nous mener une fois de plus hors des sentiers battus. Nous retrouvons une Christine Collins métamorphosée par son séjour forcé à l’asile. Elle n’est plus la victime passive des évènements, mais une femme profondément transformée par une succession de drames, et qui a su trouver la force d’y faire face. Soutenue par le Révérend Briegleb et l’avocat S.S. Hahn, Christine devient le fer de lance d’une population en colère contre les puissants sensés la protéger. Elle le souligne bien, le LAPD a « déclenché une bagarre » qu’elle est décidée à mettre fin, reprenant les mots qu’elle disait à son fils avant sa disparition. Deux procès livrés en parallèle vont clairement démasquer l’imposture des chefs du LAPD, et lier inextricablement les destins de Christine et de Gordon Northcott.  

Les procès filmés par Eastwood sont source, une fois de plus, de scènes trés fortes. Dans la grande salle du Palais de Justice, Maître S.S. Hahn enfonce magistralement Jones et ses supérieurs, bien empêtrés dans leurs mensonges et leurs jeux sur les mots, et fait éclater la Vérité sur leurs méthodes honteuses. On est bien loin du savoureux procès filmé par Clint Eastwood dans MINUIT DANS LE JARDIN DU BIEN ET DU MAL, où tout le monde semblait bien arranger la Vérité à sa façon ! Toutefois, ce grand procès a alors moins d’importance que celui qui a lieu dans une salle annexe, où Christine et les parents des petites victimes assistent au procès de Gordon Northcott. Se noue alors sous nos yeux stupéfaits un lien étrange entre la jeune femme et le bourreau probable de son enfant, qui n’a pas été identifié parmi les restes des victimes. Northcott se pose en victime, défie les autorités et le public… mais désigne Christine Collins en disant : « la seule belle âme dans cette salle, c’est elle. » Incroyable déclaration, qui semble tout à fait sincère, de la part du tueur – à moins qu’il ne s’agisse de sa part d’une tentative de manipulation en sa faveur ? Les dernières déclarations de Northcott après l’énoncé de sa condamnation à mort jettent aussi le trouble : « Walter était un ange. Je ne l’ai jamais touché. » Est-il alors possible qu’il ait épargné l’enfant de Christine, ou bien s’agit-il d’un nouveau mensonge de sa part ?  

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ci-dessus : le meurtrier de Wineville – en haut, le véritable Gordon Northcott, photographié en 1930 ; en bas : Jason Butler Harner interprète Northcott dans CHANGELING. 

Il faut dire qu’avec les cas de tueurs en série, rien n’est jamais simple. Les faits le rappellent hélas constamment, ils ont tous été des enfants martyrs. L’enfance de Gordon Northcott, hélas, ne déroge pas à la règle : né d’un viol incestueux commis par son grand-père sur sa mère, Northcott subit mauvais traitements et viols au sein de sa propre famille durant son enfance. Avec un tel handicap de départ, il n’est malheureusement pas étonnant qu’il soit devenu un psychopathe meurtrier. Clint Eastwood n’évoque pas l’enfance dramatique de Northcott, ce qui pourrait être perçu comme une excuse à ses actes, mais cultive néanmoins l’ambiguïté. Le tueur provoque certes une répugnance légitime, mais aussi une curieuse empathie à certains moments. Northcott n’est pas un « super-vilain » suprêmement habile et intelligent, à la Hannibal Lecter, mais un pauvre type, que sa famille a peu à peu transformé en monstre, à force de sévices répétés.  

Cette ambiguïté, Eastwood va la cultiver jusqu’au bout, via le face-à-face final de Christine avec Northcott. Ce dernier, à la veille de son exécution à San Quentin, demande subitement à la voir. Elle en est sûre, il est prêt à lui dire ce qu’il a fait de Walter, s’il est vivant ou non. Mais Northcott demeure insaisissable jusqu’au bout : veut-il réellement lui faire des aveux, ou se jouer d’elle ? Il prétend n’avoir rien à dire, se contredit… et provoque la colère de sa visiteuse, au point qu’elle lui saute dessus et le terrorise ! La scène, tendue, laisse deviner une faille chez Christine, qui n’est sans doute pas ressortie psychologiquement indemne de ses épreuves. Eastwood conclut même la scène en l’enfermant, folle furieuse, derrière la porte grillagée de la salle d’interrogatoire. Comme si la démence avait fini par la posséder…  

Puis vient la pendaison du tueur, une séquence blafarde et atroce. Ce n’est pas la première fois, certes, que la question de la peine de mort se pose dans l’oeuvre du cinéaste. Souvenons-nous : après avoir échappé avec humour à la potence dans LE BON, LA BRUTE ET LE TRUAND, Clint fut le producteur et interprète de PENDEZ-LES HAUT ET COURT, tout premier film créé par sa compagnie Malpaso. Il y renvoyait déjà dos à dos les lynchages et la justice d’Etat expéditive, envoyant de pauvres types comme de dangereux criminels à la potence. Et dans TRUE CRIME / Jugé Coupable, il sauvait in extremis un innocent condamné à mort, victime du racisme (le condamné est Noir) et des circonstances. Dans CHANGELING, Clint Eastwood va jusqu’au bout de son propos, quitte à déranger beaucoup de spectateurs. Gordon Northcott est pendu pour ses crimes, sous les yeux des parents et de Christine. La punition est juste, et pourtant… la « Bête » monte à l’échafaud, narquois et insultant tout le monde. Puis, sous nos yeux, le monstre redevient un petit enfant, d’abord inquiet (« ça fait mal ? » demande-t-il naïvement, alors qu’on lui passe la corde au cou) puis terrorisé, se mettant à chantonner « Sainte Nuit… » à l’instant fatal. L’exécution, vue à travers les yeux d’une Christine émue, ne laisse au spectateur aucun sentiment de satisfaction. Les derniers spasmes de Northcott mettent fin au supplice.  

Après toutes ces souffrances, CHANGELING se clôt d’une façon inattendue. Eastwood aime toujours prendre le spectateur à contrepied. Il le laisse d’abord se détendre un peu, via la scène où le « faux Walter », Arthur Hutchins, est renvoyé à sa vraie famille – pitoyable mise en scène organisée par le Chef Davis, faisant écho aux fausses retrouvailles du début. Le gamin a prétendu être Walter, juste pour voir le cow-boy Tom Mix à Hollywood… à moins qu’il ne voulait échapper à sa famille qu’on devine peu chaleureuse. Le spectateur rit jaune quand Arthur, en quelques mots bien sentis, ridiculise Davis devant les photographes. La vérité sort de la bouche des enfants…  

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Ci-dessus : trouvé sur le Net, ce montage de photos d’époque montrant quelques-uns des acteurs du drame : la vraie Christine Collins, son fils Walter, Arthur Hutchins, Sanford Clark, le tueur Gordon Northcott… Ce document évoque aussi le rôle de la mère de Northcott, absente du film. Il affirme aussi que le Capitaine J.J. Jones n’a jamais payé à Christine Collins l’amende qu’il devait légalement lui verser après son procès.  

L’épilogue de CHANGELING, situé en 1935, vient une nouvelle fois semer le Grand Doute dans l’esprit du spectateur. Un enfant, David Clay, a survécu à son kidnapping par Northcott, et revient à ses parents. Devenu adolescent, David raconte la conduite héroïque du petit Walter, qui l’a aidé à s’échapper et s’est lui-même enfui de la ferme maudite. Pour les parents Clay, c’est indiscutablement un happy end. Pour Christine Collins, la renaissance d’un espoir. Mais les faits sont là : elle ne reverra jamais son fils. La dernière scène laisse songeur : Christine Collins a-t-elle retrouvé la paix de l’esprit, ou bien est-elle folle ? Folle d’attendre un signe, un espoir, le retour de son petit garçon disparu…Se pose alors LA question : Walter Collins a-t-il survécu ? La première réaction, dictée par la froide logique, est de se dire qu’il est hélas sans doute mort, tué par Northcott. Oui, mais certaines paroles prononcés par le tueur dans la scène du procès reviennent alors en mémoire. Souvenez-vous : « Walter était un ange. Je ne l’ai jamais touché. » Les fouilles établies par la police n’ont jamais pu établir que Walter était l’une des victimes. Reste le témoignage du survivant, David Clay. Quatre gamins s’échappent de l’enclos où Northcott les enfermait. Deux d’entre eux, les frères Winslow, ont hélas été retrouvés et assassinés par le tueur. David Clay, sauvé par Walter, disparaît dans la nature ; il sera recueilli par une autre famille, et, par peur et honte, attendra sept années avant de revenir à ses parents. Si Walter s’est lui aussi caché et a trouvé refuge ailleurs, pourquoi n’a-t-il jamais cherché à retrouver sa mère ? On reviendra alors aux premières scènes du film : une fugue pour retrouver son père, dont nous ignorons tout ? Veut-il ne pas retrouver Christine ?… A-t-il été tué par Northcott, comme les frères Winslow, ou bien a-t-il trouvé la mort dans d’autres circonstances ? Le mystère ne sera jamais résolu. Insupportable, cette ambiguïté, pour certains spectateurs, qui faute de se voir offrir une réponse facile sur un plateau, ont reproché au film un happy end de façade qui n’existe pas.  

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ci-dessus : Clint Eastwood et Angelina Jolie répondent à une interview (non sous-titrée) sur l’histoire de Christine Collins. Avec deux brefs extraits du film où Christine (Angelina Jolie) se confronte au Capitaine Jones (Jeffrey Donovan), et où elle trouve le soutien du Révérend Briegleb (John Malkovich).  

Voilà, j’en ai dit beaucoup sur l’histoire de CHANGELING, sans trop me pencher sur toutes les autres qualités du film de Clint Eastwood. Et pourtant, Dieu sait qu’il y a beaucoup à dire ! Je saluerai pour conclure le sens du détail d’époque, toujours bien vu, dont fait preuve le cinéaste : les patins à roulettes de Christine à son travail ; la circulation automobile, limitée (Los Angeles, en 1928, ne connaissait pas encore les monstrueux embouteillages et les autoroutes de notre époque) et les quartiers tranquilles de la Cité des Anges, les motards de la police, un diner portant le nom de Bummy’s (hommage affectueux à Henry Bumstead, grand chef décorateur de cinéma, ami et collaborateur de Clint récemment disparu)… L’atmosphère du film repose également sur l’immense talent du chef opérateur Tom Stern, toujours à l’aise avec les ombres « eastwoodiennes ». La musique, signée de Clint, joue un rôle discret mais important, le cinéaste et compositeur signant un nouveau thème mélancolique entêtant. Les acteurs sont tous prodigieux. John Malkovich livre une superbe prestation, pour ses retrouvailles avec Clint, quinze ans après DANS LA LIGNE DE MIRE. Ici, Malkovich est magistral dans le rôle du Révérend Briegleb, un homme digne et intègre dans une ville corrompue. Tous les seconds rôles, jusqu’à la plus modeste silhouette, sont trés bons : Jeffrey Donovan, détestable à souhait en Capitaine J.J. Jones ; Jason Butler Harner, qui joue le rôle du tueur, est à la fois terrorisant et pathétique ; Amy Ryan est touchante dans le rôle de Carol Dexter. Les gamins sont parfaits de naturel, dans un film difficile. Enfin, Angelina Jolie nous rappelle ici qu’avant d’être une cible à paparazzi, ou la « meuf » caricaturale de films d’action décérébrés, elle est une actrice exceptionnelle. Investie à fond dans le rôle de Christine Collins, Angelina est totalement crédible en petite bonne femme du peuple confrontée aux pires épreuves qu’une mère puisse vivre. On oublie son côté « star » pour ne voir que Christine Collins. Le jury des Golden Globes ne s’y est pas trompé en la nommant pour le titre de Meilleure Actrice, et il n’y a aucun doute que les Oscars feront de même – en la récompensant. Car elle le mérite bien, ce petit bout de femme au coeur de lion !  

Ma note :  

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La fiche technique :  

CHANGELING / L’Echange  

Réalisé par Clint EASTWOOD   Scénario de J. Michael STRACZYNSKI  

Avec : Angelina JOLIE (Christine Collins), John MALKOVICH (Révérend Gustav Briegleb), Jeffrey DONOVAN (Capitaine J.J. Jones), Michael KELLY (Inspecteur Lester Ybarra), Jason BUTLER HARNER (Gordon Northcott), Amy RYAN (Carol Dexter), Geoffrey PIERSON (S.S. Hahn), Colm FEORE (Chef James E. Davis), Eddie ALDERSON (Sanford Clark), Asher AXE (David Clay), Devon CONTI (Arthur Hutchins), Gattlin GRIFFITH (Walter Collins), Lily KNIGHT (Mrs. Leanne Clay), Dennis O’HARE (Docteur Jonathan Steele)  

Produit par Clint EASTWOOD, Brian GRAZER, Ron HOWARD et Robert LORENZ (Imagine Entertainment / Malpaso Productions / Relativity Media)   Producteurs Exécutifs Geyer KOSINSKI, Tim MOORE et James WHITAKER  

Musique Clint EASTWOOD   Photo Tom STERN   Montage Joel COX et Gary ROACH   Casting Ellen CHENOWETH  

Décors James J. MURAKAMI   Direction Artistique Patrick M. SULLIVAN Jr.   Costumes Deborah HOPPER

1er Assistant Réalisateur Donald MURPHY  

Mixage Son John T. REITZ et Gregg RUDLOFF    Montage Son Bub ASMAN et Alan Robert MURRAY  

Distribution USA : Universal Pictures / Universal Studios / Distribution INTERNATIONAL : UIP  

Durée : 2 heures 21

Robert Mulligan (1925-2008)

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Un cinéaste attachant s’en est allé le 20 décembre dernier, à l’âge de 83 ans. Il s’appelait Robert Mulligan, et il mérite bien ici que nous lui rendions hommage. Cet homme d’une grande discrétion était un réalisateur de grand talent, particulièrement doué pour les films dramatiques, dont il a signé quelques très beaux fleurons durant les années 1960-1970.  

Né en 1925, Mulligan a étudié à l’Université de Fordham avant de servir durant la 2e Guerre Mondiale dans le corps des US Marines. La guerre finie, il travailla au département éditeur du New York Times, mais rejoignit bientôt le monde de la télévision, alors à ses premiers balbutiements dans l‘Amérique de l‘après-guerre. Employé chez CBS, Mulligan débuta sa carrière au bas de l’échelle, en tant que messager, et apprit vite les ficelles du métier. Tant et si bien qu’il devint réalisateur en 1948, sur d’importantes séries dramatiques, durant plus d’une décennie. Pour l’anecdote, signalons qu’il y tourna un THE DEATH OF BILLY THE KID, avec un certain Paul Newman, quelques années avant que ce dernier (disparu, rappelons-le, il y a peu) n‘interprète un GAUCHER de célèbre mémoire. En 1957, Robert Mulligan signa son premier film de cinéma, FEAR STRIKES OUT (PRISONNIER DE LA PEUR), un drame avec Anthony Perkins et Karl Malden. Deux ans plus tard, il remporta l’Emmy Award de la mise en scène pour THE MOON AND SIXPENCE, production télévisée qui mettait en vedette le grand acteur britannique Sir Laurence Olivier en personne. Il revint au cinéma en 1960, pour signer THE RAT RACE (LES PIÈGES DE BROADWAY) avec Tony Curtis et Debbie Reynolds. Mulligan entama ainsi une décennie fructueuse qui va faire de lui un cinéaste peu à peu reconnu comme de premier plan, particulièrement à l’aise dans le drame intimiste. Il retrouva Tony Curtis l’année suivante, pour signer THE GREAT IMPOSTOR (LE ROI DES IMPOSTEURS), et réalisa immédiatement après COME SEPTEMBER (LE RENDEZ-VOUS DE SEPTEMBRE), avec Gina Lollobrigida et Rock Hudson.  

