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Pour en finir avec les super-héros (ou pas)

Super-héros, trop c'est trop...

 

     Hey hey ! Me revoilà ! Monsieur Hammond, les affaires reprennent ! Je suis de retour du Futur, Doc !! Heeere’s Johnny !!! Enfin…

     De retour après… un très long congé sabbatique ! Les raisons pour lesquelles, chers lecteurs, je n’ai pas donné signe de vie sur mon blog sont trop longues à détailler ici. J’ai connu une grosse panne d’énergie, d’envie et d’inspiration. Je ne m’amusais plus à écrire, et je « plantais » à répétition devant l’écriture de ce long texte thématique. Trop de Kryptonite, sans doute… Il a fallu du temps pour recharger les batteries. 

     Autant vous prévenir : ce texte risque d’être l’un des derniers à paraître sur ce blog. Celui-ci arrive bientôt à sa taille limite de stockage mémoire, et, fatalement, je ne pourrai plus l’alimenter en nouveaux textes sans toucher aux anciens (il m’a déjà fallu supprimer les moins intéressants). Je continuerai le blog aussi longtemps que possible, avant de basculer sur un second. Pour changer un peu de la routine, il y aura moins de critiques de films sortis – formule un peu trop prévisible, et mieux vaut changer d’approche. Je pense m’orienter plutôt sur des dossiers thématiques et sur des rétrospectives de vieux classiques, comme je l’avais fait en 2015 avec la série de textes « Retour vers le Futur dans le Passé ». Donc, en quantité : moins de textes, mais plus de qualité sur le fond – enfin, j’espère !  

     Le texte ci-dessous a été long a écrire (trop, sans doute), douloureux à « accoucher », et demeure un « work in progress ». Pas d’images ni d’extraits pour le moment, j’espère pouvoir « l’habiller » un peu plus tard. Il a attendu suffisamment longtemps cependant, et donc, le voici dans sa forme brute. Il ne me reste plus qu’à vous remercier et vous souhaiter une bonne lecture, et à reprendre le chemin du clavier… A bientôt !

L. F.

 

We Don’t Need Another Hero…

    Ils sont partout !!! Les médias et la littérature les acceptent désormais, on leur consacre des essais philosophiques et de grandes expositions, tandis que l’on redécouvre que leurs géniteurs sont ou ont été des artistes fondamentaux de leurs temps. Grâce aux super-héros, notre époque se trouve une mythologie prolongeant des archétypes aussi anciens que l’Histoire de l’Humanité, dissimulés sous des affrontements de surhommes (et de surfemmes) en cape et masque en spandex. Un ancien comme moi, biberonné au Superman de Richard Donner, devrait se réjouir. Et pourtant… Force est d’avouer qu’il se crée entre le spectateur cinéphile et les Batman, Superman, Spider-Man, X-Men et compagnie une espèce de relation amour-haine déconcertante. Comme un certain malaise devant l’étendue d’un genre jadis méprisé qui a pris le pouvoir dans la culture populaire et qui réussit autant à enthousiasmer qu’à exaspérer, selon le jour et le film… Certains spectateurs les aiment, ces films, parce qu’ils sont colorés, amusants, spectaculaires et repoussent en permanence les limites de l’impossible. D’autres n’en peuvent plus, parce qu’ils semblent précisément être omniprésents, stéréotypés, répétitifs à l’excès… et qu’ils servent les impératifs commerciaux de studios / corporations plus préoccupés par les bénéfices immédiats que par la qualité artistique.  

     Les sorties régulières des mastodontes de Marvel et D.C. Comics (Thor Ragnarok et Justice League sont déjà passés quand j’écris ces lignes, Black Panther débarque tout juste, et les prochains sur la liste se nomment Aquaman, Deadpool 2, X-Men Dark Phoenix et Infinity War) nécessitent bien une vue d’ensemble de ces adaptations de super-héros au fil des ans. 

     Un petit avertissement au préalable : si ce type de films ne vous emballe pas, rien ne vous oblige à rester à lire ce texte, vous avez sans doute mieux à faire ailleurs. Et, rappel aux fans de tout bord : l’opinion exprimée sur les films en question est uniquement celle de l’auteur !

  

 

     Impossible d’aborder le genre sans évoquer sa « Préhistoire »… Où, et quand, est apparue la première histoire de super-héros ? Pourquoi cet attrait pour des êtres capables d’exploits impossibles au commun des mortels ? Posez ces questions à un connaisseur des comics, il vous répondra sans doute la même chose : Batman, Spider-Man et leurs confrères ne font que suivre une tradition mythologique aussi ancienne que l’Humanité. Il faudrait peut-être remonter à des sources diverses, comme la mythologie sumérienne (Gilgamesh), évoquer bien sûr les mythes grecs (Hercule, Achille, ou les Argonautes – premier groupe de super-héros avant l’heure ?), et certains récits bibliques (Samson). Qui sait si les enfants du Moyen-Âge se passionnaient pour les exploits du Roi Arthur, de Merlin, Lancelot et des Chevaliers de la Table Ronde, avec l’enthousiasme d’un geek moderne ? Plus près de nous, à l’entrée dans l’ère industrielle, on trouverait les personnages de la littérature victorienne pour plus proches modèles de ces mêmes héros et vilains : Sherlock Holmes, Tarzan, Dracula, le Docteur Jekyll, le Capitaine Nemo ou l’Homme Invisible (relire La Ligue des Gentlemen Extraordinaires d’Alan Moore et Kevin O’Neill). Donc, au 20ème Siècle, les surhommes masqués n’ont fait que prolonger une tradition écrite et orale ancrée dans l’Histoire. Superman et Batman, apparus en comics à la fin des années 1930, à la fin des années de la Grande Dépression et du New Deal, ne seraient pas apparus sans ces prédécesseurs. Superman, justement… Faites la liste de ses particularités : un exilé arrivé sur Terre dans un berceau, détenteur de pouvoirs divins, recueilli par des parents modestes, affublé d’une force extraordinaire, mais aussi d’une faiblesse particulière. Tout cela fait du personnage un nouvel avatar, modernisé, de Moïse, Samson, Jésus, ou le bouillant Achille. N’oublions pas non plus le rôle joué par la littérature pulp et les feuilletons radiophoniques très populaires à l’époque, dans lesquels apparurent The Shadow, Doc Savage, le Frelon Vert, Flash Gordon, le Fantôme du Bengale, Prince Vaillant, Mandrake le Magicien, John Carter de Mars ou Conan le Barbare, tous nés dans cette même période.

 

(EXTRAIT SUPERMAN 1978)

C’est un oiseau, c’est un avion…

     Pour le cinéma super-héroïque, en revanche, ce sera les vaches maigres pendant très longtemps. En dehors du sublime dessin animé Superman réalisé par les frères Dave et Max Fleischer, un modèle de dynamisme inégalé, très peu de choses…. Quelques serials poussifs et fauchés consacrés à Batman ou Captain America dans les années 1940 font bien sourire les curieux maintenant ; ils montrent à quel point les professionnels du cinéma ne s’intéressaient pas du tout à ces personnages, relégués à d’obscurs faiseurs. La télévision, via deux séries à succès, changera à peine la donne. Le Superman des années 1950 avec George Reeves n’intéresse plus grand monde aujourd’hui, mis à part pour la légende noire née autour de la fin de carrière de l’acteur principal. S’était-il suicidé ou a-t-il été assassiné parce qu’il couchait avec la femme du redoutable « fixer » de la MGM, Edward J. Mannix ? Voir le film Hollywoodland, où Reeves est incarné par Ben Affleck, futur Batman ! Batman, justement, sera sous les feux de la rampe durant les années 1960, via une série télévisée d’une kitscherie totale et assumée, très éloignée de la noirceur du comics et des films ultérieurs. Le débonnaire Adam West et son complice Burt Ward y affrontaient des vilains surjoués par des acteurs en roue libre, et le moindre coup de poing était illustré par des bulles cultissimes (« Boom ! », « Ouch !! », « Whizz !! »)… Totalement parodique (le mot exact est « camp« ), cette série a même donné lieu à un long-métrage complètement barré, avant de s’éteindre au bout de deux saisons. Disons-le, toute cette préhistoire du genre laissait clairement entendre que, pour les producteurs de cinéma, les super-héros étaient, au mieux, un objet de farce, un sous-genre impossible à traiter au sérieux.

   Et puis, vint le film fondateur du genre. L’Alpha de la « Bible » super-héroïque, son ground zero dans lequel les racines du genre prendront définitivement naissance : le Superman de Richard Donner. Professionnel sérieux rôdé à la télévision et au cinéma Richard Donner nourrissait depuis l’enfance une passion pour la bande dessinée consacrée au Man of Steel de Joe Shuster et Jerry Siegel. Il se lança dans l’aventure avec l’intention absolue de retrouver dans le film le sentiment de magie associé à ses lectures d’enfance. Pas question, dans ce cas, de le parodier ou de livrer un film fauché. Son Superman, Richard Donner le voulait sincère et spectaculaire, porté de surcroit par des comédiens renommés et développé par les meilleurs aux différents postes créatifs. Un tournage épuisant, coûteux, compliqué par des trucages complexes, la multiplication de séquences tournées par les secondes équipes réparties aux USA, et l’ingérence de producteurs mégalos (les Salkind père et fils), mais le résultat en vaudra la peine. Si, généralement, on cite Star Wars comme le film qui a marqué les gosses de l’époque, le Superman de Richard Donner, sorti en 1978 un an après le film de Lucas, a aussi marqué les esprits. Pour ma part, le souvenir du film de Donner reste pour moi plus essentiel, plus personnel, d’une certaine façon. Voir le film à sept ou huit ans, forcément au bon âge pour découvrir l’histoire de Kal-El, restera une expérience inoubliable. Vive la suspension d’incrédulité ! Aucun doute, alors, que je voyais bien un homme voler et accomplir l’impossible. Par l’entremise d’un fabuleux générique vrombissant sublimé par la musique de John Williams, j’ai été happé, dès les premiers instants, par cet univers où tout semblait possible et plausible. Richard Donner avait bien saisi l’esprit de ce que son film de super-héros devait être : crédible, premier degré, humoristique, dramatique, mêlant la tension aux grandes émotions qui font les grands films épiques. Un peu comme si l’esprit des meilleurs Disney se croisait aux grands spectacles à la David Lean (les séquences à Smallville), et des scènes de films catastrophes (la destruction de la planète Krypton) se mêler à la comédie old school à la Howard Hawks (la relation entre Clark Kent et Lois Lane). Donner revendiqua l’approche et le mot qui résume ce que devrait être tout bon film de super-héros : verysimilitude, autrement dit la vraisemblance. L’arrivée dans notre monde d’un surhomme capable d’exploits extraordinaires devait être paradoxalement traitée avec un certain sérieux… Le film toucha une corde sensible en rappelant au public que le surhomme souriant (Christopher Reeve, pour toujours LE Superman) était aussi un grand solitaire, un orphelin. A titre personnel, j’ai réalisé il n’y a pas si longtemps que j’avais vu le film peu de temps après avoir perdu mon grand-père, emporté par la maladie. J’ai toujours un petit pincement au cœur quand je revois les scènes de la jeunesse de Superman à Smallville, quand son père adoptif meurt d’une crise cardiaque. La détresse du jeune homme me rappelait forcément quelque chose, de même que sa solitude parmi les gamins de son âge. Mais, heureusement, le film m’incitait finalement à l’optimisme, à ne pas me sentir écrasé par la tristesse. Une approche souriante du genre qui, avouons-le, manque cruellement aux récentes incarnations de Superman… Dommage que Zack Snyder ait oublié le côté « feelgood movie » du classique de Donner. Apparemment, on croit que l’époque ne s’y prête pas. Dommage.

 

   Bien sûr, le succès de Superman aura généré les inévitables suites, ainsi que divers films ou séries traduisant la méconnaissance, ou le mépris des codes du genre par des décideurs peu exigeants. Superman II est un curieux cas : pour cause de tournage interminable, Donner dut couper son film en deux, le Superman de 1978 étant en fait la première moitié d’un récit beaucoup plus long. Richard Donner créa ainsi, sans le vouloir, le principe du tournage « back-to-back » de plusieurs films, utilisé notamment depuis par les films du Seigneur des Anneaux. Pratique – et plus économique ! – pour segmenter une histoire trop longue pour un seul film. Mais, excédé par ses conflits avec les producteurs, Donner quitta le tournage alors que Superman II était inachevé. Les Salkind père et fils perdirent aussi Gene Hackman, fidèle au cinéaste, et Marlon Brando qui s’opposa à ce que ses scènes déjà tournées soient utilisées. En catastrophe, le film fut achevé par Richard Lester, peu inspiré par le personnage et qui se contenta de passer les plats, insérant des gags malencontreux dans les séquences de destruction épiques, remplaçant les comédiens absents par d’autres ou par des doublures… Plus des ajouts bizarroïdes, comme cet autocollant géant que « Supes » balance au visage d’un de ses ennemis ou son nouveau super-pouvoir, le baiser qui rend Lois Lane amnésique… Résultat : un film hybride, plaisant et réussi néanmoins, le charme opérant encore, grâce à la sincérité de Christopher Reeve et aux séquences déjà mises en boîte par Donner. Celui-ci eut sa revanche en 2004, quand il présenta sa version (le « Richard Donner’s Cut« ) réintégrant les scènes avec Brando, et purgeant l’essentiel des gags de la version Lester. Le film doit aussi beaucoup à un trio de super-vilains kryptoniens mémorables, menés par l’impérial Terence Stamp en Général Zod. Sympathique, cette suite chaotique l’est en tout cas certainement beaucoup plus que les épouvantables Superman III et IV, le premier transformé en comédie sinistre par les Salkind et Lester, le second étant une tentative désespérée de relancer le personnage racheté par la firme Cannon, reine de la série B… Pauvre Christopher Reeve, qui méritait mieux fit pourtant de son mieux pour garder la crédibilité d’un personnage auquel il restera attaché pour toujours, puisqu’on le revit dans la série Smallville. Passons aussi rapidement sur les autres productions des Salkind liées à l’univers du super-héros : le seul intérêt de Supergirl (1984) est d’être le premier film du genre centré sur une super-héroïne, mais cela se limite à ce seul argument.

 

Naissance d’un geek

     Le succès des premiers Superman sera le germe d’une prise au sérieux de ce qu’on n’appelait pas encore le phénomène des super-héros. Les films de Richard Donner ont pris le temps de s’implanter dans l’ADN des jeunes spectateurs, dans cette décennie 1980 qui a vu, petit à petit, émerger une culture d’un nouveau type. Cependant, pour voir une bonne adaptation de comics à l’écran à cette époque, il fallait s’armer de patience… Difficile pour les plus jeunes spectateurs actuels de croire qu’il fallait alors attendre presque dix ans, entre un Superman II (1980) et le premier Batman de Tim Burton, daté de 1989. Ce ne sont pas les séries télévisées ou les téléfilms Marvel (le Spider-man japonais…) qui allaient relever le niveau. On peut toujours se remémorer les plus savoureux Wonder Woman et L’Incroyable Hulk des années 70, faute de mieux. En attendant, pour les mioches de ma décennie, l’apprentissage des super-héros est passé par la découverte des comics US. C’était l’époque où, à 14-15 ans, je dépensais mon argent de poche en achetant le fameux Strange et les autres parutions des éditions Lug, distributeurs français des b.d. Marvel. A moi mes X-Men, Spider-Man, Thor ou 4 Fantastiques ! A vrai dire, le ver était dans le fruit depuis longtemps. Vers l’âge de cinq ans, je trouvais chez mes grands-parents un livre publié chaque année par le Reader’s Digest, L’Album des Jeunes. Dans l’un d’eux, un article d’une vingtaine de pages consacré à l’histoire de la bande dessinée, que j’ai souvent parcouru, lu et relu. Notamment pour une double page abordant les super-héros et leurs auteurs. Premier choc : quelques vignettes montrant les plus beaux fleurons du genre, magnifiquement dessinés par les meilleurs, des génies du coup de crayon du nom de Jack Kirby, Steve Ditko, John Buscema, Neal Adams, Gene Colan…   

    Une décennie plus tard, votre serviteur apprendra aussi, petit à petit, que les histoires super-héroïques ne sont pas que de simples prétextes à des bastons contre des vilains ricanants. Il y a aussi, souvent, des auteurs qui n’hésitaient pas à glisser des idées et des messages derrière les conventions attendues du genre. La lecture de Strange et consorts m’a ainsi permis de découvrir des conflits, des drames, des questions éthiques sous une bonne dose de mythologies réinventées. De quoi satisfaire une bonne soif d’évasion, de rêve, et aussi de découvrir l’importance du message, de l’intention affichée par des auteurs mésestimés. Souvenirs d’une aventure de Spider-man, où Peter Parker, enlevé et drogué de force dans un asile psychiatrique, devient amnésique et ne peut plus se servir de ses pouvoirs. C’était Vol au-dessus d’un nid de coucou chez le plus emblématique super-héros de Marvel… L’apprentissage de la différence érigée en valeur positive chez les X-Men et les Nouveaux Mutants – notamment une histoire touchante où un lycéen, cachant sa condition de mutant, se suicidait après une mauvaise blague de ses camarades. Chez les X-Men, aussi, la révélation des origines de leur ennemi de toujours, Magnéto, rescapé des camps de la mort nazis, montrait que les « méchants » désignés avaient aussi un passé. Et certains personnages vous parlaient plus que d’autres : Wolverine (Serval, comme on l’appelait alors en VF !) et son laconisme à la Clint Eastwood, la franchise adolescente de Kitty Pryde, les dilemmes moraux des chefs comme Cyclope ou Tornade… et la galère émotionnelle de ma X-Woman préférée, Rogue / Malicia, qui ne peut toucher qui que ce soit sans absorber sa psyché et sa force vitale. Je me souviens aussi des 4 Fantastiques période John Byrne, avec des scénarii de pure science-fiction truffés de rebondissements dignes des meilleurs épisodes de La Quatrième Dimension ; mais aussi un épisode triste où la Torche Humaine faisait face à la mort d’un jeune fan ayant poussé trop loin l’identification à son héros… Tout aussi perturbant, un épisode d’Iron Man dû à Barry Windsor-Smith, où le héros sombrait dans un cauchemar alcoolique, hanté par les morts victimes de ses trafics d’armes. Pour ce qui est des affrontements épiques, c’est surtout un numéro de Thor écrit et dessiné par Walt Simonson qui me revient en tête : le combat entre Thor et le Serpent de Midgard, en 24 cases gigantesques, pleine page, qui vous happaient instantanément, restera un choc visuel inégalé. Côté humour, je me souviens des premiers Miss Hulk écrits et dessinés par Byrne, osant casser le 4ème Mur (les personnages s’adressant au lecteur, ou étant conscients d’être dans une b.d.), quelques années avant Deadpool. J’ajouterais aussi une touche légèrement grivoise en me rappelant que ces lectures tombaient bien, en pleine éruption hormonale adolescente, pour apprécier le physique, euh… avantageux… des super-héroïnes si joliment croquées par les artistes !

 

(BATMAN 1989)

Une chauve-souris au plafond 

    Autant dire qu’avec de telles lectures, j’étais fin prêt en 1989 pour Batman. Peu importe si je n’avais jamais lu aucun comics du Dark Knight, l’annonce d’un vrai film de super-héros, avec des acteurs renommés, tombait à pic. Enfin, une adaptation sérieuse et de qualité sur grand écran ! Pourquoi se priver ? Le studio Warner Bros., détenteur des droits d’adaptation de tous les personnages estampillés D.C. Comics, avait bien compris le truc - pour un temps, du moins. En ces temps où Internet n’existait pas, et où la sortie des blockbusters américains estivaux était systématiquement décalée à l’automne en France, l’été 1989 avait semblé bien long. Quelques photos distribuées dans la presse spécialisée, juste de quoi vous donner à saliver sur Jack Nicholson transformé en Joker, le bat-costume crédible qui faisait du fluet Michael Keaton un justicier intimidant, et cette fabuleuse Batmobile conçue par le designer Anton Furst. Aux commandes du film, un jeune prodige nommé Tim Burton, à l’aube d’une belle carrière. Le studio Warner avait mis les très grands moyens pour persuader le public d’aller voir le film, quitte à en faire trop en France. Diffusion en boucle de la Batdance composée par Prince sur les chaînes de télévision, et invasion subite du bat-logo à toutes les sauces, sur tous les supports possibles et imaginables. Stratégie payante aux USA, où le film fut le carton de l’année, un peu moins en France, où Bats était encore loin d’avoir la popularité qui est la sienne. Le film de Burton valait cependant le détour : le visuel sublime de la Gotham reconstituée, un Michael Keaton convaincant en Batman assez « autiste », une noirceur assumée, et bien sûr le show permanent de Jack Nicholson. Difficile d’oublier chaque apparition du Joker, calcinant un mafioso récalcitrant, menant une attaque de mimes de rues (on ne sera pas étonné d’apprendre que Burton a la phobie des clowns…) ou présentant une fausse pub bien barrée. On en pardonnait les imperfections du film, notamment quelques baisses de rythme en cours de route, ou l’interprétation d’une Kim Basinger un peu trop fade pour tenir tête au monstre Nicholson. Et puis, ne dérogeant pas à la règle qui veut qu’un bon film de super-héros doit avoir un thème musical qui en jette, Danny Elfman donnait au Caped Crusader un magnifique score gothique digne de Bernard Herrmann.

 

(photo Michelle Pfeiffer Catwoman) 

   Naturellement, qui dit succès dira « suites », et Warner n’attendit pas longtemps pour exploiter le bat-filon. Les années 1990 et sa première vague super-héroïque sera l’occasion pour Batman de se développer, avant de péricliter, virant du sérieux absolu au ratage total. Cela avait pourtant bien commencé en 1992. Ayant pris du galon et étant devenu un réalisateur de la A-List après Edward aux Mains d’Argent, Tim Burton accepta de reprendre les rênes, mais en posant ses conditions. Chose incroyable, il obtint carte blanche du studio pour faire de Batman Returns (Batman le Défi) SON film, pas celui qu’on lui imposerait. Le résultat, quoi qu’en diront certains fans du comics portés sur le pinaillage, est un petit chef-d’oeuvre de noirceur absolue, un vénéneux conte macabre dissimulé sous les atours d’une mégaproduction estivale. Batman, en retrait, assiste ici au duel à trois hivernal que se livrent l’industriel Max Schreck (Christopher Walken), mégalomane véreux cherchant à contrôler Gotham, la séduisante Catwoman, voleuse revancharde campée par l’adorable Michelle Pfeiffer, et le répugnant Pingouin (Danny DeVito), monstre difforme cherchant à reconquérir sa place dans l’élite de Gotham City. Avec Batman Returns, Burton déchaîne son imaginaire et offre au spectateur qui n’en demandait pas temps des images marquantes, souvent cauchemardesques. Des enfants sont jetés dans les égouts et kidnappés par des clowns, un criminel est brûlé vif par la Batmobile, Batman ne peut sauver une otage précipitée dans le vide, le Pingouin arrache à coups de dents le nez d’un crétin expert en marketing (l’expression des vrais sentiments de Burton vis-à-vis des cadres de la Warner, sans doute ?) et veut saillir toutes les filles à sa portée tel un Harvey Weinstein au sommet de sa carrière… Catwoman aura à jamais les traits de Michelle Pfeiffer, tellement désirable dans son justaucorps de cuir moulant, et allume carrément le bas-ventre d’un Batman qui n’en peut plus. La demoiselle aura eu, au passage, droit à une scène de résurrection par un ballet de chats des plus macabres. Envoyant magistralement paître les diktats du divertissement familial, Burton aura quand même pas mal indisposé les chefs du studio, qui prendront prétexte des résultats financiers inférieurs du film pour remercier poliment le cinéaste - pas si fâché que ça, finalement, de ne pas avoir à repasser les plats une troisième fois. Il se contentera d’un poste honorifique de producteur exécutif et de quelques idées scénaristiques prestement évacuées pour le volet suivant : Batman Forever, qui va malheureusement amorcer le déclin du personnage. Avec Joel Schumacher aux commandes, le bat-univers s’enlisera dans le mauvais goût permanent. Le réalisateur cherchait à s’éloigner de l’univers burtonien pour rendre un hommage évident à la série des années 1960. Soit, mais est-ce que cela justifiait autant d’erreurs : le découpage incompréhensible, l’agression visuelle et sonore permanente, le non-jeu de certains comédiens (Val Kilmer et Nicole Kidman) opposé au cabotinage éhonté des autres (Jim Carrey, passe encore, mais Tommy Lee Jones… ouch)… et bien sûr, comment oublier les gros plans des fessiers / tétons sur les armures de Batman et son gai compagnon RobinEt encore, le pire était à venir deux ans plus tard, avec cet massacre en règle intitulé Batman et Robin. L’outrage absolu aux amoureux du genre. Un recyclage fainéant du script du film précédent, servi par des comédiens partis en vrille (Arnold Schwarzenegger en Mister Freeze… re-ouch), et une direction artistique abominable. Le désastre fut tel que la franchise fut au point mort pendant quelques années, et Warner mit fin prématurément au Superman Lives que préparait Tim Burton avec Nicolas Cage, le cinéaste appréciant assez peu d’être mené en bateau dans d’interminables réunions d’exécutifs velléitaires.

 

(concept art Indiana Jones Jim Steranko)

Le choc des mondes

     Entretemps, avant que n’arrive cette première vague d’adaptations de comics après le succès du premier Batman, le cinéma américain entamait, petit à petit, un changement de mentalité. Les américains cloisonnent moins leurs disciplines créatives ; et donc, il n’était pas rare de voir des dessinateurs réputés travailler aussi bien à la télévision ou pour le cinéma, même si c’était parfois de façon purement anecdotique. Par exemple, le « Roi » des comics, Jack Kirby, conçut le visuel d’un film jamais tourné, Lord of Light, d’après Roger Zelazny. Les storyboards et dessins préparatoires du maître serviront pour une affaire ahurissante, le sauvetage d’otages américains par la CIA en Iran en 1979 – sujet qui inspira le film Argo de Ben Affleck (…encore vous ?!) ! Le succès de Star Wars sera l’occasion d’un rapprochement d’abord timide, puis de plus en plus marqué, entre les réalisateurs et des pointures de la b.d. et de l’illustration américaine, quand le cinéma fantastique connaîtra un véritable boom durant les années 1980. On peut citer les noms de Jim Steranko (dessinateur mythique de Captain America et Nick Fury, signant les superbes dessins préparatoires des Aventuriers de l’Arche Perdue), William Stout (également engagé sur Les Aventuriers, et qui travaillera par la suite sur Men In Black ou Le Labyrinthe de Pan), Bernie Wrightson (Creepshow de George Romero, et plus tard The Mist de Frank Darabont), Mike Ploog (auteur des storyboards percutants de The Thing)… Les homologues européens de ces dessinateurs surdoués furent aussi sollicités par le 7e Art, comme Moebius (le Dune avorté de Jodorowsky, Alien, Tron ou Abyss) ou Enki Bilal (La Forteresse Noire de Michael Mann). Une tendance qui continuera par la suite avec des exemples plus récents de collaborations réussies. Matrix doit ainsi beaucoup aux incroyables concept arts de Geoff Darrow (Hard Boiled) ; le générique de Spider-Man 2, qui s’orne de superbes peintures d’Alex Ross, le Norman Rockwell des comics ; Mad Max Fury Road, développé à partir d’un story-board entièrement dessiné par Brendan McCarthy. Ce sont quelques exemples du rapprochement progressif effectué entre deux formes d’arts qui n’ont pas forcément attendu les derniers films super-héroïques pour coexister. Signalons aussi que les scénaristes américains (parmi lesquels se trouvent beaucoup de romanciers) ont pu aussi bien passer de l’écriture d’un long-métrage, ou d’une série télévisée, à un comics – voir les exemples de J. Michael Straczynski (passant de la série Babylon 5 au comics Spider-Man, avant de travailler avec Clint Eastwood sur L’Echange), Ed Brubaker (ancien scénariste de Captain America, actuellement producteur exécutif de Westworld), Jeph Loeb, Gerry Conway ou Damon Lindelof… le plus emblématique étant sans doute Joss Whedon, passant de Buffy contre les Vampires aux comics X-Men avant de triompher avec Avengers… et passé à « l’ennemi » Justice League version cinéma, dans des conditions très chaotiques.

