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Retour vers le Futur (dans le Passé) 1985 – RETOUR VERS LE FUTUR

Nom de Zeus, Marty ! Nous sommes en 1985, et le monde a considérablement changé…

La Guerre Froide, toujours… Le conflit politique global opposant les Etats-Unis et l’Union Soviétique touche, lentement mais sûrement, à sa fin. Engluée dans le bourbier de la guerre en Afghanistan, l’URSS a un nouveau dirigeant, le Premier Secrétaire Mikhaïl Gorbachev, désigné après le décès de son prédécesseur Konstantin Tchernenko. Gorbachev engage son pays dans un vaste programme de réformes économiques et politiques, et rencontre le Président américain Ronald Reagan, l’ancien acteur de série B réélu pour un second mandat (Doc Brown ne l’a pas vu venir !). Un président républicain sous le règne duquel l’Amérique se croit invincible (surtout dans les milieux financiers et politiques les plus droitiers qui soient), et dont les déclarations et décisions laissent perplexes les observateurs étrangers, pour sa tendance à citer Dirty Harry ou Rambo comme modèle d’action politique. Ceci tout en donnant à un programme d’armement spatial le nom de Star Wars. George Lucas n’apprécie pas du tout, au point de lui faire un procès…

Le monde de 1985 ne se limite pas à ces délires reaganiens cachant des lendemains qui déchanteront. Quelques dates et évènements, en veux-tu en voilà… En France, on parlait par exemple de l’assassinat du général Audran par le groupe terroriste Action Directe (25 janvier), et on suivait les retombées sordides de l’affaire Grégory, avec l’assassinat du principal suspect, Bernard Laroche, tué par le père du petit garçon assassiné quelques mois plus tôt (29 mars). En politique, ce fut une année de crise pour le gouvernement de François Mitterrand, avec le départ de Michel Rocard le 4 avril, le scrutin proportionnel permettant l’entrée du Front National au Parlement. Le gouvernement Mitterrand également malmené par la rocambolesque affaire du Rainbow Warrior, le bateau de Greenpeace saboté par deux agents de la DGSE le 10 juillet à Auckland. L’explosion du navire tue un photographe, et les saboteurs (les « faux époux Turenge ») seront arrêtés par la police néo-zélandaise. Ils seront condamnés à dix ans de prison ; le scandale coûtera leur poste au Ministre Charles Hernu et au patron de la DGSE, l’amiral Lacoste. Les actualités françaises  retiendront aussi, dans le contexte de la guerre civile qui ravage le Liban, les enlèvements de quatre français – Marcel Carton, Marcel Fontaine, Michel Seurat et le journaliste Jean-Paul Kauffmann. Le conflit religieux libanais déborde sur l’actualité internationale, comme le prouvera aussi la prise d’otages du paquebot italien Achille Lauro le 7 octobre par des terroristes palestiniens. Un passager américain sera tué, mais les preneurs d’otages pourront s’échapper. La triste actualité retiendra aussi les catastrophes naturelles survenues en Amérique centrale et du sud : un tremblement de terre meurtrier ravage Mexico le 19 septembre (9500 victimes estimées) et le volcan Nevado del Ruiz entre en éruption le 13 novembre. Une coulée de boue engloutit le village d’Armero et les environs, faisant 25 000 morts, parmi lesquels une fillette, dont l’agonie fut filmée et diffusée dans le monde entier.

Les actualités de 1985 sont marquées par d’autres évènements. Le monde du sport est choqué par les images de la finale Juventus de Turin – Liverpool de la Coupe d’Europe des Champions de football, au stade du Heysel à Bruxelles. Les hooligans anglais, ivres et furieux, chargent les supporters de la « Juve », placés à côté d’eux, provoquant un mouvement de panique qui fera 38 morts et 200 blessés. Malgré tout, la finale sera jouée. Les dirigeants de l’UEFA décident enfin de réagir et interdisent toute compétition européenne aux clubs anglais, pour plusieurs années. On en oublie la victoire de l’équipe de Michel Platini ce soir-là. Hors de ce drame, l’actualité sportive est marquée par les victoires de Bernard Hinault, victorieux pour la cinquième et dernière fois du Tour de France cycliste ; Alain Prost est champion du monde de Formule 1 pour la première fois de sa carrière ; l’équipe d’Irlande remporte le Tournoi des 5 Nations ; en tennis, les stars se nomment Mats Wilander (Roland Garros), Ivan Lendl (US Open), Stefan Edberg (Open d’Australie) et le jeune prodige Boris Becker (Wimbledon) chez les hommes, et les tournois féminins sont dominés par les rivales Chris Evert et Martina Navratilova. Côté musique, tandis que de nouvelles stars apparaissent (Prince et Madonna, qui épouse un jeune comédien nommé Sean Penn cette année-là), on assiste à l’émergence du phénomène des « Band Aids » : les stars de la chanson américaine (Michael Jackson, Tina Turner, Stevie Wonder, Diana Ross, Ray Charles, etc.) se rassemblent pour rassembler des fonds en faveur de la population éthiopienne ravagée par la famine. Ils feront un disque emblématique, We Are the World, et les concerts Live Aids rassembleront d’autres stars dans ce combat. En France, on fera de même avec les Chanteurs Sans Frontières rassemblés par Jean-Jacques Goldman (SOS Ethiopie). N’oublions pas aussi de citer la création, à la fin de l’année, des Restaus du Cœur par Coluche pour venir en aide aux SDF français. 1985, ce sera aussi le décès de nombreuses personnalités : le peintre Marc Chagall, le dirigeant de l’Albanie Enver Hoxha, le scénariste-dialoguiste Michel Audiard, l’écrivain italien Italo Calvino, les grandes actrices Louise Brooks et Simone Signoret, l’acteur américain Yul Brynner (qui filme un testament émouvant contre le tabagisme qui l’a tué) et Orson Welles, l’acteur-réalisateur de Citizen Kane, disparus le même jour (10 octobre), l’éthologue et primatologue Dian Fossey, défenseur des gorilles assassinée par des braconniers, et l’acteur américain Rock Hudson, emporté par le SIDA, qui fait des ravages dans toutes les catégories de population.

Côté cinéma, que se passe-t-il ? Tandis que de charmantes comédiennes voient le jour (Léa Seydoux, Keira Knightley, Rooney Mara, Carey Mulligan : happy birthday !), les grandes cérémonies officielles récompensent Amadeus de Milos Forman, triomphateur aux Oscars ; Papa est en voyage d’affaires, premier film d’Emir Kusturica, Palme d’Or à Cannes ; et Sans Toit ni Loi d’Agnès Varda, Lion d’Or à Venise. Au chapitre des sorties internationales, des titres font la une : par exemple, le retour d’Akira Kurosawa pour une grande fresque tragique, Ran, magistral récit sur la déchéance et la vieillesse. Le cinéaste égyptien Youssef Chahine est salué pour Adieu Bonaparte. Le cinéma sud-américain, où les pays se défont petit à petit du poids des dictatures militaires, s’affirment : l’argentin Luis Puenzo signe L’Histoire Officielle, et le brésilien Hector Babenco livre Le Baiser de la Femme Araignée. Du côté anglais, on salue l’émergence de nouveaux talents : Stephen Frears signe son second film, My Beautiful Laundrette, chronique sociale qui révèle un talentueux jeune comédien, Daniel Day-Lewis. Celui-ci est également à l’affiche du film de James Ivory, Chambre avec vue, aux côtés des grandes dames du cinéma britannique (Maggie Smith et Judi Dench) et d’une comédienne débutante, Helena Bonham Carter. En France, Jean-Luc Godard provoque les intégristes catholiques avec Je vous salue Marie, sa relecture très personnelle de la Visitation. Le public fait un triomphe à la gentille comédie de Coline Serreau, 3 Hommes et un Couffin, le succès de l’année. On va aussi voir le second film de Luc Besson, Subway, avec Isabelle Adjani et la star qui monte, Christophe Lambert ; Péril en la demeure de Michel Deville, Police de Maurice Pialat (avec Gérard Depardieu et Sophie Marceau), La Diagonale du Fou avec Michel Piccoli ou L’Effrontée de Claude Miller, avec la jeune Charlotte Gainsbourg, comptent parmi les films marquants de l’année.

Côté américain, une année chargée, marquée par une baisse de fréquentation liée à la hausse du marché des vidéocassettes, qui permettent de voir et revoir les mêmes films à domicile. L’industrie cinématographique semble se partager entre la résistance aux idées reaganiennes et l’affirmation de celles-ci. Témoin de cette époque, l’émergence d’un cinéma « musclor » dont les représentants les plus célèbres sont Sylvester Stallone et Arnold Schwarzenegger. Le premier est le roi du box-office grâce à deux films (Rocky IV et Rambo II) qui consternent la critique et font se déplacer en masse les ados, pour voir Sly gagner la Guerre Froide à coups de poing et de fusil mitrailleur. Son rival autrichien est un peu plus subtil ; Schwarzenegger vient de camper un méchant mémorable dans l’excellent Terminator (Grand Prix du Festival d’Avoriaz 1985), sorti en 1984 et dû à un inconnu nommé James Cameron, et parodie le phénomène Rambo dans le médiocre (mais très second degré) Commando. Hors de cet étalage de biceps et de mitraillages à tout va, il y a bien d’autres titres qui retiennent l’attention. Notamment un bref retour du Western, via deux films : Clint Eastwood (élu maire de Carmel) signe le très beau Pale Rider, où il campe un étrange pasteur fantomatique défendant des petits prospecteurs contre un businessman véreux ; Lawrence Kasdan, scénariste des Aventuriers de l’Arche Perdue, rend un bel hommage aux westerns de sa jeunesse avec Silverado, avec un casting aux petits oignons (Kevin Kline, Scott Glenn, Danny Glover, Rosanna Arquette, Jeff Goldblum, John Cleese et un petit nouveau, Kevin Costner). Deux très bons polars signés par des grands réalisateurs « crucifiés » sortent sur les écrans : To Live and Die in L.A. (Police Fédérale Los Angeles) de William Friedkin nous fait vivre le quotidien d’agents du Secret Service traquant un dangereux trafiquant de fausse monnaie (Willem Dafoe) ; Michael Cimino, avec Oliver Stone au scénario, signe l’explosif L’Année du Dragon opposant un flic new-yorkais raciste (Mickey Rourke) aux triades chinoises, sur fond de trafic de drogue. Pêle-mêle, d’autres titres arrivent sur les écrans : Mishima de Paul Schrader, La Forêt d’Emeraude de John Boorman, Witness de Peter Weir (avec un Harrison Ford inoubliable en flic réfugié chez les Amish), Mad Max au-delà du Dôme du Tonnerre de George Miller (dernière incarnation du Road Warrior par Mel Gibson affrontant Tina Turner), Brazil de Terry Gilliam (fable entre Kafka et Orwell, qui fut le cadre d’un conflit ouvert entre le cinéaste et Sidney Sheinberg, patron d’Universal Pictures), After Hours de Martin Scorsese, La Rose Pourpre du Caire de Woody Allen, L’Honneur des Prizzi de John Huston (avec Jack Nicholson en homme de main loser de la mafia), Cocoon de Ron Howard, Pee-Wee’s Big Adventure (premier long-métrage délirant d’un dénommé Tim Burton), La Chair & le Sang de Paul Verhoeven (une fresque médiévale épique et bien brutale), Legend de Ridley Scott (où Tom Cruise joue les Peter Pan face au Prince des Ténèbres interprété par Tim Curry), Out of Africa de Sydney Pollack, avec Meryl Streep et Robert Redford…

Mais pour votre serviteur, 1985 signifie autre chose. Loin de toutes ces actualités, le gamin de douze ans que j’étais ne va presque jamais au cinéma. Quand ma ville natale (Saint-Yrieix la Perche, Haute-Vienne) inaugure un nouveau cinéma flambant neuf, mon père nous emmène, ma sœur et moi, à l’une des premières projections. Avec quatre ans de décalage, je découvre Les Aventuriers de l’Arche Perdue. Je n’en dormirai pas pendant une semaine. Je viens d’être mordu par une cinéphilie extrême qui ne m’a jamais lâché à ce jour… Transition toute trouvée pour parler des films d’un Steven Spielberg occupé sur tous les fronts, comme réalisateur et comme producteur. Ce sont les heureuses « années Amblin » qui ont fait le bonheur des futurs cinéphiles en culottes courtes… Spielberg, après les succès d’Indiana Jones et le Temple Maudit (comme réalisateur) et Gremlins (comme producteur), poursuit sur sa lancée. Il surprend son monde en réalisant un splendide mélodrame, La Couleur Pourpre, révélant au passage le talent de Whoopi Goldberg et Danny Glover. L’histoire du douloureux éveil à la conscience d’une femme réduite à l’esclavage domestique dans la communauté afro-américaine du début du 20ème Siècle fera verser des larmes aux spectateurs. Comme producteur, Spielberg supervise pour Amblin des œuvres devenues « cultes » : ce seront Les Goonies de Richard Donner, avec sa joyeuse ribambelle de sales gosses (dont Josh Brolin et Sean « Samsagace » Astin) à la recherche d’un trésor de pirates, et Young Sherlock Holmes (Le Secret de la Pyramide) de Barry Levinson, relecture amusante des origines de Sherlock Holmes et du Docteur Watson encore collégiens, enquêtant sur les crimes d’une secte égyptienne au cœur de Londres. Mais la troisième production estampillée Amblin de 1985 est celle qui nous intéresse ici. Quelques mots magiques : rock’n roll, DeLorean, machine temporelle, 88 miles à l’heure, savant fou et complexe d’Œdipe…

 

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RETOUR VERS LE FUTUR, de Robert Zemeckis

Hill Valley, en Californie, est la ville natale du jeune Marty McFly (Michael J. Fox). Il aime le rock’n roll, le skate-board, les belles voitures, et avant tout sa petite amie Jennifer Parker (Claudia Wells), son rayon de soleil dans une vie peu enthousiasmante. Epinglé par le proviseur de son lycée pour ses retards permanents, rejeté par le comité de sélection du lycée qui n’aime pas le rock, Marty grandit dans une famille déprimante. Son père, George (Crispin Glover), est une vraie chiffe molle, humilié par son odieux beauf de patron, Biff Tannen (Thomas F. Wilson). Lorraine (Lea Thompson), la mère de Marty, a démissionné depuis longtemps, noyant ses désillusions et ses rêves romantiques de jeunesse dans l’alcool et les cigarettes…

Marty peut cependant compter sur l’amitié d’un drôle d’énergumène : « Doc » Emmett Brown (Christopher Lloyd), un ingénieur, scientifique et bricoleur sérieusement azimuté. Doc invite Marty à assister au premier essai, réussi, de sa toute nouvelle invention : une voiture DeLorean, modifiée pour devenir une machine à voyager dans le Temps ! Doc explique à Marty comment il l’a modifiée en la dotant d’un appareil, le Convecteur Temporel (en VO : Flux Capacitor), qu’il imagina trente ans auparavant. Délivrant une puissance de 1.21 gigawatts grâce à du plutonium, le Convecteur activé peut propulser la DeLorean à l’époque choisie, passée ou future, dès que la voiture atteint les 88 miles à l’heure. Malheureusement, Doc a floué les mauvaises personnes pour se procurer le plutonium : des terroristes libyens qui le tuent sous les yeux de Marty. Le jeune homme se précipite dans la DeLorean, sans réaliser qu’elle était programmée sur l’année 1955. Sitôt atteint la vitesse fatidique, Marty se retrouve propulsé trente ans dans le Passé de sa ville. Le seul espoir de Marty est de retrouver le jeune Doc Brown, vivant déjà à Hill Valley, afin qu’il l’aide à revenir à son époque. Mais, en chemin, Marty croise le chemin de George, Lorraine et Biff adolescents. En sauvant George d’une situation embarrassante, Marty empêche la rencontre de ses futurs géniteurs et risque de disparaître de la réalité, faute de n’être jamais né…

 

Retour vers le Futur 01Ci-dessus : « Vous êtes un tocard, McFly ! ». Marty et Jennifer (Michael J. Fox et Claudia Wells) interceptés par le proviseur Strickland (James Tolkan).

Robert Zemeckis est revenu de loin. Aujourd’hui considéré et respecté à raison comme un cinéaste de première catégorie, un créateur de films à succès (une liste éloquente, de Roger Rabbit à Seul au Monde en passant par Forrest Gump), et même un véritable auteur capable de diriger de grands comédiens tout en se livrant à d’impossibles paris techniques, le réalisateur de Chicago ne donnait pas cher de sa carrière, au début des années 1980. Cet ancien élève de la prestigieuse USC y croisa son camarade Bob Gale, nourri comme lui à la pop culture, aux westerns, aux films de James Bond, aux comics et aux cartoons ; ces deux drôles d’énergumènes, geeks avant l’heure, devaient faire tache dans leur classe, parmi des élèves plus « intellos » ne jurant que par la Nouvelle Vague. Dotés d’un sens de l’humour ravageur et d’un goût du storytelling acéré, les « deux Bobs » (comme les surnommera Steven Spielberg) eurent la chance de rencontrer, après leurs études, un ancien de l’USC au caractère bien trempé : John Milius, l’homme derrière le script d’Apocalypse Now, réalisateur du Lion et du Vent et de Conan le Barbare, qui va les prendre sous son aile et les présenter au milieu des seventies à un jeune Steven Spielberg lancé par les triomphes de Jaws et de Rencontres du Troisième Type. La riche carrière de Spielberg producteur, jalonnée de futurs « hits » au box-office, aura donc commencé avec son camarade Zemeckis. Leur réputation de moneymakers, ironiquement, sera démentie par les échecs successifs au box-office de leurs trois premières collaborations. Spielberg, avec Milius, produira les deux premiers films de Zemeckis écrits par Gale : I Wanna Hold Your Hand (sorti en France sous des titres différents : Groupies, ou Crazy Day) en 1978, et Used Cars (La Grosse Magouille, sic…) en 1980. Les deux Bobs écriront, toujours avec Milius coproducteur, le délirant 1941 réalisé par Spielberg en 1979, vilipendé par la critique à sa sortie. Aujourd’hui, ces films sont considérés comme des films cultes ; mais, à l’époque, ils n’avaient que peu (ou pas) capté l’intérêt du public. Et malgré les qualités évidentes d’écriture comique et les idées de mise en scène du duo Zemeckis-Gale, peu de studios auraient alors misé un kopeck sur les deux trublions. Eux-mêmes avaient de quoi douter, mais leur persévérance finirait bien par payer. Quand on veut très fort quelque chose, on finit toujours pas y arriver

 

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ci-dessus : sous les yeux de Marty et du chien Einstein, l’entrée en scène réussie de la fabuleuse DeLorean et de Doc Brown (Christopher Lloyd) !

 

Rome ne s’est donc pas faite en un jour. Au début des années 1980, le duo cherche toujours des idées de film. Spielberg, lui, s’en va réaliser Les Aventuriers de l’Arche Perdue, puis crée sa société de production Amblin : coup double triomphal en 1982, avec E.T. et Poltergeist. Gale, durant des vacances, retrouve dans de vieux cartons familiaux une photographie de son père, du temps où il était chef de classe au lycée. Le scénariste se demande s’il aurait aimé traîner avec celui-ci à l’époque. Zemeckis suggère à son ami une autre idée de film : une mère de famille qui prétend n’avoir jamais embrassé les garçons au lycée, alors qu’en réalité elle était la reine des flirteuses. Leurs discussions portent aussi sur leurs parents, leur jeunesse… et l’idée d’un film sur les voyages temporels fait son chemin. Tandis que Gale planche sur toutes ces idées, le succès des Aventuriers inspire les studios hollywoodiens à revenir aux films d’aventures à l’ancienne ; Michael Douglas, qui a vu les premières œuvres de Zemeckis, l’engage pour adapter un script, Romancing the Stone (A la Poursuite du Diamant Vert). Entre African Queen et L’Homme de Rio, le film, mixe léger de poursuites, de gags et de romance, fait un joli succès durant l’été 1984, face à… Indiana Jones et le Temple Maudit, de Steven Spielberg ! Zemeckis est devenu bankable et peut présenter l’idée de son prochain film, écrit par son camarade Bob Gale, aux studios. Il hésitera d’abord à le présenter à Spielberg, en raison de leurs échecs financiers respectifs. Leur scénario fut d’abord présenté à d’autres studios (Columbia, Disney) qui le refuseront : trop léger pour le premier, trop scabreux pour le second (en raison des gags oedipiens entre le héros et sa future maman…). Les deux Bobs finiront par se rendre chez Spielberg, à Amblin. Immédiatement emballé, il leur donnera le feu vert, sous l’égide d’Universal Pictures. L’aventure Retour vers le Futur pourra commencer. 

 

Retour vers le Futur 05

Ci-dessus : se réveiller en slip dans le lit de sa mère adolescente, ce n’est pas le pied… Marty rencontre Lorraine (Lea Thompson) et compromet sa propre existence.

 

Le casting sera vite fixé : pas de superstars, mais beaucoup de jeunes comédiens prometteurs, un visage familier de la télé… et une voiture entrée dans la légende dans de curieuses circonstances. Zemeckis fixa vite son choix sur Crispin Glover (George), Lea Thompson (Lorraine), Thomas F. Wilson (Biff) ; pour le rôle de Doc, il faillit engager John Lithgow (connu pour ses rôles inquiétants chez Brian DePalma et pour avoir été le passager stressé du Cauchemar à 20000 Pieds de la version cinéma de La Quatrième Dimension produite par Spielberg). Lithgow étant indisponible, Zemeckis se rabat sur un autre drôle de lascar, qui jouait les méchants aux côtés de Lithgow dans le délirant Les Aventures de Buckaroo Banzai à travers la 8ème Dimension : un grand escogriffe au regard exorbité nommé Christopher Lloyd. Choix parfait : ce rescapé de l’asile de Vol au-dessus d’un nid de coucou a fait bien rire le public américain en chauffeur allumé dans la sitcom Taxi, et dégage une énergie burlesque parfaite pour jouer le savant fou idéal. Pour les rôles de Marty McFly et de sa petite amie Jennifer Parker, en revanche, Zemeckis va hésiter… Il voit la sitcom Family Ties (Sacrée Famille) et le talent comique évident d’un jeune canadien de 24 ans, au physique de moucheron : Michael J. Fox. Celui-ci accepterait volontiers le rôle, mais il est lié par contrat au tournage de la série. Zemeckis démarrera le tournage avec un autre comédien, Eric Stoltz. Melora Hardin jouait le rôle de Jennifer. Au bout de quelques jours, toutefois, la production fut interrompue. Zemeckis réalisa que Stoltz était un excellent acteur dramatique… ce qui ne collait pas du tout avec l’esprit du film censé être une comédie. Plutôt que de laisser entretenir le malentendu, il dut renvoyer Stoltz à l’amiable. Après quelques négociations serrées, Michael J. Fox endossa le rôle. Melora Hardin fut remplacée par Claudia Wells (qui, quatre ans plus tard, mit sa carrière de côté pour raisons familiales, et fut remplacée par Elizabeth Shue dans les deux suites du film). Retour vers le Futur repartit sur de bonnes bases, avec un Michael J. Fox travaillant d’arrache-pied entre sa sitcom et le film, et ne dormant que deux heures par nuit pour cumuler les deux tournages jusqu’à l’épuisement.