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1962 : toujours très actif, Mulligan tourna THE SPIRAL ROAD (L’HOMME DE BORNÉO), un film d’aventures avec Rock Hudson, Burl Ives et Gena Rowlands, d’après le livre de Jan de Hartog, avant d’enchaîner sur son film le plus célèbre. Adapté du roman de Harper Lee, TO KILL A MOCKINGBIRD (DU SILENCE ET DES OMBRES) demeure, 46 ans après sa sortie, une réussite à tout point de vue : Gregory Peck y livre une performance mémorable dans le rôle d’Atticus Finch, un avocat veuf, élevant seul ses deux enfants dans une petite ville d’Alabama rongée par le racisme, durant la Grande Dépression. Raconté du point de vue de Scout, la petite fille de l’avocat, le film (écrit par le grand dramaturge Horton Foote) marque les mémoires, tant par son atmosphère nostalgique teintée de noirceur que par sa critique virulente du racisme « redneck », hélas encore bien actif à l‘époque du film comme de nos jours. Outre Peck, les autres comédiens accomplissent de remarquables performances – notamment Brock Peters, dans le rôle de Tom Robinson, l’ouvrier Noir injustement accusé d’un viol, et un jeune Robert Duvall qui, en quelques minutes de présence muette dans le rôle de « Boo » Radley, se révèle déjà un grand acteur. Et surtout, Mulligan se montre un excellent directeur d’enfants comédiens, dont l’inoubliable petite Mary Badham, la petite Scout qui découvre le monde injuste des adultes. Le film sera un succès à sa sortie, reconnu comme un indémodable classique du grand cinéma Américain. Robert Mulligan fut nominé à l’Oscar du Meilleur Réalisateur, ainsi qu’aux Directors Guild of America Awards pour ce film.  

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Ci-dessus : la bande-annonce en VO de TO KILL A MOCKINGBIRD / Du Silence et des Ombres.    

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Ci-dessus : un montage photo accompagnant le superbe monologue (VO) prononcé par Atticus (Gregory Peck) à la fin du procès de TO KILL A MOCKINGBIRD.

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Ci-dessus : un extrait en VO de LOVE WITH THE PROPER STRANGER / Une Certaine Rencontre. Rocky (Steve McQueen) accompagne Angie (Natalie Wood), qui va subir un avortement clandestin…  

En 1963, Robert Mulligan signa LOVE WITH THE PROPER STRANGER (UNE CERTAINE RENCONTRE), avec Steve McQueen et Natalie Wood. Un beau drame romantique qui permet à McQueen de briller dans un rôle bien différent, plus tendre, que les grands films d’action qui ont fait sa gloire. Les deux vedettes de LOVE WITH THE PROPER STRANGER retrouveront d’ailleurs Mulligan en 1965, pour ses deux films suivants. McQueen excellera dans un autre rôle dramatique aux côtés de Lee Remick : BABY, THE RAIN MUST FALL (LE SILLAGE DE LA VIOLENCE), et Natalie Wood tiendra le rôle-titre de INSIDE DAISY CLOVER (DAISY CLOVER) avec Christopher Plummer et Robert Redford. 1967 : Mulligan réalisa UP THE DOWN STAIRCASE (ESCALIER INTERDIT) avec Sandy Dennis, puis retrouva l’année suivante Gregory Peck pour un western, THE STALKING MOON (L’HOMME SAUVAGE), où le héros de TO KILL A MOCKINGBIRD joue aux côtés d’Eva Marie Saint.  

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Ci-dessus : un montage photo des scènes d’UN ETE 42, accompagné par la célèbre musique de Michel Legrand.  

En 1971, Robert Mulligan revint à l’affiche avec deux nouveaux films : THE PURSUIT OF HAPPINESS avec Michael Sarrazin et Barbara Hershey. C’est cependant son film suivant, UN ÉTÉ 42, qui va rester dans les mémoires et connaître un grand succès à sa sortie. Bercée par la célèbre musique de Michel Legrand, UN ÉTÉ 42 relate avec beaucoup de tact l’histoire d’amour d’un adolescent, Hermie, avec Dorothy, une belle jeune veuve d’un pilote de l’US Air Force mort au combat. Mulligan y évite les pièges d’une histoire qui, sur le papier, pourrait être graveleuse ou niaise, et, à l’écran, le film dégage toujours une belle force poétique, pleine de mélancolie. Le cinéaste se montre une nouvelle fois un excellent directeur de jeunes comédiens, Gary Grimes étant excellent dans le rôle délicat de Hermie. Et la magnifique Jennifer O’Neill marquera les souvenirs des spectateurs. Robert Mulligan décrochera pour UN ÉTÉ 42 une nomination au Golden Globe du Meilleur Réalisateur et à la Directors Guild of America Award.  

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Robert Mulligan va par la suite ralentir quelque peu le rythme de ses tournages, mais livrera encore quelques belles réussites. Comme L’AUTRE, sorti en 1972. Dans la mouvance des films fantastiques produits par les majors suite au succès de ROSEMARY’S BABY, et peu avant le triomphe de L’EXORCISTE, L’AUTRE se remarque comme une des plus belles réussites du genre. Adapté du roman de l’ancien acteur Tom Tryon, le film relate une histoire inquiétante liée à deux jumeaux, Niles et Holland Perry, durant leurs vacances d‘été dans les années 1930s. Holland, le plus turbulent des deux frères, semble tirer un malin plaisir à commettre des bêtises dont Niles se retrouve accusé… mais ce n’est qu’un aspect du film, particulièrement touchant et effrayant. Magnifiquement filmé et interprété (les jumeaux Chris et Martin Udvarnocky sont particulièrement convaincants, de même que la grande actrice allemande Uta Hagen), L’AUTRE distille une atmosphère d’ »angoisse paisible », le réalisateur tordant habilement le cou aux clichés surnaturels d’usage : en lieu et place, Mulligan filme une demeure chaleureuse, une ferme baignée par le soleil de douces vacances d’été, et utilise tout en suggestion les éléments fantastiques et horrifiques. Peu d’effets choc, mais un usage habile de la caméra et du découpage, des dialogues tout en retenue, des acteurs crédibles, et tout cela suffit pour, au final, tétaniser d’horreur le spectateur à chaque révélation du scénario. Du grand art, pour un film à redécouvrir et réhabiliter d‘urgence.  

Ci-dessous, la bande-annonce originale du film établit parfaitement l’atmosphère du film.  

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En 1974, Mulligan signa NICKEL RIDE, avec Jason Miller, sur un scénario d’Eric Roth (le futur auteur des scripts de FORREST GUMP, ALI, BENJAMIN BUTTON et quelques autres réussites). Il tournera encore deux films en 1978, BLOODBROTHERS (LES CHAÎNES DU SANG) avec un jeune acteur prometteur, Richard Gere, et connaîtra de nouveau le succès avec la comédie douce-amère MÊME HEURE, L’ANNÉE PROCHAINE, avec Ellen Burstyn et Alan Alda.  

En vieillissant, le réalisateur s’éloignera de plus en plus des plateaux de tournage, signant encore trois films. En 1982, il dirigea Sally Field, James Caan et Jeff Bridges dans KISS ME GOODBYE. Il faudra attendre six années pour le voir signer CLARA’S HEART (LE SECRET DE CLARA) avec Whoopi Goldberg. Ces deux films passeront inaperçus, mais le cinéaste signera un joli dernier film en 1991, hâtivement vu comme le pendant féminin de son ÉTÉ 42 : THE MAN IN THE MOON (UN ÉTÉ EN LOUISIANE), avec Sam Waterston. Et une jeune révélation, prouvant une fois de plus son talent de découvreur de jeunes acteurs : une Reese Witherspoon encore adolescente, et qui porte le film avec charme et naturel, entamant dans les louanges une carrière prometteuse. En voici un extrait (non sous-titré et « compressé »…) :  

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Le premier film de la jeune comédienne sera aussi donc le dernier de Robert Mulligan, qui goûtera par la suite une retraite bien méritée, et dont le nom restera associé à quelques indiscutables classiques du Cinéma Américain.

La seule belle âme… – CHANGELING / L’Echange (1ere partie)

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CHANGELING / L’Échange, de Clint Eastwood  

L’Histoire :   

Elle est basée sur une affaire réelle. En 1928, Christine Collins, une mère célibataire, travaille comme standardiste à Los Angeles, où elle vit dans un quartier paisible avec son fils de neuf ans, Walter, qu‘elle élève seule. Le dimanche 10 mars de cette année-là, Christine est appelée en urgence pour un remplacement au travail, et doit sacrifier son jour de repos. Elle laisse Walter seul pour la journée, et part au travail après lui avoir préparé un repas pour midi. Mais à son retour en fin de journée, Christine ne trouve aucune trace de son petit garçon. Dans le voisinage, personne n‘a vu Walter. Elle appelle la police, qui ouvre une enquête pour disparition.  

 

Durant plus de quatre mois, Christine est sans aucune nouvelle de son fils. Pendant cette période, sa détresse touche le Révérend Gustav Briegleb, bien connu pour ses sermons à la radio critiquant ouvertement l‘incompétence, la corruption et la brutalité du LAPD, notamment le « Gun Squad » mené par le Chef James E. Davis. Au mois d‘août, le Capitaine J.J. Jones, chargé de retrouver le petit garçon, croit enfin offrir la bonne nouvelle à Christine : on a retrouvé Walter, vivant et en bonne santé, abandonné par un vagabond dans un relais routier en Illinois. Des retrouvailles publiques entre Christine et Walter sont organisées par Davis et Jones à la gare de Los Angeles. Mais Christine est stupéfaite de voir qu‘on lui amène un autre petit garçon. Elle a beau affirmer que celui-ci n‘est pas son fils, Jones la convainc que sa réaction est normale, due à des mois d‘angoisse et de détresse, et la persuade de le ramener chez elle. Mais des signes ne trompent pas, prouvant de toute évidence que le jeune garçon n’est pas Walter. Le médecin des Collins et l’institutrice de Walter témoignent dans ce sens. Encouragée par le Révérend Briegleb, Christine tente de pousser le Capitaine Jones à reprendre l’enquête, que celui-ci considère close et favorable au LAPD. Quand elle se décide à donner une conférence de presse révélant l‘imposture du Département de la Police, Jones excédé la fait interner au Los Angeles County Hospital, dans l’aile des malades psychotiques…  

 

Alors que commence pour la jeune femme un terrible calvaire, un autre officier du LAPD, l’Inspecteur Lester Ybarra arrête un mineur, Sanford Clark, venu illégalement du Canada travailler à la ferme de son cousin, Gordon Northcott, à Wineville, et doit le reconduire ensuite à la frontière suivant les ordres de Jones. Ce que Sanford, bouleversé et terrifié, va révéler à Ybarra bouleversera à tout jamais la vie de Christine…  

  

La Critique :  

Ouff… plus de 15 jours ont passé, depuis que j’ai vu CHANGELING (titre original préférable à un ECHANGE assez banal en français), le dernier film réalisé par Mister Clint Eastwood… pardon, l’avant-dernier, car ce sacré Clint, 78 ans et une rage de filmer intacte, a tourné et sorti dans la foulée un film de plus, GRAN TORINO, dont il est aussi la vedette, et qui va faire sans doute trés mal… mais revenons à CHANGELING.  

N’en déplaise aux avis officiels de certains criticaillons trop impatients de pouvoir cracher leur venin sur un cinéaste acclamé pour une récente série de films exceptionnels, CHANGELING est un chef-d’oeuvre absolu. Un électrochoc de larmes, d’émotion et d’humanité, mais aussi un sommet de noirceur, une plongée dans un cauchemar tétanisant dans ce qui peut se faire de pire dans la nature humaine ! Ceux qui n’ont pas encore vu le film, soyez prévenus : il faut être blindé psychologiquement pour suivre sans flancher le chemin de croix de l’héroïne, Christine Collins, et la description de l’Horreur absolue en la personne du tueur en série Gordon Northcott. En ce qui me concerne, CHANGELING m’a vraiment marqué. Je ne pense pas être quelqu’un de facilement impressionnable, au cinéma s’entend, or j’ai bien failli pleurer deux fois, et j’en ai fait des cauchemars la nuit suivante… 

Au fait, cette histoire est réellement arrivée, hélas…  

Pardon d’avance pour cette entrée en matière brouillonne, mais depuis 15 jours, j’ai eu du mal à mettre au point ce que je voulais écrire sur ce film, magistral mais difficile à tous égards. Difficile de rendre justice en mots au travail de Clint, mais essayons !…  

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ci-dessus : le tableau du peintre suisse Johann Heinrich Füssli intitulé THE CHANGELING (1780).  

D’abord, que diable signifie ce titre original, CHANGELING ? Il faut en fait remonter dans les mythologies nordiques et celtiques pour en connaître la première explication. Dans les contes, « Changeling », le Changelin, c’est un enfant enlevé après la naissance par les êtres magiques – fées, trolls, lutins, farfadets, etc. – et échangé contre un autre enfant de leur propre espèce. Un être, qui, en grandissant, devient hideux et malfaisant, et pousse généralement les parents humains à le rejeter, voir le tuer… Dans le film qui nous intéresse, le Changelin, c’est un petit garçon que la police de Los Angeles, en 1928, va remettre à Christine Collins, mère célibataire désemparée par la disparition de son fils Walter, en affirmant qu’il s’agit bien de son fils enlevé des mois auparavant. Ce qu’elle va nier et refuser obstinément, avec raison… mais en subissant toute la cruauté dont les hommes sont capables contre les plus faibles qu’eux… Un « conte d’horreur pour adultes« , selon Clint Eastwood, qui a parfaitement saisi l’esprit du scénario de J. Michael Straczynski. Sous l’aspect de la reconstitution d’une époque, d’un drame personnel et d’une enquête policière, nous sommes ici dans le territoire du conte de fées - celui des récits terrifiants des frères Grimm. Dans tout les contes, il y a un ogre. Celui que va croiser Christine Collins au bout de sa tragédie…   

Le scénariste, J. Michael Straczynski, est un nom plus familier aux amateurs de séries télévisées et de comics : cet auteur s’est fait connaître du grand public en produisant la série TV de science-fiction BABYLON V, au début des années 1990s – un vaste space opera acclamé pour son intelligence (on accorde autant d’importance aux batailles et aux explorations spatiales qu’à la description de relations politiques crédibles entre peuplades ennemies – pour un parallèle bien senti avec la situation politique mondiale de la précédente décennie) et devenu un « must » du genre. Straczynski est aussi passé scénariste à succès chez Marvel, où il a repris les rênes des aventures de Spider-Man avec autant de succès que de contestation chez les fans du Tisseur. Mais avant tout, il reste un écrivain, qui est tombé tout à fait par hasard sur l’histoire de Christine Collins et s’est pris de passion pour le sujet – apparemment, la Police de Los Angeles faisait le ménage dans ses vieilles archives, et le dossier Christine Collins, peu flatteur pour le LAPD (Los Angeles Police Department), aurait été détruit pour de bon si un ami de l’auteur n’avait pas eu la présence d’esprit de tout garder et de lui en parler !… Au vu du résultat final, on comprend vite que l’affaire Collins ait pu passionner Straczynski, et, à travers lui, Clint Eastwood.  

Les thèmes abordés dans CHANGELING sont nombreux et complexes, mais clairement exposés et décrits. Entre autres, on y traite : du combat d’une mère seule dans une société machiste et excessivement répressive à l’égard des « mauvaises femmes » ; d’une enquête sur un tueur en série absolument monstrueux ; de l’incompétence, de la violence et de la corruption au sein du LAPD sous la Prohibition (en livrant seulement quelques images saisissantes des gun squads, ces véritables escadrons de policiers tueurs, Eastwood fait mieux qu’un roman entier de James Ellroy au meilleur de sa forme); du pouvoir de fascination de Hollywood, toujours présent en filigrane dans la vie des habitants de Los Angeles (les références aux films et aux stars de l’époque par les personnages scandent l’histoire à plusieurs reprises – la promesse d’aller voir un film de Chaplin ; le « Changelin » qui, voulant voir le cow-boy Tom Mix, déclenche malgré lui le drame de Christine Collins) ; de la force d’une communauté de citoyens unis par un pasteur presbytérien, le Révérend Briegleb, véritable voix de la Vérité dans le film et personnage fondamentalement « eastwoodien » (nombre de films de Clint accordent une place importante aux révérends et autres « preachers«  - PALE RIDER, LE CANARDEUR, SPACE COWBOYS, MILLION DOLLAR BABY et j’en oublie sûrement…); des enfants kidnappés et martyrisés (revoir UN MONDE PARFAIT et MYSTIC RIVER) ; de l’Horreur absolue dans la psychopathie (souvenez-vous de Scorpio dans DIRTY HARRY, ou d’Evelyn – Jessica Walter dans PLAY MISTY FOR ME/ Un Frisson dans la Nuit, première réalisation de Clint) ; de la peine de mort, ce meurtre légalisé par l’Etat américain, déjà évoqué par Clint dans TRUE CRIME/Jugé Coupable, mais aussi il y a 40 ans dans PENDEZ-LES HAUT ET COURT ; du caractère destructeur de la Peur comme instrument de pouvoir (aussi bien de Northcott sur ses victimes que des policiers et médecins vis-à-vis de Christine et des internées de l’asile), et la façon dont cette peur, fruit de la haine et de la violence humaine peut affecter ses victimes (aussi bien Northcott dans son enfance, son jeune cousin Sanford Clark, que Christine dans la confrontation finale avec le tueur)…  

Et n’oublions pas l’importance accordée au cadre de l’histoire : nous sommes dans l’Amérique de la Grande Dépression, entre 1928 et 1935. HONKYTONK MAN, autre chef-d’oeuvre de Clint, se situait aussi à cette époque. Coïncidence ? Eddie Alderson, le jeune comédien qui joue Sanford Clark, le jeune complice-victime forcé de Northcott, ressemble à s’y méprendre au jeune garçon héros de ce précédent film, joué par Kyle Eastwood, le fils de Clint devenu un brillant jazzman ! Ou à Clint lui-même, quand il n’était qu’un enfant et a bien connu cette dure période de l’Histoire américaine, immortalisée par LES RAISINS DE LA COLERE…  

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Ci-dessus : la bande-annonce de CHANGELING.   