 

(Barks Prize of Pizarro)

     Si les années 1980 ont donc marqué le rapprochement entre les cultures comics et ciné aux USA, même si les adaptations officielles et réussies ont été rarissimes. Quelques réalisateurs, et pas des moindres, ont directement influencé les meilleurs comics, quand ceux-ci ne les ont pas eux-mêmes inspirés. Jugés inadaptables, trop complexes en termes de réalisation (et donc coûteux), les comics ont cependant trouvé peu à peu leurs équivalents sur grand écran. Evidemment, l’effet Star Wars aura convaincu les sceptiques que l’impossible était réalisable. Après tout, George Lucas lui-même avait implicitement reconnu l’influence de l’œuvre d’un pionnier du genre sur son film : Alex Raymond, le père de Flash Gordon. La Cité des Nuages de L’Empire contre-attaque est par exemple toute droite tirée des planches de ce père fondateur de la b.d. américaine. De Star Wars à Indiana Jones, il n’y a qu’un pas. Le camarade Steven Spielberg et Lucas ont lu les mêmes œuvres et vu les mêmes films quand ils étaient gosses. Ce bon vieil Indy n’a peut-être pas de superpouvoirs, mais ne partage-t-il pas avec Clark Kent/Superman une « double personnalité » ? Timide professeur à lunettes dans le civil, il se mue en aventurier intrépide cassant du Nazi et du Thug quand l’Aventure l’appelle ! Les Aventuriers de l’Arche Perdue baignait dans une culture comics et pulp indéniable, tout comme les volets suivants. Mais les influences de Spielberg allaient plutôt vers d’autres auteurs/dessinateurs. Les connaisseurs de Carl Barks, le grand dessinateur de Donald Duck et l’Oncle Picsou des comics Disney, trouveront de curieuses similarités entre l’ouverture de L’Arche Perdue et une de ses histoires, The Prize of Pizarro. Les palmipèdes de Barks, jouant les explorateurs, tombaient sur une cité perdue truffée de pièges familiers – dont un rocher gigantesque manquant de les écraser ! Coïncidence curieuse, Spielberg, qui, à l’époque de L’Arche n’avait jamais lu une seule b.d. franco-belge, faisait avec les Indiana Jones un véritable hommage inconscient aux maîtres de la Ligne Claire, Hergé (Tintin) et Edgar P. Jacobs (Blake & Mortimer). Amusez-vous à lire Le Mystère de la Grande Pyramide : un vrai serial à la Indy avant l’heure, avec pièges mortels, embûches au Caire, espions, cobras venimeux et malédictions divines, tout y est !… Spielberg, pas toujours là où on l’attend, signera d’ailleurs en pleine vague super-héroïque, une fort belle adaptation « Ligne Claire » du Secret de la Licorne d’Hergé. Un paradoxe : le cinéaste, souvent cité comme inspiration majeure des réalisateurs des plus récents films de super-héros, a certes parfois produit des adaptations de comics U.S. (Men In Black par exemple), mais s’est toujours refusé de filmer les projets qu’on lui offrait, tournant ainsi le dos à Superman, Batman ou un hypothétique Iron Man avec Tom Cruise. Ce qui ne l’empêche pas de souvent flirter consciemment avec le genre. Voir à ce titre Ready Player One, dans lequel on peut clairement reconnaître parmi les figurants des personnages iconiques de l’univers D.C. …

 

(Deathlok / Terminator) 

     D’autres de ses collègues ont plus fait que titiller le genre à leurs débuts. Grand lecteur dans sa jeunesse des comics Marvel, James Cameron s’est largement servi dans ceux-ci pour donner vie à ses visions. Peu de critiques en 1984 notèrent que Cameron avait puisé l’idée de Terminator dans un personnage issu des comics Marvel : Deathlok, créé dix ans plus tôt. Ce personnage venu d’un monde post-apocalyptique affiche un look révélateur, avec sa moitié de crâne métallique à découvert, orné d’un œil rouge familier, et se retrouvait programmé pour assassiner des cibles humaines, quand il ne traversait pas carrément le Temps pour l’une de ses missions… L’oeil rouge et le crâne métallique à découvert est aussi un attribut familier du bien-nommé Cyborg, apparu chez D.C. dans les pages des Teen Titans, quelques années avant le film de Cameron. Autre influence inconsciemment empruntée par Cameron, les X-Men et l’arc en deux épisodes Days of Future Past, due à Chris Clarement et John Byrne, trois ans avant Terminator. Là encore, des idées communes assez évidentes : un futur apocalyptique, où les machines Sentinelles asservissent les humains et exterminent les Mutants, conséquence malencontreuse de leur activation par la défense nationale américaine pour raisons de sécurité. Kitty Pryde voyageait dans le Temps pour convaincre ses amis d’empêcher un attentat politique aux conséquences désastreuses. Machines intelligentes et hors de contrôle, voyage dans le Temps, visions d’un futur concentrationnaire… le comics aura laissé des traces chez Cameron. Le succès de Terminator inspirera en retour au scénariste Chris Claremont les personnages de Rachel Summers et de Nemrod, une Sentinelle intelligente… capable de prendre apparence humaine, quelques années avant l’apparition du T-1000, bad guy mémorable de Terminator 2 ! Les transformations de ce nouveau Terminator permettront, incidemment, à Cameron de glisser d’autres références cachées aux Marvel Comics. Sous son apparence chromée « intermédiaire », le T-1000 évoque étrangement une version maléfique du Silver Surfer… Les pouvoirs métamorphiques du cyborg en métal liquide évoquent aussi, bien sûr, Mystique, l’ennemie / alliée protéiforme des X-Men. En adaptant plus tard ceux-ci au cinéma, Bryan Singer relèvera la référence dans les scènes où apparaît la mutante. Et il bouclera la boucle avec son excellente adaptation de Days of Future Past, citant délibérément l’imagerie apocalyptique des films de Cameron. Lequel ne s’est pas arrêté là, puisque d’autres références comics parsèment régulièrement ses autres films. Aliens le Retour, par exemple, nous présente la monstrueuse Reine Alien pondeuse d’œufs, qui doit moins au monstre du film original de Ridley Scott qu’aux Broods, l’équivalent des Aliens dans l’univers des X-Men version comics. True Lies, en 1994, nous présentera une agence d’espionnage d’élite et son patron râleur, borgne et fumeur de cigares campé par Charlton Heston – autrement dit, le SHIELD et Nick Fury, tout droit sortis, d’une planche de Jack Kirby !De telles déclarations d’amour cachées aux comics n’étaient pas accidentelles ; vers l’époque où il préparait Terminator 2, Cameron fut vu dans les bureaux de Marvel, discutant d’une éventuelle adaptation des X-Men, avant de croiser Stan Lee… et d’embrayer sur l’écriture d’un film Spider-Man qui ne vit jamais le jour à cause d’un imbroglio juridico-financier.

     Parmi les rares réalisateurs qui, dans les années 1980, se sont risqués à faire des « comics-books movies » avec réussite, il faut citer aussi deux cas particuliers. Si l’un montrera qu’il n’est pas besoin d’aimer le genre pour livrer un de ses meilleurs fleurons, l’autre prouvera le contraire. Contrairement à ses homologues américains, le génial hollandais Paul Verhoeven n’est pas du genre à avoir des réflexes de fanboy. Quand le scénario de RoboCop lui fut proposé vers 1986, son premier réflexe fut de balancer celui-ci à la poubelle, pestant contre l’ineptie de ces super-héros robotisés subitement apparus après Terminator… Remercions l’épouse de Verhoeven d’avoir décelé dans le scénario d’Ed Neumeier et Michael Miner les prémices d’un sacré bon film ! Derrière les poncifs apparents d’un récit flirtant avec des idées trouvées dans Deathlok et Judge Dredd, Verhoeven aura livré une charge féroce contre le capitalisme reaganien écoeurant de l’époque, tout en respectant le quota de scènes d’action badass à souhait. Le tout servi par une mise en scène dynamique, et un humour noir très sanglant ! Hélas, le robot sera exploité dans des suites (malgré le nom de Frank Miller, sommité des comics, présent au générique comme scénariste), des séries et des dessins animés médiocres, victime des calculs commerciaux de dirigeants exécutifs dignes du conglomérat décrit par Verhoeven. Même la version mutilée du remake signé José Padilha ne saura retrouver la hargne du film original. Verhoeven saura être aussi virulent, avec son scénariste Ed Neumeier, dix ans plus tard, avec un Starship Troopers baignant dans la culture comics dont il se méfie pourtant. Tout le contraire d’un Sam Raimi, frais émoulu à l’époque du succès culte de son Evil Dead, dont il signa des suites truffées de références aux comics : on se souvient de l’image d’Ash (Bruce Campbell), devenant un super-héros déglingueur de démons, armé d’un shotgun et d’un bras-tronçonneuse du plus bel effet ! Fervent lecteur de comics depuis l’enfance, Raimi fut très déçu de n’avoir pas été le réalisateur choisi pour Batman en 1989. Peu lui importera, puisqu’il signera un an plus tard son film-hommage aux super-héros, autant qu’aux films de monstres gothiques : son excellent Darkman fut une belle petite surprise, avec son amour évident du genre et de ses codes. Des méchants cyniques à souhait, un héros au faciès ravagé jouant autant de sa ruse que de ses poings, une dulcinée en danger, et des idées de mise en scène « cartoonesques » à souhait, notamment une homérique poursuite du héros sur les toits, et dans les airs, parmi les buildings. Ce Darkman annonçait déjà les Spider-Man, du même Raimi, douze ans avant. 

 

(extrait Matrix)

Années 90 : grande foire et grand changement

    Le succès de Batman décida enfin, peu à peu, les studios américains d’investir dans des adaptations de comics et de bandes dessinées (pardon : là-bas, on dira plutôt graphic novels, « romans graphiques »), la prise de conscience que ce média était désormais en train d’entrer dans une phase de reconnaissance et d’acceptation. A priori, moins de méfiance (l’amélioration des techniques d’effets visuels, à l’ère de Terminator 2 et de Jurassic Park, pouvait enfin permettre de réaliser l’impossible) et de mépris de la part des producteurs envers ce type de films, encore qu’à bien y regarder de près, cette première vague d’adaptations survenues dans le sillon des films Batman était d’un niveau assez aléatoire…Exemple chez D.C. et Warner : la terrible baisse de qualité desdits films, aux opus 3 et 4, et l’annulation du Superman Lives de Tim Burton avec Nicolas Cage. Le désastre artistique, critique et public de Batman & Robin obligea le studio Warner à mettre temporairement de côté ses franchises de super-héros. Aucune réaction du côté de Marvel : la Maison des Idées avait jeté les droits d’adaptation de ses héros aux quatre vents. Les fans eurent droit à quelques films bis (le Punisher avec Dolph Lundgren ayant la réputation d’être le moins pire du lot), et Marvel se débattait avec une banqueroute qui faillit l’achever, tuant dans l’œuf les très hypothétiques projets annoncés, comme ce Docteur Strange écrit par Bob Gale, co-scénariste de Retour vers le Futur.

     Du coup, les comics adaptés dans la décennie tenaient souvent de l’auberge espagnole. Premier de la liste en 1990, le Dick Tracy de Warren Beatty, jolie adaptation du strip policier de Chester Gould, que l’acteur-cinéaste portait à bout de bras depuis des années. Bénéficiant du superbe travail visuel du chef-opérateur Vittorio Storaro, et de maquillages de méchants particulièrement gratinés (Al Pacino et Dustin Hoffman, rien que ça !), le film fut toutefois desservi par la publicité faite autour de la liaison entre Beatty et Madonna. Il faudra aussi citer par la suite une véritable foire de films plus ou moins affiliés aux super-héros, à commencer par l’improbable succès des Tortues Ninja de Steve Barron ; Disney produira le sympathique Rocketeer de Joe Johnston, d’après la b.d. pulp de Dave Stevens ; The Shadow, signé Russell Mulcahy, essuiera les plâtres de la comparaison avec Batman (ironie du destin, puisque ce dernier doit énormément au Shadow, initialement un personnage créé à la radio dans les années 1930) ; The Crow d’Alex Proyas reste considéré comme une œuvre culte, baignant dans un désespoir et une violence radicales par rapport aux poncifs du genre (ceci d’autant plus que le tournage du film a été marqué par la mort accidentelle de l’acteur Brandon Lee) ; The Mask, le succès surprise de l’année 1994, grâce au numéro cinglé de Jim Carrey transformé en cartoon vivant par les ordinateurs d’ILM ; l’adaptation du mythique Judge Dredd avec Sylvester Stallone - un bide causé par le remontage/démontage en règle du film par ses producteurs ; Le Fantôme du Bengale, série B d’aventures concoctée par Simon Wincer, un semi-échec malgré un fort potentiel sympathie ; le fameux Men In Black produit par Spielberg pour Barry Sonnenfeld, festival d’humour bien servi par le duo Will Smith-Tommy Lee Jones (au total, trois films de qualité assez inégale mais agréable malgré tout). On passera vite fait sur d’autres produits absurdes sortis durant cette décennie, comme Barb Wire avec la siliconée Pamela Anderson, Tank Girl où l’on croise une Naomi Watts en période « vaches maigres » entourée d’hommes-kangourous, ou le pathétique Spawn. Cette « première première vague » fut donc assez chaotique en termes qualitatifs… avant que quelques films sortis en 1998 / 1999 viennent changer la donne pour de bon. L’effet Matrix aura servi de détonateur à la vague actuelle de films super-héroïques. 

    Le succès du film des frères (devenus sœurs) Wachowski, produit par Joel Silver, aura  fini de déverrouiller les mentalités des studios vis-à-vis des adaptations de comics sur grand écran… en bien comme en mal. Mêlant les vertiges de Philip K. Dick, l’imagerie de James Cameron, les passages obligés des productions Joel Silver (hélicoptères, fusillades, immeubles qui explosent) et une bonne couche de films d’arts martiaux, Matrix puisait aussi directement ses racines dans la culture bédéphilique. Aussi bien japonaise qu’américaine, les frangin(e)s ne se privant pas de puiser (voler ?) directement certaines images emblématiques de la culture manga/animation nippone, à commencer par Ghost in the Shell, et à convier des artistes/dessinateurs à élaborer le visuel foisonnant du film. Il va sans dire que les tribulations virtuelles de Neo (Keanu Reeves) et ses petits camarades leur permettent, miracle de la réalité virtuelle de la Matrice oblige, d’accomplir des exploits propres à faire rêver tout lecteur de comics qui se respecte. La combinaison des effets visuels révolutionnaires à l’époque (le fameux effet « Bullet Time », depuis lors copié jusqu’à l’écoeurement) et la chorégraphie des incroyables combats réglés par Shifu Yuen Woo-Ping permettront aux Wachowski de livrer au public des séquences homériques… et vite répétées au début des années 2000 dans la subite seconde grande vague d’adaptation de bandes dessinées super-héroïques,. Le film des Wachowski aura, cela dit, cannibalisé Dark City, le film d’Alex Proyas sorti plusieurs mois auparavant… film qui racontait somme toute la même histoire – celle d’un sauveur malgré lui réalisant que l’Humanité est contrôlée par des entités « programmant » ses victimes à loisir, avant que le héros ne libère ses pouvoirs, dans un grand finale influencé là encore par les cultures manga et comics. Reconnaissons aussi que « l’effet Matrix » a quelque peu fait long feu depuis lors. Lorsqu’en 2003, Matrix Reloaded et Matrix Révolutions sortirent, l’accueil fut des plus tièdes. En quatre ans, nombres de blockbusters avaient singé à outrance les figures de style du film des Wachowskis jusqu’à la caricature. Et l’écriture de ces deux suites assez abstruses (spécialement le second volet) n’aidait guère.

 

(scene Blade 2)

Faites place au Daywalker    

     Les prouesses techniques de Matrix furent une sorte de feu vert définitif pour les studios. Finie l’époque du premier Superman, quand les équipes des effets visuels tâtonnaient pendant une année pour rendre crédible les exploits des surhommes des bandes dessinées… Et, depuis le début des années 2000, les personnages Marvel tiendront le haut du panier, rattrapant leur retard face à l’adversaire D.C., chapeauté par les studios Warner. La donne aura changé, principalement grâce à l’action d’Avi Arad, venu à la rescousse financière de Marvel, au milieu des années 1990. Le producteur (assisté notamment par Kevin Feige) mit en place Marvel Studios, la branche cinéma supervisant les adaptations des personnages créés par Stan Lee, Jack Kirby et consorts, suivant des accords financiers passés avec différents grands studios américains. Loin d’un départ en fanfare, le renouveau Marvel aura commencé timidement, dès 1998, soit en plein dans la période Matrix. Blade avec Wesley Snipes était une production assez modeste, bénéficiant du relookage en règle d’un personnage de troisième zone dans les comics, incarné par Wesley Snipes dézinguant du vampire à tout va. Monocorde mais assez efficace (notamment dans une scène marquante où le Daywalker débarque dans une rave party vampirique pour faire le ménage), le premier film posait les bases d’une esthétique au goût du jour, partagée entre les comics US et les meilleurs mangas japonais, et se reposait avant tout sur les talents d’artiste martial de son acteur vedette. Le succès entraînant les suites, on parlera surtout du second film, le plus réussi, dû à Guillermo Del Toro. Le cinéaste mexicain, entre deux projets plus personnels, accepta cette commande avec entrain. Blade 2 est sans doute l’une des suites les plus jouissives jamais tournées à ce jour. Del Toro s’amuse visiblement à créer un pur fantasme de « film geek », à la fois très premier degré et malgré tout ludique, glissant dans une trame assez basique un maximum de références propres à son univers. Arts martiaux, films de vampires de la Hammer, film de commando, imagerie de mangas, séquences gores à souhait (on n’est pas près d’oublier les attaques des monstrueux Reapers), clins d’œil à divers peintres/dessinateurs (Frank Frazzetta, Jack Kirby, Mike Mignola…), tout y passe – y compris des allusions aux cartoons de Chuck Jones, à la lucha libre et même  un concours de gifles digne de Mon Nom est Personne ! Del Toro fait feu de tout bois, se servant du film comme un entraînement à son adaptation longtemps fantasmée de Hellboy – d’où la présence de Ron Perlman, inspirateur du personnage créé par Mike Mignola. Un second opus, daté de 2002, qui reste un pur bonheur de série B… contrairement au film suivant, Blade Trinity, dû au scénariste David S. Goyer. Un film dont le seul intérêt, à posteriori pour les amoureux du genre, réside dans le cabotinage de Ryan Reynolds préfigurant ses pitreries dans Deadpool. Depuis, le Daywalker a disparu de la circulation, le déclin de la carrière de Wesley Snipes, poursuivi par le fisc américain, y étant sans doute pour quelque chose. Une piètre tentative de relance en série télévisée ne suffira pas à relancer l’intérêt pour le personnage.

 

(extrait X-Men 2)

Mutants, et fiers de l’être

     Blade était une production malgré tout mineure (en termes financiers comme en terme d’image de son héros), le « vrai » départ des héros Marvel sur grand écran se fera finalement en 2000. Au terme d’un long development hell, la 20th Century Fox donnera le feu vert à une adaptation live des X-Men. Les héros mutants de Marvel, immensément populaires auprès de leur lectorat, n’étaient pourtant pas a priori les personnages les plus faciles à adapter. Loin de se limiter à de simples bastons entre surhommes en collants, les X-Men parlaient aussi à leurs lecteurs de thèmes adultes, centrés surtout sur les notions de différence (ethnique, culturelle, religieuse, sexuelle, etc.) et s’attaquaient frontalement au racisme et à l’intolérance. Un arrière-plan politique progressiste que l’on pouvait craindre de voir disparaître dans une adaptation cinéma formatée pour tous les publics. Heureusement, il n’en fut rien dans le film original. A la barre de la production, une vieille connaissance : Richard Donner, Mr. Superman, et son épouse Lauren Shuler-Donner, qui a supervisé le développement de chaque film de l’univers X. Pour donner corps et crédibilité à ce petit monde, ils eurent le nez creux en contactant Bryan Singer. Novice en matière de blockbusters estivaux, ignorant tout du comics, Singer savait créer une ambiance et était de surcroît un excellent directeur d’acteurs en groupe, comme on a pu le constater avec Usual Suspects. De fait, le cinéaste a su s’emparer de la commande, comprenant très bien les dilemmes des héros mutants stigmatisés pour leurs différences. Un thème qui ne lui est pas étranger ; juif et homosexuel dans un pays influencé par une culture essentiellement protestante et puritaine, Singer a bien vu en Wolverine, Magnéto et compagnie des personnages marginalisés le renvoyant à son propre parcours. A ce titre, la scène de X-Men 2 où le jeune Iceberg fait son « coming out » mutant face à ses parents déboussolés est clairement autobiographique pour Singer.

     La franchise X-Men au cinéma est l’exemple parfait pour illustrer les rapports compliqués qui existent, aux USA, entre les cinéastes et le système des studios. Bryan Singer s’appropria un genre qu’il ne maîtrisait pas a priori, et sut s’y investir en trouvant un bon équilibre entre ses exigences personnelles, l’attente des fans du genre et la pression du studio Fox ; à savoir : livrer de solides blockbusters qui ne sacrifient pas les personnages et l’histoire au détriment de l’emballage « effets spéciaux/explosions ». Les deux premiers X-Men sont des modèles de présentation des personnages, plongés dans un univers réaliste. Voir par exemple la scène d’ouverture montrant les origines de Magnéto, liée au pire crime jamais commis par des humains : la Shoah, et Auschwitz, où le jeune mutant juif tente vainement de sauver ses parents emmenés dans les chambres à gaz… Violent, perturbant, ce moment sobrement mis en scène par Singer donne à Magnéto une explication cohérente de son attitude contre d’autres humains voyant les Mutants comme une autre « espèce » à annihiler, et fait du personnage un super-vilain aux motivations autrement plus fortes qu’une simple envie de dominer le monde. Même son de cloche quand Singer repense le personnage de Malicia, montrée comme une adolescente terrorisée à juste titre par ses pouvoirs survenus en pleine découverte de sa sexualité. Quand à l’emblématique Wolverine, qui révéla le talent de l’australien Hugh Jackman, Singer lui donne en quelques plans l’aura emblématique du Clint Eastwood des années 1960-70, à savoir un solitaire rongé par sa propre violence et qui se trouve un rôle de protecteur d’une famille atypique (penser notamment à Josey Wales Hors-la-Loi). Les rapports psychologiques solidement établis par Singer n’empêchent pas celui-ci de livrer les morceaux de bravoure attendus : les affrontements explosifs où nos chers Mutants font la démonstration de leurs impressionnants pouvoirs. Si le premier film était encore très sobre, un X-Men 2 montrera la maîtrise de Singer en la matière.

 

(extrait Logan)

     Malheureusement, la saga connaîtra une grave baisse de qualité liée au départ de Singer en 2005 ; excédé par l’ingérence permanente du patron de la Fox Tom Rothman, Singer accepta l’offre de DC/Warner de filmer Superman Returns, en hommage au film de Donner qu’il adore. Une trahison aux yeux de Rothman, qui poussera la date de sortie de X-Men III (L’Affrontement Final) en 2006, pour faire barrage à la sortie du Superman de Singer, sans même avoir un scénario finalisé… Décision aberrante, et résultat inévitable : le résultat final, commis par le tâcheron Brett Ratner, sentira le bâclage et le je-m’en-foutisme intégral. Même scénario ou presque, trois ans plus tard, quand le même Rothman donnera le feu vert à X-Men Origines : Wolverine, censé nous éclairer sur le passé de Logan. Hugh Jackman a beau se démener comme un beau diable pour apporter un peu de complexité à son personnage, le scénario boit tellement la tasse dès le début (le trauma d’origine du personnage est expédié par-dessus bord avec un mépris assez sidérant) que le film s’enlise illico. Le fait qu’il maltraite aussi des personnages emblématiques (Gambit et Deadpool en tête) n’arrange vraiment rien. Ces deux ratages en règle, décidés par des chefs de studio motivés par la seule rentabilité, sont des exemples assez éloquents des limites du système hollywoodien actuel. Heureusement, la suite semble avoir prouvé (pour le moment, en tout cas) que les choses s’améliorent. Le retour de Singer sur la franchise, d’abord comme producteur puis comme réalisateur, a ramené les Mutants dans le droit chemin : X-Men First Class (X-Men : Le Commencement, 2011) réalisé par Matthew Vaughn, puis X-Men Days of Future Past et X-Men Apocalypse, dûs à Singer, ont été dans l’ensemble des réussites, réécrivant sous l’angle de la préquelle l’ensemble de la saga. Principal facteur de ce renouveau, l’excellente interprétation de personnages familiers rajeunis pour l’occasion : James McAvoy en professeur Xavier, Jennifer Lawrence en Mystique et surtout Michael Fassbender qui s’approprie le personnage de Magnéto avec le charisme monstrueux qu’on lui connaît. Bien entendu, le succès de ces personnages ne se dément pas, et l’exemple Disney/Marvel pousse la Fox à développer des films « standalone » autour des Mutants les plus populaires. L’exercice n’est pourtant pas simple, comme on l’a vu avec Wolverine. Le mutant griffu eu droit à de nouvelles aventures, bien plus réussies. Bonne idée d’avoir amené James Mangold, solide réalisateur et excellent directeur d’acteurs (CopLand, Walk the Line), à la mise en scène de The Wolverine (2013) et surtout du magnifique Logan. Si le premier a encore quelques défauts évidents (notamment un climax cliché), il a aussi des fulgurances appréciables, dues à des influences aussi diverses que le Yakuza de Sydney Pollack, Le Château de l’Araignée de Kurosawa, et le cinéma d’Eastwood. Quant au second, c’est un véritable western post-apocalyptique que concocte un Mangold ne cachant pas ses références aux bons vieux classiques (Shane / L’Homme des Vallées Perdues) aussi bien qu’à Mad Max, Impitoyable ou Les Fils de l’Homme. D’une violence et d’une noirceur assumées, Logan est un départ en beauté pour Jackman qui aura campé le personnage pendant plus de seize ans. A l’extrême opposé de la noirceur de Logan, il faut mentionner les pitreries de Deadpool, sorti en  2016. Electron libre de l’univers Marvel, le Mercenaire avec une Grande Gueule a enfin eu son film, dans des circonstances assez curieuses. Dépité par le traitement calamiteux du personnage dans X-Men Origines : Wolverine, Ryan Reynolds accepta de tourner une bande démo d’effets visuels et de cascades en 2012, un « mini-film » respectant cette fois le code vestimentaire et les blagues du personnage. Succès foudroyant sur la Toile, le petit film de cinq minutes convainquit les cadres de la Fox de donner au personnage son long-métrage !… Soyons honnêtes, qualifier le film de réussite du genre est sans doute très excessif, mais il colle finalement assez bien au personnage, son humour au ras du slip et son besoin permanent de briser le 4ème Mur (rappelons que Deadpool est le seul super-héros de Marvel à être conscient d’être un personnage de fiction, et ne se prive jamais de le faire savoir). Déjà ça de pris dans un film qui colle indirectement à l’univers des X-Men, via les blagues à destination de Wolverine, et la confrontation digne des Monty Python avec Colossus. L’inévitable suite est dans les starting-blocks, en attendant que la Fox ne capitalise sur d’autres titres « X » (New Mutants en tête), avant que le rachat d’actions du studio par Disney ne vienne bouleverser la donne… et laisser deviner que Wolverine, Deadpool et compagnie réapparaîtront dans quelques années dans les films du MCU. De quoi donner de bonnes migraines aux futurs scénaristes chargé de « raccorder » les franchises mutantes de la Fox aux films de leurs rivaux au box-office.

 

(extrait Spider-Man 2)

Just keep spinning

     Retour en 2002, avec les débuts sur grand écran du plus emblématique des héros de Marvel. Après avoir longtemps joué les arlésiennes, Peter Parker, l’incroyable Spider-Man, prit enfin vie sur grand écran. Heureuse pioche pour les producteurs Avi Arad et Laura Ziskin, et le studio Sony/Columbia Pictures : Sam Raimi fut le réalisateur choisi pour ce qui reste l’une des trilogies super-héroïques de référence des années 2000 (oui, j’assume et j’inclus aussi là-dedans le troisième film détesté par beaucoup). En orientant l’histoire de son héros sur son évolution dans l’âge adulte (de la dernière année de lycée au premier boulot), intégrant les codes délibérément « soap opera » de la b.d. de Stan Lee et Steve Ditko à une mise en scène ultra-dynamique, Raimi avait su trouver l’alliage quasi parfait. On y bascule constamment entre drame (le passage obligé de la mort de l’Oncle Ben, élément fondateur de la personnalité tourmentée de notre héros) et comédie (voire notamment les apparitions de Bruce Campbell dans des rôles différents à chaque film), et le spectaculaire est au rendez-vous. Des séquences littéralement infaisables une décennie plus tôt : Spidey virevolte comme jamais entre les buildings dans des plans-séquences boostés aux amphétamines, et affronte des vilains particulièrement réussis… enfin, à une exception près ! Raimi soignera particulièrement la personnalité des adversaires du Tisseur, n’hésitant pas à revisiter sa propre filmographie au passage - Evil Dead 2, notamment, qui se rappelle à notre bon souvenir quand Norman Osborn (Willem Dafoe) fait face à son double maléfique, le Green Goblin, tapi dans un miroir ; ou encore la brutale réanimation des tentacules de Docteur Octopus (Alfred Molina) décimant les chirurgiens à l’hôpital… On aura une tendresse particulière pour le Sandman (Thomas Haden Church), meilleur élément du troisième film, notamment cette superbe séquence muette de résurrection où le personnage, transformé en colosse friable, se raccroche au souvenir de sa fille malade. La preuve que, utilisés à bon escient, les CGI peuvent offrir de vrais moments de poésie. Dans l’ensemble, donc, cette trilogie laissera d’excellents souvenirs, le récit se reposant sur le développement du triangle amoureux compliqué formé par Peter, Mary Jane et Harry. Ne pas oublier de saluer l’implication et l’attachement de leurs interprètes respectifs : Tobey Maguire, Kirsten Dunst et James Franco, qui ont su trouver le ton juste pour donner vie à ces personnages. Un léger bémol, toutefois, avec un Spider-Man 3 alourdi par une sous-intrigue encombrante autour du symbiote, du costume noir et de Venom… Le film a pourtant ses moments de grâce, mais on ne sera pas surpris d’apprendre que Raimi, qui n’a jamais apprécié ce personnage, s’est senti obligé de céder au fan-service imposé par les producteurs. En dépit de cette sortie de route (très embarrassante quand Peter se transforme en emo gothique à mèche…), le film se rattrape au final sur une note douce-amère assez audacieuse dans un film de ce genre. Le réalisateur partira sur d’autres projets, ayant senti que sa version de Spider-Man n’avait pas besoin d’un quatrième opus. La (Spider)manne financière continuera cependant, sans lui, mais, au vu des récents avatars du Tisseur sur grand écran, on se dira que Spidey, sans Raimi aux commandes, n’est plus tout à fait Spidey…

      Dix ans seulement après la sortie du premier film, Sony/Columbia effectuera l’obligatoire reboot de service, titré The Amazing Spider-Man, dû à Marc Webb (un nom prédestiné), avec Andrew Garfield reprenant le rôle de Peter, la dulcinée étant cette fois la blonde Gwen, campée ici par la piquante Emma Stone. Rien de négatif à dire sur ce film, qui bénéficie du capital sympathie de ses deux jeunes acteurs (tombés amoureux pour de bon sur le tournage), et qui est consciencieusement fait de bout en bout. Le Peter Parker version Garfield est moins fragile et névrosé, plus « à la cool » que la version Maguire, et on sent que le réalisateur tente une version légèrement plus sombre de l’histoire originale, insistant sur le mystère de la disparition des parents de Peter Parker. Pour autant, le film procure un effet « Jour Sans Fin » des plus curieux, où le spectateur a l’impression de revivre, avec quelques modifications de noms et de personnages, le film original de Sam Raimi. De quoi se poser des questions, finalement, sur l’utilité de ce reboot souvent agréable mais pas transcendant… et en tout cas plus regardable que sa suite, The Amazing Spider-Man 2, répétant les mêmes erreurs de Spider-Man 3, en pire. L’exemple même du film à très gros budget victime de surcharge pondérale narrative, le scénario écrasant la relation Peter/Gwen (jusqu’au dénouement tragique bien connu des amoureux du comics) sous des raccourcis narratifs peu emballants, et un excès de super-vilains. Webb subit le même traitement que Raimi et dut se débattre avec les directives du studio annonçant sans modestie que cette suite devait dépasser le milliard de dollars de recettes, pour lancer des films dérivés liés à l’univers du Tisseur… Une absence totale de modestie dans l’intention que cette suite bancale n’arrivera pas à effacer. L’accueil mitigé du film mettra fin prématurément à la version Webb-Garfield de Spider-Man. Et placera Disney/Marvel en position de force pour récupérer le personnage afin de l’intégrer à l’univers MCU (Marvel Cinematic Universe), popularisé par les personnages d’Avengers. Pas sûr que le Tisseur y ait gagné au change, pour l’instant…

     Avec son apparition au milieu de Captain America : Civil War, voilà donc Spider-Man ramené à son âge d’origine dans le comics : 15 ans, et toutes ses dents ! Le jeune Tom Holland, aux faux airs de Michael J. Fox, petit et nerveux, campe un Peter Parker hyperactif, branché sur les réseaux sociaux, naïf à l’excès. Le voilà recruté par Tony Stark / Iron Man (Robert Downey Jr.), qui se cherche des alliés dans sa dispute contre Steve Rogers / Captain America (Chris Evans), au sujet du Soldat de l’Hiver… Spidey débarque donc au beau milieu d’une bataille épique dans un aéroport entre collègues Avengers rejoignant l’un ou l’autre des deux leaders ; quant à savoir pourquoi il le fait, hé bien… lui-même ne le sait pas vraiment ! La séquence, aussi jouissive soit-elle, n’est finalement qu’un prétexte à une bonne baston entre surhommes, et pas question d’aller chercher plus loin… Le film se terminant sur une scène post-générique annonçant clairement le lancement d’une nouvelle saga arachnéenne, placée sous le patronnage d’Iron Man en mentor/mécène fournisseur d’un costume multifonctions pour Peter. Spider-Man : Homecoming, signé Jon Watts, confirme le « recadrage » du personnage en mode « copain des ados », sans pour autant rassurer. Pas la faute, certes de Tom Holland, qui s’amuse bien dans le rôle principal. Tout comme Michael Keaton, l’ancien Batman de Tim Burton assurant comme le pro qu’il est le rôle du méchant Vautour… le problème, c’est que ce film manque d’âme. Comme elle paraît déjà loin, la trilogie de Sam Raimi, où le héros faisait face à ses problèmes, en adulte maladroit certes, mais quand même en adulte ! Ici, Spidey peut toujours se reposer sur les gadgets que lui a fourni « Tonton » Iron Man pour se tirer d’affaire, et Dieu sait qu’il se ridiculise souvent dans ce film… Le principal souci du film, c’est surtout qu’il semble avoir été calculé en permanence par le service marketing de Disney. Le film se permet ainsi un énorme placement de produit des jouets Star Wars, désormais propriété du studio Disney qui produit les films du MCU… Difficile, donc, d’être touché par cette nouvelle version des exploits du Tisseur qui peine à se trouver une nouvelle identité à part dans l’univers Marvel. Et qui risque de se retrouver en porte-à-faux avec de futures productions Sony/Columbia basées sur des personnages qui lui sont liés (Venom avec Tom Hardy, Black Cat et Silver Sable, l’arlésienne des Sinistres Six…). Spider-Man, personnage iconique de l’univers Marvel s’il en est, cherche encore sa place.