N’oublions pas l’autre star du film : la voiture emblématique du cinéma américain des années 1980, la DeLorean DMC-12 choisie par Zemeckis pour être la machine temporelle la plus cool jamais filmée ! Ce coupé sportif créé par l’ancien dirigeant de General Motors John DeLorean, avec sa carrosserie en acier métallique, son look futuriste et ses ailes ouvertes en élytres d’insecte, était le bolide parfait pour le cinéaste qui cherchait une voiture aux allures de vaisseau spatial idéal pour l’un des meilleurs gags du film (Marty pris pour un alien par des fermiers froussards !). Indissociable de la trilogie, la voiture est devenue une véritable icône et un rêve pour les geeks de tout poil : non seulement capable de voyager dans le Temps, elle est aussi téléguidée, fonctionne aussi bien à l’énergie nucléaire qu’au recyclage de déchets, puis volera, et finira en diligence et en locomotive ! Et en plus, elle est belle à regarder. Comme dirait Doc : « Si l’on doit construire une machine à explorer le temps à partit d’une voiture, autant en choisir une qui ait de la gueule ! ». Quand on pense que Zemeckis et Gale avaient d’abord pensé à un réfrigérateur en guise de Machine Temporelle…

 

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ci-dessus : une impression de déjà vu ? Marty assiste à une scène très familière entre George (Crispin Glover) et Biff Tannen (Thomas F. Wilson).

 

La réussite de Retour vers le Futur n’est pas due au hasard. Le tandem Zemeckis-Gale a vite et bien compris que le succès d’un film repose, avant tout, sur une bonne histoire. En retravaillant plusieurs fois le script, les deux complices ont su définir le style, le rythme et faire en sorte que les gags ne débordent pas sur l’histoire, évitant le piège de l’accumulation qui avait alors décontenancé par exemple les spectateurs de 1941. En conséquence, le scénario de Retour vers le Futur est devenu un modèle d’inventivité et d’humour, l’exemple type de ce que devrait être un blockbuster soigneusement travaillé en amont (une denrée rare, de nos jours). Gale et Zemeckis ont livré un modèle de « serious fun« , un récit sans graisse excessive, où les paradoxes et les problèmes liés au voyage temporel de Marty McFly sont vécus par celui-ci avec le plus grand sérieux, pour la plus grande joie du spectateur. Les deux Bobs, à vrai dire, ont eu quelques modèles illustres dont ils ont su à la fois s’inspirer et s’écarter pour créer leurs propres règles narratives. Le voyage temporel, qui autorise les anachronismes volontaires, reste une vraie mine d’or. Les créateurs de Retour vers le Futur s’en sont forcément donné à cœur joie, trouvant de nouvelles idées à partir d’illustres prédécesseurs. Certes, le roman d’H.G. Wells, La Machine à explorer le Temps, et son adaptation cinéma par George Pal sont les références incontournables. Mais d’autres titres viennent en tête. On peut citer une habile variation du roman de Wells, l’excellent Time After Time (C’était Demain) de Nicholas Meyer sorti six ans avant le film de Zemeckis ; suivant le parcours inverse de Marty McFly, H.G. Wells (Malcolm McDowell) embarquait dans sa Machine Temporelle pour poursuivre à notre époque (enfin, celle de 1979) un Jack l’Eventreur joué par David Warner. L’utopiste Wells découvrait, horrifié et égaré, le monde de la consommation et de la violence urbaine… mais rencontrait l’amour sous les traits de la charmante Mary Steenburgen. L’égérie des voyageurs temporels, puisqu’elle épousera ce bon Doc Brown dans Retour vers le Futur III ! Autres influences littéraires possibles, indirectement citées par Gale et Zemeckis, Un Chant de Noël de Charles Dickens, Un Yankee du Connecticut à la cour du Roi Arthur de Mark Twain, et la nouvelle de Ray Bradbury, Un Coup de Tonnerre. Le célèbre conte de Dickens offre un des premiers voyages temporels, où le vieux Scrooge, par l’entremise de trois fantômes, visite simultanément son passé, son présent (celui de la famille Cratchit qu’il oppresse par sa radinerie) et son futur. Le vieux grigou prend conscience que ses choix et ses actions influencent, en mal, aussi bien sa vie que celle de ses rares proches, et changera d’attitude au dernier moment. Zemeckis en aura gardé souvenir, et il n’est pas étonnant de l’avoir vu adapter le conte en 2009 avec Jim Carrey (sous le titre français Le Drôle de Noël de Scrooge). Marty et Doc, par ricochet, visiteront tout au long de la trilogie leur propre histoire et celle de leurs proches, affectées par leurs actions. Le récit de Mark Twain, plus satirique, transportait un brave américain au temps héroïque de la Table Ronde, après avoir reçu une balle de baseball sur la tête. Le bon yankee profiterait de ses connaissances pour devenir le patron d’Arthur, Lancelot et compagnie… L’esprit ironique de Twain surgit dans Retour vers le Futur dès lors que Marty utilise ses connaissances d’évènements à venir (la foudre sur l’horloge) ou qu’il devient le « boss » de George (l’hilarante torture au walkman !). La nouvelle de Bradbury est restée quant à elle célèbre pour avoir illustré littéralement « l’effet papillon ». Un groupe de chasseurs remontait le temps pour traquer un Tyrannosaure Rex, mais devait suivre des règles précises pour ne pas bouleverser le cours de l’histoire. En piétinant par inadvertance un papillon, un des chasseurs changeait malgré lui celui-ci, avec des conséquences catastrophiques. Gale et Zemeckis, sans remonter aussi loin, ont adapté l’esprit de Bradbury à leur récit. En sauvant George d’un accident, Marty réalise qu’il vient d’empêcher la rencontre de ses parents… et donc qu’il va s’éliminer lui-même en ne naissant jamais, en une parfaite illustration dudit effet papillon. La suite de la saga multipliera les exemples du même type, notamment dans Retour vers le Futur 2 et son présent « alternatif ». S’il faut chercher du côté du cinéma les possibles ancêtres de Retour vers le Futur, deux titres viendront à l’esprit, qui ne traitent à vrai dire le voyage temporel qu’en mode « mineur », mais inspireront sans doute l’esprit du film à Zemeckis. Ce sont deux classiques de la comédie fantastique du grand Hollywood, celui de l’Âge d’Or : C’est arrivé demain, du français René Clair (1943), et La Vie est Belle (1946), chef-d’oeuvre ultime de Frank Capra. Dans le film de Clair, un journaliste gagnait richesse, amour et célébrité en recevant chaque matin le journal du lendemain. Pratique pour dénicher les scoops avant tout le monde, et arranger le cours de l’Histoire à sa convenance… avant que les ennuis ne s’en mêlent et que le fameux journal annonce sa mort imminente. Situation typique de la prédiction fatale que le principal intéressé précipite, en essayant de l’empêcher ! Retour vers le Futur cite indirectement le film de Clair quand Marty possède des informations avec quelques jours d’avance… mais quand il s’agira de prévenir Doc de sa mort par les terroristes, ce dernier ne voudra rien entendre. Il n’est pas bon de connaître à l’avance son propre futur – même si tout finira bien pour le savant ! Quand au film de Capra, très inspiré du Chant de Noël de Dickens, rappelons que l’inoubliable James Stewart y jouait un père de famille criblé de dettes, nommé George (tiens, comme le père de Marty). Un ange débonnaire prenait au pied de la lettre son souhait de ne jamais exister. George réalisait, épouvanté, à quel point la vie de sa famille et de ses amis aurait changé, en mal, s’il n’était pas né… Un passage très dérangeant que cette traversée d’un « présent alternatif » bien sombre chez Capra, et qui donnera des idées aux deux Bobs – voir là encore Retour vers le Futur  2 et Hill Valley aux mains de Biff devenu riche et puissant…

 

Retour vers le Futur 06

Ci-dessus : difficile de convaincre un savant fou qu’une de ses expériences a marché…  surtout quand il n’a pas encore créé l’invention décisive !

 

Toutes ces influences sont intégrées à des degrés divers, mais le scénario du film ne se résume pas à un simple étalage de citations. Gale et Zemeckis ont su « visser » un récit oscillant en permanence entre le premier degré et la satire, la science-fiction n’étant finalement qu’un ressort permettant à nos héros de dénouer un sacré sac de nœuds familial. Gale a livré un scénario qui est un modèle du genre pour tous les apprentis scénaristes, fonctionnant sur un crescendo irrésistible. La présentation de chacun des personnages importants (Marty, Doc, George, Lorraine et Biff) est à chaque fois un modèle de concision. Marty, par exemple, nous est présenté d’abord par les objets de ses passions (le skateboard, la guitare électrique) et par un premier gag montrant que le jeune homme est assez irresponsable (le labo de Doc pulvérisé par son riff de guitare !) et légèrement à côté de ses pompes Nike (il réalise qu’il va être en retard au lycée). C’est simple, clair et cela suffit à faire de Marty un héros auquel on s’attache vite. Même son de cloche pour la présentation de ses parents, au cours d’une scène de dîner familial bien démotivante pour lui. George est un pauvre binoclard ridiculisé devant son fils par Biff, et qui préfère « s’enfuir » devant une vieille sitcom, tandis que Lorraine, bouffie, amère, ressasse pour la centième fois ses souvenirs… Mais en matière de présentation originale, Robert Zemeckis réserve la plus belle part à Doc Brown. Bien avant d’apparaître pour la première fois au volant de sa fabuleuse voiture, le savant fou nous est présenté comme un personnage étrange. La séquence d’ouverture, inspirée par Hitchcock et Fenêtre sur Cour, nous révèle plein d’indices sur ce drôle de gugusse. Un plan-séquence où Zemeckis, en bon émule de Spielberg, glisse des indices révélateurs de tout ce qui va suivre. Son obsession pour le Temps et les innombrables horloges qui ornent son laboratoire (dont une à l’effigie d’Harold Lloyd dans sa fameuse scène de Safety Last ! / Monte là-d’ssus, qui prendra tout son sens dans le climax du film) ; ses problèmes financiers récurrents (un journal accroché au mur, annonçant la destruction de son manoir familial, sans doute à cause d’une expérience ratée) ; son don du bricolage un rien calamiteux (la machine ouvre-boîte pour son chien) ; son amour de la science et des chiens, qui en font un type sympathique (Einstein, le père de la relativité espace-temps, donne son nom au gentil toutou cobaye) ; et une inconscience évidente (la télé annonce le vol de plusieurs barres de plutonium… que l’on retrouve stockées au pied de l’atelier) de la part de Doc. Ainsi présenté indirectement, Doc ressemble à une espèce de sorcier veillant sur la vie de Marty sans que l’on sache comment ils se sont rencontrés. Au vu de ce qui suit, et de la sinistre soirée familiale des McFly, on peut deviner que ce brave Marty cherche chez Doc une figure paternelle un peu plus inspirante que son pitoyable paternel… Gale et Zemeckis s’amusent aussi avec la figure traditionnelle du mentor du héros propre à toute quête (on est prié de relire les travaux de Joseph Campbell), en jouant aussi sur le contraste comique entre le génie du savant et son côté clownesque. L’apparition de Doc et de sa machine sur le parking est un des grands moments du film, à ce titre-là : sous les yeux d’un Marty médusé, la remorque du camion s’ouvre, libérant une lumière blanche surnaturelle, emblématique des productions Spielberg de l’époque. On s’attend à tout : que va-t-il sortir de cette lumière ? Un extra-terrestre ? L’Arche d’Alliance ? Des spectres ? Non, une simple voiture, et son occupant à la chevelure en pétard. Un gag auquel répondra en écho la scène de Marty pris lui-même pour un E.T. en vadrouille…

 

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Ci-dessus : « - Qui est président en 1985, Visiteur du Futur ?

- Ronald Reagan !

- Ronald Reagan !? L’ACTEUR !!? »

 

Le récit de Retour vers le Futur est aussi une réussite pour d’autres raisons. Zemeckis préfère traiter l’aspect science-fictionnel au second plan, pour se consacrer aux personnages. L’arrivée de Marty dans le passé de ses futurs parents permet au cinéaste de faire feu de tout bois, entre sympathie et ironie, et d’ajouter aux gags quelques observations bienvenues sur l’évolution de la société américaine. Passé les rires de voir Marty réagir devant la version ado de ses « vieux », on constate aussi le remarquable numéro d’équilibriste du scénario de Gale pour décrire les conflits et les relations des personnages. Marty se retrouve malgré lui au centre d’un double triangle conflictuel : le conflit entre George et Biff, et la (non) relation amoureuse entre George et Lorraine. Dans un but initialement assez égoïste (Marty veut juste rentrer à son époque), notre héros comprend qu’il a des choses à changer dans sa relation avec ses parents. Donner d’une part suffisamment confiance en lui à un gentil garçon craintif et démotivé, et d’autre part empêcher sa future génitrice de faire une fixation amoureuse sur lui-même… Plus facile à dire qu’à faire, tant les futurs parents lui compliquent la tâche. C’est le complexe d’Œdipe, mais traité à l’envers, et adapté au principe de causalité – le fameux « paradoxe du grand-père » lié aux théories du voyage temporel : si je remonte le temps et que je tue mon aïeul, je n’existe pas… et donc je ne peux pas remonter le temps à son époque ! Il ne s’agit pas ici de tuer symboliquement le père pour coucher avec la mère, mais de restaurer gentiment la place des parents : papa doit embrasser maman pour que fiston puisse exister ! L’occasion pour Marty, qui, comme tous les ados du monde, prenait ses parents pour des vieux croulants (« Qu’est-ce qu’ils aiment faire, tes parents, quand ils sont ensemble ? – Rien du tout ! »), de changer de point de vue. Il se trouve enfin un point commun avec George, lors de la touchante scène de la cantine au lycée ; en voyant son père écrire en cachette de la science-fiction, Marty est un peu ému. Papa est donc un imaginatif, sapé par un grave manque de confiance en soi (« Imagine que je montre ce que j’écris et qu’on me dise que ça ne vaut rien. Je ne crois pas que je pourrais supporter d’être rejeté… »), ce qui fait écho à l’échec de Marty dont les talents de rocker ne convainquaient pas le jury de son lycée. Zemeckis va se servir des codes de la SF pour influencer, avec énormément d’humour, le destin de George et Marty ; puisque le paternel n’ose pas approcher l’amour de sa vie, Marty prend le taureau par les cornes et se fait passer pour « Darth Vader, de la planète Vulcain » afin de l’obliger à sortir de sa coquille ! Le résultat n’aura pas l’effet escompté, mais au moins, la méthode fera bien rire. Et tout en aidant de son mieux George à devenir un homme, Marty va se débattre aussi avec une future maman qui ne ressemble pas à la jeune fille bien élevée qu’elle disait être. L’humour permet de déjouer une situation potentiellement scabreuse, et on rira bien aux plans de Marty pour empêcher Lorraine d’avoir le béguin pour lui. Il montera un plan calamiteux (la scène du parking), qui échouera partiellement, Biff s’en mêlant. Ceci avant que George rassemble enfin son courage et devienne le preux chevalier de sa belle. Il fallait bien cela pour mettre fin à la terreur exercée par Biff, la brute du lycée, un petit « mâle alpha » qui croit trouver en George la victime idéale pour se défouler. Autant que les héros du film, Biff est devenu un personnage emblématique des Retour vers le Futur : un concentré de méchanceté gratuite, de bêtise bovine, l’incarnation de tous les crétins de lycée sûrs d’eux et de leur force, toujours prêts à humilier ceux qui n’osent pas leur tenir tête. Les excellents dialogues de Gale ont aussi fait le personnage – aidé chez nous par un doublage d’anthologie. Difficile de séparer Biff de ses répliques cultes : « Y a quelqu’un au bout du fil ? » et « Tu veux ma photo, banane ? »… et de sa punition récurrente, direction le tas de fumier le plus proche…

 

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Ci-dessus : George résistera-t-il aux terribles tortures sonores de Darth Vader ?

 

Une fois ces difficultés enfin résolues, Marty revenu à son époque ne pourra que constater les petits changements qu’il a apporté à ses parents. Les McFly sont désormais riches et heureux, Biff réduit à l’état de gentil larbin en jogging… Et Marty aura finalement la voiture qu’il voulait tant, pour sortir tard le soir avec sa chère Jennifer (et sans doute passer à l’étape suivante…). Cette vraie fausse happy end avait cependant fait grincer quelques dents chez les critiques. A l’heure où le consumérisme et le matérialisme bienheureux de l’ère Reagan triomphait, certains crurent que Retour vers le Futur saluait cette idéologie. George prenait sa revanche sur Biff, et donc, en écrasant (symboliquement) son concurrent auprès de Lorraine, gagnait richesse, gloire et un joli pavillon de banlieue, tandis que Marty lui emboîterait le pas sur l’air de « Il a la voiture, il aura la fille ». Zemeckis s’en défendra cependant, rappelant que le film se moquait aussi des travers consuméristes de la société américaine middle class, auquel lui comme son producteur Steven Spielberg firent souvent un sort. Et de rappeler que les américains n’avaient pas attendu Reagan pour s’y vautrer avec délices – voir l’autre scène de repas en famille chez les parents de Lorraine, attablés devant le téléviseur devenu le centre de toutes les attentions. Cette happy end est ironique, nous dit le réalisateur ; Marty a trop bien fait les choses, finalement, en transformant sa famille de perdants en winners à l’américaine. Les mimiques irrésistibles de Michael J. Fox et les clins d’œil constants de Zemeckis (la couverture du livre de George) nous rappelleront de ne pas trop prendre cette scène au sérieux… et la chute finale, avec le retour de Doc, est irrésistible. Marty et son amoureuse auront à peine eu le temps d’échanger un baiser que le savant fou, revenu du Futur, leur annonce tout de go que leurs enfants ont des ennuis ! C’est ce qui s’appelle aller à l’essentiel…

 

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Ci-dessus : Biff franchit les bornes… George va devoir faire preuve de courage, pour sauver Lorraine.

 

La mise en scène de Zemeckis est à l’avenant. Pas une seule faute de goût dans Retour vers le Futur, la réalisation, très classique en apparence, fourmillant d’idées à chaque scène. Encore à l’aube d’une belle carrière, Zemeckis a pris confiance en lui ; le cinéaste sait que toute bonne comédie est avant tout affaire de rythme, et, de ce point de vue, le film fait un sans-faute, aidé par le timing impeccable des comédiens, Michael J. Fox et Christopher Lloyd en tête. Zemeckis emballe les morceaux de bravoure avec énergie, et commence ici à se lancer des défis narratifs uniques. Par l’entremise d’une seule scène, Retour vers le Futur va même faire basculer les repères du spectateur, et poser les jalons des futurs défis narratifs et techniques que le cinéaste se posera sans cesse par la suite. C’est ce passage étonnant où Marty, de retour en 1985, tente de sauver Doc des terroristes. Une nouvelle panne de la DeLorean l’obligeant à revenir à pied sur le parking, Marty revient trop tard, croit-il. Il assiste aux évènements du début du film, et, stupéfaction : il se voit lui-même tel qu’il était à ce moment-là… Même si le film nous rassure très vite sur l’état de Doc (sain et sauf), l’effet est étonnant. Pendant quelques instants, Retour vers le Futur vient de basculer dans le Fantastique. Zemeckis nous a cependant habilement rappelé que les choses ne sont pas tout à fait comme avant (regardez l’enseigne du parking « Twin Pines Mall » devenue « Lone Pine Mall », suite à l’incident du fermier…), et il nous fait ainsi découvrir les joies des paradoxes spatiotemporels et de la théorie des probabilités, le temps de cette courte scène. Lui et Bob Gale pousseront l’idée encore plus loin dans le dernier acte, complètement fou, de Retour vers le Futur 2 où les personnages revenaient en 1955 et interagissaient avec les évènements du premier film ! D’ailleurs, dans cette scène, on peut se demander où va donc le « second Marty » à bord de la DeLorean ? Réponse la plus probable : nulle part…

 

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Ci-dessus : un moment de détente pour Robert Zemeckis, au volant de la DeLorean.

 

De quoi donner des vertiges au spectateur, et Zemeckis, en pleine possession de ses moyens, ne cessera jamais de se poser des paris narratifs audacieux, dans la suite de sa carrière. Il aura su faire siennes les dernières paroles de Doc : « De routes ?! Là où nous allons, nous n’avons pas besoin de routes !! ». Un quasi aveu de la part du cinéaste qui aura vaincu le signe indien : Retour vers le Futur, plus grand succès de l’année 1985 (389 millions de dollars pour un budget de 19 millions), va le rendre bankable et, avec le soutien initial de Spielberg, va lui permettre de prendre son essor. Après un détour télévisuel dans Histoires Fantastiques, Zemeckis se lancera avec son producteur dans un autre pari narratif et technique encore plus osé, un « cartoon noir » intitulé Qui veut la peau de Roger Rabbit. Et trente ans après Retour vers le Futur, Zemeckis devrait continuer à nous rappeler, avec The Walk, qu’il est l’un des réalisateurs-conteurs les plus audacieux toujours en exercice. 

Ludovic Fauchier.

 

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ci-dessus : Rock’n roll !

 

La Fiche Technique :

Réalisé par Robert Zemeckis ; scénario de Bob Gale et Robert Zemeckis ; produit par ; producteur exécutif : Steven Spielberg (Amblin Entertainment / Universal Pictures)

Musique : Alan Silvestri ; photo : Dean Cundey ; montage : Arthur Schmidt

Direction artistique : Todd Hallowell ; décors : Lawrence G. Paull ; costumes : Deborah Lynn Scott

Effets spéciaux visuels : Ken Ralston (ILM)

Distribution : Universal Pictures

Durée : 1 heure 56

 

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Bonus : la musique d’Alan Silvestri, indissociable des aventures de Marty McFly !

Jekyll à l’huile, et Hyde à l’eau – BIG EYES

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BIG EYES, de Tim Burton

L’Histoire :

racontée par le journaliste Dick Nolan (Danny Huston), l’histoire vraie de Margaret et Walter Keane, un couple d’artistes peintres ayant fait fortune dans les années 1960 grâce aux peintures « Big Eyes« , est aussi celle d’une rupture conjugale liées aux mensonges du mari, s’appropriant l’œuvre de sa femme…

Margaret Ulbrich (Amy Adams) quitte le domicile conjugal et entraîne avec elle sa petite fille Jane (Delaney Raye), pour partir vivre à San Francisco, où elle devient l’amie de Dee Ann (Krysten Ritter). Vivant modestement, Margaret passe son temps libre à peindre des portraits d’enfants aux grands yeux tristes et fixes, Jane lui servant de modèle. Lors d’un week-end, un peintre la rencontre, apprécie son travail et la convainc de monnayer ses tableaux au meilleur prix : il s’appelle Walter Keane (Christoph Waltz). Walter est tellement charmant et enthousiaste que la timide Margaret en tombe vite amoureuse. Peu importe que Walter ait  »oublié » de lui dire qu’il est agent immobilier, et non peintre: ils se marient bientôt.