Tous ces thèmes s’entrecroisent au travers d’un scénario parfaitement agencé, selon la règle « classique » des 3 actes dramatiques. Chaque acte pourrait être « chapitré » avec un titre spécifique.  

1 ) la Disparition  

CHANGELING s’ouvre tout en douceur, presque banalement pourrait-on croire, en nous montrant la dernière journée que Christine Collins va vivre avec son petit garçon, Walter. La description paisible, toute en douceur, d’une journée ordinaire dans la vie d’une mère obligée de gagner seule sa vie pour élever son fils. Mais, déjà, un léger malaise flotte. Le petit garçon, très calme avec sa mère aimante, s’est battu à l’école avec un camarade. La raison est toute simple : celui-ci a eu le tort de se moquer de l’absence du père de Walter. Pourquoi a-t-il quitté Christine et Walter ? Celle-ci, évasive, répond quelque chose comme « La boîte des responsabilités lui a fait peur« , avant de changer prudemment de sujet. Réponse peu satisfaisante pour le gamin. L’impression de malaise persistera dans les scènes suivantes, avant le drame. Premier grand mystère du film, qui prendra peut-être toute son importance dans la scène finale…Le jour suivant, commence pour Christine le début de son cauchemar, de sa descente en Enfer. Au retour d’une journée de travail impromptue (on est dimanche !), Christine ne retrouve pas Walter chez eux… le gamin a inexplicablement disparu. Première épreuve pour Christine, une attente obligatoire de 24 heures et une nuit d’angoisse avant de pouvoir signaler la disparition de l’enfant aux policiers. Procédure légale pour l’époque, mais aux répercussions terribles en l’occurence puisqu’elle fait le jeu d’un criminel psychopathe qui a largement le temps de quitter Los Angeles avec sa victime…   

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Alors que les jours passent, et que l’enquête traîne, la solitaire Christine va se trouver un allié inattendu : le Révérend Briegleb, auteur de sermons radiophoniques bien sentis où il attaque ouvertement les dirigeants du LAPD, notamment le Chef James E. Davis. Ce représentant de la Loi avait des méthodes qui scandaliseraient aujourd’hui encore n’importe quel honnête citoyen. Notamment quand il est montré tenant un discours ahurissant sur la lutte contre les criminels. Selon Davis, il faut les abattre en pleine rue, sans aucune forme de procès ! Et tant pis pour les passants innocents qui prendraient des balles perdues… Via Briegleb, Eastwood réussit une dénonciation impitoyable des violences policières, sujet toujours d’actualité dans notre monde. Ici, le LAPD forme au vu et au su de tous des Escadrons de la Mort, les fameux Gun Squads, responsables d’une pluie de cadavres suspects du côté de Mulholland Drive. Rien n’est inventé, la police de Los Angeles est hélas célèbre depuis longtemps pour ses activités suspectes. Tuer des gangsters n’a rien de glorieux ni d’héroïque. Comme le dit le très lucide Révérend, le LAPD « élimine la concurrence » pour les affaires. Les plus dangereux gangsters de Los Angeles ? Ses policiers !  

Ce premier acte ne se limite pas d’ailleurs à fustiger la brutalité policière de l’époque. Il passe en revue une hallucinante batterie des moyens de pression employés par des officiers peu soucieux de la détresse maternelle de la pauvre Christine. Plus soucieux de redorer leur blason que de faire consciencieusement leur devoir public, Davis et le Capitaine J.J. Jones (chargé de l’enquête sur la disparition de Walter) vont mettre en scène des retrouvailles faussement émouvantes, pour la une des journaux, entre Christine Collins et un petit garçon, Arthur Hutchins, qui n’est pas Walter… On devine la stupeur et la cruelle déception que peut ressentir la jeune femme à ce moment-là, elle à qui Jones annonçait fièrement le retour sain et sauf de son fils. La malheureuse se retrouve alors, à ce moment précis, prise au piège pour les besoins d’un happy end factice orchestré par le pouvoir policier – bon prétexte pour ces derniers de se donner le beau rôle et soigner une réputation désastreuse ! Clint Eastwood nous mettait déjà en garde contre le dangereux pouvoir des manipulations médiatiques de tout acabit : l’opération militaire de Grenade servie « sur un plateau » par l’US Army à un public crédule dans HEARTBREAK RIDGE / Le Maître de Guerre ; les fausses légendes de l’Ouest écrites par le pitoyable journaliste d’UNFORGIVEN / Impitoyable ; ou encore la célèbre photo d’Iwo Jima, qui fut mise en scène et exploitée à des fins de propagande, comme on le voit dans FLAGS OF OUR FATHERS / Mémoires de nos Pères… Les retrouvailles filmées ici desserviront Christine par la suite de sa tragédie. Le psychiatre obtus « gobera » la belle histoire vendue par le LAPD, et se servira d’une photo prise ce jour-là pour refuser à Christine le droit de sortir de l’asile. Méfiez-vous des hommes de pouvoir qui croient dur comme fer au pouvoir absolu de l’Image…  

Le Capitaine Jones a droit aux plus belles piques du réalisateur durant cette première partie. Voilà un officier qui, en apparence, porte beau et semble plutôt sympathique quand il prend en charge l’enquête. Eastwood va peu à peu nous dévoiler son véritable visage, en procédant par couches successives. J.J. Jones, en bon flic macho, ne supporte pas qu’un petit bout de femme vienne contester son autorité et sa « supériorité » masculine. Rappelons que nous sommes en 1928, dans une société américaine encore trés patriarcale, où les mères célibataires sont mal vues. La libération de la Femme n’existe pas encore, et des hommes comme Jones sont nombreux à croire que la place de celle-ci est uniquement vouée aux enfants, à la cuisine et au ménage… Qu’une Christine Collins vienne sans cesse lui dire qu’il se trompe et ne fait pas son travail est, à ses yeux, tout à fait impossible. En réponse, Jones se réfugie en toute bonne conscience dans les clichés misogynes : si  »la Collins », comme il l’appelle bientôt avec mépris, ne reconnaît pas son fils, c’est tout à fait normal. Pour lui, elle est fragile, émotive, impressionnable… autant de sous-entendus chargés de condescendance vis-à-vis du « sexe faible » typiques de l’époque.  

Plus grave encore, Jones est tellement figé dans ses préjugés machistes qu’il est incapable de la moindre autocritique. Au lieu de se demander pourquoi Christine lui met sous le nez des preuves irréfutables (la diminution de la taille de l’enfant, sa circoncision) et de reconnaître ses torts (cela serait à ses yeux un aveu de faiblesse, intolérable pour ses supérieurs!), Jones va pressurer cette dernière, lui envoyant un médecin chargé de lui expliquer noir sur blanc les subits changements de « Walter »/Arthur… Les arguments paternalistes, pseudo-scientifiques, de ce personnage aux ordres de Jones sont ahurissants de bêtise autosatisfaite ! Soutenue par le Révérend et une communauté de petites gens dont Eastwood nous montre quelques-uns des représentants les plus attachants (le patron du standard, le médecin dentiste, l’institutrice), Christine se découvre une âme de combattante. Suprême affront pour Jones : la jeune femme va ridiculiser publiquement ses méthodes au cours d’une émission de radio. L’officier en conclut qu’elle ne peut qu’être « hystérique », la réponse fourre-tout des misogynes… L’argument lui permet d’envoyer la malheureuse en hôpital psychiatrique, légalement, sans aucun procès. Et de se débarrasser du problème par la même occasion, croit-il.  

Pour Christine Collins, un cauchemar cède la place à un autre plus terrible encore, qui va la toucher dans sa condition non seulement de mère, mais de femme. Pour le spectateur, c’est le début d’une littérale plongée en Enfer. Une mission de routine d’un autre officier, compétent celui-là, qui va nous amener à regarder l’Horreur en face…  

à suivre…

Passé contre Futur – BODY OF LIES / Mensonges d’Etat

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BODY OF LIES / Mensonges d’Etat, de Ridley Scott  

L’Histoire :  

la Guerre au Terrorisme, décrétée par le Gouvernement des Etats-Unis après les attaques du 11 septembre 2001, a entraîné une escalade d’attentats meurtriers commis par les réseaux terroristes islamistes d‘Al-Qaida dans le monde entier - notamment en réponse aux invasions de l‘Afghanistan et de l‘Irak par les militaires américains et leurs alliés. Les membres d’une cellule terroriste, implantée à Manchester en Angleterre, sur le point d‘être arrêtés, se font sauter dans leur planque, entraînant des dizaines de morts dans leur suicide. Tout porte à croire que les terroristes travaillaient pour un des principaux leaders d‘Al-Qaida, Al-Saleem, et préparaient un attentat dévastateur dans une grande ville anglaise. Plus inquiétant, Al-Saleem se répand en messages haineux de menaces à tout l‘Occident, annonçant de nouveaux attentats dans des places publiques des grandes villes européennes.   Ed Hoffman, le Directeur de la Section du Proche-Orient de la CIA, charge son jeune agent Roger Ferris de trouver la piste qui leur permettra de remonter jusqu‘à Al-Salim. Agent infiltré, Ferris connaît parfaitement les cultures orientales et est entraîné à se fondre dans la foule locale pour des opérations extrêmement risquées. À Samarra en Irak, Ferris et son collègue et ami Bassam entrent en contact avec Nizar, un ancien linguiste, ex-membre du Parti Baas de Saddam Hussein, « reconverti » par Al-Saleem, et qui affirme détenir ses informations sur ce dernier. Ils le rencontrent à Balad, un petit village en plein désert, mais ne le persuadent pas de le suivre. Pris pour cible par des hommes d‘Al-Saleem, Ferris et Bassam appellent à l‘aide de Hoffman, qui suit les opérations par contrôle satellite. Deux hélicoptères américains sont appelés à la rescousse, mais la fusillade et la poursuite causent non seulement la mort des terroristes, mais aussi celle de Bassam, victime collatérale. Blessé, Ferris est forcé au repos dans une base américaine du Qatar.  

Sitôt guéri, Ferris est envoyé par Hoffman en Jordanie pour reprendre la direction de l‘antenne locale de la CIA, et rencontrer Hani Salaam, le tout-puissant chef du GID, les Services Secrets Jordaniens. Ferris doit gagner la confiance de Hani pour qu‘ils travaillent ensemble, afin d’arrêter et interroger des hommes d‘Al-Saleem cachés dans un immeuble voisin d‘un grand marché d‘Amman, la capitale Jordanienne. Le jeune agent sait que le temps et le contexte jouent contre lui, alors qu’Al-Saleem, toujours introuvable, prépare une nouvelle attaque terroriste…  

 

La Critique :  

Il sera intéressant de revenir, dans quelques années, sur la façon dont le cinéma américain a pris au fil des années une position critique envers l’administration Bush, sa supposée Guerre au Terrorisme et ses errements durant cette décennie dramatique. Le 21e Siècle commence mal, on le sait. Et la crise économique mondiale qui vient de se produire sonne le glas de deux mandats présidentiels abracabrantesques pour la planète entière. L’élection de Barack Obama fait naître un espoir immense, mais bien fragile, tant les dégâts économiques, géostratégiques, culturels et politiques laissés par le futur ex-président et ses faucons nous ont fait vivre des années de peur et de doute. Entre autres artistes, les cinéastes se sont en réponse largement investis contre cet état de fait, en livrant des oeuvres souvent inspirées et lucides. BODY OF LIES (chez nous : Mensonges d’Etat), le nouveau film de Ridley Scott, rejoint ses prédécesseurs filmiques, avec brio et justesse. Quitte à fâcher le public américain, qui malgré le duel de stars à l’affiche, a boudé ce thriller mené de main de maître. Ce qui peut s’expliquer par bien des raisons conjointes : les spectateurs américains, échaudés par la crise financière, les mauvaises nouvelles venues d’Irak et autres « cadeaux » que leur laisse le 43e Président, avaient sans doute plus envie de se divertir que d’aller voir un film les renvoyant sans complaisance à la situation actuelle au Proche-Orient…  

BODY OF LIES est avant toute chose un thriller, un genre où Ridley Scott est comme un poisson dans l’eau. Le cinéaste britannique, plus de 70 ans au compteur, venait tout juste de nous livrer l’an dernier un magistral AMERICAN GANGSTER, polar brut de coffrage passionnant, et continue sur sa lancée avec cette description pointue et crédible des mécanismes d’opérations secrètes de la CIA au Proche-Orient. L’occasion bien sûr d’aborder la délicate question du terrorisme islamiste, et de la gestion désastreuse du dossier Irak par des dirigeants plus concernés par le profit et le résultat immédiat que par les conséquences à long terme sur les populations. En ce sens, le film n’est pas trés éloigné de SYRIANA, le film de Stephen Gaghan avec George Clooney et Matt Damon. BODY OF LIES, c’est aussi l’histoire du choc de civilisations, de modes de pensées en totale opposition, cohabitant à la même époque et incapables de se comprendre. L’une est profondément ancrée dans ses traditions et l’autre sacrifie tout à la technologie déshumanisée. Comme l’énonce Ed Hoffman, le directeur de la branche CIA au Proche-Orient, c’est maintenant le combat des forces du Passé contre celles du Futur. Le Coran et les dérives de son interprétation par des ayatollahs pousse-au-meurtre contre la surveillance satellitaire et informatique constante – et pas forcément efficace… La « Guerre Asymétrique », l’affrontement entre deux forces hostiles aux moyens radicalement différents rappelle un film précédent de Ridley Scott, LA CHUTE DU FAUCON NOIR (auquel quelques plans de combats de rue font ouvertement référence en début de film), mais est ici traité avec beaucoup plus de subtilité.  

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Ci-dessus : la bande-annonce en VOST de BODY OF LIES. 

L’opposition se trouve aussi au sein même des agents de la CIA, entre des patrons paisiblement installés derrière les moniteurs de leur satellites à des milliers de kilomètres de là, et les agents sur le terrain qui jouent leur peau à tout instant… Roger Ferris, le jeune agent campé par Leonardo DiCaprio, est un adepte de la méthode d’investigation classique, reposant sur la connaissance du terrain, des habitants, et surtout des coutumes locales. On devine sans peine que ce jeune agent a finalement bien plus de sympathie pour les populations locales que pour ses bureaucrates de patrons de Washington. Par bien des aspects, Ferris est assez proche du personnage que jouait Orlando Bloom dans KINGDOM OF HEAVEN, la grande saga des Croisades mise en scène par Scott en 2005 (et également écrite par le même scénariste, William Monahan) qui était aussi un commentaire désabusé sur cette pseudo-Croisade moderne qu’était supposée être la Guerre en Irak.   