 

(photo, au choix – Daredevil, Hulk 2003, FF…)

Le Cimetière des Légendes

     Faire un bon film n’est pas une science exacte, et adapter un comics à succès en film à succès l’est encore moins. La réussite des premières versions des X-Men et de Spider-Man a malheureusement généré un réflexe quasi mécanique, chez les patrons des studios, de vouloir adapter tout et n’importe quoi sans forcément comprendre le matériel de base. La décennie 2000 a comporté son lot de films sinistrés à des degrés divers, aussi bien chez Marvel que chez D.C. Les amateurs du genre auront eu largement l’occasion de cracher leur colère devant la plupart de ces œuvres très regrettables. Prenez Daredevil par exemple ; s’il fait actuellement l’objet d’une remarquable série diffusée sur Netflix, le justicier de Hell’s Kitchen aura d’abord été l’objet d’une médiocre adaptation filmée, en 2003, par le tâcheron Mark Steven Johnson. L’intrigue empile des personnages emblématiques (Elektra, le Caïd et Bullseye) sans leur donner de vraie substance, les dialogues sont clichés au possible, les acteurs dans l’ensemble assez mal choisis (à l’exception du regretté Michael Clarke Duncan) ou surjouent (Colin Farrell en Bullseye tueur de grand-mère…), sans compter ses effets de style qui sonnent creux… Le film comporte son lot de scènes absurdes au-delà de l’acceptable, notamment ce moment où Matt/Daredevil et Elektra se la jouent Matrix au grand jour, dans une cour d’immeuble, devant des témoins qui ne s’étonnent pas du tout de voir un aveugle jouer les ninjas ! Pas découragés, malgré des critiques désastreuses et un box-office mitigé, les producteurs remirent le couvert avec un Elektra ayant vite sombré dans l’oubli.

     2003 vit aussi la sortie du premier long-métrage consacré à Hulk, bien avant qu’il ne rejoigne l’univers partagé du MCU. Une adaptation qui divise, pour tout dire. Hulk fut produit sous l’égide du studio Universal afin de rivaliser avec les films X-Men et Spider-Man, propriété des majors rivales, et a priori, tout semblait bien parti pour une adaptation de qualité de l’univers du Titan Vert et de son alter ego, le chétif Docteur Bruce Banner. Acteurs solides (Eric Bana, Jennifer Connelly, Nick Nolte, Sam Elliott), musique grandiose de Danny Elfman, effets spéciaux visuels de Dennis Murren du studio ILM (l’homme de Terminator 2 et Jurassic Park, respect), et aux commandes, un cinéaste prestigieux : Ang Lee, tout juste auréolé du succès de Tigre et Dragon. Le choix du studio d’engager Ang Lee, réellement motivé par l’envie de faire un film crédible autour de Hulk, n’était pas plus discutable que ceux de la Fox avec Bryan Singer ou de Sony avec Sam Raimi. Le résultat fut pourtant décevant. L’origin story de Hulk a beau être expliquée en détail par le récit des traumatismes du pauvre Bruce Banner, victime des abus de pouvoir de son paternel instable, elle ne captive pas. Ang Lee a-t-il vraiment pu faire le film qu’il voulait ? Pas sûr. En tout cas, les problèmes rencontrés dans Hulk sont légion. Le jeu des comédiens est passable, mention spéciale à un Nick Nolte en roue libre ; le look du Hulk en images de synthèse est encore trop « synthétique » pour convaincre ; certains morceaux de bravoure annoncés virent au n’importe quoi (Hulk affronte un caniche géant mutant !). Et le style du film laisse songeur… Hulk s’arrêtant au milieu de sa fuite dans le désert pour contempler du lichen : poésie, ou fumisterie ? Plus agaçant, ces séquences « pop art » choisies par Ang Lee pour tenter de retranscrire l’esprit du comics, tombent à l’eau systématiquement : freeze frames abusifs, scènes en écran divisé… des gadgets intrusifs qui ne cessent de faire décrocher le spectateur et lui rappeler qu’il est devant un film, au lieu de l’immerger. On se consolera comme on peut devant les thématiques psychologiques du film (malheureusement noyées dans des tonnes de dialogues d’exposition), ou les destructions attendues sur le passage du colosse furieux. Pas de quoi, au final, faire un bon film. Hulk devra patienter pour « smasher » à nouveau…

     On continuera rapidement l’évocation de ces adaptations boiteuses qui pullulèrent au milieu des années 2000, chez les personnages Marvel. Une pensée émue pour le Punisher, le vigilante à tendance psychopathe, anti-héros urbain par excellence, deux fois sinistrée par des adaptations médiocres. A vrai dire, vouloir faire un film rassembleur autour du personnage d’un comics réputé pour son extrême violence n’était sans doute pas une bonne idée. Ni Punisher (2004), version édulcorée du personnage joué par Thomas Jane, ni Punisher War Zone (2008), plus proche du comics, ici incarné par Ray Stevenson, n’ont laissé de traces notables. Il faudra attendre la seconde saison de la récente série tv Daredevil pour voir un Punisher marquant, ici incarné par l’impressionnant Jon Bernthal, qui va rempiler dans sa propre série. A l’extrême opposé de l’univers noir de noir de Frank Castle dans la galaxie Marvel, les Quatre Fantastiques auront aussi connu de sacrées avanies. Sur grand écran, Reed Richards, Sue Storm, Johnny Storm et Ben Grimm (alias Mister Fantastic, La Femme Invisible, La Torche Humaine et La Chose) auront été salement malmenés… Triste ironie du sort pour ces personnages qui ont pourtant été les piliers de l’Univers Marvel à leurs débuts. Purs produits des années 60 marqués par la conquête spatiale, et qui apportaient avec eux un certain optimisme lié à la science et l’exploration, les FF feront naufrage au cinéma. Un premier film sorti en 2005 sera à peine le plus regardable du lot : nos héros donnent l’impression d’être dans coincés un sitcom à la Friends… Impression confirmée deux ans plus tard par une séquelle navrante, même pas sauvé par le mythique Silver Surfer de passage sur notre Terre. Pas découragé par les mauvaises critiques et le box-office tiédasse de ces deux œuvres, le studio Fox lancera un reboot en 2015, Fantastic Four qui fut effectivement un fantastique four… Pauvres FF ! Leur titre déjà rayé des ventes de comics, Reed, Sue, Johnny et Ben, ainsi que leur vieil ennemi le Docteur Fatalis, semblent s’être perdus dans la Zone Négative. Sans doute les reverra-t-on un jour, possiblement « raccordés » dans le MCU de Marvel/Disney ? Encore faut-il que les amoureux de la b.d. d’origine manifestent l’envie de les revoir. Une pensée aussi pour un acteur qui adore sincèrement les comics depuis l’enfance : Nicolas Cage, qui changea son célèbre nom de famille (Coppola) pour un nom de scène inspiré par le super-héros black Luke Cage, et qui a aussi très sérieusement baptisé son fils du prénom de Kal-El (cet homme est fou !!). Frustré de n’avoir pas pu jouer Superman pour Tim Burton, recalé aux castings de Spider-Man (il faillit jouer Norman Osborn, le Green Goblin) et d’Iron Man, Cage fit des pieds et des mains pour enfin incarner un super-héros. Ce fut chose faite en 2007 avec Ghost Rider. Pas de chance, le film fut confié au récidiviste Mark Steven Johnson, celui-là même qui coula Daredevil… D’une platitude à peine sauvée par quelques money shots assurés par l’équipe des effets visuels, le film est cependant plus regardable qu’une suite à la réputation calamiteuse, Ghost Rider : L’Esprit de Vengeance, sans doute tournée en Bulgarie avec le budget pause café d’Avengers… Dur pour Cage, qui s’en sortira beaucoup mieux dans son rôle de Big Daddy dans le décapant Kick-Ass de Matthew Vaughn, relecture iconoclaste des films du genre.

     Dans la catégorie « films sinistrés », les héros Marvel ne sont pas les seuls à avoir leurs canards boiteux (non, pas Howard !). Chez D.C. / Warner, on aura beau jeu de se cacher derrière la trilogie Batman version Christopher Nolan, la boutique cache mal quelques beaux ratages en bonne et due forme… Mention spéciale au Catwoman de 2004, réalisée par le français Pitof, et qui vaudra à Halle Berry un Razzie Award. Une aberration filmique, née des cendres d’un ancien projet de Tim Burton pour Michelle Pfeiffer, où la seule chose marquante est l’abominable costume de série Z porté par la belle comédienne… Cela dit, l’actrice assuma le ratage du film en acceptant le Razzie en question, une certaine forme de courage qui mérite d’être salué. Mentionnons aussi Jonah Hex, sorti en 2010, western surnaturel indirectement lié aux super-héros DC ; un casting correct (Josh Brolin, John Malkovich, Megan Fox, Michael Fassbender, Michael Shannon) ne suffit pas à susciter l’intérêt. Pas plus que le tardif Green Lantern de Martin Campbell, sorti en 2011 ; une superproduction étiquetée à 200 millions de dollars, tout de même, censée faire barrage aux films de la Phase Un de Marvel (Thor et Captain America premiers du nom) et qui se prendra un méchant vent de la part des critiques et du public. Le respect du comics d’origine n’est pas ici en soi une garantie de succès immédiat ; il faut avouer que le visuel fluo du film brûle les yeux des spectateurs, et les vannes de Ryan Reynolds, toujours en mode « Deadpool », ne prennent pas. De cette courte flopée de films oscillant entre le nanar et le film quelconque, émerge le cas particulier du Superman Returns de Bryan Singer, daté de 2006. Le réalisateur des X-Men avait cru bon de passer à l’ennemi, l’occasion étant trop belle pour lui de rendre hommage au(x) film(s) de Richard Donner. Pas désagréable, sa version possède quand même quelques jolis morceaux de bravoure, aidés par une ambiance visuelle impeccables ; elle souffre cependant d’un statut bâtard. Coincé entre l’hommage, la suite directe cherchant à effacer les opus 3 et 4 de la période Christopher Reeve, et l’obligation du reboot, le film de Singer se retrouve assis entre plusieurs chaises sans donner l’impression de choisir une direction précise. Au point de s’embourber dans une intrigue franchement ennuyeuse autour du fils de Kal-El et Lois Lane… Pour un film budgeté à 209 millions de dollars, ramener toute l’histoire du Man of Steel à une simple affaire de reconnaissance de paternité, c’est un peu cher payé, non ? Qui plus est, les rappels constants du film de Donner (l’utilisation des scènes tournées par Marlon Brando, la musique de John Williams) sont loin d’avoir la force de ce dernier. Quant à l’interprétation, elle est très mitigée. Brandon Routh, inexpressif, beaucoup trop fluet pour être crédible en Superman, arrive tout juste à imiter Christopher Reeve en Clark Kent, sans plus. Et son entente avec Kate Bosworth (trop jeune en Lois Lane) à l’écran est franchement quelconque. Une erreur qui coûte cher, surtout quand on a en face de soi un Lex Luthor incarné par Kevin Spacey qui en rajoute avec délices dans le registre « fourbe et irresponsable » (c’était avant qu’on ne réalise que le grand acteur était, dans la vraie vie, un vrai vilain pour d’autres raisons…). L’ensemble de ces quelques plantages de films sortis sous la bannière DC / Warner laisse songeur quand à la gestion des décisionnaires du studio, face à la déferlante adverse. Surtout quand on leur ajoutera la terrible frustration de l’annulation pure et simple du Justice League Mortal que devait réaliser George « Mad Max » Miller… Bon sang, comment les exécutifs de Warner ont-ils pu laisser passer une occasion pareille ? L’annonce d’une Justice League – soit Superman, Batman, Wonder Woman, Flash, Green Lantern et leurs copains – par le père spirituel du Road Warrior aurait valu un triomphe garanti sur mesure, précédant le carton d’Avengers de quelques années. Au lieu de quoi les décisionnaires de Warner préfèreront investir dans Green Lantern, ou plus récemment dans Suicide Squad ou une Justice League toujours plombée par de mauvaises décisions internes. Il y a de quoi rager…

 

(scene Avengers)

Vengeurs, Rassemblement !

     La fin des années 2000 verra un grand bouleversement de la Force au sein de l’industrie hollywoodienne. Un changement opéré sous la férule du producteur Kevin Feige, ancien associé d’Avi Arad, ayant fait partie du staff de production de Disney, et qui reprit en main les droits d’exploitation de divers personnages Marvel dispersés aux quatre vents, avec l’idée d’élaborer un projet assez fou : créer un univers partagé, à l’instar des comics, où chaque personnage pourra avoir ses propres aventures en solitaire avant de rejoindre un grand film d’équipe, selon une stratégie de production solidement encadrée. Quoi de mieux que de rassembler petit à petit les futurs Avengers (ou Vengeurs, pour les nostalgiques francophiles) en différentes « phases » de lancement ? Voilà dix ans que l’idée aura été lancée, avec succès. A la sortie d’Iron Man de Jon Favreau en 2008, les irréductibles guetteurs de scènes post-générique de fin ont été récompensés : Nick Fury, Colonel du SHIELD (Samuel L. Jackson) apparaissait pour parler à Tony Stark (Robert Downey Jr.) du mystérieux « Projet Initiative Avengers ». L’annonce tenait apparemment du gag pour initiés, elle aura cependant fait l’effet d’une véritable bombe à retardement. Quatre ans et cinq films plus tard, Avengers pulvérisait les records au box-office mondial. La stratégie de fidélisation des fans orchestrée par Feige, rassemblant bientôt les franchises sous l’égide Marvel/Disney (les films de la première vague étant des coproductions opérées avec Paramount ou Universal) aura été payante à long terme. Le Marvel Cinematic Universe (MCU) était lancé. 

     Iron Man aura été la tête de pont de cette stratégie habilement pensée. Le sympathique film de Jon Favreau aura su se mettre les fans dans la poche, sans trop forcer : humour permanent, effets visuels spectaculaires, beaucoup de rythme… à défaut d’avoir une histoire vraiment originale (la structure du récit sera dupliquée sur d’autres films du MCU, tels Ant-Man ou Docteur Strange), le film décrochera un joli succès, aidé par un Robert Downey Jr. en show permanent, parfaitement adapté à l’état d’esprit du personnage de Tony Stark. Suivront : L’Incroyable Hulk (débarrassé des lourdeurs psychanalytiques et des effets esthétiques du film d’Ang Lee), Iron Man 2, Thor, Captain America : The First Avenger, avant le grand rassemblement Avengers. Après le film de Joss Whedon, ce sera : Iron Man 3, Thor : Le Monde des Ténèbres, Captain America : Le Soldat de l’Hiver, Les Gardiens de la Galaxie, Ant-Man, Avengers : L’Ere d’Ultron, Captain America : Civil War, Docteur Strange, Les Gardiens de la Galaxie 2, Spider-Man : Homecoming, Thor : Ragnarok, Black Panther… Je ne m’étends pas trop sur les qualités et défauts respectifs de ces films, souvent traités à leur sortie dans ces pages. Et encore, il faut mentionner les séries télévisées situées dans le même univers : Agents of SHIELD, Inhumans, ou celles diffusées sur Netflix, au ton plus urbain et brutal (Daredevil, Jessica Jones, Luke Cage, Iron Fist, qui se rejoignent dans Defenders). Et bientôt : Avengers Infinity War, Captain Marvel, Ant-Man & The Wasp, etc. Ouf, n’en jetez plus, la cage est pleine !! La stratégie Disney/Marvel est efficace, il faut bien l’admettre. Orientés « popcorn » avant tout, les films estampillés Marvel suivent d’année et année la même méthode : le divertissement avant tout… On aurait souvent tort de se plaindre, la plupart de ces films faisant mouche, mais on ne peut s’empêcher de constater une certaine uniformisation du genre. Les réalisateurs engagés sont compétents, mais leur style et leur vision semblent interchangeables. Difficile de reconnaître ce qu’a de particulier la vision d’un Peyton Reed (Ant-Man) ou d’un Jon Watts (Spider-Man Homecoming), qui respectent le cahier des charges du studio. Un Docteur Strange peut être une belle surprise, mais faut-il remercier le réalisateur Scott Derrickson, l’équipe artistique ou les responsables des stupéfiants effets visuels du film ? Et on notera par ailleurs que les réalisateurs plus « affirmés » ne restent pas longtemps dans l’aventure. Joss Whedon, fatigué des ingérences permanentes des exécutifs de Disney dans son travail, a quitté les Avengers après un second film mitigé, pour répondre à l’appel de la Distinguée Concurrence. James Gunn a fait du bon travail sur les Gardiens de la Galaxie, mais là encore, le second film qu’il vient de livrer, malgré des trouvailles jouissives, connaissait des pannes d’inspiration. Dernier appelé en date, Ryan Coogler a pu imprimer sa patte personnelle sur Black Panther, livrant au passage un film très appréciable, tout en devant composer avec le cahier des charges du studio. D’autres ont soit plié bagage avant le tournage (Patty Jenkins sur Thor 2), ou ont été débarqués comme des malpropres (Edgar Wright sur Ant-Man). La jungle hollywoodienne est sans pitié pour les « auteurs ». En tout cas, la méthode Marvel, bâtie sur un relatif long terme (l’univers partagé devrait s’étendre au moins jusqu’en 2029, environ !) fonctionne… mais si le public répond présent, le danger de lassitude demeure. Il n’y a qu’à voir la mine épuisée de Robert Downey Jr., qui a enchaîné sept films en dix ans sous l’armure d’Iron Man, pour voir que l’usure guette les personnages stars du MCU.

 

(scene The Dark Knight)

D.C. : contre-attaques et petits suicides entre amis 

     Bien entendu, le succès des adaptations Marvel, qu’elles soient sous le giron Disney ou sous celui de la Fox, ne laissait pas indifférente la Distinguée Concurrence chapeautée par Warner Bros. … Encore que les responsables de DC/Warner semblent avoir peiné à réagir à la déferlante adverse, quantitativement parlant. En une quinzaine d’années, on compte (en se limitant aux seuls films cinéma) à peu près deux fois moins de productions estampillées D.C. que de productions Marvel. Est-ce que, pour autant, les ayant-droits de Superman, Batman et compagnie ont privilégié la qualité à la quantité ? Hmm… réponse mitigée : on a quand même eu droit à quelques naufrages artistiques cités plus haut… mais le studio peut quand même avoir la fierté de citer une trilogie emblématique s’il en est, celle qui a pratiquement redéfini le genre et les codes des blockbusters « adultes » : il s’agit évidemment de la saga de Batman revisitée par Christopher Nolan, que l’on nomme plus fréquemment « trilogie Dark Knight« . Impossible de passer à côté, tant cette trilogie a radicalement changé l’univers filmique du justicier de Gotham City. On revenait de loin, après un Batman et Robin de funeste mémoire, conjugué à l’arrêt du Superman Lives de Tim Burton.

     Sept longues années sans Batman, donc, personnage hautement iconique dont le studio ne savait manifestement plus quoi faire. Un cinquième épisode vite annulé (Joel Schumacher, littéralement lynché par les Bat-fans, aura vite démissionné), un Batman Vs. Superman longtemps resté un serpent de mer (gag dans le film de 2007 Je suis une Légende : Will Smith, pas encore dans la Suicide Squad, passe devant un cinéma désert orné du logo des deux légendes D.C. …), ou l’adaptation du graphic novel de Frank Miller, Batman Year One, par Darren Aronofsky… Ce dernier projet, déjà plus excitant, annonçait un film plus dur, plus réaliste, ancré dans l’ambiance des films urbains des seventies. Le projet resta lettre morte, mais il a certainement influencé Christopher Nolan et son scénariste David S. Goyer au moment de poser les bases de leur Batman Begins : rendre justice au personnage, au travers d’une origin story cohérente, tout en gardant une tonalité urbaine, violente, oppressante propres aux comics modernes liés au Dark Knight. Batman Begins est au carrefour de nombreuses influences revendiquées par le jeune cinéaste londonien, mêlant des éléments du cinéma d’anticipation (Metropolis et Blade Runner – hello, Rutger Hauer, sont évidemment cités), du polar (de Serpico pour le personnage de Gordon, à Seven - hello, Morgan Freeman !) et du film de samouraï et d’arts martiaux, pour raconter la formation de Bruce Wayne. Les auteurs se permettent ici une approche très différente du genre super-héroïque, où la noirceur et la complexité dominent. Il est vrai qu’entre le dernier film de la précédente saga (daté de 1997) et celui-ci, sorti en 2005, le monde occidental a été sérieusement bousculé dans ses certitudes. Plus question de prendre à la rigolade les scènes de destruction urbaine au cinéma, après le 11 septembre 2001. Des réalisateurs tels que Nolan ont bien compris que les blockbusters estivaux ne pouvaient plus faire semblant d’ignorer le monde réel. Batman Begins et les deux films suivants se dotent donc d’un constat lucide sur le malaise des sociétés occidentales. Omnipotence des multinationales, mépris du droit humain, montée alarmante des fondamentalismes et du terrorisme, clivages sociaux aggravés par la violence… la trilogie Batman de Nolan a beau être une fiction, elle nous tend un reflet peu flatteur. Nolan s’approprie les personnages les plus emblématiques du comics, osant braquer parfois certains fans trop puristes, et les balance dans un monde aussi réaliste que possible, offrant parfois au spectateur des passages assez déstabilisants. Nolan poursuivra son travail avec deux suites « batmaniennes » remarquables : The Dark Knight, hanté par la performance terrifiante de Heath Ledger en Joker psychopathe (le comédien ne s’en remettra pas, hélas) et un Dark Knight Rises plus mitigé (ceci à cause du jeu d’une Marion Cotillard somnambule), mais sauvé par des fulgurances nolaniennes, et la présence d’un Tom Hardy monstrueux de charisme en Bane « madmaxien ». Soyons honnêtes : malgré ses failles, cette trilogie a clairement donné toute sa noblesse au genre, et montre qu’on peut offrir au public qu’un blockbuster peut aussi être une œuvre intelligente. Une qualité rare.

     Encouragées par les bénéfices pharamineux du reboot batmanien, les têtes pensantes de DC/Warner se décideront enfin à tenter l’aventure d’un univers partagé par les personnages DC, sur le modèle de leurs rivaux au box-office. Mais il n’est pas simple de vouloir conjuguer un ton supposé plus « adulte » avec les exigences des codes super-héroïques. Quatre films, pour le moment, montrent que l’univers DC alterne le meilleur et le pire, en matière d’adaptations… Pris par des projets plus personnels, Nolan produira le Man of Steel de Zack Snyder en 2013. Une nouvelle version de l’histoire des origines de Superman, incarné par Henry Cavill, qui fait table rase de Superman Returns et se libère (presque) de l’influence de la période Christopher Reeve. Toujours écrit par David S. Goyer, le film fait de Kal-El un personnage plus tourmenté, moins optimiste que ses précédentes versions. Il est toujours un Dieu isolé parmi les Hommes, dépositaire de la mémoire de sa planète disparue et toujours impulsif dans ses choix. Pas évident de traiter un personnage surpuissant et solaire, et il n’est pas certain que Snyder ait toujours fait les bons choix, notamment une violence malvenue (destruction abusive d’immeubles, exécution du méchant par « Supes ») qui tranche avec l’image optimiste du super-héros kryptonien. Pour contrebalancer ces défauts, on a cependant de bonnes idées pour réinventer certains passages obligés du récit : par exemple, de voir un jeune Clark Kent/Kal-El mal réagir, enfant, devant la découverte progressif de ses pouvoirs, comme cette super-ouïe qui se déclenche à l’école, et lui cause une véritable « crise » autistique… Le genre de scène qui fait mouche, selon moi. Cela étant, le film est une fusion assez correcte entre l’univers de Superman et le style visuel de Snyder, un réalisateur souvent contesté parmi les communautés geeks, mais qui a incontestablement le courage de ses parti pris. Et puis, saluons la décision de repenser des personnages archi-classiques : Lois Lane, Jor-El, Perry White, les parents Kent, le Général Zod, en les confiant à des acteurs de grand calibre – Amy Adams, Russell Crowe, Kevin Costner, Michael Shannon… pas mal du tout. Et le tout servi sur une musique de Hans Zimmer qui impose une touche très différente, là encore, du score orchestral de John Williams.

 

(scene Batman Vs Superman)

     Snyder, sans Nolan mais toujours avec David S. Goyer, s’attaquera ensuite à un vieux serpent de mer, le très attendu Batman Vs. Superman : L’Aube de la Justice, sorti en 2016. Un choc des titans entre les deux surhommes emblématiques, faisant suite à Man of Steel (mais pas à la trilogie de Nolan), pour préparer le terrain aux autres films estampillés D.C. menant à Justice League. Un film qui ne cessera de diviser les amoureux du genre. Coincé entre son statut de suite de Man of Steel, son retour de Batman (campé par un Ben Affleck convaincant), sa volonté de « teaser » les futurs héros de la Ligue de Justice (Flash, Aquaman, Cyborg) tout en lançant Wonder Woman, Batman Vs. Superman se prend souvent les pieds dans une narration confuse, « écrasée » par tous ces placements de personnages abusifs. L’intrigue, surtout dans sa première partie, donne souvent l’impression de s’embrouiller dans des ramifications politiques surchargées à l’excès. On peut aussi critiquer certaines facilités scénaristiques (le changement d’avis de Batman sur Superman, en l’entendant prononcer le nom de sa mère) et le jeu outré de Jesse Eisenberg, très crispant en Lex Luthor. Pour autant, le réalisateur sait nous livrer des moments forts qui surpassent ces faiblesses. Quand il revient par exemple sur la destruction de Metropolis dans Man of Steel, mais cette fois-ci vue par les yeux d’un Bruce Wayne impuissant (La Guerre des Mondes de Spielberg n’est pas loin). Ou ce cauchemar postapocalyptique fait par le même Bruce Wayne, illustrant ses pires peurs sur le devenir de l’Humanité. Et quand les héros joignent leurs forces pour affronter l’horrible Doomsday, il livre une bataille démentielle renvoyant le finale d’Avengers à une aimable bagarre de cour d’école. Le must étant l’arrivée de Wonder Woman dans le combat. Soutenue par les riffs de guitare électrique de Hans Zimmer et Junkie XL, la belle Amazone a droit à l’entrée en scène la plus badass jamais vue à ce jour, de mémoire super-héroïque !

      L’occasion de saluer Gal Gadot, l’actrice israélienne qui semblait être née pour jouer le rôle… et que nous avons retrouvé cette année dans son film, signé de Patty Jenkins. Un Wonder Woman de bonne facture, la réalisatrice de Monster ayant su livrer une « origin story » solide, plongeant notre héroïne dans les conflits de la 1ère Guerre Mondiale, selon une logique de serial qui sait prendre son temps pour capter la prise de conscience de l’héroïne. Le film sait se faire grave et amusant à bon escient, servi par une bonne direction artistique et un bon casting (mention spéciale aux Amazones campées par Connie Nielsen, toujours aussi belle depuis Gladiator, et Robin Wright). De quoi faire passer la pilule de quelques facilités scénaristiques, comme ce commando multi-ethnique accompagnant l’héroïne, photocopie des Howling Commandos de Captain America : First Avenger… Le capital sympathie du film, en tout cas, est bien réel, et laisse espérer des suites à la hauteur. Déjà ça de pris, quand on se souvient que D.C.  et Warner, un an plus tôt, nous ont infligés un Suicide Squad qui avait réussi un exploit peu commun : mettre la bave aux lèvres des fans pendant des mois, grâce à des bandes-annonces prometteuses, puis provoquer le rejet quasi unanime des mêmes fans devant le résultat final… Un monstrueux cafouillage en règle que le réalisateur David Ayer va se traîner durant toute la suite de sa carrière. Le film se voulait un Douze Salopards du « comic-book movie« , avec sa bande de criminels à super-pouvoirs engagés dans une mission suicide contre une remise de peine, en même temps qu’il devait être un sommet de pop culture décomplexée. C’est raté à tous les étages ! Les personnages sont maltraités au possible, les acteurs en font soit des caisses (Margot Robbie en Harley Quinn), soit ne font rien du tout (les nombreux seconds rôles, réduits au rôle de simples figurants), le découpage des scènes d’action est illisible, et le scénario contient plus de trous qu’un fromage suisse… Quant au Joker joué par Jared Leto… n’en parlons pas.