Déterminé à vendre les toiles de Margaret, ainsi que les siennes, au galeriste Ruben (Jason Schwartzman), Walter se voit éconduit par ce dernier, qui ne jure que par l’art moderne. Il n’est pas plus heureux lorsqu’il persuade Banducci (Jon Polito), un patron de night-club, d’exposer leurs peintures ; celui-ci les expose près des toilettes, et une altercation éclate entre les deux hommes. La publicité inattendue de l’incident fait connaître les fameuses peintures de Margaret, signant ses toiles du seul nom de « Keane ». Walter s’occupe de leur publicité et en un rien de temps, les peintures « Big Eyes » de Margaret se vendent à prix d’or. Mais Walter affirme être le seul auteur des peintures, sans avoir consulté au préalable Margaret…

 

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La critique :

on croyait l’avoir égaré ces dernières années… mais, bonne nouvelle, Tim Burton est de retour, en pleine possession de ses moyens. Et Big Eyes, biopic à contre-courant des codes du genre, est pour lui l’occasion de rompre avec quelques mauvaises habitudes, tout en renouant avec son univers plus personnel. Le cinéaste de Burbank est maintenant suffisamment blanchi sous le harnois pour savoir ce qu’il veut désormais filmer, à l’approche de la soixantaine. Il était temps, pourrait-on dire. On sentait que Burton était quelque peu « bloqué » ces dernières années par des projets de pure commande, qui ne l’intéressaient qu’assez peu. Un sentiment d’impasse se dégageait d’œuvres imposées par les studios, de La Planète des Singes à Alice au Pays des Merveilles, ou encore Dark Shadows, sur lesquels le cinéaste d’Edward aux Mains d’Argent devait se contenter de livrer des œuvres visuellement somptueuses, mais en « pilotage automatique ». Son film d’animation Frankenweenie relevait le niveau, bien qu’il s’agissait d’un remake de son court-métrage de jeunesse. Bonne nouvelle, en renouant avec le duo de scénaristes Scott Alexander – Larry Karaszewski (auteurs d’Ed Wood), Tim Burton tourne le dos aux facilités de ses dernières années : Big Eyes affiche un budget modeste pour un tournage « à l’arraché », le récit est porté sur les personnages, le choix des acteurs est fait en conséquence (un casting inédit, pas de Johnny Depp en total cabotinage, ni de la fidèle Helena Bonham Carter)… et les effets spéciaux visuels numériques sont rangés au placard – ils sont réduits à une seule courte séquence. Bref, en tournant Big Eyes, Tim Burton s’est imposé une sévère et salutaire discipline. On ne s’étonnera pas, du coup, que le film soit son œuvre la plus originale depuis Big Fish (onze ans déjà), et la plus maîtrisée depuis Ed Wood.

 

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Impossible de ne pas faire le rapprochement entre Ed Wood et Big Eyes, puisque les deux films portant la patte de l’écriture des scénaristes Alexander et Karaszewski. Deux trublions qui, entre deux commandes de studios, affichent un goût particulier pour les grands misfits de l’Histoire américaine : rappelons qu’ils ont aussi signé les scénarii de deux très bons films de Milos Forman, Larry Flynt et Man on the Moon (consacré à la vie du comédien Andy Kaufman, qui poussait le concept de canular au-delà des limites permises). Les deux énergumènes retournent les conventions du biopic ; leurs personnages sont méprisés, hors des normes, leurs carrières ressemblent plus à des accidents… mais ils apprécient leur folie tenant de l’inconscience, et leurs paradoxes. Ed Wood est connu pour être le « pire cinéaste ayant jamais existé » (mais aussi un artiste se battant pour réaliser ses rêves – quitte à enchaîner les nanars et exploiter sans vergogne une star déchue), Larry Flynt un pornographe milliardaire forcément vulgaire (mais qui devient un champion de la liberté d’expression, en réponse à l’hypocrisie puritaine de son pays), Andy Kaufman un artiste incompréhensible (mais dont les créations et les personnages les plus barrés continuent de lui survivre)… et maintenant, Margaret et Walter Keane complètent cette incroyable galerie. Soit une jeune femme craintive et timide à l’excès, dont les portraits d’enfants qui ont fait sa célébrité sont à la fois un sommet de kitsch et l’expression de sa personnalité singulière – et donc, une œuvre artistique à part entière. Et son mari, phénoménal baratineur, surdoué en relations publiques… en fait, un personnage pitoyable qui finit par croire en ses propres mensonges. Un escroc parfois même touchant, dont le besoin de reconnaissance devient véritablement inquiétant quand il finit par « étouffer » sa moitié, la seule âme créative du couple.

 

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On a ainsi, dans Big Eyes, la description saisissante d’un couple-entité dont la personnalité se scinde en deux : l’artiste renfermée, utilisée contre son gré, et le mari-agent publicitaire en représentation permanente, obnubilé par l’exploitation commerciale et le succès médiatique. Une situation que Burton, grand collectionneur des œuvres de Margaret Keane, connaît bien puisqu’elle renvoie à son propre parcours : réalisateur atypique dans l’industrie cinématographique hollywoodienne, il a su se ménager une place à part, réaliser des films très personnels, mais il a aussi dû lutter avec des studios dont les cadres dirigeants se mêlent trop souvent de ce qui ne les regarde pas. Des ingérences, ou des impératifs commerciaux divers, qui ont parfois poussé Burton à accepter La Planète des Singes ou Alice, ou à s’épuiser dans des films morts-nés (« l’affaire » Superman Lives). On devine alors combien l’histoire des Keane, comme celle d’Ed Wood en son temps, l’a intéressé, Burton prenant fait et cause pour Margaret, tout en laissant quelques circonstances atténuantes à Walter. Big Eyes est aussi l’occasion pour Burton de parler de la notion d’art, et de la part de subjectivité qu’elle renferme, et de ce qui semble être chez lui sa contrepartie négative, le mensonge. Pas étonnant quand on voit dans sa filmographie un grand nombre de personnages « artistes » (dans des domaines qui laissent a priori perplexes), autant qu’un bon nombre de manipulateurs / escrocs, certains se trouvant même dans les deux catégories.

 

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On a les artistes très naïfs, comme la belle-mère amatrice d’art moderne dans Beetlejuice, Edward aux Mains d’Argent, Edward Bloom (et son don pour raconter des histoires extravagantes) et le poète-braqueur de Big Fish, Victor Frankenstein (expert dans la réanimation d’animaux de compagnie décédés, dans Frankenweenie)… Mais aussi des beaux psychopathes, tels le Joker dans Batman, qui discourt d’ailleurs sur l’Art moderne après s’être livré à un mémorable saccage au musée, ou Sweeney Todd, artiste à sa façon dans le domaine du meurtre en série au rasoir à main. Dans la catégorie « manipulateurs/faussaires », Burton réservait son venin à des personnages comme Max Schreck (Batman le Défi), faux allié politique et médiatique du Pingouin, le promoteur immobilier Art Land, arnaqueur invétéré même en pleine guerre des mondes (Mars Attacks !) ou Pirelli, le faux barbier italien concurrent de Sweeney Todd. Et, au croisement de ces personnages antagonistes, Ed Wood aussi bien que Willy Wonka (Charlie et la Chocolaterie) étaient des artistes contradictoires, pris entre leurs rêves et les exigences financières ; le premier allait chercher l’argent de ses films là où il le pouvait, pour livrer des œuvres d’un goût douteux, le second organisant un concours assez tordu dans le seul but de se trouver un héritier – tout en réalisant une opération publicitaire de premier plan. Les personnages de Walter et Margaret Keane sont finalement la somme de tous ces personnages « burtoniens », entamant une relation particulière avec Ed Wood, dans le sens inverse : Ed exploitait Bela Lugosi avant de gagner son amitié, tandis qu’ici, la relation affective entre Walter et Margaret va se dégrader au fur et à mesure des mensonges du mari. Le questionnement sur l’art est par ailleurs posé dès les premières minutes du film, via une introduction par une citation d’Andy Warhol qui résume bien l’œuvre des époux Keane : « Si les gens achètent leurs peintures, c’est qu’elles sont forcément géniales !« . CQFD, et Burton d’enchaîner via un générique malin, nous présentant en très gros plan le travail de Margaret… nous croyons voir une peinture originale, avant que la caméra ne recule et ne nous dévoile qu’il s’agit en fait d’une copie multipliée à l’infini. Le travail de Margaret, détourné par Walter… Peu importe finalement que lesdites peintures aient été qualifiées de « kitsch », « bizarres » et autres commentaires bien peu flatteurs, il ne fait aucun doute pour Burton que Margaret Keane a mis son cœur et son âme dans ces images d’enfants aux grands yeux tristes. Le cinéaste aime et défend ce genre d’artistes.

 

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Ce couple antagoniste permet aussi à Tim Burton de revenir à l’une de ses thématiques favorites, celle de la dualité. Ce n’est pas par hasard si Docteur Jekyll et Mr. Hyde est ouvertement cité dans les dialogues du film. Les Keane sont une entité assez particulière, à ce sujet-là. Si, dans les débuts de sa carrière, Burton était surtout intéressé par des personnages « doubles », partagés entre leur nature profonde et leur apparence sociale (Bruce Wayne / Batman, version Michael Keaton, en était le meilleur exemple), on l’a vu évoluer, et montrer des couples partagés entre l’isolement créatif (parfois très relatif) et l’hypocrisie sociale. Les Keane sont cependant à l’opposé du couple meurtrier de Sweeney Todd, où l’homme s’enfermait pour « créer » (comprendre : assassiner en totale impunité…) et la femme se chargeait de maintenir l’illusion tout en passant les plats macabres à la population. Ici, c’est l’inverse – sans les meurtres : une femme volontairement (?) recluse et un homme qui entretient les faux-semblants. L’occasion pour Burton, ses scénaristes et deux excellents comédiens de dresser le portrait convaincant des époux Keane et de leur relation perturbée. Amy Adams réussit une jolie performance dans le rôle de Margaret, toute en discrétion, au risque de voir son jeu sous-estimé par rapport au « show » de Christoph Waltz. La femme peintre est décrite comme une personne sensible et imaginative, mais souffrant manifestement de grandes difficultés psychologiques ; difficile d’affirmer son indépendance dans un monde alors régi par le pouvoir masculin (« fille, épouse, mère ») qui veut la réduire à une simple « potiche » consentante. Situation douloureuse à vivre pour Margaret, qui combine une grande fragilité, une timidité maladive et sans doute aussi un brin d’autisme léger (le retour en ces pages du syndrome d’Asperger !) dont elle a certains traits caractéristiques : le malaise en société, le sens de l’amitié exclusif (une seule vraie amie, Dee Ann), le besoin de s’isoler (nécessaire au calme menant à l’inspiration), les centres d’intérêt très exclusifs (outre la peinture, la numérologie…), la « naïveté » la poussant à faire confiance à un manipulateur indécrottable, et, au début de son aventure, une relative indifférence envers l’argent et les nécessités matérielles. Le tout enrobé dans un dramatique manque de confiance en elle-même et un état de peur grandissant. Il ne fait aucun doute qu’au début de l’histoire, Margaret reste encore, psychologiquement parlant, une enfant (il faut la voir travailler à peindre un berceau, ou se raccrocher à sa fille Jane, comme une bouée de sauvetage), avant d’être forcée à se battre pour obtenir la reconnaissance de son travail. Ironie de l’histoire, Margaret, après avoir vainement cherché de l’aide auprès d’un prêtre paternaliste à l’excès, saura s’émanciper de Walter et s’épanouir… en rejoignant la secte des Témoins de Jéhovah ! Histoire vraie, qui fait penser aux conversions des autres personnages du duo Alexander-Karaszewski : Ed Wood rejoignant les baptistes, et Larry Flynt devenant un super-dévot chrétien… à la différence près que ceux-ci agissaient par nécessité financière ou besoin publicitaire, là où Margaret atteindra sa maturité en se trouvant de nouveaux amis, un nouveau foyer et un nouveau style de peinture. On peut sourire du choix de vie de Margaret Keane, il n’en reste pas moins qu’Amy Adams lui rend joliment justice. La comédienne sait la rendre attachante, tout en s’adaptant à merveille à l’univers burtonien.

 

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Et puis, il y a le « monstre », Walter… C’est peu de dire que Christoph Waltz fait des étincelles dans le rôle du vrai-faux peintre. L’acteur allemand est une fois de plus excellent dans la peau de ce manipulateur si charmant, et si inquiétant. Lui et Amy Adams se complètent à merveille dans deux registres différents ; se mettant sans cesse en scène, Walter éclipse très vite la pauvre Margaret, avec une candeur apparente si désarmante que la jeune femme n’ose pas se rebeller. Cela ne porterait pas à conséquence si Walter tombait vite le masque, mais le personnage est un grand angoissé ne supportant pas d’être rabaissé, et sa supercherie révèle chez lui des failles clairement plus inquiétantes : il s’avère être, de toute évidence, un psychopathe – pas au sens « tueur en série », mais un psychopathe ordinaire, assez pitoyable et grotesque quand il est mis au pied du mur. Andy Kaufman vu par les mêmes scénaristes cachait son insécurité derrière des personnages « indépendants » de sa propre personnalité ; Ed Wood doutait parfois de son talent et tombait dans la dépression avant de repartir de plus belle à l’attaque ; Walter Keane, tel qu’il est vu dans Big Eyes, trouve en Margaret l’exutoire à ses propres frustrations d’artiste manqué. Une courte scène, magistralement jouée par Waltz, le voit confesser à regret son manque de talent et ses envies de reconnaissance. Malheureusement, au lieu de demander l’aide et le soutien de sa femme, Walter préfère la facilité de la célébrité, et s’enfonce. Une fuite en avant, compréhensible malgré tout ; difficile de ne pas céder quand vous êtes soudain le centre de toutes les attentions, après des années de vaches maigres… Malheureusement plus doué pour les relations publiques que pour la création pure, Walter perd pied dès à la moindre contrariété. La frustration se transforme en violence et en paranoïa. Walter montre son côté « Hyde », et Margaret en fait les frais. Il n’y a guère qu’un critique d’art officiel (mémorable apparition du grand Terence Stamp) pour oser tenir tête à Walter en public ; mais même le critique en question se laisse abuser sur l’identité du véritable auteur des peintures. Margaret, elle, sera longtemps vampirisée par son époux, au point de se persuader que son atelier est « celui de Walter«  ! La supercherie sera finalement découverte lorsqu’elle mettra à jour la vraie signature des premiers tableaux soi-disant peints par lui, « S. Cenic »… pseudonyme assez risible dont on ne saura jamais s’il s’agit de Walter ou d’un peintre dont il aurait usurpé l’œuvre. Walter continuera de nier l’évidence, tel un gamin pris la main dans le pot de confiture ; le chevalier servant des débuts laissera la place à un personnage pris dans ses propres mensonges, jusqu’à cette grandiose scène finale de procès. La verve des scénaristes et de Tim Burton s’en donne à cœur joie aux dépens de Walter, et Waltz nous gratifie d’une interprétation comique et inquiétante à souhait. Difficile de ne pas rire en voyant le faux peintre s’improviser témoin et avocat, consternant le juge et les jurés ! Et difficile aussi de ne pas avoir malgré tout de la sympathie pour ce pauvre faussaire…

 

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Rien à dire enfin de négatif sur le style du film et sa mise en scène, Tim Burton retrouvant avec Big Eyes sa palette « acidulée » (impossible de ne pas penser à Edward aux Mains d’Argent, discrètement rappelé via l’image d’une banlieue rose bonbon au début du film). D’une sobriété bienvenue, la réalisation de Burton se rapproche ici de certains films de voisins de palier en cinéma comme Wes Anderson ou les frères Coen, auxquels le cinéaste emprunte des acteurs familiers (Jason Schwartzman en galeriste pincé et Jon Polito en patron de night-club) ; un classicisme apparent qui sert ici à nous faire entrer de plain pied dans l’esprit de ses deux personnages principaux. Un style discret qui rejaillit sur la partition du fidèle Danny Elfman, tout en retenue, et sur la photographie lumineuse du français Bruno Delbonnel (Inside Llewyn Davis, Amélie Poulain), jouant à merveille sur les couleurs les plus vives du répertoire « burtonien ». Un excellent travail collectif qui aurait mérité un peu plus de considération aux cérémonies officielles, Big Eyes ayant été snobé aux Oscars en dépit de ses qualités. Le lot habituel des grands films de Tim Burton… Nul doute que le film sera d’ici quelques années considéré comme une de ses meilleures œuvres. En attendant, le cinéaste va devoir laisser de côté (pour un temps ?) ses projets personnels et revenir dans le système Disney en préparant une version live de Dumbo. Espérons qu’il y garde son âme – et nous rappelle au passage sa terreur des clowns…

 

Ludovic Fauchier.

 

 

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ci-dessus : la vraie Margaret Keane, 87 ans, évoque sa vie et son œuvre.

 

La Fiche Technique :

Réalisé par Tim Burton ; scénario de Scott Alexander & Larry Karaszewki ; produit par Scott Alexander, Tim Burton, Lynette Howell et Larry Karaszewski (The Weinstein Company / Silverwood Films / Tim Burton Productions / Electric City Entertainment)

Musique : Danny Elfman ; photo : Bruno Delbonnel ; montage : JC Bond

Direction artistique : Chris August ; décors : Rick Heinrichs ; costumes : Colleen Atwood

Distribution USA : The Weinstein Company / Distribution France : StudioCanal 

Caméras : Arri Alexa

Durée : 1 heure 46

 

Big Eyes - Margaret-Keane-and-Amy-Adams-on-the-set-of-Big-Eyes

En bref… L’EXTRAVAGANT VOYAGE DU JEUNE ET PRODIGIEUX T.S. SPIVET

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L’extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S. Spivet, de Jean-Pierre Jeunet

T.S. Spivet (Kyle Catlett), dix ans, vit dans le ranch familial tout au sommet du Montana, avec ses parents (Helena Bonham Carter et Callum Keith Rennie), sa grande soeur Gracie (Niamh Wilson), et son chien Tapioca. Jeune surdoué passionné de sciences, T.S. communique mal avec son père, un cowboy laconique, et avec sa mère, une doctoresse écolo obsédée par la recherche d’un insecte introuvable. La famille est endeuillée par la mort accidentelle de Layton, le frère jumeau de T.S., que lui préférait son père. Le garçonnet a assisté au drame, mais refuse d’en parler, préfèrant se plonger dans ses inventions. Mis au défi de créer la machine à mouvement perpétuel, T.S. envoie un plan de sa conception au Smithsonian Museum ; lorsque la directrice Jibsen (Judy Davis) téléphone chez lui, sans savoir que l’inventeur n’a que dix ans, T.S. ment et décide de faire seul le grand voyage à Washington pour toucher le prix que l’Institut va lui décerner…

 

En bref... L'EXTRAVAGANT VOYAGE DU JEUNE ET PRODIGIEUX T.S. SPIVET dans Fiche et critique du film lextravagant-voyage-du-jeune-et-prodigieux-t.s.-spivet

Retour en terre américaine pour Jean-Pierre Jeunet, dans un contexte heureusement très différent de celui d’un Alien : la Résurrection de triste mémoire. Le réalisateur d’Amélie Poulain donne un petit cousin américain à celle-ci, interprété par le tout jeune Kyle Catlett, très touchant. Le résultat est une plaisante balade, un road movie mélancolique et léger, bénéficiant aussi d’une émouvante performance d’Helena Bonham Carter.

Ludovic Fauchier.

Re-Animator – FRANKENWEENIE

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FRANKENWEENIE, de Tim Burton

 

Bonjour, chers amis neurotypiques !

Le destin a de ces ironies… Tim Burton est né et a vécu sa jeunesse à Burbank, Californie. Cette petite ville américaine, dans laquelle il s’est toujours senti mal à l’aise, lui inspira le décor d’EDWARD AUX MAINS D’ARGENT. Elle fut et demeure toujours le site des grands studios du Cinéma américain, notamment ceux de la Warner (qu’il filme dans PEE-WEE BIG ADVENTURE et ED WOOD) et de Walt Disney, chez qui Burton débuta comme animateur à la fin des années 1970. Période difficile pour le futur cinéaste, à une époque où les studios Disney en pleine débâcle interne « ramaient » pour produire un seul long-métrage et se faisaient éclipser par les triomphes de la génération montante Lucas-Spielberg… Simple exécutant à l’instar d’autres futures pointures (Brad Bird, John Lasseter et les créatifs de Pixar), Burton souffrait à devoir dessiner de gentils renardeaux pour ROX & ROUKY, ses dessins biscornus provoquant la perplexité des cadres de Disney. Dans son coin, avec quelques collègues, il réalisa son court-métrage en noir et blanc et en stop-motion, VINCENT, ode à Vincent Price et Edgar Poe et autoportrait de sa propre enfance. Peinant à travailler sur THE BLACK CAULDRON (TARAM ET LE CHAUDRON MAGIQUE), ses designs de démons et sorcières étant jugés trop effrayants par les réalisateurs, Burton quittera les studios Disney par la petite porte… non sans avoir entretemps réalisé en 1984 un petit bijou de court-métrage intitulé FRANKENWEENIE. Un véritable condensé de son futur univers, prévu à l’origine pour être un long-métrage. On imagine l’embarras des patrons de Disney de l’époque devant ce que Burton leur proposait : une histoire d’un jeune garçon et de son chien… où le chien meurt écrasé avant d’être déterré par son maître pour être ranimé, façon FRANKENSTEIN. Ajoutez à cela la charge contre le conformisme des familles américaines, le tout en noir et blanc, et vous aurez une idée du malaise des dirigeants de l’époque… La direction de Disney changea cependant, et le succès de Burton comme cinéaste aida à faire redécouvrir les deux courts-métrages.

 

Re-Animator - FRANKENWEENIE dans Fiche et critique du film frankenweenie-loriginal-1984

Les rapports de Burton avec le studio Disney ont été pour le moins « élastiques ». Après ce mauvais départ, Burton collaborera avec de nouveaux dirigeants chez Disney, notamment pour NIGHTMARE BEFORE CHRISTMAS (L’ETRANGE NOËL DE MONSIEUR JACK), ED WOOD (produit par Touchstone Pictures, filiale « adulte » des films Disney) et ALICE AU PAYS DES MERVEILLES. Si ce dernier n’est pas une réussite, c’est le moins que l’on puisse dire, son triomphe financier a aidé Burton à prendre sa revanche sur le passé. Alors qu’il attaquait la production de DARK SHADOWS, le cinéaste a reçu carte blanche de Disney pour revisiter FRANKENWEENIE comme il l’entendait. C’est donc un véritable retour aux sources et aux amours de jeunesse, et un bain de jouvence libérateur pour Burton qui retrouve ses thèmes favoris et revient sur les bons rails après les errances d’ALICE : la banlieue, l’enfance, les chiens, l’animation en stop motion, les films d’épouvante et les monstres géants… Tout y est !

 

frankenweenie-1 dans Fiche et critique du film

De film d’animation, joliment exécuté en stop motion (une solide tradition engagée avec VINCENT, NIGHTMARE et CORPSE BRIDE), FRANKENWEENIE se transforme en véritable oeuvre de « Ré-animation ». Burton ne se limite pas à étirer en long l’histoire – assez succincte – du court-métrage d’origine. Avec l’aide de son scénariste John August (BIG FISH, CHARLIE ET LA CHOCOLATERIE, CORPSE BRIDE), il développe tout un petit univers autour de l’histoire centrale, d’une tendresse toute simple, entre Victor et son chien. L’argument « Frankenstein » prend tout son sens : si l’histoire demeure la même et raconte la réanimation du défunt toutou par son jeune maître inconsolable, FRANKENWEENIE version 2012 est en quelque sorte la résurrection du film de 1984 laissé pour mort par les patrons de Disney de l’époque. Et Victor est tout naturellement l’alter ego juvénile de Burton (un mixe entre son personnage de VINCENT et son homonyme adulte de CORPSE BRIDE) qui « déterre » son défunt film pour lui redonner une seconde vie. Le passage du film « live » d’origine à l’animation va dans ce sens…

On peut aussi remarquer, dans l’élaboration de l’histoire, le rôle des petits camarades copieurs de Victor, et se demander si il n’y a pas là une petite critique sous-jacente de Burton vis-à-vis de collègues moins talentueux qui essaieraient de lui ravir son style et ses idées. A moins qu’il ne s’agisse, plus généralement, d’une critique des rapports difficiles entre les génies solitaires (Victor), les admirateurs trop zélés (Edgar) et les copieurs, existant dans n’importe quel domaine artistique…

 

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Comment refaire un film de jeunesse alors qu’on vient d’atteindre le cap de la cinquantaine ? Tim Burton et John August, libres des exigences du studio, décident de s’en donner à coeur joie. FRANKENWEENIE cuvée 2012 est donc tour à tour bourré d’humour, de références (bien senties), de quelques frayeurs à destination des plus jeunes, d’un joyeux esprit anarchique réglant son compte à l’étroitesse banlieusarde… et n’hésite pas non plus à nous faire verser quelques petites larmes bienvenues. Que celui qui n’a jamais perdu son animal de compagnie quand il était enfant jette la première pierre à Burton… Le cinéaste, qui s’est toujours dit profondément attaché aux chiens de son enfance, réalise là un fantasme enfantin mélancolique à souhait. A vrai dire, son imaginaire assez unique a déjà fait subir de drôles de situations à la gent canine par le passé. Depuis VINCENT et les expériences sur Abercrombie le chien zombie, jusqu’à Scraps le chien squelette de CORPSE BRIDE, c’est un drôle de chenil que Burton a mis en place et qui se poursuit avec le gentil Sparky, bull-terrier « décousu » vedette de son film. Rappelons aussi : Speck (PEE-WEE BIG ADVENTURE), le chien qui provoque la mort du couple de BEETLEJUICE, les toutous toilettés d’EDWARD AUX MAINS D’ARGENT, la Dame au Caniche de BATMAN RETURNS, Zéro le chien fantôme de NIGHTMARE BEFORE CHRISTMAS, les chihuahuas de Bela Lugosi (ED WOOD), Bayard le Saint-Hubert naïf d’ALICE… et les cabots malmenés par les Martiens de MARS ATTACKS ! Burton a décidément un rapport créatif vraiment très particulier avec la gent canine.