Le scénario, complexe, jamais ennuyeux, multiplie les histoires sans jamais sombrer dans la confusion : la love story, naissante et risquée, de Ferris avec l’infirmière iranienne Aïcha, traitée avec beaucoup d’humanité ; la description glaçante des opérations terroristes ; la manipulation d’un infortuné architecte, Omar Sadiki, transformé à son insu en faux coupable aux yeux tant des organismes d’espionnage que des terroristes (et qui se conclue par un plan aussi magnifique que terrifiant : le cadavre de Sadiki finit jeté dans une décharge d’ordures à Amman, parmi les chiens errants); les subtils jeux de dupes entre le GID (les services secrets jordaniens), la CIA et les terroristes… Et, surtout, le scénariste aborde sans ambages un thème délicat : le Coran, texte religieux magnifique par bien des aspects, a été soumis au fil du temps à tellement d’interprétations radicalement opposées… Est-il un texte prônant l’amour et la tolérance, ou bien la Djihad justifiant les meurtres les plus atroces ? Les deux éternelles pulsions contraires – Eros ou Thanatos…  

La scène-choc du film, l’interrogatoire de Ferris par le chef terroriste Al-Saleem, traite magistralement de cette question. Séquence tendue, violente, difficilement supportable, mais essentielle au propos de Ridley Scott et de son scénariste. Le cinéaste en fait un véritable duel verbal entre le bourreau et sa victime, entre deux visions de l’Islam inconciliables. Surtout, elle pointe du doigt 1) les illusions idéalistes de Ferris, qui en bon Américain restait persuadé d’agir pour le Bien universel, et 2) l’hypocrisie viscérale d’Al-Saleem. Lequel prétend gagner à la sainteté par la Guerre Sainte, en omettant de rappeler à ses tueurs que chaque attentat-suicide lui permet d’éliminer non seulement des civils occidentaux, mais aussi le tueur devenu complice gênant !…    

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Ci-dessus : un court extrait d’une scène située à Amman, où Ferris (Leonardo DiCaprio) remarque un homme suspect, sous la surveillance satellite de Hoffman (Russell Crowe)…  

 

Côté mise en scène, rien à redire, Ridley Scott filme les scènes d’action et de tension avec son efficacité coutumière. Il a aussi recours à d’excellentes idées visuelles : par exemple, les voitures roulant en cercle dans le désert, et qui forment un nuage de poussière, stratagème idéal pour bloquer la vision d’un satellite ennemi… Une autre belle idée visuelle, de la part de Scott : sa façon de filmer le corps de Ferris, blessé gravement plusieurs fois, une vraie carte de la douleur causée par les échecs des missions – le « Corps des Mensonges » du titre original ? Les fragments d’os de son copain irakien, Bassam, sont carrément incrustés sous sa peau, après une terrible bavure des troupes américaines. Tout un symbole…  

 

En parlant de symbole, signalons une obsession récurrente de Ridley Scott – la main mutilée. Dans l’oeuvre du cinéaste, cette image, douloureuse s’il en est, revient dans plusieurs films : dans BLADE RUNNER, Deckard a la main brisée, et son ennemi Batty perfore la sienne d’un clou, référence christique éminente ; dans BLACK RAIN, le yakuza Satô respecte les traditions de son milieu criminel en s’amputant le petit doigt ; un pauvre Indien est sadiquement mutilé par le méchant hidalgo Moxica dans 1492 CHRISTOPHE COLOMB ; et le sinistre Hannibal Lecter se tranche volontairement la main pour échapper au FBI dans HANNIBAL. Ici, Ferris subit une éprouvante torture par le chef terroriste – les nostalgiques de BLADE RUNNER auront remarqué que Ferris perd l’usage des mêmes doigts de la main droite que Deckard (Harrison Ford). Cette énumération d’un thème assez cruel ouvre quand même une piste intéressante sur la force symbolique qui émane dans le cinéma de Ridley Scott. Voilà un thème à étudier pour les chasseurs de signes…  

 

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Ci-dessus : un montage des séquences où apparaît Hani Salaam, interprété par l’excellent comédien britannique Mark Strong. 

 

BODY OF LIES, enfin, repose aussi sur un remarquable casting d’acteurs au meilleur de leur forme. Leonardo DiCaprio et Russell Crowe célèbrent ici leurs retrouvailles 13 ans après le western sous-estimé THE QUICK AND THE DEAD / Mort ou Vif, de Sam Raimi. Scott fait ici des deux comédiens, qui se croisaient à peine chez Raimi, une astucieuse association/opposition « la Tête et les Jambes ». Les « jambes », c’est Leonardo, dans le rôle de Roger Ferris : excellent dans la tension quasi-permanente, dans un registre proche de BLOOD DIAMOND. Constamment en action, hypervigilant jusqu’à l’épuisement nerveux, Leo a tout de même droit à quelques beaux et rares moments de tendresse dans les scènes calmes avec la belle infirmière persane !… La « tête », c’est Russell qui joue Ed Hoffman, le patron de Ferris : génial de bonhomie pervertie ! L’acteur héros de GLADIATOR, devenu l’interprète fétiche de Scott, est ici parfait en « gros matou » paternaliste. Oreillette constamment vissée, Hoffman ne se départit jamais de son calme matois, alors même que son poulain risque sa vie. Russell Crowe vole chacune des scènes dans lesquelles il apparaît, que ce soit en assistant au match de foot de sa fille ou en parlant stratégie anti-terroriste… et même les deux en même temps ! Les seconds rôles sont tous parfaitement choisis, et on saluera surtout la prestation saisissante du comédien britannique Mark Strong (acteur britannique), parfait de bout en bout en chef du GID ; l’actrice d’origine iranienne Golshifteh Farahani est par ailleurs touchante dans le rôle d’Aïcha.   

Thriller nerveux, BODY OF LIES devrait mériter son futur titre de classique du genre.  

 

Ma note :  

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Body of Ludovies  

La fiche technique :

 

BODY OF LIES / Mensonges d’État  

Réalisé par Ridley SCOTT   Scénario de William MONAHAN, d’après le roman de David IGNATIUS  

Avec : Leonardo DiCAPRIO (Roger Ferris), Russell CROWE (Ed Hoffman), Mark STRONG (Hani Salaam), Golshifteh FARAHANI (Aicha), Oscar ISAAC (Bassam), Ali SULIMAN (Omar Sadiki), Alon ABUTBUL (Al-Saleem), Vince COLOSIMO (Skip), Simon McBURNEY (Garland), Mehdi NEBBOU (Nizar)  

Produit par Donald De LINE, Ridley SCOTT et Zakaria ALAOUI (De Line Pictures / Scott Free Productions)   Producteurs Exécutifs Michael COSTIGAN et Charles J.D. SCHLISSEL  

Musique Marc STREITENFELD   Photo Alexander WITT   Montage Pietro SCALIA   Casting Jina JAY et Avy KAUFMAN  

Décors Arthur MAX   Direction Artistique Marco TRENTINI, Robert COWPER et Alessandro SANTUCCI   Costumes Janty YATES  

1ers Assistants Réalisateurs Noureddine ABERDINE, Ahmed HATIMI et Peter KOHN  

Mixage Son Richard VAN DYKE   Montage Son Karen M. BAKER et Per HALLBERG  

Effets Spéciaux de Plateau Paul CORBOULD 

Distribution USA et INTERNATIONAL : Warner Bros. Pictures  

Durée : 2 heures 08

L’Adieu au Chaoticien – Michael Crichton 1942-2008

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L’information est presque passée inaperçue cette semaine dans le monde entier, éclipsée il faut le dire par une actualité électorale américaine débordante pour les raisons que vous savez. Encore deux petits mois de patience, cependant, avant que Junior Bush et sa clique ne quittent officiellement Washington, en laissant un effroyable capharnaüm global à réparer pour Barack Obama et ses collaborateurs. Mais comme on dit désormais : Yes We Can !  

Cette petite parenthèse historique et politique refermée, je reviens donc au sujet de ma rubrique. En tant qu’amoureux fou du cinéma de Steven Spielberg, des histoires de dinosaures, de grands singes et de la SF en général, je ne pouvais pas manquer de saluer la mémoire d’un grand bonhomme (2,06 mètres) qui vient de nous quitter, emporté par le cancer. Michael Crichton vient de s’éteindre ce mardi 4 novembre 2008.  

Il fut (parfois en même temps) médecin, professeur d’anthropologie, conférencier, romancier, scénariste, producteur et réalisateur pour la télévision et le cinéma américain. Il fut aussi membre du conseil d’administration de The Gorilla Foundation, fondation pour la protection des gorilles (ce qui le rend encore plus sympathique à mes yeux, comme vous avez pu vous en rendre compte si vous lisez régulièrement ce blog). Ses livres se sont vendus à travers le monde entier (plus de 150 millions d’exemplaires), lui valant à la fois la célébrité, l’admiration de lecteurs fidèles, les louanges des professionnels – mais aussi, souvent, des critiques… tant de certains puristes littéraires, méprisant son succès, que de spécialistes scientifiques n’aimant pas que Crichton vienne contester certaines opinions trop consensuelles à son goût, notamment le catastrophisme lié au changement climatique.    

Quelle était donc la « marque de fabrique » de Michael Crichton ? Il a consacré la majeure partie de son œuvre à signer des romans qualifiés de « techno-thrillers ». Une appellation barbare, pour des histoires mêlant dans un style efficace, sans fioritures, les rebondissements bien maîtrisés du thriller, aux éléments science-fictionnels classiques, soutenus par une énorme connaissance scientifique des thèmes abordé. Originalité spécifique du « style Crichton », il plaçait souvent dans ses romans des diagrammes informatiques, notes biographiques, extraits de véritables œuvres scientifiques, etc. … ceci pour illustrer son point de vue. Michael Crichton savait donner une grande rigueur scientifique à ses récits les plus fantastiques, quitte parfois à garder un style narratif parfois un peu rigide. Mais les thèmes abordés savaient emporter le lecteur et le spectateur : menaces biologiques, génétiques, cybernétiques, médicales, manipulations des médias, récits d’aventures historiques basées sur des faits réels, relecture des thèmes les plus classiques de la science-fiction et de l’aventure fantastique (robots détraqués, voyages dans le temps, découverte de mondes perdus)… les obsessions créatives de Crichton se développaient autour d’un thème récurrent : un système technologique parfait qui se détraque sous les yeux mêmes de ses protagonistes. Grâce à lui et à JURASSIC PARK, rappelons que les mystères de la recherche génétique et de la Théorie du Chaos sont définitivement entrés dans la culture collective ! Évoquons son parcours et son œuvre, qui mérite l’intérêt.  

 

John Michael Crichton est né le 23 octobre 1942 à Chicago, et a été élevé par ses parents John Henderson et Zula Miller Crichton, avec ses deux sœurs et son frère cadet à Roslyn, Long Island, dans l’état de New York.  

Bien avant d’être un romancier et un cinéaste bien connu, Michael Crichton est un brillant jeune scientifique, à la curiosité débordante. En 1964, il est diplômé summa cum laude au prestigieux Harvard College. Cependant, la qualité de l’enseignement le déçoit – au point qu’il plagie délibérément un texte de George Orwell, et le soumet à son professeur d’anglais, qui ne remarquera rien d’étrange et le notera d’un désobligeant B- !  

Il épouse durant ses études, de 1965 à 1970, Joan Radam. Joan est la première des cinq femmes qu’il va épouser – Crichton aura divorcé en tout quatre fois dans sa vie. Se souvenir soit dit en passant que les « héros » de ses œuvres vont sûrement refléter les difficultés sentimentales de leur auteur : par exemple, Ian Malcolm dans les JURASSIC PARK, Bill Harding dans TWISTER, le docteur Douglas Ross dans URGENCES, etc. sont tous de grands instables sentimentaux, souvent infidèles ou en instance de divorce… Mais continuons de suivre le parcours professionnel de Michael Crichton.  

1965 : il est nommé Visiteur Conférencier en Anthropologie à l’Université de Cambridge, en Grande-Bretagne. Diplômé de l’École Médicale de Harvard en 1969, il est nommé Docteur en Médecine, et fera des études au Jonas Salk Institute for Biological Studies de La Jolla, en Californie, jusqu’en 1970. C’est durant cette période que Michael Crichton devient écrivain, signant ses premiers romans (ODDS ON, SCRATCH ONE, EASY GO) sous les pseudonymes de John Lange et Jeffery Hudson. Le choix de ces pseudonymes s’explique par un certain goût de la discrétion de la part de Crichton, qui manie quand même l’autodérision sur son imposante carrure : « Lange », en Allemand, est un nom de famille signifiant « personne de grande taille » ; Sir Jeffrey Hudson était quant à lui, au 17e Siècle, un membre de la court de la Reine Henrietta Maria d’Angleterre, atteint de nanisme !  

Thriller situé en milieu médical, A CASE OF NEED (Extrême Urgence), publié sous le nom de Hudson, lui vaut sa première consécration : il obtient l’Edgar Award du Meilleur Roman en 1969. Prolifique, il signe cette même année VENOM BUSINESS et ZERO COOL sous le pseudonyme de John Lange, et THE ANDROMEDA STRAIN / LA VARIÉTÉ ANDROMÈDE, pour la première fois sous son vrai nom. Crichton co-signe en 1970 le roman DEALING : OR THE BERKELEY-TO-BOSTON FORTY-BRICK LOST-BAG BLUES avec son frère Douglas, sous le pseudonyme commun de « Michael Douglas » – le nom prédestiné d’un futur célèbre acteur qui jouera d‘ailleurs dans deux films « Crichtoniens » ! Sortiront également, de 1970 à 1972, GRAVE DESCEND, DRUG OF CHOICE et BINARY, toujours sous le pseudonyme de John Lange.  

Par ailleurs, Michael Crichton signe aussi une première œuvre littéraire non fictionnelle : FIVE PATIENTS, toujours en 1970, qui relate ses années passées au Massachusetts General Hospital de Boston. Celui-là qui servira plus tard de décor à son film COMA/Morts Suspectes. FIVE PATIENTS vaut à Crichton l’Association of American Medical Writers Award.  

 

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Au début de cette nouvelle décennie, il conçoit également un script de film, EMERGENCY WARD, racontant les déboires d’un groupe de médecins urgentistes, qui lui vaut de nombreux refus des studios. Mais il ne renonce pas à son idée, ce qui sera payant deux décennies plus tard… 1971 : pour la première fois, un roman de Michael Crichton est adapté au cinéma. Robert Wise signe THE ANDROMEDA STRAIN, titrée chez nous Le Mystère Andromède (la bande-annonce en VOST ci-dessus). Solide thriller paranoïaque et claustrophobe sur des scientifiques coincés dans leur labo souterrain, face à un virus mortel d’origine extra-terrestre. Malgré sa froideur toute scientifique, le film demeure prenant et décrit avec grande précision les ravages d‘une contagion bactériologique réaliste. Vers cette époque, Crichton effectue sa première visite d’un studio de cinéma : à Universal, un jeune réalisateur venu de la télévision lui sert de guide pour la visite. Il se nomme Steven Spielberg ! Signalons qu’en 2008, Mikael Salomon (ancien chef opérateur de talent d’ABYSS, ALWAYS – tiens, un film de Spielberg ! – et BACKDRAFT, maintenant un réalisateur solide) en signera une seconde adaptation de THE ANDROMEDA STRAIN, en mini-série pour la télévision.  

 

Michael Crichton est un auteur enfin reconnu, qui signe en 1972 L’HOMME TERMINAL. 1972 marque aussi pour lui l’occasion de son premier passage à la mise en scène : il adapte son roman BINARY pour en faire le téléfilm PURSUIT, un thriller avec Ben Gazzara et Martin Sheen. L’auteur rencontre alors un grand ami et fidèle collaborateur, le compositeur Jerry Goldsmith, champion des musiques orchestrales de film qui travaillera sur presque toutes ses futures réalisations. En 1973, deux nouvelles adaptations de ses romans voient le jour. DEALING est adapté au cinéma par Paul Williams, racontant les mésaventures tragicomiques d‘un étudiant de Harvard transportant de la marijuana à travers les USA ; et le grand Blake Edwards adapte A CASE OF NEED avec James Coburn, sous le titre THE CAREY TREATMENT / Opération Clandestine. Un thriller professionnellement réalisé, mais bien éloigné du génie comique du réalisateur de LA PARTY et LA PANTHÈRE ROSE.  

 

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1973 : Crichton passe à la mise en scène pour le cinéma et signe MONDWEST – un petit classique de la Science-fiction, avec un Yul Brynner en mode « Terminator » avant l’heure. Tout droit sorti des 7 MERCENAIRES, l’acteur joue un robot humain, faisant partie d’un parc d’attraction futuriste où de richissimes touristes peuvent savourer les joies de trois univers artificiels : Western, Rome Antique et Moyen Âge. Les visiteurs peuvent tuer sans risque les robots humains venus les défier, ou passer la nuit avec de splendides androïdes féminines… jusqu’à ce que les machines échappent au contrôle des techniciens du parc et tuent les touristes ! Pratiquement muet durant tout le film, Brynner fait passer un sale moment à deux avocats en vacances joués par Richard Benjamin et James Brolin, comme le prouve l’extrait ci-dessus… Succès public immédiat. C’est le tout premier film à utiliser des images de synthèse en 2D (pour les plans montrant le point de vue du robot)…  

Crichton signe aussi en 1973 le scénario du film EXTREME CLOSE-UP, du français Jeannot Szwarc : un drame sur un reporter de télévision, trop pris au jeu du voyeurisme à la suite d‘un reportage sur les opérations de surveillance clandestine… En 1974, Mike Hodges adapte au cinéma L’HOMME TERMINAL avec George Segal. 1975 : Michael Crichton change de registre et signe le roman THE GREAT TRAIN ROBBERY / Un Train d‘Or pour la Crimée. Ni menace technologique, ni thriller médical, ce roman d’aventures à l’ère Victorienne relate l‘authentique « casse » d’un train britannique convoyant des lingots d’or pour la Guerre de Crimée, en 1855.  