     Ce bilan (temporaire) de D.C./Warner est inégal, malgré une évidente volonté de bien faire – des réalisateurs et des comédiens de prestige, un ton généralement plus « mature » que chez les concurrents… La sortie de Justice League n’a fait que confirmer les problèmes inhérents à la méthode de production Warner/DC. Le film a connu des reshoots commandés par le studio. Avec ou sans l’aval de Zack Snyder et son épouse productrice Deborah ? Le couple a été endeuillé par une tragédie personnelle (le suicide de leur fille) durant la post-production du film. Impossible pour l’instant de savoir si ce second tournage est une décision personnelle (compréhensible, vu le contexte) ou une prise de contrôle du film par les cadres exécutifs (nettement plus inquiétant, pour la qualité du produit final). Toujours est-il que le réalisateur appelé à la rescousse n’est autre que Joss Whedon, tout juste débarqué de l’univers voisin Avengers/Marvel/Disney… Justice League, bâti sur la promesse de rassembler les personnages phares de DC, est devenu un produit hybride, partagé entre les envies du couple Snyder de poursuivre dans la veine « sombre/adulte » de leurs films précédents, et l’interventionnisme de DC/Warner prêt à imiter la concurrence Marvel. Pas désagréable au demeurant, le film fait tout de même le grand écart entre la noirceur apparente du début, et l’humour à destination des kids du final. Le résultat est forcément en dents de scie, et le box-office décevant laisse craindre pour la suite des opérations chez Warner. On jugera bientôt Aquaman de James Wan, le super-héros aquatique incarné par Jason « Khal Drogo » Momoa – un pari très risqué, le personnage n’ayant pas le même rayonnement que la Sainte Trinité Batman/Superman/Wonder Woman. A plus ou moins long terme, DC/Warner annoncera le lancement d’autres films de cet univers partagé. On attend plus The Batman avec ou sans Ben Affleck, dirigé par Matt Reeves (auteur des excellents derniers opus de la nouvelle Planète des Singes) qu’un Suicide Squad 2 que devrait réaliser Gavin O’Connor (bonne courage à lui…). Le personnage suivant de la Justice League à avoir son film devrait être Flash, incarné par Ezra Miller. Sur la « A-List » annoncée des réalisateurs potentiels, du beau monde : Sam Raimi, Matthew Vaughn, à moins que ce ne soit le grand Robert Zemeckis en personne. Plus lointains, outre les probables suites de Man of Steel et Wonder Woman, d’autres projets fleurissent. Shazam avec Dwayne « The Rock » Johnson, Gotham City Sirens, qui devrait mettre en scène les vilaines de Batman – Catwoman, Harley Quinn et Poison Ivy -, un film sur le Joker et encore Harley Quinn (avec Margot Robbie, mais apparemment pas Jared Leto… ouf ?!), un autre sur Nightwing (l’ex-Robin à son Batman), et peut-être le retour de Green Lantern, sans Ryan Reynolds. Le Justice League Dark de Guillermo Del Toro, qui devait réunir les personnages surnaturels de DC (Swamp Thing, Docteur Fate, Zatanna, John Constantine, Jason Blood, Deadman et Spectre), est quant à lui porté disparu dans le Development HellUne liste prometteuse, certes, mais l’absence de communication claire de la part des responsables de la branche cinéma de D.C. donne l’impression que ceux-ci lancent leurs films dans la précipitation, en réponse aux plans de bataille jusque ici bien réglés de Marvel/Disney. La qualité des films s’en ressentira forcément.

 

(BA Ready Player One ?)

La suite au prochain numéro ?

      Nous approchons (enfin !) de la fin de cet épais dossier qui est loin d’avoir fait le tour de toutes les adaptations de comics US. Il aurait fallu consacrer aussi un dossier supplémentaire pour parler des séries TV – DC s’étant longtemps taillé la part du lion, à travers de superbes séries animées (le Batman version Paul Dini / Bruce Timm, ahh… nostalgie !) et les séries live (de Smallville à Gotham en passant par Arrow, Supergirl, Flash, et j’en oublie sûrement). Il faut aussi évoquer rapidement les nombreuses adaptations de graphic novels des papes du genre, issus des comics, tels que Frank Miller (Sin City, 300, The Dark Knight Returns) et Alan Moore (Batman The Killing Joke, Watchmen, V pour Vendetta, From Hell, La Ligue des Gentlemen Extraordinaires), qui ont vu leurs œuvres adaptées et leurs idées utilisées par d’autres, pour le meilleur comme pour le pire… Les adaptations cinéma des créations de Moore, notamment, sont d’une qualité très aléatoire, les studios ne voyant apparemment dans ses œuvres très complexes qu’un simple matériel à blockbuster standard, ce qui n’a fait qu’attiser la rage légitime du scénariste anglais à l’égard du système hollywoodien. On aurait pu s’étendre aussi particulièrement sur Guillermo Del Toro, le cinéaste mexicain ayant signé d’excellentes adaptations de comics (hors Marvel/DC) comme les deux Hellboy et Pacific Rim. C’est d’ailleurs à la sortie du premier Hellboy qu’il prophétisait, lucide, l’inévitable rapprochement entre les médias b.d./cinéma/jeux vidéo, l’association des trois pouvant à long terme déboucher sur la naissance d’une nouvelle forme d’expression artistique propre au 21ème Siècle. On aura aussi constaté, en l’espace d’une vingtaine d’années, l’acceptation du phénomène super-héros sur grand écran, les comics jadis vus comme de simples récits infantiles inspirant désormais des films aux tons très différents. Quelques exemples notables ? Incassable de M. Night Shyamalan, déconstruction intimiste du genre, à réévaluer (ceci, quoi que l’on puisse penser des films suivants du cinéaste) ; Les Indestructibles signé Brad Bird, génial hommage animé au genre qui nous intéresse, bourré d’idées de mise en scène complètement folles. On peut aussi citer l’intéressant found footage Chronicle de Josh Trank, ou le furieux Kick-Ass de Matthew Vaughn… Les intellectuels méprisant le genre pourront toujours se rabattre sur Birdman, pavé assez prétentieux, il faut bien l’avouer, d’Alejandro Gonzalez Inarritu, et son commentaire « méta » pesant sur les déboires personnels d’une ancienne star du genre, incarné par Michael Keaton, le Batman de Tim Burton. Quelques exemples contredits cependant par des bizarreries du type Hancock ou des monstruosités à la Ma Super Ex ! Le Diable Hollywoodien nécessite, pour tous les cinéastes tentés de mettre en scène les surhommes, de toujours dîner avec une très longue cuillère.

     Que retient-on, finalement, de ce vaste tour d’horizon ? Les professionnels semblent partagés. Il suffit d’entendre certaines grandes voix de ce métier s’exprimer sur le sujet pour constater l’ampleur du fossé générationnel et culturel qui les sépare d’un public acquis à la cause super-héroïque. Quelques vieux grognards du métier n’ont pas eu de mots assez durs pour dire leur mépris du genre – avec peut-être parfois un brin de mauvaise foi, d’incompréhension manifeste ou d’orgueil blessé. C’est le cas de William Friedkin, qui ne s’est jamais vraiment remis d’avoir été subitement éclipsé par le succès de Star Wars au détriment de son remarquable Sorcerer… Ridley Scott et Mel Gibson ont aussi taclé le genre dans de récentes interviews, sans langue de bois. Même James Cameron, qui a pourtant largement inspiré le genre, y est allé de son grain de sel en critiquant le féminisme guerrier sexué de Wonder Woman. La dernière charge en date étant venue de Jodie Foster, l’actrice-réalisatrice respectée ayant utilisé des qualificatifs assez durs concernant l’évolution du système hollywoodien, dominé par ces films qu’elle juge « sans âme » et « destructeurs pour la planète » en raison de leurs budgets démentiels. L’actrice du Silence des Agneaux a certes utilisé des arguments valables, mais elle s’est pris un violent retour de bâton de la part de fans de comics n’ayant guère apprécié d’être pris pour des idiots. Ironie de la situation, c’est James Gunn, le réalisateur des deux Gardiens de la Galaxie, qui a calmé le jeu en répondant à sa distinguée collègue, en utilisant des arguments sensés et adultes ! Je ne peux pas m’empêcher de constater par ailleurs, que ces grands cinéastes mécontents de la situation actuelle sont quinquagénaires, au minimum. Leurs confrères plus jeunes, certes conscients des difficultés qu’impose le système hollywoodien aux réalisateurs, semblent plus à l’aise avec le genre. De là à parler d’une querelle des Anciens et des Modernes, il n’y a qu’un pas…

     Plus mesuré que ses confrères, Steven Spielberg a pu mesurer l’étendue de l’influence de ses propres films sur la génération des Nolan, Singer, Snyder et autres Whedon, qui ont souvent glissé des images « spielbergiennes » dans leurs productions (exemple : ce verre d’eau tremblant aperçu dans la bande-annonce de Justice League). Questionné sur le sujet, le cinéaste avait récemment fait une comparaison sybilline entre l’explosion des films de super-héros et un autre genre, celui du Western. Ce genre avait connu une véritable explosion similaire durant l’Âge d’Or de Hollywood, dans les années 1940/50, avant de péricliter jusqu’à presque disparaître à la fin des années 1970. Le Western aussi était populaire ; lui aussi, il créait, ou recréait, des mythologies propres à l’histoire humaine universelle. Et lui aussi était souvent méprisé. Il comprenait ses chefs-d’oeuvre, ses petits classiques, et ses ratages. Les studios ne s’étaient pas privés, à la longue, pour surexploiter le genre, surtout à la télévision où de nombreuses séries se firent concurrence (Au nom de la Loi, Rawhide, Gunsmoke, Bonanza, etc.) à moindres frais. Tout ceci avant que le vieillissement inévitable des stars du genre, le départ à la retraite des maîtres du genre (Ford, Hawks et autres Hathaway), et la lassitude du public ne provoquent son déclin. L’analogie entre le Western et les films de super-héros faite par Spielberg est correcte, en partie. Le réalisateur sait très bien que l’industrie du cinéma américain fonctionne depuis toujours sur ces phénomènes de vagues faisant suite au succès de tel ou tel type de films. La petite différence, de taille, est qu’ici, on a affaire à une rivalité de longue dates entre deux éditeurs ayant trouvé place au sein des majors américaines. D.C. Comics est depuis longtemps associée au studio Warner Bros., sur tous ses supports, Marvel s’étant dispersée pendant longtemps avant d’être regroupée essentiellement entre Disney et 20th Century Fox. Des alliés financiers aux reins (en principe) solides, qu’on imagine mal abandonner les centaines, les milliers de personnages de leurs différentes séries, par crainte d’une désaffection d’un public acquis d’avance.

     Le problème, c’est que le succès de ses films, aussi plaisants soient-ils, risquent d’avoir des effets à long terme problématiques sur l’industrie hollywoodienne. En lançant les bases d’un univers partagé autour des Iron Man, Captain America, Thor et compagnie, le « boss » Kevin Feige a-t-il ouvert une boîte de Pandore ? On sait que le cinéma américain traverse une sévère crise financière et créative, qui semble s’aggraver. Passe encore les inévitables suites, remakes et reboots qui continueront d’exister, et peuvent générer parfois de bonnes surprises, mais le concept de l’univers partagé a donné à certains concurrents des idées discutables. C’est ainsi que Disney, toujours, lance autour de la nouvelle trilogie Star Wars des films « standalone » liés à cet univers ; si Rogue One a constitué une jolie surprise, à qui le doit-il ? Le réalisateur Gareth Edwards a été débarqué du tournage en cours de route, pour être remplacé au pied levé par le scénariste Tony Gilroy, selon les souhaits des cadres du studio. Même son de cloche pour le film Solo, les réalisateurs Phil Lord et Chris Miller ayant été renvoyés pour être promptement remplacés par le vétéran Ron Howard. Qui plus est, le phénomène des reboots permanents devrait se poursuivre, l’ogre Disney achetant les actions de la 20th Century Fox et se retrouve par conséquent copropriétaire de ses franchises à succès (Alien, La Planète des Singes, etc.). Celles-ci entrent donc ainsi dans le giron de la compagnie de Mickey Mouse – qui aura désormais les droits d’exploitation des X-Men, Deadpool et des Fantastiques, sans doute appelés à rejoindre le MCU dans un proche avenir. Chez les studios rivaux, on « tambouille » comme on peut pour suivre le rythme : la firme Legendary, qui vient de relancer Godzilla et King Kong annonce déjà l’inévitable crossover entre ses deux mastodontes, en attendant l’entrée en scène d’autres bestioles gigantesques issues du folklore kaiju des productions Toho (Mothra, Ghidrah, etc.) remaniées à la sauce US. N’oublions pas qu’elle détient aussi les droits de Pacific Rim et de l’univers Jurassic Park/World, ce qui laisse craindre pour l’avenir quelques croisements contre-nature… On a aussi vu Universal Pictures se lancer dans la danse, à grands frais, avec une Momie new look, avec Tom Cruise. Ceci dans le but de proposer un univers de films de monstres, avec superstars à l’appui (Frankenstein avec Javier Bardem, L’Homme Invisible avec Johnny Depp), appelés à se rassembler à leur tout. Mais au vu du ratage de La Momie, le résultat inquiète. Les réalisateurs de ce type de projets tendent à être plus encore qu’avant de simples « super-employés » devant suivre les directives des studios, et les originaux, les créatifs soucieux de secouer les mauvaises habitudes du système sont poliment priés d’aller voir ailleurs. Et ce n’est pas la surenchère desdits projets, dotés de budgets monstrueux, qui risque de calmer le jeu. Cette surabondance de projets entraîne forcément un effet de saturation, même si les résultats financiers de ces films sont aléatoires. DC/Warner a raté le coche avec Justice League, quand Marvel/Disney continue d’engranger les succès – et Avengers Infinity War devrait triompher selon toute logique. Tant mieux pour ses producteurs, mais le cycle se poursuivra-t-il indéfiniment ?

     Il n’est pas sûr que le cinéma américain des grands studios survive à cette escalade et ce sentiment de déjà vu généralisé. La faute n’en incombe pas vraiment aux super-héros et aux films qui les mettent en valeur. Ils sont liés, de toute façon, pour toujours à la culture populaire et, quand bien même le système hollywoodien venait à s’effondrer, ils reviendraient toujours sous une autre forme, sous un autre média. Ces films-là ont beau provoquer souvent la sympathie, ils sont coincés entre les exigences (parfois contradictoires) de fans persuadés que les personnages leur appartiennent, et l’ingérence permanente des décisionnaires tout-puissants. Ready Player One semble d’ailleurs illustrer la problématique de la situation : on y suit une communauté mondiale de geeks de tout âge, inspirés par les films, jeux ou b.d. qui ont fait leur vie, entrant en rébellion ouverte contre une multinationale déshumanisée prête à monnayer la moindre franchise culturelle au prix fort. Il n’est pas interdit de croire que Spielberg envoie un message fort aux patrons de Disney/Marvel/20th Century Fox, à ceux de Warner (ironiquement producteurs et distributeurs de son film !), aussi bien qu’à tous les fanboys et fangirls du monde entier. A voir si les deux parties capteront le message, avant l’implosion.

 

Nuff Said !

 

L.F.

Aspie, or not Aspie ? – Le petit abécédaire Asperger, chapitre 16

Q-R, comme… :

 

Aspie, or not Aspie ? - Le petit abécédaire Asperger, chapitre 16 dans Aspie b-roy-batty-rutger-hauer-dans-blade-runner

… les Réplicants de BLADE RUNNER :

Bienvenue en 2019 (on y est presque !). Les Réplicants, êtres humains artificiels, issus des laboratoires génétiques de la Tyrell Corporation, sont conçus pour des travaux dangereux dans l’espace et les colonies planétaires. Pour cela, ils ont été créés pour être supérieurement intelligents, plus forts et plus résistants à la douleur physique que leurs créateurs humains. Afin d’empêcher toute rébellion chez ces esclaves d’un nouveau type, leurs concepteurs leur ont donné une limite de vie de quatre ans, au terme de laquelle ils s’éteignent irrémédiablement. Le Réplicant Roy Batty (Rutger Hauer) et ses compagnons reviennent sur Terre en toute illégalité pour rencontrer leur créateur, Tyrell. Car ces machines humaines, traquées par le flic Deckard (Harrison Ford), ont développé une conscience, des sentiments, et veulent réclamer des comptes à leur concepteur…

Nous revenons une nouvelle fois dans le monde des robots, intelligences artificielles et autres cyborgs, dont nous avons vu qu’ils possèdent certains traits typiques du Syndrome d’Asperger. Souvent, on l’a déjà dit, les Aspies cinéphiles et amateurs de science-fiction aiment s’identifier à ces personnages, ressentant les mêmes souffrances psychologiques. Malheureusement, il arrive aussi parfois que des Aspies soient insultés ou considérés à tort comme des « robots » sans émotion. Jugement trompeur, se fiant aux seules apparences. Lorsque Philip K. Dick écrit LES ANDROÏDES RÊVENT-ILS DE MOUTONS ELECTRIQUES ? paru en 1966, il est, pour l’une des rares fois de sa vie, dans une période heureuse. Il compare alors la chaleur de son foyer aux difficultés de sa vie passée, en abordant un thème classique de la science-fiction : l’androïde, être humain artificiel doté de capacités exceptionnelles, mais dénué d’émotions et de compassion. Le roman brouille cependant les pistes : il montre une Humanité déshumanisée, repliée sur elle-même, face à des androïdes, les fameux Réplicants Nexus-6, qui se révèlent doués de sentiments. Les machines deviennent humaines tandis que les humains « de souche » deviennent les machines. Un postulat brillant, qui sera repris et développé par Ridley Scott tournant l’adaptation du roman en 1981, sous le titre de BLADE RUNNER. Le film, doté d’un visuel sublime (autant inspiré d’Edward Hopper que de Moebius, avec des références cinématographiques au FAUCON MALTAIS et au GRAND SOMMEIL), fut d’abord mal accueilli à sa sortie, avant de gagner peu à peu ses galons de grand classique de la science-fiction.

Les Réplicants sont, à n’en pas douter, les stars du film. Une réplique prononcée à leur sujet par leur concepteur, Tyrell (Joe Turkel, un visage familier des films de Stanley Kubrick, qu’admire Ridley Scott), nous met la puce à l’oreille : «ils mettent des années à assimiler des émotions qui, pour nous, sont naturelles…». Cette difficulté à faire preuve d’empathie, à comprendre les émotions d’autrui, est typiquement la marque des personnes Asperger. Les Réplicants sont donc des robots « autistes », malgré leur certaine propension à la violence, qui les démarque du syndrome.

 

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Le film commence par une séquence marquante : le test de Voight-Kampff du Réplicant clandestin Leon (Brion James). Interrogé par Holden, un policier « Blade Runner », il est sur des charbons ardents et montre un signe typique du syndrome : sa confusion, quand son interrogateur cite son adresse. Il croit que cela fait partie du test, une réaction logique en rapport à ce que vient de dire celui-ci juste avant, mais qui crée un malentendu. Quand le policier le piège, en évoquant une situation fictive où il ne fait pas preuve d’empathie (aider une tortue renversée), Leon se fâche. Ces réactions disproportionnées, confuses, peuvent rappeler des personnes atteintes du syndrome d’Asperger. L’interrogatoire se termine mal… pour le policier, qui a poussé l’androïde dans ses retranchements. « Je vais vous en parler, de ma mère…« 

 

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Le même test de Voight-Kampff est passé par Deckard sur Rachael (Sean Young), la nièce du magnat Tyrell. Rachael ignore qu’elle est le fruit d’une expérience particulièrement vicieuse de la part de son oncle tout-puissant ; elle aussi est une Réplicante Nexus-6, mais l’ignore… Tyrell a cru bon de la doter des souvenirs de sa défunte nièce. Le détective, ignorant ce fait, ressent un certain malaise – ainsi qu’une attirance évidente – pour la jeune femme. Il lui faudra une centaine de questions pour l’identifier comme une androïde. La révélation dévaste Rachael, qui apprendra lentement à s’accepter comme telle. Les personnes Aspies qui ont découvert tardivement leur condition compatiront : une telle prise de conscience de son état est un changement psychologique majeur… et le signe d’une évolution, d’une maturité nouvelle. On ne peut que sympathiser pour Rachael, qui pousse aussi Deckard à s’interroger sur sa propre nature d’être humain. Quand un homme est à ce point obnubilé par son travail au détriment du reste, ne court-il pas le risque de devenir une machine ? La scène du piano, entre eux deux, est le moment-clé de leur évolution. Elle perd son apparence froide de machine, et il ne cache plus ses sentiments pour elle, lui, l’ »homme-machine » tueur de machines humaines… Ils quittent leurs conditionnements respectifs pour devenir simplement humains.

 

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Parmi les Réplicants cachés sur Terre, nous retrouvons un visage familier de cet abécédaire : Daryl Hannah, remarquée dans le rôle de Pris, petite amie du meneur Roy Batty (incarné par Rutger Hauer). La comédienne, très probable Aspie, prête ses traits étranges à cette androïde manipulatrice au visage innocent. Victime de cette « poupée » fatale : J.F. Sebastian (William Sanderson), un ingénieur et généticien au service de Tyrell, fabricant de marionnettes vieillissant prématurément, et vivant en reclus (lui aussi, un Aspie ?). En laissant entrer chez lui la charmante blonde qui lui demande l’hospitalité, le pauvre Sebastian n’a pas idée de ce qui l’attend. Batty et Pris se moquent de lui, et révèlent quelques-unes de leurs étonnantes aptitudes. Batty est un excellent joueur d’échecs (hommage très probable à HAL 9000 et Stanley Kubrick, dont Ridley Scott est un grand admirateur), un esprit brillant et érudit, capable de réciter les poèmes apocalyptiques de William Blake (« Et tombent les anges en feu… »). Et, avec Pris, il se livre à une petite démonstration de philosophie citant des noms évoqués dans les précédents chapitres de cet abécédaire. Les deux Réplicants citent René Descartes (« Nous sommes des êtres conscients, Sebastian. – Je pense, donc je suis. ») avant que Pris ne saisisse à mains nues un oeuf plongé dans l’eau bouillante, sans rien ressentir. Elle imite à sa façon l’épisode de Friedrich Nietzsche saisissant à main nue un charbon ardent durant un débat philosophique… Les curieux cas d’insensibilité à certaines douleurs physiques sont évoqués dans les études sur les Aspies – voir aussi la scène où Leon plonge sa main dans un liquide réfrigérant dangereux, sans rien ressentir davantage. Les Réplicants ont certes un comportement extrême en la matière, mais l’idée demeure. Ridley Scott enfoncera le clou, si on ose dire, en montrant Batty se perforer la main pour rester conscient. Une conduite automutilatrice extrême, allusion évidente au Christ rédempteur mort crucifié, qui peut aussi évoquer certains cas (très particuliers, forcément controversés) de personnes Aspies adeptes du piercing, du branding ou autres pratiques similaires.

L’ombre de Nietzsche est omniprésente dans BLADE RUNNER, faisant écho à ce que vivent les Réplicants. Leur objectif est de se confronter à leur créateur, Tyrell, autrement dit leur « Dieu le père », enfermé au sommet de sa pyramide surplombant une Los Angeles tentaculaire. Batty parviendra enfin à entrer dans son sanctuaire, pour obtenir de lui un surplus de vie, et des explications sur les conséquences de ses actes. Il rejoue le drame du FRANKENSTEIN de Mary Shelley, où le Monstre harcelait son créateur de questions sur sa responsabilité. Tyrell ne pouvant lui accorder satisfaction, Batty le tue en lui brisant le crâne et (geste très oedipien) en lui crevant les yeux. Le Dieu des Réplicants étant mort, voici le Surhomme nietzschéen prêt à transcender sa fragile condition… Adoptant le discours de l’Eternel Retour (consistant, en gros, à vivre sa vie comme une répétition et une intensification de ce qu’elle a de meilleur), Batty a reçu de son « père » un ultime conseil : « profitez bien du temps qui vous reste », discours qu’il accomplit dans ses dernières minutes de vie, en finissant par sauver son ennemi Deckard et délivrer l’émouvant discours des « larmes dans la pluie ».

«J’ai vu des choses que vous autres, humains, ne pourriez pas croire…»

 

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Pour compléter la liste des ressemblances des Réplicants avec les « caractères Aspies », rappelons que ceux-ci vivent une situation de rejet. Déjà exclus par les lois humaines, ils doivent tous se cacher, vivre dans un motel miteux (Leon), travailler dans les bas-fonds (Zhora), ou vivre en SDF (Pris)… Un «Aspie», abandonné à lui-même, connaîtrait ce genre de situation, le rendant encore plus asocial. Cependant, leur violence programmée limite leur aspect «Aspie». Conçus pour combattre et tuer, les Réplicants ne font toutefois que se défendre dans une situation de danger imminent : Leon contre Holden, Zhora (Joanna Cassidy), puis Pris, contre Deckard. Les meurtres de Tyrell et Sebastian, commis par Batty, étant quand même un cas à part – un acte désespéré à une réponse injuste. Au final, ces machines étaient bien humaines, capables de pensées complexes… et d’amour.

Monté à plusieurs reprises (cinq versions différentes), BLADE RUNNER multiplie les énigmes qui contribuent à son immense pouvoir de fascination. La principale, qui continue de diviser les fans du film, étant de savoir si, oui ou non, Deckard est lui-même une machine… En décrivant un futur où il n’est plus possible de distinguer les humains des androïdes, Ridley Scott joue à fond l’ambiguïté. Le flic tueur de robots traîne un mal-être profond durant toute l’histoire. Mais quel est son origine ? Est-il juste un détective désabusé, ou le jouet paranoïaque d’une vaste machination policière faisant de lui une machine programmée pour se croire humain, et poussée à éliminer ses semblables ? Quand les policiers le traitent ironiquement de « vraie machine à tuer », Deckard se sent particulièrement mal. Il a de quoi. Pourquoi l’un d’eux, Gaff (Edward James Olmos), le suit-il comme son ombre, en fabriquant des origamis symboliques ? Dans les plus récentes versions du film, Deckard rêve d’une licorne, animal féérique, symbole du Christ (encore lui…) et de la divinité dans la création ; à la toute fin du film, il ramasse une licorne en papier, laissée là par Gaff en son absence. Simple coïncidence, ou le flic savait-il quelque chose au sujet de Deckard ? Un rêve programmé pour que Deckard se croie humain ? Certains spectateurs restent persuadés que ce dernier a, l’espace d’une scène, les yeux rouges des Réplicants. Et, mystère supplémentaire, Batty, avant l’affrontement final, l’appelle subitement par son nom alors qu’ils sont supposés ne pas se connaître… Se seraient-ils croisés sur une chaîne d’assemblage avant leur activation ?

« Si seulement vous pouviez voir les choses que je vois… »

Cf. le Monstre de Frankenstein, HAL 9000 (2001 : L’ODYSSEE DE L’ESPACE) ; René Descartes, Philip K. Dick, Daryl Hannah, Stanley Kubrick, Friedrich Nietzsche

 

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… Russell, Bertrand (1872-1970) :

« Les hommes naissent ignorants, non stupides. Ils sont rendus stupides par l’éducation. »

A moi, Comte, deux mots… enfin, un peu plus. Bertrand Russell fut l’un des plus importants philosophes du 20ème Siècle. 98 années d’existence très bien remplies, comme mathématicien de renom, militant et homme politique, logicien, épistémologue et moraliste. Concepteur de théories et d’idées telles que l’atomisme logique et la description définie, il fut le père de la philosophie analytique. Libertaire, il milita contre les régimes totalitaires (particulièrement le communisme) et les religions, à ses yeux des instruments de terreur et d’oppression morale. Libre-penseur défendant des positions morales très anticonformistes sur le mariage et l’éducation, Bertrand Russell,  »le Voltaire anglais », fut souvent en bisbille avec l’opinion publique. Au vu des nombreuses apparitions et interviews qu’il donna à la fin de sa vie, tout porte à croire que ce singulier gentleman ait bien été Aspie, sous une forme légère. Et qu’il ait croisé quelques personnalités célèbres ayant eu le syndrome. Les Aspies parlent aux Aspies… 

Bertrand Arthur William Russell naquit en pleine époque Victorienne, dans une famille de la plus haute aristocratie, influente et présente dans chaque grande évolution politique du Royaume-Uni. Les parents de Bertrand Russell étaient le vicomte et la vicomtesse Amberley ; un couple singulier, n’ayant pas peur de choquer les rigides conventions de l’époque, en défendant par exemple le droit au contrôle des naissances. Son père, athée convaincu, savait que son épouse avait une liaison avec le tuteur de leurs enfants, le biologiste Douglas Spalding… et y consentait. Mieux valait selon eux vivre l’infidélité au grand jour, avec le consentement mutuel, plutôt que les petites hypocrisies et les mensonges permanents imposés par les convenances victoriennes. Des années plus tard, Bertrand Russell suivra l’exemple parental, défendant une exigence de vérité dans le couple en faveur des enfants, et enchaînera les liaisons adultères et les mariages malheureux…

L’enfance de Bertrand Russell fut très tôt marquée par la Mort. La diphtérie emporta sa mère et sa soeur alors qu’il n’avait que trois ans. Son père, après une dépression, fut emporté par une bronchite un an plus tard. Les deux enfants des Amberley, Frank et Bertrand, seront confiés à leur grands-parents paternels, et élevés dans leur domicile de Pembroke Lodge. Leur grand-père, le Comte Russell, ancien Premier Ministre de la Reine, décèda en 1878. Les deux frères furent élevés par leur grand-mère, une écossaise Presbytérienne sévère, dans une atmosphère religieuse et répressive. Bien que très stricte sur le plan religieux (prières obligatoires chaque jour que Dieu faisait…), la grand-mère se montrait paradoxalement progressiste dans d’autres domaines, acceptant par exemple le Darwinisme, et supportant l’Irish Home Rule (solidarité celtique oblige !). Elle influença le jeune Bertrand Russell par son sens de la justice sociale rigoureuse (s’inspirant de son verset préféré, dans l’Exode : « tu ne suivras pas une multitude pour faire le mal »). L’ambiance à Pembroke Lodge était étouffante ; au contraire de son frère aîné qui manifesta sa révolte, Bertrand Russell cacha complètement ses émotions. C’était un adolescent solitaire, secret, et enclin aux pensées suicidaires. Il développa des centres d’intérêt très poussés pour la littérature (notamment les oeuvres de Percy Bysshe Shelley), l’écriture (il était paraît-il capable d’écrire 3000 mots par jour), les questions religieuses, et surtout les mathématiques. Son frère lui fit découvrir LES ELEMENTS d’Euclide, et ce fut une révélation, qui le sauvera du suicide. Entre quinze et dix-huit ans, il commença ses réflexions sur le dogme chrétien, et, influencé par les écrits de son défunt parrain le philosophe John Stuart Mill, il finit par réfuter avec certitude l’éducation religieuse de l’époque. S’il reconnaîtra à la religion certaines effets positifs (ne serait-ce que par la nécessité d’une expérience spirituelle pour chaque homme), il verra toujours celle-ci comme néfaste : un instrument de peur, une entrave à la connaissance, et responsable de toute la misère humaine de ce monde. Il sera un critique et un adversaire déclaré des dogmes, enseignements biaisés et autres ingérences des religions dans les sociétés. Il serait bien temps, de nos jours, de le relire.