 

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FRANKENWEENIE fait aussi plaisir à voir par son retour à une ambiance  »trublionne » à laquelle Burton ne nous avait plus guère habitués depuis quelques temps. Curieuse coïncidence, mais c’est en signant son tout premier film sans ses chers Johnny Depp et Helena Bonham-Carter que Burton a peut-être bien retrouvé une liberté de ton juvénile et salvatrice. On retrouve au fait au casting vocal quelques revenants « burtoniens », notamment le grand Martin Landau et Winona Ryder qui fait son come-back chez son réalisateur de BEETLEJUICE et EDWARD. Voilà Burton qui s’amuse, le temps d’une scène hilarante, à oser l’humour « caca boudin » : la scène où une camarade de classe de Victor quelque peu… hum, étrange… lui lit son avenir dans les crottes de son chat est l’occasion pour Burton de nous filmer l’objet du délit, et en très gros plan s’il vous plaît. On peut même compter les poils… Quel  »outrage », dans un film Disney tout ce qu’il y a de plus familial !! Les envies anarchistes de Burton se déchaînent par des scènes encore plus savoureuses où il revisite avec bonheur les films qui ont forgé sa jeunesse… et qu’il déchaîne à loisir contre ses concitoyens. Le prof de sciences au nom imprononçable, sosie de Vincent Price, peut ainsi cracher tout son mépris du conformisme américain durant une mémorable scène de conseil municipal. Et Burton de lâcher ses hordes de bêbêtes destructrices sur la populace affolée, pour le plus grand bonheur du spectateur. L’occasion pour lui de faire intervenir des personnages et citations familières. Pêle-mêle, on retrouve aussi un jeune clone de Boris Karloff, des bestioles à la Ray Harryhausen, la tortue géante Gamera (éternelle rivale de Godzilla au Japon – d’où le gamin japonais à la caméra), la Momie, la coiffure d’Elsa Lanchester dans LA FIANCEE DE FRANKENSTEIN, les bossus, les savants fous, la foule en colère… même les confrères Steven Spielberg et Joe Dante sont cités en filigrane. On s’amusera aussi de citations « à double tiroir », comme la tortue Shelley, qui doit aussi bien son prénom à Mary Shelley, l’écrivaine de FRANKENSTEIN – à moins que ce ne soit à cause de Shelley Duvall, vedette du FRANKENWEENIE original. Bonus final émouvant : Christopher Lee, habitué de Burton, fait une apparition télévisée inattendue dans une scène réminiscente de la propre jeunesse du cinéaste, lorsqu’il épiait les films d’épouvante que ses propres parents regardaient à la télévision.

 

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Enfin, la réussite de FRANKENWEENIE ne serait pas ce qu’elle est s’il n’y avait pas, tout d’abord, une relecture de l’histoire originale avec le recul nécessaire des années. Là encore, l’adresse de l’histoire écrite par August avec Burton rend les choses plus complexes qu’à première vue. Alors que le court-métrage pratiquait l’ellipse et ne montrait que l’injustice dans l’accident fatal à Sparky, le long-métrage permet de développer un discours plus mature, tout en le subvertissant à la mode « burtonienne ». Une discussion père-fils classique évoque le mot fatidique de « compromis », un mot que Burton a dû bien souvent entendre par le passé dans les réunions avec les cadres exécutifs lui imposant leurs conditions à chaque film. Réunions qu’il déteste, comme tout bon artiste qui aimerait mieux créer dans son coin, sans contraintes. C’est un justement compromis passé avec le père qui va décider Victor à jouer au baseball avec ses voisins… et causer le drame. Habile jeu sur les mots dû à la plume d’August, le « strike » de baseball va tuer Sparky. Mais ce sont les éclairs (en VO : « strikes ») de la foudre qui vont le réanimer… Le professeur de sciences de Victor Frankenstein, lui, dirait certainement qu’il s’agit du « doigt du Destin »… à moins qu’il ne s’agisse des mains des créateurs du film.

Et voilà comment Burton – soutenu une nouvelle fois par une superbe partition de son vieil ami Danny Elfman – revisite de fond en comble son univers, passant du rire aux larmes avec une sincérité confondante. Bien joué : FRANKENWEENIE est le meilleur film de Tim Burton depuis BIG FISH. On attend maintenant de voir s’il continuera de la sorte avec son PINOCCHIO qui s’annonce comme le futur contrepoint d’EDWARD, raconté cette fois du point de vue de l’inventeur, un Gepetto campé par Robert Downey Jr.

 

Ludovic Frankenfauchier. « It’s alive ! IT’S ALIVE !!! » (rire sardonique)

 

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Anecdote : la gamine blonde, « Weird Girl », s’inspire d’une autre création de Burton, « Staring Girl », apparue dans son recueil de contes LA TRISTE FIN DU PETIT ENFANT HUÎTRE. Dans le FRANKENWEENIE de 1984, la petite fille blonde, surnommée « Domino » au générique, n’est autre que Sofia Coppola, la réalisatrice de LOST IN TRANSLATION, affublée d’une perruque !

Aspie, or not Aspie ? Le Petit Abécédaire Asperger, partie 2

B comme…

 

Aspie, or not Aspie ? Le Petit Abécédaire Asperger, partie 2 dans Aspie b-raymond-babbitt-dustin-hoffman-dans-rain-man

… Babbitt, Raymond (Dustin Hoffman), dans RAIN MAN

 

Dans la mémoire collective, l’autisme a le visage de «Rain Man», ce personnage qui a valu un Oscar du Meilleur Acteur à Dustin Hoffman en 1989. Pantalon et chemise (de chez K-Sport, c’est important) bien serrés, stylos bille en pochette, démarche raide, regard évitant, paroles marmonnées répétant en boucle les répliques d’Abbott & Costello, Raymond exaspère son jeune frère Charlie (Tom Cruise), golden boy arrogant qui se croit spolié de son héritage au bénéfice de ce grand frère inconnu, placé en institution
spécialisée… Au cours du voyage qu’ils vont faire ensemble, l’égoïste Charlie va changer de point de vue sur Raymond, et s’humaniser grâce à lui. Et découvrir son talent extraordinaire pour les mathématiques, doublé d’une mémoire photographique parfaite (la fameuse scène des cure-dents, qu’il peut compter sans erreur).

Les scénaristes du film se sont inspirés de Kim Peak, un autiste mathématicien, pour créer Raymond. Peak ayant également le syndrome d’Asperger, on affirme que Raymond est donc forcément aussi un Asperger. Cela reste discutable… Certes, comme bien des «Aspies», Raymond vit selon des règles de vie rigides, et n’aime pas que l’on dérange son quotidien… Cependant, ses excentricités (prendre un avion de la compagnie australienne Qantas, regarder à heure fixe son programme télévisé favori…) sont beaucoup trop amplifiées, trop «fabriquées» si l’on peut dire, pour que l’on voit en lui un Aspie.

Le film, de bonne facture, demeure même assez angélique dans sa description de l’autisme. Charlie sera changé en bien grâce à son frère, et Raymond fera de même (le petit coup de tête affectueux qu’il donne à Charlie). Tout ira somme toute pour le mieux dans le meilleur des mondes. Si seulement c’était aussi facile dans la réalité, pour les autistes et leur famille… Etonnant par ailleurs que tout le monde se soit à l’époque focalisé sur la prestation d’Hoffman, excellent comédien qui cependant crée un personnage trop «calculé» (un comble pour un génie des mathématiques…), au détriment de celle de Cruise, dont le personnage évolue subtilement.

RAIN MAN, ou une vision très hollywoodienne de l’autisme.

 

b-hrundi-v.-bakshi-peter-sellers-dans-la-party dans or not Aspie ?… Bakshi, V. Hrundi (Peter Sellers) dans LA PARTY.

 

Invité par erreur dans une soirée huppée donnée par un grand producteur hollywoodien, Hrundi V. Bakshi, acteur hindou terriblement gaffeur, va faire passer à ses hôtes une nuit qu’ils ne seront pas prêts d’oublier !

Si Hrundi se trouve dans cet abécédaire, c’est pour une raison particulière. Sa naïveté et ses bévues, au-delà des gags irrésistibles qu’il donne dans le chef-d’œuvre de Blake Edwards, illustrent la maladresse sociale de l’Aspie dans toute sa splendeur. Et le fait qu’il soit incarné par Peter Sellers, un acteur insaisissable dont les biographies laissent penser qu’il avait peut-être une forme particulière du syndrome (on y reviendra), renforce cette idée.

Tout Aspie adulte devrait se reconnaître dans les tentatives répétées que fait Hrundi pour se mêler aux convives ; l’ennui pour lui, c’est qu’il ne «cadre» pas avec les codes sociaux très particuliers de ce type de soirée. Et de plus, Hrundi veut tellement bien faire qu’il pêche par excès, et rate chacune de ses tentatives… Par exemple, en riant excessivement à une plaisanterie dont il n’a pas entendu le début, il s’attire le regard perplexe des autres invités : gêne pour lui, et rire pour le spectateur. Tout est question de timing dans cette soirée, et Hrundi, par ses réactions à contretemps, ruine toutes ses tentatives de s’intégrer. Ainsi, s’il commence à danser avec une jolie fille qui l’invite, la chanson s’interrompt aussitôt. Quand ça ne veut pas…

Ces tentatives régulièrement ratées de jouer le jeu social en vigueur, on les retrouve très souvent chez les personnes atteintes du syndrome d’Asperger ; à tel point que, découragées, elles finiront plutôt par éviter ce type de situations embarrassantes pour elles.

Hrundi a d’autres traits typiques de l’Aspie, traités toujours par l’humour et cette science du gag qu’Edwards trouva ici dans le cinéma de Jacques Tati. La maladresse, notamment : depuis le coup du décor explosé dans l’hilarant prologue du film (parodiant GUNGA DIN) jusqu’au gag du poulet rôti transformé en couvre-chef, en passant par la chaussure flottante, Hrundi, dans LA PARTY, représente par le rire les maladresses fréquentes que peut faire un «Aspie» avec les objets, la nourriture, etc. Tout comme sa
mauvaise appréciation des distances : c’est soit « trop près » (il se colle derrière le joueur de billard, au lieu de rester à distance prudente au moment fatidique !), soit « trop loin » (lorsqu’il s’éclipse à l’autre bout de la pièce après une nouvelle bévue…) ! Là encore, c’est un trait particulier de l’Aspie. Tout comme l’est sa proverbiale naïveté qui lui fait prendre au pied de la lettre des expressions qu’il ne comprend pas («Vous ne travaillerez plus jamais dans un film !! – Est-ce que cela inclut aussi les téléfilms, monsieur ?»).

Mais heureusement, LA PARTY n’est pas qu’une moquerie aux dépens de son personnage principal ; le film envoie un discours positif sur l’anticonformisme, parfaitement en phase avec l’année de sortie du film, 1968. A ce parterre d’invités éteints par les conventions de leur milieu, Hrundi amène finalement son honnêteté foncière, et le chaos final prendra des airs de douce revanche. L’authenticité reprend le dessus sur les codes normatifs en vigueur ; Hrundi peut redevenir lui-même au lieu de se forcer à suivre le troupeau des invités. Il y parvient, accompagné de quelques complices : Michelle la jolie chanteuse française, le majordome ivrogne, le gamin désobéissant, les hippies, l’éléphanteau… bref, tous ceux qui ne trichent pas dans ce monde de faux semblants !

 

Cf. Peter Sellers, Jacques Tati ; Chauncey Gardner

 

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… Barish, Joel (Jim Carrey) (ETERNAL SUNSHINE OF THE SPOTLESS MIND)

 

Joel est déprimé en ce jour de la Saint-Valentin. Sans raison particulière, il décide de ne pas aller au travail, et d’aller traîner sur la plage de Montauk… Durant son voyage, il note quelques pensées qui lui viennent à l’esprit. «J’aimerais tant faire une rencontre. Plus facile à dire qu’à faire. Vu que je ne peux pas regarder une inconnue sans baisser aussitôt les yeux.»

Voilà posé en trois phrases le problème quotidien de tout Aspie : le fameux contact visuel, cette chose toute simple dans les relations humaines, et qui pose tant de difficultés aux personnes atteintes du syndrome…

Il rencontre Clementine Kruchinsky (Kate Winslet) ; elle est fantasque, bavarde, joyeuse, râleuse, imaginative… tout le contraire de Joel, sérieux, peu causant, en permanence anxieux. Commence une histoire d’amour qui va prendre, grâce au scénario de Charlie Kaufman et à la réalisation de Michel Gondry, un tour totalement inattendu. La romance va tourner à la rupture, et basculer dans la science-fiction surréaliste à la Philip K. Dick, par l’intermédiaire d’une machine à effacer les souvenirs pénibles de leur liaison ratée.

Certes, ETERNAL SUNSHINE… n’est pas un film sur le syndrome d’Asperger ; mais il parle précisément à beaucoup d’Aspies qui se reconnaîtront dans le personnage joué par Carrey. L’acteur (qui, dans la vraie vie, a été diagnostiqué souffrant d’hyperactivité) réussit là un tour de force : il laisse tomber le masque de son personnage habituel de «cartoon» humain, et prolonge l’évolution amorcée par ses personnages du TRUMAN SHOW et MAN ON THE MOON. En renonçant à ses tics de jeu habituels, il redevient authentique, faisant preuve dans le film d’une sensibilité de jeu qu’on ne lui connaissait pas en dehors des deux titres cités.

ETERNAL SUNSHINE… aborde aussi des thèmes qui ne peuvent qu’être mis en relation avec le syndrome. Notamment celui de la Mémoire ; le récit brouille peu à peu les frontières entre ce que nous percevons comme la réalité, le Présent, et les souvenirs du personnage, supposés être le Passé. En se faisant effacer les souvenirs de son histoire ratée avec Clementine, Joel croyait se libérer du poids de ceux-ci. Mais seulement voilà, la mémoire d’un Aspie pouvant être un véritable tyran, celle de Joel refuse l’effacement programmé des bons moments, comme des mauvais, passés avec Clementine, lorsque ceux-ci risquent d’être perdus à jamais. Il s’enfuit peu à peu dans son passé, ses souvenirs enfouis, jusqu’à la petite enfance, entraînant avec lui le souvenir de Clementine.

Et même apparemment éliminé, cet amour indestructible, aliénant, ramènera les deux amants «effacés» à leur point de départ, la plage de Montauk. Tout est une boucle, un éternel recommencement, dans ce film immensément poétique, fou et triste.

Il serait bon aussi de se demander si les deux maîtres d’œuvre du film ne seraient pas eux-mêmes un peu «Aspies»… Les protagonistes de Charlie Kaufman sont en effet socialement défaillants, obsessionnels, anxieux (revoir DANS LA PEAU DE JOHN MALKOVICH, ADAPTATION. …). Déjà, le scénario d’HUMAN NATURE, le premier film réalisé par Michel Gondry, montrait un scientifique typiquement «Aspie» joué par Tim Robbins. Le cinéaste français, également bricoleur, musicien, et dessinateur entre autres talents, a montré dans ses films ultérieurs quelques personnalités border line attachantes : Gael Garcia Bernal dans LA SCIENCE DES RÊVES, Jack Black et Mos Def dans SOYEZ SYMPAS REMBOBINEZ, et Seth Rogen et Jay Chou dans le film de super-héros GREEN HORNET semblent tous être tombés d’une autre planète…

 

Cf. Philip K. Dick ; Andy Kaufman

 

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… Bartok, Bela (1881-1945)

 

Premier par l’ordre alphabétique d’une grande série de compositeurs dans cet abécédaire, le nom de Bela Bartok apparaît dans des listes d’hypothétiques personnalités atteintes du syndrome d’Asperger. Les éventuels indices du syndrome se laissent avant tout deviner dans son parcours et ses travaux…

Comme tant de ses illustres collègues, le jeune Bartok s’est révélé être un enfant doué pour la musique dès son plus jeune âge ; sa mère Paula, institutrice et pianiste, fut sa première enseignante musicale.

Elève de l’Académie royale de musique de Budapest, il baigne en plein dans l’atmosphère du courant national qui s’empare de la Hongrie (alors toujours dominée par l’Empire austro-hongrois). Dans ce contexte, un évènement déterminant : la découverte des chants et musiques traditionnelles de son pays, qu’il va recueillir avec son ami Zoltan Kodaly. Un autre drôle de coucou, ce Kodaly, inspirateur d’une méthode d’enseignement pédagogique musical bien connue des spectateurs de RENCONTRES DU TROISIEME TYPE, d’un certain Steven Spielberg lui-même Aspie probable, fils d’une pianiste et descendant d’immigrants d’Europe Centrale. Synchronismes, synchronismes !…

Mais revenons à Bartok. Ses recherches vont être déterminantes pour sa carrière et ses futures œuvres. Avec le concours de Kodaly, Bartok mettra en place une véritable méthode d’étude scientifique de ces musiques : recherches sur le folklore musical (ce que l’on nommera «diffusionnisme»), archivage, transcriptions et classements des musiques, chants, etc. Il ne s’arrêtera pour ainsi dire jamais ces études et archivages poussés, jusqu’à la fin de sa vie. Voilà une obsession et un goût du classement rigoureux qui traduit quelque chose de proche du syndrome d’Asperger… et qui se traduit aussi dans ses compositions personnelles, d’une rigueur mathématique implacable. L’alliage de la rigueur scientifique et de la création musicale fit de Bartok un véritable «ethnomusicien».

Si ces recherches furent lancées dans le cadre du courant nationaliste, Bartok se détacha cependant des arrière-pensées idéologiques et politiques de ce mouvement. La musique et sa mémoire, son histoire et sa diffusion primaient sur tout le reste. Ce mépris grandissant pour l’idéologie nationaliste ne plaira pas en Hongrie.

D’une grande exigence et intransigeance morale, Bartok refusait absolument toute assimilation politique au fascisme, au nazisme ; opposé au régime fasciste hongrois de Horthy, il dut finalement fuir son pays pour les USA. Son travail n’y fut guère apprécié, Bartok n’ayant eu que quelques rares défenseurs comme le chef d’orchestre Sergei Koussevitzky et le violoniste Yehudi Menuhin. La reconnaissance fut tardive et posthume.

Le Cinéma a participé à sa façon à la popularisation du travail de Bela Bartok. Les compositeurs de musiques de film, formés à l’écoute de ses compositions, ne l’ont pas oublié – notamment Miklos Rozsa, son compatriote, dont les musiques écrites pour les grands films noirs (DOUBLE INDEMNITY / ASSURANCE SUR LA MORT, LOST WEEKEND / LE POISON, ASPHALT JUNGLE / QUAND LA VILLE DORT, et tant d’autres) adoptent souvent une tonalité «Bartok» indéniable ; plus tard, un autre géant de la musique de film, Jerry Goldsmith, perpétuera l’héritage de Bartok (notamment à travers FREUD, LA PLANETE DES SINGES, ALIEN). Et John Williams, dans le morceau «Auschwitz-Birkenau» de LA LISTE DE SCHINDLER, s’inspirera lui aussi du compositeur hongrois.

N’oublions pas enfin l’emploi par Stanley Kubrick de sa Musique pour Cordes, percussion et Mouvement Céleste numéro 3 comme fond sonore obsessionnel de plusieurs scènes de SHINING…

 

Cf. Stanley Kubrick, Steven Spielberg

 

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… Beethoven, Ludwig van (1770-1827) :

 

D’un compositeur à un autre… le «divin Ludwig», héros du protagoniste d’ORANGE MECANIQUE, était-il un Aspie ?… Son nom est parfois apparu au gré de publications, plus en tant qu’hypothèse que comme cas avéré. Etablir une biographie complète de Beethoven étant le travail d’une vie, on ne s’y risquera pas ici… mais tout au plus, on peut relever les indices les plus intéressants dans le cas de «l’hypothèse Asperger».

Une enfance difficile, marquée par la mort de quatre enfants dans la famille, l’éducation brutale d’un père alcoolique, musicien médiocre qui voulait en faire le nouveau Mozart, les dépressions de la mère… Le talent musical du jeune Beethoven n’apparaît vraiment que lorsqu’il n’est pas «éduqué» par son père. On notera l’amitié qu’il conservera toute sa vie pour le médecin Wegeler ; l’amitié exclusive étant souvent signalée dans les portraits d’Aspies, c’est un début de piste…

Lorsqu’il a 17 ans, son mécène, le comte Ferdinand von Waldstein, lui fait rencontrer brièvement Mozart à Vienne. Ce dernier est impressionné par le talent du jeune homme. Waldstein lui présentera ensuite celui qui sera son mentor, Joseph Haydn. Mais leur relation est difficile, malgré l’estime de Beethoven pour son professeur ; l’indiscipline de Beethoven, la méfiance respective, la possible jalousie de Haydn (selon le point de vue de Beethoven) ne leur profite guère… On sait que les relations sociales normales sont perturbées pour les jeunes Aspies, et que cela peut, dans des cas très graves, mener à la paranoïa… Difficile pourtant de se faire une opinion certaine dans le cas de Beethoven. Continuons.

Beethoven ressent les premiers effets de sa surdité naissante, qui le frappera à 28 ans, pour les 28 années suivantes de sa vie… Son infirmité serait fatale à sa brillante carrière… Il se retire de la vie
publique, ce que la société de son époque aura bien du mal à comprendre ; n’étant pas de plus d’un caractère facile, Beethoven se fera souvent accuser de misanthropie. Un malentendu dans tous les sens du terme…

Son handicap causera une grave crise dépressive pendant laquelle il rédigera son Testament d’Heiligenstadt : « Ô vous, hommes qui pensez que je suis un être haineux, obstiné, misanthrope, ou qui me faites passer pour tel, comme vous êtes injustes ! Vous ignorez la raison secrète de ce qui vous paraît ainsi. […] Songez que depuis six ans je suis frappé d’un mal terrible, que des médecins incompétents ont aggravé. D’année en année, déçu par l’espoir d’une amélioration, […] j’ai dû m’isoler de bonne heure, vivre en solitaire, loin du monde… »

Tiens, voilà des propos qui sonnent familièrement pour un Aspie… sans constituer pour autant une preuve directe.