En 1976, Crichton écrit et fait paraître EATERS OF THE DEAD – initialement traduit en français sous le titre Le Royaume de Rothgar. Des parutions ultérieures reprendront le titre originel : LES MANGEURS DE MORT, qui sera aussi rebaptisé LE 13e GUERRIER en 1999. Le livre est une astucieuse combinaison d’un véritable manuscrit, celui d’Ahmed Ibn Fahdlan (diplomate Arabe de Bagdad qui voyagea et vécut pour de vrai parmi les Vikings) au poème épique anglais BEOWULF, sous la forme d’un récit d’aventures opposant le voyageur arabe et les redoutables Hommes du Nord à des hordes de prédateurs terrifiants, les sinistres Wendols ou Mangeurs de Morts ! Le roman soulève une piste intéressante : ces « monstres » anthropophages, inspirateurs du monstre Grendel et des Ogres de nos contes, s’avèrent être les derniers Hommes de Néanderthal ayant survécu bien des siècles après leur disparition supposée. Ami de l’artiste Jasper Johns, Crichton rassemble plusieurs de ses œuvres dans le livre bien-nommé JASPER JOHNS en 1977.  

 

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L’année suivante, Crichton revient à la mise en scène, et adapte un roman de Robin Cook (lui aussi ancien médecin devenu un célèbre romancier) : c’est COMA / Morts Suspectes, avec Geneviève Bujold, Michael Douglas et Richard Widmark. La jeune femme médecin interprétée avec talent par Bujold réalise qu’il se passe des choses sinistres au Massachusetts General Hospital de Boston : des patients parfaitement sains sombrent dans un coma irréversible après un passage au bloc opératoire de la Salle 8. Inquiète, elle mène sa propre enquête pour découvrir l‘affreuse vérité : le directeur de l‘hôpital pratique le prélèvement et le trafic d‘organes vitaux ! Sujet hélas de plus en plus d’actualité de nos jours… Le film est un grand succès, un solide thriller propre à vous décourager de subir une opération chirurgicale, soutenu par une musique bien glaçante de Jerry Goldsmith. On se souvient particulièrement de scènes choc où Geneviève Bujold se cache d’un tueur parmi les cadavres d’anatomie entreposés dans une chambre froide, ou encore de la visite d’un institut suspect contenant des centaines de comateux en animation suspendue, prêts à être charcutés par des médecins ayant visiblement perdu toute notion d’éthique…  

 

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1979 : Crichton adapte son THE GREAT TRAIN ROBBERY qui devient chez nous La Grande Attaque du Train d’Or, avec un duo impérial : Sean Connery, faux aristocrate et escroc charmant, et Donald Sutherland, voleur cynique et râleur. Un « caper movie » rondement mené – où Connery prend des risques réels sur le toit du train lancé à vive allure – soutenu par l’excellente musique de Goldsmith. Crichton reçoit l’année suivante le Mystery Writers of America’s Edgar Allan Poe Award du Meilleur Scénario pour ce film. En 1980, Crichton obtient un nouveau succès littéraire avec CONGO. Un récit d’aventures mené tambour battant, où l’auteur revisite les classiques romans d’exploration à la Rider Haggard (LES MINES DU ROI SALOMON y est expressément cité), tout en développant son intérêt pour l’anthropologie. Les grands singes y tiennent la vedette – que ce soit Amy, la femelle gorille domestiquée par le héros, qui parle le langage des signes, ou les féroces Gorilles Gris imaginés par l’auteur ! Le cinéma s’y intéressera pendant longtemps. Steven Spielberg, notamment, envisagera un temps d’en faire la base d’un hypothétique troisième film d’Indiana Jones avant LA DERNIÈRE CROISADE, avant de changer d’avis. Il semble qu’il ait aussi songé à une époque à produire le film, pour son confrère Brian De Palma, mais cela n’aboutira pas.  

 

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En 1981, sort le 4e film cinéma de Crichton, l’intéressant LOOKER, un thriller avec Albert Finney et James Coburn. Des mannequins sont assassinées après leur passage chez une société d’imagerie virtuelle. Voilà un thème encore prémonitoire qui annonce l’ère de la chirurgie plastique, des images retouchées, du scannage de comédiens virtuels… sans compter les cas de comédiens décédés qui seront « ressuscités » par l’imagerie informatique pour des films ou des publicités ! La preuve par l’exemple de cet extrait en VF, où la jolie Susan Dey subit un coquin scannage corporel.  

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1983 : Michael Crichton écrit ELECTRONIC LIFE, livre d’apprentissage à la programmation BASIC des ordinateurs domestiques. S’intéressant à la cybernétique et à l’informatique, il en fait le sujet de son film suivant, en 1984 : RUNAWAY /L’Évadé du Futur, avec Tom Selleck en flic du futur, et le vilain Gene Simmons (le chanteur de Kiss !), qui s’affrontent dans une SF de bonne facture. Dans un proche futur, la société américaine laisse la part belle à des machines robotiques dotées d’une intelligence artificielle surveillée. Jusqu’à ce qu’elles se détraquent… La bande-annonce ci-dessous (mauvaise qualité d’image, désolé).

 

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Crichton créera aussi cette même année 1984 AMAZON – un jeu sur ordinateur, produit par son collaborateur John Wells. En 1987, Michael Crichton revient à l’écriture, signant le roman SPHÈRE, aventure de science-fiction située sous les océans, qui a peut-être indirectement inspiré certains passages du fameux film de James Cameron, ABYSS (sorti deux ans plus tard en 1989). Crichton épouse cette année-là sa quatrième femme, Anne-Marie Martin, qui lui donnera son seul enfant, sa fille Taylor Anne. En 1988, Crichton écrit et publie TRAVELS, un livre basé sur ses années d’études médicales. Il est aussi l’écrivain invité d’honneur du prestigieux M.I.T. (Massachusetts Institute of Technology) de Boston.  

 

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En 1989, Michael Crichton signe son dernier film, PHYSICAL EVIDENCE / Preuve à l’Appui. Un thriller judiciaire avec Burt Reynolds et Theresa Russell, malheureusement assez banal, en dessous de ses films précédents, et vite tombé dans l‘oubli. Plus intéressant cette année-là, un fait marque notre attention : le script d’EMERGENCY WARD intéresse enfin quelqu’un à Hollywood. Steven Spielberg en personne ! Le cinéaste d‘E.T. discute du projet avec Crichton… EMERGENCY WARD est bientôt rebaptisé E.R. (pour Emergency Room : Salle d’Urgence), et devait être un film mis en scène par Spielberg. Cependant, durant les premières étapes de la préproduction, Steven Spielberg demanda à Crichton sur quel projet de roman il travaillait. Crichton lui parla alors de son roman en cours d’écriture, une histoire de scientifiques recréant des dinosaures réels en clonant de leur ADN, le tout dans un parc d‘attraction qui ne va pas tarder à se détraquer… Immédiatement emballé par le sujet, Steven Spielberg laisse de côté le film E.R. pour se porter acquéreur des droits d’adaptation cinéma du roman, intitulé JURASSIC PARK. E.R. n’est pas abandonné pour autant, Spielberg et Crichton se mettant d’accord pour en tirer une série télévisée révolutionnaire, produite par Amblin Television. John Wells, le collaborateur de Crichton sur AMAZON, rejoindra l’équipe créative de la série. Le roman JURASSIC PARK sort dans les librairies américaines en 1990, et c‘est un « carton » total en tête des ventes ! Alléchés, les grands studios proposent des ponts d‘or à Crichton pour qu‘il leur cède les droits d‘adaptation, mais celui-ci les décline, annonçant que Steven Spielberg est déjà propriétaire des droits. En grand secret, le cinéaste prépare son grand coup… En attendant, Michael Crichton signe en 1992 SOLEIL LEVANT. Nouveau succès pour ce polar décrivant notamment les difficiles relations entre les Américains et les businessmen Japonais implantés pour affaires au pays de l’Oncle Sam.  

 

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1993 : Steven Spielberg tourne et sort JURASSIC PARK ! Redécouvrez le fameux teaser du film en VO ci-dessus. Michael Crichton est crédité co-scénariste de sa propre adaptation, et donc toujours impliqué dans LE succès planétaire cinéma de la décennie ! Le film est un condensé des obsessions des deux auteurs, quelque chose comme le croisement des DENTS DE LA MER et de MONDWEST. Derrière l’aventure et les frissons générés par les dinosaures plus vivants que nature filmés par Spielberg, le scénario du film, quelque peu différent du roman, se fait surtout remarquer par ses questions posées sur les dangers que pose une science génétique basée sur le profit pur. Signalons que, quelques années plus tard, Crichton aura « son » dinosaure, le Crichtonsaurus, nommé ainsi par les paléontologues en remerciement de son œuvre (voir photo ci-dessous. Belle bête, non ?).

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Cette même année 1993, Philip Kaufman adapte SOLEIL LEVANT avec Sean Connery, Wesley Snipes et Harvey Keitel – succès estimable au box-office, même si le film et le roman irritent certaines associations japano-américaines, à cause du portrait antipathique que Crichton et Kaufman font de certains hommes d‘affaires japonais…  

 

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1994 : Grande année pour Michael Crichton, qui signe et publie DISCLOSURE / Harcèlement. Barry Levinson en signe l’adaptation la même année, avec ce pauvre Michael Douglas malmené par la vilaine et ambitieuse Demi Moore ! Surtout, enfin, il concrétise enfin son vieux rêve d’EMERGENCY WARD. Crichton crée avec Spielberg LA série qui va secouer la télévision des années 1990 : E.R. / URGENCES ! C’est du jamais vu à l’époque. Une série en milieu médical qui ne s’appesantit pas sur des romances de soap opera, privilégie le réalisme et décrit crûment le quotidien du service des urgences du Cook County Hospital de Chicago. On y soigne toutes les maladies et blessures, de la plus bénigne à la plus horrible. Et, filmées en un style nerveux maintes fois imité depuis, les opérations les plus sanglantes y sont décrites dans le vif. Un véritable électrochoc rempli de grands moments, de rires, de larmes, d’engueulades et de moments de tendresse… On n’en sort rarement indemne, et souvent touché au cœur. Personnellement, je reste traumatisé par un épisode où le Docteur Greene fait une erreur de diagnostic terrible sur une future maman, et tente de la sauver vaille que vaille…  

Même si la série a depuis été éclipsée par ses héritières, et s’est largement essoufflée, elle reste une des plus belles réussites de la télévision américaine. Crichton en est le producteur exécutif et un conseiller régulier, insistant par exemple pour que l‘actrice Julianna Margulies (alias l’infirmière Carol Hathaway, la dame de cœur du Docteur Doug Ross joué par un inconnu qui ne va pas le rester : George Clooney !) devienne un membre régulier de la série. Il signe personnellement les scénarii du pilote, « 24 Heures » et des deux premiers épisodes de la première saison. Michael Crichton est un homme comblé en cette année 1994 ; son nom est à la fois lié au succès cinéma de l’année (JURASSIC PARK, donc), le succès TV de l’année (URGENCES) et le succès livresque de l’année (DISCLOSURE)? Du jamais vu !  

 

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1995 : il rédige et publie LE MONDE PERDU, la suite très attendue de JURASSIC PARK. Malheureusement, après un excellent premier opus, la qualité n’est cette fois-ci pas au rendez-vous, Crichton enchaînant les péripéties sans vraiment y croire. Mais le succès est toujours là, qui annonce un second film mis en chantier par Steven Spielberg… Par ailleurs, Frank Marshall, collaborateur de longue date de Spielberg, adapte CONGO, avec Dylan Walsh (future vedette de la série NIP/TUCK) et Laura Linney. Hélas, même si on aime bien les films de singes et les deux premiers films de Marshall (l’excellent ARACHNOPHOBIE et le touchant ALIVE/Les Survivants), le film est franchement raté. La bande-annonce ci-dessus, en VO.  

 

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En 1996, Michael Crichton est toujours aussi actif : il écrit et publie AIRFRAME / Turbulences, un thriller portant sur une enquête au sujet d’un inexplicable accident d’avion. Et il co-signe le scénario du film TWISTER de Jan de Bont (produit par Steven Spielberg), avec son épouse d’alors Anne-Marie Martin. C’est un nouveau carton au box-office mondial, pour un film bien meilleur qu’on ne le prétend. Les tornades destructrices du Middle West impressionnent, nerveusement mises en scène par De Bont, et mettent bien à mal les héros du film campés par Helen Hunt et Bill Paxton… Cette même année, Crichton reçoit le prestigieux Emmy Award, pour la production d’URGENCES (il obtiendra 6 autres nominations pour la série dans les années suivantes), ainsi que le Writers Guild of America Award pour le scénario de son épisode pilote.  

 

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1997 : Steven Spielberg réalise LE MONDE PERDU, un second volet « Jurassique » nettement plus sombre, mouvementé et angoissant que le film original. Le script de David Koepp y est largement différent du roman – la scène d‘ouverture provient en fait du roman original de Crichton, des personnages sont modifiés ou éliminés, et le dernier acte est totalement inédit… À noter que JURASSIC PARK III, le troisième volet signé Joe Johnston en 2001, reposera sur un scénario original – qui reprendra cependant certaines scènes fortes du roman original (l’attaque des ptéranodons, l’attaque du bateau sur la rivière) ! Les adaptations des romans de Crichton se suivent en 1998, avec des fortunes hélas moins heureuses. Après DISCLOSURE / Harcèlement, Barry Levinson signe l’adaptation de SPHÈRE. Casting de prestige pour cette superproduction aquatique : Dustin Hoffman, Sharon Stone, Samuel L. Jackson… mais quel ratage, quel ennui ! Mieux vaut revoir ABYSS.  

 

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1998 marque aussi le début du tournage du film EATERS OF THE DEAD de John McTiernan, avec Antonio Banderas en terre Viking. Rebaptisé assez vite LE 13e GUERRIER, c’est un projet très alléchant sur le papier, mais qui va tourner au cauchemar pour le réalisateur d’A LA POURSUITE D’OCTOBRE ROUGE. Une production difficile mène à un clash créatif entre lui et Michael Crichton. C’est ce dernier qui finit, non officiellement, le tournage (notamment la scène où le guerrier Buliwyf affronte la Mère des Wendols) ; une post-production interminable, véritable imbroglio, retarde la sortie du film pendant un an ! Le montage final envoie aux oubliettes un bon tiers de la durée prévue pour le film. Résultat : un grand film épique, truffé de morceaux de bravoure, mais qui se retrouve mutilé de nombreuses scènes. Jerry Goldsmith y signe au passage une fabuleuse partition musicale. LE 13e GUERRIER sortira enfin en 1999 en catimini et sera un échec financier. Depuis, cependant, le film a acquis un véritable et mérité statut de film culte. Un jour, qui sait ? Peut-être sera-t-il restauré dans sa version intégrale…  

 

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Ci-dessus : les dernières minutes du 13e GUERRIER, en VO. Avec l’inoubliable prière collective des Vikings avant la bataille contre les monstrueux Wendols. Et la mort héroïque de Buliwyf, joué par Vladimir Kulich, sous le regard d’Ahmed Ibn Fahdlan (Antonio Banderas).    

 

Toujours en 1999, Crichton revient à l’aventure médiévale en publiant son roman TIMELINE / Prisonniers du Temps. Il y précipite des étudiants américains en Histoire médiévale au temps de la Guerre de Cent Ans et de la Grande Peste, via une société multinationale qui emploie à son profit une machine à voyager dans le temps. C’est du Crichton « pur jus », à son meilleur niveau. Le roman évoque un passage fameux d’une des aventures de Blake & Mortimer d’Edgar P. Jacobs : LE PIÈGE DIABOLIQUE et la mésaventure du brave professeur Mortimer plongé dans les temps médiévaux ! En 2002, Crichton écrit et publie LA PROIE, thriller dénonçant cette fois-ci le danger potentiel des biotechnologies et des nanorobots. 2003 : TIMELINE / Prisonniers du Temps est adapté au cinéma par Richard Donner. Sur le papier, c’était prometteur, mais le film est un bide à tous niveaux – financier, critique et public. Seul y surnage l’excellent Gerard Butler, le futur Roi Léonidas de 300, déjà très à l’aise ici avec une épée !  