A partir de 1890, Bertrand Russell fit de très brillantes études de mathématiques à Cambridge, au prestigieux Trinity College, où il obtiendra les plus prestigieux diplômes. Il épousera en 1894 contre l’avis de sa grand-mère une Quaker américaine de Bryn Mawr, Alys Pearsall Smith, mais leur mariage sera un échec, attribué par Russell à sa belle-mère, jugée cruelle et possessive. Séparés en 1901, Bertrand et Alys Russell ne divorceront pourtant qu’en 1921. Sa première oeuvre publiée, en 1896, sera GERMAN SOCIAL DEMOCRACY, une étude indiquant son intérêt très poussé pour la théorie sociale et politique. Il commença au tournant du 20ème Siècle une étude intensive des fondements des mathématiques à Trinity, aboutissant à la découverte du Paradoxe de Russell (illustré notamment par l’exemple du  »paradoxe du barbier ») qui mettra à mal la théorie des ensembles. Russell eut une expérience spirituelle en février 1901 : en voyant la femme d’Alfred North Whitehead (un de ses professeurs et mentors de Cambridge) souffrir d’une forte crise d’angine, il eut « une sorte d’illumination mystique ». « Je me suis senti rempli de sentiments semi-mystiques sur la beauté… et avec un désir presque aussi profond que celui du Bouddha de trouver une philosophie qui rendrait la vie humaine supportable. (…) A la fin de ces cinq minutes, je devins une personne complètement différente. »

En 1903, THE PRINCIPLES OF MATHEMATICS établira que les mathématiques pourraient être déduites d’un très petit nombre de principes, un travail contribuant de façon significative à la cause du logicisme. Implacable sur les raisonnements logiques les plus poussés, Bertrand Russell devait peut-être avoir quelques ancêtres Vulcains aux longues oreilles… Trève de plaisanterie ; Bertrand Russell, reconnu pour la qualité de ses écrits et travaux, sera nommé membre de la Royal Society en 1908. Le succès de ses travaux publiés le rendra célèbre dans son domaine. Vers 1910-911, il rencontra un brillant étudiant autrichien : Ludwig Wittgenstein, dont il deviendra le directeur de thèse. Russell vit et comprit son génie et vit en lui le successeur de son oeuvre. Le travail des deux hommes sera difficile, épuisant pour Russell continuant cependant à encourager son élève, malgré les angoisses et les phobies multiples de celui-ci (on y reviendra, car Wittgenstein a certainement été lui-même un Aspie). Il l’aidera à développer son TRACTATUS LOGICO-PHILOSPHICUS, publié finalement en 1922, et fera des conférences sur l’Atomisme Logique, traduisant sa version des idées de Wittgenstein, prisonnier de guerre en 1918.

La Première Guerre Mondiale fut l’occasion pour Bertrand Russell d’affirmer publiquement son caractère allant à contre-courant de la pensée dominante ; pacifique, ayant en horreur toute violence, il fut alors l’une des rares personnes à s’engager ouvertement contre les discours guerriers de l’époque. Il sera d’ailleurs renvoyé du Trinity College en 1916, après avoir été arrêté pour violation du Defence of the Realm Act. Plus tard, Russell sera arrêté pour avoir fait une conférence publique contre l’entrée en guerre des Etats-Unis sur l’invitation des Britanniques, et il sera emprisonné à Brixton en 1918. Durant six mois de détention, il lira énormément, et écrira INTRODUCTION A LA PHILOSOPHIE MATHEMATIQUE. Russell fut réintégré à Cambridge à sa sortie de prison. Cette épreuve semble avoir joué un rôle important dans la vie de Bertrand Russell ; jusqu’ici reconnu pour son travail de mathématicien, il va voir sa vie et sa carrière évoluer dans le champ de la philosophie, dans laquelle, à vrai dire, il avait baigné depuis bien avant son entrée à Cambridge. Il sera particulièrement prolifique dans les domaines de la métaphysique, la logique et la philosophie des mathématiques, du langage, l’éthique et l’épistémologie, devenant de ce fait l’un des fondateurs de la philosophie analytique.

En 1920, Bertrand Russell voyagea en URSS avec sa compagne d’alors, Dora Blake, au sein d’une délégation britannique chargée d’enquêter sur les effets de la Révolution d’Octobre 1917. Il en garda un mauvais souvenir, percevant l’inquiétante machine politique répressive instaurée par Lénine et ses alliés, et ne cessera dans les décennies suivantes de critiquer l’un des plus épouvantables systèmes totalitaires jamais imaginés. Il écrivit THE PRACTICE AND THEORY OF BOLSHEVISM racontant son voyage en Russie. Russell et Dora Blake séjournèrent ensuite un an à Pékin. Malade de la pneumonie, il fut annoncé mort prématurément par des journaux japonais. En réponse, le couple voyagera au Japon, Dora transmettant la réponse ironique suivante : «Mr. Bertrand Russell, étant mort selon la presse japonaise, n’est pas en mesure de donner d’interview aux journalistes japonais.» Dora était enceinte de six mois, quand ils rentrèrent en Angleterre en août 1921. Russell divorça donc à la hâte d’Alys et épousa sa compagne. Ils eurent trois enfants. Mais peu à peu, son mariage avec Dora battra de l’aile ; il eut une liaison avec Vivienne Haigh-Wood. Elle eut deux enfants avec un journaliste américain, Griffin Barry. Ils se séparèrent et divorcèrent. Son frère Frank mourut en 1931, et il devint le Troisième Comte Russell. En 1936, Bertrand Russell épousa Patricia « Peter » Spence ; ils eurent un fils, Conrad Sebastian Robert Russell, Cinquième Comte Russell, futur historien réputé et figure politique majeure du parti Libéral Démocratique. Mais, là encore, leur mariage ira en se détériorant, jusqu’au divorce en 1952.

La Deuxième Guerre Mondiale obligea le libertaire Russell à réviser certaines de ses opinions au sujet de l’Allemagne nazie ; il adopta « le Pacifisme Politique Relatif » contre cette guerre à grande échelle : considérant toujours la guerre comme un mal, il conclut que le conflit, cependant, était dicté par des circonstances extrêmement particulières, et que la guerre serait alors le moindre de deux maux – le pire étant, bien évidemment, le nazisme qui s’était abattu sur l’Europe. Bertrand Russell dut aussi lutter sur un plan plus personnel. Avant le début de la guerre, il partit aux USA pour enseigner et donner des conférences. Il fut nommé professeur au City College de New York en 1940, mais un jugement annula cette nomination : la mère d’un étudiant qui n’avait pas été diplômé pour son cursus en logique mathématique avait « vengé » son fiston chéri en pointant du doigt les opinions « scandaleuses » (aux yeux de la morale puritaine américaine) de Russell sur la moralité sexuelle, exprimées dix ans plus tôt dans son livre MARRIAGE AND MORALS… Des intellectuels protestèrent contre la mise à l’index de Russell ; Albert Einstein lui-même prit partie dans une lettre ouverte comportant une phrase célèbre et lapidaire : « Les grands esprits ont toujours rencontré une opposition violente des esprits médiocres… ». Une relation professionnelle avec l’excentrique Albert C. Barnes tourna court, et Russell rentra au pays en 1944 pour rejoindre la faculté du Trinity College. Son HISTORY OF WESTERN PHILOSOPHY sortit en 1945, et fut un best-seller.

Durant les années 1940 et 1950, Bertrand Russell était devenu une célébrité en dehors des cercles académiques, sujet ou auteur d’articles de magazines et journaux, et fut appelé à exprimer ses opinions sur de nombreux sujets, notamment sur les ondes de la BBC. Il fut rescapé d’un accident d’avion tragique en Norvège, en octobre 1948, alors qu’il partait pour une conférence. A 75 ans, il était toujours en première ligne dans les débats philosophiques controversés sur la montée en puissance de l’Union Soviétique en Europe, marquant le début de la Guerre Froide. En 1950, il obtint le Prix Nobel de Littérature. En 1952, après son divorce houleux d’avec Patricia, Russell se remaria avec Edith Finch, qu’il connaissait depuis 1925 ; ce mariage-là sera enfin heureux et aimant. Bertrand Russell dut aussi vivre un autre drame : son premier fils, John, souffrait de schizophrénie. La femme de John Russell souffrait également de troubles mentaux, de même que deux des trois filles qu’ils eurent, également schizophrènes… Bertrand et Edith Russell devinrent les gardiens légaux de ses petites-filles. 

Durant ses dernières décennies d’existence, Bertrand Russell, malgré son très grand âge, continua à s’engager en faveur de la paix, de la vérité et de la liberté. Il s’engagea en faveur du désarmement nucléaire et prendra la défense de son ami Albert Einstein, lorsque celui-ci sera attaqué par des journaux comme le New York Times, durant le maccarthysme. Les deux hommes rédigeront en 1955 le Manifeste Russell-Einstein, pour le désarmement nucléaire, signé par onze des plus importants scientifiques et intellectuels de l’époque. On le retrouvera, jusqu’à sa mort, dans tous les grands combats politiques de son temps : appels publics à Khrouchtchev et Kennedy durant la Crise des Missiles Cubains, critique du Rapport de la Commission Warren et ses douteuses théories officielles sur l’assassinat du président américain, engagements prononcés contre la Guerre du Viêtnam, contre les procès en Tchécoslovaquie (écrasée en 1969 par les Soviétiques), soutien d’Alexandre Soljenitsyne persécuté par le gouvernement soviétique… Deux jours encore avant sa mort, Bertrand Russell condamnait l’agression israélienne et les bombardements sur l’Egypte, durant la Guerre d’Usure. Ce fut sa dernière intervention ; il mourut de la grippe, deux jours plus tard. Le lendemain, son dernier appel fut lu à la Conférence Internationale des Parlementaires du Caire.   

Voilà une vie remarquablement bien remplie, celle d’un penseur pour qui le mot « engagement » n’avait rien d’une pose de philosophe de salon… 

Cf. Albert Einstein, Ludwig Wittgenstein.

 

à suivre,

Ludovic Fauchier.

Mission : Incroyable – ARGO

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ARGO, de Ben Affleck

Quel est le point commun entre la dramatique prise d’otages de Téhéran de 1979 et les films de  »space opéra » ? A priori, absolument aucun. Et pourtant…

Avec ARGO, Ben Affleck vient de porter à l’attention générale une incroyable histoire vraie d’espionnage et d’évasion, le « Subterfuge Canadien ». En pleine crise des otages de Téhéran, l’agent de la CIA Tony Mendez fit évader hors d’Iran six diplomates américains, en les faisant passer pour une équipe de cinéma venue en repérages pour un faux film de science-fiction intitulé ARGO. L’opération de couverture fut accomplie avec le concours à Hollywood d’un vrai producteur et du maquilleur des films LA PLANETE DES SINGES, John Chambers ! Une histoire pareille, longtemps tenue secrète, devait bien finir par intéresser le cinéma américain. Bonne pioche en l’occurence puisque le projet a été co-financé par George Clooney et son associé Grant Heslov ; les deux comparses avaient déjà une certaine expérience en matière de films sur les conflits au Moyen-Orient, avec un regard aussi lucide que décapant. Le très sérieux SYRIANA et l’azimuté MEN WHO STARE AT GOATS (LES CHEVRES DU PENTAGONE) sont là pour en témoigner.

 

Mission : Incroyable - ARGO dans Fiche et critique du film argo-2
A la barre d’ARGO, Ben Affleck confirme le bien que l’on pensait de ses deux premières réalisations : GONE BABY GONE et THE TOWN. Quittant sa chère ville de Boston, le comédien-cinéaste se frotte à un sujet passionnant mais délicat à traiter : le mêlange entre le très sérieux contexte historique de 1979 et cette histoire de couverture « hollywoodienne » aurait pu faire basculer le film dans la grosse farce et le n’importe quoi. Heureusement, Affleck a su trouver le parfait équilibre entre la comédie (l’épisode hollywoodien de départ) et la tension qui se dégage au fil du film. Un exercice d’équilibriste qu’Affleck réussit avec beaucoup d’adresse, n’hésitant pas, dans la reconstitution de l’évasion, à jouer avec les nerfs du spectateur dans un registre que l’on croyait réservé au seul Alfred Hitchcock. Ce qui, déjà en soi, n’est pas un mince exploit.

Spectaculaire, tendu, ARGO l’est certainement, mais le film se double aussi d’une critique politique bienvenue pour enrichir le propos. On devine, en sous-main, la « patte » des producteurs Clooney et Heslov toujours à la pointe du combat démocratique dans le petit monde du cinéma américain. Le contexte de l’histoire d’ARGO est donc l’occasion de quelques coups de griffe bien sentis à l’égard du rôle trouble joué par la CIA dans l’Histoire passée. De vilaines habitudes idéologiques prises par l’Agence, après la 2ème Guerre Mondiale, ont poussé celle-ci à soutenir et armer des dictatures au nom des intérêts économiques extérieurs des USA. La « plus grande Démocratie au monde » a souvent mis l’éthique de côté dans ces cas-là, l’Iran en étant un bel exemple. L’Opération AJAX, préparée par le Royaume-Uni et les USA, et exécutée par la CIA, chassa du pouvoir Mohammad Mossadegh, qui avait eu le « tort » de nationaliser les champs pétrolifères objets de toutes les convoitises. Fin de la démocratie iranienne, remplacée par l’autocratie du Chah Mohammad Reza Pahlavi en 1953. Et malheureusement pour le peuple iranien, mise en place de la SAVAK, police politique du souverain et synonyme d’emprisonnements, tortures et meurtres des opposants… La complicité coupable des Occidentaux, américains en tête, sur ces exactions, sera habilement exploitée par l’Ayatollah Khomeini et les nouveaux dirigeants chiites iraniens, qui déclareront comme on le sait la guerre au « Grand Satan ». La crise des otages de Téhéran sera la conséquence du rôle malencontreux joué par la CIA dans les affaires iraniennes 25 ans auparavant. Cette prise d’otages durera 444 jours et coûtera les élections présidentielles américaines de 1980 à Jimmy Carter, battu par Ronald Reagan.

 

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Ces observations, Affleck ne les met pas de côté, et ne se prive pas d’égratigner en temps voulu les atermoiements des « gratte-papiers » de la CIA, manifestement dépassés par la situation. Le film n’omet pas non plus le rôle fondamental tenu par les diplomates canadiens ayant recueilli leurs six homologues américains, et vivant au jour le jour les tracasseries et la suspicion des autorités iraniennes. Dommage que leur importance ait dû être quelque peu amoindrie pour des raisons de longueur narrative, mais Affleck a dû faire des choix. La tension dramatique prime sur la « cuisine » diplomatique. Quoi qu’il en soit, la reconstitution des scènes liées à la situation de violence à Téhéran est très bien rendue dès l’introduction, la prise de l’ambassade par les étudiants islamiques constituant un modèle de tension. Tout comme, plus tard, la découverte d’un Téhéran par Tony Mendez, où le visage de Khomeini est partout, tel Big Brother ; la vision fugitive mais marquante d’exécutions sommaires et de pendus dans la rue ; la traversée du Bazar peu à peu hostile, ou celle d’une foule de manifestants furieux par les fugitifs, l’action restant filmée de leur point de vue. Le style visuel du film est à l’avenant, une ambiance « grise » assurée par le grain de l’image, volontairement retravaillée par Affleck pour reconstituer l’atmosphère des films d’époque, tels LES HOMMES DU PRESIDENT. Dans le genre, ARGO se rapproche parfois par cette esthétique granuleuse froide du MUNICH de Spielberg, encore une référence bien intégrée.

 

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ARGO, de par son sujet si particulier pour un récit d’espionnage, ne pouvait aussi que titiller Ben Affleck sur un univers qu’il connaît bien. La mise en place de l’opération de couverture - l’élaboration du faux film de science-fiction - permet non seulement de rire un peu après la violence du début et le suspense de la suite, elle permet aussi à Affleck de revisiter tout un pan de la culture populaire la plus « geek » avec beaucoup d’humour. Plaçons-nous dans le contexte de l’époque. Le vieil Hollywood est « cramé », épuisé ; quel meilleur symbole que de montrer le célèbre panneau « Hollywood » renversé et rongé de partout ? Même si Affleck triche un peu avec la réalité des faits – le panneau venait juste d’être restauré à l’époque des faits du film -, l’idée est juste. En 1979, la Mecque du Cinéma est en pleine restructuration, et chaque studio court après le succès du moment. Un certain STAR WARS ayant fait exploser le box-office deux ans plus tôt, tout le monde se met à produire de la science-fiction, avec des résultats variables !

 

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C’est une discussion téléphonique entre Mendez et son jeune fils, féru justement de SF, qui lui donnera l’idée de contacter John Chambers, l’homme des maquillages de LA PLANETE DES SINGES (la saga et la série télévisée originales, pas les versions récentes de Tim Burton et Rupert Wyatt). Chambers, ancien technicien dentaire durant la 2ème Guerre Mondiale, se forma ainsi en pratique à poser des prothèses et à maquiller des blessés de guerre, avant de devenir un professionnel du maquillage. Son travail efficace pour LA PLANETE DES SINGES de Franklin J. Schaffner (1968) lui vaudra le tout premier Oscar de sa profession.

 

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Technicien efficace, Chambers eut quelques autres titres de gloire qui lui valent une certaine sympathie des « geeks » du cinéma et de la télévision : les oreilles de Spock dans la série STAR TREK, c’était lui ! On lui doit aussi, entre autres, le visage brûlé de William Finley dans PHANTOM OF PARADISE de Brian DePalma, les Humanimaux de L’ÎLE DU DOCTEUR MOREAU avec Burt Lancaster, la main perforée de Rutger Hauer dans BLADE RUNNER, des travaux non crédités comme la tête coupée du marin des DENTS DE LA MER… et aussi les premiers maquillages du pilote de la série MISSION : IMPOSSIBLE, ce qui permet un habile retour vers ARGO, dont le grand finale fait penser aux scénarii de la célèbre série. L’affiliation de Chambers à la CIA était bien réelle, le maquilleur ayant joué les hommes de liaison à Hollywood pour l’élaboration du plan de sauvetage des diplomates. La préparation du plan « mission : impossible » est irrésistible de drôlerie, aidée en cela par deux grands voleurs de scène, les formidables John Goodman et Alan Arkin. Deux vétérans au tempérament comique éprouvé, et qui bénéficient des répliques les plus savoureuses. Affleck, à la caméra, s’amuse même à recréer un tournage de space opéra ringard, et une lecture publique donnée par des ersatz de C-3PO, Chewbacca, et compagnie !

 

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Les clins d’oeil sont légion et bien placés dans ces séquences référentielles en diable : outre STAR WARS et LA PLANETE DES SINGES déjà cités, STAR TREK et l’univers des très kitsch GALACTICA et FLASH GORDON ne sont pas loin… Ces références pourraient être gratuites, mais elles sont astucieusement replacées dans la suite du film, faisant une mise en parallèle bien sentie entre deux mondes antagonistes : d’un côté, la fiction la plus « geek », et de l’autre la situation réelle en Iran. Les Gardiens de la Révolution en sont les dindons de la farce. Véritables « stormtroopers » de l’histoire, ils marcheront dans le canular en découvrant les storyboards du film, assimilant le méchant (mélange supposé de Darth Vader et l’Empereur Ming) au Shah en exil… Et Affleck, en connaisseur astucieux, de relier quant à lui la fuite fictive des personnages du faux film à celle de ses anti-héros.

On laissera le mot de la fin aux duettistes Goodman et Arkin, en guise de pied de nez aux enragés de Khomeini :

« - « l’Histoire est une farce qui se termine en tragédie ».

- Non, c’est dans l’autre sens.

- Qui a dit ça ?

- Marx.

- Groucho a vraiment dit ça ? »

 

Ludovic Fauchier – « votre mission, si vous l’acceptez… »

 

 

 

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Anecdotes :

Le faux film était à l’origine un scénario qui ne fut jamais tourné : une adaptation de LORD OF LIGHT, roman de Roger Zelazny, un des maîtres de la science-fiction littéraire. Dans ARGO, Mendez est montré en train de donner des directives à un dessinateur de storyboard. L’auteur de ces storyboards n’est autre que la légende des comics américain, Jack Kirby, le père des Quatre Fantastiques, Silver Surfer, Hulk, Thor et compagnie ! Kirby avait quitté Marvel à l’époque où se situe le film, et travailla effectivement comme storyboardeur de cinéma. Ben Affleck, qui baigne depuis longtemps dans la culture « comics » (les films de Kevin Smith, DAREDEVIL, HOLLYWOODLAND), a dû apprécier la référence…

Le meilleur des Temps, le pire des Temps – THE DARK KNIGHT RISES, 2ème partie

Le meilleur des Temps, le pire des Temps - THE DARK KNIGHT RISES, 2ème partie dans Fiche et critique du film The-Dark-Knight-Rises-01

Il nous faut bien, malheureusement, revenir un instant sur la tragédie d’Aurora… Il n’a pas fallu bien longtemps pour voir fleurir des «unes» quelque peu tendancieuses, assimilant dans un même élan Batman (le personnage, les films, et sûrement aussi en sous-entendu ses auteurs) et James Eagan Holmes, l’assassin présumé qui a tué 12 personnes (dont une fillette de 6 ans) et blessé 58 autres le 20 juillet dernier, durant une projection en avant-première du film de Nolan. Apparemment obsédé par le personnage du Joker tel qu’il apparaît dans THE DARK KNIGHT, au point de se donner son nom, le criminel a froidement préparé et commis cet acte épouvantable.

C’est triste à dire, mais la presse française a trouvé là l’occasion de ressortir quelques vieilles tartes à la crème ; même Télérama, qui a pourtant publié un article bien argumenté et intéressant sur le drame, n’a pas pu s’empêcher de mettre un titre racoleur, «Batman Assassin», suivi en cela par des confrères… Sous-entendant du coup que les films de Nolan auraient pu pousser cet ancien étudiant en médecine à commettre son crime. Ce genre de sous-entendus est contestable, mais fréquent dans la presse française ; je me souviens qu’en 1994 déjà, alors que débarquaient simultanément sur les écrans LEON, PULP FICTION et TUEURS NES, Télérama sonnait déjà la charge contre la violence à l’écran. Coïncidence malheureuse ? Un couple de marginaux, Florence Rey et Audry Maupin, semait la terreur sur le modèle des protagonistes de TUEURS NES. Et déjà donc, Télérama et quelques autres de s’en prendre aux films violents (et sans doute aussi y ajoutait-on les jeux vidéo, les bandes dessinées, la musique heavy metal, etc.) accusés de la même façon de pousser au meurtre… une chance quand même que les spectateurs de ces films, eux, ne confondent pas fiction et réalité au point de commettre ce genre de crimes.

Il faudrait sans doute remonter encore plus loin dans le temps et étudier les cas de criminels se prétendant inspirés par des films, ou d’autres œuvres, avant leur passage à l’acte ; et surtout se rappeler que, chez les criminels de ce type, la violence a une origine bien plus grave que la vision d’un film. Celui-ci ne serait pas la cause, mais le «déclencheur», d’une folie antérieure, inscrite dans la psyché d criminel.

On peut être légitimement choqué par le crime commis à Aurora, tout en évitant de céder à l’émotivité et d’invoquer l’interdiction systématique de l’œuvre incriminée. En participant ainsi au climat d’intimidation morale, on en arriverait à des absurdités. Faudrait-il interdire par exemple les films de Martin Scorsese (régulièrement encensé par la même presse à chaque nouveau film) parce qu’un jour, John Hinkley, se prenant pour l’anti-héros de TAXI DRIVER, a tenté d’assassiner Ronald Reagan ? Ou encore censurer les Beatles, parce que Charles Manson et sa clique ont trouvé dans la chanson HELTER SKELTER leur «inspiration» morbide pour les meurtres qu’ils ont commis ?

Peut-être aussi faut-il considérer que la violence des actes commis par ces criminels, quel que soit l’anglicisme qu’on leur colle, «serial killer», «spree killer», «mass murderer» est un langage. Une forme d’expression simpliste, odieuse, profondément abjecte, mais qui ne serait finalement que l’écho d’une autre forme de violence, financière, sociale celle-là, pratiquée à l’échelle de la planète, et elle aussi cachée dans les recoins les plus noirs de la psyché humaine. Si un quelconque comité d’actionnaires peut décider du sort de milliers de personnes salariées, sans avoir à rendre de comptes, il ne faudrait pas alors s’étonner de voir un pauvre type du Midwest ouvrir le feu sur d’innocents spectateurs. Dans un cas comme dans l’autre, étant aussi aliénés et déconnectés de la réalité, ils trouveraient leur exutoire dans un sentiment de puissance s’exprimant par des moyens différents. Mais avec des résultats aussi désastreux pour leurs victimes. La violence reste le langage des perdants.

 

On peut finalement comprendre en retour le message, l’éthique même, adressée au spectateur par Nolan à travers le personnage de Batman ; la meilleure réponse que l’on puisse faire aux James Eagan Holmes de ce monde, c’est celle que donne le héros à la fin du film au commissaire Gordon : la reconnaissance de la bonté. Cela peut paraître naïf, mais c’est en fin de compte d’une importance universelle fondamentale. Batman révèle son identité au policier en lui rappelant ce qu’il avait fait des années auparavant, lorsqu’il avait donné son manteau à un petit garçon bouleversé par la mort de ses parents. Ce jour-là, Gordon, tel un Saint Martin moderne, avait fait un geste de pur altruisme. Aux spectateurs, la reconnaissance de ce geste d’une simplicité confondante vient rappeler une évidence : rien ne vous oblige certes à jouer les héros, et encore moins les super-héros, mais, en allant à l’Autre, en étant désintéressé, vous vous sauvez vous-même ; vous réalisez un acte d’amour qui vaudra mieux que tous les actes de terreur de ce monde. Et, de cette façon, vous deviendrez un Chevalier.

 

The-Dark-Knight-Rises-08 dans Fiche et critique du film

Puisque nous parlons maintenant de chevalerie, revenons à un autre aspect de DARK KNIGHT RISES qui lui est lié, un thème récurrent chez Nolan comme dans ce blog, la mythologie. Une nouvelle fois, le cinéaste rassemble dans son film des éléments non seulement propres au comics de Batman, mais à des références littéraires, cinématographiques et picturales qui procèdent d’une exploration mythique de l’univers du personnage. On est dans des territoires familiers aux lecteurs des ouvrages de Joseph Campbell, l’auteur du HEROS AUX 1001 VISAGES dont on ne soulignera jamais assez combien il a façonné, malgré lui, le cinéma populaire post-STAR WARS dont les œuvres de Christopher Nolan font aussi partie.

Un symbole fort domine le film en particulier : le puits, déjà présent dans BATMAN BEGINS avec la chute du jeune Bruce, prélude à sa future découverte de la «grotte sacrée» nécessaire à sa transformation en Batman. Ici, le puits devient une prison-fosse infernale (le mot «geôle» descend de «géhenne» et «shéol», synonymes d’Enfers) de laquelle émerge Bane, tel un spectre vengeur, et dans lequel Batman brisé va être abandonné. Nolan remanie un élément familier du comics, les Fosses de Lazare (d’où le super-vilain Ra’s Al Ghul tire son immortalité) pour en faire un élément mythologique fondamental. La fosse où notre héros déchu agonise puis émerge douloureusement, au terme d’épreuves vécues comme autant de supplices initiatiques, nous renvoie aux cercles des Enfers traversés par Dante Alighieri (déjà inspiration indirecte d’INCEPTION et ses univers concentriques) dans LA DIVINE COMEDIE. Bane paraphrase même, à sa façon, les mots du poète italien quand il abandonne Bruce à son triste sort : «vous qui entrez ici, abandonnez tout espoir…».

C’est aussi dans cette fosse que Ra’s Al Ghul (Liam Neeson) a jadis rencontré Bane, le visage ravagé par la maladie, enveloppé d’un linge souillé. La référence aux lépreux est évidente. Lazare, dont nous parlions via le comics, succomba à une maladie similaire, avant d’être ressuscité par Jésus. L’imagination de Nolan associe la mythologie biblique et cinématographique, nous renvoyant aux grands films épiques de Charlton Heston. Celui-ci, prince de Jérusalem exilé, descendait dans une fosse similaire, véritable mouroir à la Dante, dans BEN-HUR, tout en préparant son retour vengeur contre les romains. Et croisait un autre Lazare lépreux dans une scène mémorable du CID. Batman, lui aussi un prince déchu, une fois sorti de cet Enfer sur Terre, rentrera à Gotham de la même façon que le grand Charlton !

The-Dark-Knight-Rises-14-Lord-Humungus-dans-Mad-Max-2-ancêtre-de-Bane-

Bane est lui aussi une figure mythologique très ancienne, «actualisée» par la vision de Nolan, qui ne se prive pas de faire quelques rapprochements bienvenus : son masque évoque aussi quelques «forces primitives» destructrices illustrées par de célèbres collègues inspirateurs du cinéaste. Par association d’idées, on peut y voir aussi la calandre d’un camion (comme celui de DUEL, le «camion dévorant» de Spielberg) ; mais, de façon plus évidente, Bane nous renvoie à quelques figures marquantes du Mal apparues dans des films qui ont marqué la jeunesse de Nolan. Celui-ci cite fort à propos son film favori, BLADE RUNNER, dans une scène où Bane brise à mains nues le crâne d’un homme d’affaires véreux, comme chez Ridley Scott (BLADE RUNNER demeure d’ailleurs une influence constante de Nolan, faisant même jouer Rutger Hauer dans BATMAN BEGINS) ; par son masque, sa brutalité et sa voix mécanique, Bane nous rappelle surtout Darth Vader dans les premiers STAR WARS… et un personnage similaire, le colossal Lord Humungus qui mène la vie dure à Mel Gibson dans MAD MAX 2. Une autre trilogie de SF épique, qui, déjà en son temps, nous alertait sur des crises mondiales et des lendemains cauchemardesques… Humungus, Bane : mêmes montagnes de muscles autoritaires, brutales, masquées et chauves. Le même archétype, donc…

Ce n’est sans doute pas par hasard d’ailleurs que Nolan choisit le talentueux Tom Hardy pour porter le masque de Bane en référence au film de George Miller. Ce dernier vien d’entamer le tournage d’une nouvelle saga de MAD MAX, le «Road Warrior» étant désormais interprété par… Tom Hardy !