Beethoven, malgré sa surdité, malgré la dépression (qui le frappera de nouveau vers la fin de sa vie, le rendant incapable de créer entre 1812 et 1817), continuera à composer de magnifiques symphonies et tant d’autres oeuvres musicales. Férocement indépendant, défenseur d’idées démocratiques, Beethoven se montrera un critique acharné du règne napoléonien. Témoin cet incident à l’automne 1806, où il refuse obstinément de complaire à son mécène, le prince Lichnowsky, qui veut qu’il joue du piano pour des officiers français de Napoléon. Il s’ensuit entre Beethoven et Lichnowsky une sévère querelle, et un billet cinglant du compositeur envoyant son protecteur aller se faire voir…

Il y aura aussi les déceptions amoureuses, fréquentes et nombreuses pour Beethoven, qui aimait la compagnie des belles dames d’Europe, mais ne connut que des échecs : avec Joséphine von Brunsvik, Thérèse Malfatti, Giulietta Giuciardi, Antonia Brentano, Maria Von Erdödy, Amalie Sebald… et à qui donc était destinée «La Lettre à l’Immortelle Bien-aimée» ?

On citera rapidement les années de tristesse de la fin de sa vie, la pauvreté, la désaffection du public viennois, l’hostilité politique de Metternich, la mort de son frère Kaspar-Karl, les procès contre sa belle-sœur (tutelle de son neveu Karl), la maladie (Beethoven décèdera probablement victime du saturnisme), et une tentative de suicide…

Résumons : un talent immense dans son domaine (la musique devenue son moyen de communication au monde extérieur), des difficultés évidentes à se rendre sociable, une exigence morale en acier trempé, un sens de l’amitié exclusif, une vie amoureuse malheureuse, une hypersensibilité qui se traduit par sa fameuse surdité, des crises dépressives terribles… Cela semble correspondre au «profil Asperger», même si le doute reste de mise, faute d’éléments vraiment probants.

Inutile d’épiloguer sur les adaptations de la vie de Beethoven au cinéma, ayant donné lieu à plusieurs biographies plus ou moins fidèles depuis les années 1930 ; on citera pour mémoire celle où Beethoven est incarné par Gary Oldman dans IMMORTAL BELOVED / LUDWIG VAN B. (1994). Quant à l’emploi de sa musique, utilisée dans des centaines de films, on reverra et on écoutera évidemment ORANGE MECANIQUE magistralement adapté par Stanley Kubrick !

 

cf. Stanley Kubrick, Wolfgang Amadeus Mozart

 

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… Bell, Alexander Graham (1847-1922)

 

Le hasard dans ce blog faisant bien les choses, la surdité de Beethoven permet une transition toute trouvée. Alexander Graham Bell, le scientifique, ingénieur et inventeur écossais, lutta par la science toute sa vie contre ce handicap ayant frappé sa mère, sa sœur et son épouse…

Bell fut sensibilisé dès sa jeunesse à l’importance de la communication : son père, son oncle et son grand-père ayant été d’éminents professeurs de diction et d’élocution. Ses travaux l’amèneront à créer un ingénieux appareil de communication à distance, un objet nommé téléphone (maison) en 1876… Alexander Graham Bell fut un de ces inventeurs extraordinaires, dont les notes biographiques à son sujet laissent supposer que ce précurseur réel du Professeur Tournesol (lui-même un peu dur d’oreille…) a eu le syndrome d’Asperger.

Bell était un enfant paisible, très timide et curieux de tout ce qui l’entoure : encouragé par sa famille et son entourage, il se passionne pour la botanique, l’art, la poésie et la musique. Enfant, il crée ses premières expériences scientifiques, et, pour venir en aide à un ami voisin, invente à 12 ans une machine à décortiquer les grains de blé. Il apprend le piano tout seul, sans professeur ni manuel. La surdité qui frappe sa mère l’affecte profondément, mais il ne se laisse pas abattre et crée, pour elle, un système de langage manuel (comparer avec le futur système de langage pour sourds-muets créé par Zoltan Kodaly, cité plus haut…). Ces conversations l’amèneront à étudier et expérimenter dans le domaine de l’acoustique. Les enseignements de son père sur l’identification des symboles phonétiques (le «System of Visible Speech») seront tout aussi fondamentaux. Accompagnant celui-ci dans des démonstrations publiques, Bell peut ainsi déchiffrer et lire des symboles latin, gaélique et sanskrit sans avoir appris auparavant leur prononciation.

Contrastant avec ces réussites, le jeune Bell est un élève médiocre à la Royal High School qu’il quitte dès ses 15 ans : souvent absent des cours, il manque d’intérêt pour les matières non scientifiques. A 16 ans, il enseigne déjà l’élocution et la musique tout en étant lui-même étudiant en grec et latin… En parallèle, il fabrique avec son frère la tête d’un automate capable de prononcer un mot, «Mama».

Véritable bourreau de travail, s’investissant au fil des ans dans ses recherches sur la transmission du son par l’électricité et son enseignement pour les jeunes sourds-muets (il aura notamment pour élève la future écrivaine Helen Keller – celle-là même qui inspira la pièce et le film THE MIRACLE WORKER / MIRACLE EN ALABAMA – et sa future femme, Mabel Hubbard, qui fut sa dernière élève), Bell mettra souvent sa santé en péril. Il devra finalement abandonner son travail d’enseignant pour les sourds-muets, pour le bien de sa santé, pour se consacrer à ses seules recherches.

Dans ses expériences sur l’acoustique, Bell créera un piano électrique, puis le télégraphe harmonique, étapes décisives qui amèneront à la fameuse journée du 10 mars 1876, où a lieu le premier appel téléphonique de l’Histoire : «Mr Watson (son assistant) – venez ici – je veux vous voir».
Le téléphone révolutionna l’histoire des communications humaines ; ironie du sort, Bell le considéra comme une intrusion de la vie privée, refusant d’en installer un dans son laboratoire. Prémonition lointaine de l’invasion des médias modernes dans la vie ordinaire, bien avant Internet et Facebook ?

Membre fondateur de la National Geographic Society, Bell voua toute sa vie à la science, dans différents domaines. Un esprit insatiable, lecteur vorace de l’Encyclopedia Britannica perpétuellement à la recherche de nouveaux sujets de recherche et d’inventions. Bell déposa d’innombrables brevets et fit des recherches variées : on lui doit l’invention du détecteur de métaux, de l’hydroptère, des travaux exploratoires en télécommunications optiques, le photophone, une variété de phonographe, des véhicules aériens, l’audiomètre, les cellules de sélénium et j’en passe…

Nuançons tout de même l’admiration dans le propos, et rappelons que Bell fut aussi la cible de critiques : ses méthodes d’enseignement aux sourds-muets, jugées brutales ; ainsi que la controverse sur la vraie paternité de l’invention – une course au brevet gagnée contre Elisha Gray ; tout récemment, la réhabilitation des travaux antérieurs de l’italien Antonio Meucci, dont il se serait inspiré pour son téléphone, vient nous rappeler que les inventeurs du 19ème siècle ne se faisaient pas de cadeaux entre eux. Voir ainsi la rivalité entre Edison et Tesla…

Plus grave, la question de l’éthique scientifique nous rappelle que Bell appartenait à une époque où l’on croyait à la Science sans remise en questions : décidé à en finir totalement avec le handicap de la surdité, Bell fut un ardent défenseur de l’eugénisme, prônant la stérilisation de personnes handicapées ; pratiques appliquées de son vivant, au nom de la science toute-puissante, et dont on sait vers quoi elle  aboutiraient plus de dix ans après sa mort, en Allemagne…

Concluons sur une note plus légère en rappelant, que, du côté du Cinéma, la vie de Bell fit l’objet d’un vieux classique de l’Âge d’Or de Hollywood : THE STORY OF ALEXANDER GRAHAM BELL (ET LA PAROLE FUT…, 1939) où son personnage est joué par Don Ameche.

 

Cf. Thomas Edison, Nikola Tesla ; Tryphon Tournesol

 

b-doc-emmett-brown-christopher-lloyd-dans-retour-vers-le-futur… Brown, Emmett « Doc » (RETOUR VERS LE FUTUR)

 

Nom de Zeus (ou, en VO ; «Great Scott !») ! Nous voilà passés d’un inventeur réel à un autre totalement fictif… et passablement allumé : Doc Brown (Christopher Lloyd), le savant «geek» par excellence, figure emblématique de la trilogie RETOUR VERS LE FUTUR de Robert Zemeckis. L’incroyable invention de Doc Brown entraînera l’ado Marty McFly (Michael J. Fox) dans des aventures inoubliables, un voyage à travers le Temps, sur 130 ans d’histoire de sa famille et de la bonne ville de Hill Valley.

Naturellement excentrique et passablement «cartoonesque», le personnage de Doc est vite devenu le nouvel archétype du savant fou. Son interprète, Christopher Lloyd, décrit comme un homme discret et réservé (tiens, lui aussi ?…), s’est fait une spécialité des rôles d’hurluberlus à l’écran. Il est intéressant de voir comment Doc évolue dans la trilogie, du Géo Trouvetout hyperactif et speedé dans les deux premiers films, avant d’apparaître sous son vrai visage dans le chapitre final : ce zébulon est en réalité un grand sensible…

On ne sera pas étonné de découvrir chez Doc quelques traits familiers du syndrome, traités par la comédie :

Il vit en solitaire dans le manoir familial, étant probablement vieux garçon. Socialement mal à l’aise, Doc en est devenu quelque peu misanthrope, avouant ne rien comprendre aux femmes… avant la rencontre de l charmante institutrice Clara Clayton (Mary Steenburgen). Doc n’a pour seul ami que Marty McFly, à qui il vient en aide en permanence, gagnant le titre improvisé d’ »oncle » de circonstance.

Son seul sujet d’intérêt dans la vie : la Science ! Descendant d’une famille allemande, les Von Braun (Werner étant resté au pays), Doc vit depuis l’enfance par celle-ci, et pour celle-ci. C’en est au point qu’il baptise ses chiens des noms d’Einstein et Copernic, et de garder chez lui les photos encadrées de ses héros : à part Einstein (auquel il semble aussi avoir volé sa coupe de cheveux…), s’y trouvent Thomas Edison, Isaac Newton et Benjamin Franklin… tous présents dans cette liste ! Il a curieusement oublié Nikola Tesla et Alexander Graham Bell… Bien que diplômé en science physique, Doc passe pour un incapable, un maboul aux yeux des bonnes gens de Hill Valley. Il faut dire que, bien avant que les évènements de RETOUR VERS LE FUTUR soient lancés, Doc avait la fâcheuse tendance d’inventer des machines inefficaces…

On lui doit notamment : l’ouvre-boîte automatique de nourriture pour chiens, la machine à lire les pensées, un fusil à lunettes et un réfrigérateur mécaniques (fabriqués en plein Far West)… Et son chef-d’œuvre : le convecteur temporel, adapté à la fabuleuse voiture DeLorean qui, grâce aux talents de Doc, peut être télécommandée à distance, traverse le Temps et l’Espace, peut voler et être reconvertie en diligence !

Un des traits les plus «Aspies» de Doc : son vocabulaire élaboré, scientifique à l’excès, pour parler de choses très simples (le bal de la promo du lycée devient chez lui «un rituel rythmique dansant»!). De plus, Doc a du mal à comprendre le langage d’ado de Marty qu’il prend au pied de la lettre, notamment sa fameuse expression «C’est pas le pied» (en VO, «This is heavy», «c’est lourd»).

Comme il arrive souvent aux Aspies, Doc est hyperémotif, s’exaspérant  quand Marty ne comprend rien à ses explications scientifiques, ou hurlant de peur face à certains imprévus (par exemple quand Marty revient de l’an 1985 quelques secondes seulement après y avoir été renvoyé…). Et, tout à ses travaux scientifiques, Doc se montre parfois aussi complètement inconscient, volant à des terroristes le matériel nucléaire nécessaire à ses expériences. Un autre bizarrerie chez lui, constatée parfois chez les Aspies : il ne supporte pas l’alcool.

Pour autant, ces traits de caractère évoluent au fil de la trilogie… Le sympathique maboul, aidant de son mieux Marty à faire se rencontrer ses parents en 1955 et à repartir à son époque, resterait un personnage en deux dimensions, si le troisième RETOUR VERS LE FUTUR ne venait pas nous révéler le vrai Doc. Le savant allumé était en fait un «masque» social… Quand il rencontre la douce Clara, institutrice au cœur solitaire, Doc laisse enfin apparaître sa vraie personnalité. Terriblement timide, il réussit néanmoins à faire craquer la belle, partageant avec elle son amour de la science et ses lectures de leur auteur favori, Jules Verne. La romance a lieu sous le regard d’un Marty bien étonné de découvrir cette facette inattendue de Doc, et obligé de jouer le parent de substitution ! Tâche d’autant plus difficile que Doc a trouvé l’époque et l’endroit idéal pour se sentir enfin socialement intégré, sortir de ses habitudes et gagner en maturité affective durant l’ère des pionniers de l’Ouest…

Résultat de cette évolution joyeusement menée : Doc et Clara se marient, et reviennent au présent, grâce à leurs efforts communs sur une locomotive transformée en machine temporelle. Pour de nouvelles aventures menées en famille, avec leurs fils, Jules et Vern !

Pour finir, notons que dans la filmographie du réalisateur Robert Zemeckis, on trouve fréquemment des personnages marginaux, excentriques, introvertis… partageant tout ou partie des traits typiques du syndrome. Nous y reviendrons. Il serait intéressant du coup de trouver ce que cela révèle du caractère même du cinéaste des RETOUR VERS LE FUTUR.

 

cf. George McFly ; Grendel, Forrest Gump et Bubba Blue ; Thomas Edison, Albert Einstein, Benjamin Franklin, Isaac Newton ; Steven Spielberg

 

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… Bruckner, Anton (1824-1896)

 

Le «Maître de Saint-Florian», «Ménestrel de Dieu», grand compositeur et organiste de l’époque post-romantique allemande, incompris de la critique musicale de son temps, était “moitié simplet, moitié Dieu” à en croire l’expression de son ancien élève et ami Gustav Mahler…

La vie de Bruckner fut, à l’instar du personnage lui-même, d’une grande simplicité, extrêmement pieuse. Toute son existence, essentiellement passée à Vienne, semble avoir été orientée autour du même centre d’intérêt, la musique.

Fils d’un instituteur, il se fit remarquer par son talent musical à l’orgue paroissial, à l’âge de 10 ans. Lui-même devenu ensuite instituteur à l’Abbaye de Saint-Florian, il se forma à la théorie musicale, l’harmonie et l’orgue, révélant un don exceptionnel pour l’improvisation.

Discret, d’une grande modestie malgré les honneurs, obstiné dans l’élaboration patiente de son œuvre musicale, Anton Bruckner fut aussi décrit comme un homme naïf, très provincial, mais paradoxalement capable d’écrire des compositions musicales à la structure mathématique rigoureuse. Bruckner affichait aussi d’autres traits de caractère curieux, amplement suffisants pour qu’il soit cité comme un Asperger potentiel.

Perfectionniste et obsessionnel, Bruckner réécrivait ses propres œuvres en permanence. Il était atteint de comptomanie : il comptait les feuilles dans les arbres, les fenêtres des immeubles, les pavés des chaussées, les perles des colliers des dames, etc. Jusqu’à un âge très avancé, il continuait à grimper au sommet des clochers des églises autrichiennes, pour étudier méthodiquement leurs positions. Ces obsessions étaient si intensens qu’il dut partir en cure de soins, en mai 1867.

Bruckner était énormément maladroit dans ses relations aux autres. Jamais marié, il fit de nombreuses et infructueuses propositions de mariage à des jeunes filles de ses élèves. Sa piété religieuse (intransigeante chez lui, au point qu’il refusera d’épouser une jeune femme ne voulant pas se convertir au catholicisme) le poussait en fait à faire ces demandes, Bruckner espérant ainsi ne pas commettre de péché en épousant une
femme vierge. Il répéta ces propositions jusqu’à un âge avancé, guère convenable aux yeux de la bonne société autrichienne, et dut se résoudre à enseigner strictement aux garçons.

Centre d’intérêt exclusif, pensée mathématique, rigueur morale inflexible, troubles obsessionnels, grandes difficultés à s’adapter aux règles sociales de l’époque… voilà donc des indices qui tendent à confirmer l’hypothèse Asperger chez Bruckner. En attendant bien sûr, confirmation ou infirmation.

 

Cf. Gustav Mahler

 

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… Burton, Tim

 

Alors là, aucun doute possible…Au vu des informations données au fil de ses interviews et des livres qui lui sont consacrés, le cinéaste à la coiffure en pétard donne suffisamment d’indices sur sa personnalité pour qu’il soit admis dans ce chapitre : «Il est l’un des nôtres, gooba-gabba, gooba-gabba !»

Tim Burton naît à Burbank, Californie, juste à côté des studios d’animation de Walt Disney, et des studios Warner Bros. et Columbia. Une ville ensoleillée toute l’année, uniforme, anesthésiante de tranquillité satisfaite… celle-là même qui inspirera la petite ville de banlieue conformiste d’EDWARD AUX MAINS D’ARGENT. Le jeune Burton est un petit garçon sage, très introverti et imaginatif, qui chronomètre la durée de dilution des fumées d’échappement des avions passant au-dessus de sa maison, dessine, joue et adore regarder les films qui passent à la télé… spécialement les films d’épouvante d’Universal (comme les FRANKENSTEIN avec Boris Karloff), les adaptations d’Edgar Poe jouées par Vincent Price, les films de monstres japonais, des films bis à base de savants fous et de monstres globuleux en carton-pâte…

De son propre aveu, Burton enfant n’avait pas vraiment d’amis, et préférait, en grandissant, réaliser dans le jardin familial ses premiers films, en Super 8 (comme on le voit dans le court-métrage de 1984
FRANKENWEENIE qu’il vient d’adapter cette année). Il garda des relations distantes avec ses parents, au point d’emménager chez sa grand-mère à 12 ans, puis de vivre seul à 15 ans, dans un petit appartement au-dessus de chez elle. Il se forme ainsi à se débrouiller seul, travaillant après les cours.

Ses dons artistiques lui valent à la fin des années 1970 d’étudier à Cal Arts, filiale du groupe Walt Disney destinée à former les futurs animateurs du studio. Il passera plusieurs années à s’ennuyer d’ailleurs chez eux, se sentant incapable de dessiner à la chaîne le mignon petit renardeau de ROX ET ROUKY…  Trop bizarre pour la gentillesse normative des films Disney (il s’enlève un jour une dent de sagesse et dessine sur le mur des bureaux avec son sang !), Burton réalise chez eux deux courts-métrages «OVNIS», VINCENT et FRANKENWEENIE, véritables autoportraits de ses obsessions : Edgar Poe, Vincent Price, la banlieue étouffante, les films de Frankenstein, les chiens, le conformisme de la société américaine… Puis il quitte sans regrets les studios, et après un bref passage à la réalisation télévisée, s’embarque pour le Cinéma avec son premier long-métrage, PEE-WEE’S BIG ADVENTURE…

La suite est connue. Le talent de Burton révèle son univers mêlant poésie visuelle, mélancolie, macabre gothique et humour débridé, de film en film : BEETLEJUICE, BATMAN, EDWARD AUX MAINS D’ARGENT, BATMAN RETURNS (BATMAN LE DEFI), sa production NIGHTMARE BEFORE CHRISTMAS (L’ETRANGE NOËL DE MR. JACK), ED WOOD, MARS ATTACKS !, SLEEPY HOLLOW, LA PLANETE DES SINGES, BIG FISH, CHARLIE ET LA CHOCOLATERIE, CORPSE BRIDE (LES NOCES FUNEBRES), SWEENEY TODD, ALICE AU PAYS DES MERVEILLES, DARK SHADOWS et maintenant FRANKENWEENIE, en attendant ceux à venir… Il est devenu un artiste à part entière, un conteur populaire gardant, quelle que soit la valeur du film réalisé, une imagination visuelle reconnaissable et unique. La revanche du «misfit», de l’enfant lunatique à la coiffure noire en cascade.

Dans cette filmographie unique en son genre, apparaissent des titres plus autobiographiques : EDWARD AUX MAINS D’ARGENT, ED WOOD, BIG FISH… reflètent des périodes fondamentales de sa vie. Pour connaître l’état d’esprit de Burton, sa relation au monde, mieux vaut donc voir ses films plutôt que guetter des
informations promotionnelles sur le Net. Ils parlent d’eux-mêmes.

Soulignons juste, pour continuer dans l’optique «Asperger» de ce texte, quelques autres aspects de la vie de Tim Burton qui vont dans ce sens. Des relations avec les femmes, rares et guère heureuses (un divorce «à l’hollywoodienne» avec sa première femme, l’actrice et mannequin Lisa Marie) avant sa rencontre
avec Helena Bonham Carter, devenue depuis LA PLANETE DES SINGES son actrice fétiche et son épouse. Et, dans son métier, Burton s’est trouvé de solides amitiés, celles-là même qui lui faisaient défaut dans son enfance. Une équipe de collaborateurs artistiques de premier ordre, présents d’un film à l’autre depuis des années : notamment le directeur artistique Rick Heinrichs, la costumière Colleen Atwood, le compositeur Danny Elfman… Et, en tête d’une troupe d’acteurs revenant régulièrement avec joie dans ses tournages, l’inusable Johnny Depp, complice fidèle de Burton depuis EDWARD AUX MAINS D’ARGENT !

 

Cf. Edward (EDWARD AUX MAINS D’ARGENT), Willy Wonka, le Monstre de Frankenstein

 

 

A suivre…

 

Ludovic Fauchier

Tim Burton, Johnny Depp et Helena Bonham-Carter – le mini-guide

Petit cadeau bonus à l’occasion de la sortie de DARK SHADOWS… Voici un mini-guide spécial «Tim Burton, Johnny Depp & Helena Bonham Carter», une revue rapide de leurs films précédents (avec les têtes différentes des comédiens transformés à l’occasion de chaque film !).

 

Tim Burton, Johnny Depp et Helena Bonham-Carter - le mini-guide dans Mini-guide Johnny-Depp-Edward-aux-Mains-dArgent

EDWARD AUX MAINS D’ARGENT (1990)

L’histoire : Edward (Johnny Depp), un jeune homme artificiel, est affublé de ciseaux démesurés à la place de ses mains, son inventeur (Vincent Price) étant mort avant d’avoir pu les lui donner. Solitaire et craintif, il est recueilli par Peg Boggs (Dianne Wiest), représentante en cosmétiques, qui fait de lui un membre à part entière de sa famille. Mais, dans le petit monde confortable de la banlieue, la présence d’Edward détonne ; et il est amoureux de Kim (Winona Ryder), la fille de Peg…

 

L’avis : magique, il n’y pas d’autre mot pour désigner le film qui marqua en fanfare les débuts de l’association Johnny Depp-Tim Burton. Relecture toute personnelle des vieux films de Frankenstein, EDWARD… est aussi un autoportrait de Burton à peine dissimulé. L’histoire d’amour est touchante, la description de la banlieue et du conformisme de ses habitants fait mouche. Et la musique de Danny Elfman est entrée dans la mémoire collective.