 

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Ci-dessus : discutant avec des étudiants du réchauffement climatique, Michael Crichton défend son point de vue : « l’environnementalisme est devenu une religion ». Malheureusement, pas de sous-titres…  

 

Cette année-là, Michael Crichton donne une conférence à Caltech intitulée « Aliens Cause Global Warming », très critique envers la croyance en les OVNIS et les visiteurs extra-terrestres… (paradoxal quand on est un ami de Steven Spielberg !) Le romancier-réalisateur-scientifique se montre également très sévère sur ce qu’il estime être les « nouvelles croyances » liées à l’environnement, allant à l’opposé des opinions majoritairement répandues. Ce qui ne lui vaut forcément pas que des louanges… 2004 : c’est dans cet état d’esprit sceptique qu’il écrit et publie STATE OF FEAR / Etat d’Urgence - son nouveau roman, qui provoque une vive controverse. Le roman s’attaque notamment à l’éco-terrorisme et à la manipulation médiatique de la peur du réchauffement climatique. Le roman lui vaut de recevoir le The American Association of Petroleum Geologists Journalism Award. Il lui vaut aussi de nombreuses critiques de la part de sommités – dont Al Gore ! Crichton épouse finalement sa cinquième femme, Sherri Alexander en 2005.  

 

2006 : Michael Crichton écrit et publie son avant-dernier roman, NEXT. Les manipulations transgéniques sont au cœur de l’intrigue, regroupant plusieurs protagonistes – un homme dont la famille est menacée de se voir prélever ses gènes par une firme sans scrupules ; un chercheur de cette même firme qui réalise que le gène miraculeux qu’il a créé pour sauver son frère de l’addiction a des effets secondaires dévastateurs ; et enfin un ingénieur en génétique qui a réussi à créer des animaux transgéniques, dont un être mi-homme mi-singe (j’approuve !) qu’il élève comme son fils…  

 

Son dernier roman, dont le titre est encore inconnu à cette heure, sera publié à titre posthume le 4 mai 2009. Michael Crichton laisse donc derrière lui un parcours professionnel très riche, et une œuvre parfois inégale certes, mais imaginative et posant toujours des questions judicieuses quant au rôle des sciences dans nos sociétés.

Napalm d’Or ! – TONNERRE SOUS LES TROPIQUES

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TROPIC THUNDER / TONNERRE SOUS LES TROPIQUES, de Ben STILLER  

L’Histoire :  

 

la production du film « Tropic Thunder », adaptation du récit autobiographique de « Four Leaf » Tayback sur un commando américain au Viêtnam en 1969, connaît de sérieuses difficultés. Le réalisateur britannique Damien Cockburn est dépassé par les caprices de ses vedettes : Jeff Portnoy, comique pétomane constamment drogué, qui cherche à être pris au sérieux ; Kirk Lazarus, acteur australien couvert de récompenses, tellement impliqué dans son rôle – celui d’un sergent Noir – qu‘il s‘est fait pigmenter la peau par voie chirurgicale ; et Tugg Speedman, star du cinéma d‘action au creux de la vague, pour qui le film est la dernière chance de succès au box-office. Mal à l’aise face à Kirk, Tugg gâche une scène importante… entraînant des incidents en chaîne menant à l’explosion prématurée du décor ! Rendu furieux par le dépassement de budget et les rumeurs désastreuses, le grossier grand patron du studio, Les Grossman, menace d’arrêter net le tournage s’il ne termine pas dans les délais prévus et de briser la carrière de Cockburn.  

 

Sur les conseils de « Four Leaf », Damien croit avoir l’idée de génie qui sauvera son film. Il va déposer ses cinq acteurs principaux – les vedettes, plus le rappeur acteur Alpa Chino et le petit jeune Kevin Sandusky – en pleine jungle du Viêtnam, et les faire tourner façon « cinéma-vérité » ! Des caméras digitales seront cachées dans les arbres, les explosions et fusillades commandées à distance par Cody et « Four Leaf », qui les attendent avec l‘hélicoptère au point de rendez-vous. Mais Damien meurt en marchant sur une mine ! Perplexes, les comédiens décident de suivre les instructions du script servant de feuille de route, même si seul Tugg est réellement persuadé d’être toujours en plein tournage. Mais les prima donnas sont incapables de s’entendre, et ont vite fait de se perdre en pleine jungle. Et ils ignorent se trouver tout près du Triangle d’Or, la plaque tournante du trafic de drogue à l’échelle mondiale, où vivent de féroces guérilléros armés jusqu’aux dents… qui les prennent pour de vrais soldats américains ! Nos faux soldats superstars réussiront-t-ils à en réchapper, à ne pas sombrer dans la folie, et à rentrer à Hollywood ?…  

La Critique :  

Ben Stiller est décidément incorrigible. Champion de la comédie made in USA depuis maintenant une bonne décennie et un mémorable MARY A TOUT PRIX, l’acteur-réalisateur a su créer des personnages burlesques de grands naïfs malchanceux auxquels il insuffle une bonne part d’autodérision, en même temps qu’il assume les délires « slapsticks » les plus énormes, avec un tempo comique destructeur parfois inquiétant. C’est que ce gentil garçon en apparence trés calme nous gratifie souvent dans ses films de « pétages de plomb » monumentaux, qui font mouche la plupart du temps. Egalement réalisateur, notre ami Ben a déjà signé trois films où l’on trouve une autre constante : la critique des mass medias américains, menée avec l’humour frénétique qu’on lui connaît. Dès sa première réalisation, REALITY BITES / GENERATION 90 (1994), Stiller se réservait le rôle d’un jeune producteur de vidéos à la MTV trés antipathique. Avec le film suivant, THE CABLE GUY / DISJONCTE, Ben Stiller s’en prenait aux ravages causés par la télévision américaine sur le cerveau d’un Jim Carrey psychopathe. Enfin, avec ZOOLANDER, dont il tenait le rôle-titre, Stiller allait encore plus loin dans le délire et torpillait au passage le petit monde de la mode. De nouveau présent derrière et devant les caméras de TONNERRE SOUS LES TROPIQUES, notre énergumène prend cette fois-ci pour cible le show-business hollywoodien par le biais d’une comédie de guerre tonitruante et tordante !  

En prenant pour base scénaristique le genre, trés identifiable, du film de guerre du Viêtnam, Stiller non seulement catapulte  ses cinq « héros » (des stars de Hollywood complètement à côté de leurs pompes) dans l’enfer de la jungle du Triangle d’Or, il dégomme aussi joyeusement l’industrie cinématographique américaine et ses excès en tous genres. Derrière les parodies attendues, l’acteur-réalisateur et ses complices scénaristes Justin Theroux et Etan Cohen (à ne pas confondre avec Ethan Coen, l’un des deux frangins chéris des festivals de cinéma. Tout est dans le h !) attaquent au napalm tous les travers de leur univers avec une frénésie rigolarde, qui ne recule devant rien pour nous faire rire. Acteurs à l’égo surdimensionné, réalisateurs dépassés, agents de stars trés « mères poule », consultants historiques douteux, ingénieurs des effets spéciaux irresponsables, producteurs orduriers… tout le monde passe ici à la casserole. Sans oublier la drogue, l’adoption d’enfants du tiers monde, la surmédiatisation entourant les moindres faits et gestes des stars du jour, et tant d’autres…  On a rarement vu un tel jeu de massacre au travers d’une comédie, sans doute pas depuis le sous-estimé 1941 de Steven Spielberg.Stiller et ses scénaristes ne se contentent pas d’aligner les parodies à la façon paresseuses des sous-ZAZ qui ont fleuri ces dernières années. Le burlesque n’empêche pas ici un scénario bien construit, même si l’idée générale de plonger des acteurs hors de leur élément a déjà servi dans d’autres comédies – notamment !3 AMIGOS! de John Landis, avec Steve Martin, ou GALAXY QUEST avec Sigourney Weaver. Ici, Stiller s’amuse donc à malmener une galerie de personnages certes passablement crétins mais totalement irrésistibles, dans une histoire détournant autant le PLATOON d’Oliver Stone (avec référence visuelle à l’appui : la fausse mort de Stiller, les bras en croix comme Willem Dafoe dans le film oscarisé de Stone, est un grand moment pour qui connaît ses classiques) que son antithèse exacte, RAMBO II : LA MISSION, exemple type du film de guerre revanchard de l’ère Reagan que Ben Stiller torpille allègrement ici dans sa seconde partie du métrage !  

La caractérisation des personnages, énoncée par le festival de fausses bandes-annonce qui ouvre le film (n’arrivez pas en retard à la séance), est en soi un petit régal d’humour, chaque protagoniste étant ainsi présenté avec ses tics et ses travers de superstar : le rappeur Alpa Chino (!) et sa virilité « black » de façade, ultra-commerciale ; Jeff Portnoy, star du film comique pet-prout incarné par un Jack Black déchaîné dans une bande-annonce « gazeuse » rappelant les excès d’Eddie Murphy dans LE PROFESSEUR FOLDINGUE (signalons au passage que Black s’est fait la tête d’un prédécesseur disparu, Chris Farley, comique obèse qui inspira, je crois, le personnage de Shrek) ; Kirk Lazarus, alias Robert Downey Jr. l’acteur australien aux méthodes Actor’s Studio plutôt extrêmes (il se fait opérer pour devenir plus Noir que Noir !), vedette d’un SATAN’S ALLEY renvoyant les mélodrames gays du type BROKEBACK MOUNTAIN aux orties – avec la participation d’une guest star « arachnéenne » bien connue ! Pour l’anecdote, l’acteur en question a aussi joué, 8 ans plus tôt à l’écran, l’amant du même Downey Jr. dans WONDER BOYS… Et pour finir ces présentations bien envoyées en quelques minutes, Stiller se réserve le rôle de Tugg Speedman, star déclinante du blockbuster d’action frelaté, un grand benêt qui tente bien mal de relancer sa carrière – à la façon de Schwarzenegger ou Stallone quand ils ont connu leur période de fin de règne du box-office…   

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Ci-dessus : la bande-annonce en VOST. 100% dégoûtant, grossier, crétin… et surtout hilarant !    

Avec une pareille bande de gugusses, vous pouvez déjà être sûrs que vos zygomatiques vont être mis à rude épreuve pendant deux heures. Stiller et Jack Black se retrouvent 12 ans après THE CABLE GUY, et sont absolument survoltés. Ben Stiller va même encore plus loin que d’habitude dans ce qui fait la marque de fabrique de son humour : notamment l’usage de déguisements et de maquillages délirants (voyez ce qu’il fait d’un pauvre panda malchanceux !) et de son goût pour le burlesque masochiste. Stiller, déjà physiquement bien malmené dans ses films passés, est ici battu, torturé, mutilé, torgnolé, giflé, boxé, poignardé… et plus les sévices qu’il subit sont douloureux, plus cela renforce son sens de la comédie ! Jack Black n’est pas en reste, dans le rôle du comique camé jusqu’aux yeux qui voudrait bien être pris au sérieux. Il faut le voir « disjoncter » sous l’effet du manque, ligoté à un arbre, cracher sans sourciller un chapelet d’obscénités qui ferait rougir le sergent-instructeur de FULL METAL JACKET, affronter un vilain garnement au kung-fu, adresser un inquiétant regard à un brave buffle d’eau… Irrésistible ! En compagnie de ces deux zozos, arrive celui que l’on n’attendait pas forcément dans un tel registre : Robert Downey Jr., tout juste sorti du succès d’IRON MAN, fait mieux que de se défendre, il fournit le contrepoint comique parfait aux trublions burlesques Stiller et Black. Son personnage de Kirk Lazarus est certes une caricature de tous les adeptes de la Méthode Actor’s Studio poussée à son paroxysme, Downey Jr. sait toujours trouver le ton juste pour nous faire rire de la folie de son rôle.  

Entourant ces trois vedettes, le reste du casting est au même niveau : on citera Steve Coogan, le réalisateur largué, Nick Nolte excellent en vétéran mythomane qui se prend pour John Milius, Matthew McConaughey dans le rôle de l’agent le plus dévoué au monde… et un Tom Cruise halluciné ! Maquillé en producteur chauve et obèse, l’acteur se régale à jouer un personnage aussi puant que cupide et grossier, et nous gratifie d’un numéro dansé final à l’image du film : ENORME !  

En ce qui concerne les hommages et les parodies, Stiller nous gâte : toute l’imagerie du récit du Viêtnam répond à l’appel. PLATOON bien sûr, FULL METAL JACKET (l’humour du film vient aussi de l’accumulation de grossièretés verbales qui renforcent le côté absurde de l’aventure. Oreilles chastes s’abstenir !)… Les autres films du genre répondent présent : voir ce pauvre Tugg qui finit ainsi par se prendre pour un mélange de Christopher Walken dans THE DEER HUNTER/VOYAGE AU BOUT DE L’ENFER (« Tugg ? Tugg qui ? « )  et de Marlon Brando dans APOCALYPSE NOW… On déborde même sur d’autres genres, Stiller osant carrément refaire les scènes de surdité en plein combat du SOLDAT RYAN, évoquer les errements de LA 317e SECTION ou faire sauter un pont qui n’est pas celui de la Rivière Kwaï, chère à David Lean ! Les regards les plus pointus noteront aussi un gag explosif d’ouverture digne de LA PARTY, et une montagne de poudre d’héroïne à l’allure trés RENCONTRES DU TROISIEME TYPE, devant laquelle Jack Black semble prêt à rejouer la scène de la statuette dans LES AVENTURIERS DE L’ARCHE PERDUE… Ajoutez à ces références et clins d’oeil des scènes encore plus folles : Stiller ose toutes les blagues, y compris le gore (le destin funeste du réalisateur, qui se prenait pour Dieu… Regardez ce que ça coûte d’invoquer en vain le nom du Seigneur !), la violence sur des enfants (le gamin balancé du pont !), la cruauté envers les animaux (outre le panda, une chauve-souris fait les frais de ce tournage explosif)… Cela pourrait être de mauvais goût, mais rassurez-vous, nous sommes dans du cinéma cartoon qui ne recule devant aucun excès. Plus c’est gros, mieux ça passe !  

Ah, et puis il y a SIMPLE JACK ! Des esprits mal lunés aux USA ont critiqué ce faux film à l’intérieur du film, sous prétexte que Stiller s’y moquait des handicapés mentaux. Les grincheux n’ont visiblement pas bien saisi le propos pourtant clair de l’ami Stiller, qui n’a rien contre les handicapés.  Il s’agissait pour lui de se moquer d’un cliché courant au sujet de l’Oscar du Meilleur Acteur : à savoir que les rôles d’autistes, simples d’esprit ou autres gentils « attardés » sont souvent récompensés par l’Académie, comme le signale justement dans le film le personnage de Downey Jr. – qui, à ce moment-là, saisit surtout le prétexte pour ridiculiser le personnage de Stiller ! Les puissantes associations ou autres lobbys qui tombent à bras raccourcis sur n’importe quel film aux USA n’ont de toute évidence pas le sens de l’ironie propre à Stiller, hilarant dans le rôle-titre….  

Ajoutons enfin à tout cela un rythme quasi-effréné (avec quand même quelques pauses bienvenues, histoire de souffler un peu entre deux rires) et une photographie soignée de John Toll (habitué aux superproductions épiques comme BRAVEHEART ou LE DERNIER SAMOURAÏ), et vous aurez une petite idée de la folie furieuse de cette comédie flambée au napalm, qui nous soulage de la sinistrose actuelle. Une cellule d’aide psychologique pour fous-rires incontrôlés après projection serait même la bienvenue !  

Ma note :  

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Colonel Ludovico Kilgore.  