 

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Les éléments mythologiques touchent bien sûr tous les autres personnages, à commencer par Bruce Wayne (Christian Bale égal à lui-même), lui-même, désormais boiteux et reclus. Un parfait mélange d’Howard Hughes dans ses dernières années (un exemple remarquable de personnage réel ayant évolué en personnage mythologique), et du Roi Pêcheur de la légende du Graal. Nous retombons ainsi toujours dans l’univers mythique de la chevalerie, Wayne vivant une rencontre déterminante avec le jeune flic John Blake, amené à devenir son héritier spirituel au fil du récit.

 

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Il faut aussi évoquer l’importance des rôles féminins, le chemin de Batman croisant celui de deux jeunes femmes aussi ravissantes qu’ambiguës : Selina Kyle alias Catwoman (étonnante Anne Hathaway, passant en quelques secondes de l’innocence feinte à la détermination manipulatrice) et Miranda Tate (Marion Cotillard… fatiguée, dirait-on, l’actrice française semble parfois hors de ses marques). Cherchez la femme (brune, de préférence chez Nolan), mais attention ! Les apparences sont trompeuses…

Le personnage de Catwoman est en tout cas bien écrit et interprété : une survivante, voleuse, à l’âme «dédoublée» comme son symbole le Chat, à la fois manipulatrice et manipulée. A la fois une égoïste et une altruiste, qui se rachète pour devenir la véritable âme sœur de Bruce Wayne / Batman. C’est la meilleure vision du personnage depuis Michelle Pfeiffer chez Tim Burton, dans un autre univers. Et on oublie Halle Berry dans le navet de Pitof !

 

Les parcours de ces différents personnages s’entremêlent dans une complexité jamais vue ailleurs dans les films de super-héros ; s’il fallait trouver une comparaison appropriée, je pencherai plutôt pour la trilogie du PARRAIN de Coppola, qui transcendait les codes d’un autre genre (le film de gangsters, en l’occurrence). L’habileté d’écriture de Christopher et Jonathan Nolan permet de développer des rapports fouillés entre les différents personnages, le récit s’articulant peu à peu autour du changement psychologique définitif de Bruce Wayne. Celui-ci touchera littéralement le fond (la rupture avec Alfred, la ruine, les blessures et les chutes dans le puits) avant le sacrifice final, et un «twist» ultime, typique du réalisateur, montrant enfin le héros atteindre une nouvelle sérénité. Une dernière scène montrant Bruce avec Selina, souriant à Alfred, et dont on ne saura pas vraiment, en fait, si elle est réelle (bonne chance dans ce cas pour Bruce s’il accorde une totale confiance à une voleuse invétérée !) ou si elle est imaginée par le vieux majordome. Le parcours de Bruce Wayne entraînera aussi la transformation iconique de John Blake, héros en devenir, du jeune flic bouillant à l’adulte responsable et combatif. Jusqu’à la transformation astucieuse en futur super-héros, annoncée dans le superbe plan final. L’émergence du nouveau Dark Knight annoncée par le titre, en fin de compte, c’était lui – Robin ou son avatar adulte Nightwing !

THE DARK KNIGHT RISES, c’est aussi donc une histoire mythique de transmission, de filiation : celle de Batman à John Blake s’opposant à celle de l’héritage de Ra’s Al Ghul, séparé entre Bane et l’héritier mystèrieux.

 

The-Dark-Knight-Rises-06Bouclons ce texte par quelques considérations plus artistiques et techniques ; à commencer par les acteurs, aguerris et professionnels. Si les vétérans de la saga (Bale, Caine, Freeman, Oldman, plus Cillian Murphy) s’en sortent comme toujours avec les honneurs, on retiendra davantage l’interprétation des membres de la «team INCEPTION» en particulier Tom Hardy et Joseph Gordon-Levitt. Et la petite nouvelle de l’univers Nolan, Anne Hathaway, campe une Catwoman très différente des précédentes interprètes. Excellente en femme fatale ultra-sexy et rusée, elle peut passer dans la même séquence de la douceur feinte avec une facilité stupéfiante. Voir notamment cette scène d’aéroport où elle passe d’un registre à la Audrey Hepburn (avec le look adapté) avant d’en remonter à Angelina Jolie dans les scènes de combat.

Des caméos familiers ponctuent le film, par ailleurs. Et Nolan, qui a toujours le nez pour «repêcher» quelques vieilles gloires, ramène un acteur kubrickien oublié en guise de clin d’œil : Matthew Modine, ici en policier déterminé, qui se fit connaître dans FULL METAL JACKET, où il jouait le soldat «Joker» !

 

Côté musique, Hans Zimmer, décidément inspiré par son association avec Nolan, réussit un nouveau score dominé par le thème de Bane, ce «haka» furieux, participant pleinement au caractère intimidant du personnage.

En bonus, on appréciera aussi la puissance dramatique de l’hymne américain chanté par l’enfant solitaire dans le stade, avant le carnage, et la discrète et douce «Pavane pour une Infante Défunte» de Ravel, autour de la valse entre Bruce et Selina.

Enfin, côté mise en scène, Nolan «assure» comme toujours. S’opposant à l’usage abusif de la 3D (une absurdité selon lui), Nolan et le chef opérateur Wally Pfister jouent à merveille de l’IMAX pour livrer des séquences épiques d’anthologie, permettant une profondeur de champ démesurée plus adaptée au regard humain que les gadgets du relief. Dans le même ordre d’idée, il limite au maximum l’usage des effets numériques, préférant utiliser une nouvelle fois maquettes et effets spéciaux réalisés en direct : plusieurs cascades de la moto «Bat-Pod», des véhicules d’assaut «Tumblers» et du «Bat» sont réalisées de la force. Les effets numériques ne sont gardés qu’en dernier recours, au lieu de phagocyter le film.

Et visuellement, THE DARK KNIGHT RISES regorge d’images fortes, d’idées visuelles originales : la chauve-souris dessinée à la craie, devenu le signe de ralliement des résistants. Ou la «mort par exil», traversée de la rivière gelée pour les victimes de Bane… Les paysages glacés sont une obsession récurrente chez Nolan.

La saga a connu une véritable évolution stylistique : après un premier film encore assez formaliste (un peu handicapé par un montage trop syncopé), Nolan optera ensuite pour un deuxième opus plus au visuel plus épuré, «dilaté» (l’influence esthétique de Michael Mann), atteignant ici son paroxysme. On pardonnera du coup quelques longueurs de montage, inhérentes à la durée forcément épique du film.

 

 

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Malgré ces menus défauts, THE DARK KNIGHT RISES conclut donc idéalement la saga, expression de l’intégrité artistique de son auteur qui a su, et c’est un exploit rarissime, lier les exigences du divertissement à des principes mythologiques, tout en livrant un regard alarmé sur notre époque.

Christopher Nolan quitte donc l’univers de Batman, propriété de DC et Warner, qui ont certainement d’autres projets en cours pour le Dark Knight. Comme l’annonce, enfin, d’un film de la Justice League en réponse tardive au triomphe des AVENGERS de la firme concurrente. Nolan, lui, se chargera d’apposer sa patte à l’univers de l’autre icône super-héroïque de DC, Superman, les premières images du MAN OF STEEL qu’il produit pour Zack Snyder (300, WATCHMEN) portant de toute évidence sa signature. En attendant d’autres projets encore secrets, rendez-vous est fixé l’année prochaine pour voir si ce cher Kal-El va connaître une évolution «nolanienne» aussi mémorable que celle de Batman.

 

 

Ludovic Fauchier, the Dark Blog Rises

Ridley Scott, le mini-guide

Ridley Scott, le mini-guide dans Mini-guide Prometheus-12

A l’occasion de la sortie de PROMETHEUS, retour sur la filmographie de Ridley Scott… Les chefs-d’œuvre, les réussites, les moins connus et aussi les errances de la filmographie du cinéaste britannique, qui, à 74 ans, attaque déjà son 21ème film : THE COUNSELOR, un thriller avec, excusez du peu, Brad Pitt, Michael Fassbender, Penélope Cruz, Cameron Diaz et Javier Bardem, sur un scénario écrit par Cormac McCarthy (NO COUNTRY FOR OLD MEN, LA ROUTE).

Increvable, Sir Ridley, l’homme au cigare continue d’annoncer les projets pour une bonne décennie ! Sont ainsi annoncés, à plus ou moins long terme, THE KIND ONE avec Casey Affleck ; MOSES (relecture de la vie de Moïse qui risque peut-être d’entrer en concurrence avec un autre projet, GODS AND KINGS, qui intéresserait Steven Spielberg) ; LA GUERRE ETERNELLE d’après le roman de SF de Joe Haldeman (un space opéra adulte plus proche de la Guerre du Viêtnam que de STAR WARS…) ; et d’autres, très hypothétiques, LE MEILLEUR DES MONDES, annoncé il y a des années avec Leonardo DiCaprio ; RED RIDING ; THE DIVE… Enfin, ces jours-ci, Sir Ridley discute d’une éventuelle «suite» à BLADE RUNNER (sur le modèle de PROMETHEUS par rapport à ALIEN) en cours d’écriture…

 

Ridley-Scott-Duellistes dans Mini-guideDUELLISTES (1977)

Au tout début des guerres napoléoniennes, le Capitaine Armand d’Hubert (Keith Carradine), aristocrate membre du corps des Hussards, est chargé d’arrêter le querelleur Capitaine Féraud (Harvey Keitel), pour des
raisons politiques. Une parole anodine de d’Hubert lui vaut la haine mortelle de Féraud, bonapartiste fervent qui le provoque en duel d’honneur… entre les deux hommes, le duel va s’éterniser sur des décennies, au fil des campagnes militaires et des bouleversements politiques de la France.

 

Mon avis :

Des débuts très remarqués pour Ridley Scott, qui signe un «western napoléonien» joliment maîtrisés, son sens esthétique se manifestant déjà avec de véritables tableaux filmés, n’ayant rien à envier au BARRY LYNDON
de Kubrick. On y voit déjà apparaître les premiers thèmes récurrents de l’œuvre de Scott, spécialement le leitmotiv du duel développé dans ses futures épopées, notamment GLADIATOR.

 

LA scène :

La traque finale de d’Hubert et Féraud, préfigurant l’affrontement final de BLADE RUNNER, et les sublimes derniers plans de Féraud solitaire (filmés dans la vallée de la Dordogne de mes ancêtres !).

 

Ridley-Scott-Alien

ALIEN (1979)

Détectant un signal radio en provenance d’une planète non répertoriée, l’ordinateur de bord du cargo spatial Nostromo réveille ses sept membres d’équipage avant la fin de leur voyage de retour vers la Terre. L’équipage, commandé par Dallas (Tom Skerritt) et Ripley (Sigourney Weaver) découvre un immense vaisseau extra-terrestre naufragé, et son pilote fossilisé depuis des millénaires… La cargaison du vaisseau : des milliers d’œufs. L’astronaute Kane (John Hurt) commet l’erreur de s’approcher trop près de l’un d’eux…

 

Mon avis :

L’étoffe dont sont faits les meilleurs cauchemars… ALIEN ou l’exemple type du film qui transcende un scénario finalement très basique, une histoire de série B de monstre venu de l’espace, qui, remis en de bonnes mains, vous donne une leçon de mise en scène de pur cinéma. Un minimum de dialogues, une photographie claustrophobique à souhait, une confrontation mythologique entre la belle Ripley et le monstre conçu par l’artiste fou H.R. Giger… voilà quelques-uns des éléments qui, en 1979, nous ont ramené à la terreur des espaces infinis.

Sans oublier bien sûr la révélation du talent de Sigourney Weaver.

 

LA scène :

Festival de morceaux choisis… plus toutefois que LA scène gore du dernier repas du pauvre Kane, le sentiment de peur dans ALIEN vient de ce qui précède et de ce qui suit, suivant l’exemple des meilleurs Hitchcock. L’exploration du vaisseau abandonné jusqu’à la l’ouverture de l’œuf fatal. Brett (Harry Dean Stanton) qui cherche le chat Jones… (depuis, chaque fois que je descends dans un sous-sol, je ne peux pas m’empêcher de penser à cette satanée séquence). Et un petit «extra» personnel, le dernier
dialogue d’Ash (Ian Holm) : «Je ne vous mentirai pas sur vos chances de survie, mais… vous avez ma sympathie.» Quel salaud !

 

Ridley-Scott-Blade-RunnerBLADE RUNNER (1982)

2019. Semblables à l’homme, génétiquement créés pour travailler dans les colonies spatiales, les Réplicants sont interdits de séjour sur Terre. Mais un petit groupe mené par Batty (Rutger Hauer) transgresse l’interdit, et se8 réfugie dans une Los Angeles surpeuplée et polluée. Le Blade Runner Rick Deckard (Harrison Ford), reprend du service pour les repérer et les abattre, alors qu’ils cherchent à rencontrer leur créateur, Tyrell…

 

Mon avis :

Et un deuxième choc de pure science-fiction, un ! Véritable FAUCON MALTAIS futuriste, sous influence visuelle de Moebius et du METROPOLIS de Fritz Lang, ce polar futuriste séduit et déroute en même temps. A la fois objet artistique unique et univers à part entière, BLADE RUNNER demeure visuellement imbattable, même si ses qualités esthétiques surpassent un récit «ésotérique», variant au fil des cinq montages existants du film.

 

LA scène :

Des images marquantes, le film en regorge… la scène d’introduction avec cette ville titanesque se reflétant dans un œil humain, et le fameux test de Voight-Kampff qui suit et tourne mal. L’histoire d’amour touchante entre Deckard, le flic qui déteste les Réplicants, et Rachael (Sean Young), la Réplicante qui ignore sa vraie nature de machine. Le meurtre de Tyrell (dont il existe plusieurs variantes d’un montage à l’autre, du plus elliptique au plus graphique). Et les larmes dans la pluie de Rutger Hauer…

 

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LEGEND (1985)

Dans un royaume merveilleux, le sauvageon Jack (Tom Cruise) et la belle princesse Lili (Mia Sara) s’aiment d’amour tendre. Mais le maléfique Darkness (Tim Curry) complote pour régner sans partage sur le Monde. Par la faute des deux amoureux, une licorne sacrée est tuée, une autre capturée par les serviteurs du Prince des Ténèbres. Pour sauver Lili et le monde, Jack ne peut compter que sur l’aide des Elfes de la forêt…

 

Mon avis :

Un film maudit dans la carrière du cinéaste. Tournage compliqué par les difficultés techniques (créer un monde crédible d’heroic fantasy, en «live», sans images de synthèse), un incendie qui ravage le plateau, et surtout l’ingérence des dirigeants d’Universal qui obligent le réalisateur à couper plus de 20 minutes de son film, enlevant presque toute la noirceur originale du récit pour en faire un conte de fées rassurant.

Le film en a pâti, mais demeure fascinant, par son ambiance visuelle entre Cocteau, les premiers Walt Disney, Tolkien et Arthur Rackham. LEGEND est certainement le plus beau des films de fantasy, et ce n’est pas un hasard si Peter Jackson l’a cité en référence majeure pour sa trilogie du SEIGNEUR DES ANNEAUX.

Et puis, franchement, le Diable n’a jamais été aussi beau que dans ce film !

 

LA scène :

La danse de séduction de Lili, convertie au Mal, et prélude à la magistrale entrée en scène de Darkness. Et toutes les scènes avec ce dernier.

 

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SOMEONE TO WATCH OVER ME (TRAQUEE) (1987)

Mike Keegan (Tom Berenger), policier du Queens, fait partie d’une équipe chargée d’assurer la protection de Claire Gregory (Mimi Rogers), jeune femme de la haute société new-yorkaise qui a été témoin d’un meurtre commis par un mafieux psychopathe, Venza (Andreas Katsulas). Les veillées nocturnes de Mike, dans l’appartement de Claire, l’éloignent de sa femme (Lorraine Bracco) et de leur fils ; et Mike tombe peu à peu amoureux de la belle…

 

Mon avis :

Après la fresque historique, la science-fiction et l’Heroic Fantasy, Ridley Scott change radicalement de registre pour son premier polar urbain. Moins formaliste qu’à l’accoutumée, il signe un film solide, pas très marquant, mais où il s’intéresse pour la première fois aux rapports humains réalistes, à travers l’histoire d’amour entre le flic endurci et une «princesse» enfermée dans sa tour d’ivoire.

 

LA scène :

L’évolution des scènes entre Mike et Claire, de la froideur à la tendresse.

 

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BLACK RAIN (1989)

Policier new-yorkais soupçonné de corruption, Nick Conklin (Michael Douglas) arrête un dangereux yakuza, Satô (Yusaku Matsuda), et doit l’escorter pour le remettre à la police d’Osaka, au Japon. Mais Satô s’évade et déclenche une sanglante guerre des gangs. Avec son jeune collègue Charlie (Andy Garcia), Nick s’obstine à vouloir arrêter le yakuza, se retrouvant dans un pays dont il ne comprend ni les règles ni les coutumes… 

 

Mon avis :

Un second polar, plus nerveux cette fois, encore très marqué par l’esthétique des années 80, avec une photo sublime de Jan De Bont, visuellement très proche de BLADE RUNNER. Certains thèmes annoncent AMERICAN GANGSTER. Le film reste une commande efficace conçue pour Michael Douglas, commande dont Scott se sort honorablement. Et tant pis si le film s’égare parfois dans des scènes improbables (un flic américain reçu et aidé par les yakuzas !?!)…

 

LA scène :

La mort de Charlie, piégé par les motards de Satô sous le regard impuissant de Nick.

 

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THELMA & LOUISE (1991)

Ce devait être un simple week-end entre deux copines : Louise (Susan Sarandon), une serveuse de restaurant, et Thelma (Geena Davis), femme au foyer négligée par son beauf de mari. S’arrêtant dans un bar routier, Thelma et Louise voient leur vie basculer ; un dragueur local tente de violer Thelma, et Louise le tue. La petite virée va tourner à la cavale dans le Grand Ouest, alors qu’un flic compréhensif, Hal (Harvey Keitel), tente d’empêcher le pire…

 

Mon avis :

Grand succès pour ce «revival» du film de cavale qui est considéré maintenant comme un classique, grâce à la belle entente des deux comédiennes, absolument parfaites. Une histoire d’amitié ou un film féministe revanchard ? Difficile de départager les avis…

Quoiqu’il en soit, Scott déploie une nouvelle fois son savoir-faire pour un film «iconique» (aidé en cela par les paysages de Monument Valley et du Grand Canyon). Et le casting entourant les actrices est impeccable : les RESERVOIR DOGS Harvey Keitel et Michael Madsen… et l’arrivée d’un petit nouveau qui fit craquer tout le monde, le tout jeune Brad Pitt en autostoppeur braqueur !

 

LA scène :

Rien à redire sur les épisodes tragi-comiques de la cavale des deux héroïnes, mais l’entrée en scène de Brad Pitt fait tout de suite de lui une star, en quelques secondes.

 

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1492 CONQUEST OF PARADISE (1492 CHRISTOPHE COLOMB) (1992)

L’épopée des voyages et désillusions du grand marin génois Christophe Colomb (Gérard Depardieu). Son projet de voyage commercial, vers l’Asie à travers l’Atlantique, est jugé insensé par la toute puissante Eglise, et rencontre l’opposition du ministre Sanchez (Armand Assante) : à cette époque, l’on croyait la Terre plate, l’océan infini et le mot «Amérique» n’existait pas… Obtenant gain de cause auprès de la Reine Isabelle d’Espagne (Sigourney Weaver), Colomb quitte l’Espagne, à l’été 1492, menant trois caravelles dans un voyage fatidique…

 

Mon avis :

Le mauvais accueil fait au film, lancé officiellement pour la commémoration du 500ème anniversaire de la découverte des Amériques, a marqué le début d’une période creuse pour Scott durant les années 1990. Il faut dire que c’est un drôle d’anniversaire que le cinéaste célèbre, en insistant surtout sur la barbarie de l’époque de Colomb… Mais le vrai problème du film est ailleurs. Un scénario pas tout à fait convaincant, une coproduction internationale déséquilibrée… Depardieu est parfois inspiré, et parfois épouvantablement cabotin. Le film s’en ressent.

 

LA scène :

La description des autodafés de l’Inquisition, où le cinéaste va quand même très loin dans les détails atroces sur les suppliciés garrottés en gros plan…

 

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WHITE SQUALL (LAME DE FOND) (1996)

Un film basé sur une histoire réelle. En 1960, 8 jeunes garçons venus de familles aisées sont inscrits sur un bateau-école, l’Albatross, pour un voyage de 8 mois dans les îles des Antilles. Le sévère capitaine Christopher Sheldon (Jeff Bridges) leur enseignera discipline, respect de soi et des autres, et confiance en eux et en l’équipage. Une expérience formatrice, mais qui sera endeuillée par une tragédie en haute mer…

 

Mon avis :

Le second film de «l’essoufflement» de Scott… certes, il y a de superbes images maritimes, une scène de tempête vraiment impressionnante et poignante (battue depuis par celle filmée par Peter Weir dans MASTER & COMMANDER, avec Russell «Maximus» Crowe), un Jeff Bridges correct, mais le scénario lorgne avec trop d’insistance du côté du CERCLE DES POETES DISPARUS (de Peter Weir, encore !) pour convaincre.

 

LA scène :

Le naufrage de l’Albatross.

 

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G.I. JANE (A ARMES EGALES) (1997)

L’ambitieuse sénatrice Lillian DeHaven (Anne Bancroft) fustige le haut commandement militaire américain pour son machisme invétéré. DeHaven sélectionne une jeune femme, le Lieutenant Jordan O’Neil (Demi Moore), analyste tactique dans l’US Navy, afin qu’elle soit la première femme inscrite au programme d’entraînement des Navy SEALS, l’unité la plus dure des commandos de la Marine américaine. Sous la férule du redoutable instructeur Urgayle (Viggo Mortensen), Jordan vit des semaines d’enfer permanent, pour devenir un soldat d’élite…

 

Mon avis :

Ouch… traiter de la difficile condition des femmes dans l’armée américaine est un sujet intéressant. Mais le traitement simpliste, finissant en propagande interventionniste, laisse pantois… La métamorphose de Demi Moore (comédienne passable jouant ici sur le registre d’une Sigourney Weaver), en «mec» bodybuildé et chauve fait plus rire qu’autre chose… Viggo Mortensen et Anne Bancroft sauvent le film du naufrage, malgré des personnages limités. Scott s’est heureusement rattrapé depuis dans le genre, avec BLACK HAWK DOWN.

 

LA scène :

Celle qui touche le fond… Jordan est en «stage intensif» pour apprendre à résister aux interrogatoires, mais Urgayle dépasse les bornes en la torturant vraiment, puis s’apprêtant à la violer. Déjà «too much», la séquence finit par l’hallucinante réplique «culte» de Demi Moore, que la courtoisie m’interdit de citer ici…

 

Ridley-Scott-GladiatorGLADIATOR (2000)

L’empire romain, en l’an 180 de notre ère, sous le règne du sage Marc Aurèle (Richard Harris). Le général Maximus Decimus Meridius (Russell Crowe), victorieux des barbares à Vindobona, est choisi par l’empereur pour devenir son héritier légitime, et ramener Rome à l’état de République. Une décision qui déplaît à l’instable Commode (Joaquin Phoenix), fils de l’empereur, qui tue son père dans un moment de folie et se proclame nouvel empereur. Désigné ennemi, Maximus s’enfuit et trouve sa famille massacrée. Réduit en esclavage, puis gladiateur, le soldat déchu trouvera dans l’arène le moyen de sa revanche contre le jeune tyran…

 

Mon avis :

Après le chemin de croix, la résurrection ! Pour ramener à la vie le péplum sous un angle épique réaliste, Ridley Scott s’est ouvertement inspiré du dernier grand classique américain du genre, LA CHUTE DE L’EMPIRE ROMAIN d’Anthony Mann, avec une touche de SPARTACUS de Stanley Kubrick pour faire bonne mesure. Inspiré, le cinéaste égale ses modèles en actualisant le propos et la mise en scène, et inaugure un style qui a relancé l’intérêt du public pour le genre. Chef-d’œuvre épique.

 

LA scène :

Des morceaux de bravoure en pagaille : la grande bataille qui ouvre le film ; le combat «Carthage» au Colisée (où Maximus retrouve ses réflexes de commandant pour sauver ses amis d’une mort programmée) ; le duel des tigres ; le duel final… n’oublions pas le meurtre de Marc Aurèle, la découverte de la famille de Maximus tuée, comme dans LA PRISONNIERE DU DESERT de John Ford. Et la folie grandissante de Commode. Petit bonus personnel : le rituel de Maximus frottant ses mains dans la terre avant chaque combat.

 

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HANNIBAL (2001)

Hannibal Lecter (Anthony Hopkins), le brillant ex-psychiatre et assassin cannibale, s’est évadé depuis des années, vivant à Florence sous une fausse identité. Il se rappelle au bon souvenir de l’agent du FBI Clarice Starling (Julianne Moore), disgraciée par ses supérieurs après une bavure. Un inspecteur italien, Pazzi (Giancarlo Giannini), alléché par la prime promise pour la capture de Lecter, tente seul de le démasquer. Et dans l’ombre, un ancien patient de Lecter, le milliardaire pervers Mason Verger (Gary Oldman), prépare une vengeance sordide contre le tueur en série qui l’a jadis horriblement mutilé…

 

Mon avis :

La suite longtemps attendue du SILENCE DES AGNEAUX ne fait pas l’unanimité, loin de là… et si, pourtant, elle était meilleure que ce dernier ? Adapter le sulfureux roman de Thomas Harris n’était pas chose facile, et Scott doit assumer la suppression des passages les plus glauques du roman. Le film se défend pourtant, malgré des séquences bien malsaines (les apparitions de Verger, les cochons…), grâce à son ambiance florentine, et on retrouve avec plaisir Anthony Hopkins, qui s’amuse toujours autant en psychopathe raffiné. Et Julianne Moore succède honorablement à Jodie Foster.

 

LA scène :

Un dîner presque parfait pour le bon docteur, fin gourmet et médecin légiste, aux dépens de Krendler (Ray Liotta), sous les yeux d’une Clarice immobilisée…

 

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BLACK HAWK DOWN (LA CHUTE DU FAUCON NOIR) (2001)

Reconstitution de la Bataille de Mogadiscio qui eut lieu en Somalie, en octobre 1993. Pour neutraliser un seigneur de guerre, Mohammed Farrah Aïdid, qui affame et massacre la population civile, le général Garrison (Sam Shepard) met en place l’Opération Irene : des commandos des U.S. Marines, des Rangers et des Delta Force (interprétés entre autres par Josh Hartnett, Ewan McGregor, Eric Bana) capturent les complices d’Aïdid au cœur de Mogadiscio, et les ramener à leur base pour interrogatoire. L’opération devait durer 30 minutes. Suite à une série d’erreurs et d’incidents successifs, elle va dégénérer en bataille meurtrière, les soldats étant assaillis à chaque coin de rue par les miliciens d’Aidid alertés de leur venue…

 

Mon avis :

Intense, éprouvant, épuisant… L’un des meilleurs films sur la «guerre asymétrique». Certes, le film s’intéresse plus aux combats qu’au questionnement politique, mais comme le dit l’un des soldats : «la politique disparaît dès que les balles sifflent»… Et Scott sait contourner les pièges «patriotards» de son producteur Jerry Bruckheimer, se montrant finalement sévère envers la plus puissante armée du monde.

Côté acteurs, mention spéciale à Eric Bana qui crève l’écran. Vous reconnaîtrez aussi, dans de petits rôles, Orlando Bloom et Tom Hardy.

 

LA scène :

Les batailles mises à part, on retiendra une scène de dialogue-confrontation entre le pilote d’hélico et l’un des lieutenants d’Aïdid. Et l’image symbole du cinéma de Ridley Scott : le dessin d’un samouraï perdu dans la forêt, par l’un des soldats avant le départ en mission.

 

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MATCHSTICK MEN (LES ASSOCIES) (2003)

Roy Waller et Frank Mercer (Nicolas Cage et Sam Rockwell) sont des escrocs opérant au grand jour à Los Angeles. Mais Roy, atteint de troubles obsessionnels compulsifs sévères, a de plus en plus de mal à sortir de chez lui pour effectuer ses combines. Et pour ne rien arranger, il se retrouve obligé d’accepter la garde d’Angela Fenton (Allison Lohman), sa fille qu’il n’a jamais connu, et qui s’avère meilleure que lui à son propre jeu…

 

Mon avis :

Après l’éreintant BLACK HAWK DOWN, cette comédie grinçante produite par Robert Zemeckis paraît bien anodine. Scott met ses obsessions et son style habituel en retrait, se reposant sur un script très astucieux. Cage est relativement sobre (et n’avait pas encore torpillé sa carrière à l’époque…), mais c’est Allison Lohman, 23 ans, qui marque le film en Lolita plus futée que son géniteur.

 

LA scène :

Les scènes d’Allison Lohman…

 

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KINGDOM OF HEAVEN (2005)

Au 12ème Siècle, le forgeron Balian (Orlando Bloom), veuf fugitif, rejoint son père Godefroy (Liam Neeson) et un groupe de chevaliers en partance pour la Terre Sainte. Héritant des terres de Godefroy, Balian s’éprendra de la princesse Sybille (Eva Green), sœur du roi lépreux Baudouin (Edward Norton), affaibli par les complots politiques qui se trament autour de lui. Quand des Templiers tuent des marchands musulmans, le seigneur Saladin (Ghassan Massoud) réclame vengeance et relance la guerre sainte, entamée un siècle auparavant par les premiers Croisés…

 

Mon avis :

Le film aurait dû être le second chef-d’œuvre épique de Scott. Si GLADIATOR était sa CHUTE DE L’EMPIRE ROMAIN, KINGDOM OF HEAVEN aurait pu être son CID… Hélas, le film a été largement tronqué au montage à sa sortie, et le rythme comme l’histoire s’en ressentent. Heureux possesseurs de DVD qui ont pu apprécier un tout autre film en Director’s Cut, restituant toutes les intrigues complètes (le meurtre du prêtre, le rôle plus tragique de Sybille, etc.).

KINGDOM version cinéma : un bon film d’aventures, mais décevant compte tenu des attentes.
KINGDOM version Director’s Cut : un chef-d’œuvre !