 

Le meilleur moment de Johnny Depp : difficile d’en séparer un, dans ce film plein de moments privilégiés. Son impassible réaction quand Dianne Wiest lui tartine le visage de lotions colorées ; quand il provoque l’orgasme de Kathy Baker en lui coupant les cheveux ; quand il coupe la mèche d’un gentil toutou venu s’asseoir à ses côtés… Une scène inoubliable, enfin, celle où il assiste à la mort de son inventeur (Vincent Price)…

 

Johnny-Depp-Ed-Wood-réalisateur-enthousiaste... dans Mini-guide

ED WOOD (1994)

L’histoire : les déboires d’Edward D. Wood Jr. (Depp), jeune cinéaste au début de sa carrière dans les années 1950 ; persuadé de son talent, rêvant de percer à Hollywood, Wood va enchaîner les tournages de plus en plus fauchés, entouré d’une bande de bras cassés qui lui resteront loyaux ; parmi eux, une légende déchue en fin de carrière, Bela Lugosi (Martin Landau), star des films d’épouvante ayant sombré dans la misère et la drogue…

 

L’avis : honteusement oublié par le Jury du Festival de Cannes de 1995, ED WOOD reste une des plus belles déclarations d’amour au Cinéma, tout en prenant le contrepoint total des «biopics» traditionnelles. Entre l’humour (les reconstitutions des tournages «galères») et la tristesse, le film trouve son équilibre parfait. Depp est excellent, Martin Landau est inoubliable et fut récompensé à juste titre de l’Oscar du Meilleur Second Rôle.

 

Johnny-Depp-Ed-Wood-travesti-

Le meilleur moment de Johnny Depp dans le film : difficile de trancher là encore, tant il y en a… Morceaux choisis : quand il tente de vendre des projets foireux à un grand ponte («Docteur… Acula !») ; sa réaction au rejet de ce dernier («le pire film que vous ayiez jamais vu ? … Hé bien, le prochain sera bien meilleur !») ; toutes ses scènes avec Martin Landau, notamment celle, irrésistible, du tournage de GLEN OR GLENDA («Bivère…. Poul ze strinks ! Poul ze strinks !!») ; la danse des sept voiles en fête de tournage ; et la rencontre avec Orson Welles qui va le galvaniser pour son «chef-d’œuvre» ultime, PLAN 9…

 

Johnny-Depp-Ichabod-Crane-Sleepy-Hollow

SLEEPY HOLLOW (1999)

 

L’histoire : adaptation libre du récit de Washington Irving, «La Légende du Val Endormi» ; à la fin du 18ème siècle, Ichabod Crane (Depp) un jeune inspecteur féru de science, se rend à Sleepy Hollow pour enquêter sur des meurtres en série que la population effrayée attribue à un spectre terrifiant, le Cavalier Sans Tête (Christopher Walken et Ray Park). D’abord sceptique, Ichabod réalise que le Cavalier est bien réel et tente de protéger la jolie Katrina Van Tassel (Christina Ricci) de la malédiction qui s’abat sur sa famille…

 

L’avis : après la déconvenue d’un SUPERMAN avorté par le studio Warner Bros., Burton revient aux univers gothiques macabres qu’il affectionne. Le film, particulièrement saignant et macabre (Burton va même très loin en filmant le massacre d’une famille entière par le Cavalier) est visuellement splendide, recréant les ambiances des films de la Hammer et de Mario Bava. On pardonnera les excès du scénario pour mieux apprécier l’ambiance du film. Et encore une très belle musique signée de l’ami Danny Elfman.

 

Le meilleur moment de Johnny Depp dans le film : ses évanouissements de jeune fille, qui ponctuent le film… Et la séquence où Ichabod Crane a une façon bien à lui de jouer aux EXPERTS sur les lieux d’un meurtre. Il sermonne le docteur local, peu au courant des nouvelles procédures policières :

«Il ne faut jamais déplacer le cadavre !

Pourquoi ?

- (silence gêné d’Ichabod)… parce que.»

 

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LA PLANETE DES SINGES (2001)

L’histoire : l’astronaute Leo Davidson (Mark Wahlberg) plonge dans une tempête spatiale électromagnétique pour sauver un de ses singes cobayes, Périclès… Mais, égaré dans l’espace et le temps, Leo fait naufrage sur une planète inconnue, où les humains réduits à l’état sauvage sont chassés, tués ou réduits en esclavage par des singes évolués. Déterminé à fuir cette planète infernale au plus vite, Leo entraîne à sa suite des fugitifs, dont la chimpanzée Ari (Helena Bonham Carter), et doit échapper à la fureur du redoutable Général Thade (Tim Roth)…

 

L’avis : Tim Burton n’est pas satisfait de cette nouvelle adaptation du roman de Pierre Boulle, très éloignée du classique avec Charlton Heston. L’histoire est franchement décousue, le protagoniste principal manque de personnalité face à des singes bien plus réussis, et les scènes de batailles n’intéressent pas vraiment Burton, qui préfère laisser libre cours à sa fantaisie habituelle dans les séquences de la Cité des Singes. Il reste que le film marque un point important pour le cinéaste, puisqu’il fait jouer pour la première fois Helena Bonham Carter, sa future épouse.

 

Le meilleur moment d’Helena Bonham Carter : si l’actrice se fait voler la vedette par Tim Roth durant le dîner officiel entre singes, elle a droit à un traitement de faveur durant tout le film, jouant la plus sensible et charmante guenon que l’on ait jamais vu dans un film. Mark Wahlberg est presque prêt à rester auprès d’elle, voyez leur échange de regards au moment de la séparation finale…

 

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BIG FISH (2003)

L’histoire : quand il apprend que son père Edward (Albert Finney) est mourant, Will Bloom (Billy Crudup) rentre au pays avec sa compagne Joséphine (Marion Cotillard). En froid avec ce père fantaisiste, qui adore raconter des histoires fantastiques sur sa vie, Will renoue peu à peu avec lui, tandis qu’il raconte l’histoire de sa vie en jeune homme (Ewan McGregor), croisant des géants, des sirènes et des loups-garous avant de tomber amoureux de Sandra (Allison Lohman)…

 

L’avis : marqué par le décès de son père, et lui-même sur le point de devenir père pour la première fois, Burton trouve dans BIG FISH le sujet idéal pour parler de la paternité, de la transmission filiale. Un très beau film où le cinéaste adapte sa fantaisie visuelle habituelle à plus de gravité, de maturité, dans un scénario solide. Le casting d’ensemble est parfait, avec une préférence pour le père vieillissant joué par Albert Finney.

 

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Le meilleur moment de Helena Bonham Carter : l’actrice tient un double rôle, étant à la fois l’inquiétante Sorcière borgne, et Jenny, la jeune femme du sud au cœur solitaire. Son apparition en sorcière montrant au jeune Edward Bloom sa mort future est un premier moment fort ; ses retrouvailles, en tant que Jenny, avec Edward (McGregor), forment une jolie scène douce-amère.

 

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CHARLIE ET LA CHOCOLATERIE (2005)

L’histoire : un jeune garçon très pauvre, Charlie Bucket (Freddie Highmore), découvre par hasard un des cinq tickets gagnants invitant à la visite de la fabuleuse chocolaterie de Willy Wonka (Depp), inventeur-confiseur génial et reclus. Avec son grand-père, Charlie découvre les secrets de fabrication de Wonka. Quatre autres enfants, odieux garnements, et leurs parents, sont également de la visite. Mais qui sera l’heureux héritier de l’étrange Willy Wonka ?

 

L’avis : l’adaptation du classique écrit par Roald Dahl permet à Burton de déchaîner sa créativité. L’histoire reste simple, assez prévisible parfois, mais toujours pleine d’idées étoffant le récit original. Visuellement, c’est un régal. Et Depp est parfait en incarnant un Willy Wonka parfois inquiétant…

 

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Le meilleur moment de Johnny Depp et Helena Bonham Carter : premier film en commun des deux acteurs, CHARLIE ne leur offre pas vraiment de scènes communes. Volontairement en retrait, Helena Bonham Carter joue l’aimante maman de Charlie, le temps de quelques scènes où elle cuisine les choux toute la journée ! Depp déguisé en Willy Wonka se livre à un festival de scènes cultes : son entrée en scène, avec la chanson à sa gloire façon «It’s A Small World» qui tourne à la catastrophe ; ses appels des Oumpas-Loumpas, en imitant le cri du dindon (comme Jacques Villeret dans LA SOUPE AUX CHOUX !) ; la transformation du Monolithe de 2001 L’ODYSSEE DE L’ESPACE en tablette de chocolat ; les bafouillis répétés de Willy Wonka dès qu’il prononce le mot «parent»…

 

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CORPSE BRIDE – LES NOCES FUNEBRES (2005)

L’histoire : pauvre Victor Van Dort (Depp) ! Ce gentil et timide jeune homme doit épouser par convenance Victoria Everglot (Emily Watson), mais sa maladresse l’empêche de prononcer les vœux de fiançailles… S’entraînant dans la forêt à passer le futur anneau de mariage sur ce qu’il croit être une branche morte, Victor a la surprise de voir que ladite branche est en fait la main d’une morte, Emily (Bonham Carter), qui se retrouve ramenée à la vie, et se croit de fait fiancée au jeune homme terrorisé…

 

L’avis : douze ans après NIGHTMARE BEFORE CHRISTMAS (L’ETRANGE NOËL DE MONSIEUR JACK), Tim Burton revient au cinéma d’animation en stop-motion. Un film gothique, très gracieux, où les vivants sont bien «morts» de conformisme, alors que les morts, eux, s’amusent bien ! Un seul petit regret, peut-être ? Que le héros choisisse d’épouser finalement la sage fille de bonne famille plutôt que la charmante morte-vivante, véritable héroïne du film…

 

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Le meilleur moment de Johnny Depp et Helena Bonham Carter : certes, c’est un film d’animation, où les acteurs n’assurent «que» le doublage de leurs personnages… ce qui n’enlève rien au crédit du film, bien au contraire. On aura une préférence pour le duo au piano, où Victor rattrape une précédente gaffe, et marque ainsi des points avec la belle trépassée Emily !

 

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SWEENEY TODD (2007)

L’histoire : le barbier Benjamin Barker (Depp) a jadis perdu sa femme Lucy et leur petite fille, par la faute de l’odieux Juge Turpin (Alan Rickman) qui l’a envoyé en prison à l’autre bout du monde. Revenu à Londres, Barker se fait désormais appeler Sweeney Todd, et apprend par la misérable cuisinière Mrs. Lovett (Bonham Carter) que Lucy est morte après avoir été violée par le Juge. Todd prépare une vengeance sanglante, à coup de rasoirs, aidé par Mrs. Lovett qui va cacher les traces des meurtres en recyclant les cadavres en viande pour tourte…

 

L’avis : une fausse bonne idée ? La comédie musicale macabre de Stephen Sondheim semblait pourtant faite pour Burton, qui revient dans l’ambiance horrifique gothique de son précédent SLEEPY HOLLOW… C’est sans doute le film le plus noir, radical, jamais tourné à ce jour par le cinéaste, mais il reste insatisfaisant : le scénario doit tailler dans le matériel de départ, alourdi par trop de chansons qui ne restent pas dans les mémoires. On se console en appréciant l’ambiance visuelle du film, et le jeu des acteurs, notamment Bonham Carter, Alan Rickman en juge libidineux et Sacha Baron Cohen en barbier concurrent, très «Freddie Mercury», au faux accent italien !

 

Le meilleur moment de Johnny Depp et Helena Bonham Carter : quel dommage que les chansons soient aussi faiblardes en général… à sauver, le duo «A Little Priest» où les deux complices choisissent en chantant qui va finir en pâtée. Et le final funeste, sanglant et volontairement grand-guignolesque, qui finit très mal pour les deux vedettes.

 

Johnny-Depp-le-Chapelier-Fou-Alice-in-Wonderland

ALICE AU PAYS DES MERVEILLES (2010)

L’histoire : vingt ans après avoir vécu ses aventures oniriques au Pays des Merveilles, la petite Alice est maintenant une jeune femme (Mia Wasikowska) qui va devoir se marier à un benêt. Mais, en suivant un Lapin Blanc familier, elle fuit la cérémonie officielle et tombe de nouveau dans un trou, la menant vers le Pays des Merveilles où tout a bien changé depuis son dernier voyage… Alice a tout oublié de ses précédentes aventures, et seuls quelques vieux amis, dont le Chapelier Fou (Depp), peuvent l’aider à combattre la colérique Reine Rouge (Bonham Carter) ennemie de sa sœur la Reine Blanche (Anne Hathaway)…

 

L’avis : hum hum (…d’Umbridge)… le film est assez symptomatique des défauts de Burton en tant que cinéaste. Comme toujours, la création visuelle unique surclasse tout le reste, et ALICE est inattaquable sur cet aspect. Du point de vue narratif, par contre… le film part régulièrement en roue libre, et il est difficile de s’intéresser au traitement très «heroic fantasy» au goût du jour de cette adaptation de Lewis Carroll.

 

Helena-Bonham-Carter-la-Reine-Rouge-Alice-au-Pays-des-Merveilles

Le meilleur moment de Johnny Depp et Helena Bonham Carter : difficile à trouver, pour une fois… Depp cabotine ici sans trop réussir à plaire, faisant du Chapelier un quasi clone de son Willy Wonka. Personne n’est parfait. On préfèrera les scènes de colère capricieuse de Miss Bonham Carter, affublée d’une tête démesurée et tyrannisant tout le monde avec délices. Ne volez pas ses tartes !

DARK SHADOWS – la fiche technique et l’histoire

DARK SHADOWS - la fiche technique et l'histoire dans Fiche et critique du film Dark-Shadows-b

DARK SHADOWS

Réalisé par Tim BURTON   Scénario de Seth GRAHAM-SMITH, d’après la série télévisée créée par Dan CURTIS  

 

Avec : Johnny DEPP (Barnabas Collins), Michelle PFEIFFER (Elizabeth Collins Stoddard), Helena BONHAM CARTER (Docteur Julia Hoffman), Eva GREEN (Angélique Bouchard), Jackie Earle HALEY (Willie Loomis), Jonny Lee MILLER (Roger Collins), Bella HEATHCOTE (Josette DuPrès / Victoria Winters), Chloë Grace MORETZ (Carolyn Stoddard), Gulliver McGRATH (David Collins), Christopher LEE (le Capitaine Clarney) et ALICE COOPER dans son propre rôle

Caméo de Jonathan FRID (un Invité au Bal)

 

Produit par Christi DEMBROWSKI, Johnny DEPP, Katterli FRAUENFELDER, Derek FREY, David KENNEDY, Graham KING et Richard D. ZANUCK (Dan Curtis Productions / GK Films / Infinitum Nihil / Tim Burton Productions / Village
Roadshow Pictures / Warner Bros. Pictures / The Zanuck Company)   Producteurs Exécutifs Bruce BERMAN, Nigel GOSTELOW, Tim HEADINGTON et Chris LEBENZON  

Musique Danny ELFMAN   Photo Bruno DELBONNEL   Montage Chris LEBENZON  Casting Susie FIGGIS 

Décors Rick HEINRICHS   Direction Artistique Chris LOWE, Neal CALLOW, Dean CLEGG, Christian HUBAND, Jason KNOX-JOHNSON et Phil SIMS   Costumes Colleen ATWOOD  

1er Assistant Réalisateur Katterli FRAUENFELDER 

Mixage Son Tony DAWE, Tom JOHNSON et Ian SANDS  Montage Son et Effets Spéciaux Sonores Julian SLATER 

Effets Spéciaux Visuels Angus BICKERTON, Mark BREAKSPEAR, Christophe DUPUIS, Eddy RICHARD et Anton YI (4DMax / BUF / Method Studios / MPC / The Senate Visual Effects)  Effets Spéciaux de Maquillages Kristyan MALLETT   Effets Spéciaux de Plateau Joss WILLIAMS  

Distribution USA et INTERNATIONAL: Warner Bros. Pictures  

Durée : 1 heure 53  Caméras : Arricam LT 

 

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L’Histoire :

parti en 1760 pour le nouveau monde avec ses parents, le jeune Barnabas Collins assista à l’émergence de la ville de Collinsport, fondée par son père, enrichi par le commerce de la conserverie de poissons, et fut l’heureux héritier du nouveau et splendide manoir de Collinwood. Devenu un séduisant jeune homme, Barnabas rejeta l’amour d’une servante, Angélique Bouchard, pour épouser Josette DuPrès. Furieuse d’avoir été éconduite, Angélique se vengea par la sorcellerie, faisant tuer les parents de Barnabas, puis envoûtant Josette, la poussant à se suicider en se jetant du haut des falaises du domaine. Barnabas, maudit par Angélique, fut changé en vampire, et enterré vivant… 

1972. Victoria Winters arrive à Collinwood, pour devenir la nouvelle gouvernante chez les derniers membres de la déchue famille Collins. Elizabeth Collins Stoddard veille de son mieux sur la famille déclinante, aux côtés de son frère Roger, et de leurs enfants respectifs Carolyn et David. Victoria fait aussi la connaissance de Willie Loomis, l’homme à tout faire du manoir, et de la psychiatre Julia Hoffman, chargée de soigner le petit David, qui depuis la mort accidentelle de sa mère, croit voir des fantômes partout…

Victoria, pour sa première nuit au manoir, découvre que le manoir est effectivement hanté par le spectre de Josette, annonçant le retour de Barnabas. Cette même nuit, des ouvriers déterrent par accident le cercueil de ce dernier. Après avoir tué les malheureux, Barnabas se rend à Collinwood. Il convainc Elizabeth qu’il est effectivement l’ancêtre de sa famille, et cache bien mal sa condition de vampire au reste de la famille, interloquée par ce drôle d’individu qui continue à parler comme au 18ème Siècle et fuit le soleil. Angélique, toujours vivante grâce à la sorcellerie, est aussi la maîtresse de la ville, ayant ruiné les affaires de la famille Collins pour s’enrichir, apprend la nouvelle du retour de son ancien amant…

Le Vampire de ces Dames – DARK SHADOWS

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DARK SHADOWS, de Tim Burton

 

Impressions :

Tim Burton et Johnny Depp, les extra-terrestres du cinéma américain, se retrouvent donc pour la 8ème fois en 22 ans de carrière. Tour à tour homme artificiel perdu dans la banlieue américaine, cinéaste travesti roi de la série Z, inspecteur froussard égaré chez les spectres, confiseur mégalomane, timide fiancé d’une charmante morte-vivante, barbier sanguinaire et chapelier fou, Johnny Depp incarne cette fois-ci pour Burton un vampire tourmenté, Barnabas Collins, héros de ce DARK SHADOWS bien évidemment «burtonien» en diable.

 

Le Vampire de ces Dames - DARK SHADOWS dans Fiche et critique du film Dark-Shadows-la-série-télé-300x248

DARK SHADOWS, c’est avant tout une véritable institution aux USA, une série télévisée créée et produite par Dan Curtis, vétéran de la télévision américaine rompu au Fantastique (il réalisa dans les années 1970 une adaptation réussie de DRACULA avec Jack Palance, entre autres). En 1966, Curtis lança DARK SHADOWS, un soap-opéra très particulier, mêlant les ressorts mélodramatiques traditionnels au genre à un contexte gothique fantastique. Près de 600 épisodes tournés entre 1966 et 1972, narrant les tourments de Barnabas Collins (Jonathan Frid), vampire humain luttant contre sa condition maléfique, et revenu parmi ses descendants. Ainsi, les ménagères américaines et leurs enfants pouvaient donc apprécier des histoires à la Edgar Poe remplies de fantômes, de spectres et de châteaux hantés. Ce décalage ne pouvait que plaire à Tim Burton, qui depuis longtemps déjà adore les télescopages entre l’univers douillet et anesthésiant de l’American Way of Life avec les monstres hantant son imaginaire.

Pour porter à l’écran sa vision très particulière du film de vampires, Burton s’est adjoint l’aide d’un écrivain scénariste très particulier. Nouveau fleuron de la génération «geek», Seth Grahame-Smith, 36 ans, affiche un CV bien barré. Il a écrit les romans ORGUEIL ET PREJUGES ET ZOMBIES (détournement du classique de Jane Austen, désormais envahi par des
hordes de morts-vivants à l’heure du thé dans les jardins anglais) et ABRAHAM LINCOLN CHASSEUR DE VAMPIRES, au titre explicite. Grahame-Smith a aussi écrit, entre autres joyeusetés, THE BIG BOOK OF PORN (une fiction historique sur l’histoire du cinéma X), une étude sur Spider-Man et le guide HOW TO SURVIVE A HORROR MOVIE… un allumé de première, donc, qui était fait pour rejoindre l’univers «burtonien».

 

 

Dark-Shadows-a dans Fiche et critique du film

Sous l’auspice de Burton et Grahame-Smith, le film DARK SHADOWS devient un choc frontal entre les deux aspects visuels dominants de la filmographie du cinéaste – le mélange du Burton «gothique noir dépressif» (celui de BATMAN RETURNS, SLEEPY HOLLOW, CORPSE BRIDE, SWEENEY TODD) et du Burton «acidulé excentrique» (celui de PEE-WEE, BEETLEJUICE, MARS ATTACKS !, CHARLIE ET LA CHOCOLATERIE). Ce mélange des genres a de quoi dérouter même les habitués de ses films… DARK SHADOWS pratique en effet la rupture de ton permanente entre l’humour décalé et l’effroi à l’ancienne. Rupture effectuée souvent avec bonheur, mais parfois inachevée.

Plutôt que de transposer l’histoire à notre époque, Burton choisit de respecter l’époque où la série triomphait sur les petits
écrans. Le vampire Barnabas, d’un sérieux gothique absolu, découvre donc le monde étrange de la libération sexuelle, du flower power et d’autres coutumes absurdes à ses yeux. Burton ne se prive pas de créer des gags à son goût (comme la découverte d’une enseigne McDonald’s par Barnabas, qui voit en elle la marque du Diable !). Son regard sur une époque qu’il a connu dans sa jeunesse offre les meilleures scènes du film, jouant sur le double décalage des situations : les réactions de Barnabas, le «freak» burtonien dans toute sa splendeur, sur les mœurs de l’époque, déjà bien anachroniques pour nos yeux de spectateurs de 2012, fait tout le charme du film. Il permet à l’occasion de décrire une nouvelle famille américaine n’ayant rien à envier à celles de BEETLEJUICE ou EDWARD AUX MAINS D’ARGENT par son matérialisme satisfait…

Ce double décalage peut cependant être problématique, parfois. Le film donne parfois l’impression que Burton fait du Burton, sur un sujet taillé sur mesure mais sans risque pour lui. Les scènes du film sont ainsi d’intérêt variable. La meilleure étant le sit-in nocturne de Barnabas avec d’inoffensifs hippies ; il discute poliment, partage leur point de vue sur le monde… puis, cédant à son instinct de vampire, les tue tous, en restant parfaitement courtois ! On est dans le mélange «rire et effroi» propre à l’auteur de BEETLEJUICE et MARS ATTACKS.

A l’opposé, la scène la moins réussie est sûrement la confrontation finale, truffée de rebondissements téléphonés, mal amenés. Peut-être est-ce volontaire de la part du cinéaste et de son scénariste. Les rebondissements en question sont tout à fait typiques d’un soap opéra, ce qu’était DARK SHADOWS après tout. Reconnaissons que les films de Burton tirent avant
tout leur force de leur qualité esthétique, plutôt que de scénarii élaborés – avec quand même d’heureuses exceptions pour ses meilleurs films, la «trilogie des Edward» : EDWARD, ED WOOD et BIG FISH. Pas étonnant que ceux-ci soient ses œuvres les plus personnelles.