J’aime l’odeur du napalm au petit matin…  

les liens Internet vers le site officiel de Tugg Speedman :

http://www.tuggspeedman.com 

et celui pour les pandas :

http://www.pandarelocationfoundation.org

 

La fiche technique : 

 

TROPIC THUNDER / TONNERRE SOUS LES TROPIQUES  

Réalisé par Ben STILLER   Scénario de Ben STILLER & Justin THEROUX et Etan COHEN  

Avec : Ben STILLER (Tugg Speedman), Jack BLACK (Jeff Portnoy), Robert DOWNEY Jr. (Kirk Lazarus), Nick NOLTE (« Four Leaf » Tayback), Brandon T. JACKSON (Alpa Chino), Jay BARUCHEL (Kevin Sandusky), Steve COOGAN (Damien Cockburn), Danny R. McBRIDE (Cody), Brandon SOO HOO (Tran), Matthew McCONAUGHEY (Rick Peck), Tom CRUISE (Les Grossman), Maria MENOUNOS, Tyra BANKS, Jon VOIGHT, Jennifer LOVE HEWITT, Jason BATEMAN, Lance BASS, Alicia SILVERSTONE (eux-mêmes), Mickey ROONEY (le Vieux Carruthers) et le Caméo Non Crédité de Tobey MAGUIRE (lui-même)  

Produit par Stuart CORNFELD, Matt EPPEDIO, Patrick ESPOSITO, Eric McLEOD, Ben STILLER et Brian TAYLOR (Goldcrest Pictures / DreamWorks SKG / Internationale Filmproduktion Stella-del-Sud Second / Red Hour Films / Road Rebel)   Producteur Exécutif Justin THEROUX  

 

Musique Theodore SHAPIRO   Photo John TOLL   Montage Greg HAYDEN   Casting Kathy DRISCOLL et Francine MAISLER  

Décors Jeff MANN   Direction Artistique Raphael GORT, Richard L. JOHNSON et Dan WEBSTER   Costumes Marlene STEWART  

1er Assistant Réalisateur Mark COTONE   Réalisateurs 2e Équipe E.J. FOERSTER et Phil NEILSON    Cascades Brad MARTIN  

Mixage Son Steve CANTAMESSA et Craig HENIGHAN   Montage Son Jim BROOKSHIRE et Craig HENIGHAN  

Effets Spéciaux Visuels Mark BREAKSPEAR, David CARRIKER, Jamie DIXON, Paul GRAFF, Bryan HIROTA, Anthony MABIN et Michael OWENS (Hammerhead Productions / CIS Hollywood / Custom Film Effects / Proof / Rainmaker Animation & Visual Effects)   Effets Spéciaux de Maquillages Michèle BURKE, Barney BURMAN, Matthew W. MUNGLE et Koji OHMURA   Effets Spéciaux de Plateau Michael MEINARDUS   

Distribution USA : DreamWorks Distribution / Distribution INTERNATIONAL : UIP  

 

Durée : 1 heure 47

« Raindrops Keep Fallin’On My Head » – Paul Newman 1925-2008

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« Une époque vient de se terminer. Paul Newman était un géant grand et humble. Il disait qu’il devait tout à la chance, mais le reste d’entre nous sait que c’étaient son talent, son intelligence et son cœur généreux qui en ont fait la star qu’il fut. Il devrait être un exemple pour le métier d’acteur parce qu’il semblait s’être fait retirer son ego chirurgicalement . » – Kevin Spacey  

Triste mois de septembre. Si la météo nous garantit un bel été indien, il ne semble pleuvoir que des mauvaises nouvelles sur notre monde. Les attentats continuent, les marchés boursiers s’effondrent. Sur une note plus personnelle, je note que les nouveaux films sortis durant ce fichu mois semblent respirer l’ennui poli (merci le Festival de Cannes) et me découragent d’aller au cinéma. Histoire de déprimer encore plus, j’apprends que Scarlett Johansson vient de se marier… et pour couronner le tout, qu’un grand homme nous a quitté après plus de cinquante années d’une carrière bien remplie.  

Paul Newman s’est éteint à l’âge de 83 ans, ce 26 septembre dernier, des suites d’un cancer du poumon, dans son domicile de Westport, Connecticut. Newman, ce n’était pas juste un acteur talentueux, célèbre pour ses succès qui culminèrent surtout dans les années 1960-70, ni ce sex symbol aux yeux bleus acier qui firent craquer tant de spectatrices – un cliché qui l’agaçait au plus haut point. Pour ceux qui le connaissaient bien, Paul Newman était un homme foncièrement bon, intelligent et au triomphe modeste. Sa carrière ne se cantonna pas au seul métier de comédien, où il imprima de sa forte personnalité nombre de personnages mémorables et de grands films, mais aussi dans d’autres domaines où il s’impliquait totalement et généreusement.  

Paul Leonard Newman est né le 26 janvier 1925 à Sharer Heights, dans l’Ohio, d’un couple de commerçant Juifs, Arthur et Theresa Newman. Dès l’enfance, Paul Newman s’intéressa au théâtre, encouragé en cela par sa mère. Il fit ainsi ses débuts sur scène à l’âge de 7 ans, jouant le bouffon de la cour dans Robin des Bois au théâtre de l’école locale. Diplômé en 1943, il entre brièvement à l’Université de l’Ohio, mais la 2e Guerre Mondiale le pousse à rejoindre l’U.S. Navy. Il s’y engagea dans l’espoir de devenir pilote de chasse, mais ses espoirs furent déçus quand on s’aperçut qu’il était daltonien ! Hé oui, les futurs yeux bleus les plus célèbres du cinéma américain ne percevaient pas les couleurs…  

Mais déjà, le jeune Newman montre qu’il n’est pas du genre à renoncer au premier obstacle. Il devient officier radio et canonnier pour avions bombardiers lance-torpilles dans le Pacifique, servant notamment à bord du bombardier Avenger. Il servit aussi à bord de l’USS Bunker Hill durant la terrible Bataille d’Okinawa, au printemps 1945. Il ne participa pas au combat, retenu en arrière parce que son pilote avait eu une infection à l’oreille. Tout ses équipiers partirent en première ligne et moururent… Après la guerre, Paul Newman termine ses études et obtient le diplôme au Kenyon College en 1949. Il épouse Jackie Witte cette année-là, et ils auront un fils, Scott, en 1950, et deux filles, Susan Kendall (née en 1953) et Stephanie. Paul et Jackie se sépareront en 1958.  

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Ci-dessus : le screen-test historique de Paul Newman et James Dean pour A L’EST D’EDEN.    

Retour en 1949. Le jeune Paul Newman étudie l’art dramatique à Yale, puis rejoint l’école de Lee Strasberg à New York, un certain Actor’s Studio qui va révéler tant de talents durant les décennies suivantes… Newman fait ses débuts à Broadway au début des années 1950, dans la première production de la pièce de William Inge, PICNIC, dont Joshua Logan tirera plus tard un film avec William Holden et Kim Novak. Il retient vite l’attention du public et des critiques, jouant notamment DOUX OISEAU DE JEUNESSE de Tennessee Williams, avec Geraldine Page. Il sera d’ailleurs en 1962 la vedette, toujours avec Geraldine Page, de l’adaptation filmée homonyme, signée Richard Brooks. Entre 1952 et 1954, Paul Newman fait aussi plusieurs apparitions dans des pièces filmées à la télévision. Le jeune comédien passe bien à l’image, et se fait vite remarquer par Hollywood. Le moins que l’on puisse dire est qu’il n’est pas très enthousiaste de venir à Los Angeles… Il y tourne en 1954 son premier film, LE CALICE D’ARGENT, un péplum de Victor Saville avec Virginia Mayo, Pier Angeli et Jack Palance. S’il reçoit des critiques positives pour ses débuts, Newman déclarera clairement détester ce film, ne supportant pas de se voir en tunique ! Avec les années, il continuera à rire de ses débuts mal engagés à Hollywood… En 1955, il auditionne pour le rôle d’Aron Trask dans un screen-test d’A L’EST D’EDEN, en compagnie de James Dean. La bobine deviendra un véritable objet de collection par la suite. Newman ne sera pourtant pas choisi par le réalisateur Elia Kazan, qui lui préfère Richard Davalos. Cette même année, Newman jouera aussi une pièce de théâtre télévisée, filmée en couleur et en direct, OUR TOWN de Thornton Wilder, avec Eva Marie Saint et Frank Sinatra en personne.  

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Les choses vont vite s’arranger au cinéma pour l’acteur. En 1956, il est à l’affiche de SOMEBODY UP THERE LIKES ME / Marqué par la Haine, magnifique film de Robert Wise sur la vie du boxeur Rocky Graziano. Le talent de Newman peut enfin s’exprimer dans un rôle adéquat. Newman ne joue pas, il est Graziano, littéralement. Un petit voyou de New York, violent, solitaire, rebelle à tout et à tous, qui devient dans l’épreuve un véritable être humain en pleine rédemption. Et le premier d’une série de personnages de révoltés mémorables que Newman saura par la suite incarner à la perfection. Soit dit en passant, la diction, la gestuelle et les choix vestimentaires de Newman pour ce rôle inspireront délibérément, vingt ans après, un Sylvester Stallone qui y trouvera certainement l’inspiration de son ROCKY…  Newman va enchaîner les films : THE RACK avec Lee Marvin, toujours en 1956 ; l’année suivante, THE HELEN MORGAN STORY / Pour elle un seul homme, du vétéran Michael Curtiz, avec Ann Blyth ; puis UNTIL THEY SAIL avec Jean Simmons, Joan Fontaine, Piper Laurie et Sandra Dee, film signé par son réalisateur de SOMEBODY UP THERE…, Robert Wise. Notons d’ailleurs que Newman travaillera souvent plusieurs fois avec les mêmes réalisateurs et comédiens, signe que l’homme était apprécié pour son professionnalisme et son sens de l’amitié.  

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Ci-dessus : la bande-annonce d’époque de THE LONG, HOT SUMMER / Les Feux de l’été.  

1958 marque une nouvelle étape dans sa vie et dans sa carrière, avec pas moins de trois grands films qui lui valent de nouvelles louanges. Newman obtient le Prix du Meilleur Acteur au Festival de Cannes pour le rôle de Ben Quick dans THE LONG, HOT SUMMER / Les Feux de l’été, une adaptation des nouvelles de William Faulkner signée Martin Ritt, son réalisateur préféré. Il y joue aux côtés d’Orson Welles et d’une charmante comédienne avec qui il s’entend à merveille. Elle s’appelle Joanne Woodward. Paul et Joanne se sont mariés le 29 janvier 1958, marquant ainsi le début d’une solide histoire commune ; chose exceptionnelle dans un milieu où les divorces de célébrités sont légion, ils resteront mariés plus de cinquante ans, jusqu’à son décès. Ils ont eu trois filles : Elinor dite « Nell », née en 1959, Melissa dite « Lissy », née en 1961, et Claire dite « Clea », née en 1965.  

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Ci-dessus : Paul Newman dans la bande-annonce de THE LEFT HANDED GUN / Le Gaucher.  

En cette année 1958, Newman est également applaudi pour sa prestation dans THE LEFT HANDED GUN / Le Gaucher, western atypique d’Arthur Penn, où il joue un Billy The Kid torturé par ses démons intérieurs. Et il décroche sa première nomination à l’Oscar du Meilleur Acteur pour le rôle de Brick Pollitt dans LA CHATTE SUR UN TOIT BRÛLANT, adaptation de la pièce de Tennessee Williams par Richard Brooks, où il forme un couple mémorable avec Elizabeth Taylor. Plus anodin, RALLYE ‘ROUND THE FLAG, BOYS !, comédie de Leo McCarey, lui permet de jouer pour la seconde fois avec Joanne Woodward, et Joan Collins.

Après THE YOUNG PHILADELPHIANS de Vincent Sherman en 1959, Paul Newman joue dans deux films en 1960. DU HAUT DE LA TERRASSE, de Mark Robson, son troisième film avec Joanne Woodward, et le célèbre EXODUS d’Otto Preminger, avec Eva Marie Saint et Ralph Richardson. Dans ce grand drame épique et controversé sur la naissance difficile de l’état d’Israël, Newman tient le rôle d’Ari Ben Canaan, un membre de la Hagana qui ne s’en laisse pas compter, ni par les militaires Britanniques ni par les extrémistes Palestiniens, pour emmener des milliers de rescapés de la Shoah vivre dans la paix en Terre Promise.  

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La décennie cinématographique des années 60 sera faste. En 1961, il joue « Fast Eddie » Felson, dans THE HUSTLER / L’Arnaqueur de Robert Rossen, avec Jackie Gleason, Piper Laurie et George C. Scott. Interprétation magistrale d’un virtuose du billard dont le talent excite la convoitise des bookmakers, mais dont le caractère ingérable finit par détruire son amour naissant pour la jeune femme écrivain alcoolique campée par Laurie. Le rôle d’Eddie lui vaut une seconde nomination à l’Oscar, ainsi qu’au Golden Globe du Meilleur Acteur. Il retrouve Joanne Woodward sur le plateau de PARIS BLUES de Martin Ritt, dont ils partagent l’affiche avec Sidney Poitier et la légende du jazz, Louis Armstrong en personne.  

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Ci-dessus : un extrait de HUD / Le Plus Sauvage d’Entre Tous. Hud (Newman) n’aime ni les vautours, ni la Loi…    

 

L’année suivante, Newman retrouve donc l’univers de Tennessee Williams, Richard Brooks et Geraldine Page pour DOUX OISEAU DE JEUNESSE. Le rôle de Chance Wayne pour ce film lui vaut une seconde nomination au Golden Globe du Meilleur Acteur. Martin Ritt le retrouve pour un second rôle, dans HEMINGWAY’S ADVENTURES OF A YOUNG MAN qui lui vaut une nomination simultanée, cette fois-ci en tant que Meilleur Acteur dans un Second Rôle ! Mais toujours pas de récompense suprême… 1963 le voit briller de nouveau devant les caméras de Martin Ritt. Il est HUD / Le Plus Sauvage d’Entre Tous – face à Melvyn Douglas et Patricia Neal. Ce drame un peu pesant (l’atmosphère étouffante du Texas y est sûrement pour quelque chose) lui permet d’incarner Hud Bannon, un cow-boy paumé, alcoolique, indiscipliné et violent. Un personnage détestable certes, mais le talent de Newman le rend presque sympathique, et lui vaut deux nouvelles nominations comme Meilleur Acteur, pour l’Oscar et le Golden Globe.  

Viennent ensuite A NEW KIND OF LOVE, une comédie de Melville Shavelson, avec Joanne Woodward (5e film ensemble) et le thriller THE PRIZE / Pas de Lauriers pour les Tueurs avec Elke Sommer et Edward G. Robinson sous les caméras de Mark Robson. Il enchaînera les années suivantes WHAT A WAY TO GO ! de J. Lee Thompson, comédie musicale avec Shirley MacLaine, Robert Mitchum, Dean Martin et Gene Kelly ; L’OUTRAGE, de l’ami Martin Ritt, remake « western mexicain » de RASHÔMON, avec Laurence Harvey, Claire Bloom et Edward G. Robinson ; et LADY L de Peter Ustinov, avec Sophia Loren et David Niven. En 1966, Paul Newman remporte un grand succès avec HARPER / Détective Privé de Jack Smight, avec Lauren Bacall, Janet Leigh et Robert Wagner.  

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Puis il tourne avec Julie Andrews dans LE RIDEAU DÉCHIRÉ du Maître du Suspense Alfred Hitchcock. Malheureusement, le style de jeu très intense de Newman, avec ses techniques héritées de l’enseignement de l’Actor’s Studio, ne se lie pas très bien avec les exigences de mise en scène de Hitchcock, qui privilégiait les « plans neutres » de la part de ses acteurs-vedettes. Le film, distrayant mais bancal, n’emporte pas l’adhésion totale du spectateur. Reste toutefois une séquence-choc mémorable, où Paul Newman doit réduire coûte que coûte au silence un sinistre agent de la Stasi dans une ferme est-allemande… Une des scènes hitchcockiennes de meurtre les plus impressionnantes qui soit, par sa longueur, sa brutalité (pour l’époque) et les différentes « armes » employées par Newman et sa complice pour éliminer l’espion ! Voir la séquence ci-dessus, avec la musique de Bernard Herrmann, rejetée par Hitchcock.  

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Dans le western HOMBRE, où il tient le rôle de John Russell, un « Indien Blanc », Newman retrouve son réalisateur fétiche Martin Ritt, qui l’oppose au médecin véreux Fredric March et à un affreux desperado campé par Richard Boone. Et l’acteur triompe avec l’un des meilleurs « films de prison », LUKE LA MAIN FROIDE, où il joue avec George Kennedy sous la direction de Stuart Rosenberg. Une nouvelle fois nominé à l’Oscar et au Golden Globe, Newman campe un de ses meilleurs rôles de rebelles avec le personnage de Luke. Les moments d’anthologie sont nombreux dans ce classique qui ne vieillit pas – notamment la séquence où Luke parie qu’il peut engloutir cinquante œufs durs en une heure. L’acteur releva réellement le défi, à s’en distordre l’estomac, comme vous pouvez le voir ci-dessus !  