 

LA scène :

Pour les amateurs d’action : l’attaque des chevaliers dans la forêt, l’assaut sur Kerak, et le siège de Jérusalem. Pour les romantiques : la première apparition d’Eva Green, sublime en tenue de reine byzantine. Pour les cinéphiles : les scènes références à David Lean et Sergio Leone.

Dans la version Director’s Cut : les scènes tragiques où Sybille réalise que son enfant est incurable de la lèpre, et décide d’abréger ses souffrances…

 

Ridley-Scott-Une-Grande-AnnéeUNE GRANDE ANNEE (2006)

Max Skinner (Russell Crowe), cynique courtier de la City à Londres, apprend qu’il vient d’hériter du domaine viticole de son oncle Henry (Albert Finney), en Provence. D’abord réticent à venir sur place, Max s’attarde et décide de se lancer dans la production viticole. Les choses se compliquent avec l’arrivée d’une inconnue, sa cousine héritière Christie (Abbie Cornish), et avec la présence de la jolie Fanny (Marion Cotillard) dans les parages…

 

Mon avis :

Un autre «film de vacances» pour Ridley Scott… Ce n’est pas désagréable, loin de là, merci à Russell Crowe, Marion Cotillard et le cher Albert Finney, mais la comédie n’est pas le genre où Scott est le plus à l’aise. On se consolera avec les superbes images des vignobles de Provence…

 

LA scène :

La scène où Max imite Peter O’Toole dans LAWRENCE D’ARABIE !

 

Ridley-Scott-American-GangsterAMERICAN GANGSTER (2007)

L’histoire vraie de l’ascension criminelle et de la chute de Frank Lucas (Denzel Washington). Bras droit, puis héritier du caïd de Harlem Bumpy Johnson, Frank, en pleine Guerre du Viêtnam, met à profit son intelligence acérée pour s’enrichir grâce au trafic d’héroïne, et acheter des policiers véreux des Stupéfiants. Un inspecteur intègre, Richie Roberts (Russell Crowe) rassemble une petite équipe de choc pour identifier et neutraliser le
nouveau caïd de Harlem, qui met un point d’honneur à ne pas se faire remarquer…

 

Mon avis :

Un polar avec une histoire digne des meilleurs Lumet ; un script riche, fouillé, documenté, de Steven Zaillian ; la reconstitution parfaite d’une époque (le New York des années 1970, âpre et sale). Crowe et Denzel Washington se livrent à un jeu du chat et de la souris, et ce dernier est parfait de bout en bout. Définitivement le film somme des polars de Ridley Scott, et son chef-d’œuvre du genre.

 

LA scène :

Frank Lucas se fait respecter en abattant un rival en pleine rue, devant témoins, façon PARRAIN. L’achat fatal d’un manteau de fourrure. La descente des hommes de Roberts dans l’immeuble transformé en laboratoire. Et l’étonnante description de l’amitié se développant entre Lucas et Roberts.

 

Ridley-Scott-Body-of-LiesBODY OF LIES (MENSONGES D’ETAT) (2008)

Alors qu’un attentat vient d’ensanglanter l’Angleterre, Roger Ferris (Leonardo DiCaprio), agent de terrain de la CIA, parcourt le Moyen-Orient à la recherche d’informations qui pourront le mener à repérer et arrêter Al-Saleem, le chef du groupuscule islamiste auteur de l’attentat. Chapeauté depuis l’Amérique par son supérieur Ed Hoffman (Russell Crowe), Ferris entre en contact avec Hani Salaam (Mark Strong), le chef des services secrets jordaniens, pour échanger avec lui des informations précieuses. Avant de réaliser qu’il doit aussi se méfier d’Hoffman, qui mène en secret une autre opération…

 

Mon avis :

Les contrecoups politiques de la Guerre d’Irak et la menace terroriste internationale… une situation complexe, inextricable, pour un très solide thriller d’espionnage. DiCaprio est intense comme à son habitude, Crowe est jubilatoire en superviseur faussement «pépère». Et la révélation du talent de Mark Strong, crédible et intimidant chef des services secrets jordaniens.

 

LA scène :

Les scènes où Ferris doit gagner la confiance de Hani Salaam, tout en se défiant de lui. L’histoire d’amour impossible de Ferris avec l’infirmière iranienne (Golshifteh Farahani), et le respect de ses coutumes. Et l’apparition de Hoffman, supervisant une mission stratégique en pantoufles et peignoir depuis sa villa de banlieue !

 

Ridley-Scott-Robin-des-BoisROBIN DES BOIS (2010)

1192. Après la mort du roi Richard Cœur de Lion à Châlus, l’archer Robin Longstride (Russell Crowe) et ses compagnons de combat décident de s’enfuir pour rentrer au pays qui connaît des heures sombres. Le traître Godfrey (Mark Strong) ami de Jean (Oscar Isaac), le nouveau Roi d’Angleterre, manipule ce dernier pour préparer en secret l’invasion des troupes françaises de Philippe Auguste.

Respectant un serment fait à un chevalier mourant, Loxley, et usurpant son identité, Robin se rend à Nottingham, fief de sa veuve Marian (Cate Blanchett) et de son père Walter (Max Von Sydöw)…

 

Mon avis :

Retour pour Scott en terrain connu : batailles furieuses, complots politiques, trame historique précise… mais presque trop facile, après GLADIATOR et KINGDOM ? Reste un film très plaisant, intéressante relecture réaliste de la légende de Robin des Bois dans le contexte de l’époque.

Russell Crowe est égal à lui-même en chef d’une «horde sauvage» médiévale. De même que Cate Blanchett, convaincante Marian au tempérament de guerrière. Et le grand Max von Sydöw, émouvant vieux chevalier.

Et puis, bon sang de bois, quelle musique !

 

LA scène :

Bien sûr, les batailles (Châlus, la plage) sont toujours aussi trépidantes. Mais on préfèrera l’évolution de la difficile relation Robin-Marian, et les scènes avec Walter. Ainsi que les apparitions de Godfrey, accompagné par un thème musical de «bad guy» réussi.

Philip K. Dick rêve-t-il d’adaptations cinématographiques ? – THE ADJUSTMENT BUREAU et SOURCE CODE

Au programme d’aujourd’hui, deux thrillers de science-fiction, aux thèmes apparemment assez similaires…

La paranoïa et manipulations forcées du destin y sont de mise ; les protagonistes y croisent une belle inconnue dont ils tombent amoureux, à leurs risques et périls ; et, surtout, ils doivent énormément à Philip K. Dick. Le défunt auteur de romans et nouvelles hallucinées qui ont donné à l’écran de célèbres adaptations filmées est l’auteur de la nouvelle à l’origine du film ADJUSTMENT BUREAU… et SOURCE CODE, s’il n’est pas adapté d’un de ses textes, lui doit certainement beaucoup par l’esprit. Or, le premier film échoue là où l’autre réussit !    

Mais avant d’aller plus loin, profitons de l’occasion qui nous est offerte de passer en revue les différentes adaptations de l’auteur à l’écran. Philip K. Dick et le cinéma, c’est déjà une longue histoire chaotique, comprenant aussi bien des réussites, des déceptions, des petites pépites et de terribles trahisons ! 

  

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L’auteur vit, peu de temps avant sa mort, la toute première d’entre elles, BLADE RUNNER, basée sur son roman « Les Androïdes Rêvent-ils de Moutons Electriques ? », par Ridley Scott, en 1982. Plutôt hostile à toute tentative d’adaptation hollywoodienne, Dick fut emballé par la projection que lui réserva le futur cinéaste de GLADIATOR. Depuis, BLADE RUNNER est reconnu comme un chef-d’œuvre (presque) indiscutable du genre… du moins en ce qui concerne l’esthétique. De ce côté-là en tout cas, le film est irréprochable, grâce aux magnifiques effets spéciaux de Douglas Trumbull, le magicien des effets de 2001 L’ODYSSEE DE L’ESPACE et RENCONTRES DU TROISIEME TYPE, qui crée une Los Angeles futuriste et tentaculaire. Grâce également à l’ambiance créée par les savants éclairages de Scott et son chef opérateur Jordan Cronenweth, et l’équipe artistique… Ce lointain descendant de METROPOLIS croisé au FAUCON MALTAIS, lorgnant aussi de très près sur les bandes dessinées de Moebius parues dans la revue Métal Hurlant, aux thèmes passionnants (la création d’une forme de vie artificielle, trop semblable à l’Homme), a toutefois souffert pendant longtemps de problèmes de clarté de scénario. Divers remontages portant sur des détails à l’importance variable d’une version à l’autre (la licorne, pour ne citer qu’un exemple) n’ont pas non plus aidé à sa compréhension. L’interprétation est de qualité ; Harrison Ford campe un savoureux Marlowe dépressif du futur… même si l’acteur se sentit vite perdu dans les décors et les gadgets techniques envahissants de Scott, il donne une certaine gravité résignée à son personnage de détective privé. Mais c’est Rutger Hauer, inoubliable androïde en révolte contre son créateur (le comédien « kubrickien » Joe Turkel) qui reste dans les mémoires. Très bon film pour ses qualités techniques et visuelles évidentes (maintes fois imitées dans des dizaines de productions de SF par la suite), quelque peu décevant dans son récit prometteur, BLADE RUNNER reste tout de même dans le haut du panier des adaptations de Dick.    

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Plus en tout cas que le film suivant, tout aussi célèbre pourtant, TOTAL RECALL, réalisé par Paul Verhoeven en 1990. Le cinéaste hollandais, fou génial, auteur virulent de SOLDIER OF ORANGE et ROBOCOP, poursuivait son aventure hollywoodienne avec un Arnold Schwarzenegger alors au sommet de sa forme et de sa gloire au box-office mondial. Une association explosive pour l’adaptation de « Souvenirs à Vendre » de Dick, histoire azimutée de manipulation mentale cachant un obscur secret situé sur Mars, planète de toute les obsessions de l’auteur… Gros succès, TOTAL RECALL déçut tout de même les admirateurs de Verhoeven et irrita les amateurs de Dick. Seuls les fans moins exigeants de « Schwarzy » y trouvèrent leur compte, le film étant une version futuriste ultra-violente de LA MORT AUX TROUSSES, un blockbuster d’action pétaradante centré autour de sa méga-star, plus prompt à castagner et mitrailler ses ennemis qu’à se poser des questions métaphysiques («si che suis pas moi, qui che suis, portel ?»). La dimension « dickienne » est rapidement évacuée au profit des effets spéciaux, des explosions et de l’action non-stop… de facture assez correcte pour l’époque (notamment les métamorphoses animatroniques assurées par Rob Bottin, l’artiste fou de THE THING et HURLEMENTS), les truquages ont cependant pris depuis un sérieux coup de vieux.  Quelques points positifs… outre la relance de la carrière de Sharon Stone (parfaite dans le registre mi-ange mi-démon. Les castagnettes du Chêne Autrichien en gardent un souvenir douloureux !), Verhoeven a tout de même tenté de « subvertir » l’image de Schwarzenegger, n’hésitant pas à le tourner plus d’une fois à l’écran en dérision : gentil mari effacé, Quaid (Schwarzenegger) subit toutes sortes de déguisements et métamorphoses grotesques – déformations « cartoonesques » à foison, serviette-turban sur la tête et travestissement en grosse femme… Plus sérieux, le film redevient « dickien » quelques instants, lors de la séquence de l’hôtel martien. Qui est ce curieux docteur surgi de nulle part qui vient avertir Quaid qu’il est toujours en plein délire psychotique, que ce qu’il vit n’est pas réel ? Pendant quelques minutes, TOTAL RECALL vacille un peu sur ses fondations, on se prend à espérer que Verhoeven va reprendre la situation en main pour orienter le film dans la paranoïa complète… mais les lois du box-office reviennent reprendre leur droit, enchaînant bagarres et fusillades sanglantes jusqu’au générique de fin. Une bonne occasion ratée, donc.    

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L’adaptation suivante de Dick date de 1990. Cocorico, elle est française ! CONFESSIONS D’UN BARJO est signée d’un certain Jérôme Boivin, réalisateur atypique d’un BAXTER dont le héros est un chien méchant et pensant… Comédie grinçante interprétée par Hippolyte Girardot, Anne Brochet et Richard Bohringer, le film est depuis tombé dans l’oubli. En 1995, le Canada se distingue à son tour avec une bonne petite surprise, SCREAMERS (PLANETE HURLANTE), basée sur la nouvelle « Second Variety ». Un script adapté par Dan O’Bannon – déjà co-auteur de TOTAL RECALL – qui tombe entre les mains du réalisateur Christian Duguay. Sous l’apparence d’un récit d’action futuriste, c’est une excellente série B bien menée. Un groupe de soldats – menés par Peter Weller, le ROBOCOP de Verhoeven – embarqués dans une guerre interminable se retrouve piégé sur une planète où des machines intelligentes, les « screamers » créés pour mettre fin au conflit, ont évolué. Elles imitent si bien les formes de vie les plus complexes qu’elles finissent par se croire réelles… La suspicion gagne les rangs du commando dès lors que tous croient que les redoutables « screamers » se cachent parmi eux… Une ambiance de décrépitude, quelque part entre Tchernobyl et la guerre civile yougoslave, donne à ce film un cachet particulier et tout à fait appréciable.    

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Dans un registre assez proche, l’américain Gary Fleder signe en 2002 une nouvelle adaptation, IMPOSTOR, assez fidèle à l’esprit du romancier. Dans un proche futur où l’Humanité est en guerre contre les extra-terrestres Centauriens, le directeur de l’armement à la solde d’un gouvernement fasciste, Spencer Olham (Gary Sinise), se retrouve suspecté d’être un « faux humain » par les services secrets de son camp ;  fabriqué par l’ennemi, il aurait été manipulé et rendu volontairement amnésique, porteur d’une bombe vivante… Le sujet est intéressant, le film correctement interprété par de solides professionnels (Sinise, Madeleine Stowe, Vincent D’Onofrio)… seul bémol, la limitation de son budget oblige le réalisateur à caviarder son film d’inserts d’effets visuels d’autres films – notamment STARSHIP TROOPERS et ARMAGEDDON.    

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Si, jusqu’ici, BLADE RUNNER était généralement considéré comme la seule et unique adaptation valable de l’univers de Philip K. Dick, un autre film va lui tenir la dragée haute vingt ans plus tard. Et quel film ! Steven Spielberg signe avec MINORITY REPORT un bijou de « SF Noire » qui transcende la nouvelle originale de Dick, « Rapport Minoritaire ». D’abord conçu comme une préquelle à TOTAL RECALL, le scénario subit, entre les mains du cinéaste de LA LISTE DE SCHINDLER, une révision complète. Le résultat en vaut la chandelle. Sous son aspect séduisant de film d’action à suspense, MINORITY REPORT pose d’importantes questions éthiques sur une société sécuritaire qui n’est que le reflet à peine déformé de notre propre monde. Grâce aux mutants Précogs, une « parapolice » hi-tech, PréCrime, peut désormais empêcher tout crime en arrêtant le criminel… avant son passage à l’acte annoncé par les visions des Précogs. Une police préventive donc, pour le bien de la société, terriblement efficace grâce aux talents qu’a son chef d’équipe, John Anderton (Tom Cruise, grandiose dans une performance sur le fil du rasoir), pour « décoder » les visions des trois Précogs. Mais un tel pouvoir exercé sur le citoyen lambda débouche sur une dérive totalitaire qui ne dit pas son nom… Arrêter et emprisonner sans procès un homme qui n’a pas encore commis de crime, est-ce encore de la Justice, ou un simulacre ? Ce n’est que l’une des nombreuses questions que Spielberg nous pousse à nous poser dans ce film fou. Il est aussi question de trafics d’organes et de drogues dévastatrices pour l’esprit, de manipulations génétiques arbitraires, d’alliances louches entre le gouvernement américain et les sociétés de sécurité privées, de disparition totale de la vie privée…  La maîtrise des scènes d’action trépidantes fait « passer la pilule » de la noirceur du message que le cinéaste nous adresse alors aux premières heures de l’ère Bush, annonciatrice d’autres arrestations « préventives » et détentions arbitraires, celles de Guantanamo.    

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Le studio DreamWorks enchaînera sur une autre adaptation de Dick en 2004, PAYCHECK. Malheureusement, en cherchant à « surfer » sur le succès de MINORITY REPORT, dont il copie le look et certains thèmes, le réalisateur John Woo n’en retrouve pas l’inspiration. Il est fortement question de manipulations gouvernementales et de guerres « préventives », mais le traitement, orienté comme un film d’action hollywoodien de plus, ne convainc pas. Encore moins heureux, Lee Tamahori, réalisateur néo-zélandais jadis inspiré (L’ÂME DES GUERRIERS), devenu depuis un simple exécutant de Hollywood, réalise un « véhicule » pour Nicolas Cage en 2007, NEXT, d’après « L’Homme Doré », angoissante nouvelle de Dick sur un mutant sociopathe doté de pouvoirs prémonitoires. Du texte de ce dernier, il ne reste pratiquement rien, le gimmick des visions prémonitoires servant juste de prétexte à un étalage d’effets spéciaux pour une énième traque au complot terroriste. Comble de la trahison, le FBI, bête noire de l’écrivain, devient ici sympathique ! Et Cage (le comédien de plus en plus « plastifié », ces dernières années, semble prendre plaisir à enchaîner les navets et saboter ainsi sa carrière) et Tamahori plagient au passage une scène marquante de MINORITY REPORT, la « torture oculaire » héritée d’ORANGE MECANIQUE… Julianne Moore est dramatiquement sous-employée, et on se console devant la plastique irréprochable de Jessica Biel. C’est peu… La trahison est totale. Le résultat est sans appel, NEXT est une catastrophe filmique et la pire des adaptations dickiennes.    

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Pour voir une adaptation réussie de Dick en 2007, il faudra se tourner vers un cinéma affranchi des règles du blockbuster standardisé. La très bonne surprise vient de Richard Linklater, réalisateur de SCANNER DARKLY, d’après SUBSTANCE MORT. Une réussite qui doit son caractère hallucinatoire à une technique originale, le rotoscoping, les prises de vues réelles, en « live », étant ensuite retravaillées en animation traditionnelle. Cela donne au film, plongée dans le quotidien d’une pitoyable bande de drogués (en tête d’affiche, Keanu Reeves et de beaux disjonctés : Winona Ryder, Robert Downey Jr. et Woody Harrelson) subissant les effets dévastateurs d’une drogue qui rend schizophrène, un aspect familier et perturbant au possible.  De nouvelles adaptations « dickiennes » sont annoncées, et devraient apparaître sur le grand et le petit écran dans les années à venir. La plus avancée n’est pas la plus rassurante. TOTAL RECALL va connaître une nouvelle mouture. Difficile de dire, à ce stade de la production, si le film sera une répétition de la version Schwarzenegger-Verhoeven, ou une relecture plus fidèle au texte de Dick. Un a priori rassurant, Colin Farrell en sera la vedette ; après avoir été remarqué en agent du FBI tenace dans MINORITY REPORT, le bouillant acteur irlandais retrouve donc un univers familier, aux côtés de la charmante Kate Beckinsale chargée de succéder à Sharon Stone dans le rôle de la gentille/méchante épouse du héros. Moins rassurant, le choix du réalisateur, Len Wiseman, « auteur » des UNDERWORLD et DIE HARD numéro 4 laisse craindre que le film sera plutôt un « blockbuster pétaradant » de plus, au lieu d’une œuvre de science-fiction « dickienne » pure. On guettera avec plus d’intérêt la mise en chantier de deux autres projets nettement plus intéressants : à la télévision tout d’abord, où Ridley Scott produirait une mini-série ambitieuse, LE MAÎTRE DU HAUT CHÂTEAU. Un des romans les plus célèbres de Dick, maintes fois récompensé pour cette uchronie, description terrifiante d’une Amérique vaincue par l’Axe pendant la 2e Guerre Mondiale, et morcelée entre ses conquérants – le Japon impérial et l’Allemagne nazie ! Du tout bon pour le cinéaste de BLADE RUNNER, qui retourne à ses amours sciences-fictionnelles en ce moment même, avec PROMETHEUS, situé dans l’univers d’ALIEN avant les évènements de ce film… L’autre projet, tout aussi alléchant, et tout aussi difficile à adapter, est la mise en chantier d’UBIK par Michel Gondry. Histoire difficilement racontable où un petit groupe d’enquêteurs se retrouve pris au piège de l’esprit d’un mort en animation suspendue, et « enfermé » dans les souvenirs de ce dernier… Le cinéaste français va pouvoir donner libre cours à ses expérimentations visuelles les plus folles, et revenir à un univers finalement assez proche de son magnifique ETERNAL SUNSHINE OF THE SPOTLESS MIND.    

Il est maintenant temps de revenir à notre «comparatif» du jour, opposant une mystérieuse agence de redresseurs de destin et un curieux voyageur temporel quelque peu angoissé !  

  

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THE ADJUSTMENT BUREAU / L’Agence, de George NOLFI    

 

L’Histoire :    David Norris est un jeune politicien ambitieux, charismatique et populaire. Député natif de Brooklyn, il brigue le poste de Sénateur de l‘État de New York. La voie vers le succès électoral est toute tracée, mais la publication dans la presse d‘une photo gênante lui coûte la victoire au dernier moment. Déprimé, David tente de rédiger sans conviction un discours de défaite. S‘absentant quelques instants aux toilettes de l‘Hôtel Waldorf, il rencontre par hasard une magnifique jeune femme, venue s‘incruster à la fête électorale. Une brève conversation, et c‘est le coup de foudre. La belle inconnue s’éclipse, sans avoir dit son nom à David. Sous le charme, le jeune politicien improvise un discours qui remotive magistralement ses supporteurs.     Quelque temps plus tard, il retrouve par hasard la jeune femme dans le bus. Elle se nomme Elise, danseuse ballerine professionnelle. Une rencontre amoureuse idéale… sauf pour les inquiétants hommes en complet gris, imperméables et chapeaux mous qui suivent David à son insu. Ceux-là cherchent à empêcher toute romance entre David et Elise, dans un but précis… En pleine préparation de sa future campagne électorale, David trouve ces inquiétants personnages dans les bureaux de son équipe, en train de «réinitialiser» ses collègues et son personnel, paralysés.      Cherchant à leur échapper, il est capturé. Le chef de l’équipe de ces étranges intrus, Richardson, et son adjoint, Harry Mitchell, lui expliquent qu’ils ont été chargés de veiller sur sa destinée, suivant les ordres venus d’en haut, du Bureau des Ajustements… Il n’arrivera rien à David, à part des bonnes choses pour sa carrière politique, à la seule condition qu’il ne revoit jamais Elise. Autrement, sa mémoire sera effacée de force…    Image de prévisualisation YouTube 

 

Impressions : 

 

Mêler des genres aussi disparates que le thriller, la science-fiction à la Dick et la romance, nécessite une certaine dose de courage… autant que d’inconscience.    Le scénariste George Nolfi signe son premier film en adaptant une nouvelle de Dick, titrée chez nous « Rajustement ». Était-ce vraiment une bonne idée ? Quand on examine le CV de Nolfi, collaborateur régulier de Matt Damon, on peut tout de même en douter… On lui doit le scénario de l’épouvantable OCEAN’S 12, le pire de la trilogie réalisée par Steven Soderbergh. Un invraisemblable « film de vacances entre copains » budgété à 120 millions de dollars, où les acteurs en totale roue libre improvisent sans y croire un instant sur un scénario fumeux… Nolfi a également co-signé pour Damon le script de THE BOURNE ULTIMATUM / La Mort dans la Peau, troisième volet de la série « Bourne ». Divertissement d’action rythmé, qui se contente de copier pratiquement à l’identique le récit du film précédent. Autant dire que cela fait un peu « léger » pour un réalisateur débutant qui veut s’attaquer frontalement à une adaptation cinématographique de l’univers tortueux de Dick.  Malheureusement, au terme de la projection, l’a priori se confirme. Nolfi livre un divertissement léger mais sans audace. Comme quoi Matt Damon, plutôt inspiré dans ses précédents choix de films, devrait à l’avenir se méfier de certains « copains » du métier…     Pour la défense de Nolfi, il faut reconnaître qu’il part avec un handicap difficile à gérer. La nouvelle originale de Dick, titrée « Ajustement » et parue en français dans un volumineux recueil de nouvelles chez Denoël (les curieux y trouveront aussi les nouvelles à l’origine de TOTAL RECALL, MINORITY REPORT, PAYCHECK et NEXT), date des premières années du futur grand auteur du MAÎTRE DU HAUT CHÂTEAU. Histoire courte, assez représentative des hésitations du jeune écrivain dans sa période « vaches maigres », elle contient les germes de ses futurs thèmes récurrents – climat de paranoïa, manipulations mentales d’une « agence » nébuleuse – mais reste assez « légère ». La nouvelle contient une bonne dose d’humour « dickien » – un chien parlant et paresseux, employé de l’Agence, joue malgré lui un rôle déterminant dans la découverte de la Vérité par le héros ! Mais, après ces prémices alléchantes, Dick termine sa nouvelle en queue de poisson, une dizaine de pages en tout. Somme toute, c’est plus un « pitch » qu’une histoire complètement développée.  Nolfi a gardé l’idée initiale de l’Agence surveillant les destinées de tout un chacun, et la « gaffe » initiale… mais il n’a pas gardé le « chien-espion » de la CIA céleste ! Malheureusement, en cherchant à s’affranchir de l’ambiance dickienne pour privilégier la romance, il a aussi quelque peu saboté son intrigue.   

 

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Il est regrettable qu’après un début intéressant, le réalisateur semble hésiter… une fois que David Norris, le personnage interprété par Matt Damon, découvre la réalité cachée derrière sa fulgurante ascension politique, Nolfi louvoie entre le thriller paranoïaque et la « love story » contrariée, sans trop savoir où mener son récit. Les « ajusteurs », dont la tenue évoque les agents du FBI des années Kennedy, ont beau répéter au héros qu’il ne doit plus chercher à retrouver la belle Elise, le scénario ne définit qu’assez vaguement la menace vécue par le protagoniste. Il ne doit plus revoir la jolie femme et s’en remettre à cette mystérieuse Agence « qui lui veut du bien », point barre. Une vague réflexion sur le libre-arbitre et les accidents du hasard tient lieu d’alibi intellectuel à un récit assez léger, où il apparaît d’ailleurs que l’Agence, plus indulgente que menaçante, serait aux ordres d’un certain « Grand Patron » qui ne serait autre que le bon Dieu en personne. L’occasion de plonger dans un vertige métaphysique comme les aimait Philip K. Dick est donc ratée, au profit d’une récupération religieuse « gentille » et malvenue. Il ne reste, pour se consoler, que quelques prémices « dickiennes » essentiellement rassemblées dans la séquence où Norris découvre les « Ajusteurs » en plein travail dans ses bureaux… Saluons quand même quelques trouvailles techniques étonnantes, comme ce plan-séquence où le couple poursuivi franchit des kilomètres de ville en quelques ouvertures de portes « téléporteuses ».  Reconnaissons aussi le professionnalisme des comédiens embarqués dans cette décevante aventure : Matt Damon qui hérite d’un rôle sur mesure et sans surprise ; le méconnu et très bon Anthony Mackie (boxeur « caillera » dans MILLION DOLLAR BABY et militaire angoissé dans THE HURT LOCKER / DEMINEURS) en surveillant dévoué ; Terence Stamp, toujours impérial et inquiétant, malgré un rôle trop court ; et la craquante Emily Blunt dont la caméra tombe amoureuse à chaque plan ! Interprétation correcte donc, mais une certaine déception se fait ressentir pour ce qui restera une adaptation divertissante mais tiède, et besogneuse.    

La note : 

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La fiche technique : 

THE ADJUSTMENT BUREAU / L’Agence 

Réalisé par George NOLFI    Scénario de George NOLFI, d’après la nouvelle « Adjustment Team / Rajustement » de Philip K. DICK   

 

Avec : Matt DAMON (David Norris), Emily BLUNT (Elise Sellas), Anthony MACKIE (Harry Mitchell), Terence STAMP (Thompson), Michael KELLY (Charlie Traynor), John SLATTERY (Richardson), Donnie KESHAWARZ (Donaldson), Anthony RUVIVAR (McCrady), Christine LUCAS (Christine), Shane McRAE (Adrian Troussant), et les apparitions NC de Jon STEWART et Michael BLOOMBERG (eux-mêmes)     Produit par Bill CARRARO, Michael HACKETT, Chris MOORE, George NOLFI, Michael BEDERMAN, Eric KRIPKE et Joel VIERTEL (Universal Pictures / Media Rights Capital / Gambit Pictures / Electric Shepherd Productions)   Producteurs Exécutifs Isa DICK HACKETT et Jonathan GORDON     Musique Thomas NEWMAN   Photo John TOLL   Montage Jay RABINOWITZ   Casting Cathy SANDRICH    Décors Kevin THOMPSON   Direction Artistique Stephen H. CARTER   Costumes Kalisa WALICKA-MAIMONE   1ers Assistants Réalisateurs Steve APICELLA, Peter SOLDO et H.H. COOPER   Cascades et Réalisateur 2e Équipe G.A. AGUILAR    Mixage Son Danny MICHAEL    Effets Spéciaux Visuels John BAIR, Jim RIDER, Mark RUSSELL, Justin BALL et Randall BALSMEYER (Big Film Design / RhinoFX / Brainstorm Digital / Wildfire VFX / Proof / Phosphene / HPI / Realscan 3D)     Distribution USA : Universal Pictures / Distribution INTERNATIONAL : UIP   Durée : 1 heure 46     Caméras : PanArri 435, Panaflex Millennium XL et Platinum    

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SOURCE CODE, de Duncan JONES 

L’Histoire : 

un homme se réveille subitement, dans un train à destination de Chicago, face à une jeune femme qui lui fait la conversation. Désorienté, l’homme ignore comment il s’est retrouvé à bord du train, ni pourquoi la jeune femme qui lui fait face le connaît, et l’appelle « Sean »… alors qu’il est persuadé de se nommer Colter Stevens, militaire en mission en Afghanistan. Très perturbé, Colter se rend aux toilettes du train pour reprendre ses esprits… et réalise que son reflet est celui d’un autre homme. La jeune femme le rejoint, lui demandant des explications sur son comportement. Il a à peine le temps de lui répondre que le train est détruit par une terrible explosion. Tout le monde est tué…    

Et pourtant, Colter Stevens se réveille, vivant, sanglé dans une capsule hermétiquement fermée. Sur un moniteur, une femme officier, Colleen Goodwin, tente de le calmer et de le raisonner. Après une période de panique, Colter comprend qu’il s’est porté volontaire pour une mission très particulière. Ce matin même, un train à destination de Chicago a été détruit par un attentat terroriste. Embarqué dans une étrange machine à la conception révolutionnaire, le « Source Code », Colter se retrouve à vivre en temps réel les dernières minutes avant l’explosion fatidique. Il doit absolument trouver la bombe, et l’auteur de l’attentat, qui se trouvait à bord du train. Colter se retrouve une nouvelle fois «projeté» à bord du train, revivant les mêmes évènements en compagnie de la jeune femme, Christina… 

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Impressions :    

Et si, tout compte fait, il fallait chercher l’esprit « dickien » dans un film original ? L’auteur a profondément influencé nombre de films de science-fiction dont les thèmes favoris se retrouvent dans nombre de films. Pêle-mêle, on peut citer TWELVE MONKEYS / L’ARMEE DES DOUZE SINGES de Terry Gilliam, THE TRUMAN SHOW de Peter Weir, GATTACA d’Andrew Niccol (également auteur du scénario du TRUMAN SHOW, et qui va rempiler en fin d’année avec un nouveau film, NOW, dans le ton de ses premières œuvres), DARK CITY d’Alex Proyas, MATRIX des Wachowski (du moins ses prémices, avant que le film ne tourne au fourre-tout « kung fu et fusillades »), ETERNAL SUNSHINE OF THE SPOTLESS MIND, donc, ou encore le monumental INCEPTION de Christopher Nolan. Toutes ces productions sont, à des degrés divers, redevables à Philip K. Dick de l’originalité de leurs sujets. Et, à sa façon, SOURCE CODE s’inscrit dans cette lignée d’un cinéma de science-fiction novateur, tout en assurant haut la main sa garantie de divertissement.    