 

 

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D’autre part, saluons le travail fourni par Burton et son scénariste pour ne pas éluder l’aspect sexuel du récit de vampires… Encore qu’ils ne se privent pas de tordre le cou aux clichés d’usages, mettant une bonne touche de folie dans les scènes en question. DARK SHADOWS nous montre un vampire certes romantique, au sens «mélo à l’ancienne» du terme, mais pas chaste pour autant. Les femmes qui gravitent autour de Barnabas tombent toutes, à des degrés divers, sous son charme. Au très pudique amour entre le vampire et la gouvernante, réincarnation de sa défunte fiancée, Burton oppose des relations bien plus osées. Une attirance sous-entendue entre Barnabas et la jeune Carolyn, l’ado «burtonienne» par excellence ; le sous-entendu est évident quand Barnabas reluque la lava-lampe rouge sang trônant dans la chambre de la jeune fille… Plus gratinée encore, une scène où la doctoresse alcoolique jouée par Helena Bonham-Carter gratifie notre vampire d’une petite gâterie improvisée… et l’affrontement grivois entre Barnabas et la sorcière Angélique (Eva Green) qui tourne au «sex fight» en apesanteur ! Loin d’être un cinéaste pour enfants sages, Tim Burton ne se censure pas à l’occasion ; qu’on se souvienne du dépucelage raté d’Edward aux Mains d’Argent, d’une Catwoman branchée SM chez Batman, ou de l’affolante espionne Martienne invitée par un conseiller présidentiel libidineux dans MARS ATTACKS… DARK SHADOWS poursuit la voie.

 

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Fidèle à ses habitudes, Burton retrouve une troupe de comédiens parfaitement à l’aise dans son univers. A commencer bien sûr par l’inusable Johnny Depp, d’un sérieux pince-sans-rire absolu en toute circonstance, et Helena Bonham Carter, qui s’amuse à créer un nouveau personnage excentrique dans une galerie déjà bien fournie par son époux réalisateur. On saluera aussi le grand retour de Michelle Pfeiffer (Catwoman forever !!) dans l’univers Burton ; à leurs côtés, Eva Green campe une sorcière déjantée (qui connaîtra une fin joliment graphique), et la jeune Chloë Grace Moretz (révélation de KICK-ASS et HUGO CABRET) assure son parcours de future star. Et, le meilleur étant pour la fin, n’oublions pas les guest stars spéciales : la mémorable apparition d’Alice Cooper («la femme la plus hideuse que j’aie jamais vu !») dans son propre rôle, et celle de Christopher Lee en vieux marin. Impensable de ne pas faire un film de vampires sans inviter Dracula en personne.

 

Voilà quelques menus plaisirs qui font passer les réserves que l’on peut avoir sur ce DARK SHADOWS de bonne facture, suffisamment plaisant pour faire oublier le mauvais souvenir d’ALICE AU PAYS DES MERVEILLES… Maintenant, on attend quand même que Tim Burton revienne à des films plus personnels ; espérons que son FRANKENWEENIE, «auto-remake» en film d’animation de son court-métrage réalisé en 1984, sera l’un de ceux-là.

 

Ludovic Fauchier, blogueur «dark».

Sympathie pour Lady Vengeance – MILLENNIUM : THE GIRL WITH THE DRAGON TATTOO / Millénium : Les Hommes Qui N’Aimaient Pas Les Femmes

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THE GIRL WITH THE DRAGON TATTOO / Millénium : Les Hommes Qui N’Aimaient Pas Les Femmes, de David FINCHER

  

Chers amis neurotypiques, bonjour !

Un avertissement pour commencer : si vous n’avez jamais lu le best-seller de Stieg Larsson, ou vu son adaptation initiale de 2009 passée à la télévision, NE LISEZ PAS CE QUI SUIT AVANT D’AVOIR VU LE FILM !

«Spoilers» de scènes importantes en perspective…

 

 

Sympathie pour Lady Vengeance - MILLENNIUM : THE GIRL WITH THE DRAGON TATTOO / Millénium : Les Hommes Qui N'Aimaient Pas Les Femmes dans Fiche et critique du film The-Girl-with-the-Dragon-Tattoo-4

Après le mélancolique BENJAMIN BUTTON et le virulent SOCIAL NETWORK, David Fincher revient au genre qui l’a consacré, le thriller très noir. Les studios Columbia et Sony, et le producteur Scott Rudin, à la recherche d’un réalisateur compétent pour adapter sur grand écran la déjà célèbre trilogie policière suédoise MILLENNIUM* de Stieg Larsson, se sont assez logiquement tournés vers Fincher, l’homme de SEVEN, FIGHT CLUB et autre ZODIAC. Celui-ci s’est fait quelque peu tirer l’oreille pour s’attaquer au premier volet, craignant légitimement qu’on l’assimile au genre «Film de tueur en série», auquel il avait magistralement contribué dans SEVEN et ZODIAC. Une commande apparente, dans laquelle il s’est néanmoins plongé avec son exigence habituelle pour livrer une nouvelle réussite à son actif. Intelligemment vendu par des bandes-annonces annonçant le «feel-bad movie» de Noël 2011, MILLENIUM version Fincher n’a rien à envier, question sueurs froides et malaises, à ses prédécesseurs.  

 

*d’un pays à l’autre, l’orthographe varie, ainsi que le titre… En France, ce sera MILLENIUM – LES HOMMES QUI N’AIMAIENT PAS LES FEMMES, traduction littérale du titre original du roman ; les pays anglo-saxons, eux, préfèreront MILLENNIUM – THE GIRL WITH THE DRAGON TATTOO. Quitte à m’attirer quelques N, j’appellerai juste le film MILLENNIUM, pour plus de commodité… 

 

 

The-Girl-with-the-Dragon-Tattoo-7 dans Fiche et critique du film

Inutile de revenir en détail, je pense, sur le succès de l’œuvre de l’écrivain suédois Stieg Larsson. Rappelons que cet ancien journaliste d’investigation devenu écrivain, totalement engagé dans son pays natal dans la lutte contre le fascisme et l’extrême droite, n’a jamais connu de son vivant le succès de sa trilogie policière. Il est mort du cancer le 9 novembre 2004, et ce n’est que l’année suivante que le manuscrit des HOMMES QUI N’AIMAIENT PAS LES FEMMES est devenu un roman à succès. La réussite posthume de la série a d’ailleurs créé un sérieux contentieux juridique entre sa compagne de longue date, Eva Gabrielsson, légitimement impliquée dans la création des livres, et la propre famille de Larsson, son père et son frère ayant juridiquement droit aux bénéfices posthumes de l’auteur, malgré une brouille complète…

 

Conflits judiciaires et familiaux sévères étant d’ailleurs au centre de l’intrigue du premier MILLENNIUM, on devine d’où provient une partie personnelle de l’inspiration de l’auteur pour son histoire.

Le reste est Histoire, comme on dit, et la Suède a pu voir dès 2009 la première adaptation filmée du roman original, suivi des deux suites logiques adaptées des romans suivants (LA FILLE QUI RÊVAIT D’UN BIDON D’ESSENCE ET D’ALLUMETTES et LA REINE DANS LE PALAIS DES COURANTS D’AIR). Ces adaptations sont arrivées sur le petit écran en France, sur Canal+, et les spectateurs ont pu ainsi découvrir le talent de la comédienne Noomi Rapace dans le rôle de la hackeuse Lisbeth Salander. Courtisée par les grands studios, Miss Rapace aurait pu rempiler dans cette nouvelle version, mais a préféré arrêter là l’expérience MILLENNIUM pour d’autres aventures filmiques (SHERLOCK HOLMES 2 et PROMETHEUS).

 

Mais revenons au film de Fincher. Première constatation : pour adapter pareil pavé, il faut avoir un sens aiguisé de la narration et de la construction dramatique. Film conçu pour le marché international, MILLENNIUM ne partait pas forcément gagnant d’avance : a priori, intéresser le spectateur aux méandres de la haute finance, à l’Histoire de l’extrême droite en Suède et à la description de crimes particulièrement sinistres, n’est pas synonyme de succès public… Se sentant d’ailleurs malheureusement peu concernés par le sujet, les spectateurs américains l’ont plutôt boudé, au contraire du public international. La profusion de personnages autour des deux anti-héros enquêteurs Mikael Blomkvist et Lisbeth Salander pouvait aussi être un handicap sérieux… Heureusement, Fincher sait se faire épauler par les meilleurs auteurs.

Pour gérer et rendre clair le flot d’informations délivrées par le «pavé» de Larsson, il faut un scénariste à l’esprit et au sens de la narration des plus pointus. C’est heureusement chose faite avec Steven Zaillian aux commandes du script. Rappelons que Zaillian doit sa réputation à un CV impressionnant : notamment LE JEU DU FAUCON de John Schlesinger, LA LISTE DE SCHINDLER de Steven Spielberg, HANNIBAL et AMERICAN GANGSTER de Ridley Scott, GANGS OF NEW YORK de Martin Scorsese, et le tout récent MONEYBALL / Le Stratège de Bennett Miller, avec Brad Pitt. Une constante chez lui, quel que soit le sujet et l’époque : un souci extrême de clarté narrative, associé à un travail de documentation très poussé, qu’il s’agisse d’aborder la Shoah, les émeutes des conscrits new-yorkais de la Guerre de Sécession, le trafic de drogue durant la Guerre du Viêtnam ou les tractations financières du monde du baseball.

L’expérience de Zaillian pour HANNIBAL aura largement servi ici : il a déjà su livrer, sans fioritures, une adaptation d’un précédent best-seller du polar / thriller / horreur, impliquant un personnage culte (en l’occurrence Hannibal Lecter, création du romancier Thomas Harris)… Et, plus encore que pour HANNIBAL (qui prenait ses distances avec le roman très controversé), un refus du compromis avec les exécutifs et les spectateurs. Zaillian aborde les choses directement, quand il s’agit de plonger ses personnages dans un univers criminel réellement angoissant…

  

The-Girl-With-the-Dragon-Tattoo-1Amusant, d’ailleurs, de rappeler la «connection» établie certains des films de Ridley Scott et ceux de David Fincher. Comme toute une génération d’ados nourris à la science-fiction, Fincher a été profondément marqué par les deux classiques du genre dus à son congénère britannique, ALIEN et BLADE RUNNER.

Fincher fit ainsi ses premières armes de réalisateur sur des publicités remarquées, notamment une pour Pepsi totalement inspirée par BLADE RUNNER. Les producteurs de Brandywine, à l’origine de la saga ALIEN, furent suffisamment impressionnés par son travail pour lui confier en guise de premier film le tournage d’ALIEN 3. Une occasion rêvée pour le jeune Fincher de développer l’univers mis en place par Scott, l’opportunité de travailler avec Sigourney Weaver et des collaborateurs du cinéaste (le chef monteur Terry Rawlings, notamment). Si le tournage et la post-production deviendront vite un cauchemar pour le jeune réalisateur harcelé par les cadres de la Fox, son ALIEN 3 reste à ce jour la meilleure des trois suites données au film de Scott, bien supérieure au pourtant culte et terriblement belliqueux ALIENS LE RETOUR de James Cameron. 

Fincher reviendra trois ans plus tard en pleine forme et en totale maîtrise de son traumatisant SEVEN, qui doit encore quelque chose aux films de Ridley Scott : la découverte du premier meurtre est aussi claustrophobique en soi que l’exploration de l’épave extra-terrestre d’ALIEN ; et l’ambiance générale du film, avec sa ville tentaculaire perpétuellement sous la pluie, s’inspire là aussi de BLADE RUNNER. Le talent de Fincher ne se limitera pas heureusement à imiter le travail de son aîné, et il s’est depuis longtemps affranchi de cette reconnaissance… mais l’ironie du destin fait qu’avec MILLENIUM, il revient en territoire familier. Son scénariste a déjà écrit deux films pour Scott (HANNIBAL, donc, et le remarquable AMERICAN GANGSTER), et, tandis qu’ils adaptent ici MILLENIUM, Noomi Rapace, l’actrice révélée par la version suédoise, tournait dans le même temps PROMETHEUS pour Ridley Scott ! Ce dernier film étant un retour direct à la science-fiction et à l’univers d’ALIEN… Pour terminer la «connection» entre les deux cinéastes, signalons qu’un moment important de l’enquête de Blomkvist (Daniel Craig) tourne autour d’une série de photographies suspectes, comme dans une scène célèbre de BLADE RUNNER. On y reviendra. 

 

The-Girl-with-the-Dragon-Tattoo-6MILLENIUM, en plus d’être une enquête policière complexe, est aussi le portrait de deux personnages remarquablement écrits et interprétés, un duo d’enquêteurs mal ajustés l’un à l’autre, et marginalisés pour des raisons différentes.

Impeccablement interprété aux antipodes par Daniel Craig, Mikael Blomkvist est un journaliste finalement assez ordinaire, tenace et intelligent, mais aussi capable de commettre de sérieuses erreurs de jugement. A l’instar du détective classique, il est toujours sur le fil du rasoir, amené à évoluer en marge de la société, et mis en danger par les puissants de ce monde. Un personnage crédible, car totalement anti-héroïque… mais attachant par son obstination et ses défauts. Craig excelle à créer ce personnage très ordinaire, mû par son sens du devoir en faveur de la vérité, mais loin du James Bond flingueur froid et bondissant que l’on connaît, et souvent «pépère» dans sa façon d’être.

 

Lisbeth Salander, prodigieusement incarnée par Rooney Mara, est quant à elle un personnage exceptionnel. La jeune comédienne de 23 ans, américaine d’origine irlandaise, réussit un tour de force. On l’avait déjà remarqué chez Fincher dans son précédent film, THE SOCIAL NETWORK, où elle campait la douce étudiante bostonienne qui plaque Mark Zuckerberg dès la première scène. Mara s’est totalement transformée, physiquement et psychologiquement ; émaciée, blafarde, bardée de piercings et tatouages, elle est un mélange détonant de force et de fragilité. Sa performance lui a valu une nomination méritée à l’Oscar.

 

On devine que Fincher a accepté de réaliser le film pour ce personnage profondément asocial, une marginale extrême dont la fragilité psychologique apparente cache un tempérament de guerrière.

En cela, Lisbeth rejoint la galerie très variée des personnages «finchériens» : souvent décalés, atypiques, marginalisés, voire carrément sociopathes dans certains cas… Lisbeth est aussi marginale que le sont par exemple Ripley dans ALIEN 3 (isolée dans une communauté de détenus violents et mystiques), William Somerset (flic cultivé et désabusé par rapport à ses collègues cyniques) dans SEVEN, les protagonistes de FIGHT CLUB (notamment Marla, le personnage joué par Helena Bonham Carter, dont elle pourrait être la petite sœur), l’extravagant journaliste Paul Avery (Robert Downey Jr.) dans SEVEN, ou Mark Zuckerberg et Sean Parker tels qu’ils sont représentés dans THE SOCIAL NETWORK…

Avec MILLENNIUM, Fincher et Zaillian décrivent avec acuité le parcours et la revanche personnelle d’une jeune femme très loin des normes sociales en vigueur. Le look «gothique punk» et motarde tatouée de Lisbeth y est pour beaucoup, mais il faut voir cette apparence comme une sorte d’armure contre une société menaçante à ses yeux. Une hypothèse revient souvent à son sujet, concernant son attitude et sa façon de penser souvent déroutantes, même pour son allié Blomkvist. Lisbeth a probablement un Syndrome d’Asperger très poussé – un sujet déjà évoqué en filigrane par Fincher dans SOCIAL NETWORK à travers le portrait qu’il fait de Mark Zuckerberg.

Plusieurs points corroborent cette théorie : d’abord son centre d’intérêt, l’informatique, le hacking et les écoutes (souvent illégales…), une passion-obsession exclusive qui constitue toute sa vie mais la rend aussi totalement marginale. Cela va de pair avec sa vulnérabilité psychologique face aux représentants de l’Autorité, principalement ce répugnant avocat, Bjurman, qui va abuser de son pouvoir et commettre l’inacceptable envers elle. Lisbeth a aussi le comportement «évitant» de nombreux «Aspies» en panne de confiance : elle ne regarde pas ses interlocuteurs dans les yeux, et parle doucement, très bas. Sa sensibilité sensorielle est très particulière : si elle fréquente les bars avec la musique poussée à fond, et supporte le rugissement de sa moto, elle réagit mal aux bruits brusques et violents (voir sa réaction au passage d’un train lancé à pleine vitesse). De la même façon, elle supporte piercings et tatouages (dont un sur une cheville blessée !) sans broncher… 

Quant à ses accès de violence subite, chose très rare chez les «Aspies», ils ne sont que des réponses à ses agresseurs : elle tabasse un voleur à la tire parce que celui-ci a volé son sac, contenant le matériel et les informations indispensables à son travail – sa passion et sa vie. Pas question de négocier sa restitution, Lisbeth s’en va froidement rouer le voleur de coups sous le regard médusé des passants, avant de s’en aller.

L’avocat Bjurman va faire également les frais de la violence rentrée «explosive» de Lisbeth. Fincher filme sans fioritures les séquences les plus difficiles du film, celle du viol et de la vengeance de la jeune femme sur son agresseur. Les deux scènes flirtent avec le genre «Rape and Revenge», sans heureusement glorifier dans les deux cas la violence des séquences. Le viol, et la vengeance de Lisbeth, se répondent dans l’atrocité… Ces séquences, visuellement inspirées par les moments les plus durs de L’EXORCISTE de Friedkin, provoquent le malaise du spectateur, à juste titre. Mais Fincher et Zaillian ne lâchent rien au sujet de Lisbeth : s’ils montrent d’abord que la jeune femme ne pardonne rien à son agresseur, ils rappellent aussi son intelligence atypique, qui va de pair avec une totale absence du sens social.

Lisbeth torture son agresseur, finalement un pauvre type assez pitoyable, non pas pour le plaisir, mais pour le faire chanter. Par des moyens moralement inacceptables, la jeune femme renverse les rôles et peut ainsi reprendre ses activités d’enquêtrice géniale sans avoir à subir les pressions de l’Etat suédois…

 

Le comportement tantôt attachant, tantôt inquiétant de Lisbeth, déroute même Blomkvist qui est tout surpris de se retrouver dans le lit de sa jeune collaboratrice, qui prend toutes les initiatives. Les avances sexuelles de Lisbeth sont sa propre façon d’exprimer son intérêt amoureux pour le journaliste pourtant déjà «casé» ; encore plus fort, la jeune femme, une fois l’affaire close, va prendre des risques fous pour «venger» Blomkvist de l’industriel Wennerström… Sa victoire ne servira pas à grand-chose, comme le montre la dernière scène. Lisbeth revient voir Blomkvist, persuadée qu’ils vont pouvoir reprendre leur liaison ; elle ne réalise qu’à ce moment-là que le journaliste a depuis longtemps laissé tomber cette histoire, et a repris sa vie ordinaire avec sa compagne Erika… Toujours marginale, Lisbeth repart dans la nuit, tel un chevalier solitaire sur son destrier.

 

On notera par ailleurs que le «profil Asperger» de Lisbeth va de pair avec l’intérêt et les critiques que Fincher porte à l’encontre des nouveaux médias. Ce qui relie parfaitement MILLENNIUM au précédent SOCIAL NETWORK. L’explosion du marché des réseaux sociaux sur Internet a entraîné un bouleversement profond de nos sociétés en l’espace d’une décennie, «tuant» l’idée de vie privée et d’informations confidentielles, qui sont au cœur de l’intrigue policière de MILLENNIUM. Hackeuse géniale, Lisbeth se plonge totalement dans les écoutes et le hacking, au mépris de toute règle éthique. Malgré toute la sympathie que l’on peut avoir pour le personnage, l’inquiétude demeure. Des vies et des réputations peuvent être détruites en peu de temps. Ce n’est sans doute pas un hasard d’ailleurs, si Fincher donne à Wennerström, l’industriel véreux qui salit la réputation de Blomkvist, un air de famille avec le controversé fondateur de WikiLeaks, Julian Assange (qui pourrait être lui-même un «Asperger», si l’on croit certaines pages Internet. Un comble !). 

 

The-Girl-With-the-Dragon-Tattoo-2MILLENNIUM est aussi l’occasion pour Fincher de dépeindre la société d’une époque particulière. On peut constater une certaine évolution de son approche, de film en film. Si par exemple SEVEN, exceptionnel thriller mêlé de Fantastique horrifique, restait encore dans l’abstraction (l’histoire se situe dans une ville qui pourrait être n’importe laquelle dans le monde, à n’importe quel moment de la fin du 20e Siècle), ses autres thrillers tenaient progressivement compte d’un certain cadre social très spécifique : la fin du 20e Siècle marquée par la mondialisation sous ses formes les plus inquiétantes, les nouvelles obsessions sécuritaires, les replis communautaires et extrémistes (THE GAME, FIGHT CLUB et PANIC ROOM formant un tout cohérent à ce sujet) ; ou bien l’ambiance du San Francisco des années 1970 vivant dans la terreur d’un tueur anonyme dans ZODIAC. MILLENNIUM se penche quant à lui sur le passé récent d’un pays, la Suède, réputé pour sa qualité de vie et son respect de la démocratie, mais qui est montré comme particulièrement inquiétant… à moins que l’intrigue ne soit pour Fincher un prétexte pour mettre en garde, à travers le portrait d’une «charmante» famille, le spectateur contre les vieux démons ressurgissant partout dans la vieille Europe.

 

Le réalisateur dresse un portrait de famille, les Vanger, apparemment irréprochable. Autour de la figure du patriarche (Christopher Plummer, toujours impeccable dans ce type de rôle, remplace au pied levé Max Von Sydöw initialement prévu), se déploie en réalité un beau nid de vipères… On a beau posséder les mêmes terrains sur la même île, personne ne se parle et chaque membre de la famille a son propre «palais» séparé des autres ! Ce n’est que la moindre bizarrerie relevée par Blomkvist au sujet de ses hôtes, dont l’onctueux Martin (Stellan Skarsgard, parfaitement «casté» lui aussi pour ce genre de rôle) devient le nouveau chef. Rien n’est ce qu’il semble être, dans ce cercle familial des plus inquiétants…

Le journaliste ne tarde pas à s’en rendre compte à ses dépens ; au-delà des luttes de pouvoir propres aux grandes familles, il découvre d’autres facettes particulièrement laides. Le passé nazi de certains membres, des suspicions de meurtres en série et même une sale histoire d’inceste… le tout s’entremêlant sur des références occultistes et apocalyptiques – les extraits du Lévitique cités et appliqués à la lettre par un ou plusieurs assassins, selon un mode opératoire proche du tueur de SEVEN. Presque classique, si l’on ose dire, de la part de Fincher, qui avec ses films précédents, avait brillamment su rappeler les obsessions occultes récurrentes chez les tueurs en série – voir aussi le Tueur du Zodiaque.

En filigrane de ces meurtres, Fincher emboîte le pas de Stieg Larsson, qui comme ses collègues romanciers scandinaves avertissait ses contemporains contre la résurgence de l’extrême droite, toujours d’actualité hélas. MILLENNIUM rappelle que la Suède n’est pas à l’abri du retour de la Bête Immonde, pas plus qu’aucun pays européen…

 

Dressant le portrait du meurtrier démasqué par nos deux enquêteurs, Fincher change son approche du tueur en série. «John Doe» (Kevin Spacey) dans SEVEN correspondait plus à un archétype, celui de l’assassin machiavélique tel que le public peut se le représenter (doublé cela dit d’un «commentateur social» impitoyable – voir la scène de discussion dans la voiture avec les deux policiers) ; Arthur Leigh Allen (John Carroll Lynch), le présumé tueur de ZODIAC, était quant à lui bien réel, mais était bien loin d’être un génie du crime… l’effroi qu’il provoquait naissait de son intelligence perverse, associée à sa vie franchement pitoyable (la scène de la caravane, avec les écureuils…). Martin Vanger, le tueur de MILLENNIUM, quant à lui, est courtois, socialement au-dessus de tout soupçon, très intelligent et jouit d’un sentiment d’impunité qu’il résume par une phrase révélatrice : ses victimes, selon lui, «ont bien plus peur de vous froisser que de souffrir»… Parfaitement connaisseur des codes sociaux normaux, il les retourne à son avantage pour piéger ses proies. Et il sévit tranquillement, au sein d’une famille inattaquable…

 

 

The-Girl-With-the-Dragon-Tattoo-3MILLENNIUM se distingue enfin, comme de bien entendu, par la qualité de sa mise en scène, ce qui ne surprend pas chez Fincher, dont on connaît l’exigence à tous les niveaux techniques.