En dehors des écrans, Paul Newman est aussi présent dans les combats politiques. Fervent démocrate, il soutient activement la campagne d’Eugene McCarthy en 1968… et se retrouve du coup sur la liste des ennemis politiques de Richard Nixon ! Signalons par ailleurs que Newman maintiendra jusqu’au bout ses convictions démocratiques, et fut aussi un défenseur des droits des homosexuels.  

Toujours en 1968, après avoir joué dans une comédie militaire de Jack Smight, THE SECRET WAR OF HARRY FRIGG / Évasion sur Commande, Newman passe à la réalisation, signant le joli drame RACHEL, RACHEL, avec sa chère Joanne Woodward. Cela lui vaut de décrocher enfin le Golden Globe… du Meilleur Réalisateur ! Plus une nomination à l’Oscar du Meilleur Réalisateur. Ensuite, Newman retrouve Joanne Woodward et Robert Wagner pour jouer dans WINNING / Virages, de James Goldstone. C’est en préparant le tournage de ce film axé sur les sports automobiles que Paul Newman s’enthousiasmera pour les courses d’endurance, et deviendra un véritable pilote professionnel en 1972. Il finira second aux 24 Heures du Mans en 1979, et, à l’âge de 70 ans, sera le plus vieux vainqueur d’une course automobile aux 24 Heures de Daytona, en 1995 !  

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Mais c’est surtout le film suivant qui va demeurer dans les esprits : BUTCH CASSIDY ET LE KID, de George Roy Hill lui permet de jouer avec son jeune collègue Robert Redford. Sans oublier Katharine Ross, qu’il séduit à l’écran à vélo, avec la célèbre chanson de Burt Bacharach, « Raindrops Keep Fallin’On My Head » ! Voir la séquence di-dessus (pardon pour la mauvaise qualité d’image, ravagée par le Pan&Scan…). Newman est un Butch Cassidy malicieux et inconscient, un incorrigible rêveur qui forme avec Sundance Kid (Redford) un duo inoubliable. Truffé de morceaux de bravoure, ce western tragicomique fait de Redford une star et consacre Newman comme l’un des acteurs les plus aimés de l’époque. La décennie se conclut en compagnie de Joanne Woodward dans le drame de Stuart Rosenberg, WUSA, où ils jouent avec Anthony Perkins et Laurence Harvey.  

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Les années 1970s arrivent, et Paul Newman continue à tourner, devant et derrière la caméra. Il signe en 1971 son second film en tant que réalisateur, le drame d’aventures SOMETIMES A GREAT NOTION / Le Clan des Irréductibles, qui lui permet de jouer avec une légende de l’écran, Henry Fonda. L’année suivante, Stuart Rosenberg le dirige à nouveau dans le western humoristique POCKET MONEY / Les Indésirables, où il retrouve Lee Marvin 16 ans après THE RACK. Paul Newman incarne à merveille cette année-là une autre grande figure du Far-West, Roy Bean dit « le Juge ». THE LIFE AND TIMES OF JUDGE ROY BEAN / Juge et Hors-la-Loi, écrit par John Milius et réalisé par John Huston, le met en valeur dans un western désabusé et comique, où l’acteur s’amuse bien dans le rôle-titre. Enfin, cette même année, Newman signe son troisième film en tant que cinéaste, DE L’INFLUENCE DES RAYONS GAMMA SUR LE COMPORTEMENT DES MARGUERITES, toujours avec Joanne Woodward, et leur fille Nell Potts.  

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Ci-dessus : la bande-annonce de THE STING / L’Arnaque.  

En 1973, Newman retrouve John Huston comme réalisateur pour THE MACKINTOSH MAN / Le Piège, dont il partage l’affiche avec Dominique Sanda et James Mason. Mais il connaît surtout son plus grand succès avec THE STING / L’Arnaque. La belle équipe de BUTCH CASSIDY est de retour – Robert Redford est de l’aventure pour « plumer » un mémorable méchant gangster joué par Robert Shaw, toujours sous les caméras de George Roy Hill. La complicité de Newman et Redford fait toujours plaisir à voir, même s’ils se font quelque peu voler la vedette par Shaw. Le film récolte une pluie d’Oscars… mais Paul Newman n’est même pas nominé !  

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Ci-dessus : la bande-annonce de SLAP SHOT / La Castagne.  

Nouveau grand succès public pour Newman l’année suivante avec LA TOUR INFERNALE. LE film-catastrophe le plus réussi de la décennie, dû au producteur Irwin Allen et au réalisateur John Guillermin, qui place Paul Newman en architecte héroïque, pris au piège du monstrueux incendie qui ravage le gratte-ciel qu’il a construit. En tête d’un casting de superstars, Newman partage la vedette avec son grand rival au box-office, Steve McQueen ! En 1975, Newman interprète à nouveau le détective privé Lew Harper, neuf ans après HARPER. THE DROWNING POOL / La Toile d’Araignée lui fait partager l’affiche pour la huitième fois avec son épouse Joanne Woodward, sous les caméras de Stuart Rosenberg avec qui il travaille pour la quatrième fois. Noter aussi dans le casting la présence d’une petite jeunette avec qui il retravaillera des années après, Melanie Griffith.

L’année suivante, Paul Newman rajoute un personnage supplémentaire à sa « collection » d’anti-héros de l’Ouest : il est la vedette de BUFFALO BILL ET LES INDIENS de Robert Altman, avec Geraldine Chaplin, Harvey Keitel et Burt Lancaster. Malheureusement, le film, sorti l’année du bicentenaire américain, est très mal reçu, malgré la prestation de l’acteur. Newman retrouve George Roy Hill en 1977, sans Robert Redford, cette fois, pour SLAP SHOT / La Castagne – une sympathique comédie sportive où Newman est le coach désabusé d’une équipe de hockeyeurs bras cassés.  

En novembre 1978, Paul Newman connaît une terrible tragédie. Son fils de 28 ans, Scott, meurt d’une overdose accidentelle. En souvenir de son fils, Newman créera le Scott Newman Center, pour aider les victimes de la drogue à s’en sortir. Il retrouve en 1979 les caméras de Robert Altman pour le film de science-fiction QUINTET, au casting international comprenant Vittorio Gassman, Fernando Rey, Bibi Andersson et Brigitte Fossey. On passera poliment sur son film suivant, WHEN THE TIME RAN OUT… / Le Jour de la Fin du Monde, de James Goldstone, avec Jacqueline Bisset et William Holden… un film-catastrophe qui, de l’avis général, mérite bien son nom. Newman signe en tant que réalisateur le téléfilm THE SHADOW BOX, avec Joanne Woodward et Christopher Plummer.  

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En 1981, Paul Newman reçoit de nouvelles louanges pour ses interprétations dans FORT APACHE THE BRONX / Le Policeman, de Daniel Petrie, et ABSENCE DE MALICE, un drame Sydney Pollack, avec Sally Field, qui lui vaut une nouvelle nomination à l’Oscar. Il fait ensuite une apparition dans un téléfilm, COME ALONG WITH ME, où, cette fois-ci, c’est son épouse qui le dirige ! Surtout, Newman est extraordinaire dans le rôle de Frank Galvin, dans LE VERDICT de Sydney Lumet, avec Charlotte Rampling et James Mason. Deux nouvelles nominations à l’Oscar, et au Golden Globe du Meilleur Acteur, mais toujours pas de récompense…  

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Ci-dessus : superbe prestation de Paul Newman dans ce court extrait du VERDICT.  

Actif sur tous les fronts, Paul Newman fonde en 1982 avec l’écrivain A.E.Hotchner la Newman’s Own, une marque de produits alimentaires naturels, dont tous les profits, après taxes, seront reversés à des œuvres de charité. Un succès immense (plus de 200 millions de dollars en donations au début de l’année 2006), sur lequel il a écrit avec Hotchner un mémore savoureusement intitulé « Exploitation Éhontée en Faveur du Bien Commun » ! Citons aussi ce commentaire très pince-sans-rire de Mr Newman lui-même : « Une fois que vous voyez votre visage sur une bouteille de garniture pour salade, cela devient difficile de se prendre au sérieux. »  

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Ci-dessus : Eddie Felson (Paul Newman) affronte son ancien poulain Vincent Lauria (Tom Cruise) dans LA COULEUR DE L’ARGENT.

En 1984, Paul Newman se dirige lui-même dans le drame HARRY & SON / L’Affrontement, avec Joanne Woodward, Ellen Barkin et Morgan Freeman. Centré sur les difficiles relations entre un père et son fils, le film compte beaucoup pour Newman, qui y voit là l’occasion d’évoquer en filigrane la perte de son fils survenue six ans plus tôt. 1986 marque enfin la consécration professionnelle de Paul Newman. Lauréat d’un Oscar Honoraire, il tourne cette année-là LA COULEUR DE L’ARGENT de Martin Scorsese. 25 ans après L‘ARNAQUEUR, Newman retrouve le rôle de « Fast Eddie » Felson, vieilli et mûri, et qui replonge pour protéger un jeune virtuose du billard en qui il se reconnaît. L’occasion pour Newman d’être ici le mentor-rival d’une jeune star montante, Tom Cruise, lui-même un grand amoureux des courses automobiles. Nominé au Golden Globe, Newman décroche enfin le fameux Oscar du Meilleur Acteur. Sans vouloir méjuger la prestation du comédien, toujours aussi intense, on ne peut toutefois s’empêcher de penser qu’il s’agit là d’un Oscar « de compensation » permettant à l’Académie de corriger les oublis passés. Newman n’en a cure, toutefois, et continue de travailler, la soixantaine passée. L’année suivante, il réalise LA MÉNAGERIE DE VERRE ( revoilà l’univers de Tennessee Williams ), dirigeant Joanne Woodward, John Malkovich et Karen Allen.

En 1988, Paul Newman fonde le Hole in the Wall Gang Camp, un camp d’été résidentiel pour enfants malades, nommé d’après le gang de BUTCH CASSIDY & LE KID. La réussite de ce nouveau projet se traduit par la fondation d’autres camps « Hole in the Wall » aux USA, en Irlande, en France et en Israël, au service de milliers de petits malades, accueillis gratuitement. Parmi ses activités humanitaires suivantes, signalons que Paul Newman donnera 250 000 $ en Juin 1999 pour aider des réfugiés au Kosovo, et qu’il donnera 10 millions de dollars à son ancien lycée, le Kenyon College, afin d’établir un fond de bourse d’études suffisant.  

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Ci-dessus : la bande-annonce de FAT MAN AND LITTLE BOY / Les Maîtres de l’Ombre.  

Paul Newman est excellent dans deux films un peu oubliés, datant de 1989 : FAT MAN AND LITTLE BOY / Les Maîtres de l’Ombre, de Roland Joffé, avec John Cusack et Laura Dern, où il campe le Général Leslie R. Groves, chargé de diriger le Projet Manhattan menant à la création de la Bombe Atomique durant la 2e Guerre Mondiale. Et il est le truculent Gouverneur Earl K. Long dans BLAZE, de Ron Shelton, avec la pulpeuse Lolita Davidovich. Puis il retrouve, pour la 10e fois à l’écran, sa chère Joanne Woodward, dans le drame Mr. & Mrs. BRIDGE de James Ivory, avec Joanne Woodward.  

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Dans les années 1990 et 2000, Paul Newman va raréfier ses apparitions à l’écran, mais saura toujours prouver qu’il reste un acteur de premier plan. Il revient au cinéma en 1994 avec la comédie des frères Coen THE HUDSUCKER PROXY / Le Grand Saut, avec Tim Robbins et Jennifer Jason-Leigh. Dans cette farce démesurée directement inspirée des classiques de Frank Capra, Newman met toute sa malice à jouer un vieux grigou de la finance au nom improbable, Sidney J. Mussburger ! Ses plans machiavéliques pour récupérer l’entreprise de son défunt associé se voient déjoués par la naïveté d’un grand benêt joué par Robbins, et son invention révolutionnaire, le houla-hop… Cette même année, Newman est brillant en vieux retraité escroc irresponsable, dans NOBODY’S FOOL / Un Homme Presque Parfait de Robert Benton, avec Jessica Tandy, Melanie Griffith, Bruce Willis et Philip Seymour Hoffman.

Deux nouvelles nominations à l’Oscar et au Golden Globe du Meilleur Acteur. Il jouera à nouveau sous la direction de Benton en 1998, dans le thriller TWILIGHT / L’Heure Magique, avec Susan Sarandon, Gene Hackman, Reese Witherspoon et James Garner. En 1999, on le retrouve avec Kevin Costner et Robin Wright Penn dans UNE BOUTEILLE A LA MER de Luis Mandoki, puis l’année suivante, bon pied bon œil dans WHERE THE MONEY IS / En Toute Complicité de Marek Kanievska, avec la belle Linda Fiorentino.  

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Ci-dessus : la confrontation entre Michael Sullivan (Tom Hanks) et John Rooney (Paul Newman) dans ROAD TO PERDITION / Les Sentiers de la Perdition.

Puis, en 2002, Paul Newman va livrer sa dernière apparition au cinéma. Et, par la même occasion, sortir par la grande porte ! Il est le parrain de la pègre irlandaise John Rooney dans le superbe ROAD TO PERDITION / Les Sentiers de la Perdition, de Sam Mendes. Un patriarche déchiré par son amour paternel pour ses deux fils – le « vrai » fils biologique, héritier de l’empire criminel des Rooney, un vrai psychopathe joué par Daniel Craig, et le fils « illégitime », Michael Sullivan, joué par Tom Hanks, exécuteur des basses œuvres, tueur professionnel consciencieux, mais qu’un drame pousse à la révolte sanglante. Newman est magistral dans chacune de ses scènes. Qu’il soit un affectueux papy matois jouant aux dés avec les fils de Sullivan, qu’il soit en train de jouer au piano en silence avec Hanks dans une des meilleures scènes du film, ou encore qu’il roue de coups Craig avant de le serrer dans ses bras, Paul Newman apporte une dimension shakespearienne exceptionnelle. Et cela lui vaudra d’être à nouveau nominé à l’Oscar et au Golden Globe du Meilleur Acteur dans un Second Rôle.  

Sa dernière scène, celle, splendide, de la fusillade sous la pluie dans …PERDITION, ne marquera pas toutefois la fin de son travail de comédien. Paul Newman continuera jusqu’au bout à travailler. En 2003, il campe le Juge Earl Warren dans la minisérie TV FREEDOM : A HISTORY OF US, où il joue le Juge Earl Warren – parmi une pléiade d’immenses comédiens. À Broadway, il reprend le rôle jadis tenu par Frank Sinatra dans OUR TOWN de Thornton Wilder. La pièce, diffusée ensuite à la télévision, est un grand succès et lui vaut une nomination aux Tony Awards et aux Emmy Awards. En 2005, il partage l’affiche du téléfilm de Fred Schepisi EMPIRE FALLS, avec Ed Harris, Philip Seymour Hoffman, Helen Hunt, Robin Wright Penn… et, bien sûr, Joanne Woodward. Bien qu’ils ne jouent pas dans les mêmes séquences, ils sont ainsi réunis pour la dernière fois dans un générique. Et Newman obtient l’Emmy Award et le Golden Globe du Meilleur Acteur dans un Second Rôle pour un Téléfilm !  

Enfin, Paul Newman prêtera sa célèbre voix rocailleuse à plusieurs films : une production IMAX sur la conquête de la Lune, MAGNIFICENT DESOLATION avec Tom Hanks, Matt Damon et Morgan Freeman. Toujours grand amateur de courses automobiles, Newman terminera sa carrière dans deux films liés à sa passion : en 2006, il est la voix de Doc Hudson (surnommé « Hud », clin d’oeil à l’un de ses rôles les plus mémorables), le vieux bolide bourru de CARS, le film Pixar de John Lasseter, où il domine l’ensemble du casting vocal ; et, enfin, il sera le narrateur du film DALE consacré au champion de courses automobiles Dale Earnhardt.  

Paul Newman annonce officiellement qu’il prend sa retraite du métier d’acteur le 25 mai 2007. Il devait réaliser pour le théâtre une adaptation du roman de John Steinbeck, DES SOURIS ET DES HOMMES, au Westport Country Playhouse, mais dût y renoncer en mai 2008. Le cancer, hélas, le gagnait.  

Les cinéphiles du monde entier auront une pensée affectueuse pour sa femme, Joan Woodward, ses filles et toute sa famille. Pour ma part, je n’arrête pas de siffloter « Raindrops Keep Fallin’On My Head »…  

Au revoir, Mr. Paul Newman.

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