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Qui est donc le réalisateur de SOURCE CODE, Duncan Jones ? Un jeune quadragénaire, sujet britannique, d’abord connu pour ses illustres géniteurs. Il est en effet le fils de David Bowie et de son ex-épouse Angela, son égérie des années « glam rock » des années 70, celle-là qui inspira à Mick Jagger la célèbre chanson « Angie » ! Le petit Duncan naquit en plein dans les années où son célèbre papa s’incarnait sur scène en « Ziggy Stardust », extra-terrestre androgyne et chantait « Ground Control to Major Tom » (« Ground Control to Major Tom / Take your protein pills and put your helmet on… »). Chanson « planante » qui fut inspirée à Bowie par la vision du chef-d’œuvre des chefs-d’œuvre de la grande science-fiction, 2001 : L’ODYSSEE DE L’ESPACE de Stanley Kubrick ! Un Papa très marqué par la SF, puisqu’il tourna aussi dans le remarquable et déroutant HOMME QUI VENAIT D’AILLEURS en 1976, et apparut au fil des ans dans divers films fantastiques, notamment une prestation mémorable en Nikola Tesla dans LE PRESTIGE de Nolan… Avec un héritage pareil, il n’est pas étonnant de voir que le petit Duncan adore tout autant la science-fiction, « biberonné » à STAR WARS comme à l’œuvre de Kubrick ! Pas plus que de le voir signer un premier long-métrage, MOON, avec Sam Rockwell, qui puise directement son inspiration visuelle et narrative dans 2001, avec une touche de SILENT RUNNING, le beau film moins connu de Douglas Trumbull (qui se trouvait être le cocréateur des effets visuels de 2001 !). Un premier film, récit d’un homme solitaire employé sur une base lunaire, qui tourne le dos aux clichés de la SF « blockbuster », et qui fut salué pour sa maîtrise et l’interprétation intense de Rockwell.    Jones poursuit dans la même veine avec ce SOURCE CODE, écrit par un jeune scénariste, Ben Ripley, lui aussi féru de SF, qui s’est fait les dents sur quelques commandes de films « direct-to-video » sans grand intérêt. Amusante coïncidence, ou synchronisme jungien, l’association de Jones et Ripley évoque deux noms bien « marqués » par un classique du genre qui nous intéresse ici : respectivement les noms du chat et de l’héroïne, les deux survivants du Nostromo dans ALIEN !    

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L’anecdote mise à part, les deux hommes ont dû s’amuser à concocter une intrigue certes très référentielle mais aussi très astucieuse, et solidement construite. En se basant sur le récit à suspense le plus basique qui soit (la sempiternelle bombe à retardement), Jones et Ripley se servent de l’argument science-fictionnel pour réussir un joli tour de force technique et émotionnel. Ils auraient pu rebaptiser leur film «Je suis vivant et vous êtes morts», pour rester dans l’esprit de l’univers de Dick. Les révélations et retournements de situation sont suffisamment bien dosés pour maintenir le spectateur en haleine, sans le faire décrocher. Et ceci avec des éléments référentiels somme toute assez clairs (manipulations gouvernementales, thriller, réalité altérée, et love story contrariée) ; les auteurs ont su doser les ingrédients narratifs tout en construisant une intrigue ingénieuse. C’est une sorte de mélange entre DEJA VU (le thriller de Tony Scott avec Denzel Washington remontant le temps pour déjouer un attentat) et UN JOUR SANS FIN (pour l’aspect «variations sur une même situation»)… avec une pointe de la fameuse série CODE QUANTUM, ouvertement citée par la brève participation vocale de Scott Bakula.    Le thème archi-rebattu du voyage temporel est ici transformé en « voyage quantique ». Jones et Ripley choisissent de ne pas s’attarder sur les détails techniques de la mission de Colter Stevens (Jake Gyllenhaal, investi à fond dans son rôle), pour mieux s’intéresser à son évolution durant les fameuses 8 minutes fatidiques. Ce dernier passe de l’incrédulité à la peur, puis à la suspicion, la colère, le détachement, ou l’empathie, selon le degré d’informations qui lui sont peu à peu délivrées par sa superviseuse, Goodwin (Vera Farmiga, intrigante). L’histoire d’amour naissante entre Colter et Christina (l’attachante brunette Michelle Monaghan) est touchante, bien menée, sans paraître «téléguidée» par les auteurs. Tout ceci nous mène petit à petit à un joli climax, émouvant sans être excessif, et à un ultime rebondissement qu’aurait sans doute apprécié Dick.    

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Ajoutons à tout cela que Jones, à la mise en scène, fait preuve d’une maîtrise technique digne de ses prestigieux aînés. Les cadrages, mouvements de caméras et enchaînements de montage sont impeccablement pensés et adaptés au récit. Avec des spécialistes comme Don Burgess, l’ancien chef opérateur de Zemeckis, période FORREST GUMP / CONTACT, et Paul Hirsch, ancien monteur de George Lucas et Brian De Palma, Duncan Jones avait peu de chance de saboter son propre travail. Et les effets spéciaux ne prennent jamais le dessus sur le film lui-même ; ils ne servent pas à une démonstration de savoir-faire excessif, mais sont utilisés uniquement quand la nécessité technique l’impose.    Une très bonne surprise, et un réalisateur à suivre. 

La note : 

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Ludovic Fauchier, ajusté et codé. 

La fiche technique :  

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SOURCE CODE    

Réalisé par Duncan JONES   Scénario de Ben RIPLEY    

Avec : Jake GYLLENHAAL (Colter Stevens), Michelle MONAGHAN (Christina Warren), Vera FARMIGA (Colleen Goodwin), Jeffrey WRIGHT (le Docteur Rutledge), Michael ARDEN (Derek Frost), Cas ANVAR (Hazmi), Russell PETERS (Max Denoff ), Brent SKAGFORD (George Troxel), Craig THOMAS (l’Homme d’Affaires à la Montre Dorée), et la voix de Scott BAKULA (le Père de Colter)     Produit par Mark GORDON, Philippe ROUSSELET, Jordan WYNN, Stuart FENEGAN, Sarah PLATT et Tracy UNDERWOOD (The Mark Gordon Company / Vendome Pictures / Vendôme Productions)   Producteurs Exécutifs Jeb BRODY, Fabrice GIANFERMI et Hawk KOCH    

Musique Chris BACON   Photo Don BURGESS   Montage Paul HIRSCH    

Décors Barry CHUSID   Direction Artistique Pierre PERRAULT   Costumes Renée APRIL    

1ers Assistants Réalisateurs Buck DEACHMAN et W. Michael PHILLIPS   Réalisateur 2e Équipe Raymond PRADO    

Mixage Son Marc FISHMAN et Scott MILLAN   Montage Son Tom BELLFORT et Branden SPENCER   Effets Spéciaux Sonores Tom BELLFORT    

Effets Spéciaux Visuels Wayne BRINTON, Sébastien MOREAU et Louis MORIN (Modus Fx / MPC / Mr. X / Oblique FX / Rodeo FX)   Effets Spéciaux de Plateau Ryal COSGROVE    

Distribution CANADA : E1 Entertainment / Distribution FRANCE : SND / Distribution USA : Summit Entertainment   Durée : 1 heure 33    

Les Maquisards de Sherwood – ROBIN DES BOIS

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ROBIN DES BOIS, de Ridley SCOTT  

l’Histoire :  

en 1199, le Royaume d‘Angleterre connaît de sombres heures. Le Roi Richard Cœur de Lion, parti dix ans plus tôt libérer Jérusalem pour la Troisième Croisade, a échoué dans sa tentative, et entreprend un périlleux voyage de retour à travers l‘Europe, et ses royaumes rivaux.  

Pour permettre le retour de Richard et de son armée en Angleterre, des impôts très lourds sont prélevés sur une population misérable. Pauvres et affamés, des enfants sans père se réfugient dans la forêt de Sherwood, voisine de la ville de Nottingham, et pillent les maigres réserves de nourriture amassées par Marian Loxley pour aider ses gens. Richard Cœur de Lion, accompagné de Lord Robert Loxley, l’époux de Marian, arrive à Châlus, en plein cœur de la France, et entame le siège du château fort local. Des combats épuisants opposent l‘armée de Richard aux français. Un archer vétéran, Robin Longstride, et ses compagnons de guerre se distinguent par leur bravoure au cœur des batailles.  

À la Cour d‘Angleterre, les complots politiques se multiplient, avec l‘annonce du retour imminent de Richard en son royaume. Ce qui inquiète surtout son frère cadet, le Prince Jean, ambitieux mais influençable, qui conspire pour s’emparer du trône, malgré l‘opposition des barons fidèles au roi, menés par William Marshal. Contre l’avis de sa mère Aliénor d’Aquitaine, Jean épouse Isabelle d‘Angoulême, jeune nièce du Roi de France Philippe II, dans le cadre d‘une alliance politique contre Richard. L’envoyé de Jean auprès du Roi de France, Godfrey, un noble sans scrupules, rencontre en secret ce dernier et prépare une embuscade en Bretagne, dans la forêt de Brocéliande, pour assassiner le Roi d‘Angleterre.   À Châlus, Robin est salué par Richard pour son courage, mais ose critiquer sa conduite durant la Croisade, et, en châtiment, se retrouve mis au pilori avec ses camarades. Menant la charge contre le château, Richard Cœur de Lion est tué par un carreau d‘arbalète. Robin profite de la confusion pour s‘enfuir avec ses amis – Little John, le jeune Jamie, Will Scarlet et Allan A‘Dayle – et rejoindre l‘Angleterre au plus vite. Ils traversent la forêt de Brocéliande, où Sir Robert Loxley, ramenant la couronne du défunt roi à Londres, est attaqué par Godfrey et les soldats français…  

 

La Critique : 

«Bienvenue à Sherwood, Milady !».  

Robin des Bois… souvenirs de ma toute première séance de cinéma ! J’étais tout petit quand ma mère m’emmena voir, avec ma grande sœur, le dessin animé des studios Disney, gentille relecture animalière des exploits de l’archer de Sherwood. Dans un cinéma délabré de ma bonne ville natale de Saint-Yrieix-la Perche (Haute-Vienne – goûtez nos excellentes madeleines), la projection fut interrompue plusieurs fois, la bobine du film se cassant dans le vieux projecteur. Des puces grouillaient dans la salle, paraît-il. Ce vieux cinéma agonisa encore quelques années, avant de fermer définitivement. Il s’appelait le Ludo… Appelez ça une coïncidence ou un signe de ma future grande passion. Si le souvenir du film s‘effaça vite dans ma mémoire, le nom et la légende de Robin des Bois allait rester quelque part dans mon petit monde imaginaire, parmi les grands noms de l’aventure de cape et d’épée, Zorro ou d’Artagnan. Qui sait ? Enfant, en me promenant près des petits bois de ma région, je me suis peut-être imaginé faire partie des Joyeux Compagnons, narguant l’usurpateur Prince Jean, et le brutal Shérif de Nottingham ?  

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Autre coïncidence, des années plus tard… on m’apprit que ma ville natale était traversée par le circuit touristique de la Route Richard Cœur de Lion ; le fameux Roi d’Angleterre, celui-là pour qui Robin des Bois s’était battu dans les légendes, n’était en fait jamais rentré des Croisades pour châtier son vilain petit frère Jean ; il trouva la mort devant le château de la ville voisine de Châlus, après onze jours d’agonie, la faute à un carreau d’arbalète français… Blessure de guerre mortelle, survenue durant une période de conflits incessants entre les Rois d’Angleterre maîtres de l’Aquitaine, et leurs rivaux les Rois de France, sur fond de Croisades.  

Voilà donc mes premières «connexions» avec l’univers de Robin des Bois, me faisant aller entre la réalité historique et la légende trépidante.

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Connexions alimentées bien sûr aussi par les innombrables versions du mythe créé autour du personnage, qui a traversé les siècles pour devenir partie intégrante de la culture populaire. Une imagerie largement alimentée par le Cinéma, via les classiques avec Douglas Fairbanks en 1922, et surtout Errol Flynn dans la version Technicolor de 1938, signée Michael Curtiz et William Keighley, classique délicieusement suranné et porte-étendard du genre «swashbuckler» alors à la mode à Hollywood. Un genre franchement parodié (par John Cleese dans BANDITS BANDITS, Mel Brooks, ou même Shrek…), souvent revisité entre versions plus ou moins fidèles, du nostalgique LA ROSE ET LA FLECHE de 1976 avec Sean Connery et Audrey Hepburn, superbes Robin et Marian vieillissants, à la plus connue version «rock’n roll» de 1991 due à Kevin Reynolds, avec un improbable Kevin Costner (et son accent western si reconnaissable !), l’indispensable Morgan Freeman, la charmante Mary Elizabeth Mastrantonio, Alan Rickman déchaîné en odieux Shérif, et Sean Connery, encore lui, en guest star royale.  

Voilà les longs préambules nous menant à ce ROBIN DES BOIS 2010 démythifié, revu par un cinéaste expert ès épopées impitoyables, Sir Ridley Scott, qui boucle une fructueuse dernière décennie, avec à son actif des GLADIATOR, LA CHUTE DU FAUCON NOIR, KINGDOM OF HEAVEN, AMERICAN GANGSTER. Scott qui retrouve pour la cinquième fois son parfait binôme, «Maximus» Russell Crowe, aux côtés de la grande Cate Blanchett. Le scénariste Brian Helgeland (MYSTIC RIVER, L.A. CONFIDENTIAL, MAN ON FIRE), également réalisateur d’un CHEVALIER plaisant et aussi très «rock‘n roll», s’est associé à Scott pour recréer le climat d’une époque médiévale qui tranche radicalement avec la légende dorée de Robin des Bois. Certes, en bons hommes de spectacle, les deux hommes nous livrent avant tout un récit d’aventures truffé de batailles spectaculaires, mais ils se sont surtout accordés pour démythifier une époque rude : l’Europe de la fin du 12ème Siècle, théâtre de luttes seigneuriales, de conflits sanglants et d’une misère sociale extrême, n’ayant donc rien à voir avec la joyeuse ambiance des films d’Errol Flynn dans ses magnifiques collants…  

À la vision de la dernière scène de KINGDOM OF HEAVEN, montrant la rencontre du chevalier Balian (Orlando Bloom) avec le Roi Richard en partance pour la Terre Sainte, on devinait déjà l’envie de Ridley Scott de traiter sous un angle réaliste les origines de Robin des Bois. Le cinéaste ne s’en cachait d’ailleurs pas dans ses commentaires sur son film ; il envisageait, dans les ébauches du scénario de KINGDOM, de conclure l’histoire en menant Balian en Angleterre et de lui faire endosser la future identité de Robin. Idée abandonnée, mais l’envie de s’emparer du mythe était déjà là. Son ROBIN DES BOIS se pose donc au final comme une suite «indirecte» de son épopée des Croisades – beau film au montage hélas tronqué lors de sa sortie en salles, et qui devient un pur chef-d’œuvre dans sa version intégrale sortie en DVD. Avec l’apport de Helgeland, Ridley Scott revient à un thème qui l’obsède depuis le début de sa carrière, la Chevalerie. Avec tout ce que ce mot implique d’imagerie héroïque, de duels, d’amour courtois et de code d’honneur respectés ou trahis entre de puissants antagonistes. Pratiquement toute sa filmographie est nourrie de ces thèmes : clairement annoncé par les titres évocateurs de DUELLISTES, BLADE RUNNER, GLADIATOR, définissant autant de guerriers obsessionnels affrontant en combat singulier de redoutables adversaires (incarnés par Harvey Keitel, Rutger Hauer ou Joaquin Phoenix), l’esprit de chevalerie est aussi omniprésent dans LEGEND (Tom Cruise «intronisé» chevalier blanc, à la rescousse d’une princesse en péril) et bien sûr dans ses épopées KINGDOM OF HEAVEN et 1492 : CHRISTOPHE COLOMB. De façon plus inattendue, le thème revient aussi, dissimulé dans ses films contemporains, que ce soit les films policiers (TRAQUEE, notamment, et sa romance entre un flic du Queens et une «princesse» de Central Park), ou une brève mention dans LA CHUTE DU FAUCON NOIR (le dessin d’un soldat avant la bataille, illustrant un Samouraï dans une forêt sortie des récits d‘Akira Kurosawa)… même le final d’ALIEN prenait des allures de combat héraldique entre une Saint-Georges des temps futurs, Ripley (Sigourney Weaver) et son Dragon, l’Alien… même le calamiteux G.I. JANE perpétuait aussi une forme de chevalerie «médiatique» désabusée, par le personnage de Demi Moore, championne désignée de la lutte politique d’une sénatrice ambitieuse…

ROBIN DES BOIS est en quelque sorte l’aboutissement des obsessions «chevaleresques» de Ridley Scott, qui enracine la mythologie dans la réalité la plus crue. Le choix du cinéaste et de son scénariste de situer un moment important de l’action dans la Forêt de Brocéliande n’est pas le fruit du hasard. Tout en jouant sur le souci de réalisme historique – Brocéliande existe réellement, non loin de Rennes en Bretagne, et est donc un endroit tout à fait plausible pour le voyage de notre héros -, Ridley Scott n’allait certainement pas passer à côté de la légende du Roi Arthur, inspirée par cette célèbre forêt. Le rappel est tout à fait évident lorsque Robin prête serment de loyauté sur l’épée d’un seigneur mourant. On se retrouve en pleine légende arthurienne, si magnifiquement évoquée en 1981 par EXCALIBUR, le film de John Boorman, dont Scott est d’ailleurs un grand admirateur. Le scénario de Brian Helgeland sait très bien tenir compte de cet esprit «arthurien», en évoquant avec finesse l’histoire d’amour naissante entre Robin et Marian. Une véritable histoire de «fin’amor» entre le guerrier désillusionné et la dame de haut rang. Un amour courtois qui ne signifie pas amour platonique, la romance est à l’image de l’époque, charnelle et naturaliste. Le scénariste s’amuse en créant des dialogues à double sens («A good night/ a good knight») autour de cette relation, contrebalancée par les mœurs paillardes des camarades de Robin, joyeux larrons appréciant les girondes villageoises de Nottingham ! On reconnaît là la touche de grivoiserie légère propre au scénariste-réalisateur de CHEVALIER, dans lequel Geoffrey Chaucer (génial Paul Bettany) jouait un rôle important. L’esprit de l’auteur anglais des CONTES DE CANTERBURY, prédécesseur historique de notre Rabelais national, est présent dans cette évocation sans fard des mœurs du Moyen Âge. Le personnage du bon gros Frère Tuck va d’ailleurs dans ce même sens. Le brave moine aux appétits bien terrestres (son nom, «Tuck» signifie «ripaille» en anglais) n’est apparu qu’assez tard dans les récits sur Robin des Bois, eux-mêmes inspirés par les écrits de Chaucer et Rabelais… le choix de Mark Addy, qui a d’ailleurs joué dans CHEVALIER, renforce ce traitement «à la Chaucer» de l’épopée.  

Suivant la même idée d’implanter la fiction dans la réalité historique, Ridley Scott et son scénariste reviennent aussi aux racines mêmes du personnage de Robin. Le texte déroulant qui ouvre le film pose la question de la nature même du héros. Quelques notes glanées chez le Grand Oracle Wikipédia sur les origines de l’histoire de Robin des Bois montraient que, d’un récit à un autre, ce dernier passait du statut de paysan révolté à celui de brigand assassin sans foi ni loi, de l’aristocrate révolté partisan de Richard Cœur de Lion à celui de justicier rendant aux pauvres ce qu’il prend aux riches… le tout au gré des thèmes et des courants littéraires alors en vogue selon le contexte. Le nom original du héros, qui est aussi celui du titre du film, porte autant à confusion en français qu‘il traduit sa nature profonde, en anglais. Robin Hood ne devrait pas se traduire par Robin des Bois (ce serait alors «Robin Wood»), mais plutôt «Robin à la Cagoule» (désignant un élément vestimentaire de l‘époque)… un double sens en découle : dès le 13ème Siècle, le nom générique «Robehood» désignait à la fois les brigands réfugiés dans les bois d‘Angleterre, et leurs actes de brigandage… Symboliquement, donc, «Robin Hood» représente l’homme qui, se dressant contre un pouvoir absolu corrupteur, se met volontairement hors la loi, en rejoignant la forêt, lieu par excellence de la vie primitive opposée à la civilisation… ce qui explique peut-être le contresens, finalement logique, de la traduction française !

ROBIN DES BOIS est à la fois le personnage central, et, à l’instar des DUELLISTES, BLADE RUNNER et GLADIATOR, l’incarnation de son propre symbole, lié aux ravages de la guerre. Ridley Scott aborde ici un thème particulièrement riche, d’autant plus qu’il demeure présent encore de nos jours dans l’imaginaire collectif contemporain. Robin des Bois, qu’il soit réel ou légendaire, a une forte valeur de symbole politique. Voyez aussi comment tant de grands personnages rebelles se sont approprié inconsciemment le mythe de Robin en prenant le maquis contre des autorités corrompues : Che Guevara, le Sous-Commandant Marcos, Phoolan Devi la «Reine des Bandits», etc. se sont souvent vus qualifiés de «Robin des Bois» contemporains. Faisant de son Robin une sorte de maquisard médiéval, héroïque mais aussi ambigu, Ridley Scott a su capter l’esprit même du mythe, incarnation de la révolte populaire face à un pouvoir arbitraire. Lutte représentée dans le film par les conflits et complots opposant à la Cour d’Angleterre les barons, menés par William Marshal (Guillaume le Maréchal, «le Plus Grand Chevalier d‘Angleterre», importante figure historique de la fin du 12ème Siècle, incarné ici par le toujours solide William Hurt), le faible Prince Jean et les agents à la solde du Roi de France. Helgeland et Scott respectent d’ailleurs la vérité historique en annonçant la future signature de la Grande Charte, important texte juridique qui établira en 1215 les bases du tout premier code civil anglais sur le droit aux libertés individuelles. Établissant l’habeas corpus contre l’emprisonnement arbitraire, la Grande Charte sera signée par un Prince Jean rechignant d’ailleurs à l’appliquer, ce qui entraînera d’ailleurs la Première Guerre des Barons en Angleterre, de 1215 à 1217.  

Les auteurs de ce nouveau ROBIN DES BOIS ont su bâtir leur récit en respectant le contexte historique : les errements de Richard Cœur de Lion aboutissant à sa mort à Châlus, la rivalité réelle entre Richard et Jean, alimentée par les intrigues de leur mère Aliénor d’Aquitaine, la montée au pouvoir en France de Philippe II (le futur Philippe Auguste, vainqueur de Bouvines. Vive la France qui gagne !)… l’arrière-plan historique et politique de l’époque est fidèlement recréé, comme sans doute il n’a jamais été conçu auparavant dans un film sur Robin des Bois.  

 

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Côté mise en scène, Ridley Scott met à profit son immense expérience de cinéaste à grand spectacle pour nous livrer, plus qu’un film d’aventures médiévales, un vrai film de guerre ! La bande des «Joyeux Compagnons» de Robin – Petit Jean, Will Scarlet… -, démythifiée par le scénario de Helgeland, devient sous les caméras de Ridley Scott un véritable commando de durs à cuire, une horde sauvage n‘ayant rien à envier à Sam Peckinpah et aux films de «durs à cuire» des années 60, comme LES SEPT MERCENAIRES, LES PROFESSIONNELS, etc. Et oui, ROBIN DES BOIS assume aussi ses airs de western !

Dans son récit, Scott cite par ailleurs des classiques inattendus : une scène de danse et séduction entre Robin et Marian, au son de la ballade celtique «Women of Ireland» familière à ceux qui ont vu BARRY LYNDON, et un grand finale furieux et barbare, où il est fortement question d’un débarquement militaire sur une plage… quand la scène s’attarde sur des fantassins entraînés au fond de la Manche par le poids de leurs armures, l’hommage au SOLDAT RYAN de Steven Spielberg est évident ! Autant qu’à la bataille finale d’ALEXANDRE NEVSKI d’Eisenstein, avec son lac gelé se brisant sous le poids des Chevaliers Teutons…

Aidé par le travail de son chef-opérateur de GLADIATOR, John Mathieson, Ridley Scott reconstitue une époque âpre, sauvage, avec le sens du détail visuel qu’on lui connaît. Les clichés romantiques du vieil Hollywood sont bien loin, la France et l’Angleterre moyenâgeuse sont ici décrites dans toute leur froide brutalité. Accompagnée par la percutante musique de Mark Streitenfeld (un des disciples les plus doués de Hans Zimmer), l’action est épique et violente, frontale et dérangeante, comme dans cette scène de mise à sac du village de Nottingham qui, restant dans l’optique «film de guerre» appliquée par le réalisateur, évoque les souvenirs des villages martyrs de la 2ème Guerre Mondiale.  

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Les acteurs sont irréprochables. Chez les seconds rôles, outre le truculent Mark Addy et ses abeilles, et William Hurt, saluons surtout les prestations du grand acteur suédois Max von Sydöw, dont la diction et la tenue shakespearienne font une fois de plus merveille, et de Mark Strong, comédien britannique que cette année 2010 couronne nouveau roi des méchants du grand écran, juste après son rôle dans SHERLOCK HOLMES !

Dans le rôle-titre, Russell Crowe impressionne la pellicule, comme à l’accoutumée ! Littéralement «dégraissé» après avoir affiché un solide embonpoint dans ses deux films précédents, BODY OF LIES / Mensonges d’État et STATE OF PLAY / Jeux de Pouvoir, il impose la même puissance physique qu’à l’époque de GLADIATOR, et campe ici un véritable vétéran de guerre. Un Robin désabusé, poussé par les circonstances à incarner un héros qu’il n’est pas, et donc particulièrement complexe sous ses airs de sauvage.

Sa compatriote Wallaby, Cate Blanchett, est une nouvelle fois magnifique. Elle devient une Marian endurcie par les drames, dure à la tache et n’hésitant pas à partir au combat, une vraie guerrière bien éloignée elle aussi du cliché de la demoiselle médiévale en détresse. Portée par ces deux immenses comédiens, la romance à l’écran de Robin et Marian sonne toujours juste, sans sentimentalisme excessif.

Pour l’anecdote, on notera que c’est la seconde fois que «Russ» combat les Français (après MASTER AND COMMANDER) et que Dame Cate défend l’Angleterre avec autant de détermination que face à l’Invincible Armada espagnole dans ELIZABETH L’ÂGE D’OR. Toujours royale, l’actrice australienne serait parfaite pour incarner Boudicca (ou Boadicée), la Reine Guerrière celte qui combattit les Romains – et devint le symbole de l’Angleterre résistante aux invasions…  

 

La flèche a fait mouche !

 

la note :

 

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Ludovico Hood (mais où es-tu donc, belle Marian ?)

 

La Fiche Technique :

 

ROBIN HOOD / ROBIN DES BOIS  

Réalisé par Ridley SCOTT   Scénario de Brian HELGELAND 

Avec : Russell CROWE (Robin Longstride), Cate BLANCHETT (Marian Loxley), Max Von SYDÖW (Sir Walter Loxley), William HURT (Sir William Marshal), Mark STRONG (Sir Godfrey), Oscar ISAAC (le Prince Jean), Danny HUSTON (le Roi Richard Cœur de Lion), Eileen ATKINS (Aliénor d’Aquitaine), Mark ADDY (le Frère Tuck), Matthew MACFADYEN (le Shérif de Nottingham), Kevin DURAND (Little John – Petit Jean), Scott GRIMES (Will Scarlet), Alan DOYLE (Allan A’Dayle), Douglas HODGE (Sir Robert Loxley), Léa SEYDOUX (Isabelle d’Angoulême), Jonathan ZACCAI (Philippe II, Roi de France) 

Produit par Russell CROWE, Brian GRAZER et Ridley SCOTT (Universal Pictures / Imagine Entertainment / Relativity Media / Scott Free Productions)   Producteurs Exécutifs Michael COSTIGAN, Ryan KAVANAUGH, Charles J.D. SCHLISSEL et James WHITAKER   Musique Mark STREITENFELD   Photo John MATHIESON   Montage Pietro SCALIA   Casting Jina JAYDécors Arthur MAX   Direction Artistique John KING, David ALLDAY, Ray CHAN, Karen WAKEFIELD, Alex CAMERON, Anthony CARON-DELION, Marc HOMES, Matthew ROBINSON, Mike STALLION, Tom STILL, Mark SWAIN et Remo TOZZI   Costumes Janty YATES  

1er Assistant Réalisateur Max KEENE   Réalisateur 2e Équipe Alexander WITT   Cascades Steve DENT 

Mixage Son Tony DAWE et John MOONEY   Effets Spéciaux Sonores Ann SCIBELLI 

Effets Spéciaux Visuels Edson WILLIAMS, Dick EDWARDS, Michael KENNEDY et Richard STAMMERS (Centroid Motion Capture / FB-FX / Hammerhead Productions / Lola Visual Effects / MPC / Plowman Craven & Associates) 

Générique de fin créé par SCARLET LETTERS 

Distribution USA : Universal Pictures / Distribution INTERNATIONAL : UIP   Durée : 2 heures 20



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