La photographie de Jeff Cronenweth, complice de Fincher depuis FIGHT CLUB, est impeccable ; le clair-obscur, «spécialité» esthétique du réalisateur, est judicieusement utilisé pour l’ambiance hivernale, typiquement scandinave, du récit. Tout comme les basses lumières employées à leur avantage ; la projection du film sur support numérique donne à l’image une qualité psychologique unique. On peut littéralement «sentir» les ténèbres dans plusieurs séquences – notamment une poursuite routière nocturne qui ne perd jamais le spectateur… ceci alors qu’elle est situé en pleine nuit, dans une forêt, opposant deux personnages vêtus de noir et aux commandes de véhicules eux-mêmes entièrement noirs !

 

Le montage n’est pas en reste ; réutilisant des techniques employées sur THE SOCIAL NETWORK, Fincher modifie de façon très subtile le rythme de l’histoire. Une montée en puissance progressive, depuis des scènes d’introduction relativement calmes, avant que la tension prenne le dessus, selon les règles classiques du thriller hitchcockien. Jusqu’à un troisième acte (la «grande combine» de Lisbeth aux dépens de Wennerström) très fluide, et presque «apaisé» pourrait-on dire après les épreuves vécues par les deux héros du film.

 

Le montage et le découpage sont comme toujours au service de l’histoire, jouant sur la suggestion dans les scènes les plus éprouvantes… procédé somme toute classique, mais d’une efficacité imparable pour accentuer le malaise du spectateur. Celui-ci est amené à ressentir les effets traumatisants de la violence, au lieu de jouir de son spectacle comme dans tout mauvais film d’horreur ; la démarche de Fincher est honnête à ce niveau, éloignée de certaines accusations clichés de complaisance dont on l’avait affublé, par exemple pour FIGHT CLUB. Ces séquences, chez Fincher, ne sont jamais conçues pour autre chose que de comprendre l’angoisse des victimes de tout acte de violence. Une attitude qu’il garde depuis ses débuts ; le cinéaste exorcise régulièrement les mêmes peurs dans ses films, dont celle de l’agression sexuelle. Ripley échappait d’extrême justesse à un gang de détenus dans ALIEN 3 ; un homme victime de John Doe se voyait forcé de commettre un meurtre sexuel et en restait traumatisé ; le double crime au bord du lac, commis par le tueur de ZODIAC sur les deux étudiants, choquait par son caractère sexualisé… Les scènes les plus violentes de MILLENNIUM s’inscrivent dans cette même démarche.

 

Autre atout indéniable du travail de mise en scène de Fincher, l’utilisation de la bande son contribue à l’ambiance angoissante voulue par le cinéaste ; il s’appuie sur un complice surdoué, Ren Klyce (associé de Fincher depuis SEVEN), capable de transmettre des informations quasi subliminales par les effets sonores. Le choix des chansons, chez le cinéaste, est aussi important que la musique composée par Trent Reznor. Le décalage provoqué par une chanson à succès d’Enya, «Orinoco Flow (Sail Away)» dans le climax du film, décuple la peur. Dans cet exercice-là, Fincher s’est toujours montré d’une efficacité imparable. Réécouter, par exemple, l’hallucinogène «White Rabbit» des Jefferson Airplane dans THE GAME, ou l’inquiétant «Hurdy Gurdy Man» de Donovan dans ZODIAC…

 

Le talent de Fincher s’apprécie enfin, bien entendu, par ce sens du visuel unique, qui explose dès un générique d’ouverture n’ayant rien à envier à celui, mille fois copié depuis, de SEVEN. C’est indescriptible, à vrai dire, quand on le voit (ou plutôt qu’on le «reçoit») à vitesse normale pour la première fois : une plongée directe dans l’esprit perturbé de Lisbeth Salander, une espèce de «cauchemar de goudron» évoquant une relecture ravagée des génériques de James Bond. Mais l’effet provoque déjà un fort sentiment de peur et de répulsion !

La mise en scène est irréprochable, comme toujours, donnant presque l’impression d’une «facilité», d’une simplicité en réalité difficile à atteindre. Motivé par le souci de ne jamais perdre le spectateur en cours de route dans les méandres de l’intrigue, David Fincher trouve toujours l’idée visuelle juste au bon moment. Il développe notamment, dans un moment clé de l’intrigue, un discours pertinent sur le Cinéma, à l’intérieur de l’enquête décrite. A savoir l’étude méticuleuse d’une série de photographies de la femme disparue, où Blomkvist repère un subit changement d’attitude de cette dernière : elle a vu quelque chose qui la terrifie et s’en va… L’information «hors champ» (ce qu’elle a pu voir) devient alors un enjeu narratif fondamental ; et tels de minutieux documentalistes, Blomkvist et Lisbeth vont devoir mener une quête difficile, celle du «contrechamp» révélateur… Derrière la référence cachée à la scène influente de BLADE RUNNER (Harrison Ford explorant les coins et recoins cachés d’une obscure photographie), Fincher réussit un joli exploit : captiver le spectateur pendant une grande partie de son film avec la recherche ardue de cette image manquante.

 

 

Et voilà comment, entre autres choses, David Fincher tire vers le haut ce qui était au départ considéré comme une simple commande et un remake. Excellent travail pour un excellent thriller hivernal.

 

 

 

Ludovic Fauchier, le Blogueur qui n’aime pas les Hommes qui n’aiment pas les Femmes qui n’aiment pas les Hommes qui n’aiment pas les Chats qui n’aiment pas la pâtée pour chats… enfin, bref…

Le Singe d’une Nuit d’Eté, 1e Partie – RISE OF THE PLANET OF THE APES / La Planète des Singes : Le Commencement

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RISE OF THE PLANET OF THE APES / La Planète des Singes : Les Origines, de Rupert WYATT   

L’Histoire :    

Quelque part en Afrique… Des chimpanzés sauvages sont pourchassés par des braconniers. Capturée, une guenon est envoyée à l’autre bout du monde, à San Francisco, où elle fait partie d’un groupe de chimpanzés soumis à des tests scientifiques dans les laboratoires de la société de thérapie génique, Sys-Gen. Le jeune docteur Will Rodman injecte à la femelle, surnommée «Bright Eyes» («Beaux Yeux»), un virus expérimental, l’ALZ-112, destiné au traitement de la Maladie d’Alzheimer. Le résultat enthousiasme Will : l’intelligence et les facultés cognitives de Bright Eyes sont démultipliées, ouvrant ainsi le champ à la commercialisation d’un futur médicament contre la terrible maladie qui frappe des millions d’humains, dont Charles, le propre père de Will. Mais le jour de la présentation des résultats du test, la femelle agresse et blesse plusieurs personnes avant d’être abattue. Sur ordre du comité exécutif, le supérieur de Will, Steven Jacobs, ordonne que les chimpanzés soumis au même traitement doivent être tous tués immédiatement. Will découvre que Bright Eyes avait caché la naissance de son bébé, et ne faisait que le protéger. Il recueille le chimpanzé orphelin et le garde chez lui, comme animal de compagnie pour son père.    

  

Trois ans passent, et le petit chimpanzé, baptisé Caesar, développe un peu plus chaque jour d’étonnantes facultés prouvant son intelligence, sa mémoire et sa sensibilité accrue. Will comprend que l’ALZ-112 a été génétiquement transmis par Bright Eyes à Caesar, quand elle était enceinte, et cache sa découverte à Jacobs. Il vole aussi des échantillons du médicament pour les administrer à son père, qui retrouve sa pleine mémoire et ses facultés intellectuelles. Et, suite à un incident sans conséquences pour Caesar, Will rencontre la jolie vétérinaire Caroline Aranha. Les deux jeunes gens tombent amoureux. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes…  Mais cinq ans plus tard, une série d’incidents liés à la rechute de Walter, malgré son traitement, va bouleverser à jamais la vie de Caesar, et l’avenir de l’espèce humaine…    

Image de prévisualisation YouTube     

Impressions :    

Dans un souci de fraternité et d’équité entre toutes les espèces primates, dont nous faisons partie, j’ai décidé de laisser la place à un jeune confrère plein de talent et promis à un radieux avenir : Edgar Allan Pongo, dont voici la photo…

  

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C’est à lui de nous parler du film RISE OF THE PLANET OF THE APES, LA PLANETE DES SINGES : LES ORIGINES. Vas-y mon grand, nous sommes prêts à te lire !   

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ENLEVE TES SALES PATTES DE MON CLAVIER, MAUDIT SALE SINGE !!! 

(coups de feu, bruits de lutte, mobilier renversé)    

… Ah je vous jure, les singes… on leur donne la main, et voilà à quoi on a droit en retour. Sales bêtes. … Je reprends les choses en main pour vous parler de cette nouvelle mouture de LA PLANETE DES SINGES.    

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Replaçons d’abord les choses dans leur contexte. Les droits du roman original de Pierre Boulle, l’auteur français du PONT DE LA RIVIERE KWAÏ, sont depuis longtemps déjà la propriété exclusive de la 20th Century Fox. Bien avant les STAR WARS et autres films de science-fiction ultérieurs, le succès de LA PLANETE DES SINGES, signée par Franklin J. Schaffner en 1968, a engendré de profitables revenus pour le studio, entraînant une flopée de suites (de qualité souvent assez faible, il faut bien l’avouer, malgré la sympathie que l’on peut avoir pour elles), une série télévisée assez gratinée et une foule de produits dérivés tout au long des années 1970. Restée propriété de la Fox au fil des décennies, la saga a, par son statut «culte», donné forcément envie aux détenteurs de ses droits légaux de renouveler l’histoire originale à l’ère du cinéma numérique. Au terme d’un «development hell» typique, et après avoir épuisé l’intérêt d’une bonne dizaine de réalisateurs «bankables» (de James Cameron à Oliver Stone, en passant par Robert Rodriguez ou Michael Bay…), c’est finalement Tim Burton qui a hérité du bébé pour mener le projet à terme en 2001, sous forme d’un nouveau film qui, s’il portait le titre du film original de Schaffner, s’en éloignait beaucoup dans la forme, ne gardant que l’idée maîtresse de l’astronaute échoué sur une planète où les primates forment la civilisation dominante, réduisant les humains au rang d’animaux dénués de raison. Le film de Burton fut un grand succès public, mais reçut un accueil mitigé. Il a des qualités personnelles, typiquement «burtoniennes» : un sens de l’imagination visuelle qui n’appartient qu’à son auteur ; les maquillages élaborés du grand Rick Baker, plus sophistiqués que ceux, récompensés en leur temps, de son prédécesseur John Chambers ; et des scènes pleines de bizarrerie, entre la drôlerie grinçante et l’effroi provoqué par les primates, durant les séquences situées dans la cité des singes où échoue le héros. Mais Burton lui-même avouait qu’il ne s’était pas senti très à l’aise avec les obligations du «blockbuster» que la Fox lui imposait… d’où ce sentiment mitigé qui ressortait durant le film. Le poids du film original se faisait ressentir, en défaveur de Burton. L’astronaute héroïque campé par Mark Wahlberg semblait bien falot, comparé à la mélancolique gravité du grand Charlton Heston dans le film d’origine… le personnage était même bien moins intéressant que les personnages simiesques campés par Helena Bonham Carter et le terrifiant Tim Roth. Et les scènes d’action, poursuites et batailles, passage obligatoire des superproductions, n’étaient clairement pas ce qui motivait Burton. La plus grande controverse était celle de la scène finale, tirée du roman original de Boulle. Très «burtonienne» par son ton mi-sérieux mi-halluciné, elle semblait cependant sortir de nulle part, comme imposée là par le scénario cherchant à trouver un «twist» final aussi renversant que la célèbre scène finale du film d’origine : l’image emblématique d’un Charlton accablé aux pieds d’une Statue de la Liberté, engloutie dans les sables de la Planète des Singes…   

Bref, se frotter à la «mythologie» instaurée par le film original et ses suites n’était pas un exercice facile, même pour un cinéaste imaginatif et confirmé comme l’est Burton, qui est passé depuis à des projets plus personnels. Le succès de LA PLANETE DES SINGES version 2001, par contre, laissait la Fox avec un encombrant «bébé» sur les bras… Il est évident qu’une nouvelle mouture allait voir le jour pour une stricte raison commerciale, mais comment faire pour intéresser le public sans «saborder» le produit final ? La réponse est finalement assez simple : le «reboot», terme barbare à la mode, qui a donné des résultats efficaces par le passé. On applique à la Planète des Singes le même traitement qu’ont pu subir les films les plus récents de Batman ou James Bond : on reprend tout à zéro ! Voici donc RISE OF THE PLANET OF THE APES, l’Emergence de la Planète des Singes, ou LA PLANETE DES SINGES : LES ORIGINES, signé d’un nouveau venu, Rupert Wyatt.    

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Âgé de 39 ans, inconnu du grand public, ce jeune réalisateur anglais ancien du Winchester College, vient du milieu du documentaire, où il a fait ses preuves en tant que producteur, s’intéressant à des thèmes sociaux très marqués. Il est ainsi le co-fondateur de la société The Picture Farm, qui a notamment produit DARK DAYS, film sur la vie de SDF réfugiés dans le «Freedom Tunnel», une voie souterraine de métro désaffectée au-delà de Harlem. Wyatt signe là son second long-métrage après THE ESCAPIST (2008), un drame et un film d’évasion carcérale avec Brian Cox et Joseph Fiennes. Un film récompensé dans de nombreux festivals internationaux, et remarqués au prestigieux Festival de Sundance. Ce film et le succès des documentaires de The Picture Farm ont suscité l’intérêt de la Fox et lui ont permis d’obtenir les rênes de la production de cette nouvelle PLANETE DES SINGES. Un choix risqué mais payant au final, puisque Wyatt, fort d’une part de ses acquis en matière de cinéma «social», aidé par la logistique d’une superproduction américaine, réussit à «rénover» intelligemment la saga originale. Deux scénaristes vétérans, Rick Jaffa et Amanda Silver (LA MAIN SUR LE BERCEAU, RELIC), se sont vus chargés de renouveler l’univers des singes révoltés en élaborant une histoire classique, bien structurée, et puisant nombre d’idées dans les indices semés par le film de Schaffner et ses suites. Pour résumer, le film est l’histoire du moment où tout a basculé : l’Humanité, persuadée d’être l’espèce dominante et toute-puissante sur la planète, commet une cascade d’erreurs et se voit renversée au sommet de la pyramide par ses proches cousins chimpanzés, gorilles et orang-outangs, bénéficiaires par accident des expériences scientifiques menées par des savants inconscients. Au lieu de nous projeter dans le futur où des astronautes découvrent, choqués, le fait accompli d’une «civilisation inversée», RISE OF THE PLANET OF THE APES nous montre donc comment le rapport entre l’Homme et l’Animal s’est renversé au profit de ce dernier. Le scénario s’inspire particulièrement de LA CONQUÊTE DE LA PLANETE DES SINGES (1972), le quatrième film réalisé par J. Lee Thompson ; kitsch en surface, le film de Thompson s’inspirait cependant de l’actualité la plus brûlante (les émeutes raciales du quartier de Watts, à Los Angeles), et délivrait finalement une parabole sur le racisme et le fascisme, thème récurrent sur l’ensemble des films, porté ici à son paroxysme malgré la maigreur des moyens de la production. RISE… développe des idées intéressantes, en tenant compte d’une part de thèmes propres au 21e Siècle et d’autre part en glissant aux nostalgiques de la saga une série de petites «surprises» bienvenues !   

Le point fort de ce film n’est donc pas une simple affaire d’effets spéciaux – remarquablement utilisés, cela dit. Le point fort de RISE… est une chose de plus en plus inattendue, quand on parle d’un blockbuster américain estival : une histoire SOLIDE !! Derrière les prouesses techniques attendues, on découvre, ô surprise, des personnages simples en surface mais attachants et plus complexes qu’il n’y paraît de prime abord ; un crescendo narratif solidement mené (malgré quelques réserves pour le dernier acte, on y reviendra) ; et une empathie réelle pour le camarade Caesar, libérateur malgré lui de primates très remontés, à juste titre, contre les abus de pouvoir de l’Homo Sapiens…    

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A contrario du film de Burton, qui donnait parfois l’impression de se perdre en route sans dégager un thème narratif particulier, cette nouvelle mouture pose d’emblée le sien. Wyatt, formé donc au documentaire et au film social, renoue d’une certaine façon avec l’esprit de la saga originale. Derrière le grand spectacle et l’exotisme, celle-ci avait le mérite de développer des thèmes prédominants en 1968 et dans les années suivantes. Le film de Schaffner, notamment, écrit par deux scénaristes socialement très impliqués : Michael Wilson, dramaturge «blacklisté», victime de l’intolérance du Maccarthysme, et Rod Serling, l’immortel «père» de LA QUATRIEME DIMENSION, doublé d’un critique politique terriblement lucide sur les excès de son pays (voir son scénario pour le film de John Frankenheimer, SEPT JOURS EN MAI, sur un putsch de généraux, écrit et réalisé à l’époque de la Crise Cubaine et l’assassinat de John Kennedy). Wilson et Serling y attaquaient avec une intelligence et un humour acéré – le «procès des singes» arbitraire mené contre Charlton Heston – les travers de la société américaine de l’époque. Les autres films tenteront maladroitement de poursuivre dans la même veine : on y verra notamment des chimpanzés manifester contre une offensive militaire menant à la destruction nucléaire (on est en pleine Guerre du Viêtnam et les manifestations étudiantes anti-guerre sont légion), ou des singes et des hommes unis pacifiquement tenter de lutter contre le racisme des clans plus extrémistes des deux bords. RISE OF THE PLANET OF THE APES renoue avec la tradition «simiesque sociale» en ce chaotique 21e Siècle. Principale cible du scénario : la mainmise des grands laboratoires pharmaceutiques privés. Voilà un sujet intéressant, traité par le prisme de la science-fiction : l’un des aspects les plus pervers du néolibéralisme qui sévit maintenant depuis des décennies est l’«invasion» du secteur médical par ce dernier. Les grands groupes de la recherche médicale multiplient depuis des années les effets d’annonce de produits miracles guérissant les pires maladies qui frappent l’humanité : cancer, SIDA, maladie d’Alzheimer… Les profits sont énormes et les résultats sur l’efficacité des produits commercialisés, contestables pour ne pas dire pire. Et il faut bien, si l’on ose dire, que ces remèdes soient expérimentés avant d’être validés… Comme l’expérimentation humaine est supposée proscrite, pour des raisons éthiques et historiques évidentes, les laboratoires se tournent vers les espèces animales les plus «compatibles». Et c’est ainsi que nos chers cousins génétiques, les grands singes, ont payé malgré eux un très lourd tribut à la recherche scientifique. 

Cela entraîne, comme on le voit dès les premières minutes du film, un autre effet pervers : la décimation progressive d’espèces animales entières, éliminées ou capturées par des braconniers n’ayant pas d’autre choix que de «grappiller» l’argent que les sociétés privées veulent bien leur donner… Quant aux primates, traités comme des objets de laboratoire à qui on dénie toute intelligence ou sensibilité, ils vivent des traitements indignes, décrits par exemple dans un film oublié aujourd’hui, PROJET X (1987) avec Matthew Broderick, qui traitait d’expérimentations à but militaire pratiquées sur des chimpanzés. Dans la même veine, on pourrait aussi rappeler que ce sont des multinationales, peu regardantes sur l’éthique et le respect de l’environnement, qui ont engendré de récentes catastrophes. Des compagnies pétrolières ou minières, par exemple, pratiquant la déforestation intensive, ont ainsi «libéré» des virus dormant à l’état naturel, dans les jungles ; ces virus, contre lesquels de nombreuses espèces de singes sont naturellement immunisés depuis des siècles, se sont ensuite transmis à l’espèce humaine et ont provoqué des millions de morts. Voyez le SIDA, ou l’Ebola – comme dans le médiocre film ALERTE ! (1995), qui gâchait un passionnant sujet : un petit singe y provoquait malgré lui une terrifiante épidémie. Les auteurs de RISE… ont certainement gardé des informations précieuses à ce sujet, pour rendre crédible l’hypothèse d’une fin de la civilisation humaine provoquée par un virus incontrôlable… et contre lequel les Singes sont non seulement immunisés, mais grâce auquel ils évoluent ! Plutôt bien vue et préparée par les scénaristes et le réalisateur, la fin de RISE OF THE PLANET OF THE APES permet au film d’actualiser la saga tout en respectant ses principes fondamentaux. Quelques astronautes signalés disparus en plein vol spatial durant le film vont sûrement avoir une drôle de surprise à leur retour, le générique de fin appelant clairement à une suite imminente ! Mais en attendant que ces braves voyageurs de l’espace découvrent, horrifiés, la vérité sur la fin de leur propre espèce en s’écriant «Damn You All To Hell !!!», il nous faut bien rester sur Terre… 

Le film s’intéresse particulièrement à l’évolution de la relation entre le jeune chercheur Will Rodman (James Franco) et le chimpanzé évolué Caesar (Andy Serkis). Will travaille donc pour une de ces compagnies pharmaceutiques financièrement toutes-puissantes, et se trouve pris dans une situation contraignante, et paradoxale : sincèrement désireux d’aider les gens à guérir de l’incurable maladie d’Alzheimer, il profite pourtant des largesses de la société Sys-Gen, et de son employeur Jacobs, sans partager leur point de vue cynique sur la rentabilité et le profit à tout prix. Dans le plan «business» de Sys-Gen, froidement planifié et immédiatement applicable, l’imprévu, l’animal, n’a pas sa place. Lorsque la femelle «Beaux Yeux» vient briser symboliquement leur mur de verre avant d’être abattue, les employeurs décident tout aussi froidement de mettre fin au projet qui devait les rendre encore plus riches. Will se voit chargé d’exécuter les singes de laboratoire, mais épargne le petit Caesar… Un geste apparemment altruiste, courageux et touchant, mais pas «innocent» pour autant. Will est certes un scientifique brillant qui a remarqué le comportement exceptionnel du petit singe, et veut donc l’étudier de près. Mais il est aussi personnellement affecté par le drame de la maladie d’Alzheimer, qui frappe son propre père (John Lithgow, excellent de bout en bout). Caesar vit donc avec ce dernier, l’aidant à accomplir les tâches quotidiennes simples. Il est vrai que, dans la réalité, on peut dresser des singes capucins à aider des personnes malades, ou gravement handicapées. Un autre film oublié, signé de George A/ Romero, MONKEY SHINES (INCIDENTS DE PARCOURS, 1988), traitait de ce sujet et de ses conséquences horrifiques inattendues. RISE… applique somme toute la même idée, mais avec les grands singes.    Le geste altruiste de Will est plus douteux qu’il n’y paraît : il veut certes sauver Caesar, guérir son père et le monde entier ; mais il veut aussi se revaloriser après avoir été «grillé» par l’incident initial… et il vole en toute illégalité le médicament miracle, sans connaître ses effets secondaires, pour améliorer l’état de santé de son père. Ce talentueux jeune homme entretient finalement sa propre vanité, son égoïsme, au nom de bonnes intentions. Et ce faisant, il déclenche involontairement tout le processus de la catastrophe finale ! Donc, le drame personnel, familial, décrit en touches justes par Wyatt et ses scénaristes, va avoir une portée dévastatrice à l’échelle mondiale… c’est le mythe de Prométhée et la Boîte de Pandore, revisité à l’époque des thérapies géniques et des virus.    

à suivre…  



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